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23/10/2009

Manazil


Au temps des raisins et des figues

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« Je me suis dit : c’est le moment de l’écriture. J’ai pris en compte dans mes calculs les quatre éléments suivants : le feu et la terre, l’eau et l’âme, ainsi que les sept planètes et les vingt-huit manâzil. Je les ai divisés par les douze astres qui correspondent aux manâzil de bon augure. J’ai compté les sept jours de la semaine qui correspondent aux sept esprits nés de la lumière du trône céleste qui commande aux armées des jnûn !(djinns) »

Il s’agit d’une qasida-talisman d’un certain Haj Saddiq Souiri, ayant vécu à la fin du XIXème siècle, où l’amoureux use de magie pour contraindre les démons à lui ouvrir l’une des sept portes du château où se trouve sa bien - aimée. L’auteur cite dans cette qasida, du genre malhûn, tous les livres jaunes de la magie le Damiati, en particulier, les chiffres sept et soixante - six : les sept saints Regraga s’arrêtaient à une etape dite de « soixante six », juste avant d’escalader la montagne de fer. Les vingt-huit manâzil dont il s’agit dans cette qasida intitulée Jadwal (talisman), sont des mansions lunaires. Plus complètement les manâzil al-kamar, sont les mansions lunaires, ou stations de la lune. Elles constituent un système de 28 étoiles, astérisme ou d’endroits dans le ciel près duquel la lune se trouve dans chacune des 28 nuits de sa révolution mensuelle. Le système des mansions lunaires a été adopté par les berbères, à travers des canaux encore inconnus, puisque le mot manâzil figure déjà dans le Coran (X, 5, XXXVI,39) Voici l’identification astronomique de quelques mansions lunaires citées à travers les dictons du calendrier agricol :
1. al-nateh, Arietis
2. al-boulda, région vide d’étoiles.
3. Saâd Dabeh, capricorni
4. Saâd al-Boulaâ, Aquarii
5. Saâd saoud, capricorni
6. Saâd Lakhbia, aquarii.
7. Batnou al-hout, andromedae...

Au Maroc, le calendrier agricol est fondé sur ces 28 mansions lunaires. Des calendriers de ce genre étaient déjà connus au moyen-âge. Ils proviennent de traditions astro-agricoles plus anciennes dont on trouve des parallèles chez Ptolémée et à Babylone.



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Lors de mon séjour au Haut-Atlas, je me suis rendu compte, que je n’avais pas la même mesure du temps que mes interlocuteurs : ils raisonnaient en termes de calendrier julien, alors que je raisonnais comme tout citadin selon le calendrier grégorien. Il m’a fallu du temps pour me rendre compte, que lorsqu’ils disent par exemple que la saison des fêtes commence au Haut-Atlas le 1er août julien, il faut entendre le 13 août grégorien : il faut systématiquement ajouter 12 jours au Julien pour obtenir son correspondant grégorien. À chaque période de 12 jours correspond une manzla, qui sont au nombre de vingt huit, au cours de l’année julienne.
Chaque manzla se caractérise par des particularités météorologiques qui ont un impact direct sur le faune, la flore et les activités agricoles. Le fellah dispose d’un répertoire de dictons pour fixer les Manâzil. Ainsi dit-il des trois Manâzil de nivôse et des deux Manâzil de pluviôse dont les frimas sont pénibles mais néanmoins nécessaires au renouveau de la vie :

- Manzla de la Boulda, le 21 décembre : « le froid de la boulda atteint le cœur ».
- Manzla de Saâd Dabeh, le 6 janvier : « Saâd Dabeh, ne laisse au chien aucune force pour aboyer, ni de chair à l’agneau pour être sacrifié, ni de sperme à l’esclavon pour forniquer ».
- Manzla de Saâd Boulaâ, le 17 janvier : « Saâd Boulaâ, envoie-le faire des courses ; il n’entendra pas ; donne-lui à manger, il ne se rassasiera pas ».
- Manzla de Saâd Saoud, le 30 janvier : « à Saâd Saoud, l’abeille gèle sur la branche et l’eau coule dans la moindre brindille ».
- Manzla de Saâd Lakhbia, le 13 février : « à Saâd Lakhbia, sortent les vipères et les faucons ».

Les manâzla, sont donc des étapes dans le temps comme le note Ibn Ârif :

« Les vertus qui s’avancent dans la voie mystique pour arriver à la connaissance parfaite, à la gnose qui couronne l’union divine, sont des manâzil (étapes) ».

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L’année se répartit donc en manâzil, période d’une douzaine de jours, toutes portant un nom pittoresque, et dont la succession commande, encore de nos jours, l’agriculture traditionnelle. A ce propos, on lit dans le Qânûn d’al-Ioussi :
« Le printemps, parce qu’il est modéré, les forces ne s’y accroissent, pas plus que les nourritures ne peuvent faire de mal, car la saison les contraint. Pas d’inconvénien à s’y livrer à beaucoup d’exercice, à l’acte sexuel. On y pratiquera la saignée, un jour serein, tranquille, satisfait. On évitera tout souci ce jour-là, la contrariété, la peine, la pensée, l’étude des livres et l’acte sexuel. La veille, le jeûne et les fatigues diverses, on les reservera à la pleine journée, sans qu’il y ait faim ni réplétion...
L’été, en raison de sa nature brûlante et sèche, on s’abstiendra de toute chaleur en fait d’aliments et de boissons. Ainsi l’on évitera le miel, l’ail, les oiseaux, les pigeons. On mangera du frais et de l’humide : viande de veau gras vinégrée ou à la courge. On mangera du concombre, de la pastèque. Alléger le vêture, réduire l’exercice et l’acte sexuel (qui joue un grand rôle, décidément, dans cette diététique), éviter la veuille, dormir davantage à la sieste... »
L’automne viendra puis l’hiver. Pour l’automne, il est fait allusion à un pain de ce dhurah qui se prononce en dialecte maghrébin drâ, à savoir le « sorgho », qui joue un cetain rôle dans l’alimentation des foules bédouines.

Les véritables spécialistes du calendrier dans la tribu sont les fquih. J’ai surpris l’un d’entre eux au milieu de planches coraniques en train d’écrire un jadwal (talisman) à l’encre couleur safran, pour une femme qui le lui avait commandé. En guise de calendrier julien, il me brandit un kunnach où je vois écrit au smakh, sept tétrades, mnémotechniques, dont chaque lettre correspond à une Manzla. C’est un véritable calendrier-talisman. Il me récite le même calendrier sous forme de qasida chantée : souci de mémorisation.

Le recours au secret vise à entretenir la profession d’astrologue. Ainsi, le fellah incapable de franchir « l’enclos du temps » qu’il fera et que recèlent les lettres et les chiffres magiques, va recourir au service de celui qui dévoile le secret des astres aussi bien pour l’avenir de ses vaches que pour le sien propre.
Dans un manuscrit consacré au calendrier agricol, on peut lire entre autre, à propos du mois de janvier (Yennaïr) :

« On fait en ce mois la prière du Dohr quand l’ombre du style atteint neuf pieds, et l’açr, quand elle atteint sept. »
Par pied il faut entendre la longueur moyenne d’un pied d’homme, et non le pied de 33 cm, autrefois en usage en France. Le mot pied traduit ici l’arabe qadam. Ceci nous montre à quel point dans les sociétés sans horloge, le temps était à la mesure de l’homme.

Je me souviens d’un jour d’été où khali H’mad mon oncle maternel, en marge de l’aire à battre, nous démontrait l’heure qu’il est en mesurant sa propre ombre par le nombre de ses pieds mis bous à bout. On retrouve là le principe du cadran solaire, qui servait aussi à fixer les heures de prière, le seul moment de la vie sociale où la ponctualité est requise : partout ailleurs, on trouve mille et une excuses, pour battre en brèche la ponctualité. C’est en cela que la société marocaine demeure « une société sans horloge », c'est-à-dire sans ponctualité. Le fameux incha Allah ! Or la ponctualité, c’est la modernité. Ce dérèglement de l’horloge sociale, qu’on rencontre partout y compris dans les entreprises les plus modernes (de la télévision qui ne respecte pas le timing de diffusion à l’avion qui ne décolle pas à l’heure), on peut l’attribuer à cette ambivalence, cette ambiguïté, que mon ami J.P.Hugoz appelle « l’à peu-prêisme » des marocains .Bref, à l’intrusion de l’irrationnel y compris dans les institutions les plus modernes.
Nous sommes entrés de plein pied dans les temps moderne mais sans régler notre horloge saisonnière sur les fuseaux horaires de la modernité. « Ce décalage horaire » est cause d’immobilisme, de perte de temps et d’argent, comme on le constate d’une manière flagrante durant ce mois lunaire du ramadan 1429 (septembre 2008), où toutes les activités humaine sont au « ralenti », où toute les décisions sont en « instance » c'est-à-dire reportées sine die, et où tout semblent suspendu à l’heure de la rupture du jeun, y compris le caractère lunatique des jeuneurs. Société déboussolée, où les repères de jadis ne fonctionnent plus et où les nouvelles règles du jeu ont du mal à se mettre en place. C’est ce dérèglement de l’horloge sociale et des institutions qu’évoque Fatima Mernissi lorsqu’elle parle de « la peur-modernité ». Or sans ponctualité point de modernité : pas de train à l’heure, pas de travail à la chaîne, pas d’exploits athlétiques, pas de capitalisme.
Dans les sociétés paysannes, on n’avait pas besoin de l’horloge des villes parce qu’on n’était pas « pressé par le temps ». On ne produisait pas cette abstraction nommée « argent » mais les fruits de la terre-mère, au gré des saisons.Même l’argent est un « don » du ciel, une « offrande » Le temps, c'est-à-dire la vie, n’était pas nécessairement de l’argent, mais ce plaisir convivial que prenait mon père à faire sa sieste à l’ombre d’un olivier, pour régler son horloge biologique sur l’horloge cosmique.C’est ce temps pour soi que j’ai vécu moi-même au printemps de 1984, en suivant le daour (pèlerinage circulaire des Regraga) :
« Dans mon ivresse, j’ai complétement perdu la notion du temps, ce qui compte ici c’est le mouvement du soleil et de la lune, c’est de savoir qu’on est dans la période des fèves et des petits pois, au seuil des moissons auxquelles succèdera la période des raisins et des figues. Le reste n’est que bavardage et vent inutile. »
Cette horloge végétale a été également signalée par Malinowski : Pour fixer un rendez-vous, le chef d’une île trobriandaise, offre un cocotier couvert de bourgeons avec ce message : « Lorsque ces feuilles se développeront, nous ferons un sagali (distribution) ».Ces cycles végétaux sont liés au retour régulier des planètes et des saisons. D’où cette conception circulaire du temps, revenant périodiquement à ses origines, fêté par des rites également périodiques et circulaires aussi bien chez les Regraga que chez les Trobriandai.
En cours de route une paysanne m’interpella un jour en ces termes :
1 Revenez nous voir au temps des raisins et des figues !

Les fellahs ont donc une autre perception du temps qui n’est pas celle du calendrier grégorien ni de l’horloge des villes, mais celle du cycle lunaire subdivisé en manazil.
Les circumambulations des Regrga coïncident avec l’équinoxe du printemps. Le 21 mars, la « fiancée rituelle », dont l’ancêtre est Achemas (le soleil, cet arpenteur de l’espace qui concourt avec la pluie à la fécondation terrestre) se dirige vers la « clé du périple ». Sauf pour l’année bissextile où les jours néfastes d’Al hussoum coïncident avec l’équinoxe. On reporte alors le départ au jeudi suivant. Car c’est dans ces jours que les peuplades de Âd et de Thamoud ont été anéanties par un vent mugissant et impétueux :

« Durant sept jours et huit nuits tu aurais vu ce peuple renversé par terre comme des troncs évidés de palmier » (Coran).
Les derniers jours de cette manzla de mauvais augure sont marqués par l’apparition des cigognes et des aigles. Les pluies qui tombent en ce moment sont déterminantes, pour la croissance des plantes. Le dicton dit : « Si la terre s’abreuve bien à Batnou al-hout (ventre du poisson) dis au Nateh (6 avril) de souffler le tocsin ou le clairon ».
La fin du daour coïncide avec les bénéfiques pluies de Nisân. La période de Nisân s’étend du 27 avril au 3 mai de l’année julienne et le daour est clôturé le 28 avril. L’eau qui tombe à ce moment a des propriétés merveilleuses et guérit une foule de maladies : elle favorise la croissance des cheveux des femmes, elle donne même de la mémoire aux élèves, qui font alors des progrès surprenants dans la récitation du Coran. Les Regraga y procèdent à la vente aux enchères anticipée du tribut sur l’élevage et les Chiadma commencent à tondre leurs moutons. Généralement, à cette période, il faut juste un peu de pluie pour faire pousser le maïs. Ce sont les bénéfiques pluies de Nissane. On en conclut non pas que la clôture coïncide avec les pluies de Nissane, mais qu’elle tombe pour annoncer la clôture.

Abdelkader MANA

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le printemps des Regraga

Les pèlerins - tourneurs du printemps

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« Dieu a crée les Prophètes en Orient et les marabouts au Maghreb. Les Regraga étaient des combattants de la foi : après avoir soumis les tribus berbères, il désignèrent un marabout à la tête de chacune d’elles. »

Le porteur d’eau des Regraga


Depuis des siècles, chaque printemps  du 21 mars au 29 avril  les Regraga effectuent un long périple dans l’espace sacré des Chiadma situé entre l’oued Tensift au Nord et la ville d’Essaouira au sud. Au mois d’avril 1784 Sidi Mohamed Ben Abdellah vient à Essaouira spécialement pour rencontrer les Regraga à la période du daour ou pèlerinage circulaire. En mars 1984, pour y voir clair, j’ai pris mon bâton de pèlerin et je les ai suivis dans leurs pérégrinations. Au rythme du déhanchement du chameau, au bruit de mon baton sur la pierre, j’avance vers l’inconnu.

Ce pèlerinage circulaire est effectué par 13 zaouïas, descendantes ou affiliées des 7 saints. Il se déroule en 44 étapes et 38 jours. Référence aux 40 jours du déluge et aux saints cachés apotropéens qui se relayaient pour supporter mystiquement le fardeau du monde. D’emblée, nous sommes dans la symbolique mystique des nombres. Les 40 jours du déluge, les 40 saints cachés apotropéens qui se relaient pour supporter mystiquement le fardeau du monde.

Il y a seulement treize zaouïas (sanctuaires des descendants directs ou indirects des sept saints fondateurs). Mais les autres étapes sont soit des seyyed (sanctuaires sans descendants), soit un simple cénotaphe (où les seigneurs thésaurisaient leur argent en période trouble, dit-on). Ou encore des coupoles sans catafalques, des tombeaux démesurément grands situés près d’un arganier, d’une grotte ou au sommet d’une montagne sacrée.

La légende des sept saints est assez répondue dans le pourtour méditerranéen. L’une des versions les plus connues est celle des Sept Dormants d’Éphèse en Turquie dont il est question dans la sourate de la Caverne :


« As-tu remarqué que les compagnons de la caverne et de la tablette constituèrent parmi mes signes un prodige ? Tu les aurais cru éveillés, mais eux dormaient Nous les avons ressuscités pour qu’ils puissent s’interroger entre eux...On dira :« Ils étaient trois, leur quatrième étant leur chien »

On dirait : «Ils étaient cinq, leur sixième étant leur chien », en pleine confusion.

On dira : « Ils étaient sept, et leur huitième était leur chien »

Dis : « Mon Seigneur est seul à être savant sur leur nombre ».

Au sommet du Djebel Hadid, la grotte de Sidi Ali Saïh(l’errant) était dit-on un lieu de retraite et de prière pour les sept saints. Le djebel Hadid, montagne sacrée des Regraga, coupe le territoire Chiadma en deux parties. Les habitants du lieu font eux-mêmes une distinction entre le Sahel  le ruban côtier à l’Ouest de cette montagne  et la Kabla le continent à l’Est. Par rapport à cette disposition géographique, la répartition symétrique des sept saints est remarquable : au sommet du djebel Hadid, le centre de rayonnement spirituel de leur sultan Sidi Ouasmin ; trois saints au Sahel d’une part et trois à la Kabla de l’autre.

Le voyageur qui traverse la route qui relie Essaouira à Casablanca a essentiellement une perception verticale des plaines côtières dans le sens Nord/Sud. C’est pourquoi on est frappé lorsqu’on découvre que les Fellahs ont en réalité une perception horizontale de ce même espace. Cette perception est imposée en quelque sorte par la position centrale de la montagne.

Sur le sillage de leur trajectoire ; les Regraga dessinent sur l’espace géographique des Chiadma deux énormes roues qui semblent reproduire une constellation cosmique sur la terre. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’une des tribus s’appelle justement  Njoum : les étoiles.

La première roue se fait dans le Sahel (côte) et suit le mouvement apparent du soleil (Est-Ouest). La seconde roue se fait dans la Kabla (continent) et suit le mouvement inverse. Elle est placée sous le patronage de Lalla Beit Allah pour laquelle l’invisible aurait bâti un temple à douze piliers au sommet du mont Sakyat et dont la coupole rappelle étrangement le sein fécond de la nouvelle mère. La nuit de la pleine lune  vestige d’une antique « nuit de l’erreur » ? , les femmes y passent une nuit d’incubation permettant par sa baraka nocturne la fécondation du maïs et des êtres stériles. Après le départ des pèlerins, les pèlerines restent le lendemain pour une journée de « Lama » où la transe efface la culpabilité et favorise le repentir.


Or la roue sexuelle et la roue du temps renvoient eux-mêmes aux symboles et à l’initiation érotique et saisonnière dont le spécialiste roumain des religions Mircea Éliade écrit :


« Le sexe collectif est un moment essentiel de l’horloge cosmique ».


Le pèlerinage circulaire ne traduit pas seulement, par sa réversibilité, une conscience collective figée mais aussi l’idée de renaissance avec l’errance printanière des âmes qui vise à hâter la croissance des plantes.


Le terme « Daour » est ambivalent et à double sens. Tantôt on l’utilise pour désigner l’ensemble du pèlerinage circulaire : ça a la même connotation que l’expression française : « Faire un tour », tantôt on l’utilise pour désigner chacune des étapes à « tour de rôle ».

Le re-tour magique contraint l’irréversibilité du temps qui conduit à la vieillesse et à la mort. Le printemps n’est pas une saison qui va de soi, il faut le faire re-venir par un rituel, si on ne veut pas que la sécheresse et la saison morte se perpétuent. Car « si les hommes meurent c’est parce qu’ils ne sont pas capables de joindre le commencement à la fin » nous dit le mythe orphique.

Le périple des Regraga perpétue la tradition des moines-guerriers qui faisaient chaque année le tour des anciennes tribus païennes pour s’assurer qu’elles n’ont pas apostasié. Ils étaient arrivés dit-on en répétant :


« Le paradis est à l’ombre des glaives ! »


Les rameaux d’olivier et de genêt par lesquels on flagelle les pèlerins, symbolisent donc les épées par lesquelles les tribus ont été soumises. Car comme disait Al Qoreichi : « le disciple doit être soumis comme le cadavre entre les mains du laveur ».

La flagellation sert aussi comme instrument thérapeutique pour les hommes-médecine ; en transmettant les énergies vitales du rameau de genêt (rtem) au corps faiblissant du malade.


Comme il se doit, tout marabout a une fonction thérapeutique qui fait que le pays chiadmî ressemble à une énorme polyclinique disséminée : entre le marabout du daour inaugural qui guérit les maladies de la peau grâce à la saline de Lalla Chafia et le marabout du daour de clôture qui guérit la rage que de spécialistes pour apaiser les douleurs de gens de tribus souvent dépourvus d’infrastructures, routières, hospitalières et scolaires !

L’islamisation fonde le pèlerinage circulaire, mais c’est la fonction de tamarsit (caprification) qui le perpétue. En effet par leur passage, les Regraga ne fécondent pas seulement le figuier mais aussi bien les autres plantes, le bétail, que les humains.

Les fellahs disent : « Au pays des Regraga, tous les ans, les grains sont vannés » ce qui signifie qu’on y fait toujours des récoltes par opposition aux terres où ils ne passent pas.

Il est significatif que les Regraga n’ont en fait de répertoire musical que deux prières de la pluie qu’ils chantent à chacune des étapes. Comme pour l’oraison funèbre deux chœurs alternent : le groupe d’ici-bas chante d’abord puis lui réplique le groupe de l’au-delà. Mais alors que l’oraison funèbre est un rite qui vise à faciliter le passage à l’autre monde, celui de la prière de la pluie a l’effet inverse : influencer magiquement la nature ; pour favoriser la vie : le passage de la mort hivernale à l’abondance printanière.

La caprification magique, comme concept général de la magie agraire, implique que la fixité reste stérile aussi longtemps que ne vient pas du dehors la fécondation. Cette fécondation est donc liée à un déplacement (aussi bien le déplacement de l’insecte porteur de pollens que celui magique, et donc analogique – la magie est fondée sur des analogies – des pèlerins-tourneurs Regraga).

Le pèlerinage comme déplacement est en relation analogique avec les insectes caprificateurs. C’est une autre façon de la décrire plus spécifique que la forme très générale du « circuit de pèlerinage ». C’est pour cela que le déplacement caprifiant commence le 21 mars jour solaire du printemps.


Les rapports sociaux de protection


Il faut considérer comme un propos épistémologique important, cette réflexion que m’a faite un pèlerin : « Ne te limite pas à étudier les marabouts, leurs origines, leur histoire, regarde, l’essentiel est ailleurs ! » Cet ailleurs se légitime du culte des saints, mais il n’est pas  ou pas seulement  le culte des saints. Cet ailleurs se constitue en un double noyau qu’il faut dénouer : d’une part les rapports sociaux de protection qui lient les tribus-khoddam (servantes) Chiadma, aux tribus-zaouïas (Regraga).

On a ici, une structure de rapports qui sépare et met en relation deux groupes : le groupe dit Regraga (les 13 tribus-zaouïas) et le groupe des tribus-khoddam qui vont — pour obtenir protection et bénédiction, par des actions de type magique – donner un tribut (selon un système connu d’achat de baraka). Les tribus-khoddam sont sous la protection surnaturelle des tribus-zaouïas comme nous le confirme un vieux chant :


Les Haha dans les grottes que survolent les aigles

Que peuvent craindre les Chiadma que les Regraga protègent ?

Du sommet du Djebel Hadid, le sahel n’est qu’immense miroir.

Que peuvent craindre les Chiadma que les Regraga protègent ?


En contre-partie de leur protection surnaturelle, les Chiadma ont le devoir rituel d’offrir aux Regraga à leur passage printanier sur leur territoire : mouna (provision), ziara (tribut sur les moissons et les récoltes), jelb (tribut sur l’élevage) et enfin dbiha (sacrifice). D’autre part, leur rôle de la baraka cosmique. Les zaouïas sont en quelque sorte les intercesseurs de la baraka cosmique, ce qui signifie et explique l’existence de rapports sociaux de protection entre les tribus-zaouias et les tribus servantes. Les uns transmettent la baraka (ou « madad » ; le contre-don surnaturel au don en nature accordé par les tribus) les autres présentent les offrandes (ou ziara).

Cet échange est strictement réglementé : seul le descendant du marabout qui a reçu génétiquement la baraka peut la transmettre et le serviteur (ou khdim) n’offre sa ziara qu’au marabout dont les ancêtres sont ses protecteurs surnaturels. Ce système de protection des tribus suzeraines rappelle les liens féodaux de vassalité quoiqu’il ne s’agisse pas tout à fait tout à fait du système féodal, et l’on peut comparer les offrandes à la dîme qu’on versait durant le Moyen Age européen au clergé. D’ailleurs les Regraga sont structurés comme un clergé avec sa hiérarchie des moqadems à l’image des saints de la mythologie qu’ils reproduisent.


Comme les Regraga bénissent par des fatha ils maudissent par les daâoua : ils maudissent le sanglier ennemi du maïs et le moineau qui s’attaque au blé et s’enivre de raisins et de figues. Le fellah a qui je demande : « Pourquoi faites-vous des sacrifices et des offrandes ? », me répond : « Pour apaiser la colère de Dieu ».

Par contre le fellah qui refuse d’accéder à leur demande, risque de voir son troupeau atteint de charbon. Par des voies aussi mystérieuses que celle qu’empreinte la baraka ; « les canons de la malédiction » atteignent leur cible maudite avant que l’année agricole n’arrive à son terme.

Le fqih de la khaïma raconte : « Frappe la main dans la main, de lui te vient le froid. Si du Meskali (un homme des Meskala, tribu des Chiadma de souche berbère) vient le bien, il viendra aussi du singe. Une fois on a passé une nuit chez eux sans dîner. Vient le tonnerre, vient la grêle et tous leurs grains tombent, face au ciel, seule la paille vide se dresse. Le caïd leur dit : « C’est que vous avez laissé les Regraga sans dîner ». Depuis lors, ils sont devenus de bons serviteurs. Maintenant, lorsqu’on passe la nuit chez eux, ils nous font festin ».

La même force qui punit les uns, récompense les autres : au daour de clôture, les Regraga avaient organisé une fantasia dans un champ de maïs. À la fin de la journée, le terrain fut labouré par les galops mais bientôt le maïs a repoussé de plus belle ; avec deux lourds épis sur chaque tige : Dieu a récompensé les patients !

Le dicton chinois : « Troupe et chevaux sont là, mais vivres et fourrages ne sont pas prêts », n’a pas de raison d’être ici : pour le chameau de la tante sacrée comme pour les 13 mulets des moqadems, on fauche le blé sur les chemins de parcours avec parfois l’encouragement du propriétaire du champ : Dieu récompensera, ce qui a été perdu !

On peut d’ailleurs se demander si la mouna, ces énormes plats de couscous garnis qu’on offre aux Regraga ne préfigurent pas la table servie ? C’est un plat de noyer gasâa qui peut mesurer jusqu’à deux mètres de diamètre contenant plusieurs quintaux de semoule et qui est tellement lourd qu’on le porte à plusieurs grâce à un filet de corde.

Tous les plats de couscous se ressemblent, sauf que la gasâa des Regraga se distingue par sa nouara (fleur) : c’est l’agneau fumé. Les étoiles et arc-en-ciel qu’on dessine grâce aux fruits secs et aux mottes de beurre frais. Le cœur de la « fleur » est formé par des galettes de sucre multicolores.

Un Fellah me dit :

« La gasâa revient cher, les pauvres serviteursse cotisent entre eux pour la préparer ». Mais le chef de la puissante tribu des Oulad-el-Hâjj, offre le chameau qui porte la tente sacrée et prépare à lui seul « 40 Gasâa pour nos seigneurs les Regraga ».

Chaque fraction de la tribu-khoddam rivalise avec l’autre pour faire prévaloir le prestige du nom en préparant la meilleure gasâa : avant de redistribuer les plats aux zaouïas, on les aligne à ciel ouvert pour l’admiration publique. Chaque plat est une fleur et un plaisir des yeux grâce à ses couleurs vives structurées par des femmes rompues aux techniques du zouak, du henné et de la tapisserie. L’ensemble des plats présentés sur la place sacrée au moment où le soleil est à son zénith, symbolise le jardin de la tribu que les Regraga bénissent par des vœux qui sont généralement exaucés durant l’année agricole en cours.


Abdelkader MANA




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L'IFRIQIYA

L’IFRIQUIYA

La plupart des vieux membres des zaouïas Regraga ont en leur possession, telle une carte d’identité, un manuscrit intitulé « l’Ifriqiya », l’ancien nom du Maghreb central d’où ont déferlé les Béni Hilal et les Béni Maâqil . Les récits de l’Ifriqiya ont la même fonction que les chants d’Homère et les hymnes du Rig Veda qui datent d’une époque à caractère féodale où des peuples guerriers détenteurs de la terre et des places fortes établirent leur domination sur les masses des autochtones vaincus. Il existe plusieurs versions de l’Ifriqiya : il y a celle qui met l’accent sur la guerre sainte contre les mécréants, celle qui raconte la visite des sept saints au Prophète et leur retour d’Orient et celle qui est truffée de lambeaux de Sira (hagiographie) que les scribes ont recueilli auprès des paysans. Actuellement, la mythologie recouvre l’histoire, comme le culte des saints recouvre l’Islam des premiers khalifes et de leurs émissaires, les moines-guerriers. Mais dans la mesure où ces mythes sont au fondement du rite , ils sont aussi « vrais » parce qu’ils vivent dans la conscience des hommes et structurent leur action : « Le témoignage le plus sûre d’un discours, nous dit J. Berque, est celui qu’il porte sur lui-même. » Nous présentons ici, deux spécimens d’Ifriqiya : La première, nous l’avons recueilli à Essaouira, en 1985, auprès d’un Adoul(notaire de la région). Cette Ifriqiya prétend reconstituer d’après la relation du Cheikh Hassan Al Youssi (1630-1691), qui aurait créé sur instructions de Moulay Ismaïl la ziara des sept saints de Marrakech pour faire pièce à ceux des Regraga. Cette Ifriqiya raconte comment les trois fils de Ouadah (Judas) , que sont le Regragui, le Sanhaji et le Dghoughi, ont partagé le royaume : Le Regragui obtint la région entre Chichaoua et l’Océan. Le Sanhaji eut la steppe du future Haouz. Et le Dghoughi exerça son commandement sur la région située au Nord de Tensift sans doute jusqu’aux limites de Tamesna.

L’Ifriqiya de Taoubalt

« Voici la généalogie de l’astre brillant et du musc parfumé, notre seigneur Ouasmin Ben Abdellah le Regragui, sultan des Regraga, que Dieu nous fasse bénéficier de sa grâce. Amen. Ceci est un manuscrit conforme à l’original par la comparaison et par la ressemblance, sans ajout ni soustraction. Après prières et bénédictions, ce manuscrit relate la voie mystique du saint bienfaiteur, l’astre brillant, le guerrier sur la voie d’Allah, Seigneur des mondes. Il a conquis avec la baraka d’Allah et de son prophète tout le Maroc. Il a tué les polythéistes, les mécréants et les juifs. Il a continué à combattre la nafs (âme liée au corps par opposition à rûh : âme liée à l’esprit) jusqu’à la conversion à l’Islam. Allah a dit dans son grand livre : « Ceux qui ont cru, nous les ramenons des ténèbres aux lumières, quant aux mécréants dont les seigneurs sont des despotes, nous les retirons des lumières pour les jeter dans les ténèbres. » Sidi Ouasmine était représentant du Prophète qui le désigna pour conquérir le Maroc. Le Prophète lui accorda 11 000 soldats des trois taïfa : Sanhaja, Regraga et Béni Dghough. Ils étaient tous frères : Regragui Ben Ouadah, Dghoughi Ben Ouadah, Sanhaji Ben Ouadah. Ouadah, l’apôtre de Jésus fils de Marie à propos duquel Allah le glorieux dit : « J’ai révélé aux apôtres : Croyez en moi et en mon Prophète. » Ils dirent : « Nous croyons ! Atteste que nous sommes soumis ! » Sidi Ouasmine, fils d’Abdellah, fils d’Omar, fils de Mobarak, fils de Talha, fils de Zoubeir, fils de Jaâfar, fils d’Idriss, fils d’Aïssa, fils d’Ali, fils de Mohamed, fils de Ouadah le Regragui. Certains rapporteurs de la sainte tradition certifient la raison pour laquelle on les appelle Regragui : notre Seigneur Sidi Ouasmine est arrivé avec trois de ses frères à la porte du Prophète, ils frappèrent doucement. Le Prophète dit à sa fille : « Ô Fatima ! Vas voir qui est à la porte ! » Elle était encore enfant, n’ayant pas encore atteint l’âge de la puberté : on ne saurait dire si elle était mûre ou pas. Elle dit : « Qui est là ? » S’adressant à elle en langue étrangère Sidi Ouasmine lui dit : « manza arqâss n’rabbi ? » (Où est l’envoyé de Dieu ? en tachelhit, parler berbère du groupe Masmoda). Elle revint chez son père et lui dit : « Père ! J’ai vu des hommes parlant une langue étrangère à l’arabe dans laquelle nous nous exprimons. » L’élu de Dieu sortit et leur dit en berbère : « Salut à vous Regraga ; arqâss n’rabbi nakkin attigan ; achkad ! » ( L’envoyé de Dieu, c’est moi-même ; venez !), car le Prophète connaissait toutes les langues même celle des bêtes sauvages, des poissons, des arbres et des pierres. Ils lui dirent : « Salut à vous, le meilleur des nouveaux-nés, notre Seigneur et maître Mohammed fils d’Abdellah ! » et ils lui présentèrent leur allégeance. Sidi Ouasmine était au côté du Prophète dans quatorze conquêtes parmi les plus grandes. Lorsque le Prophète se fut établi, que sa religion se fut élevée, que les ennemis d’Allah furent défaits, la terre s’éclaira des lumières prophétiques. Allah dont la grâce est immense ordonna au Prophète par l’ange Gabriel d’envoyer les trois taïfa – Regraga, Sanhaja et Béni Dghough – au Maroc pour le conquérir. Le Prophète leur dit : « Allah dont la grâce est immense m’ordonne de vous envoyer au Maroc. » Notre Seigneur Sidi Ouasmine lui répond : « Nous sommes tes compagnons, tes alliés et tes beaux frères. Pourquoi nous éloignes-tu, nous qui n’osons quitter la grâce ? » A l’heure du destin, Allah révéla à son Prophète par le truchement de Gabriel : « Ton Seigneur t’adresse le salut de la paix ; si tu envoie d’autres gens, ils s’éloigneront de ta voie et hésiteront dans leur foi. Or, ces trois taïfa ont cru en ton Seigneur bien avant que ne sonne l’heure ; l’Islam s’est mêlé à leur sang et à leur chaire. » Alors le Prophète leur promis une guerre sainte dans la guerre sainte. Ils lui dirent : « Ô Prophète ! Votre parole est entendue et vos ordres seront exécutés ! » Le Prophète leur dit : « Vous faites partie de moi, celui qui vous aimera m’aimera et celui qui vous haïra me haïra : vous êtes mes représentants sur la terre du Maghreb. » Ils dirent : « Ô Prophète ! Votre parole est entendue et vos ordres seront exécutés ! » Le Prophète prit la main de Sidi Ouasmine et lui dit : « Tu es leur prince et leur chef inch’ Allah. » Il lui accorda la baraka et lui ordonna de partir en voyage. Sidi Ouasmine lui dit : « Ô Prophète d’Allah ! Nous ignorons le chemin à suivre. » Le Prophète tendit trois doigts de sa main d’où sortirent des oueds de lumières. Et le rapporteur de la tradition sainte d’ajouter : « Cette lumière ne les quittera jamais jusqu’au jugement dernier ! » Ils quittèrent le Prophète et Sidi Ouasmine les bénit de sa baraka et leur ordonna d’être sous son autorité et ses ordres. Ils partirent au pas de course jusqu’à la ville d’Alexandrie et là, la lumière que leur accorda le Prophète pénétra dans l’océan. Ils dirent au sultan Sidi Ouasmine : « Ô commandeur des croyants ! Nous sommes soumis à tes ordres mais comment oserions-nous pénétrer dans la mer sans vaisseau ni nef ? » Sidi Ouasmine leur dit : « Ne la craignez point ; elle est la création d’Allah. » Puis s’adressant à la mer, Sidi Ouasmine lui dit : « Par la grâce de Dieu et de son Prophète immobilise-toi océan ! » L’océan s’immobilisa par la volanté du Tout – Puissant. Les armées marchèrent sur le dos de la mer, comme sur la terre ferme, jusqu’à ce qu’elles parvinrent aux rivages de paix. Puis ils guerroyèrent sur la voie d’Allah, menant la guerre sainte, sacrifiant leur richesse, leur vie et tout ce qu’ils possèdent parce qu’ils étaient certain d’accéder au paradis. Ils se dispersèrent dans le pays, jusqu’au ribât de Massa. Après avoir conquis ce qu’il fallait conquérir au sommet des montagnes, dans les forêts et les déserts – Par Allah, c’est ainsi que doivent être les grands hommes, sur la voie du Seigneur des mondes – ils se dispersèrent dans la région du Maghreb, du ribât de Massa à la ville d’Assa, à la Sakiya al Hamra, au Sous moyen et extrême, au pays des Maghafira. Le cheikh Hassan Al Youssi dit : « Lorsqu’ils eurent conquis tout le Maroc, le commandeur des croyants Sidi Ouasmine leur dit : « Qui veut rapporter de nos nouvelles au Prophète ? » Mus par le désir de revenir auprès de lui, ils dirent d’une seule voix : « A vos ordres commandeur des croyants ! » Ils choisirent six parmi eux : 1. Sidi Abdellah l’Andalou 2. Sidi Aïssa Bou Khabiya 3. Sidi Saleh 4. Sidi Bou Bker 5. Sidi Yala 6. Sidi Saïd Ces six étaient parmi les plus grands savants, les plus courageux guerriers, issus des familles les plus nobles : deux Regraga, deux Sanhaja et deux Béni Dghough. Le sultan leur donna pour le Prophète une lettre dans laquelle il écrivait : « Au nom d’Allah le glorieux et le miséricordieux ; prière et salut à notre Seigneur Mohammed, à sa famille et à ses compagnons : nous sommes parvenus dans tel et tel pays, nous avons anéanti tous les polythéistes...Morts sont les cavaliers et nous sommes sous tes ordres et tes interdits. »Il scella la missive et la transmit à Sidi Saïd. Il leur fit ses adieux et les bénit de sa baraka. Ses hommes et lui pressèrent le pas à travers forêts et déserts, ne craignant ni les héros ni la multitude. Un jour, la chaleur les accabla et Sidi Said tomba malade. Ses compagnons se mirent à prier pour lui alors qu’il se disait au fond de lui-même : « La puissance est Allah seul ; je n’ai pas à retarder mes frères et compagnons, jusqu’à causer leur perte. » Puis, il creusa une tombe dans le sable et s’y enterra en se recouvrant lui-même. Lorsqu’ils eurent terminé leur prière ils se rendirent compte de sa disparition : « Nous t’adressons aux mains du Seigneur !» Ils le pleurèrent à chaudes larmes et partirent sous la protection d’Allah. Le Prophète sut ce qui était arrivé, tendit sa main gracieuse et dit : « Ma Ana Bihi Alayhum » et en un clin d’œil, il souleva Sidi Saïd jusqu’à lui parce que le Seigneur a ordonné à la terre d’être soumise au Prophète et de se plier à sa volonté. Grâce à sa baraka, ille guérit en touchant son corps. Lorsque les autres parvinrent à leur but après des jours de marche, ils entonnèrent leur dikr. Leur mélodie était si merveilleuse qu’elle bouleversa les arbres, les pierres, les bêtes sauvages et les fils d’Adam. Tous ceux qui l’entendirent pleurèrent par crainte d’Allah. Le Prophète se leva et dit au peuple : « Accueillez vos frères de la guerre sainte ! » On leur fit un accueil extraordinaire. A Médine, le Prophète était assis au seuil de sa demeure avec ses compagnons. Les Regraga dirent en berbère : « Où est l’envoyé de Dieu ? Nous sommes les envoyés du Roi .» Il leur répondit également en berbère : « C’est moi, venez. ». « Ô Prophète d’Allah ! Saïd notre frère est resté à tel endroit. » Le Prophète leur dit : « Non, il vous a devancé. ». C’est pourquoi on le surnomma désormais Saïd « Sabek » (celui qui devance). Mohammed, en effet souleva sa tenture et Sidi Saïd apparut à leurs yeux étonnés. Le Prophète leur donna un oracle, les bénit de sa baraka et leur dit : « Qu’Allah fasse de vous, les bienfaiteurs de ce pays ! ». Il leur fit ses adieux et ils revinrent en pressant le pas jusqu’au Maghreb. Sidi Ouasmiine et sa suite étaient au ribât de Massa. Les arrivants crièrent : « Ô mes frères ! Le Prophète nous ordonné d’habiter ce pays ! » « Nous avons entendu et nous sommes soumis ! », Répondirent les hôtes. Sidi Ouasmine leur ordonna de se diriger vers Zima, la sainte (saline de la région de Safi) pour y lire l’oracle prophétique et pour discuter de la situation. Ils ordonnèrent à toute tribu musulmane d’être présente lors de la lecture de l’oracle. Lorsque Sidi Ouasmine fut sur le point de donner le livre aux Sanhaja il craignit de mécontenter les Béni Dghough. Chacune des trois taïfa voulait que le livre soit le sien à cause de la baraka qu’il contenait. On voulut allumer le brasier du désordre. Alors la nuit se remplit de jnouns ; Sidi Ouasmine enterra l’oracle près de la saline de Zima des Béni Dghough. Zima est toujours une saline aujourd’hui et Allah est le plus savant. Sidi Ouasmine quitta les lieux avec ses armées à l’heure même de la nuit. Certains membres de la taïfa revinrent pour prendre possession du livre. Ils trouvèrent les lieux submergés par la mer et repartirent vers le commandeur des croyants. Ils lui dirent : « Nous avons trouvé un océan là où vous aviez enterré l’oracle ! » - Qu’Allah perpétue le bien pour les musulmans ! » Le Cheikh Sidi Ouasmine, que Dieu nous accorde sa grâce dit : « Notre pays est le pays d’Allah ; nous le partageons en trois parts : de l’oued Assif du côté de la mer, à Constantine ; et de l’oued Chichaoua du côté de la mer à Massa et au Souss extrême, au pays des Maghafira du côté du Soudan : tout cela est le pays d’Allah et le pays des Regraga. De l’oued Sourah des Ghiata au djebel Fazaz, de l’oued Moulouya du côté du Dir à Kechtala et Bzou et de l’oued Damnate à l’oued El Qihra, tout cela est le pays d’Allah et le pays des Béni Dghough. Quant aux Sanhaja, ils seront dispersés dans tout le Maghreb sans endroit précis. Allah est le plus savant. »

L’ Ifriqiya de Sidi Ifni

Notre auteur et saint homme, al-Youssi , que Dieu lui vienne en aide et nous accorde ses grâce (Amen), rapporte un dit authentique et bénéfique à propos de la rencontre de nos seigneurs les Regraga, les Béni Dghough et les Sanhaja, avec le Prophète, (sur lui prières et paix). Ils ont cru en Jésus fils de Marie, et faisaient partie de ses ressuscités et de ses fidèles, jusqu’à l’avènement du meilleur des hommes, notre seigneur Mohammed (sur lui prières et paix).Preuve en est ces paroles du plus haut : « Il a dit : qui sont les alliés de Dieu ? Les apôtres répondirent : nous sommes les alliés de Dieu, en lui nous croyons, témoignes que nous sommes soumis. » A l’avènement du Prophète, l’ange Gabriel se révéla a lui : - Ô Mohammed ! Envois ces trois taïfa, Regraga, Sanhaje et Béni Dghough, au Maroc pour qu’ils le conquièrent et pour qu’ils fassent bénéficier ses habitants de l’islam. Lui ordonna-t-il. Le Prophète (sur lui prières et paix), s’adressa alors aux trois taïfa en ces termes : - Allah, le plus haut, m’a ordonné de vous envoyer au pays du soleil couchant (almaghrib=Maroc). Les saints hommes lui dirent : - Ô envoyé de Dieu ! Pourquoi veux-tu nous éloigner de toi, alors que nous sommes tes compagnons et tes frères ? L’’ange Gabriel descendit à nouveau du ciel pour révéler au Prophète cette parole divine : - Si nous envoyons d’autres gens, ils s’éloignerons de toi et apostasieront leur Islam. Quant à ces trois taïfa, elles ont cru en toi quarante ans avant ton avènement. Leur sang et leur chair s’étaient déjà mêlés à l’Islam, comme le sel à l’eau de mer. Le Prophète, prières et paix sur lui, leur ordonna alors de se diriger vers le pays du soleil couchant et nos saints bénits lui répondirent : - Nous sommes à tes ordres, ô envoyé d’Allah ! - Celui qui vous aime, m’aime, et celui qui vous hait, me hait. Vous demeurerez mes représentants, au pays du soleil couchant, jusqu’à la résurrection. Le Prophète, prières et paix sur lui, prit alors la main de Sidi Wasmine le Regragui et lui dit : - Si Dieu le veut, tu seras leur chef - Mais nous ignorons le chemin à prendre, Ô envoyé de Dieu !. Le Prophète étendit alors trois doigts de sa main droite. De chacun , par la grâce de Dieu et de son généreux Prophète , une rivière de lumière jaillit. Les Regraga suivirent un oued, les Béni Dghough un autre, et les Sanhaja le troisième. Puis, ils pressèrent le pas jusqu’à la ville d’Alexandrie, où les fleuves de lumières pénétrèrent dans la mer. Les saints hommes crièrent à leur chef Sidi Wasmine : - La lumière s’enfoncée dans la mer ! - Suivez-la à la trace, si vous croyez vraiment en Allah, son Prophète et au jugement dernier ! Leur répondit-il. - Mais vas-y Toi-même qui est notre chef ! Et le vénérable Wasmine d’ordonner à la Méditerranée : - Mer, Immobilises-toi ! Aussitôt elle s’immobilisa par la grâce d’Allah et de son Prophète.. alors, les armées la foulèrent comme si c’était la terre ferme, jusqu’à ce qu’ils parviennent ainsi à riblât El Fath . De là ils se dirigèrent vers Safi, puis ribât Massa dans le Sous extrême, et enfin la Saguia al Hamraâ (Rio de Oro) . Ils sont même allés, jusqu’au pays des maghafra (le Soudan ?). L’émir Wasmine leur dit alors : - Avant de revenir à notre pays incha Allah, il faut maintenant rendre compte de notre mission au Prophète. Je me chargerais de cette mission, avec Sidi Abdellah Adennas, Sidi Saïd Bou khabiya (le patron de la gargoulette), Sidi Saleh, Sidi Boubker, Sidi Allal korati, et Sidi Saïd Sabeq (le « devancier »). Tous désiraient revenir au Hidjaz (le pays du grand pèlerinage). En cours de route, l’un de ces sept hommes, Sidi Saïd tomba malade. Il se couvrit lui-même d’un linceul, et se dissimula à leurs regards en s’enterrant lui-même dans le sable. Troublés de ne plus le voir à leur côté, ces compagnons se mirent à crier dans le désert. Comme aucun écho ne répondait à leur appel, ils prièrent pour la guérison du disparu : - Nous te confions aux mains d’Allah et de son généreux Prophète. Puis, ils repartirent en pressant le pas. Une fois à Médine, les sept hommes entamèrent leur procession, leur Dikr, et leur prière de la pluie : On est venu vers vous, ô gens de vertu Implorons à vos portes, La générosité du Seigneur Pour que de la baraka de vos bassins, Nos vergers soient arrosés Les voix étaient si belles, que arbres et montagnes en tressaillirent. Saisi d’effroi, les oiseaux se mirent à pleurer .Cette ferveur divine, s’empara aussi, des fils d’Adam et de tous les êtres de la création qui l’entendirent. Une fois auprès du Prophète (sur lui prières et paix), ils le trouvèrent entouré de ses compagnons et le saluèrent. Celui-ci leur demande en berbère : - Manza (où es) Saïd ? - Il est resté (Ybqa) en cours de route. Et le Prophète de le sortir dessous sa tenture : - Il n’est pas, celui qui « reste » Ybqa ; il est, celui qui « devance » Sabeq. Le Prophète, leur dévoila ainsi l’éclipse mystérieuse de leur compagnon de route, en leur apprenant qu’il les a « devancé » sabaqahûm . D’où son surnom de Sabeq (celui qui devance). Ils prirent quelques jours de repos auprès de l’envoyé de Dieu, qui les chargea par la suite d’islamiser le Maroc, leur pays d’origine, en leur prodiguant ses conseil et en leur confiant une missive contenant la révélation. Ils revinrent alors par la grâce de Dieu, en pressant le pas jusqu’au riblât El Fath (l’actuel Rabat), où les trois taïfa les accueillirent avec joie. Le cheikh Wasmine, voulu d’abord accorder l’oracle prophétique aux Béni Dghough, mais avait peur de mécontenter les Regraga. Il avait aussi peur de mécontenter ces deux derniers en l’accordant aux Sanhaja. Finalement il décida de l’enterrer à la saline de Zima, où les saints hommes le recherchèrent vainement. Ne rencontrant q’une mer de sel, ils revinrent auprès de Wasmine, s’en quérir d’un tel miracle. Celui-ci leur dit : - Pour le bien de la communauté musulmane, que cet océan de sel se métamorphose en huile d’olive ! Ils revinrent aussitôt à Zima , qu’ils crurent transformée sous leurs propres yeux en océan de miel, de beurre rance, et d’ huile d’olive. Mais ils durent vite déchanter, car ils n’avaient en face d’eux qu’un océan de sel. Le cheikh avait pourtant promis un océan de baraka pour le pays du soleil couchant ! Wasmine procéda alors, à la répartition du Maroc entre les trois taïfa : de l’oued sabra (l’euphorbe) du côté de la mer à oued chichaoua et au Qihra, en pays Seksawa, jusqu’à Massa, le Sous extrême et le maghafra (le pays des nomades et des noirs) ; c’est le pays des Regraga. Et de l’oued sabra, au djebel mékka, en passant par la verte montagne et le djebel Fazaz, au Moulouya, puis de là à Tamesna, Fechtala, Bzou, Demnate, jusqu’au oued El Qihra : tout ceci est le pays des Béni Dghough.... Trois séguias (aqueducs) et dans chacune d’elles coulent quatre sources... On trouve des tombeaux Regraga, chez les Chiadma, mais aussi chez les Haha, les Mentaga, les Mjat, les Oulad Mtaâ, les Hmar,dans le Haouz, au Tadla, dans le Sous jusqu’au Sahara. On les trouve aussi en haute montagne et au pied mont. Leur miséricorde et leur baraka englobe tous, dans le mouvement comme au repos. Les étapes du Daour se déroulent successivement de la manière suivante : 1. Sidi Ali Ben Bou Ali, la clé du périple 2. Sidi Allal Krati 3. Sidi Abdeljalil à Tlamest. 4. Sidi Bou Brahim 5. Sidi Aïssa Bou Khabiya 6. Sidi Ben Kacem 7. Sidi Hsein Moul l’bab (zaouit Retnana) 8. Sidi Ishaq 9. Sidi Mansour 10. Sidi Massaoud 11. Sidi Saleh, Ahl Akermoud 12. Sidi Boubker Achemmas 13. Sidi Bou Zerktoun, Moula Daourein (le marabout à deux Daour). 14. Sidi Mogdoul 15. Setta Ou Settin (l’étape dite de « 66 ») 16. Sidi Yaâqoub 17. Sidi Wasmine 18. Sidi Bou Tritich 19. Sidi Yaâla 20. Sidi Aïssa Moul Louted 21. Sidi Bou Laâlam 22. Ahl Marzoug 23. Zaouit Sakyat 24. Mohamed Ben Marzoug 25. Zaouit Tikten 26. Mrameur 27. Tlata de Sidi Mohamed Ben Brahim 28. Sidi Sa¨d Sabek 29. Sidi Abdellah Ben Wasmine 30. Had Dra (la clôture du Daour). Ces seigneurs des ports, ces saints protecteurs des rivages et des marins dont les coupoles, telle des vigies de mer, jalonnent les rivages, les marins leur rendent hommage à l’ouverture de chaque saison de pêche. C’est le cas de Sidi Mogdoul, où jusqu’à une époque récente, procession, étendards et taureau noir en tête, les marins s’y rendaient pour qu’il facilite leur entreprise, comme en témoigne cette vieille légende berbères : « Sidi Mogdoul fixe les limites de l’océan et en chasse les chrétiens. Il secourt quiconque l’invoque. Fût-il dans une chambre de fer aux fermetures d’acier, le saint peut le délivrer. Il délivre le prisoner entre les mains des chrétiens et le pêcheur qui l’appelle au milieu des flots ; il secourt le voilier si on l’invoque, ô saint va au secours de celui qui t’appelle (fût-il) chrétien ou musulman. Sidi Mogdoul se tient debout près de celui qui l’appelle. Il chevauche un cheval blanc et voile son visage de rouge. Il secourt l’ami dans le danger, le prend et, sur son cheval, traverse les océans jusqu’à l’île. » Les pêcheurs berbères de ces rivages invoquent aussi Sidi Ishaq, perché sur une falaise rocheuse abrupte qui surplombe une plage déserte où les reqqas échangeaient jadis le courrier d’Essaouira d’avec celui de Safi : « Lorsque les pêcheurs passent à travers les vagues, il leur arrive de l’appeler à leur secours, ils lui promettent d’immoler une victime et de visiter son sanctuaire. Sidi Ishâq avait un cheval blanc que son frère Sidi Bouzergtoun lui avait donné. Lorsque les Regraga se réunissent, ils vont à cheval visiter ce saint ; les marabouts – hommes et femmes assemblés – prient Dieu de délivrer le monde de ses maux. Lorsque les pêcheurs vont vers Sidi Ishâq, ils entrent dans son sanctuaire et après avoir fait leurs dévotions, il te prenne, ô huile de la lampe, et te la verse au milieu des flots pour les calmer. » Et sur ces mêmes rivages, au Sud de cap Sim, les pêcheurs se rendaient en pèlerinage à Sidi Kawki où les berbères Haha procèdent à la première coupe de cheveux de leurs enfants : « s’ils sont surpris par la tempête, ou si le vent se lève alors qu’ils sont en mer, les marins se recommandent à lui. Avant de s’embarquer pour la pêche, ils fixent la part de Sidi Kawki, dont les vertus sont très renommées. On raconte qu’un individu y avait volé la nuit une bête de somme et bien qu’il eut marché tout le temps, quand le matin se leva, il se retrouva là où il l’avait prise. »

 

15:14 Écrit par elhajthami dans Regraga | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : regraga | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook