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05/11/2009

Un christ arabe

A mon ami Falk Van Gaver j'écris : Je viens de publier sur mon blog ton "Christ arabe". Il fait en effet partie profondément de notre inconscient collectif, comme le montre la légende des Regraga dans cette terre du Maghreb qui avait donné naissance jadis à un berbère dénommé Saint Augustin. Il me semble même l'avoir rencontré une fois: En 1983, faute de logement pour étudiant , on m'avait logé au presbytère du  Tholonet , un petit village situé à deux pas d'Aix en Provence dans la Haute Vallée de l'Arc,.... J'y logeais seul dans une vieille bâtisse de campagne  avec immense cuisine et chambre à coucher à baldaquin aux très hauts plafonds. Un soir d'hiver j'étais comme pris d'une crise mystique et je me suis mis à chanter des auratorios (le fameux samaâ) avec des accents mi-persans , mi-turcs, mi-bosniaques, la patrie de l'Imam Al Bousiri,l'auteur de la fameuse BORDA(tenture du Prophète) qui berça mon enfance au sein des confréries de l'extase... à ce moment là dans la profonde solitude du presbytère, j'ai ressentis dans le noir de la nuit de la solitude et du desespoire, comme le regard de Jésus qui se posait doucement sur moi. J'en tressaillis de tout mon être et j'élevais plus haut mes psaumes sur un ton qui me semble à la fois sincère et beau. Ce soir là, j'avais la conviction de pleurer et de chanter sous son regard...Oui, je me souviens de mon séjour au Tholonet lorsqu'au Vatican il y avait un Polonais...qui fut accueillis quelques années plus tard par le commandeur des croyant- auteur du "génie de la modération"- en cette terre marocaine où on ne pouvait pas faire un pas sans rencontrer un saint juif portant le nom de Sidi Ishak ou Sidi Brahim Ou Aïssa (Abraham et Jésus). Le Maroc est véritablement un carrefour des cultures et des religions. Un pays qui ne pourra jamais être lui-même, hospitalier et tolérant que dans le respect de l'identité spirituelle de l'autre qui est soi-même."Nulle contrainte en religion", "Dieu est amour," me disait inlassablement mon père; sinon rien...A.M.
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Le Tholonet était un des lieux préférés de Cézanne, la terre rouge, la roche grise, le ciel bleu azur sur lequel se détache la montagne Sainte-Victoire offre une palette de couleurs extraordinaires.

Un Christ arabe

Par Falk van Gaver

 

Si la figure du Christ est présente dans l’islam, elle n’est pas celle du Jésus de l’Evangile. Cependant, une nouvelle figure du Christ est apparue dans la culture arabe contemporaine : celle du Christ poétique.

« Celui qui est atteint par cette passion qui s’appelle Jésus ne guérira jamais. » Cette sentence mystique n’est pas le fait d’un poétique franciscain ni d’une carmélite extatique, mais d’un maître soufi médiéval, le célèbre Ibn' Arabi.[1] Jésus, Yihuchua en hébreu, qui signifie « Dieu sauvera », est en effet présent dans l’islam, qui prêche un Christ né de la vierge Marie, reconnaissant en lui le Verbe et l’Esprit de Dieu. Le Coran le mentionne ainsi plus de 15 fois sous le nom d’Aissa et ne lui consacre pas moins de 93 versets. Pour autant, la christologie coranique ne se confond pas avec l’évangélique. Il est certes le Rasul, l’Envoyé, le Messager de Dieu, l’avant-dernier Prophète avant Mahomet. Successeur d’Abraham, Moise et Noé, Serviteur de Dieu (‘Abd Allah), il est chargé de rectifier la Torah par l’Evangile et répandre paix et lumière. « Al-Massih, Aissa Ibn Maryam » : le Messie, Jésus Fils de Marie. Le Jésus du Coran est même le Messie de Dieu. Dans la Sourate Maryam, l’islam admet sa naissance miraculeuse et virginale (versets 16-21), mais Jésus, « Fils de Marie », n’est pas Fils de Dieu (versets 89-95) : l’islam nie sa divinité et jusqu'à sa crucifixion. Dieu par miracle le délivra, un autre fut crucifié à sa place, et il fut enlevé au Ciel, d’où il reviendra sur Terre pour proclamer le Jugement dernier.

Demain, mon Seigneur reviendra

Sa voile est comme un nuage blanc

Aux doigts de l'aurore

Je savais quand il apparaîtrait,

Comment puis-je l'ignorer ?

Ses cordes, moi je les ai tissées,

Mes doigts les ont purifiées,

Et mes larmes les ont lavées

Comment puis-je l'ignorer ?

De retour,

Lorsque de loin,

Il apparaît comme une nuée a l'horizon

Demain, mon Seigneur reviendra

Il reviendra,

Des terres inconnues, derrière Chypre,

L'aimée, derrière Carthagène,

Il me revient.

O quelle joie...

Hier, il était vivant,

L'aube perçait ses yeux.

Portant un cœur, souriant

Aux lumières et aux douceurs

Brandissant son bras,

Frappant la terre de ses deux pieds

Claquant le vent de ses deux joues

Courant,

Ils  disaient qu'il était

Un fleuve bouillant

Ils disaient qu'il était

Sérénité.[2]

Mais s’il est un grand Prophète, c’est surtout la tradition hétérodoxe et mystique de l’islam, le soufisme, que la figure de Jésus inspira : « Certains soufis sont profondément attachés à Jésus. Ils le voient comme un maître, un guide spirituel, un modèle de dépouillement total, un témoin de l’Amour divin, le type idéal de pauvreté spirituelle, d’ascétisme, de douceur. […] Pour le soufi, si l’âme devient assez pure et assez pleine d’amour, elle devient comme Marie et engendre le Messie. »[3] Voilà qui fait penser au superbe et si catholique Angelus Silesius en son Pèlerin chérubinique. Christ prophétique des sourates et des hadiths, Christ mystique des traditions soufies, il reste le Christ coranique sans grand rapport avec le Christ évangélique. Mais le Jésus oriental prendra une nouvelle figure au 20e siècle : celle du Christ poétique des jeunes nations arabes.

Jésus est passé par ici

Et ses yeux s'emplirent de larmes

Et il me dit :

Hier Jésus est passé par ici.

Jésus

Sa croix : deux branches ; olives, florissantes.

Ses yeux : deux étoiles

Son allure : une colombe.

Ses pas : des chants.

Hier il est passé par la

Et le jardin a fleuri

Et les enfants se sont réveillés,

Plus beaux

Et dans les cieux

Les étoiles de la nuit étaient

Comme des cloches,

Comme des croix

Noyées dans mes larmes

Le chagrin était

Notre sentier d'amour et d'oubli.

Notre terre verte,

Dans ses supplices,

Affaiblie par ses blessures,

Elle rêvait de lys

Et de milliers de Jésus

Qui porteront leur croix

Dans l'obscurité des prisons

Et qui seront nombreux

Ils offriront la vie à une postérité,

Qui sèmera de jasmin la terre de Dieu

Et qui enfantera des  héros,

Des révolutionnaires et des saints.[4]

« La poésie arabe est née dans le désert. Elle célèbre le désert, non pas dans sa sécheresse mais dans sa richesse, la solitude qu’il permet autorisant l’homme à rêver, réfléchir, les oasis qu’il abrite étant semblables a autant de paradis sur terre. »[5] La poésie arabe précède l’islam : le prestige des poètes était si grand que l’islam naissant en prit ombrage : « Et quant aux poètes, ce sont les égarés qui les suivent. Ne vois-tu pas qu’ils divaguent dans chaque vallée, et qu’ils disent ce qu’ils ne font pas ? » (Sourate Ash-Shuara’a, Les poètes, 224-226) Mais en même temps le Prophète aurait dit dans un hadith : « Servez-vous de la poésie pour éclairer le Coran. » Tour à tour mystique et charnelle, ascétique et érotique, la poésie arabe classique est un splendide monument du patrimoine littéraire de l’humanité. Mais, au tournant du 20e siècle, de même que les occidentales, les lettres orientales font leur révolution. De nombreux mouvements poétiques, dont le plus célèbre reste Al-Diwan, fondé en 1921 en Egypte, introduisent la modernité poétique et littéraire dans l’Orient arabe. Le rôle des Arabes chrétiens, Libanais notamment, y fut décisif, et les influences de Khalil Gibran (1883-1931), l’auteur de Jésus Fils de l’Homme, marqueront un recentrement sur la figure du Christ et son ancrage dans l’héritage évangélique autant que coranique – et ce, qui est important, aussi bien chez les poètes musulmans que chrétiens. Quelques recherches récentes ont éclairé cet aspect méconnu de la république des lettres arabes.[6]

La bienveillance est née avec Jésus

Ainsi que la bravoure et la vie

Avec lui est né le chemin du salut

L'univers s'émerveille du nouveau-né

Le prodige du Christ s'est répandu

Comme s'irradie sur l'existence

La clarté de l'aurore.

Pus de menace,

Plus d'injustice,

Plus de vengeance,

Plus de sabre,

Plus d'invasion,

Plus de sang.

C'est un roi,

Un voisin intime de la terre.[7]

Mais le Jésus des poètes n’est pas non plus celui des Evangélistes : il est le Seigneur des pauvres et des opprimés. Pour le nationalisme arabe, il est une figure de la nation arabe écartelée ou de la Palestine crucifiée. C’est ainsi que Mahmoud Darwish le décrit : « C’est un enfant du pays, il est de Nazareth, en Galilée. Et puis, sa mission est très simple, c’est une mission de paix et de justice. Avec ses paraboles, il parle comme un poète. Le Christ est un état poétique à lui tout seul. Le Christ nous inspire et nous donne du courage. »[8]la Passion du Christ. « Je suis le Christ qui tire en exil sa croix », chantait Al-Sayyab. Cette identification poétique introduit dans la culture arabo-musulmane la figure christique, présence hérétique que de nombreuses voix islamiques condamneront et censureront. La poésie arabe moderne se dresse alors comme un nouvel évangile poétique contre la souffrance et l’injustice, cris de désespoir et de douleur, mais aussi écrits d’amour et de douceur. Parmi les plus beaux chants, il y a ceux des chrétiens Fawzi Maluf (1899-1930), Yusuf Al-Khal (1917-1987), des musulmans Ahmad Shawqi (1868-1932), Abd Al-Wahab Al-Bayati (1926-2000), Badr Shakir Al-Sayyab (1926-1964), ou Fadwa Tuqan (1917-2003)… Qu’ils soient Egyptiens, Libanais, Irakiens ou Palestiniens, ils expriment tous, avec leur liberté et leurs limites, quelque chose de l’insondable mystère du Christ. Mais, plutôt que de gloser davantage, laissons parler ces voix magnifiques qui chantent un autre Jésus, ni coranique ni évangélique, mais arabe et poétique. Le rêve brisé d’une nation arabe laïque et la défaite de 1967 ont plongé les poètes, « nouveaux prophètes », dans le doute et le deuil. Ils identifient le « martyre » de leur peuple et d’eux-mêmes à

Mon cœur est le soleil

Quand il s'ébroue de lumière.

Mon cœur est la terre frémissante de blé,

Des fleurs et de l'eau claire.

Mon cœur est l'eau, mon cœur est l'épi

Sa mort est résurrection

Il vit à travers ceux qui mangent.

Il vit dans la pâte qui s'arrondit,

Comme le sein de la vie.

Je suis mort par le feu :

De mon argile, j'ai brûlé l'obscurité.

Dieu seul est resté.

Je fus un commencement.

Et au commencement étais pauvre.

Je suis mort pour qu'on mange

Le pain en mon nom,

Qu'on me sème en la saison.

Combien de vies dois-je vivre ?

Dans chaque brèche, je deviens le futur,

Je deviens une graine,

Génération d'entre les hommes

Je deviens.

Et a chaque cœur d'hommes,

Je donne une goutte de mon  sang,

D'une goutte, une parcelle.[9]

Falk van Gaver



[1] Les Illuminations de La Mecque, Albin Michel, 1997

[2] Le Retour, Yusuf al-Khal (Liban, 1917-1987)

[3] Faouzi Skali, Jésus dans la tradition soufie, Albin Michel, 2004

[4] Le Christ fidele (extrait), Abd al-Wahab al-Bayati (Irak, 1926-2000)

[5] René Khawam, La Poésie arabe, Phébus, 2000

[6] Chiheb Dghim, Jésus dans la poésie arabe chrétienne et musulmane, Editions de Paris, 2007

[7] Le prodige du Christ, Ahmad Shawqi (Egypte, 1868-1932)

[8] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul Dieu, entretien in Libération, 10 mai 2003

[9] Le Christ après la Crucifixion (extrait), B'adr Shakir As-Sayab (Irak, 1926-1964)


21:34 Écrit par elhajthami dans religion | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèsie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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