07/02/2015
Tolérance et coexistence religieuse
Dans le contexte post attentat contre « Charlie Hebdo » à Paris, M. Ahmed Taoufiq, Ministre des Habous et des Affaires Islamiques a exprimé avec force la solidarité du Maroc face à la terreur qui a frappée la France, comme il a dit son indignation devant les crimes ignobles commis au nom de la religion. la portée symbolique d’une telle déclaration solennelle est d’autant plus grande qu’elle s’est tenue à l’Institut du Monde Arabe, en présence de Son Altesse Royale, la Princesse Lalla Meryem, et de Manuel Valls, premier ministre de France . Il s’agit d’affirmer la solidarité du Maroc mais aussi l’urgence de promouvoir partout un islam de lumière, de tolérance et de respect de la vie : Il est indéniable que la force d’une religion réside dans le sens arrêté qu’elle donne à la vie.
En ce « un moment critique de la conscience religieuse », il est urgent d’enseigner d’une manière judicieuse un islam de lumière et de tolérance, comme le souligne à juste titre M. Ahmed Taoufiq : « Si on devait, faire une réflexion à l’échelle du Monde, on pourrait avancer qu’abstraction faite des rapports institutionnels de l’Etat à la religion, le fait religieux qui repose sur une quête de sens, mérite d’être revu politiquement et de façon pragmatique pour briser les cercles vicieux de certains raisonnements stériles. » A cet égard Kant distingue entre « la foi dogmatique » et « la foi réfléchissante », fondatrice de la religion morale.
Le ministre marocain appelle ainsi depuis Paris à une révision des politiques régissant les rapports entre institutions religieuses et Etats, de manière à barrer la route à l’extrémisme et aux interprétations théologiques erronées : « Le Maroc perpétue et actualise un modèle institutionnellement intégré où la religion immunise et mobilise pour le bien, loin de toute forme d’extrémisme ou d’imposture. Le Maroc œuvre, dans la limite de la légalité et de ses moyens, pour que les mosquées gérées par des personnes ayant une quelconque affinité avec lui, soient des lieux de sagesse et des vecteurs de civisme, dans le respect de la tradition et des institutions de ce pays. Il y a là sûrement un grand chantier de coopération à entreprendre au bénéfice de nos deux pays. »
A cette occasion trois personnalités religieuses françaises d’origine marocaine ; un imam, un rabbin et un évêque ont été honoré visant ainsi à mettre en relief « certaines sensibilités du moment, au Maroc, en France et dans le Monde ». A travers ces trois personnalités qui officient en France au nom des trois religions monothéistes, il s’agit de soutenir « ces maîtres qui, dans leur combat, touchent les consciences, nourrissent les cœurs par les lumières des tablettes révélées et édifient les esprits dans le message inaltérable du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam…Dans un pays démocratique l’insertion de la religion dans les biens sociaux essentiels s’impose, que les croyants de ce pays soient majoritaires ou minoritaires. La satisfaction de ce besoin ne peut pas s’arrêter à la liberté d’exercice, elle doit aussi inclure les services et des modes d’expressions qui ne soient pas à l’encontre des valeurs humaines et des principes fondamentaux de ce pays. » . En somme le ministre a appelé les musulmans de France à pratiquer leur religion « dans le respect de la laïcité ».
Il s’agit d’un monothéisme qui aime et fait aimer la vie, qui lui donne un sens et qui véhicule autour d’elle les mêmes principes de justice, la même éthique de bonté, de générosité, de paix, d’amour, de solidarité, de discernement et de nécessaire endurance.
« Deux ou trois étincelles de raison ne pouvaient pas éclairer le monde au milieu des torches ardentes et des bûchers que le fanatisme alluma pendant tant d’années. La raison et sa fille se cachèrent plus que jamais» Affirmait jadis Voltaire. C’est à ces étincelles de la raison, que M. Ahmed Taoufiq a fait appel depuis Paris, en rappelant que la vraie religion est celle qui sacralise la vie, comme l’affirme avec force le Coran : « Celui qui a tué un être humain sans que celui-ci ait tué un être vivant ou répondu la violence sur terre sera considéré comme s’il avait tué tous les êtres humains ; et celui qui sauve un seul être humain est considéré comme s’il avait sauvé tous les êtres humains. » (Coran, sûrat 5, verset 22).
Le vivre –ensemble nécessite la tolérance, c'est-à-dire l’acceptation de l’autre dans sa différence. La raison, l’enseignement judicieux doivent être institués pour éviter que l’intolérance perturbe la paix sociale. Abdelkader Mana
12:18 Écrit par elhajthami dans religion | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
01/07/2012
Menace sur Tombouctou!
Ançar Eddine va détruire tous les mausolées de Tombouctou
Ançar Eddine, un des groupes islamistes armés contrôlant le nord du Mali, "va détruire aujourd'hui tous les mausolées de la ville. Tous les mausolées sans exception", a déclaré, samedi, Sanda OuldBoumama, porte-parole d'Ançar Eddine à Tombouctou, par la voix d'un interprète interrogé sur la destruction de mausolées de saints musulmans dans la ville, en cours depuis samedi matin. Selon la mission culturelle de Tombouctou, 16 mausolées de cette ville à la lisière du Sahara surnommée "la cité des 333 saints" sont sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco.
Le porte-parole d'Ançar Eddine s'était lui-même peu auparavant exprimé directement sur ces destructions, en laissant entendre dans un français approximatif qu'il s'agit de représailles à la décision de l'Unesco, annoncée jeudi, de placer Tombouctou sur la liste du patrimoine en péril. "Dieu, il est unique. Tout ça, c'est "haram" [interdit en islam]. Nous, nous sommes musulmans. L'Unesco, c'est quoi ?", a-t-il dit, ajoutant que Ançar Eddine réagissait "au nom de Dieu".PLUSIEURS MAUSOLÉES DÉTRUITS SAMEDI
Selon plusieurs témoins, les islamistes ont complètement détruit tôt samedi matin le mausolée du saint Sidi Mahmoud, dans le nord de la cité. Ce site avait déjà été profané début mai par des membres d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), autre groupe armé contrôlant le Nord, avec l'appui d'hommes d'Ançar Eddine. Des témoins les ont également décrits en train de détruire le mausolée d'un autre saint, Sidi Moctar, dans l'est de la ville. En annonçant sa décision de placer Tombouctou sur la liste du patrimoine mondial en péril, de même qu'un site historique de Gao, l'Unesco avait alerté la communauté internationale sur les dangers qui pèsent sur cette ville mythique du nord du Mali.
Le recteur de la Grande mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, a dit samedi que la destruction par des islamistes armés de mausolées de saints musulmans "risque de choquer la très grande majorité des musulmans de la région". Pour lui, il s'agit là d'un "acte de l'islam politique qui se nourrit des islamistes" qui "risque de choquer la très grande majorité des musulmans de la région". L'Unesco a aussi déploré la destruction "tragique" des mausolées.
Le groupe islamiste Ançar Eddine et le Mujao, considéré comme une dissidence d'AQMI, veulent imposer la charia (loi islamique) au Mali. Ils tiennent désormais les places fortes du Nord avec les jihadistes d'Aqmi, après avoirsupplanté le MNLA, sécessionniste et laïc.
MILLIERS DE MANUSCRITS
La ville est également célèbre pour ses dizaines de milliers de manuscrits, dont certains remontent au XIIe siècle, et d'autres de l'ère pré-islamique. Ils sont pour la plupart détenus comme des trésors par les grandes familles de la ville.
Avant la chute de Tombouctou aux mains des groupes armés, environ 30 000 de ces manuscrits étaient conservés à l'Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba(Ihediab, ex-Centre de documentation et de recherches Ahmed Baba), fondé en 1973 par le gouvernement malien. Possession des grandes lignées de la ville, ces manuscrits, les plus anciens remontant au XIIe siècle, sont conservés comme des trésors de famille dans le secret des maisons, des bibliothèques privées, sous la surveillance des anciens et d'érudits religieux. Ils sont pour la plupart écrits en arabe ou en peul, par des savants originaires de l'ancien empire du Mali.
Ces textes parlent d'islam, mais aussi d'histoire, d'astronomie, de musique, de botanique, de généalogie, d'anatomie... Autant de domaines généralement méprisés, voire considérés comme "impies" par Al-Qaida et ses affidés djihadistes.
Des bureaux de l'Ihediab ont été saccagés plusieurs fois en avril par des hommes en armes, mais les manuscrits n'ont pas été affectés. Par mesure de sécurité, ils ont été transférés vers un lieu "plus sécurisé", selon des défenseurs maliens de ce patrimoine. Dans une déclaration commune diffusée le 18 juin, les bibliothèques de Tombouctou affirment qu'aucun détenteur de manuscrit n'a été menacé, mais soulignent que la présence des groupes armés les "met en danger".
En plus de la ville de Tombouctou, l'Unesco a aussi inscrit jeudi sur la liste du patrimoine mondial en péril le Tombeau des Askia, un site édifié en 1495 dans la région de Gao, autre zone sous contrôle de groupes armés depuis fin mars. Des combats, qui ont fait au moins 20 morts, ont opposé mercredi à Gao des combattants touareg et des islamistes. Ces derniers en ont pris le contrôle total, selon de nombreux témoins.
15:22 Écrit par elhajthami dans Histoire, religion | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, religion | | del.icio.us | | Digg | Facebook
30/04/2012
TROUBADOUR
Les troubadours de Sous
« Ô aigle au beau plumage
Toi, l’étrange oiseau
À la lune tu porteras mon salut
Et tu lui diras : L’étoile polaire désire te voire »
Le raïs Amarok
La grande caravane chargée d’ivoire, d’encens soudanais, du tabac de Takrour arrivaient au premier jeudi du mois d’août, c'est-à-dire pendant la période du moussem de Sidi Ahmad ou Moussa, le saint patron des musiciens et des acrobates. On s’y approvisionne de tout et d’abord de baraka. Protecteur des troubadours chleuhs, Sidi Ahmad ou Moussa , mort le 10 octobre 1564, c'est-à-dire il y a près de 446. De Sidi Ahmad ou Moussa, lui – même on sait peu de chose. Mais autour de son nom devenu fabuleux sont venus se greffer un certain nombre de vieilles légendes.
Patron de Tazerwalt, Sidi Ahmad Ou Moussa, est un des saints Berbères les plus populaires du Maroc. Plus d’une douzaine de moussem sont célébrés chaque année dans l’enceinte de son sanctuaire : celui des femmes, des anciens esclaves, des tolba et d’autres. Les musiciens viennent à ce moussem non pas pour gagner de l’argent comme ils le font ailleurs mais en tant que pèlerins en quête de la baraka du saint. Si les Rways de Sous considèrent Sidi Ahmad Ou Moussa comme leur protecteur, c’est certainement parce que l’ancêtre des trouveurs chleuhs , Sidi Hammou, est originaire de Tazerwalt, où est enterré Sidi Ahmad Ou Moussa.
Tazerwalt, est une petite cuvette aride, située à 110 kilomètres au sud d’Agadir et à 40 kilomètres à l’Est de Tiznit. Qui aurait cru, en voyant la nudité de ce paysage aujourd’hui, que ce fut là, l’un des nœuds les plus féconds de l’histoire du Sous au 17ème siècle. À partir de la Maison d’Illigh, les descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa allaient rayonner sur le plan commercial jusqu’en Guinée vers le sud et jusqu’en Hollande vers le nord. Sidi Ahmad Ou Moussa, faisait partie de ces zaouïa sahariennes , situées au point de départ et d’arrivée des caravanes.
Tout ce que l’on achète au cours de ce moussem , c’est du barouk, c'est-à-dire un objet qui représente plus que sa réalité déjà connue parce qu’il incorpore l’énergie mystique de la baraka. Il y ales produits à effet magique qui ont pour but d’attiser l’affection fléchissante du bien aimé ou d’éloigner les mauvais esprits des envieux : encens, cauris,plumes d’autruches,peau de panthère, toison d’hérisson ou pelage de chacal. Ce moussem est aussi fait pour le doux commerce d’amour. La variété de dattes qui est la plus estimée en ce moussem est celle du butube suivie de celle de bouscri.
Dans ces confins avec le Sahara, le Sous produit des dattes au goût succulent. A Akka et Tata, le palmier – dattier est très petit mais extrêmement productif et quoique le fruit ne soit pas un article de commerce comme à Tafilalet ; il est d’un parfum exquis et possède des qualités variées. Dattes, amandes, henné, thym, romarin, miel : les plantes médicinales qu’on vend ici et qui font que le moussem sent bon la forêt ont déjà par elles-mêmes une fonction thérapeutique dont l’efficacité se trouve démultipliée en quelque sorte par l’effet du barouk que leur incorpore le moussem. Du haut Atlas viennent des chargements d’écorces de noyers (c’est la période du gaulage), dont les femmes se servent avec le khôl et autres produits cosmétiques naturels pour se faire belles.
Une semaine avant le moussem, la rumeur public fit sensation en annonçant la participation du Raïs Amerrakchi :la bonne nouvelle fit le tour des tribus alentour et remonta même via le téléphone arabe jusqu’à la célèbre place de Jamaâ Lafna(la place de l’anéantissement) : une vedette de la chanson berbère moderne au moussem de Sidi Ahmad Ou Moussa ! Quelle aubaine ! Actuellement, sur le marché des disquaires, le raïs Amerrakchi connaît un franc succès parmi le public chleuh. Avec la Raïssa Tihihite , l’étoile d’origine, et le Raïs Aglaw, il fait partie de la nouvelle génération des Rways qui chantent l’amerg lajdid (la nouvelle chanson) qui, tout en se caractérisant par l’introduction d’instruments de musiques modernes,ne change pas pour autant l’identité musicale des troubadours de Sous.
Le ribab est l’instrument central de cette musique berbère : c’est lui qui lui permet de garder son cachet original. Le joueur du ribab prélude de deux manières : soit en montant des gammes « tlouâ » , soit en brodant la note « Do » ; « Astara ». A la fois troubadours et trouvères, les danseurs chleuhs sont aussi des chanteurs qui interprètent les œuvres des poètes de la montagne : vieilles mélopées, chansons nouvelles. Aux tremblements d’épaules correspondent les trilles du ribab. L’introduction du ribab monocorde dans l’orchestre chleuh peut passer pour un trait de génie, tant il donne à cet orchestre un timbre original, une allure pittoresque, une force expressive qu’il n’aurait pas sans cet instrument. La corde vibrante est constituée par une mèche de quarante à cinquante crins de cheval (sbib). Les sons produits constituent un curieux amalgame de notes fondamentales et d’harmoniques. Il en résulte un timbre aigre – doux qui rappelle les sons de la flûte.
Dans une société où la culture littéraire est d’un grand prix, où elle appartient à tous, où les poètes amateurs sont nombreux, bref, où l’on sait apprécier l’œuvre d’une belle venue ;le poète doit s’affirmer bon littérateur dés le début du poème. Le poème est un discours Awal écoulé dans une forme métrique N’dam. Une poésie où s’affirme la primauté de la musique sur les paroles, d’où le recourt au refrain lancinant pour rythmer chaque strophe. Dans tout chant, il y a un sens caché, une signification symbolique. L’intelligence du texte est aussi fonction de la culture du public comme le dit le poète chleuh : celui qui sait comprendre, comprendra !
En nous accordant un entretien,à l’issue de soirée musicale à Sidi AhmadOu Moussa, le Raïs Aglaw était à peine audible : l’extinction de la voix est à la fois bénie par le saint et désirée par le chanteur, car elle symbolise la mort des vieilles cordes vocales indispensable à la renaissance d’une nouvelle voix,à la fois neuve et vigoureuse, pour le restant de l’année.
Les troubadours de Sous, se produisent dans la plupart des moussem du sud marocain. Ils plantent généralement leur théâtre au parc forain qui constitue la partie ludique et profane de la fête patronale. La Raïssa Amina dont le répertoire fait partie de la nouvelle chanson berbère en vogue, chante d’une voix naïve et belle les mots simples de l’amour du terroir et de ses symboles sacrés. Mais par delà leur voix, les Raïssa apportent un plus avec leurs diadèmes magiques,leurs caftans bariolés et leur chorégraphie improvisée. L’improvisation musicale constitue , en effet, avec la participation du public, un des traits majeurs de cet art populaire.
Grâce à l’effet cassette aussi bien audio que vidéo leur audience est infiniment plus grande. Cet exemple montre que la culture est toujours ambulante, déplacée et en mouvement. Soit que sa déambulation voyageuse se fasse comme autrefois en carriole, soit que la circulation de la culture traditionnelle empreinte la voie des ondes et des bandes magnétiques. En ce sens les Raïs sont les véritables unificateurs de la culture berbère.
La Maison d’Illigh
La Maison d’Illigh est un des principaux pourvoyeurs de nègres acheminés par les caravanes à travers le Sahara. Une grande moitié des valeurs apportées du Soudan le serait sous la forme d’esclaves noirs. Ces esclaves transitaient par les moussem et particulièrement celui de Sidi Ahmad Ou Moussa. Un vestige de ce rôle se perpétue en ce qu’Illigh préside encore aujourd’hui la fête des esclaves en dou lqiâda en l’honneur de Bilal affranchi par Abou Bakr.
Le fondateur de la Maison d’Illigh, Abou Hassoun Semlali (dit « Bou Dmiâ »), est l’un des descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa. Il serait arrivé dans cette région en provenance du Sahara. Selon la légende, il aurait choisi de s’établir à Tazerwalt parce qu’il avait trouvé le lieu « convenable » :
« Abou Hassoun Semlali était à la chasse quand il s’est arrêté à cet endroit. Il a chassé une gazelle et après l’avoir immolé, il a suspendu sa carcasse à un arbre jusqu’au lendemain. Sa viande n’ayant pas été affectée par la chaleur, il dit à ses compagnons :
- Cet endroit est convenable (Iliq, en arabe)
C’est ce mot arabe d’Iliq qui signifie « convenable) qui a donné le toponyme d’Illigh. »
Vers 1638, Ali Bou Dmiâ , petit fils de Sidi Ahmad Ou Moussa, allait étendre le pouvoir de la Maison d’ Illigh, au port de Massa et à celui d’Agadir, en y établissant un comptoir commercial pour les échanges avec la Hollande, la France et l’Angleterre. A cela s’ajoutait son quasi monopole sur le commerce transsaharien avec la Guinée et le Soudan.
On date la venue des premiers juifs à Illigh vers 1620. L’extension du commerce nécessitait l’entremise des juifs. C’est lors de la grande épidémie de peste qu’on les a autorisé à enterrer leurs morts en arrière d’Illigh c'est-à-dire à l’Ouest de manière à ce que les musulmans d’Illigh ne fassent pas la prière tournés vers un cimetière juif. Il seraient originaires de l’Ifran de l’Anti – Atlas qui est l’un des principaux relais de l’axe atlantique transsaharien qui part de l’Oued Noun, seguiet el hamra, Oued Eddahab, traverse Waddane et Wallata pour aboutir à Tombouctou. Cette route célèbre est connue sous le nom de Tariq Lamtouna. En perdant sa fonction commerciale, de lieu de transit pour le commerce transsaharien,la Maison d’Illigh tomba en ruine.
Depuis la construction des remparts de Tiznit par Hassan 1er et l’affirmation d’un établissement durable du makhzen dans cette ville, bon nombre de juifs des Mellahs de Sous y transférèrent leurs familles , leurs biens et leurs boutiques. Il est naturel qu’ils recherchent un maximum de protection. Ceci est le signe d’une substitution de prestige et de pouvoir d’Illigh à Tiznit. Le 28 avril 1886, Hassan 1er écrit à Hucein Ou Hachem :
« Nous vous envoyons le porteur, notre cousin Moulay Srour, pour accomplir en notre place le pèlerinage au tombeau du Cheikh Sidi Ahmad ou Moussa et à ceux des hommes vertueux aux qualités de piété, de générosité et de bonté qui sont enterrés là. Il est accompagné d’un intendant de notre entourage chargé d’acheter les animaux et de les sacrifier à titre d’offrandes à Dieu, auprès de ces sanctuaires vers lesquels se tournent dés le matin, les espérances. »
Le moqadem de la zaouïa nous invita la veille à filmer l’invocation de clôture sur la montagne, au quelle notre équipe s’est rendue dés le levé du jour(c’était au mois d’août 1997). Après l’invocation collective sur la montagne, tout le monde a décampé pour se rendre ailleurs, jusqu’au prochain mousem.
Abdelkader Mana
15:03 Écrit par elhajthami dans Histoire, Musique, religion | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : tiznit | | del.icio.us | | Digg | Facebook
21/04/2012
Un symbole de la tolérance
Notre ami bien aimé, Mustapha Anouar, l'Imam et le muezzin de la grande mosquée Ben Youssef d'Essaouira, n'est plus!De son vivant il s'arretait avec son éternelle bicyclette pour me saluer à chaque fois que j'étais de passage dans ma ville: il ne culpabilisait jamais au sujet de la religion, il comprenait parfaitement nos désirs et nos faiblesses humaines.Il était d'une tolérance et d'une ouverture d'esprit qui m'ont toujours étonné.Il était tout simplement comme la plupart des vieux mogadoriens tolérant parce qu'il a vécu dans une ville multiconfessionnelle où on avait pour voisins aussi bien des juifs que des chrétiens; auxquels on devait respect en tant que gens du livre ...
Si Mustapha Anouar était le digne successeur de l'Imam de cette grande mosquée comme me le relatait mon père à propos de cette anecdote sur la cohabitation des religions à Mogador: « Le prêtre de l’église locale avait l’habitude de se rendre tôt à la plage de Safi, au nord d’Essaouira. Un jour il perdit un gousset plein de louis d’or, non loin de Bab Doukkala. Le grand- père de Ben Miloud, qui était imam à la Grande Mosquée, et qui avait lui aussi l’habitude de faire sa promenade matinale au bord de la mer, découvrit le gousset de louis d’or. Le jour même, il fit appel au crieur public pour annoncer au travers les artères de la ville, que « quiconque avait perdu un gousset ; doit se présenter devant l’imam de la Grande Mosquée pour donner son signalement et son contenu, afin qu’elle lui soit restituée. Le prêtre se présenta devant l’imam et retrouva effectivement son gousset de Louis d’or intact ».
L'Islam tradionnel au Maroc était tolérant
Au sortir de la prière du crépuscule, un vieux Mogadorien me tend un jeton dont se servaient les barcassiers pour charger et décharger les marchandises entre la porte de la marine et les paquebots qui attendaient au large : côté face « Essaouira » en arabe, côté pile, l’étoile de David. Comme le soulignait si bien le peintre Adrien Matham, qui accompagnait en 1641, un navire hollandais :« Il est à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir celui des Maures : le vendredi ; celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche ».
Dans une ville, les cadres sociaux de la mémoire, ce sont aussi des êtres - aussi discrets que sont les Berbères d'Essaouira face au Makhzen- mais dont nous devons veiller à ce que leur souvenir ne soit pas effacé...Il en va de notre humanité - même en tant que vivants ,de veiller à la mémoire des morts, de nos morts...Dans la mesure où ils constituent les témoins silencieux de ce que nous sommes et de ce que nous serons...dans la mesure où leur disparition nous rappel à la part du divin qui git en chacun d'entre nous : cette part d'amour qui nous relie pour ainsi dire au ciel de la métaphysique et de la transcendance...Et certainement au caractère éphèmère de notre pèlerinage en ce monde et parmi nos semblables..
Si Hamid Bouhad qu'on voit ici en arrière plan des femmes en haik de la ville,que Dieu lui fasse miséricorde.En apprenant son décès ces jours-ci,j'avais tout d'abord pensé à son homonyme un commerçant de la ville .Mais progressivement les souvenirs remontèrent lentement en surface: il s'agit en fait de mon propre enseignant de mathématique au lycée Akensous au tout début des années 1970! Il n'a jamais quitté Essaouira depuis lors:on pouvait le voir quotidiennement déambuler dans ses ruelles avec son ami Ahmed Othmani le propriétaire du bain Papes: les enfants des Papes étaient nos amis de la plages dans les années 1960.On pourrait ainsi, partant de la figure emblématique de Si Hamid Bouhad retrouver tous nos souvenirs d'enfance et d'adolescence à Essaouira.C'est en fait une part de nous mêmes qui part ainsi avec ces souiris qui n'ont jamais vraiment vieillis malgré le temps qui passe: leur souvenirs rugira longtemps avec l’éternel vent qui balaye ses rivages...
La grande mosquée Ben Youssef dominait l'espace urbain: on la voyait de partout
Quand la forte houle venait à les surprendre, me dit ma mère, les barcassiers se réfugiaient en haute mer. Loin des récifs côtiers où se fracassent les vagues. Ils restaient là, le temps que la tempête s’apaise. En attendant, la ville retenait son souffle.
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Les vides de son hémorragie
Sont cousus par la montée écumante du sel.
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Ce qui te fait gronder ô mer
N’est pas la mer
Ce sont les blessures du martyr Hallaj
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Mille et un clapotis de rames l’apaisent.
Tristesse, joie, tourments:en perdant ma mère, que Dieu lui fasse miséricorde, j'en perdis l’étoile du nord, j'en perdis l’axe du monde !J' en perdis la maîtrise de l’être...
Le temps qui passe que symbolisent aussi ces arbres disparus
La ville, ce n'est pas seulement des murs, mais aussi cet espace de sentiments et de souvenirs que nous avons partagé avec ses hommes et ses femmes par delà le bien et le mal...Parce qu'elle est d'abord constitué de suc humain, la ville part ainsi pierre après pierre comme si la voûte céleste elle-même allait s'effondrer sur nos têtes puisque selon une vieille légende berbère en cours dans ces parages : chaque fois que l'ame d'un être humain monte au ciel, une étoile en déscent.En tout cas c'est l'explication qu'on nous donnait enfant, du phénomène des météorites...
Les prières augmentent les lumières des étoiles, et jettent un pont par-dessus la mort.L’étoile polaire scintille à l’horizon. Violent mugissement, plainte pathétique de la houle qui gémit et qui pleure.Une étoile polaire scintille au dessus du rayon vert. Des ombres, tous les soirs, viennent sur les remparts contempler les îles. Frêle humanité qui semble surgir des temps antiques, accentuant l’aspect fontomatique de la ville. Lors de ma dérive au Haut - Atlas, j’ai laissé la porte grande ouverte sur les étoiles; Dehors, pleine lune, chiens errants, coassement de grenouilles, flûte enchantée du pays Haha : Au fond de la plaine qui s’assombrit, des hameaux s’allument ici et là, tandis qu’au firmament scintillent les étoiles. Spectacle sublime qui inspire au vieil Ijioui ces mots énigmatiques :
« Seuls les astronomes connaissent les étoiles, mais la poésie en parle à sa manière :
Celui qui a des frères, peut arroser les étoiles dans le ciel
Celui qui a des frères, peut semer le maïs parmi les étoiles.
Sur ce, le vieux poète détacha son âne de l’olivier sauvage et s’en fut par les sentiers fleuris au plus profond des montagnes. Du bord de la rivière d’Assif El Mal, on entend monter le côassement des grenouilles. Mystérieux, le potier-poète chuchote :
« La colonie d’abeilles a quitté sa ruche. Peut-être a-t-elle trouvé un verger fleuri ailleurs ? »
Ce à quoi son interlocuteur répond énigmatiquement :
« Qui peut l’attraper ? C’est dans le ciel que les abeilles se frayent leur chemin ».
Les poètes également.
Au Maroc, le calendrier agricol est fondé sur 28 mansions lunaires.Ce sont les vingt-huit manâzil . Plus complètement les manâzil al-kamar, sont les mansions lunaires, ou stations de la lune. Elles constituent un système de 28 étoiles, astérisme ou d’endroits dans le ciel près duquel la lune se trouve dans chacune des 28 nuits de sa révolution mensuelle. Le système des mansions lunaires a été adopté par les berbères, à travers des canaux encore inconnus, puisque le mot manâzil figure déjà dans le Coran (X, 5, XXXVI,39) Voici l’identification astronomique de quelques mansions lunaires citées à travers les dictons du calendrier agricol :
1. al-nateh, Arietis
2. al-boulda, région vide d’étoiles.
3. Saâd Dabeh, capricorni
4. Saâd al-Boulaâ, Aquarii
5. Saâd saoud, capricorni
6. Saâd Lakhbia, aquarii.
7. Batnou al-hout, andromedae...
Quand, en 1960, le tremblement de terre frappa Agadir, pendant plusieurs nuits de suite les gens ont dormi dehors : nous passions la nuit à la belle étoile,avec nos voisins, au marché aux grains ! De surcroit le desastre est survenu le jour de l’Aïd El Kébir,si ma mémoire est bonne : c’est cela « le déluge un jour de fête » dont parlait le Mejdoub !
La ville frémit comme un être vivant sous les fracas des houles. La prière des minarets se répand dans la lumière froide du crépuscule, en échos à la prière cosmique du firmament.
« Allons voir la mer
Restons face aux vagues jusqu’au vertige ».
Abdelkader Mana
07:03 Écrit par elhajthami dans religion | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : religion | | del.icio.us | | Digg | Facebook
18/08/2010
Jazouli
Dérive au piton rocheux d’El Jazouli
Coupôle blanche au sommet de la bétyle de Tazrout (Ph.A.Mana, février 2010)
Essaouira le jeudi 13 août 2008.
J’ai décidé de me rendre chez les Neknafa en pays Hahî, pour y enquêter sur le maqâm (mansion) d’El Jazouli, en appliquant l’enquête ethnographique à un sujet historique.A la gare routière un courtier répète inlassablement : Agadir !Agadir ! J’ai pris cette direction en s’arrêtant à Tidzi, de là j’ai empreinté une longue route serpentant au milieu de vallées fauves et déséchées jusqu’à Sebt Neknafa, souk hebdomadaire qui se tient chaque samedi et qui était vide ce jour-là. Je me suis rendu ensuite à Talaïnt, source thermale découverte récemment au bord de l’oued ksob, où les pèlerins observent une cure de plusieurs jours en s’abreuvant abondamment de son eau minérale sensée les débarrasser de leurs calculs.
Une fois sur place, on me proposa à prix modique une chambrette donnant sur la source chaude et l’oued ksob. Celui-ci a sa source au lieudit Igrunzar sur les hauts plateaux Mtougga, traverse ensuite les innombrables ravins du pays Hahî avant de se jeter à la mer près d’Essaouira. C’est son eau qui jadis irrigua les plantations saâdiennes de canne à sucre situées en aval, non loin de là. Ces plantations de canne, auxquelles s’est substitué aujourd’hui l’arganier, entouraient jadis, l’ancienne sucrerie de Souira Qdima, dont on peut encore admirer, les splendides aqueducs en pisée, au cœur des Ida Ou Gord. La source thermale se situe donc au bord de l’oued ksob, à la lisière des Ida Ou Gord et des Neknafa, tous deux faisant partie des douze tribus Haha.
Après avoir commandé un tagine de bouc à l’huile d’argan au cafetier, j’ai passé la nuit sur une natte. La petite chambrette ayant emmagasiné toutes les chaleurs d’août, j’ai laissé la porte grande ouverte sur les étoiles. Dehors, pleine lune, chiens errants, coassement de grenouilles, flûte enchantée du pays Hahî, trépignements de danseurs, applaudissements saccadés, youyous enthousiasmées de femmes berbères, rumeur au loin. Purification du corps, repos de l’esprit. J’espère me débarrasser ici de ce qui m’obstrue la vue de l’aube, pour être à nouveau admis à l’écriture.
Réveil à l’aube, marche, vers l’intérieur des terres, toujours en direction du soleil levant. Marche solitaire, par sentiers muletiers, oueds desséchés et falaises rocheuses où s’accrochent miraculeusement de squelettiques et noueuses racines d’arganiers. Paysage austère, terroir sévère, pays de moines guerriers.
Après le plat pays, les premiers escarpements de l’Atlas occidental au niveau des canyons granitiques de lalla Taqandout.
Le site de la grotte d'Imine Taqandout en images
La grotte d'Imine Taqandout, février 2010, Ph. A.Mana
Je marque une pose à la grotte d’Imin Taqandout, pour voir si la troglodyte que j’y avais rencontré jadis, y réside toujours.Sa mère, la tenancière des lieux, me dit que la belle bergère aux yeux verts et au corps élancé était finalement partie avec un jeune émigré dans un pays lointain et inconnu. Je lui demande si on pratique toujours l’Istikhara, cet oracle des génies de la grotte ?
Elle me répond que tout cela n’est que légendes. Les anciennes divinités sont ainsi reléguées au rang de génies, les anciennes religions à celui de magie.
Curieuse dénégation ethnographique, de la part de la tenancière même des lieux. Celle-là même que j’ai vu pratiquer, lors d’une précédente visite, le bain lustral au fond d’une pièce sombre de la grotte : après avoir chauffer à blanc deux fers à cheval, elle les étouffe dans un récipient rempli d’eau, qu’elle déverse ensuite sur le corps du pèlerin mis à nu : le feu, l’eau, purification du corps et de l’âme de ce bas monde et de ses souillures. Le fer éloigne les esprits, le fer à cheval porte bonheur, c’est pourquoi on le met sur les portes des maisons.
Il y avait aussi au fond de la grotte, un tout petit orifice creusé dans la roche : le traverser sans encombre est signe de piété filiale, et maudit soit-il, celui qui s’y bloque ! Toujours ces satanés rites de passage, cette symbolique de la mort suivie de résurrection et de re-naissance. Mais depuis que des personnes corpulentes s’y étaient trouvées prisonnières, l’orifice a été condamné pour toujours. Plus de renaissance magique du ventre même de la terre nourricière!
En quittant la grotte; les escarpements qui mènent au cénotaphe d'El Jazouli
Le pèlerinage à la grotte est sensé guérir les possédés : lalla taqandout qui l’habite Artsawal (elle parle) aux djinns. Elle leur dit : « Que vous a fait un tel pour mériter vos foudres ? » Et les djinns de délivrer la personne qu’ils possèdent. Beaucoup de ceux qui sont « atteints » guérissent de la sorte, généralement après une nuit d’incubation dans la grotte. Une entité surnaturelle masculine du nom de Sidi Abderrahman, y réside également.Elle aussi recourt au « parlé en état de transe », qu’on appelle ici Awal , qu’on retrouve chez les voyantes médiumniques des gnaoua sous le nom de « N’taq » (la voyance, le parlé en état modifié de conscience).
C’est en traversant le mont Tama à l’aube, que je me suis rendu en pèlerinage avec ma mère, pour la première fois à la grotte d’Imine Taqandoute. J’étais encore enfant et je montais le robuste mulet de mon oncle Mohamad. J’avais l’impression que le mulet qui me transportait était en prise directe avec les énergies telluriques de la montagne, avec ses pentes abruptes, ses blocs de granits, ses arganiers noueux, et ses sentiers serpentant, tantôt vers le haut tantôt vers le bas.
Une fois parvenu à la grotte hantée d’esprits, je me souviens surtout du sacrifice d’un bouc noir, et du fait qu’on m’obligea à passer au travers d’un étroit orifice au fond de la grotte : ce qui constitua pour moi, comme une seconde naissance. Imine – Taqandout est au pays hahî, ce qu’est la grotte de Sidi – Ali – Saïeh (l’errant) au sommet de la montagne de fer est au pays chiadmî, le pays de mon père. Mon enfance a été ainsi bercée autant par le paganisme de mes ancêtres que par les grands mystiques du Sud marocain qui ont marqué mon père : le Cheikh Naçiri de Tamgroute et Sidi Slimane el Jazouli.
Le sacré se manifeste ici de multiples manières : par le culte de la grotte, celui des amas de pierres sacrées (karkour), celui des arganiers et des oliviers sauvages, celui de la sainte source, et de la bétyle d’ogresse, et enfin par le maqâm(mansion) de celui qu’on appelle en cette montagne berbère Sidi M’hand Ou Sliman El Jazouli, l’auteur de Dalil el khayrate, qui réveilla la ferveur religieuse des marocains contre l’incursion portugaise sur les côtes. La coalition groupée autour de lui contre l’envahisseur, fut pour beaucoup dans le renversement de la dynastie mérinide, laissant ainsi toute latitude aux chérifs Saâdiens pour instaurer une nouvelle dynastie sur les débris de l’ancienne. Il mourut assassiné en 1465 à Afoughhal près de Had – Dra, en pays Chiadmî. Des historiens affirment qu’il fut empoisoné par les mérinides
Bétyle et karkour
Je continue mon ascension solitaire vers le piton rocheux de Tazroute (« rocher » en berbère) au sommet duquel scintille la blanche coupole d’El Jazouli. Je traverse d’abord Tagoulla Ou Argan (amphore d’argan), cette arganeraie sauvage qui pousse sur une cuvette sous forme d’anse , avant de prendre d’assaut le haut lieu et son sanctuaire. En cours de route, je marque une pose à Asserg N’Taghzount (le bétyle d’ogresse) ; stèle rocheuse sur laquelle, nous dit-on, se dressent les femmes stériles désirant un enfant. Sous les regards médusés des bergers et de leurs troupeaux de chèvres, elles s’écrient : « Ô, mes enfants ! ».Si jamais à ce moment précis, des oiseaux noirs les survolent ; c’est signe de bon augure. Si non les présages des cieux seraient réservés. Elles y font halte à chaque r corvée d’eau à la « sainte source », en chantant :
Asserg N’taghzount, aygan agourram
Ourat t’sar n’tou, oura ghat’anfal
Oudanna ghid nazri, atid n’aslay
Ô bétyle d’ogresse ! Tu es notre lieu saint.
Jamais, on ne t’oubliera ! Jamais, on ne te délaissera !
A chaque fois qu’on passera par ici,
On s’arrêtera à notre bétyle d’ogresse!
Asserg N'taghzount (la bétyle d'ogresse)
En 1984, à mon retour du daour , je faisais état de ma découverte de « fiancées pétrifiées » laâroussa makchoufa, à lalla Beit Allah au mont Sakyat et au sommet du djebel Hadid, ce qui permettait à Géorges Lappassade de faire le lien avec le bétyle phénicien découvert sur l’île . Il écrivait alors dans un article parut au mois de décembre 1985 :
« Beaucoup d’objets qui témoignent d’une haute antiquité ont quitté l’île pour rejoindre le Musée d’Archéologie de Rabat. Mais un de ces objets est resté dans l’île. C’est une grande pierre jadis dressée dans le ciel. On trouve partout des bétyles datant d’une époque précédant les grandes religions monothéistes : il y en avait dans l’Arabie d’avant l’Islam. Le mythe de lalla Beit Allah chez les Regraga n’est pas sans rapport avec ces anciens cultes : on sait qu’il correspond, à des pierres dressées, qui furent ensuite recouvertes d’une toiture. C’est aussi le cas de « la fiancée pétrifiée », sur le djebel Hadid sur la route d’Essaouira à Safi. On ne doit pas, par conséquent suivre la tradition orale qui traduit « Beit Allah », par « Maison de Dieu », pour interpréter ce mythe hagiographique, il faut au contraire faire l’hypothèse d’un lieu de culte « mégalithique » lequel, sans remonter nécessairement à la préhistoire, ni d’ailleurs, pour ce lieu là, aux Phéniciens, a certainement précédé l’islamisation de la région des Chiadma. Pour le moment le Musée ne possède comme signe des Phéniciens que le fameux symbole de tanit que représente la fébule berbère en forme de triangle et qui figure comme armoirie de Tiznit ».
Tazrout , le gigantesque rocher qui se dresse au ciel et que surplombe le sanctuaire, est probablement un ancien bétyle. Il est entouré de deux autres rochers effilés qui se dressent à des hauteurs vertigineuses, qui donnent vaguement l’impression des formes anthropomorphiques (figures de singes et de lions sculptées dans le rocher), et dont la base est transformée en habitat troglodyte, sont probablement d’anciens bétyles également. Le maqâm d’El Jazouli couronne pour ainsi dire un ancien lieu de culte mégalithique berbère. Une sorte d’islamisation du paganisme. Sous le marabout,la mégalithe : c’est cela l’islam berbère,ou la berbérisation de l’islam si l’on préfère.
Les sources écrites utilisent improprement à son égard soit le terme Taghzout soit celui de Taçrout. On peut lire par exemple à ce sujet :
« En vertu de sa baraka qui apporterait la victoire, Le cercueil de Jazouli fut promené dans le Sud marocain par l’agitateur Omar Sayyaf el Maghiti ach-Chiadmi. A la mort de ce dernier, la dépouille mortelle d’El Jazouli fut enterrée à Taghzout (au lieu de Tazrout), puis enlevé par les gens d’Afoughal, qui l’inhumèrent chez eux. Mohamed el-Aaraj le Saâdien le fit transférer à Marrakech où il trouva enfin le repos. »
L’auteur andalous Mohamed çalih, utilise quant à lui le terme de Taçrout :
« L’Imam Ben Sliman Essamlali El-djazouli,est né dans l’extrême Sous dans la fraction des Semlala de la tribu de Djazoula, au commencement du IXè siècle de l’hégire ; il mourut à Tankourt dans le Sous vers 1465 et fut enterré d’abord à Taçrout (c'est-à-dire, notre Tazrout des Neknafa), puis à Afoughal. Enfin une soixantaine d’années après sa mort, son corps fut transporté à Marrakech sur l’ordre du premier sultan Saâdien Abou Âbbas Ahmed El Aâredj, où il fut inhumé à Riad Laârous. »
La méthode ethnographique, c'est-à-dire le terrain, permet non seulement de rétablir le véritale toponyme du site de tazrout (le « rocher » en berbère),mais de découvrir qu’il s’agit en fait d’un bétyle et même de plusieurs se dressant au ciel dans un paysage fauve, attestant d’un ancien site mégalithique berbère.
Des escaliers taillés dans le rocher
On aurait enterré jadis al-Jazouli à cet endroit inaccessible de Tazrout pour préserver ses reliques du vol. Car il y a bien eu « guerre des reliques » entre Haha et Chiadma, à en croire le moqaddam de la source chaude :
- Du temps des luttes intertribales entre Neknafa, Mtougga, et Chiadma, les uns et les autres cherchaient à l’ensevelir sur leur territoire pour bénéficier de sa baraka. On croyait alors que la tribu qui en aurait pris possession aurait la prééminence sur les autres.
Selon Ibn Âskar, « à la mort du cheikh, le cercueil fut déposé au milieu d’une raoudha (un cimetière) dans un endroit appelé ribât ; il ne fut pas mis en terre. Le caïd, par crainte d’un enlèvement le faisait garder : chaque nuit le caïd faisait brûler un moudd d’huile et la lumière, en atteignant au loin, éclairait les chemins et les voyageurs qui les suivaient. Le corps du cheikh reposa dans ce pays jusqu’au jour où il fut emporté à Marrakech. Lors du transfert du corps d’Al-Jazouli à Marrakech, soixante dix sept ans après sa mort, on constata que rien n’était changé en lui. Les Saâdiens montèrent sur le trône en l’an 930(J.C. 1523-1524). C’est Al Aâraj, le premier de cette dynastie ; qui ordonna le transfert à Marrakech de l’imam Al-Jazouli pour qu’il soit enterré à Riyâdh – Al- Ârous, à l’intérieur de la ville. Sur sa tombe on éleva un monument splendide et grandiose. »
La mémoire d’Al-Jazouli sera revendiquée de bonne heure par la dynastie saâdienne, en la personne du fondateur Mohamed El-Qâ’îm venu depuis le Draâ et se faisant enterrer à Afoughal en 927/1517, près du corps du saint martyre, empoisonné sur ordre des mérinides. Une fois devenu souverain du Maroc, le Saâdien Moulay Ahmed Al Aâraj, ordonna le transfert des dépouilles de son père et de celle de l’imam El Jazouli, du lieu dit d’Afoughal à Marrakech où ce dernier figure parmi les sept saints de la ville.
Cette vénération particulière des Saâdiens pour El Jazouli s’explique de deux façons : c’est aux zaouia issues de ce cheikh que les Saâdiens ont dû leur élévation au trône d’une part, et d’autre part l’importance du tombeau de El Jazouli était telle que les sultans de la nouvelle dynastie croyaient sans doute préférable d’avoir dans leur capitale un sanctuaire qui était un véritable centre de ralliement.
En remontant toujours plus haut, le défilée rocailleux de Taqandout, débouche sur la « sainte source » (l’aïn tagourramt), que surplombe un vieux arganier. Deux paysans y puisent une eau de roche, à la fois fraîche et pure. Le plus vieux me dit :
- Ben Sliman El Jazouli, le saint protecteur du pays a disparu, il y a cinq siècles et demi de cela. Il est dit « dou qabrein » (le saint aux deux tombeaux) parce qu’il a un sanctuaire ici, et un autre à Marrakech. Sa dépouille fut transférée à Marrakech , soixante quinze ans après sa mort.Il luttait contre les portugais. Il enseignait le Coran et le Jihad. Les deux armes de l’époque. Après sa mort, on s’est mis à transporter ses reliques pour vaincre grâce à leur baraka au Jihad.
L’influence portugaise se heurta, devant Mogador, à une résistance don’t l’âme fut l’organisation maraboutique des regraga. Les affrontements entre Portugais et Berbères Haha devaient se poursuivre au delà de 1506.L’âme de la résistance locale à l’influence portugaise fut regraga, sous la direction du mouvement jazoulite don’t le fondateur, l’imam Al Jazouli, s’établit au lieu dit Afoughal, près de Had – Draa, où il prêcha la guerre sainte contre les chrétiens, avec une telle foi qu’il eut bientôt réuni plus de douze mille disciples de toutes les tribus du Maroc. Après avoir séjourné à Fès, Tit et Safi, El Jazouli se retira à la campagne dans les tribus Haha et Chiadma, non loin du mysticisme Regraga qui depuis 771 (1370) existe à l’embouchure de l’oued Tensift.
L’enseignement de Jazouli et de ses nombreux disciples a profité du mouvement de rénovation religieuse causé par l’invasion portugaise et y a gagné une telle notoriété et une telle autorité que la tariqa Jazouliya a fait oublier la tariqa Chadiliya don’t elle procède et l’a complètement remplacé au Maroc.
Chez les Neknafa, on lui consacrait jadis une frairie de trois jours à chaque mi-septembre julienne. Du temps du protectorat, le caïd M’barek y sacrifiait taureau avec Ahwach et fantasia.Maintenant, il semblerait que son affluence est beaucoup moins importante. Parmi ses disciples, on cite Abdelaziz Tabaâ, l’un des sept saints de Marrakech, qui fut le maître spirituel de Sidi Hmad Ou Moussa dans le Sous et de Sidi Saïd Ou Abdenaïm le grand saint des Aït Daoud en pays Hahî. D’après un acte recueilli chez les Mtougga, ce dernier, après avoir fonder une « principauté maraboutique » dans le Sous, convoqua à son chevet les Haha et les Mtougga à la fin de ses jours. Après une pieuse homélie, il les requit de la célébration annuelle d’un maârouf au début du mois de « mars berbère », mars’ajâmi(sic). Ils acquiescèrent dans un grand élan de contrition. Et chaque tribu de s’engager spontanément à verser aux descendants du saint, qui de l’orge, qui du beurre ou de l’huile. L’ensemble est qualifié de khidma, « service » et churût, « stipulation ». Cela se passe dans le courant du Xe siècle de l’hégire, c’est-à-dire au XVIè siècle. Le texte indique le processus habituel de ces engagements de groupe à patron. On retrouve là ces mêmes rapports sociaux de protection que nous avons découvert ailleurs entre saints Regraga et tribus-servantes Chiadma lors du pèlerinage circulaire du printemps.
Après m’avoir offert l’hospitalité d’usage, le fqih en charge du maqâm, me lit une brève biographie de l’auteur de Dalil El Khaïrate :
Jazouli était né dans la fraction des Semlala de la tribu des Jazoula de l’Extrême –Sud marocain. Il était donc de souche berbère. Il étudia à Fès, mais c’est au ribat des B. Amghar, à Tît, au Sud d’El Jadida, qu’il s’initia aux doctrines de Chadili, ramenées d’Orient par d’autres Cheikhs du Sud marocain. Sous les saâdiens, un marabout des B.Arous, descendant de Moulay Abdessalam b.Mechich, conduisit les contingents des Jbala à la Bataille des Trois Rois. Sa victoire accrut son prestige et il ramena la doctrine jazoulite dans sa montagne natale. C’est désormais de Jazouli que se réclameront tous les fondateurs de confréries, et la tariqa chadiliya au Maroc ne sera plus guère nommée que tariqa jazouliya. Les pérégrinations post mortem de Jazouli montrent de quel prestige il jouissait dans le Sud marocain. Pour cette raison on lui attribue un rôle central dans le développement des zaouia et des turuq (voies soufies), durant le 16ème et 17ème siècle.
C’est au cours de son séjour studieux à Fès qu’Al-Jazouli rencontra une autre figure du mysticisme marocain. Il s’agit de Sidi Ahmed Zerrouq El Bernoussi né dans la tribu des Branès aux environs de Taza en 1442. Dans sa quête du savoir théologique et mystique, l’itinéraire de ce dernier est celui des maîtres spirituels de son temps. Après s’être imprégner de l’ordre mystique de la Chadiliya et du savoir théologique de la Qaraouiyne de Fès, il se rendit en pèlerinage au Moyen Atlas auprès du maître Soufi Sidi Yaâla, puis Sidi Bou Medienne de Tlemcen, de là à Bougie où il aura ses premiers disciples. A son retour de la Mecque , il s’établit dans l’ancienne oasis libyenne de Mestara, où il mourut dans sa retraite en 1494. Pour les amis de la légende, c’est plutôt le fils qui serait enterré en bordure de la Méditerranée en Libye, et c’est le père qui serait enterré chez les Branès, où sa dépouille aurait été amenée de Fès sur une jument. Malgré le cursus commun, de ces deux pérégrinant et maîtres spirituels, c’est finalement al-Jazouli qui aura le plus de prégnance sur le maraboutisme marocain, en particulier auprès des Regraga, qu’il entraîna dans le jihad contre les incursions portugaises sur les côtes, et auprès de la confrérie des Hamacha don’t le maître spirituel se réclamait du Jazoulisme.
Sur cet Islam maraboutique et confrérique voici ce que nous dit Jacques Berque :
« Il arrive en effet que, par un échange très compréhensif, le confrérisme prenne appui sur des marabouts et les marabouts sur une confrérie. Dans les deux cas, le résultat sera le même sur le terrain : on aura cet établissement pieux : la zaouia. La plupart de ces zaouia procèdent de quelques grands saints du haut Moyen Âge, disons de la retombée des siècles d’or de l’Islam. Citons par exemple celle du Cheikh Abd al-Qâdir al-Jîlânî de Bagdad, d’Abou Median de Tlemcen, mort à l’extrême fin du XIIè siècle, du cheikh Abûl’Hassan al-Châdhulî qui rénova l’exercice du mysticisme populaire dans le courant du XIIIè siècle. Périodiquement ces écoles s’affaissent. Elles requièrent alors une rénovation, qui donne parfois naissance à des écoles dérivées ou dissidentes. Le fameux Mohamed al-Jazûlî, originaire des Idaw Semlal de l’Anti-Atlas (mort en 1473/4), a laissé un wird (formulaire d’oraisons), le Dalâ’il al-khayrât, que j’ai vu moi-même psalmodier par un cercle de vieillards assis sous une accaciée géante dans le lointain Darfour. Le cheikh Zerrûq (1442-1494), qui étudia à Fès, puis fixé à Bougie, et de là émigré sur la côte des Syrtes exerça une influence si profonde qu’il n’est guère aujourd’hui de congrégation qui ne le compte parmi ses références ou asnâd. Le Maroc et son extrême Sud paraissent avoir constitué le foyer le plus constant de ces mouvements...Le cheikh Ben Nâcer (mort en 1669) fonda à Tamgrout dans le Draâ, l’ordre Nâcirîya...Disons qu’à l’encontre d’une opinion trop répondue aujourd’hui, l’Islam des marabouts et des confréries a généralement assumé, pendant un demi siècle au moins après la conquête d’Alger, une résistance violente ou sournoise, don’t l’Islam citadin, par la force des choses, était généralement incapable. »
Les amandiers sont mauves juste avant d'éclore
Tout un village est édifié là haut autour du maqâm que prolonge une medersa qui prodigue un enseignement religieux semblable à celui de la medersa çaffârîn (relieurs) de Fès, où l’Imam avait fait ses études au temps des mérinides et qui sera plus tard le prototype de toutes les medersa du Maroc.
D’après Ibn Âskar :
« L’auteur de Dalaïl el Khaïrat qui suivit au début à Fès les cours de la Madrasa çaffârîn, occupait une chambre dans laquelle, dit-on, il ne laissait entrer personne. Apprenant la chose, son père se dit en lui-même :
- Il ferme la chambre parce qu’elle renferme quelque trésor.
Et il quitte son pays de Semlala dans le Sous, se rendit à Fès auprès de son fils et lui demanda de le laisser entrer dans la chambre. El Jazouli accéda à son désir ; sur les murs, de tous les côtés, étaient écrits ces mots :
« La mort ! La mort ! La mort ! »
Le père comprit alors les pensées qui hantaient son fils ; il se fit des reproches à lui-même :
- Considère, se dit-il, les pensées de ton fils et les tiennes !
Il prit congé de lui et revint à son pays d’origine. »
La mort hantait également Fatima, la sœur aînée de ma mère, que nous appelons affectueusement « lalla », notre marraine à tous. Comme Sidi Sliman El Jazouli, elle était également originaire, par sa mère, de la tribu des Semlala dans le Sous. Elle avait acheté il y a quelques mois déjà son propre linceul, le déposant au milieu, des tolbas qui firent festin et oraison funèbre au hameau de Tlit, où elle s’est retirée ces dernières années. Elle n’avait qu’un seul vœux : mourir dans la dignité, en finir par une mort aussi subite qu’une cruche qui se briserait d’un coup à la margelle d’un puit.
Abdelkader MANA
03:08 Écrit par elhajthami dans Histoire, le pays Haha, religion | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, jazouli; neknafa; saadien, haha | | del.icio.us | | Digg | Facebook
29/04/2010
Nuit Soufie
Nuit soufie
Le soufi doit passer par une initiation progressive, sous la direction d'un maître vivant. L'ascension des soufis se fait donc à travers les demeures ou stations, chacune est marquée par un « état spirituel »(hal) particulier. Aux progrès dans la voie spirituelle, correspondent des niveaux d'initiation : des novices, aux initiés, jusqu'aux agrées et aux parfaits. Cette quête de purification du cœur requiert de relier les étapes à chacun des horizons. Le but ultime de ce voyage à la fois réel et symbolique est de préparer l'âme à l'union divine..
A chaque fête du Mouloud, des milliers d'adeptes venus de toutes les régions du Maroc, mais aussi de Thaïlande, d'Europe, d'Amérique et d'Afrique se retrouvent à la zaouia - mère de Madagh, pour commémorer en présence de Sidi Hamza, leur maître spirituel vivant, la naissance du Prophète. La fête a lieu au 1er Rabiâ Al Awal 1426, qui correspond cette année au mardi 11 avril 2006, où elle coïncide avec un printemps particulièrement florissant. Deux nuits soufies auront lieu simultanément : d'un côté celle des femmes, de l'autre celle des hommes, en présence de Sidi Hamza le guide spirituel.
En ce printemps de l'aube hégirienne, le ressac de la Méditerranée nous invite à la méditation. L'être est en quête naturel d'absolu comme le pêcheur à la ligne va à la rencontre des insondables abysses bleus. Nous sommes ici aux confluences de l'embouchure de la Moulouya , à la plage de Saïdia qui confine à la frontière algéro - marocaine où la plaine de Triffa s'étend au pied du massif des Bni Snassen qui atteint 1665 mètres au Jbel Afoughal. La plaine de Triffa, qu'irrigue le Moulouya comprend des douars d'origine algériens. Ils s'y sont établis vers 1830, sur les traces de l'émir Abdelkader. C'est dans cette grande plaine de Triffa, doucement ondulée aux terres si fertiles que la mise en valeur des fermes coloniales avait commencé au Maroc. La plupart des tribus de la frontière, surtout les Béni Snassen, étaient dévoués à l'émir Abdelkader, lui-même éminent soufi - sa dépouille repose à Damas près du tombeau d'Ibn Arabi. Cette résistance de la montagne des Bni Snassen à la pénétration française se poursuivit jusqu'à la capture le 31 décembre 1907, de Sidi Mokhtar Boutchich. C'est après sa reddition que ce dernier quitte la montagne des Bni Snassen pour venir s'établir dans la plaine de Triffa plus précisément au village de Madagh qui va devenir la zaouia - mère de la Tariqa Boutchichia , avec le Cheykh Abou Mediane, mort à Madagh en 1955.Lui succédera alors jusqu'au début des années soixante dix, le Chaykh Sid El Abbas, le père de Sidi Hamza, le Chaykh actuel de la Tariqa. Cette Voie se nomme « Qadiriya » par référence à Moulay Abdelkader Al Jilani, maître soufi qui vécu à Baghdad au 12ème siècle.
Une Voie spirituelle se présente comme un chemin de retour à soi et à Dieu.Au cours de ce voyage initiatique sur la « voie » de la perfection soufie, les «faqirate » et les « foqara » - ces femmes et ces hommes ivres de Dieu- doivent passer par plusieurs étapes appelées « ahwâl »pour atteindre les stations spirituelles appelées « maqâmât », Ces diverses étapes de la voie soufie, sont sensées conduire au dévoilement progressif et à la purification des coeurs.
Faouzi Skally en campagnie de Sidi Hamza
La tariqa Boutchichia auquelle est affilié Monsieur Ahmed Tawfiq, l'actuel ministre des Affaires religieuses, est une pepinière d'intellectuels de haut niveau tel Faouzi Skally, auteur de nombreux ouvrages sur le soufisme et ex- directeur du festival des musiques sacrees de Fès.
La Tariqa, ou « voie soufie » s'inscrit dans une chaîne ininterrompue de maîtres spirituels, héritier chacun de ce secret, jusqu'au Prophète de l'Islam et, à travers lui, toute la chaîne des Saints et des Prophètes antérieurs. Le Shaykh Sidi Hamza est actuellement considéré par ses disciples, comme un « Maître vivant », le représentant authentique d'une tradition vivante du soufisme, voie de la réalisation intérieure en Islam. Le soufisme plonge ses racines dans le Coran, riche en allégories qui nourrissent la méditation silencieuse des soufis. Parmi les sourates qui jouèrent un rôle privilégié dans la méditation soufie, la « sourate de la lumière » est l'une des plus importantes et des plus belles :
Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un verre pareil à un astre étincelant qui s'allume grâce à un arbre béni : un olivier qui n'est ni de l'Orient ni de l'Occident et dont l'huile brillerait sans qu'un feu la touche, ou peu s'en faut.Lumière sur lumière.
Le thème de la lumière est une des constantes de l'enseignement soufi, comme du Coran : « Dieu dirige vers la lumière qui il veut. »
C'est elle qui pénètre dans les cœurs qui s'ouvrent à Dieu. Elle se présente chaque fois comme une force spirituelle, un appel à la vie intérieur.
Sidi Mounir, fils du maître spirituel de la tariqa Boudchichia nous déclare à ce propos : « Le Tassaouf tel qu'il a été défini par les soufis, depuis l'envoyé d'Allah - que la bénédiction soit sur Lui - est d'être d'une vertu noble, laissant de côté toute bassesse. Le Tassaouf , c'est comment le musulman peut-il s'accomplir à travers les relais de l'Islam. C'est-à-dire se réaliser par le perfectionnement religieux et soufi. Travailler à l'éducation spirituelle du musulman pour l'élever aux hautes sphères mystiques. Depuis l'adhésion à l'Islam qui s'accomplit par la langue, en passant par la foi et l'adhésion du cœur, jusqu'à la station du bienfait qui est la sphère de l'adoration sincère d'Allah : que tu prie Allah comme si tu le vois, car si tu ne le vois pas, Lui, il te voit.Le Tassaouf, n'est pas un intrus en Islam, comme le sous entendent les orientalistes, qui ont écrit dans nombre de leurs livres et recherches, que « le Tassaouf est une simple rose dans un désert stérile ». Ils voulaient ainsi dépouiller l'Islam de cette dimension spirituelle essentielle qui est au fondement des vertus morales. C'est l'envoyé d'Allah - que la bénédiction soit sur Lui - qui est considéré comme le modèle parfait et la miséricorde accordée. Il est l'exemple même dont les soufis suivent la trace dans leur méthode. La définition du Tassaouf dérive également de cette citation coranique :« Et tu es certes d'une moralité imminente », comme se plait à la citer le guide spirituelle de la Tariqa Qadiriya Boutchichia Sidi El Haj Hamza, qu'Allah lui accorde longue vie. La vérité du Tassaouf réside dans la sincérité de l'adoration d'Allah le plus haut . A en croire Shaïkh Zerrouq, le soufi marocain, on compte plus de deux mille définitions du Tassaouf , qu'on peut subsumer en une seule : le fait d'être sincère dans l'adoration d' Allah. »
L'une des obligations de l'adepte est d'accomplir jour et nuit le wird de la tariqae . Cela consiste à égrener au chapelet continuellement les beaux noms d'Allah. Le Wird est le premier type de Dhikr que reçoit le disciple lorsqu'il s'engage dans la Voie. Celui-ci est constitué d'un ensemble d'invocations, que le Guide communique à son disciple.C'est la mention incessante de Dieu, l'oubli de tout ce qui n'est pas Dieu : « Remémores (udhkur) ton Seigneur quand tu auras oublié. ». Selon Ibn Âta' Allah « le Dhikr est un feu. S'il entre dans une demeure, il dit : c'est moi, non un autre ! S'il y trouve du bois, il le brûle, s'il y trouve des ténèbres, il les change en lumière ; s'il y trouve de la lumière, il y met lumière sur lumière ».
Encore lui , Sidi Mounir le lumineux :
« On peut éclairer la question relative au maître spirituel - considéré comme signe d'Allah le très haut - en le comparant au miroir pur qui reflète la vérité du musulman. Dans le sens où le Prophète, dit : « le croyant est le miroir du croyant ». De nombreux autres dits du Prophète confirment cette fraternité en Allah. La question qui se pose est la suivante : Pouvons nous atteindre la station de l'adoration par la science positive ? Une question que chacun de nous peut se poser, étant donné que la crainte de Dieu est une question d'intériorité, qui nécessite la foi, laquelle réside dans les cœurs.« La foi, elle est ici, elle est ici, elle est ici » disait l'envoyé de Dieu en désignant son cœur. Et ce cœur, il faut le purifier. Et je le répète, cette crainte de Dieu n'atteint que les esprits qui se sont intéressés à cette dimension spirituelle, qui est à la source de toute dévotion et de tout amour Divin. La science positive est acquise - chacun peut l'acquérir, qu'il soit musulman ou athée. Au point qu'à l'Université de la Sorbonne, il y a des professeurs qui maîtrisent la langue arabe ainsi que les sciences islamiques. Mais peuvent-ils pour autant atteindre la station de la crainte Divine grâce à leur savoir ? La réponse est non ! La science dont il s'agit ici est la science du cœur auquel l'envoyé de Dieu avait fait allusion par ce dit :
« Il y a deux sortes de sciences : une science dans le cœur, et c'est la science utile. Et une science dans la langue et c'est la preuve que donne Allah aux fils d'Adam. » Le compagnon ici est celui qui conduit à Dieu. Celui dont le Prophète a dit :« Il y a parmi les hommes des clés pour se remémorer Allah. Quand on les voit on se rappelle Allah ». Par conséquent le but du compagnonnage du guide spirituel est de t'indiquer et te faire connaître Allah, l'ineffable et le très haut. Ce compagnonnage spirituel est un devoir en Islam. Dis-moi qui accompagnes - tu, je te dirai qui tu es. »
La personnalité du soufi est comme possédée et volatilisée par Dieu. Le « choc mental » devient expérience d'une présence de Dieu nous dit Ghazali :« Les états d'extase divine, c'est Dieu qui les provoque tout entiers. L'extase, c'est une incitation, puis un regard qui croît et flambe dans les consciences. Lorsque Dieu vient l'habiter ainsi, la conscience double d'acuité. C'est un état modifié de conscience. Une transe. La conscience se tourne alors vers une Face dont le regard la ravit à tout autre spectacle.De bonne heure, ces séances évoluèrent vers le type du « concert spirituel » ou « oratorio »(samâ') : développant la partie « affections » de la méditation collective.Sidi Mounir, encore lui, toujours lui :« La Tariqa Qadiriya Boutchichia suit la Voie des congrégations mystiques dont la méthode est fondée sur le Livre et la Sunna . Ainsi que sur la conduite des compagnons du Prophète. Elle inculque l'amour du Prophète à ses disciples.Les soufis ont insisté sur cet aspect : la purification des cœurs et des âmes, pour consolider les vertus morales : les valeurs de tolérance , les valeurs d'amour, les valeurs de miséricorde. Les compagnons du Prophète suivaient en cela le modèle de leurs vertueux devanciers. Le Prophète, prière et bénédiction sur Lui, disait :
« Je suis la Cité des justes, et Omar est sa porte. »
Et concernant Othmane, il disait :
« Je suis la Cité de vie, et Othmane est sa porte ».
Et de la sincérité, il disait :
« Je suis la Cité des sincères, et Abou Bakr est sa porte ».
Les compagnons voyaient leurs états modifiés, chaque fois qu'ils quittaient les séances du Prophète. Ils vivaient alors dans une sorte d'égarement, quelque chose s'introduisait dans leur cœur les empêchant de ressentir la suave saveur de la foi, telle qu'ils la ressentaient en présence du Prophète, ou lors des séances du Dhikr. »
L'extase est un effet de la présence de Dieu. Mais l'âme au terme de son ascension mystique, peut ne plus avoir besoin de ces effets extérieurs de ravissement. Sa capacité d'amour s'est suffisamment agrandie, et maintenant
« la ferveur tout entière n'est plus que paix et amour suave. »
En Islam, le thème servant à exposer l'expérience mystique, c'est le cadre de l'ascension Nocturne :
« On sait, écrit Massignon, le rôle central de cette « extase » où Mohammed crut être transporté de la Mekke, d'abord sur l'emplacement du Temple(détruit)de Jérusalem, puis, de là, jusqu'au seuil de l'inaccessible Cité Sainte, où la gloire de Dieu réside. Cette visite, en esprit, de Mohammed à Jérusalem, est mentionnée en ces termes par la passion du Hallaj :« Celui qui cherche Dieu à la lumière de la foi est comme celui qui guette le soleil à la lumière des étoiles »
"O Nuit, que tu te prolonges ou que tu t'abrèges, ce m'est un devoir que te veiller. » s'est écrié un jour Shoshtarî, le maître des chantres du Samaâ.« La descente de Dieu ici - bas, chaque Nuit, pour réconforter les âmes ferventes », ce hadith est pour les mystiques, un symbole de la grâce. Dans son « Diwan », Hallaj écrit :
« L'aurore que j'aime se lève la nuit, resplendissante, et n'aura pas de couchant ». La « Laylat el Hajr » de Hallaj paraissant viser la nuit de l'esprit, sous d'autres symboles : l'oiseau aux ailes coupées, le papillon qui se brûle, le cœur enivré de douleur, qui reçoit.
Abdelkader Mana
03:57 Écrit par elhajthami dans religion | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : religion, soufisme, spiritualite, tariqa boudchichia | | del.icio.us | | Digg | Facebook
05/11/2009
Un christ arabe
Un Christ arabe
Par Falk van Gaver
Si la figure du Christ est présente dans l’islam, elle n’est pas celle du Jésus de l’Evangile. Cependant, une nouvelle figure du Christ est apparue dans la culture arabe contemporaine : celle du Christ poétique.
« Celui qui est atteint par cette passion qui s’appelle Jésus ne guérira jamais. » Cette sentence mystique n’est pas le fait d’un poétique franciscain ni d’une carmélite extatique, mais d’un maître soufi médiéval, le célèbre Ibn' Arabi.[1] Jésus, Yihuchua en hébreu, qui signifie « Dieu sauvera », est en effet présent dans l’islam, qui prêche un Christ né de la vierge Marie, reconnaissant en lui le Verbe et l’Esprit de Dieu. Le Coran le mentionne ainsi plus de 15 fois sous le nom d’Aissa et ne lui consacre pas moins de 93 versets. Pour autant, la christologie coranique ne se confond pas avec l’évangélique. Il est certes le Rasul, l’Envoyé, le Messager de Dieu, l’avant-dernier Prophète avant Mahomet. Successeur d’Abraham, Moise et Noé, Serviteur de Dieu (‘Abd Allah), il est chargé de rectifier la Torah par l’Evangile et répandre paix et lumière. « Al-Massih, Aissa Ibn Maryam » : le Messie, Jésus Fils de Marie. Le Jésus du Coran est même le Messie de Dieu. Dans la Sourate Maryam, l’islam admet sa naissance miraculeuse et virginale (versets 16-21), mais Jésus, « Fils de Marie », n’est pas Fils de Dieu (versets 89-95) : l’islam nie sa divinité et jusqu'à sa crucifixion. Dieu par miracle le délivra, un autre fut crucifié à sa place, et il fut enlevé au Ciel, d’où il reviendra sur Terre pour proclamer le Jugement dernier.
Demain, mon Seigneur reviendra
Sa voile est comme un nuage blanc
Aux doigts de l'aurore
Je savais quand il apparaîtrait,
Comment puis-je l'ignorer ?
Ses cordes, moi je les ai tissées,
Mes doigts les ont purifiées,
Et mes larmes les ont lavées
Comment puis-je l'ignorer ?
De retour,
Lorsque de loin,
Il apparaît comme une nuée a l'horizon
Demain, mon Seigneur reviendra
Il reviendra,
Des terres inconnues, derrière Chypre,
L'aimée, derrière Carthagène,
Il me revient.
O quelle joie...
Hier, il était vivant,
L'aube perçait ses yeux.
Portant un cœur, souriant
Aux lumières et aux douceurs
Brandissant son bras,
Frappant la terre de ses deux pieds
Claquant le vent de ses deux joues
Courant,
Ils disaient qu'il était
Un fleuve bouillant
Ils disaient qu'il était
Sérénité.[2]
Mais s’il est un grand Prophète, c’est surtout la tradition hétérodoxe et mystique de l’islam, le soufisme, que la figure de Jésus inspira : « Certains soufis sont profondément attachés à Jésus. Ils le voient comme un maître, un guide spirituel, un modèle de dépouillement total, un témoin de l’Amour divin, le type idéal de pauvreté spirituelle, d’ascétisme, de douceur. […] Pour le soufi, si l’âme devient assez pure et assez pleine d’amour, elle devient comme Marie et engendre le Messie. »[3] Voilà qui fait penser au superbe et si catholique Angelus Silesius en son Pèlerin chérubinique. Christ prophétique des sourates et des hadiths, Christ mystique des traditions soufies, il reste le Christ coranique sans grand rapport avec le Christ évangélique. Mais le Jésus oriental prendra une nouvelle figure au 20e siècle : celle du Christ poétique des jeunes nations arabes.
Jésus est passé par ici
Et ses yeux s'emplirent de larmes
Et il me dit :
Hier Jésus est passé par ici.
Jésus
Sa croix : deux branches ; olives, florissantes.
Ses yeux : deux étoiles
Son allure : une colombe.
Ses pas : des chants.
Hier il est passé par la
Et le jardin a fleuri
Et les enfants se sont réveillés,
Plus beaux
Et dans les cieux
Les étoiles de la nuit étaient
Comme des cloches,
Comme des croix
Noyées dans mes larmes
Le chagrin était
Notre sentier d'amour et d'oubli.
Notre terre verte,
Dans ses supplices,
Affaiblie par ses blessures,
Elle rêvait de lys
Et de milliers de Jésus
Qui porteront leur croix
Dans l'obscurité des prisons
Et qui seront nombreux
Ils offriront la vie à une postérité,
Qui sèmera de jasmin la terre de Dieu
Et qui enfantera des héros,
Des révolutionnaires et des saints.[4]
« La poésie arabe est née dans le désert. Elle célèbre le désert, non pas dans sa sécheresse mais dans sa richesse, la solitude qu’il permet autorisant l’homme à rêver, réfléchir, les oasis qu’il abrite étant semblables a autant de paradis sur terre. »[5] La poésie arabe précède l’islam : le prestige des poètes était si grand que l’islam naissant en prit ombrage : « Et quant aux poètes, ce sont les égarés qui les suivent. Ne vois-tu pas qu’ils divaguent dans chaque vallée, et qu’ils disent ce qu’ils ne font pas ? » (Sourate Ash-Shuara’a, Les poètes, 224-226) Mais en même temps le Prophète aurait dit dans un hadith : « Servez-vous de la poésie pour éclairer le Coran. » Tour à tour mystique et charnelle, ascétique et érotique, la poésie arabe classique est un splendide monument du patrimoine littéraire de l’humanité. Mais, au tournant du 20e siècle, de même que les occidentales, les lettres orientales font leur révolution. De nombreux mouvements poétiques, dont le plus célèbre reste Al-Diwan, fondé en 1921 en Egypte, introduisent la modernité poétique et littéraire dans l’Orient arabe. Le rôle des Arabes chrétiens, Libanais notamment, y fut décisif, et les influences de Khalil Gibran (1883-1931), l’auteur de Jésus Fils de l’Homme, marqueront un recentrement sur la figure du Christ et son ancrage dans l’héritage évangélique autant que coranique – et ce, qui est important, aussi bien chez les poètes musulmans que chrétiens. Quelques recherches récentes ont éclairé cet aspect méconnu de la république des lettres arabes.[6]
La bienveillance est née avec Jésus
Ainsi que la bravoure et la vie
Avec lui est né le chemin du salut
L'univers s'émerveille du nouveau-né
Le prodige du Christ s'est répandu
Comme s'irradie sur l'existence
La clarté de l'aurore.
Pus de menace,
Plus d'injustice,
Plus de vengeance,
Plus de sabre,
Plus d'invasion,
Plus de sang.
C'est un roi,
Un voisin intime de la terre.[7]
Mais le Jésus des poètes n’est pas non plus celui des Evangélistes : il est le Seigneur des pauvres et des opprimés. Pour le nationalisme arabe, il est une figure de la nation arabe écartelée ou de la Palestine crucifiée. C’est ainsi que Mahmoud Darwish le décrit : « C’est un enfant du pays, il est de Nazareth, en Galilée. Et puis, sa mission est très simple, c’est une mission de paix et de justice. Avec ses paraboles, il parle comme un poète. Le Christ est un état poétique à lui tout seul. Le Christ nous inspire et nous donne du courage. »[8]la Passion du Christ. « Je suis le Christ qui tire en exil sa croix », chantait Al-Sayyab. Cette identification poétique introduit dans la culture arabo-musulmane la figure christique, présence hérétique que de nombreuses voix islamiques condamneront et censureront. La poésie arabe moderne se dresse alors comme un nouvel évangile poétique contre la souffrance et l’injustice, cris de désespoir et de douleur, mais aussi écrits d’amour et de douceur. Parmi les plus beaux chants, il y a ceux des chrétiens Fawzi Maluf (1899-1930), Yusuf Al-Khal (1917-1987), des musulmans Ahmad Shawqi (1868-1932), Abd Al-Wahab Al-Bayati (1926-2000), Badr Shakir Al-Sayyab (1926-1964), ou Fadwa Tuqan (1917-2003)… Qu’ils soient Egyptiens, Libanais, Irakiens ou Palestiniens, ils expriment tous, avec leur liberté et leurs limites, quelque chose de l’insondable mystère du Christ. Mais, plutôt que de gloser davantage, laissons parler ces voix magnifiques qui chantent un autre Jésus, ni coranique ni évangélique, mais arabe et poétique. Le rêve brisé d’une nation arabe laïque et la défaite de 1967 ont plongé les poètes, « nouveaux prophètes », dans le doute et le deuil. Ils identifient le « martyre » de leur peuple et d’eux-mêmes à
Mon cœur est le soleil
Quand il s'ébroue de lumière.
Mon cœur est la terre frémissante de blé,
Des fleurs et de l'eau claire.
Mon cœur est l'eau, mon cœur est l'épi
Sa mort est résurrection
Il vit à travers ceux qui mangent.
Il vit dans la pâte qui s'arrondit,
Comme le sein de la vie.
Je suis mort par le feu :
De mon argile, j'ai brûlé l'obscurité.
Dieu seul est resté.
Je fus un commencement.
Et au commencement étais pauvre.
Je suis mort pour qu'on mange
Le pain en mon nom,
Qu'on me sème en la saison.
Combien de vies dois-je vivre ?
Dans chaque brèche, je deviens le futur,
Je deviens une graine,
Génération d'entre les hommes
Je deviens.
Et a chaque cœur d'hommes,
Je donne une goutte de mon sang,
D'une goutte, une parcelle.[9]
Falk van Gaver
[1] Les Illuminations de La Mecque, Albin Michel, 1997
[2] Le Retour, Yusuf al-Khal (Liban, 1917-1987)
[3] Faouzi Skali, Jésus dans la tradition soufie, Albin Michel, 2004
[4] Le Christ fidele (extrait), Abd al-Wahab al-Bayati (Irak, 1926-2000)
[5] René Khawam, La Poésie arabe, Phébus, 2000
[6] Chiheb Dghim, Jésus dans la poésie arabe chrétienne et musulmane, Editions de Paris, 2007
[7] Le prodige du Christ, Ahmad Shawqi (Egypte, 1868-1932)
[8] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul Dieu, entretien in Libération, 10 mai 2003
[9] Le Christ après la Crucifixion (extrait), B'adr Shakir As-Sayab (Irak, 1926-1964)
21:34 Écrit par elhajthami dans religion | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèsie | | del.icio.us | | Digg | Facebook