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22/08/2010

Dédicace à Bouganim Ami

L'ami Bouganim

La tolérance vient d'abord de l'éducation: le fait que nous avons partagé le même banc d'école, les mêmes éducteurs, le même enseignement de l'Arabe et de l'Hébreux avait grandement contribué aux respect mutuel entre juifs et musulmans de Mogador.Paléstiens et Israéliens ne peuvent coéxister pacifiquement en Terre Sainte que  s'ils envoient leurs enfants étudier à la même école maternelle où on apprend l'hébreux aussi bien que l'Arabe , où on apprend à reconnaitre l'humanité de l'autre...De sorte qu'en grandissant on n'oserait plus le haïr et encore moins le tuer...

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Classe de première année de l'école pimaire de l'Alliance israélite de Mogador où étudiaient juifs et musulmans : 1961 - 1962

Je viens de publier sur mon blog une note sur le pays montagneux des Glaoua où il est question d'un saint judéo - berbère du nom de Moulay Ighi qui est situé dans la fraction Glaoua de Tisakht Ighi. Et ce matin je m'apprête à écrire une nouvelle note sur le Haut Atlas central mais j'hésite sur le titre: hier soir déjà je me disais que le titre qui conviendrait le mieux c'est celui du bouffon-musicien qui joue à la double flûte de roseau (aghanim en langue tamazight) qui porte de ce fait le nom de "Boughanim". Et juste avant de dormir j'ai fait le lien entre "Boughanim" et "Bouganim" et je me suis dit que peut-être ce rapprochement sémantique n'est pas le fruit du pur hasard....  Consulté à ce sujet; aujourd'hui; Bouganim Ami me réconforte dans cette hypothèse :

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L'élève Abdelkader Mana; premier en bas à droite

Très cher Albdekader,

J'ai toujours été un homme roseau. Frêle et délicat. Solidement enraciné dans mon terreau et résistant aux vents. Tous les vents. Philosophiques, religieux, poétiques. Je ne ploie pas, je plie. Puis je me redresse, comme le dit un midrash. Quand j'ai quitté Mogador pour Casablanca, je me suis retrouvé au théâtre du parc des jeux. J'étais à la fois prince et… clown. Ca n'a duré que deux ans, c'était assez pour me marquer pour la vie. Prince par-ci, clown par-là. Ne me posant pas en prince sans être pris pour un clown, ne me livrant pas à mes clowneries sans m'attirer des attentions princières. Mes souvenirs de théâtre sont consignés dans un livre intitulé Le Cid qui n'a pas encore paru, mes illuminations de roseau pensant et rieur sont consignées dans un dossier que je reprendrai peut-être un jour et qui s'intitule : "Ainsi parlait Derbala…"

Tu vois que n'es pas loin.

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Entre-temps, je travaille sur mon manifeste poétique de Mogador. Tu es mentionné toutes les cinq pages environ. Sans parler de ton portrait. C'est te dire que je suis un des meilleurs connaisseurs de ton site. Peut-être passerai-je deux ou trois semaines en novembre à Mogador. Pour rencontrer Hussein Miloudi, découvrir l'arrière-pays, prendre des notes pour un roman que j'ai en tête et compléter le manifeste.

Me permets-tu de reprendre cette correspondance dans mon propre blog ?

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Mais bien sûr et avec grand plaisir : à cause de ton frère cadet; Jojo mon copain de classe chez notre maîtresse Benssoussan, j'ai un rapport très mystérieux avec les Bouganim. Disant un rapport fraternelle . Quand tu m'avais conduit à la maison où tu étais né à Mogador ; il s'est trouvé que c'est dans cette même maison que j'ai passé les plus heureuses années de mon enfance...Quand plus tard j'ai pleuré d'émotion en lisant ton récit du Mellah...Maintenant que tout ce que nous aimons n'est plus là-bas, maintenant que nos retrouvailles avec notre villes sont peuplés de déceptions...Maintenant que le passage devant notre école et notre vieux cimetière ne nous fait plus frémire de nostalgie...Maintenant que la ville ne nous appartient plus. Maintenant... Abdelkader Mana

P.S. Ma tante maternelle habitait alors dans la médina d’Essaouira du côté de la Scala de la mer — la maison même où était né Bouganim Ami, l’auteur du « Récit du Mellah », comme il me l’a indiqué lui-même lors de son bref séjour de 1998. Une maison avec patio où la lumière venait d’en haut. Et moi tout petit au deuxième étage regardant le vide à travers des moucharabiehs et répétant la chanson en vogue à la radio :

Cest pour toi que je chante

Ô fille de la médina !

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Comment de la plaine resurgirait Mogador
Comment pourrait-on haïr qui l'on aime?
Je t'aime Mogador, je t'aime!

A l’alliance israélite où j’étudiais, on m’accorda alors de beaux livres pour enfant, que je n’ai pu recevoir à l’estrade, mais que Zagouri, mon institutrice, me fit alors venir chez le pâtissier Driss, où j’ai eu droit et aux Beaux Livres et à un gâteau au chocolat ! Je lui ai menti, en lui disant que je n’ai pas pu assisté à la remise des prix parce que j’étais parti à Chichaoua ! En réalité l’appel de la plage et des vacances étaient plus forts, surtout quand les élèves se mettaient à chanter à la récréation dans la cour :

« Gai gai l’écolier, c’est demain les vacances...

Adieu ma petite maîtresse qui m’a donné le prix

Et quand je suis en classe qui m’a fait tant pleurer !

Passons par la fenêtre cassons tous les carreaux,

Cassons la gueule du maître avec des coups de belgha (babouches)

De cette vieille maison que nous avons en partage Bouganim Ami  écrit  :

" De Mogador, je conserve surtout le souvenir d'une maison lézardée qui menaçait de céder et de s'écrouler. Les marches étaient si vieilles qu'elles craquaient sous nos pieds. Les monter ou les descendre relevaient d'une prouesse acrobatique. L'escalier était si obscur, de jour et de nuit, hanté de gnomes, de démons et de génies qu'on ne savait qui l'on croisait. Les carreaux de la verrière, contre laquelle le vent s'acharnait, ne cessaient de casser et de s'écraser dans la cour. Les balustrades des fenêtres étaient si fragiles qu'il nous était interdit de nous y appuyer. Les portes et les volets ne cessaient de claquer, secouant toute la bâtisse. Les souris et les chats s'introduisaient librement par la porte entrouverte en permanence ; les hirondelles ne se glissaient malencontreusement par la verrière que pour se heurter aux murs en quête d'une introuvable issue de secours. Les mouches, les abeilles et les hannetons voltigeaient tout autour jusqu'à ce que, par distraction, ils échouent dans l'une des nombreuses toiles d'araignées qui dentelaient les coins. Pourtant, c'était le paradis, ça l'est resté, malgré la riche galerie des esprits ou grâce à eux, et à l'occasion du  tournage d'un documentaire sur Mogador, j'ai découvert sans grand étonnement que des promoteurs sagement avisés s'apprêtaient à en faire une maison d'hôte."

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Il y a quelque jours Marta , l'ami Française m'écrivait: "Vous Mana, vous êtes un intellectuel, un cérébral, et un érudit, et avec une ouverture d'esprit peu commune." Je crois savoir aujourd'hui que mon ouverture d'esprit me vient de mon passage par l'école Israélite de Mogador..

Avec la nostalgie d'une humanité pastorale, le souvenir d'une humanité tatouée, la hantise d'une humanité robotisée,comme l'écrit Bouganim par ailleurs , je lui dédierai le texte sur le pastoralisme du Haut Atlas que je suis en train d’écrire et que parcourent depuis toujours les Boughanim au son de leur double clarinette de roseau….Abdelkader Manamoi.JPG

 

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Pratiquement à la même fameuse allée des arocarias, qui borde l'alliance Israélite d'une part et le vieux cimetière musulman d'autre part, à des années lumières d'interval: l'auteur en 1961 et en 2009....

17:34 Écrit par elhajthami dans Mogador, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poèsie, mogador | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

20/08/2010

Haut - Atlas

G l a o u a, le pays montagneux

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Tisseuses d’Iswal, scène homérique du Maroc éternel !

Frère, suit ton chemin

Il finira bien par te mener quelque part

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Tel est le refrain que répètent des musiciens ambulants à travers les allées et les étales de had zerkten, le principal souk hebdomadaire vers lequel convergent chaque dimanche toutes les tribus montagnardes environnantes qui font aussi leur marché à telwet qui est le véritable cœur du pays Glaoua. Ces musiciens ambulants s’inspirent dans leurs chants des dires d’Andam ou Adrar, le compositeur mythique des montagnes du Haut – Atlas. Ici, on croit que les arts musicaux  et poétiques sont un don qu’on reçoit après une nuit d’incubation à l’enceinte sacrée de certains saints. C’est le cas du vieux troubadour d’ Iswal qui nous fit don de ce poème :

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On festoie à la citadelle

Une fête que personne ne pourra oublier

Soit heureux ô pied qui avance pour danser la mesure

Soit heureuse ô main qui se saisit du tambourin

Azaghar est illuminé de toutes les lumières

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Ces montagnes sont pour nous la paix

Ces montagnes sont pour nous l’eau

On y trouve les troupeaux de gazelles

On y trouve l’olivier, l’amandier,

On y trouve les moulins à eau

On t’y trouve toi aussi ô rivière !

On y trouve les hommes hospitaliers et les ahwach prestigieux

C’est à la fois le sel des jours, des hommes et des choses.

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Avant que le chant ne s’épanouisse pleinement lors des fêtes annuelles, c’est en vaquant aux travaux des champs et de la vie quotidienne ; tisser, moudre, puiser l’eau ou ramasser le bois de chauffage que dès leur jeune âge, les jeunes filles apprennent le chant des femmes, leurs aînées et initiatrices. Autrefois c’est l’époque du tissage  que peu de femmes pratiquent encore de nos jours : vêtements et couvertures devaient être terminés avant le grand froid. Tisseuses d’Iswal, scène homérique du Maroc éternel !

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Tambour de feu, tambour d’Afrique en pays berbère…

Contrairement à l’ahouach des autres tribus masmoda , celui du pays Glaoua ne se limite pas au tambour sur cadre qu’on appelle taguenza ou allûn , mais y associe également le tambour haoussa à deux peaux, qu’on appelle ici comme à l’oued Noun au Sahara , « Ganga », probablement introduit au pays Glaoua par les esclaves noirs des grands caïds. Le métissage biologique et culturel explique pourquoi l’ahouach des Glaoua est l’un des plus complexes et des plus beaux au Haut – Atlas. Celui d’Iswal diffère grandement de celui de Tisakh Ighi, même si les deux fractions appartiennent à la même tribu Glaoua. Mais au – delà des différences locales inéluctables par où se manifeste le particularisme tribal, c’est ce caractère en quelque sorte sacré qui confère à cette danse berbère son unité foncière :  La même ronde circulaire ou allongée , serrés épaule contre épaule, le même balancement , le même geste menu et précis , réglé selon un rythme à la fois souple et rigoureux, la même mélopée suraiguë, la même batterie savante et impérieuse. Les préliminaires commencent lentement avec les percussions taguenza. Ce tambour sur cadre reste l’instrument principal ; celui sur lequel on exerce sa virtuosité. L’instrument de la fête par excellence. Les mots berbères les plus communément employés dans toute la montagne pour le désigner ce  sont allûn ou taguenza.

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Cette montagne si lourde et somptueuse est dépourvue de forêts ; son austérité et sa nudité lui confère pourtant une grandeur sauvage. Les chleuhs l’appellent « adrar n’deren » (la montagne des montagnes). Ce massif est attirant par sa beauté rude. Ici, la montagne est si haute qu’elle touche les nuages venues de l’océan si proche et qu’elle est couverte de neige une partie de l’année. Montagne aride, montagne humide, montagne froide. Les douars d’ Iswal s’y cramponnent pourtant, profitant du peu de terre arables qui reste au fond des vallées profondes et au bord des cours d’eau. Iswal est une  fraction qui se compose de neuf douars. Mais seuls trois d’entre eux ont participé à la fête saisonnière à laquelle nous avons assisté : celui de titoula, où a eu lieu le tournage,  celui d’anamer et celui de taâyat. On s’est dirigé ensuite vers la fraction de tisakht Ighi qui se caractérise par la présence d’un saint judéo - berbère, Moulay Ighi, dont le sanctuaire fait l’objet chaque année d’une hiloula , pèlerinage auquel participe la diaspora juive d’origine berbère.

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En automne, après les fêtes familiales tels les mariages, les femmes vont chercher du bois qu’elles entreposent pour l’hiver. Elles doivent prévoir et accumuler des réserves comme témoigne dans un arabe approximatif cet habitant de haute montagne : « Quand il ne reste plus que dix jours à l’automne pour finir, en prévision de la période du grand froid de l’hiver, les femmes  stockent de l’herbe sèche pour les bêtes et récolent le navet qui une fois séché sur les terrasses et réduit en poudre servira de condiment pour le couscous. Il tombe ici jusqu’à deux mètres de neige. C’est la période où les villages sont entièrement isolés par la neige. Les femmes montent sur les terrassent et balaient la neige pour que l’eau ne s’infiltre pas à l’intérieur des maisons. »

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Contraste brutal entre des sommets et des crêtes à l’imposante majesté et des vallées étroites et profondes. Les montagnes sont tantôt dénudées et austères tantôts recouverts de pins d’Alep associé au chêne vert au thuya et au genévrier rouge. Un pays difficile d’accès où les pistes muletières l’emportent largement sur les pistes carrossables qui sont une réalité récente due largement au système d’entraide collective connu sous le nom de tuiza .  Le peu de terres arables qui reste en flanc de montagne et au bord des cours d’eau est cultivé en terrasse. Au bord de l’oued Ghdat, on sème l’ail,l’ognon, le navet en plus des céréales. Le moindre espace est exploité y compris parmi les galets de la rivière, lorsque celle-ci est desséchée. Le douar tighwine où a lieu la fête saisonnière, organisée pour le tournage de « la musique dans la vie », se situe sur la rive gauche de l’oued Ghdat, un alluvion de l’oued Tensift, alimenté par de nombreux cours d’eau qui descendent principalement d’ adrar n’gourent (la grande montagne) qui culmine à plus de 3000 m. d’altitude.

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Chez les Glaoua , le col de Tizi n’Telouet est le passage obligé au Haut – Atlas pour les caravaniers et les marchands. C’est en prélevant une dîme de passage sur les marchandises que le caïdalisme s’est développé chez les Glaoua.  Leur puissance prenait sa source d’abord du contrôle des échanges marchands qui transitaient par les cols . La fameuse route de l’or et du sel qui reliait par delà le Haut – Atlas, le Sahara au sud aux rivages de la Méditerranée au nord.

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Au XIXème siècle  habituellement le caïd du Makhzen était choisi chez les tribus zamran ou  sraghna. Chaque année ce chef de tribu guich rassemblait ses contingents et dépassait par Telouet, où le père de Sidi Madani Glaoui, n’était alors qu’un petit cheikh de montagne semblable aux autres, puis il descendait vers le Warzazate, Taznakht et le zegmouzen en suivant ces vallées, chez les petits amghars dont les maisons jalonnaient cette « voie Makhzen ». En 1914, les Français s’appuient sur le Glaoui  ainsi que les autres seigneurs de l’Atlas – les caïds Mtouggi et Goundafi – pour soumettre les tribus du Sud. A son avènement Thami el Glaoui garde sous son autorité quelques tribus du Sud, mais surtout, sur le versant nord, les Zamran et les Mesfiwa où il s’implante solidement en prenant les meilleurs terres dont il expulse les habitants. Lors du séquestre de 1958, ses propriétés rurales immatriculées dans le seul Haouz, couvraient une superficie totale de 11.400 hectares irrigués. Sa famille possédait plus de 16000 hectares et le clan 25000 hectares. Ne sont pas compris ici ; les terres non titrées, les oliviers (660 000 pieds), ni les propriétés dans les autres provinces (oued Dra et Dadès notamment). Il s’agit là de la plus grande concentration foncière connue au Maroc. La Vigie du mercredi 26 octobre 1955 titrait ainsi : « Coup de théâtre à Rabat hier après midi : Le ralliement du Glaoui au sultan ben Youssef a fait sensation. » Il a été couramment admis qu’avec lui prenait fin le régime féodal marocain. Thami el-Glaoui, est resté Pacha de Marrakech sans discontinuer de 1918 à sa mort le 12 janvier 1956, où il fut inhumé au splendide mausolée de Sidi Sliman El Jazouli, l’un des sept saints de Marrakech. Il y disposait d’ailleurs d’un palais, de style andalous – mauresque,  surnommé stiniya (littéralement la soixantaine), en raison de l’une de ses salles, dont la coupole était décorée d’un dessin géométrique comportant « soixante rayons ».

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Chez les Glaoua, l’ahouach est essentiellement mixte :la présence des femmes dans les fêtes est sans conteste primordiale, ne serait – ce que pour assurer la réussite de la danse . Dans la danse comme dans le chant les femmes occupent une place prépondérante. Elles composent un chœur complémentaire à celui des hommes et ont tout au moins sur le plan vocal, puisqu’elles ne touchent jamais au tambour ; un rôle à tenir.

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On prélude par le rythme à l’état pur : percussion de plusieurs taguenza à la fois. Puis on entame arasal :. jeu de tambour accompagnant le chant des hommes à l’unisson. On enchaîne ensuite par une ornementation dénommée tazrart : élévation des voix qui accompagnent les percussion comme des échos de bergers au fond de   la montagne, cris de joie qui vise à susciter l’enthousiasme qu’on appelle ici tahyar. Ce qui prouve s’il en est besoin que l’ahouach est une danse jubilatoire qui vise à produire l’enthousiasme et la joie et non la transe même s’il est fondé sur le même principe d’accélérando .Survient enfin le chant des femmes à l’unisson qu’on appelle tihwachine.

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Dans la poésie chantée qu’on appelle N’dam, les hommes ont un rôle prépondérant. Ce sont eux qui assurent l’improvisation poétique , devant les villageois rassemblés sur la place publique. On chante le N’dam en couvrant la bouche de son tambourin comme pour se protéger des puissances surnaturelles autant que pour mieux moduler sa voix. Un refrain montagnard, jeu de tambour, tambour de fêtes saisonnières. Voilà ce qui frappe le plus du point de vue musical au pays Glaoua que nous avons traversé à mi – chemin entre Marrakech et Warzazate ,à l’aube de cette nouvelle année agricole de 1998.

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Un pays montagneux où chaque vallée possède sa propre troupe d’ ahouach et où pourtant aucune musique d’une vallée ne ressemble à une autre.

Abdelkader Mana

21:09 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, haut-atlas | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

18/08/2010

Houara

Rythme H O U A R A

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Danses des gazelles

« Danse des gazelles », c’est ainsi qu’on appelle la danse aillée au rythme saccadé des Houara. Dans l’expression « mizân haouari », il y a la notion d’équilibre. La danse doit être parfaitement synchronisée au rythme. C’est cet équilibre qu’on appelle mizân. Tout l’art du danseur est de synchroniser le geste à la percussion, la chorégraphie au rythme. C’est généralement la petite tara qui mène la danse marquant par des césures musicales des arrêts où le danseur doit passer d’une posture chorégraphiques à une autre. Chacun  fait preuve de ses prouesses chorégraphiques : danseurs et danseuses se relaient à tour de rôle mais chacun a son propre style, sa propre chorégraphie. Le jeu de pur rythme destiné à la danse est entrecoupé de chants qu’on appelle tagrar : « Je suis l’hôte de Dieu, ô braves hommes de ce pays !». C’est par ces mots que s’ouvre la compétition dansée.

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Nous nous sommes arrêtés au douar Mzila (« les maîtres forge » en berbère) là où finit le Haut Atlas et où commence la plaine de Sous. On est là encore dans le domaine aride comme l’atteste la chaleur accablante de la région. C’est le domaine de l’arganier. La chaleur est si extrême durant la prédominance du shûm qu’il n’est pas possible de sortir dehors. Les toitures des maisons sont fréquemment pelées par la chaleur du vent du chergui qui ressemble à celle qui se dégage de la gueule d’un four : les vêtements deviennent étouffants. Ce vent violent est cependant prélude à la saison pluvieuse. Aux abords de l’oued Sous l’écosystème change brutalement trahissant les effets bénéfiques d’une meilleure qualité du sol et de la nappe phréatique alimentée par le Haut - Atlas tout proche. On passe du vide, le lieu non habité, lakhla, à ce qu’Ibn khaldoun définissait par Oumrân , ou civilisation,parce que partout on retrouve l’empreinte de l’homme. Plus on s’éloigne de la montagne vers la plaine et qu’on s’approche des rives de l’oued Sous, plus on passe du domaine bour au domaine irrigué, de l’arganier qui pousse tout seul à l’agrumiculture et à la culture sous serre qui doivent être constamment entretenus.

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Aux rives de l’oued Sous,  à mi-chemin entre Agadir et  Taroudant, les houara constituent un îlot arabophone au milieu de tribus berbère. Ils seraient arrivés au Sous dans le sillage des conquérants arabes qui y avaient introduit jadis aussi bien les techniques d’irrigation que la culture de la canne à sucre :

« Dans cette région qui est située sur une grande rivière, écrit au 11ème siècle le géographe andalous El Békri, il y a beaucoup de fruits et de canne à sucre dont le produit s’exporte dans tous les pays du Maghreb. L’honneur d’avoir fait construire le canal qui fournit l’eau à la ville de Sous (Taroudant) et d’avoir canaliser les bords de cette rivière est attribué à Abderrahmane Ibn Moumen dont le père était le dernier Calife Omeyyade d’Orient ».

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En provenance d’Orient les Houara se seraient d’abord arrêtés au Sahara avant de déposer définitivement armes et bagages au bord de l’oued Sous. Leurs couplets ils les appellent «  tagrar », terme d’origine saharienne. De nos jours encore, ils continuent de chanter la légende de l’égérie, cette gazelle aux mollets tatoués, qui aurait trahi le pacte conclu du temps de Jésus avec « l’homme dépouillé » . Chacun s’était engagé à ne pas se remarier si son partenaire vient à mourir :

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Ô gazelle aux mollets tatoués !

La mécréante qui a trahit ma confiance !

Ô gazelle aux mollets tatoués !

Le Seigneur  très haut t’a ressuscité

Après la mort

Et aujourd’hui tu oses trahir ma confiance !

Les fossoyeurs retournent la terre

On retire les rats, on coud ton linceul

L’homme nu te pleurait durant sept longues années

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Jésus fils de Marie  descend du ciel et lui dit :

- Cesse de pleurer, ô homme nu !

- Je pleure ma femme, la gazelle aux mollets tatoués

- Mais elle est morte et son destin est scellé,

Je te la ressuscite par ordre du Seigneur le plus haut !

L’égérie a ressuscité par ordre du Seigneur le plus haut

Il s’est accroché à sa chevelure

Le cœur palpitant de joie

Il s’assoupit  en posant la tête sur ses genoux

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Passant par là des chasseurs royaux du temps de Jésus lui  dirent :

- Beauté ! Pourquoi t’occupes-tu de cet homme nu ?!

Viens avec nous à la Maison Royale !

Là où tu seras couverte de soie et de velours.

-   Mais que dois-je faire de cet « homme nu » ? leur répondit-elle.

Ils lui répondirent :

-Posez-lui la tête sur le rocher de l’ éternité.

Ils la prirent sur leurs chevaux et partirent.

En se réveillant l’homme nu n’a trouvé que les mirages du désert

Il se met à parcourir les étendues solitaires

Sur son chemin il rencontra des bergers et leur dit :

-N’avez-vous pas vu la gazelle aux mollets tatoués ?

-Elle est passée par ici en compagnie des chasseurs du sultan

Ils l’ont amené comme présent à la Maison Royale.

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Il accouru à la Maison Royale

En frappant à la porte, le gardien du sultan lui apparu :

Vous m’avez pris ma gazelle aux mollets tatoués. Lui dit-il.

-   Nous n’avons vu aucune égérie et la Maison Royale est pleine des wedga.

Le sultan de l’époque leur ordonna de le laisser entrer.

Il la reconnu parmi les nombreuses belles houri qu’on lui aligna

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Il s’accrocha à elle en lui disant :

-   Pourquoi ô égérie trahir ma confiance ?!

-   Eloignes-toi de moi ô homme nu lui rétorqua-t-elle. Je suis élevée et j’ai grandi à la Maison Royale. J’y ai même coiffé ma chevelure !

Le Seigneur très haut t’avait ressuscité après ta mort. Jésus fils de Marie est venu me voir, je l’ai prié et il a prié Dieu qui t’a ressuscité. Tu as pourtant trahi ma confiance.

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-   Non, je ne te connais pas, insista- t – elle.

Viens mesurer ce tombeau avec nos doigts, lui proposa-t-il.

En l’accompagnant elle trébucha au tombeau qui s’enflamma aussitôt.

Depuis lors on l’évoque en chantant :

Ô gazelle aux mollets tatoués !

La mécréante qui a trahit ma confiance !

Ô gazelle aux mollets tatoués !

Le Seigneur  très haut t’a ressuscité

Après la mort

Et aujourd’hui tu oses trahir ma confiance !

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Ces chants relèvent souvent du conte   racontant sur le mode théâtralisé (avec dialogues) des histoires comme celle de cette jeune femme qui vient se plaindre au juge de son vieux compagnon. :

Ma mère m’a confié au vieil homme que je n’ai jamais aimé !

Se plaint – elle. Ce à quoi le vieux mari répond :

Que dois-je faire ô mon Dieu pour confesser

Les péchés commis par la bien aimée ?

Il est dit dans un de leurs couplets qu’on désigne par le nom de tagrar :

En allant du côté des Berbères

Elle faisait tomber les fruits

Comme l’étoile filante sur la trace des mirages

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Les Houara forment une très grande tribu arabe établie dans la plaine de Sous entourée de montagnes habitées par des Berbères dont le parler est le tachelhit. Leur territoire s’étend depuis Agadir jusqu’à Taroudant.  On trouve les houara dans le Sous ; mais également dans maintes autres endroits que ce soit en Orient ou au Maghreb : les houara ouled Rahou du côté de Guercif, en Algérie, en Egypte etc. Les Ouled Taïma de Sous proviendraient d’Arabie Saoudite où existe une  ville du nom de Taïma. Dans la fertile plaine de Sous, le territoire occupé par les Houara se compose de neuf tribus arabes (OuledTaïma, Laktifat, Sidi Moussa el Hamri, el gardane, lahfaya, Ouled Saïd, Hmar, Freija, Ouled Berhil) et d’une tribu Berbère, celle d’Amezzou.

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La plaine de Sous est située dans une région tellement agréable et fertile qu’on l’appelait « le paradis terrestre ». Au début du 19ème siècle, il a fallu deux jours au voyageur anglais Jackson, pour traverser toutes ces plantations, lesquels formaient une ombre ininterrompue et impénétrable aux rayons du soleil. Le Sous produisait plus d’amandes et d’huile d’olive que toutes les autre provinces réunies. La canne à sucre poussait spontanément aux abords de Taroudant . Le bâton de réglisse était si abandon  qu’on l’appelait « ârq Sous » (la racine de Sous). C’étaient les vergers de l’oued Sous qui assuraient l’approvisionnement en huile d’olive. Les amphores de hmar, en particulier où nous nous trouvons en ce moment. Ce sont les oliveraies d’Ouled Taïma et d’Aït Melloul qui alimentent en huile d’olive jusqu’aux régions saharienne. Jusqu’à une période récente, l’eau était à fleur de sol. Dans les années 1970, on pompait l’eau à sept mètres de profondeur à peine. Il faut maintenant la pomper à près de 200 m de fond et l’oued Sous lui-même n’est plus ce qu’il était jadis

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Cette luxuriance de végétation, le  Sous la doit d’abord à la rivière dont il porte le nom :

« L’oued Sous est un véritable trésor, s’exclame Haj Ali Kayouh le principal fermier des Houara . Par le passé l’eau coulait toute l’année. C’était bien avant l’édification des barrages. Et quand l’oued était en crue on ne pouvait plus le franchir : ceux qui étaient de l’autre côté de l’oued achetaient le sucre au double de son prix réel. Tandis que l’oued demeurait infranchissable le prix du sucre valait de ce côté – ci le double de ce qu’il valait de l’autre. Celui qui avait au bord de l’eau une parcelle de 400 ou 500 m la consacrait au maïs et au blé tendre et il était considéré comme quelqu’un d’aisé. Il n’y avait pas encore ne serait-ce qu’une seule ferme : avant le colonialisme, il n’y avait pas de fermes par ici. »

Quand les colons Français sont arrivés, ils ont partagé les terres fertiles de l’Oued Sous, en particulier celles des  Oulad Taïma et de  Sebt el Guerdan. C’est dans ces régions qu’ils ont commencé par s’établir se souvient haj Ali Kayouh :

« La terre ne valait rien en 1948. Un tracteur valait quinze dirhams et un camion guère plus. Le mazoute ne coûtait pratiquement rien aussi. Pour irriguer les fermes, les colons ont creusé des puits. A l’époque ils confiaient ces corvées aux prisonniers de guerre Allemands et aux légionnaires. Ils travaillaient torse nu  et portaient un simple short. C’est de cette manière que l’agriculture a été modernisée. Ces colons créèrent les chambres d’agriculture, les associations et se mirent à exploiter les richesses du pays. Les marocains n’avaient pas une seule ferme. A l’indépendance, les gens ont pris l’initiative et ont constitué des fermes. Du jour au lendemain, de simples marchands d’épices se sont transformés en fermiers. »


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Au Maroc, les Houara sont actuellement parmi les principaux exportateurs d’agrumes : « Presque 100% des fermes pratique une agriculture de haut niveau. En ce qui concerne les agrumes, grâce à Dieu, cette région représente 60% des exportations nationales. Maintenant la production laitière du Sous et de Houara est commercialisée dans de nombreuses régions du pays. Toutes les villes sahariennes , que ce soit Laâyoune, Smara, Dakhla ou Boujdour sont approvisionnées en lait par la province de Sous. »

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Chez les houara de Sous, l’achoura dure trois à quatre jours. Elle se déroule au patio de la mosquée du village où on amène offrandes et tambours dés que commence la fête.

On chante :

A kharjou ya laâyalat !

Ha hamaqa jat !

Sortez ô femmes !

Le carnaval est arrivé !

On appelle le carnaval « hamaqa » (la folie).

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Une fois que tout le monde est présent , ils allument un feu de joie et se mettent à sauter par-dessus les flammes en répétant :

En toi, je laisse ma paresse !

Ou encore :

En toi, je laisse ma maladie !

Chacun émet son vœux à cet occasion, tandis que les femmes poussent des youyou. Ils disent aussi :

Qui veut se rendre en pèlerinage

Pour chercher l’eau de zemzem auprès du Prophète ?

Le jour de l’achoura , il est en effet bon de recueillir l’eau de l’aube, qu’on appelle zemzem : Et nous puisons cet eau à l’aube du jour de fête en chantant :

Marches de pied ferme

O henné qui se rend en pèlerinage au tombeau du Prophète !

L’achoura qu’on appelle ici hamaqa (carnaval) se déroule de la manière suivante :

La troupe de musique houari arrive au douar en répétant :

Nous sommes hôte de Dieu

O hommes de ce pays !

Le maître de la maison où se déroulera la cérémonie les accueille.

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Après l’interruption du mizân houari ils entament le tagrar. Puis à nouveau la danse,puis à nouveau le chant et ce jusqu’au milieu de la nuit.

Ils se mettent alors en position assise pour entamer hammouda, la wedga (l’égérie, la gazelle) aux mollets tatoués qui a trahit l’homme dépouillé, son mari mis à nu. Et si le temps le permet, le maître de la maison leur demande de jouer gourar. Ils continuent ainsi jusqu’au levé du jour.

On n’est pas houari par naissance, on le devient par la participation à sa vie à sa culture ; par la maîtrise de ses chants, ses danses, ses rites et ses mythes. C’est en ce sens que les houara sont maintenant plus une réalité culturelle qu’ethnique. Abdelkader MANA

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03:33 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Musique et plaisir au Sahara

Les poètes errants

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Au Sahara on raconte l’histoire d’un vieil homme dont le goût pour la musique était resté si vif qu’il se glissait en cachette vers la tente où les jeunes gens se divertissaient avec les griots, tente où il ne pouvait apparaître publiquement en raison de son âge. Ne pouvant répondre directement aux moqueries de la jeunesse, il le fit par l’intermédiaire d’un quatrain qu’il donna à chanter aux musiciens :

Il m’a fallu aller vers la musique

Certes, ce n’est plus de mon âge

Je suis trop vieux, mais l’épée de pur acier

Le vent l’aiguise, la rajeunit

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La poésie Hassani est d’abord un chant produit et chanté par ces  « Iggaoun » dont l’art s’apparente à la fois aux griots africains, aux bardes Berbères et aux poètes arabes de la période anté-islamique.Le Cheikh Ma El Aïnine (mort en 1910 à Tiznit, après avoir édifier une zaouia à Smara) était né en 1830 dans le Hod, un des principaux émirats du désert avec celui d’Adrar, de Trarza, de Tagant ; berceau de la musique savante  des griots sahariens, ces poètes errants. La Mauritanie est le pays de ces « Iggaoun », ces griots, poètes - musiciens qui de tout temps remontaient en grand nombre vers la mythique  seguiet el hamra ,  jusqu’aux portes du Sahara au marché des chameaux de Guelmim où ils sont fêtés avec faste par  l’hospitalité, et par l’offrande. Ces poètes errants allaient de campement en campement, pour chanter les louanges des chefs des grandes tentes du Sahara. Pour accueillir  les invités, pour les mettre à l’aise, on leur sert le thé et le lait de la chamelle engraissée, aux rythmes et aux parfums qui enivrent. Ainsi parlait le poète Hassani de ce signe distinctif d’hospitalité et de convivialité qui revêt une place particulièrement importante dans l’art de vivre saharien. :

De la tente dressée s’élèvent

La fumée des festins, les  chants,

Et les troublantes beautés de Satan !

Voici qu’arrivent les bardes avec leur luth

Ils sont comblés de bijoux et de soyeux tissus

On leur offre méharis et  chevaux racés !

Filles pudiques et belles,

Vous êtes la parure de nos tentes!

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Paul Bowls avait donc raison de parler du « Thé au Sahara » : avec le lait de chamelle coupé d’eau qu’on appelle Tazrag , c’est aussi la meilleurs manière d’étancher sa soif sous l’accablant soleil du désert.
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Comme ce fut le cas chez les anciens arabes, dans la société Hassani, chaque familles d’artistes dépend d’une tribu particulière,. Elle est dite « la famille de telle tribu ». Chaque tribu dispose ainsi de ses propres musiciens et poètes qui sont pour ainsi dire ses portes parole au niveau de la société toute entière. Ces artistes dont l’art est codifié par des règles, sont les « Iggaoun », qui jouent ainsi un rôle particulier au sein de leur tribu. Ces familles d’artistes ont un degré de compétence variable d’une tribu l’autre, ce qui est somme toute normal pour des musiciens. Il y a en effet des musiciens qui ont atteint des sommets et qui font l’objet d’admiration aussi bien chez les gens de leur tribu que chez les gens en dehors d’elle. Ces artistes accomplis sont reconnus aussi bien au Sahara qu’en Mauritanie. C’est le cas de ces familles qu’on appelle « Ahl Aïdda » et « Ahl Abba » qui sont au sommet au niveau de la poésie. On donne l’exemple de la tribu T’kenta : les poètes de cette tribu, leur chant harmonieux, et leur maîtrise musicale sont tels qu’il sont reconnus unanimement comme les meilleurs dans toute la société nomade Hassani.

Je suis venu sans prévenir

Et j’ai trouvé le thé déjà servi par mon hôte

Que Dieu bénisse le chef de tente qui le sert

De même que le caravanier venu de loin qui en boit

L’ensemble instrumental Hassani se dénomme « Azaouan », et le chant « haoul » par référence à l’empreinte profonde qu’il laisse chez l’auditoire comparable à la notion de tarab chez les anciens d’Arabie avec comme soubassement, les valeurs nomades d’honneur et d’hospitalité…Dans ces attachantes étendues solitaires, été comme hiver, s’est développé un art musical complexe  en particulier à l’ombre des émirs des Trarza et des Brakna dont l’influence englobe l’antique Lamtouna, le pays de ces hommes voilés du désert où l’art musical est indissociable de l’art poétique. A poésie raffinée, musique savante.

Voici le puissant mâle

Se pavanant au milieu des chamelles !

Ô miracle du progrès !

Des véhicules tous terrains gardent maintenant le troupeau :

Cahotant sur les dunes !

Sur leurs sveltes montures, les guerriers paradent

Protégeant l’immense troupeau, de la rapine,

De la peur et des coupeurs de routes.

Quel beau pays où  de tout temps

Les poètes  surgissent de  nulle part !

 

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La zaouia du cheikh Ma el Aïnin à Smara

La seguiet el hamra se jette dans la mer. C’est« Foum el Oued », le delta de la seguiet el hamra, avec ses méandres d’eaux dormantes aux reflets d’acier serpentant vers la mer. Voilà tout ce qui existait avant que ne surgisse non loin de là, la ville de Laâyoun et avec elle la sédentarisation des nomades. Ce paysage austère et pluvieux revêt des allures poétiques pour l’épilogue d’un chant nomade :

Nos gîtes de campagne,

Sont dressés là - même où sont nos racines

Sur cette étendue désertique  frappée d’éclaires.

Doux rêve d’hiver, sous  la fine pluie et sous la tente

Parfum d’herbes sèches, s’évaporant du milieu des oueds.

Lointaines rumeur des bêtes sauvages.

Cérémonial de thé, entre complices de l’aube.

Crépitement de flammes consumant des brindilles desséchées

Et avec le jour d’hiver qui point

Chaque amant rejoint la tente des siens.

Le « tbal » est l’instrument de percussion le plus emblématique du Sahara. Il est composé d’une peau tendue et tendre. Toute la troupe de musique dépend, de la percussion du « Tbal ». Mais nous avons aussi des instruments de musique qui sont venus de Mauritanie, telle que la harpe appelée «Ardine »dont joue la femme et le luth appelé « Tidinite » dont joue l’homme. « Ardine » est très répondue en Afrique subsaharienne .Le recours à cette harpe Africaine est un effet du métissage culturel avec l’Afrique Noire. C’est le résultat d’ un métissage culturel qui est issu historiquement des rapports anciens  existants entre le Sahara et le reste de l’Afrique .

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La zaouia du cheikh Ma el Aïnin à Smara

C’est à la seguiet el hamra , que nous avons rencontré Abba Ould Baddou, l’un des meilleurs musiciens de Tidinit, puisque son oncle est le grand poète de la tribu Kanta, mort en 1958. Tous deux issus de la grande lignée de griots dont l’origine remonte à Saddoum Wal N’dartou , célèbre musicien et poète errant du 18ème siècle.Il nous a joué des morceaux de la Tidinit, ce luth à quatre cordes dont joue exclusivement les hommes par opposition à la harpe dénommée Ardine dont joue les femmes.La caisse de Tidinit est creusée dans une pièce de bois unique de forme allongée mesurant 40 à 50 centimètres de long, rappelle étrangement le gunbri des Gnaoua. La table d’harmonie est en peau de bœuf, non tannée. Le manche s’appuie d’un côté sur le bord de la caisse et de l’autre, il est retenu par la peau elle-même dont il est étroitement solidaire. On distingue les deux cordes médianes qui sont les plus longues sur lesquelles le musicien joue la mélodie et les deux cordes les plus courtes qui sont situées de part et d’autre des premières. Les cordes sont plus pressées dans la noirceur et sont plus souvent à vide dans la blancheur. Dans la noirceur, l’échelle modale est plus complexe : elle comprend plus de degrés mobiles. Les griots disent que la noirceur est plus touffue, plus confuse. La blancheur plus clair et plus simple.

Sur le plan des formes musicales, la musique au Sahara présente deux aspects :

Un aspect blanc, Janba Lbayda considéré comme plus doux et plus agréable. Et un aspect noir, Janba Lkahla, qui cherche moins à plaire qu’à exciter. Le premier correspond à la fonction de divertissement de la musique, plus adapté au Ghazal , aux chansons d’amour. Le second est plus adapté à la guerre et aux honneurs. Ici, le nom des partitions musicales vient souvent des lieux et des circonstances qui l’ont vu naître. Raison pour laquelle ces noms nous semblent à la fois étranges et indéchiffrables. C’est le cas du sous mode musical de la « voie blanche » (Janba Lbayda), qui porte le nom du pâturage où ce morceau de musique est né. Comme il y a un autre sous mode musical appelé la foudre en raison de son enthousiasme guerrier.

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Les Sahraouis ont un système musical complexe où ils distinguent cinq modes et quelques vingt huit sous modes. Il y a aussi le mode musical tacheté qui est un mélange entre la voie blanche et la voie noire. Il combine entre noirceur et blancheur. De plus, il est possible de passer insensiblement de la noirceur à la blancheur. Par exemple dans karr, en abandonnant progressivement l’usage du ré et en accentuant celui du mi.  Enfin, il y a pour chaque mode musical un moment approprié de la journée :
  • La voie blanche : de l’aube à la mi - journée.
  • La voie noire : du crépuscule au milieu de la nuit.
  • Et Labteit, du milieu de la nuit au levé du soleil. Le Ghazal, poème lyrique et le madh, les louanges, sont des états de grâce à qui le mode musical labteit convient le mieux. Ce mode musical est généralement associé à la tristesse et à la nostalgie.

Chaque mode musical fait entrer l’auditeur dans un univers sonore et affectif particulier. Les modes se subdivisent à leur tour en sous modes, qui les « colorent » d’une manière particulière en renforçant les sentiments qui leur sont associés. Cette « coloration » varie du noir au blanc. Est senti comme « blanc », ce qui donne une impression de douceur, comme le timbre des voix féminines et comme « noir » ce qui donne une impression de force tel le cri du chameau. L’épilogue de ces modes musicaux  est dénommé « labteït ». Dés que le luthiste de Tidinite, ou maintenant l’orgue électrique , entame tel ou tel mode musical, l’oreille éduquée du chanteur sait exactement quels types de chants convient le mieux : il comprend . Dés les premières notes, qu’on est passé d’un mode musical à un autre. L’exécution musicale change et la versification qui l’accompagne aussi. Du début à la fin, les modes musicaux sont déclinés selon un ordre précis : au cours d’un concert les modes doivent toujours être joué dans l’ordre. Chaque mode est associé à un sentiment. Il prend une coloration affective qui va du noir au blanc. On passe ainsi par gradation du sous mode  Noir dit « Lakhal » au sous mode Blanc dit « Labyad ».Prenons l’exemple du prélude dit « Ibnou Wahib », il correspond à un état affectif très différent de celui qui caractérise l’épilogue dit « Labteït » .De sorte que ce qui se chante en l’un ne peut se chanter en l’autre, au risque de provoquer une dissonance. Il faut que le contenu du poème ait la même coloration affective que le mode musical où il est chanté.

 

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Les cantatrices du désert

La cantatrice accomplie se reconnaît à la parfaite homogénéité qui existe entre sa technique vocale et instrumentale. Non seulement son luth parle clairement, mais aussi elle imite parfaitement le luth avec sa voix. Le chant est dénommé « haoul » par référence à l’empreinte profonde qu’il laisse chez l’auditoire comparable à la notion de tarab chez les orientaux.

 

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Originaire de la tribu des Oulad Tidrarine, dont il est l’un des principaux poètes, Abba Mohamed Rouijel, a dédié cette qasida à Sektou la fameuse cantatrice de Mauritanie:

Sektou, la plus belle des voix !

Celle qui ne cesse d’embellir chaque jour davantage !

Nul ne peut égaler ton  jeu de harpe

Le bon Dieu qui t’a  distingué par une belle apparence

Eloignera de toi les mauvais oeils  et les regards jaloux !

Tout en toi est grâce et  beauté ;

Si tu es belle pour ce que tu révèles,

Tu  es encore plus belle pour ce que tu dissimules !

Tes mains enduites de henné, tes doigts fins et effilés

Sont faits pour caresser  la harpe,

Tressant  musique et  poésie !

C’est ta belle  voix qui  ouvre les veillées musicales du désert

Parcourant  avec une aisance incomparable

Versifications  nomades et modes musicaux sahariens :

J’ai nommé Baygui, Âddal et Fâqû

J’ai nommé Sayni, Karr, et N’tamass

J’ai nommé Lakhal, Mraïmida et Nyama

Le  cliquetis de ta chevillière accompagne ta harpe

C’est à toi, digne héritière du  grand Saddoun Wal N’dartou

Que je dédie   mes poèmes !

Et à  ceux qui me le  reprocheraient, je réponds :

De tes immenses mérites, je n’ai encore rien révélé…

 

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C’est au 18ème siècle que Saddûm Wall N’dartou allia la forme poétique de la qasida à un nouveau style musical divisé en deux voies, l’une blanche et l’autre noire :Le premier style musical est de caractère arabe, et le second est inspiré de la musique des noirs. D’ailleurs plusieurs sous-modes portent des noms soudanais comme celui de « Sayni Bambara ».Le griot, autrefois, était attaché au service d’une famille noble dont il partageait étroitement la vie. Maintenant il appartient à tout le monde, c'est-à-dire à ceux qui le payent et non à ceux qui le faisaient vivre. Autrefois, considérés comme mémoire collective de leur tribu, maintenant, ces griots qu’on appelle « Iggaouen », ici comme en Mauritanie, sont devenus plus perméables aux influences poétiques et aux modes instrumentales venus d’ailleurs. L’émergence d’une parole poétique féminine, auparavant tenue pour secrète, et de nos jours articulée à haute voix, transmise sur les ondes de la station régionale de Laâyoun, constitue une rupture dans le statut de la femme Sahraouie. La divulgation des textes poétiques féminins, est corrélative des mouvements de sédentarisation et d’urbanisation.

 

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Les griots et les cantatrices quittent ainsi les campements du désert pour une vie plus urbaine où ils ont plus l’occasion de se reproduire, en tant que groupe folk saharien, mêlant les instruments de musique traditionnels aux instruments électriques modernes.

Abdelkader Mana

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03:21 Écrit par elhajthami dans Documentaire, Musique, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sahara | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Le chant des chameliers

Le chant des chameliers

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Par Abdelkader Mana

En souvenir de ma mère et de mon père qui étaient encore de ce monde lors de la rédaction de ce texte pour les documentaires "le chant des chameliers" et "les poètes errants"


Les anciens égyptiens appelaient le pays berbère maghrébin Tahennou , c'est-à-dire le pays des hommes libres qui s’enduisent le corps au henné. Dans le dessin au henné saharien ce qui est significatif, ce n’est pas le plein mais le vide. Le henné ne vient pas souligner le motif lui – même mais ses marges tout autour. De sorte que le sens s’inscrit dans le vide et non dans le plein. Mais c’est dans cette dialectique entre le vide et le plein que s’inscrit le symbole de la pensée nomade. De la même manière, le Sahara, en tant que pays nomade ne peut être compris que dans un permanent échange avec le monde sédentaire.

O belle fille, remets – moi ma tunique bleue

Car moi aussi je vais me rendre à la grande fête de walata !

 

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Le R'guiss, la danse de feu et de flamme de la Guedra de Guelimim

La fête autour de la grosse timbale est l’occasion de réjouissances et de danses, de R’guiss.  Pour les femmes cette danse met particulièrement en valeur la gestuelle de la main et les envolées de la chevelure. Elle est généralement précédée par un rituel de henné et de tresse de chevelure en vue du r’guiss, la danse des bouts du corps, des doigts et des tresses : on prend particulièrement soins de la chevelure de la future mariée qu’on tresse à la manière africaine. Seuls peuvent prendre part à la danse les vierges, les jeunes veuves et les divorcées. Jamais une femme mariée. C’est une magnifique occasion pour les jeunes gens de choisir leur fiancée. C’est aussi l’occasion pour les hommes de parader devant les femmes et de montrer leurs talents de chanteurs et de poètes :

Désert, comme tu es vaste !

Et comme pénible la traversée de tes immenses espaces.

Désert traversé par un jeune chamelier monté sur un méhari

Qui a vaincu la famine et la soif.

Quelle peine se donne ce jeune chamelier

Pour se rapprocher de celle qui m’a percé de ses cils

Elle a une chevelure abondante qui retombe sur sa poitrine

Avec des tresses comme des épis et des mèches qui s’éparpillent

Une chevelure tombant sur un sein qu’on devine sous une robe échancrée

Un désert où manque la fille de ma génération

Un désert aux immensités sans fin qui nous sépare

Des demeures de celle au double bracelet

Sa taille est celle d’un palmier femelle aux longues palmes retombantes

Nourri dans un terrain plat et bien travaillé

Où coule l’eau qui n’est pas gêné par le sable.

Un désert traversé seulement par un jeune homme

Qui se dit prêt à tout affronter pour rejoindre celle à la robe écarlate.

Le collier au cou comme un vaisseau dont on déploie les voiles

Sa monture va courir vers celle qui a les doigts teints de henné.

Un désert où nulle part aucun son ne se fait entendre

Aucune voix ne vient d’aucune dune

C’est cette étendue vide qui me sépare de ma bien aimée

Pour traverser ce désert, il faut un jeune homme

Monté sur un méhari bien dressé

Et l’étape est si longue qu’il doit la commencer la nuit.

Cette monture est un étalon dont la généalogie est connue pour dix générations

Et sa mère est une chamelle d’une race aussi noble

Que celle du père d’entre les plus belles chamelles

Ce méhari a été élevé dans une plaine

Où l’herbe a poussé dés les premières pluies

C’est un chameau qui allait paître parmi les gazelles

Ces maîtres l’ont amené à l’apogée de la canicule

Il court avec ardeur attiré par une flamme qui le brûle

Comme elle a brûlé son maître.

Son maître et lui ont partagé le même secret

Mon Dieu ! Raccourci la distance qui me sépare de l’ami !

Si tu avais la chance, la confiance et l’audace

Tu te jetterais dans les profondeurs de la mer !

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Au Sahara, le chant des chameliers, al-haoul, est désigné ainsi non pas par sa vertu intrinsèque, mais par l’émotion esthétique, par la terreur sacrée qu’il provoque chez l’auditeur. Al-haoul est également synonyme de cette nostalgie qu’éprouve le chamelier en découvrant avec désolation que du campement de la bien aimée, il ne reste plus que des ruines. C’est ce qui a d’ailleurs donné naissance à un genre poétique typiquement nomade, celui des pleureuses des ruines qu’on appelle Atlal. A ces chants de chameliers, nous dit Ghazali, même les chameaux sont sensibles, au point qu’en les entendant, ils en oublient le poids de leur charge et qu’ainsi excités, ils tendent leurs cous et n’ont plus d’oreilles que pour le chanteur, ils sont capable de se tuer à force de courir. Or nous dit Ghazali, ces chants de chameliers ne sont rien d’autre que des poèmes pourvus de sons agréables et de mélodies mesurées.

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La troupe de la Guedra de Guelmim: la porte du Sahara

La pourpre Gétule

Presse le pas vers la bien aimée

O troupeau de chameaux en quête de pâturages !

Suit le zéphire qui souffle d’Ouest en Est

C’est au bord de l’Océan que les herbes sont abondantes

 

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Le Tbal instrument de guerre, instrument sacré

C’est en effet, le long de la côte que les brouillards fréquents et les influences marines rendent les pâturages relativement abondants. Sur toute la côte marocaine, les auteurs anciens évoquent « la pourpre Gétule ». A hauteur de l’île fortunée, la plus importante des îles Canaries, certains archéologues identifient la mythique île de Cernée entre Cap Tarfaya et Cap Bojador. D’autres la situe au niveau de l’île de Mogador. Sur ces rivages, la présence de monceaux de coquillages purpura haemastoma et de murex , nous apportent la preuve d’une industrie très active, sur toute la côte marocaine, évoquée par les auteurs anciens lorsqu’ils citent « la pourpre Gétule ». On sait combien les Romains du temps de Juba II, ont recherché ce précieux coquillage qui secrète la pourpre et quelle teinture renommée on fabriquait avec ce produit de la mer. Des textes de l’époque romaine mentionnent des pêcheries et des ateliers sur divers points du littorale marocain vraisemblablement sur l’île de Mogador et à l’embouchure  de la Seguiet el Hamra( la source couleur pourpre). Horace et Ovide, vantaient les vêtements somptueux teints de pourpre Gétule. On appelait Gétule, les populations Berbères nomades qui vivaient au Sud des provinces romaines d’Afrique. On peut donc admettre que la pourpre Gétule provenait de la côte Atlantique du Maroc. Cette teinture dont les nuances allaient du rouge au violet et au bleu verdâtre, dont on imprégnait les étoffes de laine et de soie était si estimée. Pomponius Mêla, nous dit à ce propos :

« Les rivages que parcourent les Négrites et les Gétules ne sont pas complètement stériles : ils produisent le purpura et le murex qui donnent une teinte d’excellente qualité, célèbre partout où on pratique l’industrie de teinturerie. »

Le trafic transsaharien entre Gétules, les Berbères du Maroc, dont nous parlent les auteurs antiques et les éthiopiens du Bilad Soudan, le pays des Noirs, remonte certes à l’antiquité, mais il n’a pris véritablement son essor qu’avec l’avènement de la conquête arabe du Maghreb au huitième siècle. Il connaîtra une poussée considérable sous les Almoravides et les Almohades. Il ne fait pas de doute que c’est la quête de l’or qui fait traverser aux marocains le Sahara pour rejoindre le pays des Noirs. Cette route qui menait au Sénégal et au royaume de Shanghai passait à travers les Regraga, les Gzoula et les Sanhaja.

La voie blanche et la voie noire

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La zaouia du Cheikh Ma El Aïnin à Smara

Oued Eddahab tira son nom de l’or que transportaient depuis l’antiquité les caravanes arabes en provenance de « Bilad Soudan » (le pays des noirs). Pour la même raison le territoire fut surnommé « Rio de Oro » par les portugais, en raison de l’or que les habitants du Sahara atlantique y donnèrent aux portugais pour racheter quelques captifs. « Dans tout ce pays , écrivais le chroniqueur portugais Gomès, il n’y a pas d’autres chemins sûrs que ceux du bord de la mer. Les Maures ne se dirigeaient que par les vents, comme on fait sur mer. »

Le métissage Soudano – Berbère, chez les poètes – musiciens du Sahara, du nom d’Iggaoun a produit la répartition de leur chant en « voie blanche » (Janba Lbayda), et « voie noire » (Janba Lkahla). La « voie noire » serait d’origine africaine, elle est marquée par des rythmes chauds. Et « la voie blanche » serait d’origine arabe  et se distingue par des rythmes apaisés. Le mode musical africain – dit pentatonique – reste cependant dominant. On cite ce poète qui se trouvait en dehors du Sahara, dans les terres de Foullan au Soudan et qui avait ressenti de la nostalgie pour sa terre d’origine. Dans sa poésie il prie le seigneur de le transporter de l’Afrique Noir où il se trouvait, et de le ramener à cette terre, sa terre.

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Ibn Battouta  a pu témoigner de ce métissage culturel entre les Baydan le nomades blancs du Sahara et Noirs du Mali :

« Le jour des deux fêtes, écrivait – il, on prépare pour Dougha un fauteuil élevé, sur lequel il s’assied, il touche un instrument de musique fait avec des roseaux et pourvu de grelots à sa partie inférieure. Il chante une poésie à l’éloge du Souverain, où il est question de ses entreprises guerrières, de ses exploits, de ses hauts faits. Ses épouses et ses femmes esclaves chantent avec lui et jouent avec des arcs. Ensuite viennent les enfants ou jeunes gens, les disciples de Dougha, ils jouent, sautent en l’air. Le Souverain ordonne de lui faire un beau présent. On apporte une bourse renfermant deux cent Mithqâls(pièce de monnaie en or). Le lendemain, chacun suivant ses moyens fait à Dougha un cadeau. On m’a assuré que c’est là une habitude très ancienne, antérieure à l’introduction de l’islamisme parmi ces peuples »

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La zaouia du Cheikh Ma El Aïnin à Smara

Pour la société nomade, le chant Hassani se divise en deux parties :La première composante  concerne ces familles spécialisées dans le chant Hassani et que nous appelons « Iggaoun ». Ils héritent de cet art de père en fils. Ils chantent en suivant un ordre précis de versification  et de modes musicaux sahariens. Ces modes musicaux se composent des cinq parties suivantes : Karr, Fâqû , Lakhâl, Labyad, et enfin Labteït. Chacun de ces modes musicaux sahariens se décompose à son tour en deux sous – modes qui sont soit « blanchi » soit « noirci ».

La description de leur système modal par les Sahraouis sent un peu la construction intellectuelle mais elle ne manque pas de poésie :  Le premier mode karr , est associé aux premiers âges de la vie, à la joie, au plaisir, c’est là qu’on chante les louanges du Prophète. Puis vient avec Fâqû la vigueur associée à des idées de fierté.. Sénima correspond à l’âge mûr et à des sentiments variés allant de l’amour à la tristesse. Enfin labteït , avec la vieillesse, apporte la nostalgie, la poésie du souvenir.

Abdelkader Mana

03:16 Écrit par elhajthami dans Documentaire, Musique, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sahara | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Jazouli

Dérive au piton rocheux d’El Jazouli

 

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Coupôle blanche au sommet de la bétyle de Tazrout (Ph.A.Mana, février 2010)


Essaouira le jeudi 13 août 2008.

J’ai décidé de me rendre chez les Neknafa en pays Hahî, pour y enquêter sur le maqâm (mansion) d’El Jazouli, en appliquant l’enquête ethnographique à un sujet historique.A la gare routière un courtier répète inlassablement : Agadir !Agadir ! J’ai pris cette direction en s’arrêtant à Tidzi, de là j’ai empreinté une longue route serpentant au milieu de vallées fauves et déséchées jusqu’à Sebt Neknafa, souk hebdomadaire qui se tient chaque samedi et qui était vide ce jour-là. Je me suis rendu ensuite à Talaïnt, source thermale découverte récemment au bord de l’oued ksob, où les pèlerins observent une cure de plusieurs jours en s’abreuvant abondamment de son eau minérale sensée les débarrasser de leurs calculs.

 

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Affluent de l'Oued Ksob en Neknafa
Je note dans mon journal du jeudi 28 août 2008 : Lalla n’est plus. Elle est morte très tôt ce matin et sera inhumé à Marrakech vers la mi-journée. Elle rejoint ainsi mon père et ma mère que Dieu lui fasse miséricorde. Avec sa disparition, c’est la fin de toute une génération : celle qui nous rattachait encore à nos terres d’origine.
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La dérive del'auteur en pays Neknafa

Une fois sur place, on me proposa à prix modique une chambrette donnant sur la source chaude et l’oued ksob. Celui-ci a sa source au lieudit Igrunzar sur les hauts plateaux Mtougga, traverse ensuite les innombrables ravins du pays Hahî avant de se jeter à la mer près d’Essaouira. C’est son eau qui jadis irrigua les plantations saâdiennes de canne à sucre situées en aval, non loin de là. Ces plantations de canne, auxquelles s’est substitué aujourd’hui l’arganier, entouraient jadis, l’ancienne sucrerie de Souira Qdima, dont on peut encore admirer, les splendides aqueducs en pisée, au cœur des Ida Ou Gord. La source thermale se situe donc au bord de l’oued ksob, à la lisière des Ida Ou Gord et des Neknafa, tous deux faisant partie des douze tribus Haha.


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L'un des paysans qui coupent la canne de roseau pour les paniers
et les toitures de leurs maison me confectionne une flûte enchantée du pays Haha

Après avoir commandé un tagine de bouc à l’huile d’argan au cafetier, j’ai passé la nuit sur une natte. La petite chambrette ayant emmagasiné toutes les chaleurs d’août, j’ai laissé la porte grande ouverte sur les étoiles. Dehors, pleine lune, chiens errants, coassement de grenouilles, flûte enchantée du pays Hahî, trépignements de danseurs, applaudissements saccadés, youyous enthousiasmées de femmes berbères, rumeur au loin. Purification du corps, repos de l’esprit. J’espère me débarrasser ici de ce qui m’obstrue la vue de l’aube, pour être à nouveau admis à l’écriture.

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Réveil à l’aube, marche, vers l’intérieur des terres, toujours en direction du soleil levant. Marche solitaire, par sentiers muletiers, oueds desséchés et falaises rocheuses où s’accrochent miraculeusement de squelettiques et noueuses racines d’arganiers. Paysage austère, terroir sévère, pays de moines guerriers.
Après le plat pays, les premiers escarpements de l’Atlas occidental au niveau des canyons granitiques de lalla Taqandout.

 

Le site de la grotte d'Imine Taqandout en images

 

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La grotte d'Imine Taqandout, février 2010, Ph. A.Mana

Je marque une pose à la grotte d’Imin Taqandout, pour voir si la troglodyte que j’y avais rencontré jadis, y réside toujours.Sa mère, la tenancière des lieux, me dit que la belle bergère aux yeux verts et au corps élancé était finalement partie avec un jeune émigré dans un pays lointain et inconnu. Je lui demande si on pratique toujours l’Istikhara, cet oracle des génies de la grotte ?
Elle me répond que tout cela n’est que légendes. Les anciennes divinités sont ainsi reléguées au rang de génies, les anciennes religions à celui de magie.

 

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L'orifice qu'on doit traverser au fond de la grotte

Curieuse dénégation ethnographique, de la part de la tenancière même des lieux. Celle-là même que j’ai vu pratiquer, lors d’une précédente visite, le bain lustral au fond d’une pièce sombre de la grotte : après avoir chauffer à blanc deux fers à cheval, elle les étouffe dans un récipient rempli d’eau, qu’elle déverse ensuite sur le corps du pèlerin mis à nu : le feu, l’eau, purification du corps et de l’âme de ce bas monde et de ses souillures. Le fer éloigne les esprits, le fer à cheval porte bonheur, c’est pourquoi on le met sur les portes des maisons.

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Les pèlerins préparent un couscous au poulet qu'ils ont sacrifié
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Vue de l'intérieur de la grotte

Il y avait aussi au fond de la grotte, un tout petit orifice creusé dans la roche : le traverser sans encombre est signe de piété filiale, et maudit soit-il, celui qui s’y bloque ! Toujours ces satanés rites de passage, cette symbolique de la mort suivie de résurrection et de re-naissance. Mais depuis que des personnes corpulentes s’y étaient trouvées prisonnières, l’orifice a été condamné pour toujours. Plus de renaissance magique du ventre même de la terre nourricière!

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En quittant la grotte; les escarpements qui mènent au cénotaphe d'El Jazouli
Le pèlerinage à la grotte est sensé guérir les possédés : lalla taqandout qui l’habite Artsawal (elle parle) aux djinns. Elle leur dit : « Que vous a fait un tel pour mériter vos foudres ? » Et les djinns de délivrer la personne qu’ils possèdent. Beaucoup de ceux qui sont « atteints » guérissent de la sorte, généralement après une nuit d’incubation dans la grotte. Une entité surnaturelle masculine du nom de Sidi Abderrahman, y réside également.Elle aussi recourt au « parlé en état de transe », qu’on appelle ici Awal , qu’on retrouve chez les voyantes médiumniques des gnaoua sous le nom de « N’taq » (la voyance, le parlé en état modifié de conscience).

 

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C’est en traversant le mont Tama à l’aube, que je me suis rendu en pèlerinage avec ma mère, pour la première fois à la grotte d’Imine Taqandoute. J’étais encore enfant et je montais le robuste mulet de mon oncle Mohamad. J’avais l’impression que le mulet qui me transportait était en prise directe avec les énergies telluriques de la montagne, avec ses pentes abruptes, ses blocs de granits, ses arganiers noueux, et ses sentiers serpentant, tantôt vers le haut tantôt vers le bas.

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Tas de pierres sacrées (Karkour)


Une fois parvenu à la grotte hantée d’esprits, je me souviens surtout du sacrifice d’un bouc noir, et du fait qu’on m’obligea à passer au travers d’un étroit orifice au fond de la grotte : ce qui constitua pour moi, comme une seconde naissance. Imine – Taqandout est au pays hahî, ce qu’est la grotte de Sidi – Ali – Saïeh (l’errant) au sommet de la montagne de fer est au pays chiadmî, le pays de mon père. Mon enfance a été ainsi bercée autant par le paganisme de mes ancêtres que par les grands mystiques du Sud marocain qui ont marqué mon père : le Cheikh Naçiri de Tamgroute et Sidi Slimane el Jazouli.

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Karkour

Le sacré se manifeste ici de multiples manières : par le culte de la grotte, celui des amas de pierres sacrées (karkour), celui des arganiers et des oliviers sauvages, celui de la sainte source, et de la bétyle d’ogresse, et enfin par le maqâm(mansion) de celui qu’on appelle en cette montagne berbère Sidi M’hand Ou Sliman El Jazouli, l’auteur de Dalil el khayrate, qui réveilla la ferveur religieuse des marocains contre l’incursion portugaise sur les côtes. La coalition groupée autour de lui contre l’envahisseur, fut pour beaucoup dans le renversement de la dynastie mérinide, laissant ainsi toute latitude aux chérifs Saâdiens pour instaurer une nouvelle dynastie sur les débris de l’ancienne. Il mourut assassiné en 1465 à Afoughhal près de Had – Dra, en pays Chiadmî. Des historiens affirment qu’il fut empoisoné par les mérinides

 

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Bétyle et karkour

Je continue mon ascension solitaire vers le piton rocheux de Tazroute (« rocher » en berbère) au sommet duquel scintille la blanche coupole d’El Jazouli. Je traverse d’abord Tagoulla Ou Argan (amphore d’argan), cette arganeraie sauvage qui pousse sur une cuvette sous forme d’anse , avant de prendre d’assaut le haut lieu et son sanctuaire. En cours de route, je marque une pose à Asserg N’Taghzount (le bétyle d’ogresse) ; stèle rocheuse sur laquelle, nous dit-on, se dressent les femmes stériles désirant un enfant. Sous les regards médusés des bergers et de leurs troupeaux de chèvres, elles s’écrient : « Ô, mes enfants ! ».Si jamais à ce moment précis, des oiseaux noirs les survolent ; c’est signe de bon augure. Si non les présages des cieux seraient réservés. Elles y font halte à chaque r corvée d’eau à la « sainte source », en chantant :

Asserg N’taghzount, aygan agourram
Ourat t’sar n’tou, oura ghat’anfal
Oudanna ghid nazri, atid n’aslay

Ô bétyle d’ogresse ! Tu es notre lieu saint.
Jamais, on ne t’oubliera ! Jamais, on ne te délaissera !
A chaque fois qu’on passera par ici,
On s’arrêtera à notre bétyle d’ogresse!

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Asserg N'taghzount (la bétyle d'ogresse)

 

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En 1984, à mon retour du daour , je faisais état de ma découverte de « fiancées pétrifiées » laâroussa makchoufa, à lalla Beit Allah au mont Sakyat et au sommet du djebel Hadid, ce qui permettait à Géorges Lappassade de faire le lien avec le bétyle phénicien découvert sur l’île . Il écrivait alors dans un article parut au mois de décembre 1985 :

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Bétyle et ex-voto suspendus à l'arganier sacré
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Doum (dont on confectionne la tente sacrée des Regraga)
au pied d'un arganier sacré

« Beaucoup d’objets qui témoignent d’une haute antiquité ont quitté l’île pour rejoindre le Musée d’Archéologie de Rabat. Mais un de ces objets est resté dans l’île. C’est une grande pierre jadis dressée dans le ciel. On trouve partout des bétyles datant d’une époque précédant les grandes religions monothéistes : il y en avait dans l’Arabie d’avant l’Islam. Le mythe de lalla Beit Allah chez les Regraga n’est pas sans rapport avec ces anciens cultes : on sait qu’il correspond, à des pierres dressées, qui furent ensuite recouvertes d’une toiture. C’est aussi le cas de « la fiancée pétrifiée », sur le djebel Hadid sur la route d’Essaouira à Safi. On ne doit pas, par conséquent suivre la tradition orale qui traduit « Beit Allah », par « Maison de Dieu », pour interpréter ce mythe hagiographique, il faut au contraire faire l’hypothèse d’un lieu de culte « mégalithique » lequel, sans remonter nécessairement à la préhistoire, ni d’ailleurs, pour ce lieu là, aux Phéniciens, a certainement précédé l’islamisation de la région des Chiadma. Pour le moment le Musée ne possède comme signe des Phéniciens que le fameux symbole de tanit que représente la fébule berbère en forme de triangle et qui figure comme armoirie de Tiznit ».

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Tazrout, le piton rocheux d'El Jazouli vu de loin (Ph.A.Mana, fév.2010)


Tazrout , le gigantesque rocher qui se dresse au ciel et que surplombe le sanctuaire, est probablement un ancien bétyle. Il est entouré de deux autres rochers effilés qui se dressent à des hauteurs vertigineuses, qui donnent vaguement l’impression des formes anthropomorphiques (figures de singes et de lions sculptées dans le rocher), et dont la base est transformée en habitat troglodyte, sont probablement d’anciens bétyles également. Le maqâm d’El Jazouli couronne pour ainsi dire un ancien lieu de culte mégalithique berbère. Une sorte d’islamisation du paganisme. Sous le marabout,la mégalithe : c’est cela l’islam berbère,ou la berbérisation de l’islam si l’on préfère.

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Tazrout: le piton-bétyle d'El Jazouli vu deprès


Les sources écrites utilisent improprement à son égard soit le terme Taghzout soit celui de Taçrout. On peut lire par exemple à ce sujet :

« En vertu de sa baraka qui apporterait la victoire, Le cercueil de Jazouli fut promené dans le Sud marocain par l’agitateur Omar Sayyaf el Maghiti ach-Chiadmi. A la mort de ce dernier, la dépouille mortelle d’El Jazouli fut enterrée à Taghzout (au lieu de Tazrout), puis enlevé par les gens d’Afoughal, qui l’inhumèrent chez eux. Mohamed el-Aaraj le Saâdien le fit transférer à Marrakech où il trouva enfin le repos. »

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Bétyle-troglodytes


L’auteur andalous Mohamed çalih, utilise quant à lui le terme de Taçrout :

« L’Imam Ben Sliman Essamlali El-djazouli,est né dans l’extrême Sous dans la fraction des Semlala de la tribu de Djazoula, au commencement du IXè siècle de l’hégire ; il mourut à Tankourt dans le Sous vers 1465 et fut enterré d’abord à Taçrout (c'est-à-dire, notre Tazrout des Neknafa), puis à Afoughal. Enfin une soixantaine d’années après sa mort, son corps fut transporté à Marrakech sur l’ordre du premier sultan Saâdien Abou Âbbas Ahmed El Aâredj, où il fut inhumé à Riad Laârous. »

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à l'assaut du piton rocheux
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Le sentier de verdure qui mène au sanctuaire
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Les fondations rocheuses du sanctuaire

La méthode ethnographique, c'est-à-dire le terrain, permet non seulement de rétablir le véritale toponyme du site de tazrout (le « rocher » en berbère),mais de découvrir qu’il s’agit en fait d’un bétyle et même de plusieurs se dressant au ciel dans un paysage fauve, attestant d’un ancien site mégalithique berbère.

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Des escaliers taillés dans le rocher


On aurait enterré jadis al-Jazouli à cet endroit inaccessible de Tazrout pour préserver ses reliques du vol. Car il y a bien eu « guerre des reliques » entre Haha et Chiadma, à en croire le moqaddam de la source chaude :

- Du temps des luttes intertribales entre Neknafa, Mtougga, et Chiadma, les uns et les autres cherchaient à l’ensevelir sur leur territoire pour bénéficier de sa baraka. On croyait alors que la tribu qui en aurait pris possession aurait la prééminence sur les autres.

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Une pèlerine quitte la coupole d'El Jazouli au sommet de Tazrout
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La maison du fquih
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La salle mortuaire

Selon Ibn Âskar, « à la mort du cheikh, le cercueil fut déposé au milieu d’une raoudha (un cimetière) dans un endroit appelé ribât ; il ne fut pas mis en terre. Le caïd, par crainte d’un enlèvement le faisait garder : chaque nuit le caïd faisait brûler un moudd d’huile et la lumière, en atteignant au loin, éclairait les chemins et les voyageurs qui les suivaient. Le corps du cheikh reposa dans ce pays jusqu’au jour où il fut emporté à Marrakech. Lors du transfert du corps d’Al-Jazouli à Marrakech, soixante dix sept ans après sa mort, on constata que rien n’était changé en lui. Les Saâdiens montèrent sur le trône en l’an 930(J.C. 1523-1524). C’est Al Aâraj, le premier de cette dynastie ; qui ordonna le transfert à Marrakech de l’imam Al-Jazouli pour qu’il soit enterré à Riyâdh – Al- Ârous, à l’intérieur de la ville. Sur sa tombe on éleva un monument splendide et grandiose. »

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La coupole d'El Jazouli vue de l'intérieur

La mémoire d’Al-Jazouli sera revendiquée de bonne heure par la dynastie saâdienne, en la personne du fondateur Mohamed El-Qâ’îm venu depuis le Draâ et se faisant enterrer à Afoughal en 927/1517, près du corps du saint martyre, empoisonné sur ordre des mérinides. Une fois devenu souverain du Maroc, le Saâdien Moulay Ahmed Al Aâraj, ordonna le transfert des dépouilles de son père et de celle de l’imam El Jazouli, du lieu dit d’Afoughal à Marrakech où ce dernier figure parmi les sept saints de la ville.
Cette vénération particulière des Saâdiens pour El Jazouli s’explique de deux façons : c’est aux zaouia issues de ce cheikh que les Saâdiens ont dû leur élévation au trône d’une part, et d’autre part l’importance du tombeau de El Jazouli était telle que les sultans de la nouvelle dynastie croyaient sans doute préférable d’avoir dans leur capitale un sanctuaire qui était un véritable centre de ralliement.

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La coupole vue de l'extérieur avec les pièces où séjournent les étudiants en théologie
de la médersa de Tazrout


En remontant toujours plus haut, le défilée rocailleux de Taqandout, débouche sur la « sainte source » (l’aïn tagourramt), que surplombe un vieux arganier. Deux paysans y puisent une eau de roche, à la fois fraîche et pure. Le plus vieux me dit :

- Ben Sliman El Jazouli, le saint protecteur du pays a disparu, il y a cinq siècles et demi de cela. Il est dit « dou qabrein » (le saint aux deux tombeaux) parce qu’il a un sanctuaire ici, et un autre à Marrakech. Sa dépouille fut transférée à Marrakech , soixante quinze ans après sa mort.Il luttait contre les portugais. Il enseignait le Coran et le Jihad. Les deux armes de l’époque. Après sa mort, on s’est mis à transporter ses reliques pour vaincre grâce à leur baraka au Jihad.

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L'étudiant en théologie à la médersa de Tazrout (février 1010, Ph.A.Mana)


L’influence portugaise se heurta, devant Mogador, à une résistance don’t l’âme fut l’organisation maraboutique des regraga. Les affrontements entre Portugais et Berbères Haha devaient se poursuivre au delà de 1506.L’âme de la résistance locale à l’influence portugaise fut regraga, sous la direction du mouvement jazoulite don’t le fondateur, l’imam Al Jazouli, s’établit au lieu dit Afoughal, près de Had – Draa, où il prêcha la guerre sainte contre les chrétiens, avec une telle foi qu’il eut bientôt réuni plus de douze mille disciples de toutes les tribus du Maroc. Après avoir séjourné à Fès, Tit et Safi, El Jazouli se retira à la campagne dans les tribus Haha et Chiadma, non loin du mysticisme Regraga qui depuis 771 (1370) existe à l’embouchure de l’oued Tensift.

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L'accès au cénotaphe d'ElJazouli, puisque sa dépouille a été transférée à Marrakech


L’enseignement de Jazouli et de ses nombreux disciples a profité du mouvement de rénovation religieuse causé par l’invasion portugaise et y a gagné une telle notoriété et une telle autorité que la tariqa Jazouliya a fait oublier la tariqa Chadiliya don’t elle procède et l’a complètement remplacé au Maroc.

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Les figues de barbarie de Tazrout (Ph.A.Mana, fév.2010)
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Chez les Neknafa, on lui consacrait jadis une frairie de trois jours à chaque mi-septembre julienne. Du temps du protectorat, le caïd M’barek y sacrifiait taureau avec Ahwach et fantasia.Maintenant, il semblerait que son affluence est beaucoup moins importante. Parmi ses disciples, on cite Abdelaziz Tabaâ, l’un des sept saints de Marrakech, qui fut le maître spirituel de Sidi Hmad Ou Moussa dans le Sous et de Sidi Saïd Ou Abdenaïm le grand saint des Aït Daoud en pays Hahî. D’après un acte recueilli chez les Mtougga, ce dernier, après avoir fonder une « principauté maraboutique » dans le Sous, convoqua à son chevet les Haha et les Mtougga à la fin de ses jours. Après une pieuse homélie, il les requit de la célébration annuelle d’un maârouf au début du mois de « mars berbère », mars’ajâmi(sic). Ils acquiescèrent dans un grand élan de contrition. Et chaque tribu de s’engager spontanément à verser aux descendants du saint, qui de l’orge, qui du beurre ou de l’huile. L’ensemble est qualifié de khidma, « service » et churût, « stipulation ». Cela se passe dans le courant du Xe siècle de l’hégire, c’est-à-dire au XVIè siècle. Le texte indique le processus habituel de ces engagements de groupe à patron. On retrouve là ces mêmes rapports sociaux de protection que nous avons découvert ailleurs entre saints Regraga et tribus-servantes Chiadma lors du pèlerinage circulaire du printemps.

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Maison - troglodyte de Tazrout, Ph.A.Mana
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Après m’avoir offert l’hospitalité d’usage, le fqih en charge du maqâm, me lit une brève biographie de l’auteur de Dalil El Khaïrate :

Jazouli était né dans la fraction des Semlala de la tribu des Jazoula de l’Extrême –Sud marocain. Il était donc de souche berbère. Il étudia à Fès, mais c’est au ribat des B. Amghar, à Tît, au Sud d’El Jadida, qu’il s’initia aux doctrines de Chadili, ramenées d’Orient par d’autres Cheikhs du Sud marocain. Sous les saâdiens, un marabout des B.Arous, descendant de Moulay Abdessalam b.Mechich, conduisit les contingents des Jbala à la Bataille des Trois Rois. Sa victoire accrut son prestige et il ramena la doctrine jazoulite dans sa montagne natale. C’est désormais de Jazouli que se réclameront tous les fondateurs de confréries, et la tariqa chadiliya au Maroc ne sera plus guère nommée que tariqa jazouliya. Les pérégrinations post mortem de Jazouli montrent de quel prestige il jouissait dans le Sud marocain. Pour cette raison on lui attribue un rôle central dans le développement des zaouia et des turuq (voies soufies), durant le 16ème et 17ème siècle.

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Signe de passage de pèlerins, borne de champs


C’est au cours de son séjour studieux à Fès qu’Al-Jazouli rencontra une autre figure du mysticisme marocain. Il s’agit de Sidi Ahmed Zerrouq El Bernoussi né dans la tribu des Branès aux environs de Taza en 1442. Dans sa quête du savoir théologique et mystique, l’itinéraire de ce dernier est celui des maîtres spirituels de son temps. Après s’être imprégner de l’ordre mystique de la Chadiliya et du savoir théologique de la Qaraouiyne de Fès, il se rendit en pèlerinage au Moyen Atlas auprès du maître Soufi Sidi Yaâla, puis Sidi Bou Medienne de Tlemcen, de là à Bougie où il aura ses premiers disciples. A son retour de la Mecque , il s’établit dans l’ancienne oasis libyenne de Mestara, où il mourut dans sa retraite en 1494. Pour les amis de la légende, c’est plutôt le fils qui serait enterré en bordure de la Méditerranée en Libye, et c’est le père qui serait enterré chez les Branès, où sa dépouille aurait été amenée de Fès sur une jument. Malgré le cursus commun, de ces deux pérégrinant et maîtres spirituels, c’est finalement al-Jazouli qui aura le plus de prégnance sur le maraboutisme marocain, en particulier auprès des Regraga, qu’il entraîna dans le jihad contre les incursions portugaises sur les côtes, et auprès de la confrérie des Hamacha don’t le maître spirituel se réclamait du Jazoulisme.

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Sculpture


Sur cet Islam maraboutique et confrérique voici ce que nous dit Jacques Berque :
« Il arrive en effet que, par un échange très compréhensif, le confrérisme prenne appui sur des marabouts et les marabouts sur une confrérie. Dans les deux cas, le résultat sera le même sur le terrain : on aura cet établissement pieux : la zaouia. La plupart de ces zaouia procèdent de quelques grands saints du haut Moyen Âge, disons de la retombée des siècles d’or de l’Islam. Citons par exemple celle du Cheikh Abd al-Qâdir al-Jîlânî de Bagdad, d’Abou Median de Tlemcen, mort à l’extrême fin du XIIè siècle, du cheikh Abûl’Hassan al-Châdhulî qui rénova l’exercice du mysticisme populaire dans le courant du XIIIè siècle. Périodiquement ces écoles s’affaissent. Elles requièrent alors une rénovation, qui donne parfois naissance à des écoles dérivées ou dissidentes. Le fameux Mohamed al-Jazûlî, originaire des Idaw Semlal de l’Anti-Atlas (mort en 1473/4), a laissé un wird (formulaire d’oraisons), le Dalâ’il al-khayrât, que j’ai vu moi-même psalmodier par un cercle de vieillards assis sous une accaciée géante dans le lointain Darfour. Le cheikh Zerrûq (1442-1494), qui étudia à Fès, puis fixé à Bougie, et de là émigré sur la côte des Syrtes exerça une influence si profonde qu’il n’est guère aujourd’hui de congrégation qui ne le compte parmi ses références ou asnâd. Le Maroc et son extrême Sud paraissent avoir constitué le foyer le plus constant de ces mouvements...Le cheikh Ben Nâcer (mort en 1669) fonda à Tamgrout dans le Draâ, l’ordre Nâcirîya...Disons qu’à l’encontre d’une opinion trop répondue aujourd’hui, l’Islam des marabouts et des confréries a généralement assumé, pendant un demi siècle au moins après la conquête d’Alger, une résistance violente ou sournoise, don’t l’Islam citadin, par la force des choses, était généralement incapable. »

Les amandiers sont mauves juste avant d'éclore

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Amendier sacré centenaire (Ph.A.Mana)
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A l’issue de cette dérive au piton rocheux d’El Jazouji, comme jadis à l’issue de mon pèlerinage chez les Regraga, j’ai traversé le mont Tama pour la rejoindre à la vallée de Tlit. Elle m’accueillit comme d’habitude avec profusion de nourritures et de pastèques rafraîchissantes. Je ne savais pas encore que c’était la dernière fois que je la voyais vivante. Le lendemain, très affaiblie, on l’a transféré du pays Hahî à Marrakech, exactement comme ce fut le cas jadis pour Jazouli.

Tout un village est édifié là haut autour du maqâm que prolonge une medersa qui prodigue un enseignement religieux semblable à celui de la medersa çaffârîn (relieurs) de Fès, où l’Imam avait fait ses études au temps des mérinides et qui sera plus tard le prototype de toutes les medersa du Maroc.
D’après Ibn Âskar :

« L’auteur de Dalaïl el Khaïrat qui suivit au début à Fès les cours de la Madrasa çaffârîn, occupait une chambre dans laquelle, dit-on, il ne laissait entrer personne. Apprenant la chose, son père se dit en lui-même :

- Il ferme la chambre parce qu’elle renferme quelque trésor.
Et il quitte son pays de Semlala dans le Sous, se rendit à Fès auprès de son fils et lui demanda de le laisser entrer dans la chambre. El Jazouli accéda à son désir ; sur les murs, de tous les côtés, étaient écrits ces mots :

« La mort ! La mort ! La mort ! »

Le père comprit alors les pensées qui hantaient son fils ; il se fit des reproches à lui-même :

- Considère, se dit-il, les pensées de ton fils et les tiennes !
Il prit congé de lui et revint à son pays d’origine. »

La mort hantait également Fatima, la sœur aînée de ma mère, que nous appelons affectueusement « lalla », notre marraine à tous. Comme Sidi Sliman El Jazouli, elle était également originaire, par sa mère, de la tribu des Semlala dans le Sous. Elle avait acheté il y a quelques mois déjà son propre linceul, le déposant au milieu, des tolbas qui firent festin et oraison funèbre au hameau de Tlit, où elle s’est retirée ces dernières années. Elle n’avait qu’un seul vœux : mourir dans la dignité, en finir par une mort aussi subite qu’une cruche qui se briserait d’un coup à la margelle d’un puit.

Abdelkader MANA

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03:08 Écrit par elhajthami dans Histoire, le pays Haha, religion | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, jazouli; neknafa; saadien, haha | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Caïdalisme

 

Le temps des caïds

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Les ruines de la demeure du caïd M'barek en Neknafa(Ph.A.Mana)

« Le temps de la Siba, le temps où les caïds étalaient le burnous sur la jellaba et faisaient parler le baroud. » Fellah marocain


Vers 1840, un seul grand caïd, El Haj Abdellah Ou Bihi commandait une grande partie de la confédération des Haha,  et dominait la plaine du Sous au nom du Makhzen, grâce à l’influence dont il jouissait auprès de Moulay Abderrahmane, a une grande énergie et surtout a une justice intransigeante.Il fit construire la Kasbah d’Azaghar avec ses deux tours rondes et son magasin voûté. Il avait le contrôle de tout le commerce transsaharien qui transitait par le pays Haha. C’était un seigneur tout puissant. Même les Zaouias lui versaient la dîme. En plus, il levait des Toufrît (impôt extraordinaire) de 30 à 40 ouqiya par feu. Il installait partout des Chioukhs et des Oumana. Son commandemant unifia les tribus pendant 20 ans. Mais à sa mort survenue à Marrakech, discordes et déchirements se réveillèrent. Des vers du reis Belaïd, qui vivait aux Ida Ou Bâkil, près de Tiznit, rappellent sa domination sur les Haha et le Sous :


Les Haha ont fait du mal aux Soussis

Ils s’en sont fait entre eux aussi

Aghennaj est mort et passé.

On nous a compté sa puissance

On n’habite jamais les châteaux qu’il a démolis

Et Moulay Idriss où es – t – il ? On l’a remplacé, lui aussi.

El Haj Abdellah Ou Bihi, on nous a dit

Que nul ne fut semblable à lui

Puis est venu Guellouli

Il commanda jusqu’à Oussa, en s’en allant, il emporta

Esclaves, chevaux et chameaux, les chioukhs qu’ils nous ont imposé

Ont mangé ce qu’il a laissé, personne n’y a échappé...

 

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Le pays Haha, (Ph.A.Mana)

Vers 1814, Aghnnaj, caïd des Haha, rayonnait au nom du Makhzen dans le Sous et tenait la Maison d’Illigh sous la menace de son expédition. Le caïd Aghnnaj, était khalifa du Sous pour Moulay Sliman entre 1802 et 1816. Voici encore deux vers qui le concernent :

Aghennaj, nous a tordu la laine et la peau

Aghnnaj en ce temps là, mangeait les Chtouka

Plus tard, on voit, dans le Sous une autre famille de gouverneurs Haha, originaire des Aït Zelten. Le plus connu, El Haj Abdellah Ou Bihi, et son khalifa Moulay Idriss, sont nommés dans la chanson :

El haj Abdellah Ou Bihi, on nous a dit

Que nul ne fut semblable à lui.

Et Moulay Idriss, où est-il ? On l’a remplacé, lui aussi.

 

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"Lalla âbouch":l'arganier sacré du pays Haha(Ph.A.Mana)

Abdellah Ou Bihi, fils de négresse, eut l’autorité sur les douze tribus Haha et sur tout le Sous, jusqu’à l’oued Oulghas. Au sud du fleuve, c’était à Illigh, le royaume de Sidi Lhoucin Ou Hachem, le contemporain et l’ami d’Abdellah Ou Bihi. Les relations du caïd Haha avec le chérif de Tazerwalt étaient à la fois politiques et commerciales. Mogador était le port de Sous, Illigh l’entrepôt du Soudan. Les trois moussems annuels de Sidi Ahmad Ou Moussa, étaient très fréquentés par les caravanes des Haha. Elles apportaient à Illigh des produits d’Europe avec du blé, des chevaux. Elles remportaient l’ambre, l’encens, des étoffes du Soudan, des plumes d’autruche, des esclaves. Tous ces produits du Soudan arrivaient à Illigh, par Tindouf et Tizounin.


Un échange entre deux poétesses du pays Hahî atteste que ce grand caïd était un noir. Elles se sont rencontrées au moussem des femmes au maqâm d’El Jazouli, qui a lieu le 21 mars julien. Il s’agit de Rqiya N’barek,  des Aït Zelten qui fait l’éloge du caïd  en tant que noir et d’Aïcha N’taleb des Neknafa qui en fait la satire :

Rqiya M’barek a dit :

Femme blanche, tu as donné naissance à la laideur et tu l’as porté

Femme noire, tu as donné naissance au seigneur de tous les Haha

Sidi El Haj Abdellah Ou Bihit ô mes frères:

Il est  l’homme le plus courageux de tous les Haha

Ce à quoi Aïcha N’taleb a répondu :

On n’a jamais vu chez les noirs de taleb, de sidi, ou de Moulay El Haj

Ils ne sont connus que des noms de Boujamaâ, Salem et Barka

Abella, prends ta tunique d’esclave et rentre dans la paille !

Prends ton tambour et reviens à tes origines !

 

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En pays Neknafa (Ph.A.Mana)

On rapporta cet échange à El Haj Abdellah, qui convoqua aussitôt Aïcha N’taleb. Celle-ci le trouvant au seuil de sa demeure, lui demande :

- Isamguinou (mon noiraud), le caïd est-il là ?

- Où vas-tu ? Qui t’a envoyé ma vieille ? L’interroge-t-il à son tour.

- C’est ma mauvaise langue qui m’a condamné à venir jusqu’ici.

- Qu’est ce qu’elle t’a fait ?

- On s’est rencontrées au moussem des femmes moi et Rqiya M’barek, la poétesse des Aït Zelten. Elle faisait l’éloge des noirs, et moi leur satire Elle mit son mari dans la confidence, qui rapporta tout au caïd d’Azaghar qui m’a convoqué.


Elle ne savait pas qu’elle s’adressait au caïd en personne. Celui-ci s’est mis alors  à rire sous cape, surtout quand elle l’a affublé du sobriquet d’« Isamguinou » (mon noiraud). Il était en effet  métis, de mère noire et de père blanc, Oumoulid qu’il s’appelait, proclamé caïd lui aussi un vendredi, au moussem du miel de thym à Sidi Abdenaïm d’ Aït Daoud.


La légende du caïd Haj Abdellah Ou Bihi a débordé le 19ème siècle, où il a vécu. Tout ce pays des Haha et du Sous où il faisait régner une paix qu’on savait apprécier, malgré la dureté de sa poigne. Voici ce que m’en disait Mohammad mon oncle maternel un lundi des années 1970 au retour du souk hebdomadaire d’Imin Tlit :

 

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« Caïd El Haj Abdellah Ou Bihi était un devin qui métamorphosait des sacs de blé, en louis or. Il était tellement craint qu’il vint rapidement à bout  des voleurs et autres pillards, de sorte qu’on pouvait laisser sa vache ou sa brebis au milieu des chemins, sans que personne n’ose y toucher. En ce temps là, deux hommes passant en un lieu désert, dans la forêt d’arganiers, rencontrèrent deux bœufs paissant en liberté et en toute sécurité. L’un de ces hommes leur fit la révérence en disant : Que Dieu donne longue vie à El Haj Abdellah. Sa domination ayant débordé le pays Hahî au Sous extrême, il fut convoqué par le sultan au palais où on lui tendit un breuvage empoisonné, don’t il  mourut lentement à Marrakech. »

 

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Amendier en fleur(Ph.A.Mana)

Deux ans après la défaite retentissante de la bataille d’Isly et des bombardements de Tanger et de Mogador, ce grand caïd aurait obtenu du sultan Moulay Abderrahman, l’autorisation d’effectuer le pèlerinage à la Mecque :


« Le 25 chaâbane 1271 de l’hégire (1846), El Haj Abdellah Ou Bihi embarqua dans un babbor (vaisseau) qui lui était propre. Il y transporta, à ses propres frais, toute une compagnie de gens d’Essaouira et de Haha. Après le pèlerinage, il effectua une tournée au Hidjaz, y achetant des propriétés, don’t il fit couler les eaux, avant de les léguer toutes en main morte aux deux Lieux Saints. Dépensant des sommes considérables, il fit aumône aux pauvres et aux handicapés. Après une absence de près de trois années, il accosta à  Essaouira, le lundi 14 rajeb1274/1849, avec sa nombreuse suite,. Le pèlerinage à la Mecque ayant agrandi son prestige et sa réputation. »


Il mourut vers 1868, empoisonné dit-on, par le Makhzen inquiet de sa puissance Voici maintenant dans quelles circonstances, d’après la version recueillie par Justinard vers 1930 :


« Le chérif Sidi Lhaoussin Ou Hachem s’en vint un jour, à la tête de tout son lef des Guezoula, faire « tarzift » à son ami haj Abdellah Ou Bihi, sans doute quand celui-ci revint du pèlerinage. A partir de oued Oulghas, on trouve partout la mouna préparée par les soins d’Ould Bhi. On s’arrêta chez les Guellouli à l’assif Ighezoulen, puis dans l’azaghar n’Aït Zelten. El Haj Abdellah Ou Bih vint recevoir Sidi Lhaoussin et l’emmena chez lui. Après quelques jours de réjouissances, il lui dit :


- Je ne suis qu’un esclave, dans la main du sultan. Que pourrais-je faire s’il arrivait ici mille cavaliers du sultan, m’ordonnant de t’envoyer à Marrakech ? Mieux vaut que tu partes sans plus tarder.

 

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Amendiers en fleurs du pays Haha(Ph.A.Mana)

Sidi Lhaoussin Ou Hachem s’en fut d’abord à Mogador, où il reçut la hdia de tous : Musulmans, Chrétiens, et Juifs. Puis, il reprit le chemin de Sous. Beaucoup de ses gens avaient fait des achats à Mogador sans les payer. La note arriva à Tazerwalt au moussem suivant, et le chérif paya tout.

El Haj Abdellah Ou Bihi écrit une lettre compromettante à Sidi Lhaoussin, lui demandant aide éventuelle contre le Makhzen. Le reqqas aurait perdu cette lettre en passant chez les Chtouka. Un juif aurait trouvé cette lettre et l’aurait portée à un ami des Mtougga, qui aurait été heureux de perdre le chef des Haha et aurait envoyé la lettre au sultan. Sidi Mohamed fit venir à Marrakech le caïd Abdellah Ou Bihi :

- Es-tu un Roi pour recevoir telles visites ? Choisis. Entre le siaf qui va te couper la tête ou ce verre de thé qui va te faire mourir.


Le caïd s’en alla après avoir bu le thé et mourut en rentrant dans sa maison du quartier de Mouassin, à Marrakech. A sa mort Abdellah Ou Bihi  fut enterré (vers 1870-71) au hurm de Sidi Abdeaziz Tabaâ, l’un des sept saints de Marrakech. Plusieurs caïds se disputèrent alors les diverses fractions des Haha et en dernier lieu le caïd Hadj Saïd el-Guellouli qui les réunit en les jetant contre le Sous, don’t il fit la soumission, quand il mourut lui-même.

 

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Le manuscrit de Timsouriîne


Et voici la version que donne de ces évènements le manuscrit que nous venons de découvrir en ce mois d’août 2008,lors de notre récente dérive chez les Neknafa. Il est gauchement écrit par le dernier des Anflous, qui vit toujours au milieu des ruines de ses ancêtres à Timsouriîne :

 

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« Notre histoire se déroula au pays Hahî connu pour ses hautes montagnes, ses puits, ses sources intarissables, ses cours d’eau et ses nombreux arbres.Son territoire est sanctifié par le maqâm (mansion) d’El Jazouli ainsi que par d’autres zaouia telle celle de Sidi Saïd Ou Abdenaïm qui se trouve à Aït Daoud.  Dans les temps anciens, un homme de pouvoir gouvernait ce pays. Il s’agit du caïd El Haj Abdellah Ou Bihi Ou Moulid d’Azaghar, qui reçut ses pouvoirs de Sidi Mohamed ben Abderrahman (1859-1873). Il lui a délégué tous les pouvoirs sur les douze tribus Haha, don’t celle des Naknafa, connus par leurs Oulémas (docteurs de la lois) et leurs fuqahas (docteurs de la foi). Mais aussi par le courage et la bravoure de leurs guerriers, héros de ces temps, qui n’admettaient ni affront à leur honneur, ni humiliation.

Le caïd El Haj Abdellah Ou Bihi avait comme cheikh (auxiliaire, adjoint), un homme sage et expérimenté, le dénommé cheikh Mohamed Anflous, un originaire de la tribu des Aït Oussa au Sahara. »

 

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Selon l’auteur du manuscrit les Anflous seraient originaire du Sahara et plus précisément de Zag :


- La plupart des hameaux de Timsouriîne où se trouve Dar Anflous chez les Neknafa sont originaires du Sahara : Aït Oussa, Assa-Zag, Aguelmim. Ils sont venus s’établir en pays Hahî au 19ème siècle, du temps de Moulay Abderrahman, de Mohamed Ben Abderrahman et de Hassan 1er .L’ancêtre des Anflous était pasteur nomade  venu jadis avec ses troupeaux de camelins et de caprins à la recherche de pâturages à Timsouriîne.Tous les hameaux que vous voyez ici sont originaires soit du Sous soit du Sahara. Ils s’étaient établis avec leurs troupeaux dans ces arganeraies en période de sécheresse.

 

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Poursuivons la lecture de notre manuscrit :


« Si M’barek  et son frère Ahmed Anflous étaient des subordonnés du grand caïd El Haj Abdellah Ou Bihi : M’barek faisait office de  secrétaire particulier et  Ahmed de garde .Par ordre du sultan Mohamed Ben Abderrahman, le caïd gouvernait tout ce pays avec justice et équité. Il a mi fin aux causes du mal et aux fauteurs de troubles.  Un jour, Ahmed Anflous démissionna de sa fonction de garde. Craignant qu’il n’attise la sédition au sein de sa tribu, le caïd lui envoya une « bague d’aman » (gage de vie sauve) par l’entremise de son propre frère. Celui-ci en avertit aussitôt leur mère qui eut peur pour ses fils, mais consentit néomoins à ce qu’ils se rendent à Azaghar auprès du caïd. Les esclaves et la garde noire avertirent ce dernier de l’arrivée du cheikh Ahmed Anflous. Et le caïd de se lever pour l’accueillir, le plaçant à ses côtés, avec tous les égards et l’hospitalité d’usage. Mais une fois mis en confiance, il le désarma illico presto et lui assenât un coup de poignard mortel.

 

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«  El Haj Abdellah Ou Bihi continua encore pour longtemps à gouverner les tribus Haha jusqu’à en extirper les causes du mal et les fauteurs de troubles de son temps. Il mourut à son tour en l’an 1293 de l’hégire, et son fils Mohamed lui succéda comme caïd des Haha.Il prit à son tour pour secrétaire particulier, M’barek Anflous. Ce dernier, pour se venger de l’assassinat de son frère Ahmed, ne tarda pas à discréditer le nouveau caïd auprès des tribus Haha, en lui conseillant de les mater les unes après les autres, sous prétexte d’insubordination, suscitant l’opprobre de tous, en particulier celui des Neknafa. Il l’affubla en plus du sobriquet d’ Amaâdour (le loufoque en berbère). Ne se doutant pas des manipulations don’t il faisait l’objet Amaâdour finit par céder tous ses pouvoirs à M’barek Anflous proclamé caïd des Haha en l’an 1295 de l’hégire. »

Le nom d’Anflous, est donc celui d’une famille des Neknafa qui, après avoir contribué à la chute de la famille Abdellah Ou Bihi des Aït Zelten, conquit à sa place, non sans lutte et grâce à l’appui des Mtougga, la prédominance chez les Haha au temps du sultan Moulay Lhassan. Foucauld dit :

« Anflous, serviteur d’Ould Bihi usurpa le pouvoir après que ce dernier eût été empoisonné par le sultan. »

 

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Le manuscrit de Timsouriîne relate la suite des évènements en ces termes :


« Après avoir destituer Amaâdour, M’barek Anflous se met à soumettre les tribus qui se refusèrent à son pouvoir jusqu’à ce qu’il se heurta chez les Ida Ou Isarne en bord de mer,à la forte résistance d’El Haj Ali L’Qadi, qui aspirait lui aussi à devenir caïd des Haha. Les feux de la discorde s’allumèrent entre les deux prétendants, et leur guerre se poursuivit sans relâche avec son lot de destructions et de malheurs, au point que les tribus se plaignirent au sultan des massacres don’t étaient victimes des musulmans innocents. Ayant appris la destruction de la citadelle d’El Haj Abdellah Ou Bihi à Azaghar, Hassan 1erenvoya son émissaire à M’barek Anflous lui demandant de se rendre à la cour. Mais ce dernier craignant pour sa vie refusa d’obtempérer aux injonctions royales. »


Les Mtougga ne laissèrent pas passer l’occasion de prendre leur revanche des luttes antérieures et de deux pillages de la kasbah du caïd des Mtougga à Bouaboud. Ils mirent la division chez les Haha, s’appuyèrent sur Anflous, tombèrent sur Ould Bihi et pillèrent sa maison. Une mehella makhzen se rendit alors sur place pour faire rendre gorge aux Haha et aux Mtougga, auteur du pillage. A la colère du sultan reprochant au Mtouggui d’avoir piller la maison du Makhzen, le caïd Abdel Malek des Mtougga aurait répondu :


- Et la mienne, étais-ce celle du forgeron ? « Outinou, tin oumzîl ? »


Le chef de l’expédition punitive n’était autre que le jeune Moulay Hassan, fils du sultan Sidi Mohamed. Il campa à Bouriki, où un karkour marque l’emplacement de sa mehella, quand il apprit la nouvelle de la mort de son père et reçut la bay’â qui l’élevait au trône chérifien (1873). Il rentra de suite à Marrakech.

 

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Le manuscrit de Timsouriîne nous dit à ce propos :


« Lors de son expédition au sud du Maroc et dans le Sous, qui eut lieu en  1299 de l’hégire (1874-75), le sultan est venu inspecter en personne le pays Hahî. Il s’est arrêté au lieudit Bouriki où il édifia un rempart. De là, il s’est rendu au maqâm de Sidi M’hand Ou Sliman El Jazouli, où l’accueillirent le caïd M’barek Anflous et son neveu. Se présenta également devant le sultan leur adversaire El Haj Ali L’Qadi. Tout ce beau monde fut conduit à Marrakech où Hassan 1er déchargea M’barek Anflous de sa fonction de caïd pour la confier à Addi Ben Ali M’barek. Mais ce dernier s’avéra incapable de mettre fin au désordre et de gouverner les douze tribus Haha. Après leur reddition, M’barek Anflous, son neveux et El Haj Ali L’Qadi furent jeté en prison, et leurs descendants condamnés à verser annuellement un kharaj (redevance annuelle) en compensation des pillages auxquels il s’étaient livrés contre la citadelle d’ Azaghar. » Sibâ’î note ainsi dans son Boustân : les Haha, ayant assiéger leur gouverneur, le pouvoir « doit réparer ce qu’ils ont disloqué, rassembler ce qu’ils ont divisé, recoudre ce qu’ils ont déchiré ».

 

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Dans tous les cas, l’objectif affiché est de ramener les populations au respect du système, et, si elle persévère dans le refus, de les écraser pour la saine doctrine et la commune édification, nous dit Jacques Berque, analysant ces tournées qu’effectuait Hassan 1er à travers le pays :

« Se porter dans le Sous extrême pour y rétablir l’infrastructure du pouvoir central, c’est décourager l’insoumission tribale par un système répressif, lequel comporte pédagogiquement dirait-on plusieurs degrés. Le pur et simple passage de la meh’alla, qui exige son « ravitaillement », mûna, éponge les ressources du groupe récalcitrant. Si ce dernier résiste, s’il a mis à mal le gouverneur makhzénien, comme c’est souvent le cas, il perdra quelques têtes et acquittera une contribution. En cas de récidive, ou d’insolence marquée, on détruira ses campements, on mangera ses troupeaux, on pillera ses silos, on lui fera des prisonniers qui partiront enchaînés vers l’une ou l’autre des geôles de l’Empire. »

 

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À la mort de Hassan 1er le pays connaîtra partout éclatement et dispersion :

« Rébellion au nord avec le rogui Bouhmara, au nord-ouest avec Raïssouli, le « brigand », pénétration française par Oujda et les Beni Snassen d’une part, Casablanca et la Chaouia d’autre part, grossissement des grands caïds, et pour finir invasion du pays par le sud, avec les « Hommes Bleus » de Ma’el-Aynin puis d’El Hiba. Corrélativement, la réserve hiératique de Moulay Hassan aura fait place aux psychologies cruellement anecdotiques de Moulay Abdel Aziz et de Moulay Hafid, juste avant que la monarchie, dés lors assujettie à l’étranger, ne sombre, pour plusieurs décennies, dans l’impotence ».

Chez les Haha, la nouvelle de la mort de Hassan 1er en 1894, plongea à nouveau le pays dans le désordre et la siba d’après la relation du manuscrit de Timsouriîne :


« La confiance entre gouvernants et gouvernés en fut profondément ébranlée. Les Neknafa se divisèrent sur le postulant au pouvoir.Chaque fraction choisit son propre chef et veut étendre sa domination sur les autres. Il s’en suivit désordre et siba. Les Neknafa s’opposèrent aux Mtougga, aux Chiadma et aux Ida Guilloul. Le caïd des Mtougga tua d’une balle d’argent le caïd M’barek Anflous qui avait pourtant la réputation d’être immunisé contre l’impact des balles. Lui succède alors  Ahmed Anflous qui doit faire face au caïd Abdel-Malek des Mtougga au nord, au caïd Khobbane à l’Est, et au caïd Guellouli au sud.

«  Aidés du caïd Guellouli, les Mtougga s’attaquèrent aux Neknafa, au lieu dit tamjjout Chez les Aït Zelten. Parmi les victimes de cette embuscade, Si Mohamed M’barek Anflous qui succomba à ses blessures. Les hommes sont venus de toutes part à Timsouriîne pour présenter leurs condoléances au caïd Ahmed Anflous pour la mort de son frère.

« A la mort de Hassan 1er, son ministre, le célèbre Ba Hmad avait envoyé Mohamed Anflous comme représentant du Makhzen à Melilla. Puis à la demande des siens, Moulay Abdel Aziz le nomma par Dahir comme caïd sur quatre tribus Haha : Neknafa, Ida Ou Gord, Ida Ou Bouzia, et Aït Aïssi. Ceci  est arrivé en l’an 1318 de l’hégire. Il se rendit chez les Neknafa accompagné d’un détachement armé que lui avait accordé  le jeune sultan. En 1904, il reçut à Timsouriîne le cheikh Ma’el-Aynine et l’accompagna dans ses expéditions guerrière dans le Sous..»

 

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L'auteur A.Mana en pays Neknafa (Début février 2010)


El Hiba et son père le Cheikh Ma el-Aïnine fréquentaient Essaouira au tout début du 20ème siècle et formaient avec le caïd Anflous, le parti de l’indépendance  face à la France. Mon père me disait que la maison à la tourelle conique qui surplombe les remparts du côté de la mer et qu’on remarque nettement depuis le port, appartenait à El Hiba et à son père le Cheikh Ma el-Aïnine . Et je viens de découvrir, grâce au sculpteur Alam que les Ma el-Aïnine disposaient également d’un très beau Riad au quartier des Bouakher. Chaque année, au mois d’août, leurs descendants y séjournent encore aujourd’hui, lors du moussem de Tidrarine qui à lieu à Tafetacht à soixante dix kilomètres d’Essaouira sur la route de Marrakech.


C’est du port de Mogador que Ma el-Aynine s’est embarqué, le 17 novembre 1906 pour Cap Juby, avec une partie de sa suite, un chargement de madriers de thuya destiné à la toiture de sa mosquée de Smara, ainsi que ses bagages entiers, ses meilleurs mulets, chevaux, chameaux etc. Une véritable arch de Noé ! Un paquebot espagnol  a amené les hommes bleus, au Cap Juby, où il les a débarqué. Ils ont regagné par mer Terfaya, puis delà à dos de chameau, la ville de Smara.


« Le fils de Ma el-Aynine est resté à Mogador avec 50 hommes, soulignent les renseignements coloniaux de 1906. Il attend le complément d’une somme de 85 000 francs que son père devait recevoir à Marrakech. On assure que le sorcier-marabout veut construire un fort à Smara pour se protéger contre une incursion possible des troupes sahariennes françaises... »

 

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En 1906, les renseignements coloniaux rapportent  que « les nègres de la suite de Ma el-Aïnin, ont molesté un certain nombre de boutiquiers marocains avant de quitter Mogador. Le passage du grand marabout saharien a ruiné Mogador, qui s’était astreinte, suivant les instructions formelles du sultan, à dépenser chaque jour 1500 pesetas pour subvenir à l’entretien des « hommes bleus ». Il est de plus en plus admis que les voyages annuels de Ma-el-Aïnine aux provinces du Nord ont un caractère purement commercial, auquel les tendances religieuses ne s’adjoignent que comme accessoire. Le vrai motif de ces déplacements réside dans un rôle de pourvoyeur de negresses à la cour du sultan et chez les grands du Makhzen. En fait Ma el-Aïnine remonte toutes les maisons des gros notables marocains, sans oublier la maison de Moulay Abd el-Aziz. »


. Les troubles qu’avait connus la région commencèrent en 1904. Le caïd el-Guellouli et Abdelmalek el – Mtougui, s’allièrent contre Ahmed Anflous, mais ils furent battus ; le premier fut obligé de demander la paix pour sauver une centaine de cavaliers de sa tribu cernés dans la maison d’Azaghar, ancienne demeurre du caïd Hadj Abdellah Ou Bihi à Aït Zelten. Le second fut presque bloqué chez lui et les Haha ayant refusé d’assiéger la maison d’un caïd du Sultan de crainte de représailles, la paix fut conclue, paix qui confirmait à Ahmed Anflous la possession des Ida Ou Isarne et des Ida Ou Gord et par conséquent enclavait Mogador dans son territoire.


Ces faits se passaient en 1906. Le caïd Mohamed Anflous des Neknafa et protégé de Menebhi fut désigner pour remplacer dans le commandement du Sous, le caïd Guellouli tombé en disgrâce, mais il ne jouit pas longtemps de cette faveur, surpris par une mort subite. Son frère Ahmed Anflous et caïd des Neknafa fut chargé de recueillir sa fortune pour la verser, selon la coutume, au trésor chérifien : mais loin d’exécuter ces ordres, il trouva qu’elle serait aussi bien entre ses mains, commença à fortifier sa maison de Timsouriine et fit l’acquisition de quantité de fusils Gras, qui lui furent fournis, dit-on, par un Européen de Mogador et qui le rendaient terrible pour ses voisins.

 

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Quelques temps après, le caïd Ahmed Anflous, ayant su que les oumanas de Mogador avaient à livrer, par ordre chérifien, au caïd Abdel Malek el-Mtougui des armes et des munitions, vint à Mogador même, en pleine douane et força les oumana à lui remettre lesdits armes et cartouches. Deux mois après, les oumanas reçurent l’ordre de faire une nouvelle livraison à Abdel Malek ; ils devaient cette fois, opérer aussi secrètement que possible. Cette recommandation n’était pas inutile, car Anflous, en ayant eu vent, fit attaquer le convoi aux portes – même de la ville et l’enleva. Ce convoi était de 16 chameaux chargés de cartouches.

 

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Dar le caïd M'barek en pays Neknafa (Ph.A.Mana)


La veille du protectorat


A la veille du protectorat, Ahmed Anflous aurait en effet investi la ville en exigeant manu militari à ce que tous les juifs réintègrent le Mellah. Ces exactions  n’étaient pas étrangères au soulagement de la communauté juive de Mogador, lors de la prise de la ville par l’armée française.IL faut dire qu’Ahmed Anflous en voulait aux négociants juifs de la ville, don’t les entrepôts regorgeaient de marchandises, quand la compagne environnante souffrait de famine et de spéculations usuraires.

Mon père me disait que les juifs du Maroc n’ont jamais accepté au fond leur statut de minorité dominée politiquement par la majorité musulmane : cela explique pourquoi en 1912, lorsque les Français ont débarqué à Essaouira avec le navire Du Chayla, et que les soldats se sont rendu au nord de la ville, où ils ont fermé le fuseau à Bab – Doukkala, l’un des juifs qui sortaient du mellah pour observer la prise de la ville demanda surpris à un congénère :


- Que se passe-t-il ?

Et l’autre de lui répondre :

- Ce que le bon Dieu fasse durer pour nous !


Il émettait ainsi le vœu que la domination française se perpétue au Maroc. D’ailleurs, bien avant l’arrivée des Français, de pauvres juifs du mellah étaient  protégés français tandis que de riches négociants de la Kasbah étaient  protégés anglais. Ils jouaient de leur statut d’intermédiaires entre le Makhzen et les puissances étrangères.


Pour affirmer sa domination sur les Ida Ou Gord et les Ida Ou Isarn, Ahmed Anflous multiplie les nzala et fit payer des droits exorbitants : 5 pesetas par chameau de passage. Il en établi une aux portes même de la ville, sur la route de Safi, malgré les protestations du caïd de Mogador, comme le soulignaient les renseignements coloniaux de 1906 :


« Mogador est complètement dégarnie des ses troupes. Un des deux tabors a été embarqué pour Casablanca, à la suite de troubles fomentés, par un chérif qui cherche à jouer le rôle d’un nouveau prétendant. L’autre Tabor a été renvoyé à Tanger. Dés maintenant, les conséquences de ces différents départs se font sentir. Les nzala  d’Anflous paralysent tout commerce en exigeant des caravanes une série de contributions arbitraires. L’insécurité des routes recommence de plus belle, et on ne peut même pas circuler aux environs de la ville, à ses risques et périls, sans avoir obtenu l’assentiment des gens du caïd. »


Ces faits ayant provoqué des plaintes de la part des oumanas, du caïd de Mogador et du caïd el-Guellouli, le Makhzen, sous la pression du caïd Abde el-Malek el-Mtougui, ordonna à tous les caïds de la région : Haha, Mtougga, Chiadma, Oulad Be-Sbaâ, Hmar, de marcher contre Ahmed Anflous. Après un premier combat où fut tué son frère, le caïd Ahmed Anflous se retira dans la partie montagneuse de son territoire et là, il fut cerné.


Le caïd Ahmed Anflous disposait, outre ses Neknafa, de contingents venus des Aït Zelten, Ida Ou Bouzia et Ida Ou Tanane, c’est-à-dire des montagnards, qui penchaient par sentiment pour Ahmed Anflous qui représentait l’indépendance. Durant un mois les caïds réunis le cernaient, sans oser l’attaquer, dans ces montagnes inexpugnables avec les troupes don’t il disposait. Ahmed Anflous n’avait pas cessé de harceler ces caïds par de nombreuses attaques de nuit. Finalement la paix a été conclue entre les deux parties dans les conditions suivantes :



Le caïd Ahmed Anflous ajoute à ses Neknafa les Ida Ou Gord, abandonnant les Ida Ou Isarne à El-Guellouli. Le caïd Gourma blessé grièvement, disparaît de la scène et ses deux fractions, les Ida Ou zemzem et Aït Ouadil sont données à Iguidir, protégé d’Anflous. De plus, Ahmed Anflous s’engage à ne percevoir que 50 pesetas dans les nzala ; il doit également supprimer la nzala qu’il avait créée à la porte de Mogador sur la route de Safi. C’est la Makhzen qui a ordonné lui-même à ses contingents de traiter de la paix afin de pouvoir s’emparer d’Ahmed Anflous, par surprise et sans effusion de sang.


Et c’est ce qui allait arriver effectivement grâce à un tueur à gage : le caid Guellouli chargea un de ses esclaves de liquider Ahmed Anflous en se mettant à son service. Durant de nombreux mois l’esclave a fait montre d’une telle abnégation et savoir faire qu’il finit par obtenir la confiance de son nouveau maître. Celui-ci était constamment armé et sur ses gardes et ne vivait parmi les siens qu’au cours de la journée, le soir venu il s’isolait dans un pavillon à part. L’esclave noir avait l’habitude de le masser, pour l’aider à s’endormir. Mais quand l’heure de passer à l’acte est arrivée, à peine le caid s’est-il endormi que l’esclave le poignarda à mort. Il se faufila discrètement dehors et s’enfuit au milieu de l’arganeraie, pour rejoindre ses maîtres et leurs alliés qui ont commandité le meurtre. Après avoir couru toute la nuit, l’aube le surprit à Imgrad. Pour éviter de mauvaises rencontres, à un moment où la forêt commence à grouiller de bûcherons et de bergers, il se cacha dans un cimetière.


Le lendemain comme le caïd ne se présenta pas comme d’habitude à la prière de l’aube, on accouru vers sa loge. Un filet de sang filtrait du bas de sa porte. En ouvrant celle-ci on le découvrit déjà mort gisant au milieu d’une marre de son propre sang. Ne voyant plus de traces de l’esclave, tout le monde avait compris que la coalition qui s’est liguée contre Ahmed Anflous avait finalement réussi son coup, malgré le retranchement de ce dernier à Timsouriîne et malgré les milles précautions qu’il prenait pour se protéger contre d’éventuel tueur à gage.

 

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Au levé du jour, celui-ci ayant faim et soif, décida de sortir du cimetière pour demander à boire et à manger à une paysanne qui passait par là :


- Suis-je toujours au commandement d’Anflous ?


La paysanne le rassura en lui disant qu’il est désormais hors de portée des Anflous. Mais la question souleva ses soupçons que renforçait son regard hagard de bête traquée, avec son fusil au dos. Elle en avertit aussitôt son mari, qui invita le fugitif à la maison. Tout en faisant semblant de lui préparer à manger on envoya  un éclaireur à Timsouriine pour vérifier ce qui s’était vraiment passé là-bas. Une fois sur les lieux, celui-ci découvre tout un hallali en entendant s’élever au loin  les lamentations et les pleurs.Connaissant la menace qui pesait de partout sur le caïd Ahmed Anflous, il comprit ce qui s’est passé et revint  alerter les siens aux pas de course. Les soupçons confirmés, les habitants du hameau d’Imgrad se mirent à faire  semblant de poser des questions au meurtier sur le fonctionnement de son fusil. Une fois désarmé, ils l’attachèrent  à la queue du cheval par ses mains liées, et le conduisirent  à Timsouriîn, où le fils du disparu est déjà  proclamé caïd à l’âge de 23 ans. Contre l’avis même des Oulémas, il ordonna le châtiment du bûcher pour le tueur à gage de son père :


- Il doit brûler exactement comme il a brûlé mon cœur. Leur dit-il


On raconte que le bûcher avait  éclairé plusieurs nuits de suite, tellement le corps du noir était rempli de graisse ! Et c’est finalement ce jeune caïd  qui va devoir mener le parti de l’indépendance à la confrontation avec la France. Mais sans  avoir ni les moyens ni les hommes pour se faire .Le clan des Neknafa étant déjà divisé, se fissurera davantage . Il n’y aura pas de bloc Haha autour d’Anflous, comme il y eut un bloc rifain autour d’Abd el krim.


A la fin de l’année 1912, une petite colonne française, sous les ordres du commandant Massoutier, avait été assaillie, à une journée de marche de Mogador, par les contingents du caïd  Anflous, l’obligeant à s’enfermer dans le Dar el Cadi en attendant l’arrivée d’un secours. Quelques jours plus tard le général Brulard, vint délivrer les assiégés. L’évènement avait fait grand bruit dans toute la région.


Voici la version qu’en donne le manuscrit de Timsouriine :


« C’est le caïd Mohamed Anflous qui fut le premier à attiser les hostilités contre le colonialisme, en s’attaquant à une colonne française l’obligeant à se réfugier à la maison d’El Haj Ali El Qadi qui se trouve dans la tribu des Ida ou Isarn. Anflous et ses hommes encerclèrent les militaires français durant quarante jours les obligeant à se désaltérer aux urines de leurs propres chevaux.Les français ont voulu négocier mais Anflous refusa. Il demanda à sa tribu de choisir entre la paix ou la guerre. Celle-ci opta pour la guerre. Après mûre réflexion Anflous s’est dit :

- Si je choisi la paix avec les colonisateurs, j’aurai trahi mon pays.


Et il finit lui aussi par choisir la guerre. Face au colonialisme et pour l’indépendance du pays Anflous avait pris tous les risques pour lui-même, sa famille et ses biens.

 

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La terre brûlée


Il y eut un premier accrochage avec le général Brulard qui venait d’Essaouira, au lieudit Boutazart dans la tribu des Ida Ou Gord. C’est là que le caid Anflous et ses hommes ouvrirent le feu. La violence de la confrontation obligea le général français à ordonner le repli momentané sur Essaouira, en attendant l’assaut final.


Pour diviser le clan Anflous, le général français décide de recourir à la corruption en distribuant abondamment d’argent aux différentes fractions. Ainsi nombreuses furent les fractions Neknafa qui choisirent la désertion et l’argent à la confrontation et au sacrifice. De sorte, qu’avant même que ne commence la guerre, le caïd Mohamed Anflous s’est trouvé complètement isolé avec son dernier carré d’irréductibles, quelques fidèles et proches de sa propre famille et amis. »


- Seulement 150 à 200 cavaliers étaient restés fidèles à Anflous, les autres ont été conrompu par M’barek N’Id Addi et ont déserté avant même que n’éclate la bataille en 1912. Raconte le dernier des Anflous qui vit toujours à Timsouriîne.


Le général Brulard quitte Mogador avec une colonne de 5000 hommes et prend pour objectif la destruction de la kasbah d’Anflous, nid d’aigle qui était le centre de la résistance et que les habitants considéraient comme imprenable. IL s’agissait de prendre à rebours les farouches Neknafa à partir du territoire limitrophe  des Meskala qui étaient alors sous domination du caïd Khobbane, un  adversaire d’Anflous. Les troupes françaises, me racontait mon père, étaient guidées par le future caïd M’barek, un cousin d’Anflous, qui s’était réfugié quelques années auparavant chez les Mtougga..Les canons étaient péniblement traînés dans un terrain chaotique via Bouriki jusqu’au sommet de la  colline où se trouve zaouite Ou Hassan qui fait face à la citadelle du caïd rebelle, et d’où on pouvait facilement la viser : « Une fois l’argent distribué, le général français s’avança avec ses troupes vers Neknafa au lieu dit Zaouite Ou Hassan. De là ils commencèrent à bombarder Dar Anflous, durant 36 heures d’affilée : commencés le jeudi les bombardements n’ont pris fin que le samedi. » précise le manuscrit .

L’armée française a dû traverser le défilée montagneux de Taqandout où elle était prise sous les feux nourris et croisés des guerriers d’Anflous :


- La situation était si périlleuse, me racontait mon père, qu’une fois parvenu la haut, la main que tendait le général français pour descendre de son cheval, tremblotait de peur.


La kasbah fut enlevée le 23 janvier 1913. Mohamed Anflous s’enfuit précipitamment pour aller se réfugier chez les Aït Aïssi, lassant à l’ennemi de gros approvisionnements en vivres, en armes, en munitions Mauser et Martini. Un vieillard  qui avait participé au baroud d’honneur d’Anflous raconte :


- Le samedi, dernier jour de la bataille, j’avais encore 12 000 balles stockées au fond de la grotte d’Imin Taqandout. Je m’en suis servi moi et les derniers soldats d’Anflous, de sorte qu’en arrivant à Tagoulla Ou Argan, je n’avais plus une seule balle...

 

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La grotte d'Imine Taqandout au loin, février 2010 (Ph.A.Mana)


Et voici maintenant l’épilogue de la bataille selon le manuscrit de Timsouriîne :


« Voyant que la situation empirait, que ses troupes diminuaient, le caïd Anflous qui avait obstrué le défilé de Taqandout, ordonna le repli sur les hauteurs de Timsouriîne où se trouve sa maison.Il s’enfuit alors vers la tribu des Aït Aïssi avec sa famille et ses derniers fidèles. Les français avec les traîtres à la nation qui les accompagnaient remontèrent vers la maison d’Anflous et la transformèrent en champ de ruines où on n’entend plus que le sinistre ululement   des hiboux et des corbeaux. Ils rasèrent les oliviers, brûlèrent les magasins, et portèrent même atteinte au maqâm de Sidi Mohamed Ben Sliman El Jazouli.

Ceci était arrivé en l’an 1330 de l’hégire correspondant à l’année 1913. »


Le bien nommé général brulard pratiqua alors la terre brûlée ; rasant et brûlant, des centaines d’oliviers qui entouraient la demeure caïdale.Depuis lors la résidence de ce dernier n’est plus habitée  que par les pigeons, les chouettes et les chacals, attestant que le temps du caïdalisme appartenait désormais aux oubliettes de l’histoire.


Cependant qu’au sud de Mogador, le caïd el Haj Lahcen, successeur de Guellouli avait levé une Harka et s’était dirigé sur Agadir. IL s’empare d’une partie de la ville et, devant un retour offensif des gens d’El Hiba, doit se replier à 12 kilomètres au Nord, sur la côte. Mais le croiseur français Du Chayla, envoyé de Mogador, vient le ravitailler en cartouches et accompagne sa marche le long de la côte : le 31 mai 1913 el Hadj Lahcen enlevait la citadelle d’Agadir. Ben Dahan, pacha de Tiznit, et Haïda Ou Mouiz, pacha de Taroudant, continuaient à mener contre les derniers dissidents d’El Hiba. Les différentes factions se neutralisant, les français se contentaient d’aider les uns contre les autres.La soumission du caïd Anflous, dés le début de l’année 1913, a porté un rude coup à ce qu’El Hiba pouvait conserver de prestige et de force.


La grotte d’Imine Taqandoute, comme le cénotaphe de Sidi Slimane el Jazouli, sont situés au cœur des Neknafa, non loin des ruines de Timsouriîne et de la demeure caïdale d’ Anflous transformée en champ de ruines par les bombardements de 1912 qui mirent fin non seulement au caïd Anflous, mais au caïdalisme tout court. Et maintenant islamisme et mondialisation galoppante, vont-ils mettre fin au maraboutisme et au confrérisme ? L’histoire nous le dira.


Selon le fqih de Timsourine, on doit la coupole originelle de Tazrout où reposait la dépouille d'El Jazouli à Hassan 1er (1873-1894) :

- On raconte que quand celui-ci est arrivé au niveau des citernes, il aurait enlevé ses babouches pour marcher pieds nus jusqu’au maqâm d’El Jazouli. Il ordonna alors que le bois de la coupole soit amené de Timsouriîne.

Laquelle coupole fut entièrement détruite par les bombardements français de 1912, et l’huile que ramenaient les pèlerins au sanctuaire s’est déversée à flot, au point dit-on, que l’oued ksob l’a rejeté à son embouchure au sud d’Essaouira. Par repentir l’allié des français qu’était le caïd M’barek la restaurera plus tard en faisant venir des artisans de Marrakech. Car lui disait-on :

«Aussi longtemps que le maqâm restera sans coupole, la tribu demeurera sans protecteur ».

Maintenant les oliveraies rasées par les français ont repoussé de plus belle autour des ruine de Timsouriîne comme l’avait prédit en son temps Tabagfat, la poétesse des Ait M’hand lors d’une compétition chantée qui l’opposa à Aïcha Ali, la poétesse des Ida Ou Khalf: toutes deux appartenaient à deux fractions rivales Neknafa. Leur compétition chantée eut lieu au moussem de Sidi Boulanouar (littéralement le marabout des lumières).

Tabagfat a dit :
Les feux attisés par Anflous enflammèrent la paille
Brûlant les grenouilles au milieu des broussailles
Mais il n’a pu éteindre l’incendie qui consuma les siens

Aïcha Ali lui répondit :

Ô gens de bien, reprenez vos biens !
Et vous, gens du âar, reprenez votre âar !
Anflous et Id Addi sont issus du même citronnier
Du même bigaradier et des mêmes racines
C’est sur leurs citadelles ruinées et leur sang versé qu’il faut pleurer
Non sur les oliviers brûlés, quis resurgiront aussitôt après l’ondée !

Elle fait allusion au caïd M’barek Id Addi, le cousin du caïd Anflous qui s’était réfugié chez les Mtouga avant de revenir dans le sillage de l’armée française comme nouveau caïd des Neknafa. La colonisation les a irrémédiablement séparée : Mohamed Anflous représentait le parti de l’indépendance qui s’opposa farouchement aux français, tandis que M’barek Id Addi était du côté français. Leur rivalité explique à elle seule tout le processus de colonisation du Maroc : fractionnement à l’infini d’une société segmentaire où les lefs opposés s’annulent mutuellement jusqu’au niveau du lignage. Les militaires français parlaient de la conquête du Maroc comme d’une grenade qu’il s’agissait de consommer graine après l’autre. Aujourd’hui, le château de l’un et de l’autre est une ruine dans les montagnes Haha.

A  Essaouira, on confisqua les belles demeures d’ Anflous : l’actuelle « Dar Souiri », transformée en « Cercle » (administration des affaires indigènes), et leur belle demeure de derb Ahl Agadir donnant sur les jardins de l’hôtel des îles,  transformée en résidence du contrôleur civil du protectorat.

Les caïds de la région avaient tous une maison à Essaouira : celles du caïd M’barek, du caïd Khoubban et du Caïd Tigzirine, se trouvaient au clan Est des Chébanates, du côté de la terre. Alors que les seigneurs de guerre et du désert, avaient leurs demeures et leurs entrepôts commerciaux au clan Ouest des Béni Antar, du côté de la mer.Expression d’une société segmentaire, cette opposition entre clan Est des Chebanates et clan Ouest des Béni Antar, se manifestait symboliquement chaque année lors du rituel de l’Achoura par une compétition chantée entre les deux clans de la ville.

Abdelkader MANA

 

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Ph. Y.Amchir
Abdelkader Mana, lors de la signature de son
Beau Livre:"Essaouira, perle de l'Atlantique"
2003

03:04 Écrit par elhajthami dans Histoire, le pays Haha | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : histoire, anflous; ould bihi; my abderrahman; hassan 1er | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Potiers-poètes du Haut-Atlas

Potiers - poètes du Haut – Atlas

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Le lac d'Ifni au pied du Toubkal Roman Lazarev

«C'est dans le ciel que les abeilles se frayent leur chemin ». Les poètes également.

 

zouzaf.JPGToi, mon cher Falk au Tibet, moi en Atlas : on ne peut pas être d’une telle précise prémonition, si le coeur n’était pas aussi pur et l’écoute si attentive, et fine. En réalité, j’ai fui Essaouira pour le Haut-Atlas, parce que j’ai compris que le deuil est impossible. Et « maman », et « maman », il me faudra tôt ou tard la refaire re-vivre par mon écriture : au moins ici au Haut-Atlas, j’ai l’impression qu’ils ne font que « mattendre à la maison ». Et je ne peux pas encore piper mot de maman, elle qui ne semblait respirer qu’au moindre de mes mouvements. Et je n’ai pas encore pipé mot de maman depuis qu’elle n’est plus là. Car pour moi, elle est toujours là.Donc je suis parti dans le Haut-Atlas, et en parcourant la vallée de l’Ourika, j’ai brusquement fait appel au paysan des Seksawa, qui m’avait promis la main de sa fille à la nativité du Prophète. Je me suis rendu auprès de lui à Imine – Tanoute où j’ai acheté pour lui et pour sa famille un bouc de haute montagne, des légumes et des fruits à profusion, en particulier une énorme pastèque pour rafraîchir ce  juillet si torride.


Et notre arrivée commençait bien : nous traversâmes une immense forêt d’oliviers qui nous fit ombre miraculeuse comme le firent des milliers d’oiseaux pour ce saint homme de Tamesloht don’t la principale vertu est de lutter contre les moineaux qui s’enivrent de raisins et de figues.

 

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les "couleurs berbères", nouvelles oeuvres de Mohamed Zouzaf

 

La maison est petite mais proprette. À mon âge, j’ai honte de refaire ma vie, qui plus avec une jeune fille à peine sortie de l’adolescence. Son père -  qui a mon âge -  m’encourage en se donnant en exemple :


- J’en suis à ma quatrième femme, me dit-il. Et puis, grâce à ce mariage, ta vie sera revigorée. Tu rajeuniras et tu seras sans âge.


Oui. Mais quand même. En fait, cette jeune « Jmiâ » -  c’est son prénom, on appelle les filles nées un vendredi du nom de « Jmiaâ » (c’est-à-dire « vendredite » comme dans Robinson Crusoé) -  s’est substituée à la vrai « Jmiaâ », la bergère de vingt – cinq ans qui m’avait séduite par son chant du Tichka, la montagne qui embrasse les étoiles et où s’équilibre la balance des eaux : par la grâce de ce paysan de Boulaâouane (un toponyme qui rappelle, le célèbre vin rouge.) qui veut absolument marier son adolescente à un citadin (qui semble bien repu grâce à sa ronde bedaine), une « Jmiaâ » s’est substituée à une autre. Par la grâce aussi de mon aveuglement : vouloir en découdre avec le deuil par des noces pastorales en haut du Tichka !

En ville, il est vrai, les filles sont si vulgaires : de l’argent ou rien. Et vas-y que tu promènes tes beaux sentiments ailleurs ! Et pourquoi pas en haute montagne. Mais quand même ?

Après un copieux ragoût, je me suis endormi au patio : il suffit d’ouvrir les yeux pour voir étinceler si vivement la grande et la petite ourses. C’est comme cela exactement que nous dormions chez nous à la campagne, entre mont Tama et mont Amsiten. Et comme devinant mes secrètes pensées, le père me dit :

« Tinquiète pas. Ma fille sera pour toi.

- Sans son consentement ?

- Ça va venir. Il faut juste garder le contact avec elle, en lui envoyant de temps en temps des cadeaux. Pour ce qui est de la demande officielle du mariage, elle se fera lors de la prochaine fête du Sacrifice ».

Le Ramadan, c’est pour septembre, le Sacrifice pour décembre. Il faudra attendre 2008 : pour elle, c’est encore trop tôt, pour moi cela commence déjà à faire un peu trop tard, même si je m’évertue à concurrencer les jeunes bergers par de longues promenades en haute montagne.

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Mohamed Zouzaf

Au pays d’Aghbar, ce matin, plus précisément au col de Tizi-n-Test, mon ami, le jeune boucher Hassan, dit  Tomatique me conseille d’oublier la jeune nubile, avec laquelle je n’ai rien en commun, pour cette Seksawiya, qui chante si bien les airs des bergères se retrouvant au sanctuaire de Lalla Aziza, sainte bergère faisant paître grassement ses troupeaux dans de noirs et lisses granits.

« Tomatique » poursuit :

Oublie les cadeaux faits hier, limite les dégâts et reviens voir la « vendredite » de Lalla Aziza.

C’est quoi déjà hier ? Lundi 9 juillet 2007.

À cinq heures du matin, je prends la direction d’Imine – Tanout. Une fois sur place, j’hésite : trahir la parole donnée à la  nubile ? Mais cela vaut le coup de voir comment cela va fonctionner, avec la bergère plus âgée qu’elle ? Voir si le courant passe mieux entre nous. Mais Jmia la Seksawia est plus inaccessible dans son haut village de Zinit, surnommé ainsi par Lalla Aziza, d’après la légende, en disant aux tribus qui se disputaient sa sépulture : « Zinit » (c’est-à-dire « querellez-vous » en berbère).

Un type à la Land Rover me propose de m’y amener au prix exorbitant de 250 Dhs (environ 22 euros), au lieu du prix courant de 10 dirhams, arguant que pour aller à ce prix en camionnette, il faut attendre que les montagnards aient terminé leur marché pour remonter là-haut à partir de 13 heures. Qu’à cela ne tienne : je repasse chez le même marchand de fruits et légumes, pour faire mon marché cette fois-ci pour l’autre « Jmia ».

Après avoir terminé mes courses, je me suis donc dirigé, derrière la station d’essence d’où partent normalement les camionnettes se dirigeant vers Lalla Aziza. Au kiosque, les journaux parlent d’alerte maximum contre le terrorisme. J’appréhende la manière don’t je serais reçu : normalement en pays d’Islam, un homme ne va pas comme cela à la rencontre d’une jeune femme. Mais il n’y a pas moyens de la joindre par téléphone. J’appelle mon ami le peintre souiri Zouzaf et lui demande conseil. Pour lui, il faut absolument que j’oublie la jeune Jmia, car c’est une mineure. Je lui rétorque :

« C’est une mineure, fille d’un mineur : sans jeux de mots son père est un mineur à la retraite après la fermeture des mines de charbon de Jerada, où il avait chopé la silicose, comme les autres mineurs. Mais, m’avait-il précisé, « rien de bien grave : juste 10 % de silicose à la poitrine ». Il avait reçu une indemnité de départ, mais il doit encore attendre quatre ans pour commencer à toucher sa misérable retraite. En attendant il doit vivre de ses deux parcelles : l’une à Boulaâouane en bas pays Seksawa et l’autre à Aït Haddou Youssef en haut pays Seksawa. C’est là au pied du mont Tichka qu’il compte organiser notre mariage.

Je me rends compte progressivement que nous n’avons pas la même notion de temps : alors que pour nous autres citadins — influencés par les étapes de la vie découpées en rondelles de saucissons par la psychologie moderne — nous distinguons enfance, adolescence, jeunesse et âge adulte, pour eux il n’y a que deux étapes dans la vie d’une femme : une vie de jeune fille avant le mariage, et une vie de femme après le mariage. Et ce qui compte dans cette seconde étape, c’est l’enfantement, comme me l’explique un vieux paysan du cru :

« Les enfants sont l’« attache » de la gente féminine. Ils constituent létai central qui soutient la tente, le pivot de lair à battre autour duquel seffectue le distinguo entre le bon grain et livraie. ».

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Mohamed Zouzaf

Vers 13 heures, le chauffeur m’explique qu’il ne peut me prendre en cabine, réservée aux femmes, par contre je peux monter en « terrasse » avec les bagages et les autres voyageurs. Je me hisse péniblement là-haut parmi les pastèques, les brebis, les pneus et les butanes à gaz, et me voilà bientôt rejoint par des paysans jeunes et vieux : on est serré, mais c’est peut-être là le seul moyen de se maintenir en équilibre, en prenant appui les uns sur les autres à chaque virage. Des travaux sont en cours pour transformer la piste en route reliant le bas au haut Seksawa. Je suis le seul à se diriger vers Lalla Aziza, les autres voyageurs vont plus loin vers le village d’Aït-Mhand, jadis souvent visité par Jacques Berque comme me l’explique un vieux compagnon de route :

« Nous avons une parcelle dite « Foum Ma » (bouche deau) qui est réservée à Monsieur « Birk ». Cétait certes un chrétien, mais par bien des égards, il méritait le respect de tous les musulmans. Il montait chez nous pour une journée et demie à deux jours et on le recevait par de superbes Ahouach sous les noyers. Il y a un mois et demi, son fils est venu chez nous, puis il sest dirigé vers Lalla Aziza ».

 

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Mohamed Zouzaf

A la naissance de ses deux jumeaux, Jacques Berque avait offert une horloge murale à Lalla Aziza, qui y trône toujours scandant les heures de prières  le long des saisons et des jours.Le vrai tombeau de Jacques Berque se trouve peut-être ici chez les Seksawa. En tous les cas sa mémoire y reste vivace…

À l’approche de Lalla-Aziza, de magnifiques peupliers mêlés aux lauriers-roses et aux oliviers nous font ombrage au lit de la rivière. De hautes falaises de schiste noir nous entourent. En vérité, le schiste n’est pas entièrement noir : ici et là il prend une dorure accentuée par les lumières des après-midi finissante. Pour faciliter la montée vers Lalla Aziza, tous les voyageurs descendent et continuent à pied. On me dépose ainsi que mes affaires à la place centrale du village, qui semble déserte à cette heure. Je fis signe à quelqu’un qui m’observait de loin. Je lui dis de me conduire à la maison de Jmia que j’avais filmé chantant dans mon documentaire sur Lalla Aziza en 2001 et que la chaîne marocaine 2M avait depuis lors rediffusé à plusieurs reprises.Il acquiesça aussitôt et me conduisit non loin de là à une vieille maison berbère :

- Jmiaâ ! s’écria –t-il, quelqu’un est venu pour vous !

Aussitôt la vieille porte en bois de noyers s’ouvrit, laissant entrevoir l’accueil amical et rassurant de Jmiaâ. Je ne l’imaginais pas aussi maigre, presque décharnée : on pouvait voir une trace  de henné appliquée aux os de ces chevilles. Elle ne suscite pas le désir, mais une forme d’amical respect. Je ne sais pas pourquoi elle me fait plutôt penser à ma grand-mère maternelle. Une forme de spiritualité féminine, de sainteté berbère. J’avais l’impression d’être en face de Lalla Aziza en personne : on pouvait la vénérer amicalement, mais pas l’aimer charnellement.

Une fois que j’ai bien mangé, le tagine qu’elle m’a servi en un éclair — toute la famille participa au festin y compris son jeune frère qui avait été amputé du bras gauche à la suite d’une morsure de vipère dans la rivière — elle me convia à une promenade en tête-à-tête au bord de la rivière. On était accompagné de son jeune bouc blanc, qui la suit comme son ombre, en broutant de-ci de-là. J’avais l’impression qu’il lui tient lieu d’enfant, c’est pourquoi j’ai refusé qu’elle me le sacrifie comme l’avait fait Abraham pour Ismaïl sur le mont du Veau d’or.

L’endroit est d’une beauté sublime : l’eau serpente à l’ombre de verdoyants peupliers et de saules pleureurs. Bientôt, nous sommes rejoints par une dizaine de jeunes filles allant chercher le bois ou faucher de l’herbe tendre pour les lapins laissés à la maison. Et puis portées par la ferveur de leur fraîcheur printanière, elles se mirent à chanter de magnifiques refrains : à la fois très simples et très beaux ; que je n’arrive pas à traduire, du genre :


Où vas-tu, ô beau pied au henné ?

Je traverse juste la rivière pour me rendre à la chaumière du bien-aimé !

 

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Mohamed Zouzaf

Je me suis dit : toi qui recueillais les chants des moissonneurs au pays hahî, voici des chants beaucoup plus frais et plus puissants. Mais résisteront-ils à la route qui est en train de se construire, et qui ouvrira demain ce pays fermé, à la rumeur chaotique du monde ?


Hier, samedi 21 juillet 2007, je me suis rendu au souk hebdomadaire des Mzouda, où j’ai retrouvé Omar Berghout le potier — poète berbère. Il ne m’a pas reconnu et pour cause : notre dernière entrevue remontait à 1994, lorsque j’étais venu le voir avec son père et le vieux poète Ijiwi (littéralement le vent chaud d’août qui fait qu’à la mi-journée les oliveraies bruissent des battements d’ailes de grillons invisibles). Depuis lors il a perdu et son père, lui-même potier — poète et son confrère Ijiwi. Je lui dis que j’avais écrit par la suite dans la revue « Rivages », un article intitulé « Les potiers poètes des Mzouda », et que j’y avais fait référence à ce qu’il me disait en observant des hauteurs où se situe son hameau les étendues infinies des moissons du plat pays, que le vent transformait en ondulations dorées :


« Si nous jetons tous deux notre hameçon dans cet océan, le poisson que tu pêcheras sera rouge, le mien bleu. ».

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Une façon de dire, que la même réalité sera perçue différemment par nos deux cerveaux, et que ce soir si beau et si serein n’aurait pas la même répercussion sur nos âmes : une même source d’inspiration avec des échos cosmiques d’une part — un instant promis peut-être à l’éternité par la puissance qu’insuffle le verbe du potier suprême — et peut-être le silence et l’oubli de l’autre. Le silence et l’oubli de ceux à qui Dieu refuse d’adresser ses grâces. Et Berghout de me dire :


- Je me souviens dune seule chose : lorsque vous aviez demandé à mon père sil avait des enfants et quil vous a répondu : Je nen ai quun seul, unique et ultime torche qui illumine ma vie, et si elle vient à séteindre, il ny aurait plus que des ténèbres.


Voici un extrait de l’article, que j’écrivis au début des années 1990 dans la revue marocaine « Rivages » à l’issue de ma première visite aux potiers-poètes  Mzouda :


« On est un peu surpris de découvrir des poètes de tradition orale en grand nombre dans tout le Haut-Atlas, au sud de Marrakech. D’autant que la croyance en un mythique créateur populaire anonyme et collectif est profondément enracinée. Andam Ou Adrar,c’est-à-dire le « compositeur de la montagne » est le parolier des chants accompagnant les danses collectives du Haut-Atlas et les troubadours errants de l’Anti-Atlas. Ainsi parlait Andam Ou Adrar, l’aède de la montagne, conscience vivante du monde berbère :

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Ö soleil, si tu te lèves, ouvre tes rayons,

Pour que celui qui est perdu retrouve le chemin de la raison.

Immense est la forêt avec ses montagnes et ses falaises

Obscures sont les ténèbres de la nuit

Qui enserrent la demi-lune sous leurs voiles.

Que vivent les rivières !

Que poussent les plaisirs du bélier sur les collines verdissantes.

Car quand mars recouvre de sa belle parure la mort hivernale

C’est l’espoir qui renaît, ce sont les vierges qui se marient.


Assis au flanc de la montagne, le regard plongé dans la plaine, Barghout, le potier-poète Mzûdî me dit :


« On peut comparer cette plaine devant nous à l’océan. Chaque poète y pêchera selon sa chance. Il m’arrive de passer toute la journée au-dessus de cet océan sans en retirer le moindre poisson. Je suis connu comme habile pêcheur, mais parfois ma part n’est pas dans cet océan » En désignant un autre potier-poète, il poursuit :

« Celui-ci reconnaît que je suis un meilleur pêcheur, mais lorsqu’il a jeté son hameçon, il a sorti de la mer une pêche qui m’était inconnue ».

Au fond de la plaine qui s’assombrit, des hameaux s’allument ici et là, tandis qu’au firmament scintillent les étoiles. Spectacle sublime qui inspire au vieil Ijioui ces mots énigmatiques :

« Seuls les astronomes connaissent les étoiles, mais la poésie en parle à sa manière :


Celui qui a des frères, peut arroser les étoiles dans le ciel

Celui qui a des frères, peut semer le maïs parmi les étoiles.

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Roman Lazarev

Sur ce, le vieux poète détacha son âne de l’olivier sauvage et s’en fut par les sentiers fleuris au plus profond des montagnes. Du bord de la rivière d’Assif El Mal, on entend monter le côassement des grenouilles. Mystérieux, le potier-poète chuchote :

« La colonie d’abeilles a quitté sa ruche. Peut-être a-t-elle trouvé un verger fleuri ailleurs ? »

Ce à quoi son interlocuteur répond énigmatiquement :

« Qui peut l’attraper ? C’est dans le ciel que les abeilles se frayent leur chemin ».

Les poètes également. »

L’abeille, symbole récurent de la poésie chleuh, comme le montre ce poème   intitulé  «O fleur, voici l’abeille ! » :


A l’herbe des prés le henné a dit :

« A quoi bon désirer de l’eau ? »

O fleur, voici l’abeille !

« Puisque les mouflons viennent te narguer ! »

O fleur, voici l’abeille !

« Puisque les mouflons viennent te narguer ! »

O fleur, voici l’abeille !

Et le gerfaut en paix qui jouit de sa tranquilité,

O fleur, voici l’abeille !

Et ne craint de personne nulle atteint mortelle,

O fleur, voici l’abeille !

Vois, un instant suffit pour qu’il fuit à tire d’aile,

O fleur, voici l’abeille !

Et pourtant il était naguère tout à l’aise,

O fleur, voici l’abeille !

Amis, que le Seigneur n’accorde nul profit

O fleur, voici l’abeille !

A qui ne saurait faire chère lie !

O fleur, voici l’abeille !

Seuls sont inébranlables le monde et l’au-delà.

O fleur, voici l’abeille !

Combien instable est la fortune humaine !

O fleur, voici l’abeille !

C’est dans les cieux que le gerfaut déploie ses ailes.

O fleur, voici l’abeille !

Le piège pour le prendre n’est pas encore tendu !

O fleur, voici l’abeille !

A l’herbe du pré le henné a dit :

« A quoi bon désirer de l’eau ? »

O fleur, voici l’abeille !

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Sans abeille pas de fleurs, sans fleurs pas de miel aux vertus curatives. Dans la poésie chleuh, il ne s’agit pas de miel, sensé contenir le remède des plantes médicinales de la haute montagne, mais plutôt de l’abeille qui soigne les blessures de l’âme comme le montre ce refrain repris d’une manière lancinante par la chorale des danseuses à chaque bout de rime scandée par le troubadour :


« L’amour est une maladie ! L’amour est une maladie ! »


Deux choses essentielles ont retenu mon attention au Haut-Atlas : l’importance de l’hydrographie et l’antique culte de « Baâl ». Pour ce qui est de l’hydrographie, elle dépend plus du mont Tichka (3 350 m) qui dispose en son sommet d’un immense plateau, fermé au pastoralisme  de mars au mois à mai, un véritable jardin de fleurs sauvages, une magnifique prairie du nom d’Agdal. C’est là que réside le véritable réservoir d’eau, d’où coulent, après la fonte des neiges, la plupart des rivières : oued N’fis, Assif –el –Mal, oued Seksawa etc.

L’hydrographie est importante dans la mesure où toute la vie sociale, toutes les tribus et leurs hameaux se concentrent le long de ces rivières. Il y a d’une part le fond des vallées verdoyantes et d’autre part le côté minéral et dénudé des sommets des montagnes. Quoiqu’il constitue le sommet le plus haut du Maroc, le Toubkal semble donner lieu à moins de rivières que le Tichka parce que son sommet est conique et effilé. Il contient pourtant en son sommet (4 167 m) le lac abyssal d’Ifni (ce qui est une redondance puis qu’Ifni signifie « lac » en berbère), qui alimente tout le système d’Irrigation sous terrain du Haouz d’une part — le fameux système des Khattarat étudié par Paul Pascon — et toute la plaine du Souss d’autre part.

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Quand le temps se réchauffe on peut entendre à des kilomètres à la ronde le sourd craquement des glaces comme de gigantesques pétarades. Les truites qui y vivent descendent en profondeur en hiver et remontent en surface en été. On n’a jamais pu mesurer sa profondeur — les eaux semblent combler une ancienne crevasse volcanique — et il arrive que des bergers imprudents s’y noient : leur corps remonte alors en surface comme une outre de chèvre remplie d’eau…

Pour les villageois de Tifnout qui résident au versant sud du Toubkal, le lac d’Ifni est à la fois source de vie — c’est de lui que vient l’eau qui irrigue les peupliers bruissant au vent et les immenses et ombrageux noyers — et objet de crainte : en m’y baignant moi-même j’ai rêvé la nuit qu’un monstre m’avait saisi à la cheville, m’entraînant irrésistiblement vers ces profondeurs abyssales. Heureusement que le seul incident réel fut ma chute volontaire du haut de ma jument quand celle-ci s’emballa brusquement vers le lac : j’ai préféré avoir une entorse que de  suivre dans sa chute une monture si peu expérimentée.


Dans ces contrées granitiques et abruptes — la minéralité du paysage est à la fois effrayante et belle —, seuls la puissance du mulet peut faire face aux sentiers caillouteux, en guise de cailloux, il s’agit plutôt de lames de fer. Ici plus que chez nous en pays chiadmî, le nom de « montagne de fer » et « canines du monde », prend son véritable sens.


Le lac et la montagne qui l’entoure de toute part inspirent une crainte mêlée de vénération, qu’illustre chaque année ce « Touzzoumt NIfni », la fête saisonnière qui se déroule au bord du lac le 1er août du calendrier julien (soit le 13 août du calendrier grégorien). On y sacrifie surtout une brebis et on y scande des « dakra » -  sorte de prière païenne où on dit au lac :


Vous êtes notre père ! Vous êtes notre mère !

Ayez pitié de nous, ne nous faites pas de mal !

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Un lac divinité que cet Ifni ! Et on y pratique le culte du bélier — plus précisément de la brebis -  une réminiscence du culte de « Baal ». Le Dieu des pasteurs et du pastoralisme, puisque le même jour, les femmes d’autres tribus se rendent au versant nord du même Toubkal pour y rendre hommage à Sidi Belkacem, sur la route de l’Oukaïmeden : à l’intérieur du sanctuaire les bergères agitent à cette occasion des outres remplies de lait pour en extraire des barattées de beurre ! Ce rite a lieu à l’évidence pour que les brebis produisent profusion  lait et  beurre : si cela ne relève pas de l’antique culte que rendent les pasteurs à « Baal », c’est quoi alors ?

Dans un article consacré au lac d’Ifni le géographe Jean Célérier écrit entre autres:

"Dominé et comme écrasé par la masse géante de l'Atlas qui, de trois côtés, l'enferme entre des murailles de 1500 à 1800 mètres, le site est étrange, et d'une grandeur sévère. Notre présence dans un tel lieu, le son même de la voix humaine rompant peut-être un eternel silence a quelque chose d'insolite. On pressent ici un lieu sacré, une source de légende."

C'est cette dernière phrase qui m'interesse dans un article par ailleurs fort technique sur les glaciations et les éboulis. Les légendes, j'ai pu m'en approcher l'été dernier. J'aurai tellement aimé approfondir le sujet à la prochaine saison des fêtes au Haut Atlas au mois d'août prochain Incha Allah!

Abdelkader MANA

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02:57 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : haut-atlas, poèsie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Le compositeur de la montagne

Ainsi parlait Andam Ou Adrar
Par Abdelkader Mana
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Prémices du printemps
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A toi ma mère bien aimée et inoubliable

Le samedi 13 février 2010, en une journée pluvieuse, je suis parti à l'aube au hameau de l'heureuse vallée de Tlit d'où est originaire ma mère, née Zahra Yahya. Mon intention était de photographier les amandiers en fleurs, mais le sol était jancher de pétales: ce matin - là, la pluie a fait perdre aux amandiers beaucoup de leur couronnes florales. A notre hameau d'enfance, il n'y a plus mes oncles maternels, et lalla notre maraine à tous a disparue à son tour, il y a une année, une eternité déjà. Alors j'ai quitté aussitôt notre hameau, après avoir photographier l'immense olivier sous lequel se reposait mon père, pour me rendre au mont Amsiten de notre enfance où j'ai pris ces photos sous la lumière et la pluie.Maintenant que ceux que nous aimons ont disparus, qu'est ce qui nous retient encore à ce beau pays où les amandiers perdent déjà leurs fleurs sous la pluie? Mon corps est mouillé mais mes yeux sont déséchées d'avoir perdu tous ceux que nous avons aimé. Maintenant qu'ils sont tous partis, qu'est ce qui nous retient encore à ce beau pays où les amandiers commencent déjà à perdre leurs pétales mauves et blanches sous la pluie?

 

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En quittant Essaouira à l'aube, je rencontre Abderrazaq, un ami d'enfance en campagnie de mon frère Si Mohamed, et je leur prend cette photo

« Le poète et la hotte sont semblables,

peronne n’en veut s’il n’y a pas de pluie

et donc de récolte. » Andam Ou Adrar

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Ce jour -là j'ai parcouru les sentiers rocailleux et lumineux du mont Amsiten


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Là où le minéral se mêle au végètal
C'est lorsque ma mère a atteint l'âge de cinq ans, que sa propre mère l'avait amené en ville à pied avec son frère. Leur mère était d'un grand courage et d'une grande endurance : on raconte que non seulement elle alimentait les maçons en eau, mais qu'elle participait également à leurs travaux. Au cours de ces corvées d'eau qu'elle effectuait de nuit, elle était souvent pistée, par des hyènes, sans pour autant qu'elle soit décontenancée le moins du monde. En cours de route vers Essaouira avec ses deux enfants ; elle transportait ma mère une centaine de mètres,la déposait à l'ombre d'un arganier, puis revenait sur ses pas pour faire de même pour son jeune frère.

Ma mère était arrivée à Essaouira à l'âge de cinq ans, vers 1933, c'est-à-dire en pleine période du Dahir Berbère  décret par lequel le Protectorat visait à promouvoir deux juridictions parallèles, le droit coutumier berbère d'un côté, et le  chraâ , ou juridiction musulmane de l'autre. Ce  qui unifia par réaction le nationalisme marocain naissant : dans toutes les mosquées du pays, on répéta le  Latif (prière dite quand la communauté musulmane est gravement mise en danger) : « Seigneur, aie pitié de nous, en ne nous séparant pas de nos frères berbères ! »

 

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Ma promenade solitaire au mont Amsiten

Le voilà lebeau poulain, Awa

Il est blanc, il est comme la lune, Awa

Il a sa selle et sa lanière,Awa

Mon regard est ravi par sa crinière, Awa

Le coup de foudre s’est emparé de moi, Awa

Si seulement je pouvais l’avoir, awa

Je le couvrirai de beaux bijoux, Awa

A l’aube, quand il sort, Awa

La brise le frappe et l’univers l’enchante, Awa

Celui qui l’aperçoit il faut qu’il pleure Awa

(« Awa », veut dire « ô toi » en berbère)

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Pour l'avoir eu sous les yeux depuis toujours; je connais cet arganier et je crois bien qu'il me connait: c'est mon arganier fétiche

Le pays hahî comprend en de nombreux endroits des arganiers sacrés gigantesques parce qu’ils ont toujours été épargnés par les coupes successives, ainsi que des tas de pierres sacrées dénommés  Karkour. Cela pouvait être le lieu où un saint ou une sainte  telle Lalla Aziza s’est arrêté au cours de son errance légendaire

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Musée Boujamaâ Lakhdar à une douzaine de kilomtres d'Essaouira sur la route d'Agadir

Lors de mon pèlerinage au Musée de Boujamaâ Lakhdar – placé sous le signe du faucon de Mogador – je me suis mis à l’ombre d’un immense arganier au feuillage luisant, et aux ramifications complexes. La veuve du « magicien de la terre » vint m’y rejoindre pour me raconter que les femmes du pays hahî se rendent en cortège chantant à cet arganier sacré, portant sur la tête des paniers remplis de coquillages, de semoule et de beurre. Une offrande dédiée à l’autel du dieu de la végétation pour qu’il éloigne des champs les nuées de moineaux dévastant les moissons.

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Musée Boujamaâ Lakhdar

De son vivant, ma mère se rendait en pèlerinage soit à Sidi – Yahya, sur la route d’Agadir, soit à Sidi Brahim Ou Aïssa[1], le saint qui mit fin, selon la légende, à la sucrerie saâdienne : il fit s’enrouler une vipère autour du cou du fils du sultan, et ne consentit à l’en délivrer, qu’une fois obtenu le départ de la soldatesque royale du bord de l’oued Ksob, où ils avaient décimé, sur ordre du sultan doré toutes les ruches, pour que les abeilles n’empêchent plus la trituration du sucre de canne. C’est de là que vient le nom de  l’oued Ksob (la rivière de canne). La culture de cette canne fut extrêmement florissante, notamment au bord de l’oued des Seksawa (Chichaoua en arabe), et de l’oued Sous, jusqu’à la mort de Moulay Ahmed El Mansour, le 25 août 1603. Les guerres civiles qui éclatèrent, entre ses fils, pour sa succession, ruinèrent les plantations.

 

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Cette photo m'a été prise par F.Damgaard en 1989
l'année du décès de Boujamaâ Lakhdar

[1] Le 14 mars 2009 je me suis rendu avec mon frère majid à sidi Brahim ou Aïssa : il s’agit d’un sanctuaire sans coupole qui contient en fait deux tombeaux : celui de Brahim et celui de Aïssa. L’un démesuremment grand et l’autre de taille moyenne. Il est entouré d’un muret à l’ombre d’ un olivier sauvage. Tout autour un cimetière probablement d’esclaves qui travaillaient dans la sucrerie saâdienne. Le site est situé sur une hauteur qui surplombe l’oued ksob au bord duquel était plantée la canne à sucre. Sur les lieux nous avons rencontré un noire qui fait partie de la zaouia de sidi Brahim Ou Aïssa située en contre bas. Il nous a raconté qu’il y a trente ans de cela, tous les Ganga du sud marocain, se retrouvaient là après les moissons pour une fête annuelle. Non loin de là on remarque un curieux arganier à parasol qui évoque la forme d’un accacia : son tronc est cloué au pilori par des centaines de clous, ce qui est certainement une tradition africaine. C’est un arganier sacré dédié à Lalla Mimouna, auquelle les Ganga sacrifient un bouc noir lors de leur fête estivale. La vallée est maintenant constellée de résidences secondaires appartenant à des européens et le sanctuaire est de moins en moins visité par les locaux : les ganga n’y organisent plus leur maârouf comme jadis. Comme les Gnaoua bilaliens s’était greffés sur Moulay Abdellah Ben Hsein de Tamesloht où ils organisent une fête annuelle durant les sept jours du mouloud, les Ganga de lalla Mimouna organisaient leur fête saisonnière autour du sanctuaire de Sidi Brahim Ou Aïssa.

 

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Le taxi me dépose et je prends cette photo de l'entrée de notre hameau

Les hameaux semblent déserts à première vue à cause de la chaleur accablante. En réalité à cause de l’exode rural massif : après leur mariage, tous les garçons de Fatima sont partis travailler à Agadir . Avec leurs enfants, ils font déjà de ma cousine, une grand-mère ! Et brusquement j’ai eu l’impression de ne plus être le jeune homme que je crois ; puisque ma cousine qui a mon âge est déjà grand-mère ! La fraction de tribu Tlit, ne se reproduit plus, ma prémonition d’il y a vingt ans lorsque j’écrivais un mémoire de sociologie rurale intitulé « la fraction de tribu Tlit est-elle une communauté en dissolution ? » - s’est enfin réalisée.La maison de mon oncle maternel,  est actuellement vide et pour cause : tout le monde est parti vivre à Casablanca : dans les bidonvilles d’où sont issus les jeunes camicases du 16 mai 2003.

Les déracinés qui s’exilent dans les périphéries de la métropole sont maintenant Livrés à eux-mêmes, sans les solidarités de jadis et sans les repères de leur tribu d’origine. « Les cadres sociaux de la mémoire » (Halbwachs) sont déboussolés par l’anomie. Déréglée par la misère du monde, l’horloge cosmique, ne scande plus la saison des fêtes. Les nouveaux déracinés ne vivent plus dans ce cadre enchanteur où, lors d’un mariage Haha, je relevais jadis cet échange entre deux lignages :

Le lignage qui reçoit la fille chante :

Nous prenons le chemin qui nous mène

A la maison de nos hôtes

Comme la vie sera facile

Si les gens sont généreux !

Ô gens de bien, accordez-nous votre fille

Car nos petits enfants sont restés seuls

Et nous avons encore un long chemin à refaire.

Et toi, tailleur, confectionne l’habit de la mariée

Et que Dieu lui accorde une vie heureuse !

Le lignage qui offre la fille répond :

C’est notre colombe sauvage que nous vous offrons

Et c’est pour qu’elle soit libre que nous ouvrons les portes

Mais que la mort et le châtiment lui soient épargnés !

La tige du blé, les oiseaux et l’hyène sont souvent utilisés comme métaphore poétiques dans les chants des moissonneurs :

Le jour de la moisson, la tige était sans graine

Et la jeune fille sans hymen

Les oiseaux n’ont laissé que la paille

Et au grand jour la jeune fille était proie de le hyène.

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J’ai voulu maintenant rendre visite à Fatima, la fille de mon oncle maternel qui a un peu près mon âge. Mais je me suis perdu en suivant le sentier qui mène à son hameau à la lisière du mont Amsiten. Pas âme qui vive pour m’aider à trouver mon chemin, et sous une chaleur accablante, je n’ose me mettre à l’ombre des arganiers de peur d’être victime de la morsure d’une vipère : comme au pays Seksawa, là aussi les médecins ont été obligés d’amputer un jeune homme de tout son bras, pour sauver le reste du corps, suite à une morsure d’une vipère qui s’est introduite de nuit dans l’amphore où l’on met le sel.

La belle bergère que j’ai connue est maintenant une femme ridée par le travail pénible en haute montagne, et son mari est complètement desséché à force d’aller chercher au mont Amsiten les ruches sauvages qui se cachent au creux des troncs de thuya et d’arganier. À la maison ils n’ont plus qu’une jeune fille de quinze ans. Je dis à Fatima que j’aurai aimé me marier avec une paysanne à condition qu’elle ait au moins la trentaine. Elle me répond qu’ici, les filles se marient très jeunes entre dix-sept et vingt ans : à trente ans elles ont déjà épuisé leur charme à force de labeur et d’enfantement.

 

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. Le hameau d'où est originaire ma mère et où l’on passait les vacances entre mont Tama et mont Amsiten, est maintenant électrifié : on y reçoit même les chaînes satellitaires... Mais il n’a plus le charme d’antan, quand mon père s’installait à l’ombre d’un gigantesque olivier et quand, non loin des moissonneurs, j’étais profondément bouleversé par la lecture d’Enfance et adolescence de Tolstoï ou  De grandes espérances de Dickens. Les villageois nous invitaient à tour de rôle, à commencer par le vieux Bazguerra qu’on surnommait alors « l’homme qui voulait être roi », en raison de sa barbiche blanche, sa bouche édentée et ses drôles de grivoiseries qui provoquaient notre fou rire par leur naïveté.
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Un bradiî (bâtier) juif, nous rendait alors visite sur son petit âne,et mon oncle l’installait sur une hssira (natte de jonc), à l’ombre de notre figuier préféré, lui offrait du thé et il se mettait à rafistoler les bâts éventrés d’où sortaient les touffes de pailles dorées.La récolte de l’arganier se faisait alors au prorata des ayants droit avec sacrifice de bouc et festin. Et le soir on assistait à de magnifiques fêtes de mariage avec chants de femmes aux caftans bariolés et fantasia
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L'olivier sous lequel se reposait mon père
Dans les sociétés paysannes, on n'avait pas besoin de l'horloge des villes parce qu'on n'était pas « pressé par le temps ». On ne produisait pas cette abstraction nommée « argent » mais les fruits de la terre-mère, au gré des saisons. Même l'argent est un « don » du ciel, une « offrande » Le temps, c'est-à-dire la vie, n'était pas nécessairement de l'argent, mais ce plaisir convivial que prenait mon père à faire sa sieste à l'ombre d'un olivier, pour régler son horloge biologique sur l'horloge cosmique.

Maintenant à Casablanca, nous avons déménagé, moi, ma sœur et ma fille, dans un nouvel appartement, et j'ai dû me rendre tout à l'heure dans l'ancien pour récupérer tous mes  documents : une fois dedans, je n'ai pu m'empêcher de sangloter comme un enfant : mon père et ma mère que je n'ose visiter au cimetière de Casablanca  parce que j'aurai aimé qu'ils soient enterrés sous l'olivier sauvage de Lalla Toufella Hsein, la sainte de la vallée heureuse de Tlit au pays hahî, entre le mont Amsiten et le mont Tama, où j'ai passé toutes les vacances de mon enfance et mon adolescence, au hameau de Tassila, aujourd'hui tombé en ruine et où ma grand-mère maternelle nous offrait le Balghou , à base de blé tendre, d'huile d'argan et de lait de chèvre...  semblent toujours présents dans ce lieu. Le musulman, me dit-on, ne choisit pas sa terre d'élection : il doit être enterré là où la mort l'a surpris. Car la terre entière est temple de Dieu.


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Ma mère était née en 1928, en pleine période de famine, et aurait quitté son pays natal au pays hahî à l'âge de cinq ans pour se rendre en compagnie de sa mère à Essaouira, en 1933. Sa grand-mère, originaire de la tribu des Semlala dans le Sous, était elle-même venue au pays hahî, lors d'une précédente famine qui avait frappé le Maroc à la fin du XIXe siècle. Dans un rapport rédigé à l'été 1878, le consul des Etats-Unis à Tanger  Felix Mathews, decrit de manière saisissante cette famine survenue en 1877 après trois années de mauvaises récoltes :

« Des centaines de femmes, d'enfants et d'hommes affamés se deversent à Mogador et à Safi. Bon nombre de campagnards meurent en chemin. Des squelettes vivants, des formes émaciées apparaissent dans les rues. La famine et la maladie, déjà terribles chez les pauvres, s'étendent. Avec l'automne et l'hiver, la detresse des gens va encore empirer.Le gouvernement ne fait absolument rien pour eux...alors que les silots regorgent de céréales. Les juifs sont un peu soulagés par leurs coreligionnaires. »

Il est vraiment paradoxal de voir ce pays agricole à la merci de la disette par suite de la moindre sécheresse, souffrir de la faim devant une mer qui compte parmi les plus riches de l'Atlantique...

C'est  Lalla, l'aînée des filles de Yahya qui partit la première avec sa mère  rejoindre, au début de la famine de 1926, son oncle maternel qui était policier à Essaouira au début du Protectorat français sur le Maroc. Affaiblies par la famine, elles ont effectué le trajet en vingt-quatre heures  plus exactement de deux heures du matin, pour éviter l'insolation et la soif, à vingt-trois heures,  au lieu d'une demi-journée en temps normal. Pour avancer,  Lalla s'accrochait à la queue de l'âne qui transportait sa grand-mère, se nourrissant en cours de route, des racines d'une plante grasse dénommée  Guernina , et croisant de nombreuses caravanes, transportant vers Essaouira du charbon de bois d'arganier, cette coupe est l'une des causes de la diminution de cette espèce d'arbre unique au monde , des amendes et de la gomme de sardanaque.

C'étaient les dernières caravanes qui reliaient Mogador à son arrière-pays et à Tombouctou, avant qu'Agadir au Sud et Casablanca au Nord ne supplantent la ville des Gnaoua en tant que principal port du Maroc. Avec la découverte de la machine à vapeur, l'Europe était désormais directement reliée par voix maritime au Sahara et à la boucle du Niger sans avoir à passer par l'ancien « port de Tombouctou », qu'était Mogador.

En cours de route, la jeune fille et sa grand-mère, croisaient aussi, mais plus rarement les « boutefeux » (ces autocars qui fonctionnaient au charbon, et qui transportaient les voyageurs sur leur toit). Une fois la ville en vue, elle devait leur paraître « comme un panier d'œufs au bord d'un lac bleu » comme disait la chanson berbère :

Veux-tu bien que nous ajustions

Son axe au moulin,

Pour moudre en commun

Ton grain et le mien ?

Veux-tu bien qu'en un seul troupeau

Nous mêlions nos ouailles aux tiennes ?

Mais gardes-toi bien

D'y mettre un chacal !

Comment donc, de la plaine,

Surgirait Mogador,

Comment pourrait-on

Haïr qui l'on aime ?



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Notre grand-mère Tahemoute, décédée à Essaouira l'été de 1978, était restée très attachée à Sidi Hmad Ou Moussa, le saint patron des acrobates et des troubadours chleuhs, près duquel elle se rendait annuellement en pèlerinage après la rentrée des moissons. L'un des derniers moments les plus poignants que j'ai vécu auprès d'elle, concerne le décès de son frère Hmad : un homme paisible à l'imposante barbe blanche, qui vivait dans l'un des hameaux surplombant l'heureuse vallée de Tlit, depuis les escarpements rocailleux du mont Tama. Il n'avait pas d'enfants et vivait avec ceux de son frère Lahcen : une famille profondément religieuse, également issue de la tribu des Semlala, aux environs de la Maison d'Illigh dans le Sous.

Il avait les jambes enflées, au point d'avoir des difficultés à se mouvoir et était venu avec grand-mère, pour se soigner à Essaouira . À l'hôpital, on fit comprendre à grand-mère que la médecine ne pouvait plus rien pour son frère. On décida alors de le ramener chez lui au pays hahî. On se réveilla aux premières lueurs de l'aube. Mon père fit venir un taxi collectif, juste à côté de chez nous, à l'artère principale des  khoddara, les marchands des fruits et légumes, d'où sort le lancinant grésillement des grillons, à cette heure matinale. Les grillons nous ont toujours accompagnés dans nos voyages de l'aube, et nous retrouvons leur grésillement dans les arganiers au plus fort de la canicule.

Nous épaulâmes mon père et moi « Khali Hmad » (qui est en réalité l'oncle maternel de ma mère), et l'accompagnâmes à petits pas jusqu'au taxi où il s'engouffra auprès de sa sœur sur la banquette arrière. Je pris place auprès du chauffeur, et nous partîmes. À peine le taxi avait-il quitté la médina, au moment de s'approvisionner en carburant à la sortie de la ville, que  grand-mère éplorée se met à m'adresser de grands signes désespérés : en me retournant, je voyais  Khali Hmad, déversant sur ses genoux un long filet de sang qui lui coulait de la bouche. Le brave homme que j'ai tant aimé et respecté était en train de rendre son dernier soupir sur les genoux de sa sœur au sortir de l'aube et de la ville ! Affolé, le chauffeur, voulait rebrousser chemin. Mais Je lui ai intimé l'ordre de continuer vers notre destinée, car c'est là où il était né qu'il devait reposer pour toujours. Il nous dit d'abord que la loi lui interdisait de transporter les morts, mais ayant pitié de moi et de ma grand-mère, il consentit finalement à nous conduire à notre vallée, où khali Hmad fut finalement inhumé parmi les siens, entre le mont Tama et le mont Amsiten, là où les constellations semblent si proches, qu'on peut adresser ses prières, sans intercesseurs, au Seigneur des Mondes.

Alors que sous un ciel gris, les paysans enterraient khali Hmad au milieu des broussailles, de l'heureuse vallée qui l'avait vu naître, j'adressais des suppliques au mont Tama où les amandiers en fleurs ont l'air d'être couverts de flacons de neige. Mes larmes sont d'autant plus amères, qu'il me faisait penser par sa longue barbe blanche à la mort de Léon Tolstoï dans une simple gare. J'étais alors profondément bouleversé par la lecture de  La sonate à Kreutzer relatant, le destin tragique de l'homme, face à la vieillesse et sa profonde solitude face à la mort. Pour moi, le vieux paysan ayant rendu l'âme dans les bras de sa sœur mystique, personnifiait le brave  moujik d'Isnaïa - Poliana. Alors que les paysans retrouvaient leurs charrues, je continuais à adresser mes suppliques aux montagnes sacrées, en me disant, non pas qu'est-ce que la mort ? Mais pourquoi cette mort en particulier, me faisait tellement penser à celle de l'auteur de  Résurrection ?

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L'amandier sous lequuel nous attendions à l'aube d'un vendredile transport qui nous conduirait moi , mon père et mon oncle maternel à Aït Daoud, le souk du miel;sous la voie lacté, ils ont parlé de métaphysique: c'était la dernière fois que je les verrais ensemble

Après la mort de ma mère, je me suis rendu en pèlerinage à Sidi Brahim Ou Aïssa, pour apaiser mon deuil. À peine ai-je franchi le seuil de son sanctuaire, où je fus reçu par une descendante des anciens esclaves de la sucrerie saâdienne, que je fus brusquement plongé dans l’univers de ma petite enfance : je me voyais ici même jouant en petite culotte avec l’agneau destiné au sacrifice, et j’entendis ma mère disant à la tenancière des lieux, qu’il fallait me flageller aux gerbes de genet, pour me communiquer leur énergie vitale, et surtout pour me délivrer de la  jaâra, cette manie de bagarreur communiquée par les esprits malfaisants, et qui me poussait à fuir l’école coranique, pour aller écouter mon conteur préféré, entre les deux vieux cimetières de Bab – Marrakech. En un éclair, le saint protecteur m’a rendu ma mère du temps de sa jeunesse, du temps où elle pouvait voir le monde de ses propres yeux : comme si Sidi Brahim Ou Aïssa, lui avait brusquement restitué l’énergie vitale et la lumière des yeux qu’elle avait perdus à la fin de sa vie. J’ai cru même l’entendre dire, avec la voix qu’elle avait, il y a quarante ans : « Il faut communiquer à mon fils, les énergies bénéfiques des genets fleuris ! ».

Chez les Regraga aussi, j'avais rencontré sur la plage sauvage de Bhay - Bah, la légende selon laquelle, après avoir ordonné de faire descendre la table servie, Jésus aurait ordonné aux aveugles de voir à nouveau, et aux paralytiques de marcher à nouveau. J'ai alors pleuré face au ciel au sein de ce sanctuaire, parce que brusquement j'avais la certitude que ma mère pouvait à nouveau voir et se mouvoir par elle-même !

 

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Après la fine pluie du matin, voici le chant du coq, le gazouillement des oiseaux, la lumière du jour et les champs verdoyants. Des milliers de gouttelettes de rosée perlent dans les enclos. Deux huppes sautillent au bord du chemin. Au milieu des arganiers mauves, un amandier en fleurs. Un très bel arganier au tronc noueux et à la forme de champignon. C'est l'arganier sacré des Ida Ou Isarn visité chaque jeudi par les femmes, qui y plantent des clous et y nouent des tissus. Elles disent que l'arganier les guérit des maladies de la peau. Et un jeune paysan de me faire remarquer qu'il y a par ici un caroubier sacré qu'on appelle  taregraguet» (la Regraguia en berbère). Après l'arganier mauve, l'amandier couvert de « flocons de neige ».
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Vestiges du Maroc préislamique, beaucoup de saints sont dénommés soit Aïssa (Jésus) – comme Sidi Brahim Ou Aïssa (Abraham et Jésus) de l’oued Ksob vénéré par ma mère – soit Yahya (saint jean- Baptiste), probablement en souvenir du passé chrétien du Maroc : la tribu des Haha dont est issue ma mère s’appelle justement  Ida Ou Isarne , c’est-à-dire, les  descendants des Nazaréens, c’est-à-dire les adeptes des apôtres de Jésus, exactement comme leurs voisins du Nord de l’oued Ksob, la tribu berbère des Regraga qui crurent d’abord au Paraclet qui leur annonça au bord de la saline de Zima l’avènement du sceau des Prophètes : Mohammed.;

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Je me souviens d'un jour d'été où khali H'mad mon oncle maternel, en marge de l'aire à battre, nous démontrait l'heure qu'il est en mesurant sa propre ombre par le nombre de ses pieds mis bous à bout. On retrouve là le principe du cadran solaire, qui servait aussi à fixer les heures de prière, le seul moment de la vie sociale où la ponctualité est requise : partout ailleurs, on trouve mille et une excuses, pour battre en brèche la ponctualité.
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Le mont Tama sous le brouillard

À propos de ces prosélytes Regraga, hommes de Dieu, faiseurs de pluie Jacques Berque note : « Dans le Sud marocain, les Regraga font « la soudure », si j’ose dire, entre deux cycles prophétiques : celui de Jésus et celui de Mahomet. Disciples du premier, Hawâriyyûn, ils sont comme les baptistes du second, qu’ils annoncent, et qu’ils vont trouver dés le début de sa mission. Leur personnalité oscille entre une qualification confrérique et une qualification ethnique. »

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L'un des rares arganiers d'Amsiten, montagne couverte essentiellement de thuya

 

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Le thuya est le principal arbre du mont Amsiten
Jadis la gomme de sardanaque ("lagracha" en arabe, "tifizza" en berbère) était prélevée sur le thuya de l'arrière-pays, un arbre au bois précieux pour les marqueteurs d'Essaouira, qui est malheureusement décimé par la coupe au charbon avant qu'il ne donne des madriers de taille utilisable par la marqueterie locale.

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Depuis les basses terrasses on jetait alors des poignées d’amandes et de friandises sur la promise. Portée derrière un parent, sur un mulet, « empaquetée », tel un pain de sucre, dans un haïk blans, le front ceint de basilic, elle quittait définitivement le hameau où elle était née pour celui de son épous.. Les larmes de la séparation, se mêlaient toujours à la joie de la fête, le deuil d’une mort symbolique était toujours suivi de re-naissance.

 

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Malgré ses rides et sa peau tannée par le soleil et les travaux des champs, Fatima garde encore des traces de son charme d’antan. De cet hiver déjà si lointain où j’étais allé la chercher avec mon frère au mont Amsiten où elle gardait son troupeau, lorsque brusquement une pluie diluvienne nous surprit. Son père qui coupait le bois de l’autre côté de la montagne nous cria de rentrer immédiatement dans la vallée. C’était le temps où elle m’apprenait le nom que donnaient les bergers aux plantes sauvages de la montagne : Amzough n’tili(oreille de brebi), ou encore oudi ouchen(beurre ronce du loup). Le temps où le bruit courait encore à propos d’égorgement de brebis égarées par les loups.

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Nous arrivâmes trempés jusqu’à l’os au hameau des Broud (les rafraîchis) à la sortie de la forêt où nous fûmes accueillis au coin du feu par Lalla Baytoucha qui me rappelait, par son nom comme par son allure, la vieille ogresse des contes de mon enfance. Quand on caressait les boucs, leur colonne vertébrale se pliait tellement ils étaient transis de froids.Beaucoup plus tard, mon frère m’apprendra qu’en ce lointain jour d’hiver, où le soir est vite tombé, avec le crépitement des flammes, l’odeur du troupeau et de la terre, une poésie à jamais perdue, il avait surpris Lalla Baytoucha faisant une drôle de prière païenne : faute de connaître les sourates du Coran, elle adressait bruyamment ses prières aux arbres et aux pierres !


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à mi-parcours de la montagne, le point d'eau("tifart" en berbère, "daya" en arabe) où les bergers viennent abreuver leur troupeau mais où viennent se désaltérer aussi perdraux et  sangliers

Assis sur la margelle d’une citerne, un gamin refuse de laisser les gens y puiser. C’est le signe que cette région a été l’une des plus éprouvées par la sécheresse. « Cette année la moisson est mauvaise ! », s’écrie un fellah. En effet, la moisson s’annoce maigre et des hameaux délaissés tombent en ruine : leurs occupants ont fui vers les villes. Qui peut témoigner de la souffrance des fellah durant les dernières années de sécheresse ? Bien sûr, il y a les statestiques, mais aucun témoignage vivant sur ce qu’ils ont enduré dans le silence et la solitude

l'heureuse valée de Tlit vue d'en haut du mont Amsiten

 

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Nous laissâmes donc à Amsitten, notre oncle maternel Mohammad. C'est là qu'il mourra d'ailleurs des années plus tard, plus exactement en 1984 : il était monté chercher son taureau noir  on laissait s'engraisser ses bovins en haute montagne dans la solitude complète avant de monter les ramener vers la vallée. Mohammad a probablement voulu forcer le taureau à suivre un raccourci en le frappant au flanc. Le taureau qui refusa, se retourna alors contre mon oncle et se mit à lui enfoncer la poitrine par ses puissantes cornes. Lorsqu'à la tombée de la nuit les paysans inquiets montèrent avec leurs lampes chercher mon oncle, c'est le taureau lui-même qui les avertit par ses beuglements du lieu du drame : il était resté à côté de son maître et victime. On a dû porter le corps de mon oncle dans un burnous : il expira en arrivant à l'hôpital d'Essaouira. Il fut enterré sous les mimosas à l'entrée de la ville, sans que je sache à ce jour où se trouve sa tombe : les humains ont moins d'égard pour les dépouilles des morts que les taureaux noirs. Mon oncle maternel est mort au moment où j'avais pris mon bâton de pèlerin pour suivre pour la première fois, les Regraga dans leurs pérégrinations, en mars 1984. Grand-mère disait que le cours de la vie débouche aussi sûrement sur l'au-delà, que le fleuve se jette dans la mer.

 

 

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Abdelkader MANA

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CIMG0915.JPGL'auteur à la veille de son équipée solitaire au mont Amsiten (février 2010)

 

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02:52 Écrit par elhajthami dans le pays Haha, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : haut-atlas, poèsie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Chants de trouveurs

Chants de trouveur chleuh

Poésie traduite du berbère par Abdelkader Mana assisté de Raja Mohamed

CHANT PREMIER

Eloge à mon Rebab du Raïs Aïsar

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Le violoniste aveugle de Roman Lazarev

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

Le banjo et le luth t’ont privé de ton sel

Ta déchéance retombe finalement sur moi

A force de t’accompagner aux  fêtes champêtres:

Je n’ai pu être parmi les miens ne serais-ce qu’une semaine

Seigneur ! Sauvez la langue tachelhit de son état déplorable !

Où sont passés ceux avec qui, j’ai la parole en partage ?

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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Puit de Roman Lazarev

Je suis le parieur qui ne perd jamais

Si le sommeil vient à nous manquer

On peut toujours récupérer

Et si je meurs, c’est cette parole que je vous lègue

Je la transcris dans les livres

S’il y a quelqu’un pour la lire

S’il n’existe pas aujourd’hui

Il existera demain

Celui qui la lira priera pour ma miséricorde

Il saura alors quels effrois m'ont fait périr

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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Naufrage de Roman Lazarev

Seigneur ! Venez au secours de ma pauvre pirogue

Car nous ne saurons nager,

Au milieu de la houle qui s’avance  à vive allure

Et des eaux agitées

Si nos mains et nos pieds en viennent à geler

De quel secours pouvons-nous, nous prévaloir,

Avant que les poissons ne nous dévorent?

Dieu seul voit clairement en ces profondeurs insondables

Mon Dieu venez donc au secours de cet orphelin

Car la mère qui prodiguait consolations n’est plus

C’est désormais à toi seul qu’il s’en remet.

Je te dépose ô Ribab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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Vagues géantes de Roman Lazarev
Les biens de ce bas-monde

Je ne les emporterai pas dans ma tombe

Les livres et les érudits nous disent :

Quand le chant n’a plus de sel

Nul chemin ne mène aux biens d’autrui

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

C’est de ce passé où nous avions la parole en partage

Que je te parle

Du temps ou haine et jalousie

N’avez pas encore lieu d’être

Quant au jour d’aujourd’hui

Le monde n’est plus que louvoiement et turpitude

Personne n’aime plus personne

Celui qui a une voiture en veut deux

Et celui qui n’a rien est laissé à sa propre misère

Comment pourrait-il avoir femme et enfant

Celui qui ne possède qu’un pauvre pécule ?

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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L'homme au burnous de Roman Lazarev

La vie chère s'est métamorphosée en faucille qui fauche

N’ayant ni de quoi vendre ni de quoi acheter

Le jour du souk il tremble et se lamente

Mohammad réclame, Kaltoum aussi

Lui veut une djellaba, elle une toge de laine

Pauvre Mohamed qui ne fait que pleurer !

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

Mais voici donc une réjouissante trouvaille

A toutes les portes nous avons frappé

Au point d’en être lassés

En vain avons – nous labouré la terre

Le démunis finira toujours par périr de son indigeance

Or par les temps troublés qui court

Plus nombreux sont les démunis

Plus lourds les quintaux de dette qu'ils portent sur leurs frêles épaules

Plus chère est la vie .

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

Tout le monde se presse au milieu des chemins,

Mais l’au-delà n’est guère lointain

La foule accourt, qui sur un cheval  porté par le vent

Comment le pauvre trottinant peut - il l'atteindre?

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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Le cheval dans le vent de Roman Lazarev

J’implore le bon Dieu, seul digne de mes suppliques

Celui qui endure  sans gémir mérite nos égards

Celui qui dans l' adversité est encore en mesure de marcher et de parler

Mérite notre considération

Le bon Dieu m' a ravit mon père et ma mère

Moi, il n’y a qu’une souffrance qui me fasse pleurer

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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Le souk de Roman Lazarev

Voilà  un tas de gens qui se liguent tous contre moi à mon insu

A chaque fois que je croise l’un d’entre eux, il me dit :

« Frère ! Vends ta parcelle de terre ; elle ne sert plus à rien ! »

C’est qu’ils ne veulent plus que je sois propriétaire de ma propre terre !

Que je la laboure pour vivre et pour y élever mes enfants!

Ce n’est pas prendre soins de moi qui les pousse à agir ainsi :

La jalousie est leur vrai mobile !

L’un d’entre eux ne cesse de répéter à son fils :

« C'est cette parcelle qui te convient : occupes- toi s'en !

Entoures-là d’enclos d’épines avant que d’autres ne s’en emparent !»

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

 

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Roman Lazarev


Toutefois, je vais ajouter un mot :

Louange à Dieu seul qui nous a donné tous ces biens

Que peuvent contre nous ceux qui ne nous aiment pas ?

Quand le bon Dieu vous élève, personne ne peut vous rabaisser !

Et quand le bon Dieu  vous rabaisse, personne ne peut vous élever !

Que l’orgueil vous quitte

Car celui qui est orgueilleux, rien ne peut éviter sa perte;

Ni tour fortifiée, ni tout l’argent du monde .

L’être ne peut être châtié que par Dieu ; ses semblables ne peuvent rien contre lui.

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

 

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Roman Lazarev

 



CHANT DEUXIEME

Ohoy ! Ohoy ! du Raïs Aïsar

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El Atrach

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

Ohoy ! Ohoy !C'est de moi-même que je vous parle

Ohoy ! Ohoy !Ô Vous qui comprenez !

Ohoy ! Ohoy !Pourquoi jeter les mots blessants qui nous séparent ?

Ohoy ! Ohoy !Je ne t'ai pas pourtant dédaigné ni dit de s'éloigner

Ohoy ! Ohoy !Ne t'avais - je pas plutôt invité mille fois à revenir ?

Ohoy ! Ohoy !Mais à chaque  fois ta réponse fut :

Ohoy ! Ohoy !« Je me sens oppressée, tu ne me reverra plus jamais ! »

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !


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El Atrach

Ohoy ! Ohoy !De ne pouvoir se passer de toi, mon cœur se brise

Ohoy ! Ohoy !C'est jusqu'à l'aube que je pleure

Ohoy ! Ohoy !Ne sachant plus où s'en aller

Ohoy ! Ohoy !Au point d'en perdre raison

Ohoy ! Ohoy !Demandant à quiconque je rencontre

Ohoy ! Ohoy !S'il ne t'avais pas vu par hasard ?

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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Mohamed Tabal

Ohoy ! Ohoy !Celui pour qui je pleure

Ohoy ! Ohoy !Est la cause de mes malheurs

Ohoy ! Ohoy !C'est jusqu'à l'aube que je pleure

Ohoy ! Ohoy !Ta séparation désolante

Ohoy ! Ohoy !Je ne t'ai pourtant jamais trahi

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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Ounagha d'El Atrach

Ohoy ! Ohoy !Que celui pour qui l'amour n'est pas trahison

Ohoy ! Ohoy !En soit possédé, décharné, désossé !

Ohoy ! Ohoy !Si vous saviez avec quelle patience

Ohoy ! Ohoy !J'ai supporté tout ce qui m'arrive !

Ohoy ! Ohoy !Quand je m'endorme Satan me dit :

Ohoy ! Ohoy !« Regarde, elle est là ta bien aimée ! »

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

Ohoy ! Ohoy !Je quittais mon gîte nu de toute couverture

Ohoy ! Ohoy !Et je m'en allais errant aux lieux inhabités

Ohoy ! Ohoy !Au point d'en perdre la boussole

Ohoy ! Ohoy !Demandant à quiconque que je rencontrais

Ohoy ! Ohoy !S'il n'aurait pas vu mon bien aimé

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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Satan d'Ali Maïmoune

Ohoy ! Ohoy !Pourquoi souhaiter ma souffrance ?

Ohoy ! Ohoy !Pourquoi souhaiter notre séparation ?

Ohoy ! Ohoy !Ce que j'ai ouïe dire en ces temps - ci !

Ohoy ! Ohoy !Ce que j'ai vu de mes propres yeux en ces temps - ci !

Ohoy ! Ohoy !Mais que faire de l'amour, s'il n'est qu'humiliation ?

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !


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Les larmes de Tabal

Ohoy ! Ohoy !S'il a fallu que tu m'abandonne

Ohoy ! Ohoy !J'errerai toujours sur tes traces

Ohoy ! Ohoy !Si tu es prête à me croire

Ohoy ! Ohoy !Je te prêterais serment par Allah

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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Couleurs négro-berbères de Tabal

Ohoy ! Ohoy !Je me consume de ton amour

Ohoy ! Ohoy !Comme si je me suis jeté au brasier

Ohoy ! Ohoy !Je m'effiloche de ton absence

Ohoy ! Ohoy !Je me noie dans tes larmes jusqu'à l'aube

Ohoy ! Ohoy !Pourrais-tu enfin me dire ce qui m'arrive ?

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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La pomme qui a sorti Eve du paradis de Tabal

Ohoy ! Ohoy !C'est en toi que j'ai labouré mes suppliques

Ohoy ! Ohoy !Sans jamais en récolter le fruit d'amour

Ohoy ! Ohoy !Dis-moi donc au nom de Dieu

Ohoy ! Ohoy !Si jamais je te suis indigne

Ohoy ! Ohoy !Pour qu'enfin je disparaîsse!

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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Tabal

 

02:49 Écrit par elhajthami dans le pays Haha, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poèsie, haut-atlas | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook