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23/10/2009

le printemps des Regraga

Les pèlerins - tourneurs du printemps

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« Dieu a crée les Prophètes en Orient et les marabouts au Maghreb. Les Regraga étaient des combattants de la foi : après avoir soumis les tribus berbères, il désignèrent un marabout à la tête de chacune d’elles. »

Le porteur d’eau des Regraga


Depuis des siècles, chaque printemps  du 21 mars au 29 avril  les Regraga effectuent un long périple dans l’espace sacré des Chiadma situé entre l’oued Tensift au Nord et la ville d’Essaouira au sud. Au mois d’avril 1784 Sidi Mohamed Ben Abdellah vient à Essaouira spécialement pour rencontrer les Regraga à la période du daour ou pèlerinage circulaire. En mars 1984, pour y voir clair, j’ai pris mon bâton de pèlerin et je les ai suivis dans leurs pérégrinations. Au rythme du déhanchement du chameau, au bruit de mon baton sur la pierre, j’avance vers l’inconnu.

Ce pèlerinage circulaire est effectué par 13 zaouïas, descendantes ou affiliées des 7 saints. Il se déroule en 44 étapes et 38 jours. Référence aux 40 jours du déluge et aux saints cachés apotropéens qui se relayaient pour supporter mystiquement le fardeau du monde. D’emblée, nous sommes dans la symbolique mystique des nombres. Les 40 jours du déluge, les 40 saints cachés apotropéens qui se relaient pour supporter mystiquement le fardeau du monde.

Il y a seulement treize zaouïas (sanctuaires des descendants directs ou indirects des sept saints fondateurs). Mais les autres étapes sont soit des seyyed (sanctuaires sans descendants), soit un simple cénotaphe (où les seigneurs thésaurisaient leur argent en période trouble, dit-on). Ou encore des coupoles sans catafalques, des tombeaux démesurément grands situés près d’un arganier, d’une grotte ou au sommet d’une montagne sacrée.

La légende des sept saints est assez répondue dans le pourtour méditerranéen. L’une des versions les plus connues est celle des Sept Dormants d’Éphèse en Turquie dont il est question dans la sourate de la Caverne :


« As-tu remarqué que les compagnons de la caverne et de la tablette constituèrent parmi mes signes un prodige ? Tu les aurais cru éveillés, mais eux dormaient Nous les avons ressuscités pour qu’ils puissent s’interroger entre eux...On dira :« Ils étaient trois, leur quatrième étant leur chien »

On dirait : «Ils étaient cinq, leur sixième étant leur chien », en pleine confusion.

On dira : « Ils étaient sept, et leur huitième était leur chien »

Dis : « Mon Seigneur est seul à être savant sur leur nombre ».

Au sommet du Djebel Hadid, la grotte de Sidi Ali Saïh(l’errant) était dit-on un lieu de retraite et de prière pour les sept saints. Le djebel Hadid, montagne sacrée des Regraga, coupe le territoire Chiadma en deux parties. Les habitants du lieu font eux-mêmes une distinction entre le Sahel  le ruban côtier à l’Ouest de cette montagne  et la Kabla le continent à l’Est. Par rapport à cette disposition géographique, la répartition symétrique des sept saints est remarquable : au sommet du djebel Hadid, le centre de rayonnement spirituel de leur sultan Sidi Ouasmin ; trois saints au Sahel d’une part et trois à la Kabla de l’autre.

Le voyageur qui traverse la route qui relie Essaouira à Casablanca a essentiellement une perception verticale des plaines côtières dans le sens Nord/Sud. C’est pourquoi on est frappé lorsqu’on découvre que les Fellahs ont en réalité une perception horizontale de ce même espace. Cette perception est imposée en quelque sorte par la position centrale de la montagne.

Sur le sillage de leur trajectoire ; les Regraga dessinent sur l’espace géographique des Chiadma deux énormes roues qui semblent reproduire une constellation cosmique sur la terre. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’une des tribus s’appelle justement  Njoum : les étoiles.

La première roue se fait dans le Sahel (côte) et suit le mouvement apparent du soleil (Est-Ouest). La seconde roue se fait dans la Kabla (continent) et suit le mouvement inverse. Elle est placée sous le patronage de Lalla Beit Allah pour laquelle l’invisible aurait bâti un temple à douze piliers au sommet du mont Sakyat et dont la coupole rappelle étrangement le sein fécond de la nouvelle mère. La nuit de la pleine lune  vestige d’une antique « nuit de l’erreur » ? , les femmes y passent une nuit d’incubation permettant par sa baraka nocturne la fécondation du maïs et des êtres stériles. Après le départ des pèlerins, les pèlerines restent le lendemain pour une journée de « Lama » où la transe efface la culpabilité et favorise le repentir.


Or la roue sexuelle et la roue du temps renvoient eux-mêmes aux symboles et à l’initiation érotique et saisonnière dont le spécialiste roumain des religions Mircea Éliade écrit :


« Le sexe collectif est un moment essentiel de l’horloge cosmique ».


Le pèlerinage circulaire ne traduit pas seulement, par sa réversibilité, une conscience collective figée mais aussi l’idée de renaissance avec l’errance printanière des âmes qui vise à hâter la croissance des plantes.


Le terme « Daour » est ambivalent et à double sens. Tantôt on l’utilise pour désigner l’ensemble du pèlerinage circulaire : ça a la même connotation que l’expression française : « Faire un tour », tantôt on l’utilise pour désigner chacune des étapes à « tour de rôle ».

Le re-tour magique contraint l’irréversibilité du temps qui conduit à la vieillesse et à la mort. Le printemps n’est pas une saison qui va de soi, il faut le faire re-venir par un rituel, si on ne veut pas que la sécheresse et la saison morte se perpétuent. Car « si les hommes meurent c’est parce qu’ils ne sont pas capables de joindre le commencement à la fin » nous dit le mythe orphique.

Le périple des Regraga perpétue la tradition des moines-guerriers qui faisaient chaque année le tour des anciennes tribus païennes pour s’assurer qu’elles n’ont pas apostasié. Ils étaient arrivés dit-on en répétant :


« Le paradis est à l’ombre des glaives ! »


Les rameaux d’olivier et de genêt par lesquels on flagelle les pèlerins, symbolisent donc les épées par lesquelles les tribus ont été soumises. Car comme disait Al Qoreichi : « le disciple doit être soumis comme le cadavre entre les mains du laveur ».

La flagellation sert aussi comme instrument thérapeutique pour les hommes-médecine ; en transmettant les énergies vitales du rameau de genêt (rtem) au corps faiblissant du malade.


Comme il se doit, tout marabout a une fonction thérapeutique qui fait que le pays chiadmî ressemble à une énorme polyclinique disséminée : entre le marabout du daour inaugural qui guérit les maladies de la peau grâce à la saline de Lalla Chafia et le marabout du daour de clôture qui guérit la rage que de spécialistes pour apaiser les douleurs de gens de tribus souvent dépourvus d’infrastructures, routières, hospitalières et scolaires !

L’islamisation fonde le pèlerinage circulaire, mais c’est la fonction de tamarsit (caprification) qui le perpétue. En effet par leur passage, les Regraga ne fécondent pas seulement le figuier mais aussi bien les autres plantes, le bétail, que les humains.

Les fellahs disent : « Au pays des Regraga, tous les ans, les grains sont vannés » ce qui signifie qu’on y fait toujours des récoltes par opposition aux terres où ils ne passent pas.

Il est significatif que les Regraga n’ont en fait de répertoire musical que deux prières de la pluie qu’ils chantent à chacune des étapes. Comme pour l’oraison funèbre deux chœurs alternent : le groupe d’ici-bas chante d’abord puis lui réplique le groupe de l’au-delà. Mais alors que l’oraison funèbre est un rite qui vise à faciliter le passage à l’autre monde, celui de la prière de la pluie a l’effet inverse : influencer magiquement la nature ; pour favoriser la vie : le passage de la mort hivernale à l’abondance printanière.

La caprification magique, comme concept général de la magie agraire, implique que la fixité reste stérile aussi longtemps que ne vient pas du dehors la fécondation. Cette fécondation est donc liée à un déplacement (aussi bien le déplacement de l’insecte porteur de pollens que celui magique, et donc analogique – la magie est fondée sur des analogies – des pèlerins-tourneurs Regraga).

Le pèlerinage comme déplacement est en relation analogique avec les insectes caprificateurs. C’est une autre façon de la décrire plus spécifique que la forme très générale du « circuit de pèlerinage ». C’est pour cela que le déplacement caprifiant commence le 21 mars jour solaire du printemps.


Les rapports sociaux de protection


Il faut considérer comme un propos épistémologique important, cette réflexion que m’a faite un pèlerin : « Ne te limite pas à étudier les marabouts, leurs origines, leur histoire, regarde, l’essentiel est ailleurs ! » Cet ailleurs se légitime du culte des saints, mais il n’est pas  ou pas seulement  le culte des saints. Cet ailleurs se constitue en un double noyau qu’il faut dénouer : d’une part les rapports sociaux de protection qui lient les tribus-khoddam (servantes) Chiadma, aux tribus-zaouïas (Regraga).

On a ici, une structure de rapports qui sépare et met en relation deux groupes : le groupe dit Regraga (les 13 tribus-zaouïas) et le groupe des tribus-khoddam qui vont — pour obtenir protection et bénédiction, par des actions de type magique – donner un tribut (selon un système connu d’achat de baraka). Les tribus-khoddam sont sous la protection surnaturelle des tribus-zaouïas comme nous le confirme un vieux chant :


Les Haha dans les grottes que survolent les aigles

Que peuvent craindre les Chiadma que les Regraga protègent ?

Du sommet du Djebel Hadid, le sahel n’est qu’immense miroir.

Que peuvent craindre les Chiadma que les Regraga protègent ?


En contre-partie de leur protection surnaturelle, les Chiadma ont le devoir rituel d’offrir aux Regraga à leur passage printanier sur leur territoire : mouna (provision), ziara (tribut sur les moissons et les récoltes), jelb (tribut sur l’élevage) et enfin dbiha (sacrifice). D’autre part, leur rôle de la baraka cosmique. Les zaouïas sont en quelque sorte les intercesseurs de la baraka cosmique, ce qui signifie et explique l’existence de rapports sociaux de protection entre les tribus-zaouias et les tribus servantes. Les uns transmettent la baraka (ou « madad » ; le contre-don surnaturel au don en nature accordé par les tribus) les autres présentent les offrandes (ou ziara).

Cet échange est strictement réglementé : seul le descendant du marabout qui a reçu génétiquement la baraka peut la transmettre et le serviteur (ou khdim) n’offre sa ziara qu’au marabout dont les ancêtres sont ses protecteurs surnaturels. Ce système de protection des tribus suzeraines rappelle les liens féodaux de vassalité quoiqu’il ne s’agisse pas tout à fait tout à fait du système féodal, et l’on peut comparer les offrandes à la dîme qu’on versait durant le Moyen Age européen au clergé. D’ailleurs les Regraga sont structurés comme un clergé avec sa hiérarchie des moqadems à l’image des saints de la mythologie qu’ils reproduisent.


Comme les Regraga bénissent par des fatha ils maudissent par les daâoua : ils maudissent le sanglier ennemi du maïs et le moineau qui s’attaque au blé et s’enivre de raisins et de figues. Le fellah a qui je demande : « Pourquoi faites-vous des sacrifices et des offrandes ? », me répond : « Pour apaiser la colère de Dieu ».

Par contre le fellah qui refuse d’accéder à leur demande, risque de voir son troupeau atteint de charbon. Par des voies aussi mystérieuses que celle qu’empreinte la baraka ; « les canons de la malédiction » atteignent leur cible maudite avant que l’année agricole n’arrive à son terme.

Le fqih de la khaïma raconte : « Frappe la main dans la main, de lui te vient le froid. Si du Meskali (un homme des Meskala, tribu des Chiadma de souche berbère) vient le bien, il viendra aussi du singe. Une fois on a passé une nuit chez eux sans dîner. Vient le tonnerre, vient la grêle et tous leurs grains tombent, face au ciel, seule la paille vide se dresse. Le caïd leur dit : « C’est que vous avez laissé les Regraga sans dîner ». Depuis lors, ils sont devenus de bons serviteurs. Maintenant, lorsqu’on passe la nuit chez eux, ils nous font festin ».

La même force qui punit les uns, récompense les autres : au daour de clôture, les Regraga avaient organisé une fantasia dans un champ de maïs. À la fin de la journée, le terrain fut labouré par les galops mais bientôt le maïs a repoussé de plus belle ; avec deux lourds épis sur chaque tige : Dieu a récompensé les patients !

Le dicton chinois : « Troupe et chevaux sont là, mais vivres et fourrages ne sont pas prêts », n’a pas de raison d’être ici : pour le chameau de la tante sacrée comme pour les 13 mulets des moqadems, on fauche le blé sur les chemins de parcours avec parfois l’encouragement du propriétaire du champ : Dieu récompensera, ce qui a été perdu !

On peut d’ailleurs se demander si la mouna, ces énormes plats de couscous garnis qu’on offre aux Regraga ne préfigurent pas la table servie ? C’est un plat de noyer gasâa qui peut mesurer jusqu’à deux mètres de diamètre contenant plusieurs quintaux de semoule et qui est tellement lourd qu’on le porte à plusieurs grâce à un filet de corde.

Tous les plats de couscous se ressemblent, sauf que la gasâa des Regraga se distingue par sa nouara (fleur) : c’est l’agneau fumé. Les étoiles et arc-en-ciel qu’on dessine grâce aux fruits secs et aux mottes de beurre frais. Le cœur de la « fleur » est formé par des galettes de sucre multicolores.

Un Fellah me dit :

« La gasâa revient cher, les pauvres serviteursse cotisent entre eux pour la préparer ». Mais le chef de la puissante tribu des Oulad-el-Hâjj, offre le chameau qui porte la tente sacrée et prépare à lui seul « 40 Gasâa pour nos seigneurs les Regraga ».

Chaque fraction de la tribu-khoddam rivalise avec l’autre pour faire prévaloir le prestige du nom en préparant la meilleure gasâa : avant de redistribuer les plats aux zaouïas, on les aligne à ciel ouvert pour l’admiration publique. Chaque plat est une fleur et un plaisir des yeux grâce à ses couleurs vives structurées par des femmes rompues aux techniques du zouak, du henné et de la tapisserie. L’ensemble des plats présentés sur la place sacrée au moment où le soleil est à son zénith, symbolise le jardin de la tribu que les Regraga bénissent par des vœux qui sont généralement exaucés durant l’année agricole en cours.


Abdelkader MANA




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15:19 Écrit par elhajthami dans Regraga | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : regraga | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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