28/09/2010
La porte du Sahara
Tariq Lamtouna : la voie des Almoravides
Au milieu de paysages dénudés qui annoncent déjà le désert, des oasis sporadiques émergent ça et là, comme dernier refuge d’une culture qu’irriguent de multiples courts d’eau descendant des derniers contreforts de l’anti – atlas pour former le fameux oued Noun qui donne son nom à tout ce Maroc présaharien. Au-delà de l’anti-atlas , s’étend une vaste zone semi – désertique où voisinent les montagnes et les oasis . C’est le Maroc saharien. Quelques greniers collectifs comme ceux d’Imtdi , fraction des Aït Harbile, reflètent la vieille tradition villageoise du Sous extrême. Ce sont des greniers à caractère de citadelles imprenables construites souvent sur un éperon rocheux. Ces Agadirs inaccessibles servent de magasins pour des tribus semi – pastorales. Ils se dressent encore émouvants à chaque piton rocheux du Bani dont la chaîne étroite et vive comme un arrêt, veille le long du désert.
Grenier collectif d'IMTDI, fraction de la tribu des Aït Harbile
C’était un rempart naturel , au lieu même où deux mondes se rencontrent ; celui des nomades avec les sédentaires. Les oasis du Noun et du Bani , constituent la limite et la frontière du pays des sédentaires et des nomades.Mais aussi le lieu de rencontres et d'échanges, comme en témoigne Brahim Assaka chez les Aït Harbile:
Mahfoud Amangar et Brahim Assaka chez les Aït Harbile
"Nos aïeuls allaient à Tindouf. Ils y vendaient sel et dromadaires. Ceux de là bas venaient pour acheter nos céréales et nos ovins. Mes parents que Dieu ait leur âme allaient au moussem de Tindouf. Le trajet nécessitait une dizaine de jours environ. Moi-même je me suis rendu à Tindouf, en 1968, 1969, 1970. On amenait nos légumes à ce moussem d'où on ramenait dromadaires, tissus et quincailleries. On y vendait, on y achetait. Tout allait bien. Le moussem de Tindouf avait lieu le mois de mai. Les gens s'y rendaient pour en ramener des marchandises. Il passaient par Assa, Zag et puis Tindouf.".
Amhirich au sud de Goulimine, le principal souk régional de l'oued Noun
Amhirich au sud de Goulimine, est le principal souk régional nous assure Mahfoud Amangar de cette même tribu des Aït Harbil :« Les gens du Sahara s’y rendent ainsi que ceux de Mauritanie et du Mali. On y vient de Dakhla, de Smara et de Laâyoune. Ceux de l’intérieur s’y rendent aussi , d’Agadir et des Doukkala ».
Vestiges de Noul Lamta, l'Almoravide au Sud de Guelimine
Lorsque la ville de Noul Lamta l’Almoravide s’effondra au 12ème siècle sous les coups des Almohades, c’est Tagaost, qui existe encore sous le nom de Ksabi qui allait jouer un rôle important dans le commerce transsaharien . Léon l’ Africain qui séjourna treize jours dans cette ville en 1513 pour y acheter des femmes esclaves la décrit en ces termes :
La danse de la Gadra, ou "Rguiss" est spécifique à l’oued Noun. La gadra , en tant que marmite est aussi un instrument de percussion. C’est à l’origine un simple ustensile de cuisson qu’on a métamorphosé en instrument de percussion. La Gadra est donc en rapport, avec le feu sacré en tant qu'élément fondamental de la vie célébré ici par un rite : ces chanteuses qui « réchauffent » qu’on appelle hammayâtes, et ces chanteurs qu’on assimile au feu, appelé « Nar ». La danse elle- même est circulaire et donc solaire.
En allant de Sijilmassa à Wallata , Ibn Battouta s’y est arrêté au mois de mars 1352. Selon le célèbre globe trotter tangérois :
«Les dalles de sel gemme extraites par les esclaves du Massoufite tributaires de l’Empire du Mali sont transportées au Soudan. La nourriture des mineurs vient à la fois du sud Marocain, les dattes et du Soudan, le mile. »
Ibn Battouta nous montre les Massoufite ancêtres des hommes bleus associés à la vie du Mali. Il n’est donc pas étonnant que certaines musiques soudanaises soient à la fois appréciées au Soudan et au Sahara. Si bien qu’aujourd’hui, la musique au Sahara semble composée d’un ensemble d’éléments négro-berbères tardivement arabisés.
Géographie humaine! Dans cette région cohabite l'ahouach Berbère des Aït Harbil
le Tarab Hassani des Aït Oussa et les Ganga de l'oued Noun!
"Azawane", L'orchestre des Aït Oussa en pays Tekna
La guitare électrique a remplacé la tidinit des griots de jadis
Ce paysage austère et pluvieux revêt des allures poétiques pour l'épilogue d'un chant nomade :
Nos gîtes de campagne,
Sont dressés là - même où sont nos racines Sur cette étendue désertique frappée d'éclaires. Doux rêve d'hiver, sous la fine pluie et sous la tente Parfum d'herbes sèches, s'évaporant du milieu des oueds. Lointaines rumeur des bêtes sauvages. Cérémonial de thé, entre complices de l'aube. Crépitement de flammes consumant des brindilles desséchées Et avec le jour d'hiver qui point Chaque amant rejoint la tente des siens. Vision du désert comme centre de rayonnement mystique et comme source d'inspiration Les Ganga de l’Oued Noun
Les ganga de l'oued Noun, rappellent le temps où la kasbah du cheikh Bayrouk, était l'aboutissement des caravanes, en provenance d'Afrique. Lieu d'échange, l'oued Noun est aussi un carrefour culturel où on retrouve l'ahouach berbère de l'anti - Atlas, celui des Aït Harbile et des Aït Baâmrane, les rythmes africains Ganga, ainsi que la Gadra de l'oued Noun mêlée au tbal et au chant Hassani..
Les gangas de Guelmim (la porte du Sahara)se distinguent par un répertoire à forte influence bédouine notamment à travers le dhikr et le madih à forte connotation mystique. Dans leur chant on invoque la beauté de l’esclave m’birika (sobriquet qu’on lui donnait par référence à son maître le cheikh Bayrouk de l’Oued Noun) femmes que ramenaient les caravanes du Soudan :
Comme les filles du Soudan sont belles !
M’birika ô ma belle, on t’a amené du Soudan
On n’était pas fatigués et tu n’étais pas épuisée
M’birika ô ma belle,quand on t’a amené du Soudan
En reliant St Louis au Sénégal à Mogador vers 1850, Léopold Panet, le premier explorateur du Sahara, décrit sa rencontre avec le cheïkh Bayrouk pendant son séjour à Noun, où il avait assiste à une fête d'accueil d'une caravane en provenance de Tombouctou :
« Pendant mon séjour à Noun, j'y fut témoins d'une fête magnifique. C'était le 12 mai ; la veille, on savait qu'une grande caravane revenant de Tombouctou devait arriver le lendemain, parce qu'elle avait envoyé faire louer des tam-tams pour fêter sa rentrée. Dés sept heure du matin, les femmes des marchands arabes, qui composaient cette caravane, étaient parées de tout ce qu'elles avaient de beau en habis et en bijoux, et le tam-tam, dont le bruit assourdissant se répétait au loin, avait attiré autour d'elles une foule des deux sexes...Ceux au-devant de qui elles allaient, paraissaient à l'autre extrêmité de la plaine, laissant derrière eux leurs chameaux chargés et deux cent esclaves appartenant aux deux sexes. Le tam-tam résonna avec fracas, les drapeaux voltigèrent en l'air, les chevaux se cabrèrent de part et d'autre...La troupe forme deux haies qui reçoivent entre elles les chameaux chargés et les esclaves déguenillés, souvent nus. Les hommes continuent leur évolution guerrière avec le même enthousiasme, mais il y a moins de charme, moins de mélodie dans les chants naguère si harmonieux des femmes : elles ont tourné leur attention vers les esclaves et déjà chacune d'elles y a fait son choix. »Les maîtres de ces lieux de rassemblement de convois caravaniers, disposaient dans leurs citadelles de nombreux esclaves issus du commerce transsaharien. Les Noirs qui vivent aujourd'hui autour de ces vestiges du passé y célèbrent encore leur fête annuelle.
Le moussem annuel de ces ganga de l’oued Noun a lieu au mois de juillet à Guelmim : à la rahba (marché au grains) de Sidi H’sein où on vendait jadis les esclaves. Participaient à ce moussem annuel les gangas d’Asrir, de Tighmert, de la kasbah des Aït Baâmrane et du ksabi, lieu dit qui se trouve à l’emplacement de l’antique Tagaost.
Lieu de rencontre entre sédentaires et nomades, Guelmim, la porte du Sahara est la parfaite illustration de ce métissage culturel permanent à l’œuvre depuis des siècles dans tout le Sahara. Cela est clairement visible chez les ganga de l’oued Noun où l’on joue à la fois du tambour africain, le tambourin berbère tout en chantant en langue hassani. Ces ganga de l’oued Noun se différencient de ceux qui vivent en milieux berbère, par le fait qu’ils adoptent l’idiome et le mode de vie nomade. Certains de ces ganga travaillent comme bergers chez les chameliers et portent tous la tunique bleue typique aux nomades. La plupart des ganga du borj Bayrouk font partie de la troupe de la guedra de Guelimim qui pratique la danse du rguiss sur des airs de musique et de poésie hassani se disent originaires de Tombouctou. Ce qui prouve que le Sahara n’a jamais été une frontière infranchissable, mais bien au contraire, le lieu où s’est opéré le métissage biologique et culturel entre la négritude et la civilisation arabo – berbère.
Au Sahara existe deux types de flûtes : la flûte oblique du pays Tekna qu’on appelle zozaya et la flûte traversière de la seguiet el hamra , qu’on appelle nifara. La longue flûte oblique du berger saharien qu’on appelle zozaya est confectionnée à partir de la racine d’acacias dont on ne garde que l’écorce. Elle est ensuite recouverte de la trachée artère du bélier puis peinte de couleur écarlate. Cela permet d’un côté de donner des sons graves et mélancoliques à la flûte et d’un autre de consolider l’instrument. A Guelmim, la flûte porte deux noms : zozaya mais également tihihite pour souligner sa parenté avec la flûte enchantée du pays Haha. La nifara est la flûte du berger saharien par excellence. Cette flûte traversière est typique au chant Hassan de la seguiet el hamra.
Il est à remarquer que contrairement à la danse de la Guedra de l’oued Noun où la danseuse est tout le temps agenouillée balançant le buste et la chevelure, à la seguiet el hamra, les danseurs sont debout : le seul point commun entre les deux danses est la gestuelle des mains et des doigts. Cette danse dénommée r’guiss fait tellement partie de l’art de vivre saharien qu’il existe même une localité perdue dans le désert qui s’appelle tout simplement r’guiss, mot qui désigne la danse en dialecte Hassan.
Le Tbal (grosse timbale) est l’autre point commun entre le pays Tekna au nord et la seguiet el hamra au sud. Le tbal était d’abord voué au madih , louanges, dus au chef de la tribu. Il est aussi présent à toutes les fêtes. Au point que le mot tbal a fini par désigner non seulement l’instrument lui-même mais aussi les festivités qui se déroulent tout autour.Instrument de percussion fondamental auquel on recourt partout au Sahara. Cette grosse timbale , dont jouent essentiellement les femmes est un instrument semi sphérique pouvant atteindre un mètre de diamètre. Jadis, cet instrument appartenait au chef de fraction et de tribu comme symbole de commandement. Les hommes aussi bien que les femmes dansent au rythme du tbal. On y chante les guifân , pluriel de guef qui signifie quatrain à l’honneur de la générosité des hommes et des femmes des grandes tentes.
Tout le long de son histoire le Sahara s’est constitué à partir d’élément Sanhaja (les premiers habitants Berbères du Sahara) Soudanais, et Arabes Hassan venus s’y établir à partir du 11ème siècle. Le dialecte arabe Hassan qu’on parle au Sahara comprend à côté de quelques mots soudanais, un grand nombre de mots et de toponymes Berbères, tel le lieu dit tagant(qui signifie forêt en berbère) berceau de la musique savante des griots sahariens en Mauritanie.
Abdelkader Mana
12:55 Écrit par elhajthami dans Histoire, Musique, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sahara | | del.icio.us | | Digg | Facebook
19/09/2010
Pierre Bidart n'est plus!
L'anthropologue basque a été découvert mort à Sofia, où il venait de débuter une mission culturelle auprès de l'ambassade de France en Bulgarie.
Cet été j'étais parmi les invités de Pierre Bidart à l'Université Européenne d'Anthropologie, organisée cette année sous le thème "Islam et modernité". Il a veillé personnellement sur mes problèmes de déplacement et de séjour en France. Et une fois sur place il a tenu à ce que je prenne la parole à son colloque et est venu se mettre au premier rang pour m'écouter avec sympathie. Depuis lors j'ai pris l'habitude de prendre de ses nouvelles sur Iernet. Ce dimanche 19 septembre 2010, tôt le matin j'apprends avec affliction sa brutale disparition alors qu'il venait à peine de prendre ses nouvelles fonctions d'attaché culturel à SOFIA. Il disparait ainsi prématuremment à l'âge de 63 ans.Spécialiste des questions régionales, je m'attendais à reprendre contacte avec lui sur cette problématique . Et juste après mon retour du colloque international d'Irrissary en pays Basque, je lui avais adressé la lettre de remerciements suivantes:
Au
Professeur Pierre BIDART
Université de Bordeaux 2
Département d'anthropologie
Cher professeur,
Il y a des remerciements qui ne peuvent attendre : je suis encore tout ébloui par cette semaine exceptionnelle que j’ai vécu parmi vous à Irissary au cœur du pays Basque et qui m’a permis grâce à vous d’entrevoir les lumières. Une semaine qui m’a transformé en me faisant comprendre clairement que quelque soit le sujet d’étude on peut et on doit toujours pousser plus loin les limites de notre connaissance. Mais pour se faire, il me manquait le contact essentiel avec les chercheurs qu’aucune bibliothèque ne peut remplacer. C’est une chance inouïe que je vous dois à tous, d’aller au-delà de mes ignorances ignorées. Et je me disais en allant au devant de vous, qui m’avez accordé l’insigne honneur de prendre la parole d’un si éclairé aréopage ; comment pourrais-tu faire accepter l’irrationnel de tes sacrifices, de tes rituels, de ce que tu appelles « l’ethnopoésie », en ce haut lieu du savoir ? Depuis des années, de très nombreuses années que je suis littéralement embourbé dans mes terrains anthropologiques au Maroc, n’ayant pour seul interface que mon maître et ami Georges Lapassade . Mais depuis son départ définitif du Maroc en 1996 ; je n’avais plus que les poussières de Casablanca : aucun cadre institutionnel pour canaliser mes recherche, leur donner forme, les publier pour prendre date. Or cette semaine Irissary me fait enfin entrevoir cette possibilité de donner une colonne vertébrale à mes travaux de terrain, de les mettre enfin sur les rails et les normes de la publication universitaire et internationale. Sortir enfin du singulier vers l’universel.
Or de mes contacts au cours de votre université au cœur du pays Basque trois projets saillants ont pu voir le jour :
1. La possibilité de transformer mes publications sur le pèlerinage circulaire des Rgraga en une thèse en s’appuyant sur une démarche comparative incluant aussi bien les travaux de B. Malinowski sur la kula Trobriandaise dans son célèbre ouvrage sur « Les Argonautes du pacifique Occidental », l’Essai sur le don de Marcel Mauss, « Les sept Dormants d’Ephèse » de Louis Massignons et tout la littérature afférente aux pèlerinages en Méditerranée et autres Potlatch. Le professeur Pierre Bidart, dont je considère les travaux sur le pays Basque comme modèle à suivre , s’agissant de nos singularités régionales marocaines, a promis à cet effet de me transmettre le modèle à suivre pour la rédaction d’une thèse.
2. J’ai également mené depuis de nombreuses année, sous la direction de mon regretté maître le professeur émérite Georges Lapassade, des enquêtes de terrain sur la diaspora noire au Sud du Maroc : auprès des Ganga de l’ oued Noun à Goulimin (la porte du Sahara), ceux de la Maison d’Illigh dans le Sous, ceux d’Anza aux environ d’Agadir et ceux du pays Haha au Sud d’Essaouira. J’ai également enqueté sur les Gnaouia d’Essaouira, ceux de Marrakech et ceux de Casablanca. Plus récemment et sur le sillage de Georges Lapassade j’ai mené des enquêtes auprès des voyantes médiumniques qui sont au coeur de la musicothérapie des Gnaoua. J’ai même publié un fascicule sur les fêtes du mouloud au Maroc qui célèbrent la nativité du Prophète travaux où je montre qu’il s’agit en fait d’une religion des femmes. J’ai produis également sur le même sujet plusieurs documentaires : fêtes du mouloud chez les Seksawa du Haut Atlas, à Tamsloht et à Moulay Brahim au sud de Marrakech, à Marrakech même , à Fès et dans l’oriental marocain. Le Professeur Abel Kouvouama, nous a fait entrevoir son possible intérêt pour nos travaux sur la diaspora africaine au Maroc en tant que directeur de collection chez l’Harmathon.
3. Grâce à Mr. Philippe de Laborde pédelahore, neveu de mon regretté maître Georges Lapassade, je peux espérer redonner une nouvelle vie en pays francophone à la série documentaire que j’ai supervisé pour le compte de 2M au Maroc. Mais nous avons surtout deux projets importants :
Ø L’organisation de journées Georges Lapassade alternativement à Biarritz (dans la très belle médiatique post moderne de ce beau port Français) et à Essaouira. A cet effet, nous avons contacté depuis Biarritz, Monsieur André Azoulay le conseillez du Roi du Maroc, qui a donné son entière aval à l’organisation de ces journées dés le mois d’octobre prochain à Essaouira si possible.
Ø La coproduction d’une série documentaire entre le Maroc et la France.
En assistant au colloque d’Irissary au cœur enchanteur du pays Basque je suis convaincu que la contribution de vos recherches et de vos chercheurs est et sera essentiel à l’insertion de l’Islam dans la modernité et au mariage de l’Islam avec les lumières.
Merci encore infiniment de m’avoir permis de prendre la parole juste après la fille de Raymond Aron ! Membre du conseil constitutionnel qui nous appris qu’il n’est pas si simple d’interdire la bourca dans un pays qui tient si bien au respect des libertés individuelles.
10:23 Écrit par elhajthami dans hommage | Lien permanent | Commentaires (1) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
13/09/2010
Lettre ouverte aux plus hautes autorité du Royaume
"LA MUSIQUE DANS LA VIE"
(série documentaire 2M)
La situation intenable qui m'est faite en tant qu'écrivain marocain vivant sans ressource depuis deux ans est inadmessible et indigne du Maroc: quand cet été pour me rendre au colloque sur l'Islam et modernité auquel j'étais invité par l'Université Européenne, au pays Basque Français, au consulat de France on était éffrayé de découvrir qu'au Maroc, un intellectuel a un compte bancaire gelé depuis deux ans parce que 2M l'avait privé de sa principale ressource depuis cette date. En effet, depuis le mois de mars 2008, la série documentaire "la musique dans la vie" que je supervise depuis 1997,est suspendue sans préavis alors que je suis toujours lié par un contrat pour la réalisation de huit documentaires sur l'Oriental marocain. Pendant deux longue année 2M s'est murée dans le silence concernant les 37 500 Dhs qu'elle ne m'a pas payé sur les six derniers documentaires prêt à diffuser et sur les indemnités concernant la série de huit documentaires sur l'Oriental marocain qu'elle n'a pas honoré. il a fallu que maître Khalid Naciri, ministre de la communication et porte parole du gouvernement intervienne en personne pour que la chaîne accepte de régler mon problème à l'amiable: me donner copie DVD, au titre de droit d'auteur de chacun de 81 documentaires produits durant 11 ans entre 1997 et 2008 et me donner au titre d'imnité 50% de ma rémunération sur les huit documentaires de l'Oriental marocain pour lesquels la chaîne s'est engagée par contrat. Avant le début du Ramadan la chaîne m'a remi 43 DVD de mes documentaires et devait me régler mon indeminité toujours avant le Ramadan. Or cela n'a pas été fait comme convenu : la chaîne s'est à nouveau murée dans le silence sous pretexte que ses services administratifs et financiers sont aux abonnées abscents pour cause du Ramadan. Nous allons à nouveau reprendre contact avec 2M en espérant cette fois ci que mes droits seront pris en considération. Durant ces longs mois d'attente l'ex-journaliste du Monde avait attiré l'attention par l'article ci-après sur la situation intenable qui m'est faite, m'exposant gravement à l'insécurité juridique, jetant aux oubliettes les documentaires déjà réalisées , sans égard ni pour le patrimoine culturel et historiques des populations du Rif et du Moyen Atlas. Ce qui est en passant un non respect du cahier de charge de la chaine conceranant les différentes régions du pays.Maintenant que Monsieur Perocel - Hugoz vient d'être honoré par une lettre de félicitation de Sa Majesté le Roi Mohamed VI pour son livre "le Maroc au bout de la lorgnette", dont il est rendu compte dans ce blog, nous republions l'artcle qu'il consacré à cette émission en espérant que 2M entendra cette fois-ci sa voix en m'accordant tous mes droits. Car nous sommes bien dans une situation de non droit incompatible avec la nouvelle ère. Quand j'avais parlé de cette affaire à mon regretté Abdelkébir Khatibi, juste avant de mourir,il s'est contenté de s'exclamer: "Mais est ce qu'il n'y a pas de justice dans ce pays!". Il faut espérer que cette lettre parvienne à Sa Majesté Mohamed VI, pour que cette affaire qui n'a que trop durée soit enfin dénouée
Abdelkader Mana et le Maroc profond
Un travail télévisuel occulté pour cause d’ « indigénat »[1]
Par JP Péroncel-Hugoz
Paradoxal Maroc ! D’un côté, la plupart de ses habitants se vexent si vous n’adhérez pas inconditionnellement à leur conviction selon laquelle le Royaume chérifien est « le plus beau pays du monde » ; d’un autre côté, nombre de choses de qualité made in Morocco - citons en vrac le cinéma, les livres édités ici, la médecine, les vins locaux, les vêtements de style occidental, etc. – sont méprisées par ces mêmes Marocains, alors que la production nationale peut en maints domaines aujourd’hui rivaliser avec les produits importés.
Cet autodénigrement, ce complexe d’infériorité expliquent que nombre de créateurs marocains soient obligés de s’expatrier s’ils veulent voir leurs talents reconnus sur leur propre terre – étant entendu qu’il se trouvera toujours une foule de leurs compatriotes pour leur reprocher ensuite d’avoir « déserté »... Pas étonnant que ce fin analyste de son peuple que fut Hassan II ait dit, à la fin de son règne, au journaliste britannique Stephen Hughues qui venait prendre congé au Palais, après cinquante ans passés au Maroc : « Oui, je sais, plus on vit parmi les Marocains, et moins on les comprend... »
Par exemple, il est incompréhensible, alors que des gestionnaires culturels marocains se plaignent sans cesse de la « rareté » de la production télévisuelle locale « de qualité », que des téléastes auteurs d’une œuvre de tout premier choix, déjà abondante, soient condamnés à végéter, à faire antichambre, à envoyer courriers et courriels auxquels aucun décideur ne répond, à voir programmer leurs films quand tout le monde dort... Je pense ici en particulier aux documentaires pour la télévision du sociologue rural et ethnosociologue ( pourtant formé à l’étranger chez les meilleurs maîtres du genre, notamment le professeur émérite Georges Lapassade !...) qui attendent dans les placards de 2M, et qui passent, si jamais ils passent, aux plus « mauvaises heures » ; documentaires qui n’ont même pas suscité la curiosité d’une chaîne comme Médi-1 Sat, pourtant grosse importatrice de reportages socio-culturels...
Soyons précis : je ne suis pas un ami ou un parent d’Abdelkader Mana. Je l’ai rencontré certes plusieurs fois lors de mes séjours nord-africains pour le Monde ou La Nouvelle Revue d’Histoire ou encore dans le cadre de la Bibliothèque arabo-berbère, collection de littérature orientaliste que j’anime depuis dix ans à Casablanca, chez l’éditeur Abdelkader Retnani. Cependant, ce n’est pas moi qui ai eu la chance d’éditer les ouvrages de Mana – car il écrit aussi, et bellement – sur les Regragas, Mogador, ou les Gnaouas.
Fruit d’une longue observation sur le terrain, de la réflexion née d’une authentique double culture arabo-européenne, l’apport écrit ou filmé de Mana à la création marocaine fait mon admiration et je m’en nourris chaque fois que je peux. Ainsi, afin de visionner chez 2M des œuvres inédites ou archivées de Mana, je suis allé jusqu’à affronter les diverses démarches bureaucratiques nécessaires pour obtenir une telle « faveur »...
Je ne l’ai pas regretté, ayant de cette façon pu enfin regarder quelques-uns de ceux des quatre vingt et un films de Mana que je n’avais jamais vus, sur la musique, la danse, les traditions, les pèlerinages, les terroirs, la cuisine, l’artisanat, l’architecture, la poésie, etc., etc.
Bref, le Maroc entier, depuis la Maison d’Illigh (déjà connue grâce aux recherches du regretté Pascon) jusqu’aux feux de l’Achoura, de la Grande Mosquée méconnue de Taza, au Rif non touristique, des Glaoua du Haut- Atlas, à la plaine atlantique et jusqu’au Sahara récupéré. Une œuvre chatoyante à plaisir, à la portée de tout public un tant soit peu captivé par le Maroc populaire réel, un espace resté vivant, loin des conurbations modernes où tout se délue et se corrode. S’ils sont bien conservés, ces films, tous guidés par la même idée de découverte et d’explication, feront sans nul doute partie un jour de la mémoire civilisationnelle du Royaume alaouite.
Dans tout autre Etat que le Maroc, les documentaires de Mana seraient déjà considérés comme appartenant de plein droit au patrimoine national, et on les vendrait au public dans des coffrets avec des textes du concepteur sur les sujets traités. C’est pitié de constater qu’il n’en n’est rien, qu’il faut veiller jusqu’aux petites heures si on veut attraper de temps en temps quelques images de Mana à la télévision. C’est archipitié de continuer pendant ce temps à entendre un tel ou une telle se plaindre étourdiment de l’ « indigence » de la création audiovisuelle marocaine...
Bon sang de bon sang, sortez donc de votre auto-dénigrement, donnez-vous la peine de vous pencher sur les productions « indigènes » ! Saperlipopette, elles en valent la peine. J’ai mis en exergue le seul cas Mana, car il m’a paru emblématique d’une situation particulièrement absurde – mais, bien sûr, ce cas est malheureusement loin d’être unique dans « le plus beau pays du monde »....
JP Péroncel-Hugoz[1] Article paru dans LIBERATION du Mardi 5 août 2008
Nous versons également à ce dossier le témoignage de l'écrivain Mogadorien Bouganim Ami:
Cher Abdelkader,
C'est désolant que le Maroc ne croit en ses artistes que lorsqu'ils sont reconnus à l'étranger, c'est désolant de le voir négliger des talents intellectuels et artistiques locaux qui surpassent, en qualité, ceux de nombreux artistes devant lesquels toutes les portes s'ouvrent sous prétexte qu'en Europe ou aux USA, ils connaissent une gloire éphémère. Rien ne serait plus contre-patriotique que cette attitude somme toute provinciale de croire la poésie, la musique, la recherche, la peinture, etc. plus méritante et méritoire parce qu'elles ont grandi sous des serres étrangères et non sur leur terreau vital. Je ne connais pas plus grand sculpteur marocain que Hussein Miloudi, je n'ai pas rencontré poète marocain plus attachant et sensible que Mobarak Erraji. Je ne connais pas anthropologue plus patriote que toi, alliant volontiers la distance de rigueur à l'empathie requise pour ravaler les monuments séculaires de culture et création dont le Maroc est un musée de plein air. Essaouira-Mogador, pour ne parler que d'elle, est un berceau des arts dont l'esthétique marque un riche chapitre dans l'esthétique arabo-berbère du Maroc. Je ne peux qu'espérer que l'Id El-Fitr marque pour toi et pour l'ensemble des artistes qui s'accrochent aux décors du Maroc un tournant duquel ce pays sortira enrichi, misant sur l'étoile de ses artistes pour mieux briller dans le monde.
Mes meilleures Ami-tiés,
Mes vœux de succès,
http://www.angelusnovus.co.il
21:34 Écrit par elhajthami | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
09/09/2010
Noces Berbères
Noces Berbères au Haut Atlas
Par Abdelkader Mana
En 1998, j’ai entrepris de consacrer un documentaire au mariage chez les Ghojdama, sur recommandation de l’anthropologue Ali Amahan qui leur avait consacré une thèse et dont il est lui-même originaire. Je l’avais connu dix ans plus tôt à « Signes du Présent » la revue que dirigeait Abdelkébir khatibi. Ce dernier me déclarait alors que notre mémoire est une richesse et que nous devons la prendre en charge, notamment par des recherches de terrain sur la vie musicale des plaines, des côtes et des montagnes de notre pays. Piste de recherche qui mène à ce Maroc profond et méconnue dont je n’arrive plus à me départir.
Comme il arrive souvent, le planning de la télévision coïncide rarement avec le calendrier des fêtes saisonnières. Les festivités villageoises furent reportées à plusieurs reprises. Les habitants d’Agni devaient descendre de leur nid d’aigle jusqu’au au souk hebdomadaire de Damnate pour s’enquérir auprès d’un épicier disposant du téléphone fixe, de l’arrivée de la télévision ! On imagine l’impatience des mariés à chaque report et la mobilisation – démobilisation des tribus …Mais en ce lieu si isolé depuis toujours à qui « cent ans de solitude » sied comme un gan, l’attente valait la chandelle : la télévision allait rompre l’isolement et accroître, en quelque sorte,le prestige du mariage et celui de la tribu qui l’organise…
Le tournage n’a pu finalement avoir lieu qu’au bout de plusieurs semaines. La fête de mariage qui devait avoir lieu vers la fin des moissons n’a pu finalement se tenir qu’au début de l’automne, puisque la première scène que nous avons filmée, une fois sur place, fut celle du laboureur ! Le temps des labours, des semailles et la récolte des olives. Les paysans du haut Atlas disent :
Vois la montagne ! Vois le pigeon !
Vois l’associé ! Vois le fumier !
Car le pigeon annonciateur de l’hiver est de retour. C’est le moment de songer aux travaux agricoles, de rechercher son associé et de transporter le fumier sur les terres. Ici plus qu’ailleurs, la solidarité humaine est essentielle à la survie aussi bien pour les individus que pour les groupes. C’est grâce à cette solidarité communautaire dans le maniement de la pelle et de la pioche que la piste est aujourd’hui carrossable et que l’organisation des mariages est possible.
L’immense forêt est entrecoupée ici et là de minuscules vallées habitées. Pour relier Agni à Damnate, à environ trente cinq kilomètres de là, le mulet reste le principal moyen de locomotion. Par ce moyen, la distance est parcourue en deux jours : on passant la nuit à mi – chemin en pleine forêt. Difficile est la piste muletière qui mène à Agni, le hameau du bout du monde,, même pour un véhicule tout terrain. C’est dire combien cette montagne est enclavée.
Dans cette montagne où la voie lactée paraît si proche, l’homme est à la fois mystique et austère. L’endurance et la frugalité sont une seconde nature. Pour mieux s’adapter à une nature qui semble l’écraser, l’homme prie pour que le ciel soit plus clément. En attendant, la vallée est irriguée non par l’oued Tassaout qui serpente trop bas et dont on n’a pas les moyens de pomper l’eau vers le haut, mais par l’eau des sources qu’on achemine par séguia jusqu’aux parcelles clairsemées le long des flancs de montagnes.
Quand l’année est bonne, on peut se permettre de donne le surplus aux nécessiteux et aux démunis. Mais quand elle est mauvaise, on compenser le manque à gagner par des achats au marché de Demnate, voir en cherchant ailleurs les moyens de la survie comme c’est le cas d’el Haj thami , originaire de la tribu voisine des Aït M’gun que j’ai retrouvé plus tard en plein centre de Casablanca en tant que gardien de parking automobiles !
L’érosion des sols est ainsi freinée par cette pratique des cultures en terrasses qu’on appelle ici les taghanim. Il s’agit en fait d’une agriculture autosuffisante, mi-bour, mi –irriguée, fortement soumise aux aléas climatique
Bien au-delà des individus et des deux lignages concernés, le mariage symbolise l’alliances entre deux tribus : celle des Fatouaka d’où est issue la fiancée, et celle des Ghojdama pou le fiancé. En fait, on a célébré deux mariages : celui du fils d’Abboubi notre hôte avec sa cousine du côté paternel. Un mariage endogame puisque l’isli et la tislit sont tous deux d’Agni. Le second mariage est exogame : le fils du frère d’Abboubi notre hôte, se marie avec sa cousine du côté maternel qui vient de la tribu voisine des Fatouaka. C’est ce dernier mariage qui va être mis en avant pour sa portée symbolique parce qu’il renforce les alliances et les échanges matrimoniaux qui se perpétuent d’une génération à l’autre entre Ghojdama et Fatouaka.
Sur les toitures des maisons, on remarque ici et là, des paraboles juste au dessus de la tazribt, l’enclos qui sert d’étable aux bovins, ovins et surtout caprins.. La région enclavée par son difficile relief s’ouvre maintenant sur le monde par satellites. En raison de l’exiguïté de l’espace disponible, les maisons se développent aussi bien en hauteur qu’en sous sol !
Après notre accord en haut Ghojdama pour le tournage du documentaire sur la fête de mariage d’Agni , Fatih Miloud est allé chez les voisins Fatouaka leur demander la main d’une fiancée pour son fils: « Nous avons rejoint à dos de mulets les Fetouaka, avec en guise de cadeaux un bélier châtré et des pains de sucre. Une fois obtenu l’accord sur le mariage et sur le jour de la fête, nous reprîmes le chemin du retour»
Fathi Miloud
C’est le père qui prend la décision de marier son fils sans que ce dernier en ait manifesté le désir. Quand de son côté Monsieur Abboubi a su que la télévision allait venir, il est monté lui aussi sur son mulet chargé d’un sac de blé et d’un mouton,pour aller demander la main de leur fille aux parents de la jeune future. Dans ces conditions la demande ne peut être refusée. Là aussi les parents tiennent peu compte de l’avis de leur fille. Avant d’être une histoire d’amour entre deux individus, le mariage est d’abord un pacte communautaire, une alliance entre deux lignages, deux douars, deux tribus. L’individu s’efface devant le groupe d’appartenance y compris dans le domaine politique : souvent au Maroc, toute la tribu vote pour le parti politique choisi par son chef et si ce dernier change de couleur politique ; sa clientèle fait de même…L’individu reste à naître.
Abboubi
Dés lors au village les préparatifs allèrent bon train et les invitations lancées bien au – delà de la vallée d’en face. Les femmes se mirent alors à tisser les tapis qui devraient servir de dote pour la mariée mais aussi pour accueillir somptueusement les invité sous l’immense tente caïdale plantée au beau milieu du village.
Une semaine avant le départ pour sa nouvelle demeure, la fiancée se teint chaque jour au henné, assistée par des jeunes filles choisies parmi ses amies et qui se teignent en même temps qu’elle :
C’est du bon henné qu’a pilé Mimoune
Que ceux qui se marient se teignent le corps
O sœur du fiancé, apporte le mortier et le pilon
L’ardeur du soleil me consume
Deux roseaux s’entrelacent
Ce sont les rigoles qui jettent les racines
C’est le long de la rivière qu’il vient la nuit en rougissant
Ne crains – tu pas que la fiancée ne te frappe de ses bracelets ?
Roseau ! Qui t’a fait ces blessures ?
Ce sont les rigoles qui font naître les racines.
La tislit est dans une chambre entourée d’ami et de femmes qui procèdent à sa toilette. Elles la vêtent d’une mansouria , une sorte de chemise, d’une farajia, et d’un haïk très fin et la parent de ses bijoux. Une femme experte dans le maquillage lui allonge les sourcils avec un fard de couleur noire, lui met du khôl aux yeux et du rouge sur les joues, lui avive les lèvres et lui accuse l’éclat de ses dents avec le taswik, l’écorce de noix. On la part d’un diadème fait de piécettes d’argent.
Même pour l’ultime exposition de la mariée sur la place d’assaïs, ici l’ahouach n’est jamais mixte. C’est par devers elles que les femmes chantent en rythmant des mains :
Que Dieu vaille que toujours tu sois belle
Comme la source qui fait croître l’herbe autour d’elle
Comme un tapis doux où chaque nuit repose l’époux
Belle comme la lune dans un ciel étoilé
Les tresses de ta chevelure reflètent tes baisés de lumière
Tes dents ont la blancheur des pierres au fond des torrents
Qui contemplera tes yeux, si ce n’est le promis ?
Qu’il te soit fidèle et t’aime jusqu’à la mort
Que Dieu le préserve de la misère et du chagrin
Qu’il lui donne des fils braves et beaux
Et le comble de ses bienfaits
Ils ont quitté Agni à dos de mulets pour aller chercher tislit. Chez les Fatouaka . Les femmes s’empressent autour d’elle, la couvrent d’un burnous dont elle rabat le capuchon sur ses yeux. Elles lui donnent une grenade. Elle pleure. C’est le moment de se séparer des siens. Sa mère la console :
Sèche tes larmes ma fille
C’est à la maison de ton mari qu’on t’emmène
On porte la fiancée sur une jument derrière un garçon d’honneur et les voici en route vers la maison du future. C’est l’oncle maternel de la fiancée qui conduit la procession accompagné des gens de sa famille. Tout le long du trajet qui dure une heure, ils n’ont cessé de chanter pour réconforter la fiancée qui quitte définitivement la maison paternelle pour celle de son mari. Les filles qui l’accompagnent chantent des vœux pour son bonheur :
Le chemin est long qui mène à la grande tente du fiancé
O taslit, que Dieu fasse ton destin pareil à la prairie
Où abondent avec les fleurs les brebis et les bœufs
Soit pour ton mari une campagne douce
Comme le mélange du sucre et de thé dans le verre de cristal
Ton matin, qu’il soit bon ô reine !
Toi pareille au palmier qui surplombe la source
O dame, tu es l’étendard doré dont l’eau est acheminée par des séguia
Jusqu’aux parcelles clairsemées le long des flancs de montagnes
O dame ! Tu es l’étendard doré
Que le cavalier porte sur son cheval blanc…
A Agni, la procession est accueillie par la détonation du baroud, qui ouvre au Maroc toute réjouissance importante. Elle marque ici cette frontière invisible entre le passé et le future en même temps qu’une reconnaissance sociale du couple qui vient de naître. Une femme de la famille du fiancé tire la jument par la bride. Ce dernier qui vit reclus depuis sept jours et qui n’a ^pas le droit de rencontrer les gens doit entendre tous ces clameurs et ces chants :
Accourez ô gens de notre village !
Nous déposons la princesse !
Apportez l’agneau marqué de blanc et de noir
Nous déposons la princesse
Vas doucement ô pied, ne soulève point de poussières !
Les processions féminines se dirigent vers le sous - sol de la maison du futur. C’est dans cette ruche où s’engouffrent toutes femmes qu’est accueillie la fiancée à son arrivée sur dos de mulet. Ce rite de passage par excellence est souligné ici par le franchissement du seuil de la nouvelle demeure. Le franchissement de cette porte souligne d’une manière tangible le passage de la vie de célibat à la nouvelle vie conjugale. Cette séparation avec la vie familiale passée pour l’agrégation dans un nouveau groupe social est rendue tangible ici sur le plan sonore par la détonation du baroud.De partout, les femmes affluent en procession, à des kilomètres à la ronde. De tous les lignages, de tous les douars, de toutes les fractions : caftans bariolés, couffins d’osier sur la tête, elles portent à la mariée, en guise d’offrandes, pains de seigle, pains de sucre, huile d’olive qui vient à peine de sortir du pressoir. Toute la tribu participe ainsi aux dépenses nuptiales et somptuaires. Les gens d’Agni bien sûr mais aussi les fractions Aït R’baâ, Aït H’ssen, Aït H’kim ainsi que les douars Ghighan, Amchgat, Imouggar, Taourirt, Assaka et Tarrast. Sans oublier, bien sûre, la belle famille venue des Fatouaka. Tandis que les femmes s’engouffrent au sous sol, les hommes sont accueillis juste au dessus, sous la tente caïdale plantée au beau milieu d’Agni. On sert aux invités, du harr – barr, une bouillie d’orge arrosée de miel et de beurre ronce. Pour préparer cette bouillie ; on mouille des grains d’orge, puis on la décortique au pilon. Après les avoir sécher au soleil, vanner et nettoyer on les fait cuire à l’eau. Puis on les sert avec du beurre, de l’huile et du miel. C’est une bouillie épaisse qui se mange avec les doigts. Elle se prépare en hiver, au moment du grand froid. A une personne qui se porte bien, on dit généralement :
- J’imagine que tu ne te nourris que de herr – berr !
Mais c’est la viande qui prend une part prépondérante des repas. Le couscous est préparé par les femmes et les tagines par les hommes du village. Pour accueillir tout ce beau monde, on a sacrifié une vache, une vachette, sept béliers, quarante poulets en plus de trente kilos de viande achetée au souk hebdomadaire de Demnate. Toutes ces dépenses ont été compensées par les dons de la tribu qui a offert des agneaux, une dizaine en tout, de sorte qu’ils ont largement compensé les sept béliers sacrifiés par les organisateurs du mariage. On est ici dans une économie du don. Mais ce don, n’est jamais gratuit puisqu’il est compensé plus tard par un contre don : lorsque l’une des familles donatrices organisera à son tour son mariage, tout le monde participera au festin mais aussi aux dépenses. Il y a à la fois circulation des femmes et circulation des dons.
La place centrale où se déroule l’ahouach, qu’on appelle assaïs, est investie chaque fois qu’un évènement concerne toute la communauté villageoise comme c’est le cas avec cette fête de mariage.. En début de soirée on chauffe les tambourins aux feux de joie : un énorme bûcher fait de troncs d’arbres. La danse peut alors commencer sur la grande place d’assaïs. Le bendir chleuh n’est pas très grand : un cercle de bois percé d’un trou pour passer le pouce de la main gauche et une peau tendue aux sonorités vibrantes. Ici, la musique ne vient pas d’ailleurs. Elle est le produit du village. On pratique la danse collective de l’ahouach, partout semblable à elle – même qui varie pourtant d’une tribu à l’autre voir d’une vallée à l’autre à l’intérieur d’une même tribu.
La soirée des hommes commence d’abord par ahrach, rythme à l’état pur. On accorde les instruments de sorte que les percussionnistes qui produisent de fausses notes se retirent des rangs. L’ improvisation d’ ahrach consiste en une synchronisation la plus parfaite possible entre les nombreux percussionnistes en éliminant chemin faisant ceux d’entre eux qui cassent le rythme, D’ailleurs le terme d’ahrach dérive du mot iharch qui signifie en parler tachelhit « le maladroit ». Par conséquent cette phase préliminaire vise autant la synchronisation du jeu collectif que l’élimination des mauvais joueurs...
Les joueurs de tambourins scandent le jeu. Le tambourin bat le rythme chleuh habituel : 2/4, mais il y a aussi des partitions plus complexes de 2/8 et de 6/8. Il se trouve dans l’assistance un homme connu pour sa belle voix. C’est un excellent chanteur qui entame un distique, isli reprit en chœur par l’assistance.Il dit :
Cavaliers ! Rangez – vous !
Je vais vous dire le chant aux stances
Se déroulant comme le ronron du moulin !
Figuier qui domine sur les rochers
Mon ami est en ton ombre
Dites nous ô père, ô mère
Où étiez vous pour veiller sur les invités ?
J’ai gravi la montagne et d’en haut
J’ai contemplé cette réunion
Dans cette nuit magique et colorée, l’arrivée des hommes à la place d’assaïs est scandée par ce qu’on appelle ici, lamsaq, c'est-à-dire le chant à l’unisson. Un soliste chante un seul vers que le chœur reprend : les hommes placent leur voix dans un registre grave. Vient ensuite, azegz, le fait de frapper les tambourins en baissant leur face vers le bas.
N’dam , c’est cette compétition poétique improvisée à tour de rôle entre les deux moitiés de l’orchestre. Tour à tour les poètes des villages et des villages invités prennent la parole. Ils donnent des informations sur le monde et amènent les gens à se remettre en question. C’est par ces ahouach que se terminent ces noces berbères en haut atlas, sous le double signe de la poésie et du rythme à l’état pur. L’ahouach des hommes dure jusqu’à l’aube. Il faut être patient, tant cette musique nécessite tout ce temps pour aboutir enfin à des moment de bonheur et d’harmonie musicale. On ne cessera toute la nuit de rechercher cette harmonie perdue comme une nostalgie musicale. Parfois on y parvient d’autres fois on déplore quelques fausses notes.
Taslit, tu étais belle comme la lune dans un ciel étoilé
Les tresses de ta chevelure reflètent tes baisés de lumière
Tes dents ont la blancheur des pierres au fond des torrents
Qui contemplera tes grands yeux, si ce n’est le premier amour ?
Qu’il te soit fidèle et t’aime jusqu’à la moert
Que Dieu le préserve de la misère et des chagrins
Qu’il lui donne des fils braves et beaux et le comble de ses bienfaits.
On persiste ainsi, sous la voie lactée, à interpeller la voûte céleste jusqu’à ce qu’ahouach qui n’est jamais écris d’avance devient enfin lui-même. C'est-à-dire, pure enthousiasme. Jusqu’à ce que le jour se lève enfin sur la vallée heureuse d’Agni.Abdelkader Mana
.
11:48 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : musique, haut-atlas | | del.icio.us | | Digg | Facebook
07/09/2010
Sur les traces de Jacques Berque
Chez les Seksawa du Haut Atlas
Ibn Khaldoun, décrit en ces termes le mont Tichka qui est la source des eaux au pays Seksawa :« Le massif qu’ils habitent fait partie du Deran . C’en est le dôme et le faîte. Il leur offre le refuge d’un château, sans pareil, hauteur aérienne, cime vertigineuse. Il touche de la main les planètes, reçoit le choc des nuées, donne asile à la furie des vents. »
Le vrai tombeau de Jacques Berque se trouve peut-être ici chez les Seksawa. En tous les cas sa mémoire y reste vivace…A la naissance de ses deux jumeaux, il avait offert une horloge murale à leur sainte Lalla Aziza : elle trône toujours au cœur de son sanctuaire, scandant les heures de prières le long des saisons et des jours. Visitant les lieux pour un documentaire en 2001, un paysan du cru nous déclarait : « Berque qui gouvernait les Seksawa sous le protectorat aimait les saints et les tolba . Il faisait réciter le Coran à ces derniers et leur demandait quel verset ils avaient récité la veille . Si la réponse est bonne, la récompense l’était aussi. C’est lui qui avait offert l’horloge à Lalla Aziza. »
Lalla Aziza ma lumière! C'est vers toi que je viens en pèlerinage!
Au milieux de ces farouche montagnes , les gens se souviennent encore de cette fameuse horloge offerte jadis par le traducteur du Coran qui a vécu parmi eux pendant six années à partir de l’automne de 1947, en tant que chef de cette circonscription du Haut Atlas. Temps de réclusion qu’il avait mis à profit pour rédiger son livre sur « les structures sociales du Haut Atlas » au préambule duquel on peut lire : « J’écris ce livre en collaboration avec les tribus du haut Atlas occidental et surtout avec les Seksawa. Rien de plus farouche, de mieux préserver que ces fils du schiste noire. J’avais, sacrifiant à la coutume, lors de la naissance de deux jumeaux dans mon foyer, Maximilien et Emmanuel offert à la maraboute, l’appareil Suisse qui scande encore, me dit – on , une litanie venue droit de l’obscure passé de l’Atlas »
Jacques Berque
Vue de l'intérieur de la coupole de Lalla Aziza
C’est un passage du kounnach du Cadi Ibnou Qonfoud , le Constantinois qui séjourna au Maroc vers le milieu du 14ème siècle qui fut pour Berque l’aubaine qui permettait d’aller au – delà de la légende de la bergère devenue sainte. Ce cadi était l’élève du célèbre vizir andalou Lissan Eddin Ibnou El Khatib, lui –même chantre inspiré de la montagne masmodienne. Il visite la région vers 1362 et passe en curieux à la maison d’Ibn Toummert. Dans son livre, ûns el faqih wa îzz el haqîr, il recueille de précieuses notations sur la chaîne du deren qui frappe son imagination et l’atmosphère religieuse du lieu et du temps. Or notre savant Constantinois rencontre Lalla Aziza :
L'horloge offerte par Jacques Berque lors de la naissance de ses jumeaux
« J’ai vu au Maroc, en bordure des Seksawa dans le deren, un endroit appelé el Qihra , la dame princesse, la sainte Aziza, seksawiya . J’ai recueilli sa baraka et m’entretenu avec elle. Elle s’occupait de réconcilier deux groupes importants. Elle avait des adeptes, hommes et femmes, chacune de ces deux troupes s’adonnait à l’ascèse et à la dévotion dans un endroit à part. On montait à Lalla Aziza une tente du côté des femmes . Nul ne bougeait sans son ordre. Si elle tenait séance publique ; elle ramenait sur elle son voile sans laisser d’interstices par où personne pouvait la voir. Elle était très éloquente dans ses réponses, ses ordres et ses homélies. »
Lalla Aziza apparaît ici avec des traits bien vivants. Elle avait un rôle de résistante dans la siba masmodienne contre les mérinides. La modestie musulmane de son culte, une vocation de conciliatrice, entre groupes de fractions, rôle qu’elle partageait avec un grand nombre de personnages légendaires du sud, une figure nationale protectrice de la montagne contre la plaine.
Assif Isaksawen; oued Seksawa
C’est dans cette montagne « fort sauvage », écrit au 16ème siècle, Léon l’Africain, que les Seksawa « ont coutume de tenir leur bétail trois mois de l’années, qui sont novembre, décembre et janvier. En la saison de primevère, ils ont du lait et beurre et fromage, et sont gens qui vivent longuement. »
Lalla Aziza la sainte, je vous apporte le bois sur mes épaules
Je vous ai puisé de l'eau en une journée chaude!
En raison de sa position médiane , zinit, le village de lalla Aziza est un passage obligé pour les transhumants qui descendent d’amont en aval, c’est le cas des gens d’Aghbar et d’Assif Ou Gadir, qui y apportent leur musique comme le fleuve y dépose son limon que pour ceux qui montent d’aval en amont ; c’est le cas des Ouled Bou Sbaâ qui de la plaine y montent pour y déposer leur offrandes et leur musique. De ce double mouvement d’aval en amont un habitant de zinit nous dit : « Les Seksawa vivent dans une région montagneuse. En hiver, quand il neige, ils descendent leur troupeau vers la vallée, là où il y a de l’herbage, chez les Oulad Bou Sbaâ, jusqu’à Chichaoua, Imin Tanout. Pour nous c’est le plat pays, azaghar, en berbère. Et quand l’été arrive, on monte vers le mont Tichka qui est frais et verdoyant en été. Quand il n’y a plus de pluie ni de neige, on conduit nos troupeau au sommet de cette montagne. Chaque douar y possède une pâture à part. Tichka se trouve dans une région médiane entre le Sous, Aghbar et les Seksawa. Toutes ces tribus pratiquent la transhumance sur le mont Tichka où il y a de la pâture pour tout le monde. ».
La place où se déroule le sacrifice de la vachette au Mouloud
Lalla Aziza est le symbole de l’unité et de l’identité Seksawa comme l’atteste ce chant de l’ahouach mixte auquel nous avons assisté à l’enceinte sacrée même de la sainte des transhumants :
O Seksawa, nous ne sommes qu’une seule personne
Je cherche le cheval qui m’emmène à lalla Aziza
En l’honneur de qui nous dansons tous !
Par Dieu Lalla Aziza, j’ai pénétré ton enceinte sacrée !
J'aimerai retrouver le ble tel que je l'avais laissé
Que tous les épis soient irrigués d'un côté comme de l'autre
Que pousse l'herbe , que frémissent les marguerites et que fleurissent les terrasses!
Sainte de la transhumance, Lalla Aziza était elle –même une simple bergère d’après une vieille légende que nous relate un habitant de son propre village : « Je vais vous raconter ce que disent les anciens de lalla Aziza. Nos ancêtres disaient que ce sont les Regraga qui lui avaient donné le nom de lalla Aziza. Elle naquis ici – même et dés son jeune âge, elle allait garder les chèvres dans la montagne. Au lieu de rester avec les bergers et de faire paître son troupeau le long de la rivière où l’herbe est belle et abondante, lalla aziza alla tout en haut de la montagne où il n’y a que des rochers. Ces chèvres étaient cependant aussi grasses que celles des autres bergers. Par cela Dieu montrait déjà qu’il avait remarqué cet enfant. Néanmoins la jalousie aidant, le père de lalla Aziza ne tint aucun compte de l’état florissant de son troupeau. Il exigea que son enfant parcouru les parties inférieures de la vallée. Et comme elle continuait à mener ses chèvres parmi les rochers arides, il l’a roua de coups à plusieurs reprises. Un jour alors que lalla Aziza gardait son troupeau au sommet de la montagne où jamais aucune herbe n’a poussé, le père accompagné des gens du village alla la rejoindre et lui reprocha de ne pas suivre ses recommandations.
- Père ! Répondit l’enfant, voyez vous – même ce que mange mon troupeau !
Et le père constatât alors que les chèvres avaient la bouche pleine de blé. A partir de ce moment là, l’enfant fut regardée comme une envoyée de Dieu et chacun l’admirait. »
Certes pour les yeux du cœur, Lalla Aziza est visible de loin dans la plaine. Lorsque des massons du Haouz, du Dra ou du Dadès, juchés sur de grossiers coffrages battent le pisé d’un mur en construction, la mélopée que scande leur effort commence par l’invocation de lalla Aziza tagourramt. Mais cette extension du nom aux litanies populaires du sud ne saurait effacer les profondes raisons qui font du tombeau de la sainte, de sa légende et de son rite, le centre vital des Seksawa. Toute cette partie du deren est dominée par la figure de l’héroïne. Comment s’étonner que le paysage en soit imprégné ?
Le village de Zinit avec au centre la coupole de la maraboute nationale
A zinit, il y a soixante dix canounes. Un sixième de la séguia revient à Lalla Aziza avec ses actes notariés. Seuls les héritiers mâles ont droit au tour d’eau. Lalla Aziza dispose également d’une part de tour d’eau, nouba, chez les Douiranes du côté d’Imine Tanoute et dans deux autres endroits du pays Seksawa : l’oued Seksawa et la seguia de Talharcht :
« Lalla Aziza a beaucoup de propriétés, nous confirme un habitant du village de la sainte. Elle en a à Douirane . Elle possède une séguia avec preuve à l’appui, des dahirs. Elle possède des pieds d’oliviers, d’amandiers. Elle a des propriétés à Wanchkrir, à Aghbar. Lalla Aziza possède beaucoup de biens. »
La coupole de Lalla aziza est située au centre de Zinit. Ce nom de Zinit est curieux. On l’explique localement par un impératif ; ce «querellez –vous !». Il y a deux querelles dans la liturgie de la sainte : un pourchas légendaire autour de son corps, selon un thème hagiographique courant et les coups prodigués au sacrifice du Milâd. Quoiqu’il en soit du nom,le site se décompose comme suit : la zaouia offre un Bab louda, porte de la plaine et un Bab Oudrar, porte de la montagne. C’est bien là l’antithèse entre amont et aval qui domine toute cette vie. Deux grands sacrifices se célèbrent à Lalla Aziza. L’un se célèbre par un calendrier naturiste déjà ouvert par toutes les perceptions de prémices et dont il est en quelque sorte l’acte culminant on l’appelle généralement tigharsiwin, les immolations. Il a lieu le 15 yulyous, le juillet du calendrier julien. L’autre coïncide avec la nativité du Prophète.
Ô poésie! Que Dieu te vienne en aide quand l'amour n'est plus là!
Le culte de lalla Aziza doit retenir l’attention. Une donation testamentaire, wassya de Sidi Âmer stipule au bénéfice de la sainte pour chaque année : une toison par troupeau, la récolte de trois noyers, trois barattées de beurre en mars, l’apport d’un plat de bouillie dûment garnie de matières grasses. Quiconque en mangera le haram fondera dans son corps comme le sel dans les mets.
Peut-être qu’à tout prendre, se demande Jacques Berque, tels chants descendent plus profond dans l’intimité des êtres et des choses. Toute cette réalité de l’atlas nous arrive en effet précédée, et peut-être soutenu de chants. D’où l’intérêt de rétablir le fond sonore si puissant de cette vie. Certes, chez les Seksawa, nous sommes dans le domaine chleuh, et la langue, la facture comme l’inspiration répètent ce que nous entrevoyons de ce lyrisme à la fois étroit et délivré. Un souffle anthologique et familier y règne, exhalant un mince cri de cigale. Mais parfois quelque chose de plus fort y passe : l’accent d’une vieille culture communautaire, lente à mourir.
Poètes improvisant alternativement au milieu de la place publique
« A la fête du mouloud, raconte un villageois, les Imtdan organisent ici le maârouf et font le sacrifice. Les pèlerins restent ici trois jours. Les gens viennent de tous les horizons. Pour cette raison, ceux de lalla Aziza connaissent la musique de toutes les tribus. Ils connaissent l’ahouach , des Aït Oughbar, celui d’Assif ou Gadir , celui des Oulad Bou Sbaâ. Toutes les tribus viennent ici en pèlerinage pour y sacrifier. Les Imtdan viennent au mois de mars pour un autre maârouf, ils dansent pendant trois jours. »
Le mont Tichka : balance des eaux, mizân el miyah, le réservoir de la montagne
Un certain pays, voilà ce à quoi réfère au plus serré le nom des Seksawa. De ce pays, l’essentiel est et a toujours été le bassin d’un torrent , assif isaksawen, oued Seksawa. Voici donc un pays s’identifiant partiellement sans doute, mais sûrement à un bassin fluvial. Les vallées du N’fis, d’Assif el Mal, des Seksawa divergent toutes d’un même château d’eau : le massif du Tichka. Le marabout de Tassaft compare ces bassins fluviaux suspendus à la crête à des outres dont les hauts contons sont les pattes. Le Tichka, dit-il est la balance des eaux, mizân el miyah, le réservoir de la montagne. L’existence des seksawa ou Seksawen est attestée depuis huit siècles au moins dans la même vallée du Haut Atlas. A ce nom maintenant se reconnaissent entre elles et se distinguent d’autrui une dizaine de communautés groupées dans ce bassin fluvial. Le périmètre de terre que les Seksawa couvrent est resté à peu près fixe depuis le 12ème siècle, date des plus anciens témoignages écrits. Il s’agit là des plus vieux sédentaires du Maghreb.
Ce haut lieu géographique et pastoral est aussi un haut lieu de l’histoire berbère : c’est vers 1125 qu’Ibn Toumert, s’installe à Tinmel à une journée de marche au Nord – Est de Tichka. Pour Robert Montagne, « le cœur de la Bérbérie ne bât pas à Tinmel, mais au Tichka et à Lalla Aziza, où des hommes courageux ont veillé à sauvegarder le patrimoine berbère. »
Musicalement, les Seksawa répartissent leur territoire en trois parties :
Tout en haut de la montagne, du côté des Aït Haddou Youss et du Tichka ; c’est le domaine de la danse du bélier ; celle des Tiskiwin. Ce sont les Seksawa n’oufella, les Seksawa du haut . Tout en bas de la vallée,les Seksawa n’ouzddar, du bas, connus pour leur ahouach avec la tara comme principale instrument de musique. Enfin lalla Aziza tient une position médiane, touzzoumt , une sorte de carrefour culturel, un aimant spirituel qui attire vers lui les pèlerins venus d’horizons lointains, offrir leur musique parmi les offrandes. Si bien que les villageois entourant la maraboute maîtrisent plus de danses et de chants que tous les autres villages Seksawa.
La production poétique et musicale s’inspire du double mouvement plaine – montagne de la transhumance et d’une vie agricole qui dépend plus de la fonte des neiges du mont Tichka et d’une irrigation fondée sur les tours d’eau que des précipitations pluvieuses proprement dites :
Je me mets sous la protection de ton enceinte sacrée
Lalla AzizaBihi où fleuri le henné
Que fleurisse le henné !
Grande sainte lalla Aziza
Tu es la rigole qui irrigue nos terres assoiffées
Je t’ai apporté le bois sur mes épaules
Je t’ai puisé de l’eau un jour de grande chaleur
Que pousse l’herbe, que fleurissent les rigoles !
Nombreuses celles que le berger mène au pâturage
Et qui n’en n’étaient ni dévorées par le loup
Ni mortes sans sacrifice
C’est auprès de toi que je puise mes lumières
Quand surviennent les ténèbres
Ce type de compétition chantée est spécifique aux transhumants du Haut Atlas ; plus précisément à ceux d’Aghbar. On retrouve ce type d’ahouach à base de compétition chantée chez toutes les tribus du haut atlas, tels les Ghojdama et les Glaoua. Ce type d’ahouach se distingue sur le plan instrumental par l’utilisation du grand tambour appelé « Ganga », par référence à ses origines africaines. De l’austère montagne de schiste noir se dégage finalement l’impression d’une vie spirituelle nourrie de contrastes et puisant dans la vivacité de ces populations une vive ferveur. Abdelkader Mana
19:06 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : musique, haut-atlas | | del.icio.us | | Digg | Facebook
01/09/2010
Le pays Haha
La flûte enchantée du pays Haha
Qu’elle soit la bienvenue
Celle qui apporte le bien à nos maisons
Celle dont les épousailles sont célébrées
Par la danse de toute une montagne !
Chant nuptial du pays Haha
En l’an de grâce 2003, nous avons assisté à une fête donnée par Bouhaddoun (littéralement « le porteur de burnous »), le grand notable des Aït Zelten, qui y possède quelques mille hectares, domaine appartenant jadis au caïd El Haj Abdellah ou Bihi, mort pour avoir nouer au 19ème siècle des alliances douteuses avec la Maison d’Illigh dans le Sous. Bouhaddoun est centenaire mais toujours bien portant se réveillant avant que le soleil ne se lève sur la vieille citadelle qu’il avait héritée du grand caïd des douze tribus Haha :
« Le jardin que vous voyez derrière moi appartenait jadis au caïd el haj Abdellah Ou Bihi. Il l’avait entouré d’un rempart en pisée . Dans ce jardin pousse un oranger vieux de cent cinquante ans qui continue pourtant à donner des fruits. Dieu a voulu que j’hérite de ce jardin où coule des sources et de cette Maison de ce grand caïd. Au départ les parents de ce dernier étaient des bédouins venus du Sahara. Ils nomadisaient avec leur tente. Leur arrivée à Azaghar avait coïncidé avec le maârouf d’un agourram (saint berbère) dénommé Sidi Lahcen Bouchta. Ils ont demandé l’hospitalité de Dieu et on les a conduit au lieu dit Bifaren. C’est là qu’ils se sont établis. L’une de leurs femmes, en allant puiser de l’eau, en ramena plutôt de l’or. Son mari, le fqih Moulid a connu à partir de là une grande notoriété au pays Haha, en tant que mage capable de transformer les grains de maïs et de blé en louis d’or. On a alors voulu mettre à l’épreuve ses pouvoirs surnaturels et son courage d’homme de guerre avant de lui confier le pouvoir suprême sur toutes les tribus . A l’époque, le pays connaissait les troubles de la siba . Les tribus qui se disputaient depuis fort longtempd se rencontrérent à Aït Daoud au moussem annuel de Sidi Saïd Ou Abdennaïm. Celui – ci leur avait dit que c’est celui qui domptera la jument rebelle qui deviendra le chef de toutes les tribus. Il l’enfourcha aussitôt et parvint effectivement à la maîtriser. En voyant qu’il était parvenu à ses fin on ordonna au Berrah (crieur public) d’annoncer sa proclamation en tant que caïd de toutes les tribus, mettant ainsi fin à leurs dissensions incessantes . C’est ainsi que le choix du fqih Moulid, le mage des tribus, fut arrêté puis consacré par la suite par décret Royal . Son fils Abdellah Ou Bihi qui lui succéda a pu commandé aux douze tribus Haha et aux trente six tribus de Sous. »
Cap Sim est la pointe la plus avancée du pays Haha dans l’Océan Atlantique. En traversant ces parages habités par de vieilles tribus sédentaires dont le territoire s’étendait de l’Océan au pied de l’Atlas, Pline l’ancien notait qu’« entre le littoral et l’Atlas, vivaient les Gétule Autolole. Quant à l’Atlas lui-même, sous des reines arrosées où poussent des fruits merveilleux, il ne semble pas pendant le jour receler d’habitants mais la nuit au contraire, il se couvrait de feux, les Agipans et les Satyres s’y livraient à leur danse tandis que les flûtes, les bruits des tambours et des cymbales remplissaient mystérieusement l’air de leurs accords et de leurs fracas. »
Pour le Raïs Belaïd, l’aède des troubadours de Sous, l’esprit de la musique et du chant qu’on appelle hawa au pays Chleuh serait né de la flûte enchantée du pays Haha. C’est l’air du pays de l’arganier, du vent et de la mer.
Nous rejoignons le bord de mer et nous passons à la zaouia de Sidi Kaouki qui a plutôt l’aspect d’un village aggloméré dont la koubba du saint se trouve enfermée dans les constructions bâties sur le rocher, que la mer vient battre à marée haute. Pour les Ida Ou Madda, Sidi Kawki est un lieu de pèlerinage où on organise le maârouf pour la première coupe de cheveux du nouveau – né. Par ce rite de passage, on met l’enfant, pour ainsi dire, sous la protection du marabout de la mer. Ce pèlerinage est marqué par un sacrifice, un repas communiel et une danse collective de l’ahouach.
Comme pour la musique , il y a un hameau spécialisé dans le tamtil , le pré – théâtre : Hmad Mach, toison de mouton du sacrifice en guise de barbichette blanche, grosses lunettes sur le nez , le crâne couvert d’un gros bonnet de laine, tient un vieux araire d’une main le fouet de l’autre, s’efforcant de mettre en branle dans la rectitude sur le bon sillon du laboureur un attelage d’hominidés retors ! Il est bientôt rejoint par Batoule, un homme déguisé en femme, à qui il ordonne de semer un champ rocailleux en répétant « Dites – lui, ô mon cœur, dites – lui ! » Mais tout semble aller de travers ; l’attelage comme la semeuse. Il suspend alors ses travaux et fait mine de sortir de sa vieille besace un minuscule carnet dont il se met à lire illico le contenu avec de grandes gesticulations à l'appui de ses affirmations hasardeuses :
- Ceci est ma propriété foncière : elle est délimitée à l’Est par la mer. A l’Ouest par la mer. Et au milieu par la mer ! Grâce à toi, Sidi Kawki, elle est toute océane ! Et puis nous finirons tous par être emportés par la mer!
C’est dire qu’il n’a pas une once du lopin de terre ! A l’issue d’une danse burlesque avec sa Batoule il se prête volontiers à l’aléatoire exercice de l’interview :
« De mon véritable métier, dit- il, je suis marchand de soupe (harira). J’avais laissé tomber le métier de mon père pour celui de ma mère ! Au souk du mercredi, larbaâ des Ida Ou Gord, je vends la harira d’ici – bas et à celui du dimanche, Had dra, je vends la harira de l’au – delà ! Ma rencontre avec les comédiens m’a beaucoup appris. Cela fait longtemps que j’ai monté ma propre troupe ! »
Au pied du mont Amsiten, les salines d’Azla et d’Ida Ou Azza ont toujours alimenté en sel gemme d’immenses contrées jusqu’aux profondeurs de l’Atlas à l’Est et au Sahara à l’extrême Sud. Transporté jadis à dos de chameaux, l’exploitation du sel connaît maintenant un embryon de mécanisation. Les paysans complètent ainsi leurs maigres ressources en extrayant le minerai de sel gemme ou en jetant leurs filets aux criques désertes et sauvages qu’on appelle afettas (port en berbère) : celle de taguenza, au sud de cap Sim, de tafelney et imsouwan plus au sud. Une pêche artisanale et aléatoire où au sortir de l’aube à marée basse, le paysan - pêcheur découvre parfois dans ses filets de frétillantes crevettes grises si ce n’est une grosse prise de loups, de dorades ou de turbots !
Raïs Mazoz , vit pour sa part de la coupe de bois de thuya :
« C’est dans la forêt, que j’ai commencé à jouer de la flûte (aouada en berbère)derrière mon troupeau.. J’ai débuté tout enfant, puis en participant aux fêtes de mariages .On veillait jusqu’à l’aube. Au mois de mars il y avait un moussem à la timzguida du mont Amsiten. Les hommes s’y livraient aux danses d’ahouach tandis que les femmes extrayaient de l’outre des barattées de beurre des premières prémices du printemps. Ils festoyaient ainsi jusqu’à tard le soir et à l’aube redescendaient vers la vallée . »
Au loin l'heureuse vallée de Tlit, vue d'en haut du mont Amsiten
Au plus haut sommet du mont Amsiten se déroulait un rituel de renouveau pastoral, en tout semblable à celui de la zaouia de Sidi Belkacem au flanc du mont Toubkal. Il est intéressant de relever que cela se passait au lieu dit timzguida (la mosquée en berbère) qui a donné Tamuziga, l’antique toponyme de Mogador.
"Le poète et la hotte sont semblables,
personne n’en veut s’il n’y a pas de pluie et donc de récolte. »
Andam Ou Adrar, le compositeur de la montagne
C’est dans les dits d’Andam Ou Adrar, le compositeur de la montagne, ces amerg, porteurs de la nostalgie berbère, que puise aussi bien le chansonnier à la recherche du beau que le fellah à la recherche d’une sagesse. Si vous parlez tachelhit, écoutez les conversations parfois animées qui se déroulent dans ces cafés maures du souk – où l’on boit le thé à même la natte de jonc – vous ne pouvez éviter de noter que l’un des interlocuteurs, pour appuyer ses affirmations, ou pour trancher une question ; recourt souvent à cette formule : « Ainsi parlait Andam Ou Adrar ». Il est le Zarathoustra berbère habitant les hauteurs de l’Atlas. Cette forêt magique où l’on trouve aussi bien des grottes que des amas de pierres sacrés. Cette forêt immense n’est point anonyme pour le berger qui en connait tous les recoins à qui il donne des noms. Pour compléter son repas frugal, il connait toutes les plantes comestibles et les nomme de métaphores à la frontière de l’animisme et de la poésie : amzough n’tili(oreilles de brebis), irgal(cils des yeux), ibawn n’taghzount (fèves d’ogresse), oudi imksawn (beurre des bergers), etc
Colombe blanche allez-y jusqu’à Imgrad
Mais ne trainez pas trop dans la forêt
Craignez l’aigle au pantalon et à la bague d’or !
« Amerg et Tiît » : nostalgie et flûte de roseau.
Le Raïs Mazoz, nous relate le sacré et les sacrifices en rapport avec la touiza , cette entraide entre lignages que connaissent les moissons et les récoltes d’arganier : « A la touiza des moissons, on sacrifie un bouc. Tout le monde se réunit pour moissonner. Tandis que les femmes préparent le repas, les musiciens – poètes devancent les moissonneurs. Et à mi – journée, pendant la pose repas, les moissonneurs écoutent les troubadours et les flûtistes jouer pour eux. C’était la même chose pour la tuiza de la récolte du fruit d’argan. »
« Aujourd’hui, tous les moissonneurs sont en fête
Nous aimons la tuiza et tout ce qu’elle amène
Le tablier sur la poitrine, la faucille à la main
Que l’homme à la faucille aiguisée nous précède
Et que le maladroit nous succède
Coupons l’épis et pour la vaine pâture laissons la tige ».
Chant de moissonneur.
Dans un autre chant, l’activité des moissonneurs devient une simple métaphore pour désigner autre chose : la tige de blé symbolise la jeune fille, les oiseaux sont les bergers qu’elle rencontrait avant son mariage et les hyènes les amants qu’elle a après son mariage. Quant à la graine, dans cette société qui valorise la virginité ; elle symbolise l’hymen :
Dés qu’il voit les fleurs mûres de leur fruit
Il va chez le moissonneur et lui fait des avances
Mais au jour de la moisson, la tige était sans graine :
Les oiseaux l’ayant dévoré ne laissant que la paille.
Aux filles de notre époque, n’exigeons pas trop de pureté.
Que Dieu te vient en aide, toi qui veux les emporter !
Au grand jour, elles seront la proie de l’hyène
Si leur mariage était forcé…
Le Raïs Mia (djellah rouge) dans un café maure d'Imin Tlit
Le plus grand flûtiste du pays Haha, le Raïs Mia, avait commencé lui aussi , comme simple berger. En effet, sur le marché de la cassette, le meilleurs flûtiste du moment est un berger qui vit sur la colline de Taourirt,à la lisière du mont Amsiten et non loin d’Imin Tlit : « C’est en 1956 que j’ai commencé à jouer de la flûte. C’est dans cette montagne, en tant que berger, que j’ai appris à jouer de la flûte et ce jusqu’aux années 1960. Je jouais souvent de la flûte avec mes amis en emmenant le troupeau sur la montagne. A force d’y souffler nous avons fini par en maîtriser l’air musical. C’est la flûte qui me tenait compagnie une fois que tous mes amis étaient partis, Mon maître était originaire des Neknafa. Je l’accompagnais aux fêtes de mariage. Il était mon initiateur. Il m’avait même confectionné ma flûte. Je percevais un petit pécule en l’accompagnant musicalement. Et quand il a vieilli, il m’a légué cet art en me disant :
- Tu seras meilleurs flûtiste que moi !
Depuis lors, je me suis mis à animer les fêtes de mariage. Par la suite, à Agadir, j’ai enregistré une cassette. Je ne suis pas seulement musicien, je travaille aussi l’agriculture, l’élevage. Je vis de la récolte de l’amandier, de l’arganier et d’autres ressources. »
Pour ceux qui veulent contracter mariage, la forêt et les points d’eau sont les lieux privilégiés de rencontres galantes avec les jeunes futures souvent chargées de la corvée du bois et de l’eau comme le soulignait dans l’une de ses chansons le regretté Omar Wahrouch, l’un des premiers trouveurs chleuhs à voir son répertoire gravé sur 33 tours :
J’allais du côté de la source
Quand j’entendis s’entrechoquer les bracelets
Ce cliquetis sonne plus cher et plus profond que toute cloche
Et ma belle qui passait par là de rejeter toute avance
Par de dédaigneuses et farouches admonestations :
Eloignez – vous, disait – elle,
Mes proches peuvent nous surprendre et nous condamner.
les Ait OUMAGHDOUSS : ces "Almaghouss" que visita au 11ème siècle le géographe El Békri, lors de son passage par Imin Tanout en allant vers Tombouctou.De cette terre austère et fauve, déjà les voyageurs des temps antiques, pouvaient entendre flûtes et tambours,
Selon une vieille légende, la flûte du berger serait née au pays Haha.
Alors que la pratique instrumentale requiert une spécialisation et que le chant du Raïs relève de la créativité du poète, le chant traditionnel est pris en charge par toute la communauté. C’est le cas des chants nuptiaux. Ces mariages sont beaucoup plus des alliances entre lignages qu’entre individus. Les échanges matrimoniaux sont souvent réciproques et non unilatéraux : s’ils renvoient notre sœur, on leur enverra la leur. Une femme divorcée a très peu de chance de se remarier. Elle devient non seulement une charge pour sa famille, mais encore une malédiction qui peut apporter le déshonore.
.Le chant nuptial du crû ne dit-il pas :
O frère de la mariée, soutiens ces souliers !
Dresses – toi ma fille comme la canne au bord de la rivière
Montes ma fille, monte vers les hauteurs
Accompagne ceux qui vont là – haut
Ne pleures pas ma fille, ne pleures pas
Il y a ici ton père, ici il y a ta mère
O mon Dieu ! Élargissez vos biens pour ma sœur !
Nous prenons le chemin qui nous mène à la maison de nos hôtes
Comme la vie sera facile, si les gens sont généreux
C’est notre colombe sauvage que nous vous offrons
Mais c’est pour qu’elle soit libre que nous lui ouvrons les portes
Que le châtiment lui soit épargné
Qu’elle soit la bienvenue
Celle qui apporte le bien à nos maisons
Celle dont les épousailles sont célébrées
Par la danse de toute une montagne !
En raison des rencontres des troupes que permettaient les fêtes de prestige du temps des grands caïds, à la danse locale d’ahouach s’est ajouté une empreinte musicale issue de la montagne. Mais il ne s’agit jamais d’une pure transposition : l’empreinte culturelle connaît aussi bien des altérations au niveau instrumental que vestimentaire : la danse du bélier jouer par les Aït Oumaghdouss y perd sa corne . Il faut remonter au mont Tichka, dans l’Atlas, pour retrouver la danse du bélier, celle de Tiskiwin, dans sa pureté première. Au fur et à mesure qu’on quitte les forêts de la montagne vers les rivages océanes de la plaine, la danse du bélier perd de sa vigueur, en passant par les hauts plateaux d’igrounzar avant de s’éteindre aux rivages d’Ida Ou Madda et à l’embouchure de l’oued ksob pour devenir méconnaissables en arrivant au bord de la mer.
Il est assez curieux que sont toujours des tribus – frontières qui excellent en musique : c’est le cas des Aït Oumaghdouss, tribu charnière entre les Haha et les Mtougga, à la lisière du Haut – Atlas. C’est le cas aussi des Hraoula qui sont à cheval entre les Haha berbérophones et les Chiadma arabophones. Se trouvant à la lisière du pays Chiadma, les Hraoula berbérophones ont subi l’influence de leurs voisins arabophones les Hamoules et les Ziatines, aussi bien sur le plan linguistique que musical : ils sont à la fois d’excellents danseurs de l’ahouach, en tant que fraction de tribu Haha et joue et chantent en arabe, le genre houari, qu’ils avaient emprunté à leurs voisins les hamoules et les ziatines, à l’occasion de mariages mixtes. Leur position frontière permet à ces tribus une grande ouverture sur l’autre et donc un enrichissement de leur répertoire par des empreints venus d’ailleurs.
Après les somptueux ahouach donnés à l’ancienne kasbah d’Azaghar du caïd el Haj Abdellah ou Bihi, nous rejoignons au pays Neknafa, la grotte d’Imine Taqandout. Il est certain qu’on se trouve là en présence d’une curieuse survivance : le culte des grottes. Il semble bien que cette grotte ait été jadis, dans les temps forts reculés une habitation troglodyte. C’est ce que laissent croire dans le voisinage d’autres grottes – troglodytes. La pièce qui se trouve au fond de la grotte sert à ceux qui viennent pratiquer ce que les Arabes appellent l’Istikhâra. Cette Istikhâra n’est autre que l’incubation de l’antiquité classique qui se trouve chez les peuples les plus divers. C’est une pratique qui consiste à dormir dans un sanctuaire pour recevoir de la divinité, pendant le sommeil des réponses à une question pressente, des indications sur la conduite à suivre dans des conjonctures difficiles. Mais surtout pour y être instruit des moyens de se guérir d’une maladie.
L’incubation antique se pratiquait dans des grottes à caractère sacré. D’après l’opinion courante, la caverne doit son caractère sacré à la présence d’une sainte qui est enterrée là et qui est précisément Lalla taqandout. Lors de notre visite, nous y avons rencontré un paysan qui est venu y sacrifier avec sa famille :
« Je suis venu en pèlerinage à cette grotte, nous dit –il, parce que ma femme ne se sentait pas bien. Ce sont les gens qui m’ont conseillé de l’amener à cette grotte d’Imine Taqandout .Par la grâce de Dieu, elle a été guérie en arrivant ici. Chaque année, elle vient en pèlerinage et y sacrifie. Depuis lors, je rends grâce à Dieu, que ce soit pour elle ou pour mes enfants. Ceux qui sont possédés ^par les djinns passent quinze jours dans la grotte et Dieu leur accorde sa guérison. Il y a même ceux qui sont paralysés, qui ne peuvent plus marcher qui viennent de Casablanca et d’Agadir. Après que Dieu leur accorde sa guérison, ils rentrent chez eux. Les gens y viennent le Dimanche et en repartent le mercredi. De cette grotte nous allons nous rendre en pèlerinage à Sidi M’hand Ou Slimane tout proche. » (Il s’agit de Sidi Mohamed Ben Slimane El jazouli).
Grottes, sources et arbres sacrés sont indissociables d’une magie agraire dédiée à la renaissance du printemps et de la vie. Chez les Neknafa, il existe un arganier géant, un arganier sacré, le seul épargné par la coupe depuis deux cent ans : c’est argan lalla âbouch qui est doublé de la zaouia. Au début de l’année agricole, on y organise un maârouf avec sacrifice dédié à cet arganier sacré. La zaouia est en fait un transfert d’un ancien rite dédié à l’arbre de vie, l’arganier sacré. Selon un paysan du pays Haha, un arganier devient sacré parce qu’un saint se serait reposé à son ombre. Dés lors, on ne peut plus le couper et on l’appelle au nom de ce saint. A Ida ou Madda par exemple , nous avons un arganier qui porte le nom de Sidi Ahmad oulhaj et quand les poussins venaient à éclore , les femmes en réservent un pour l’arganier sacré, une fois devenu coq. C’est surtout quand la pluie tarde à venir ou quand il n’a pas plu à temps que les femmes se réunissent , préparent une bouillie d’orge tendre, l’aâssida, et se rendent auprès de l’arganier sacré pour puiser de nouvelles énergies de racines profondes qui lui confère des qualités de résistance à la sécheresse, qui en font un arbre sacré. Il est vrai aussi, qu’il est le seul arbre à pousser tout seul, ce qui lui confère sa part de mystère.
Abdelkader Mana
13:58 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique, haut-atlas | | del.icio.us | | Digg | Facebook