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02/08/2015

Psychothérapie Traditionnelle

La psychothérapie des Gnaoua.

Je viens d'apprendre en cette fin d'après midi du  dimanche 2 août 2015, la triste nouvelle que la mort vient de nous ravir maâlem Mahmoud Guinéa qui était devenu par sa virtuosité hors paire, l'ambassadeur musical incontesté d'Essaouira et du Maroc à travers le monde. Je suis peiné...En guise d'hommage je republie ci-après l'entretient qu'il m'avait accordé en campagnie de son épouse Malika. Que le bon Dieu l'ait en sa miséricorde.

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Pour Géorges Lapassade : « La transe rituelle n’est pas une hystérie, c’est l’hystérie qui est une transe. Mais c’est une transe refoulée et oubliée dans les sociétés occidentales depuis le temps de l’inquisition ». C’est pourquoi cet auteur fait la distinction entre les sociétés à transe et les sociétés sans transe.

Toutes les Illustrations sur peau de cet article sont de Driss El Oumami

Par Abdelkader Mana

À Essaouira, les Gnaoua se composent principalement de deux familles : les Guinéa de Dakar et les Gbani de Bamako. L’ancêtre des Gbani serait venu dans le sillage des caravane, dans ce qu’on appelait alors « le port de Tombouctou » quant à celui de la branche des Guinéa , il serait un tirailleur Sénégalais arrivé dans le sillage de l’armée Française vers 1914. Dans un récent entretien, nous sommes revenus sur cette histoire ainsi que sur les ethnométhodes  de guérison par les couleurs de la transe chez les Gnaoua, avec Malika, voyante médiumnique professionnelle et son mari  maâlem Mahmoud Guinéa :

-  Deux familles sont aux origines des Gnaoua d’Essaouira : les Guinéa et les Gbani, Je veux que tu me parles de ces deux familles. Ton grand père était arrivé à Essaouira avec l’armée Française en 1914 , à travers le Sahara…

-  Mon grand père s’appelait Da Méssaoud. Il était venu du Mali en passant par la tribu des Oulad Dlim au Sahara. Le père de ma mère, Ba Samba, était venu de Dakar. C’est eux qui sont à l’origine des Gnaoua d’Essaouira. Les ancêtres de la famille des Gbani sont également originaires du Soudan. Ces deux familles sont pareilles. Nous sommes tous venus d’Afrique. C’est de là qu’avait commencé le gnaouisme à Essaouira. Dans le temps les premiers gnaoua étaient venus avec un gunbri à base de courge , confectionné d’une manière africaine. Après quoi ils ont adopté le figuier pour sa belle résonance, sauf que sont instrument est habité, hanté, maskoun. Son maniement nécessite purification. On ne doit pas y toucher en état d’ivresse. Car le figuier s’est sanctifié par les nombreuses années qu’il est resté sur cette terre avant d’être coupé pour en faire le gunbri. Donc, il est déjà habité, hanté, maskoun. Le maâlem lui accorde toute son attention en l’encensant. Le gunbri vieillit aussi : passé quarante ans, il se met à résonner tout seul quand tu le suspend au mur. Il parle tout seul la nuit. Pendant longtemps les instruments des maîtres disparus sont restés dans la zaouïa comme des antiquités sacrées auxquelles personne n’osait toucher. On se contenter de les visiter pour en recueillir la baraka.

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On raconte qu’au nord d’Essaouira, existait un figuier hanté par un serpent auquel les femmes des gnaoua présentaient des offrandes. Elles organisaient une fête saisonnière sous cet arbre.

-  C’est Sidi Abderrahman. Depuis à l’âge de douze ans, je m’y rendais en pèlerinage avec tous les gnaoua d’Essaouira. Chaque année on y festoyait durant sept jours à partir du septième jour de la fête du sacrifice. De leur vivant nous y  accompagnaient  les serviteurs, lakhdam, ainsi que la troupe des gnaoua . Il y avait un lieu où on dansait en transe, où on organisaient cette fête annuelle,  immolant sous cet arbre hanté par un grand serpent qu’on appelait Sid –El- Hussein. On l’encensait et on tombait en transe. Lors du rituel cette créature sortait mais sans faire de mal à personne. J’ai accompagné les Gnaoua  près d’une vingtaine d’années à ce sanctuaire de Sidi Abderrahman Bou Chaddada.

- Lorsque j’écrivais mon livre sur les Gnaoua, l’un des  maâlem , Paka que Dieu le guérisse ou Guiroug, me racontait qu’enfants ils te rejoignaient à la zaouia de Sidna Boulal, où vous confectionnez aouicha, la petite guitare à table d’harmonie en zinc qui vous servait d’instrument d’essai et d’exercice avant de jouer au gunbri.

- On était alors en période d’apprentissage : dés notre prime enfance, on était des amateurs Gnaoua. On confectionnait notre instrument en se servant du zinc en guise de table d’harmonie et du nylon en guise de cordes. On se servait des boîtes de conserve de sardines pour confectionner les crotales. On allait s’amuser ainsi au village de Diabet. Une fois, alors que nous étions encore tous jeunes, la tombée du jour nous a surprise dans la forêt de Diabet où nous nous sommes mis à scander Charka Bellaydou, une devise des gens de la forêt. Fil blanc, fil sombre était la lumière dans les jardins de Diabet, près de l’oued.Dés que nous avons entamé ce chant, une sorte de Kinko surgissant de nulle part, nous est apparu.A la vue de cette énorme créature, nous prîmes la poudre des escampettes.

A l’issue de mon apprentissage, ils m’avaient préparé à la zaouia une grande gasaâ, de couscous, semblable à celle des Regraga décorée de bonbons, d’amandes et de noix. Les Gnaoua étaient encore tous vivants. Ils m’ont béni et j’ai commencé à jouer. Mon jeu leur a plu. C’est de cette manière qu’ils m’avaient reconnu en tant que maâlem. Ce n’est pas le premier venu qu’on recrutait ainsi. N’importe quel profane, apprenant sur cassette, se prétend maintenant maâlem. Pour le devenir vraiment, il faut l’avoir mériter à force de peines. Maâlem , cela veut dire beaucoup de choses. Il faut être vraiment initié à tout ce qui touche aux Gnaoua : apprendre à danser Kouyou,à jouer du tambour, à chanter les Oulad Bambara , a bien exécuter les claquettes de la noukcha . Il faut savoir tout jouer avant de toucher au gunbri, qu’on doit recevoir progressivement de son maître. Maintenant, le tout venant porte le gunbri et le tout venant veut devenir maâlem.

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Pour Georges Lapassade, la dissociation, c’est la possession. C’est la définition religieuse de la dissociation. Mais on l’appelle pas dissociation dans le langage religieux, on l’appelle possession. Or, cela veut dire quoi la possession ? C'est-à-dire que la personne vit comme si elle avait le diable dans la peau. Son identité est dissociée, une part d’elle reste à peu près normale et l’autre part est devenue le diable qui le persécute. Donc la possession est un cas limpide de la dissociation. La dissociation est une appellation laïque de la possession, si l’on peut dire. La possession est la définition théologique de la dissociation, le possédé est un dissocié en fait, il est deux êtres en lui-même, j’ai deux âmes à moi…En arabe, on dit qu’il est « habité », Meskoun. On peut partir de Meskoun pour faire ce discours et c’est plus facile de le faire en arabe qu’en français, qu’en langue occidentale parce que cela est plus présent dans la culture au moins maghrébine, peut-être dans toute la culture arabe.

- Ton père m’avait dit, qu’il n’y avait pas de zaouïa des Gnaoua ici : ils habitaient juste sous des casemates du côté du quartier des Alouj(les convertis de l’époque). En arrivant ici, ils ont participé à l’édification d’Essaouira, l’un d’entre eux était sourcier : là où il leur disait de creuser, ils trouvaient de l’eau. C’est lui, d’après ce que me disait ton père qui leur avait ordonné d’édifier par ici la zaouïa des Gnaoua où ils s’étaient mis à se réunir chaque samedi. Ils parlaient alors la langue Bambara…

-   Au temps où ils habitaient dans les casemates, dont tu parles, ils n’avaient pas de zaouïa. Après quoi, un jeddab souiri (danseur en transe), de la famille  Aït – el - Mokh, leur avait accordé un terrain, où ils pratiquaient leur rituel , juste entourés d’une enceinte. Au bout d’un certain temps, les gens d’Essaouira, qui sont des jeddab (qui dansent en transe) et des amateurs des Gnaoua, ont tous participé à l’édification de la zaouïa où se réunissent les Gnaoua

Malika, la femme de Mahmoud Guinéa qui assiste à l’entretient nous ramène aussitôt au rôle thérapeutique des Gnaoua:

-  Pourquoi, leur avait – on  accordé ce terrain ? A cause de ce fils qu’ils ont promené chez tous les guérisseurs sans qu’il soit guéri. Mais quant ils l’ont amené chez les Gnaoua, il s’est aussitôt rétabli. Ils ont alors accordé aux Gnaoua, ce terrain,  en guise de don, comme le font chaque année, les bienfaiteurs qui viennent en procession à Sidna Boulala : la femme qui n’enfante pas, vient prendre la baraka et se remet à enfanter. L’homme qui a du mal à trouver du travail, recourt lui aussi aux Gnaoua. Quand ils ont vu que celui dont le fils est malade avait accordé le terrain, les autres ont financé : celui-ci a acheté le ciment, celui-là le fer, jusqu’à ce que la zaouïa de Sidna Boulal soit érigée. Nous ne pouvons pas dire que Sidna Boulal, le muazen du Prophète soit enterré à Essaouira : il est là-bas, en Orient. Ici, nous n’avons que sa baraka, son maqâm (mansion).

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Pour la psychanalyse l’origine de la maladie est endogène : « Ce sont les processus psychiques inconscients ». Pour le thérapeute traditionnel : l’origine du « mal » est exogène ; l’individu est « frappé » par une entité surnaturelle malfaisante ; la possession n’est donc pas le symptôme d’un état morbide. Ces deux modes d’interprétations impliquent deux attitudes : l’Occident rejette le « malade », le Maghreb accepte le « possédé ». Ces deux modes d’interprétations impliquent également deux modes de traitement : l’un vise à « expulser l’intrus », l’autre à mettre en évidence le traumatisme responsable mais oublié.

Originaire de Marrakech, Malika est aujourd’hui une voyante médiumnique professionnelle dont son épous maâlem Mahmoud Guinéa, est un simple auxiliaire . C’est lors d’un pèlerinage à Tamsloht qu’elle l’a rencontré pour la première fois  :

« Je suis ce qu’on appelle talaâ (celle qui fait « monter » les esprits). Quand je dormais mes esprits me disaient :

-  On t’autorise à te marier, mais seulement avec un maâlem gnaoui qui soit noir.

Je me disait :

- Pourquoi dois-je chercher un homme qui soit maâlem , gnaoui et noir de surcroît! Il est impossible de trouver un homme qui réunit en lui toutes ces qualités !

Je me suis rendue en pèlerinage au moussem de Moulay Abdellah Ben Hsein comme les esprits m’avaient ordonné de le faire chaque année. Et c’est  là que j’ai rencontré, d’une manière tout à fait inattendue, maâlem Mahmoud qui deviendra mon mari. En me préparant à m’y rendre , avant même de rencontrer mon futur mari,  et alors que je me suis mise à farfouiller dans mon autel des mlouk,je suis tombée sur une cassette où on entend chanter  certaines devises Gnaouies, notamment celles de foufou-danba , du lait:

-  J’ai déjà écouté ce maâlem, me dis-je, et sa musique comporte des devises qui n’existent pas chez les gnaua de Marrakech.

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J’ai alors dissimulé cette cassette entre mes seins et je me suis rendue à Moulay Abdellah Ben Hasein,. C’est là que j’ai rencontré Mahmoud . Il était accompagné de Hamida Bossou qui m’a  invité à une lila où participait entre autre  maâlem Mahmoud, accompagné de son père et de ses frères. On s’est connu de cette manière et je suis rentrée chez moi. Plus tard, mon frère à rencontré par hasard maâlem Mahmoud et l’a invité chez nous. Je me suis retrouvée ainsi en sa présence à l’intérieur – même de ma maison ! J’ai alors ordonné à mon frère de nous faire écouter la fameuse cassette. Nous l’avons écouté sans que je sache d’où elle m’est parvenue. Mahmoud  m’apprend alors que c’était sa cassette. Mais comment m’est – elle parvenue ? Je ne pouvais le dire. D’autant plus que je n’avais encore jamais visité Essaouira. Et il m’a épousé.

-    Est-ce ta sœur ?  demanda –t-il à mon frère.

-   Oui.

-   Est-elle mariée ?

-   Non.

C’est ainsi qu’en un très bref laps de temps, je me suis retrouvée  fiancée puis mariée avec  maâlem Mahmoud qui m’a encouragé à poursuivre ainsi mon travail en tant que maâlma et en tant que voyante. Du fait que j’organise chaque année la lila , ma sœur , mon frère , ma fille dansent en transe. Cela remonte aux environs de 1985 que nous  baignons en permanence dans ces rituels, au point que la musique Gnaoua coule maintenant dans nos veines.

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Vous venez d’évoquer maâlem hamida BOSSOU, que Dieu ait son âme. Mais il y a aussi un melk chez les Gnaoua qui porte le nom de BOSSOU ? Un melk, un esprit dénommé BOSSOU, une espèce de divinité des marins en Afrique.

Malika :

-    BOSSOU, n’est pas un nom de famille

Mahmoud Guinéa :

-    Hamida dansait à cette devise.

Malika :

-  Il est possédé par ce melk. Il jouait au gunbri , que Dieu ait son âme, mais une fois arrivé à la devise de BOSSOU, il tombait en transe.

Mahmoud Guinéa :

-  J’ai joué pour lui à Casablanca.

Malika :

-   Maâlem BOSSOU, que Dieu ait son âme, avait toujours besoin auprès de lui d’un autre maâlem , pour le relever au gunbri . Il ne jouait pas quand il n’y avait pas de maâlem pour le relever, même si la moqadema exigeait cette devise. C’est ainsi qu’on le surnomma hamida BOSSOU, du nom de cette devise.

- Est – ce qu’on peut considérer Hamida Bossou comme faisant partie des esprits de la mer ou ceux des cieux. Il fait donc partie des bleus ?

Mahmoud Guinéa :

-  Il fait partie des gens de la mer Haoussa. Lui était un Haoussa.

- Qui sont ces Haoussa ?

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Mahmoud Guinéa :

-  Les Haoussa, ce sont les fils de la forêt de l’Afrique. La région où la forêt est proche de la mer. Cette devise musicale accompagne la transe de la forêt Haoussa, d’où est originaire Bossou.

-  Qui sont ces esprits possesseurs Haoussa ? Portent – ils la couleur bleue ?

Mahmoud Guinéa :

-  Non. C’est une cohorte des esprits noirs.

- Même s’ils évoquent la mer ?

Mahmoud Guinéa :

-  C’est que l’océan d’Afrique évoque la transe de cette contrée.

- Es-ce qu’on évoque ces esprits Haoussa avant ou après les esprits marins ?

Malika :

-  Avec les esprits marins.. On peut dire que Bossou est le plus fort des esprits marins. Ces derniers commencent avec la danse au bol rempli d’eau. Après quoi entre en scène Bossou qui danse avec un filet de pêche. Tous les autres esprits se dansent avec les draps à l’exception de Bossou qui se danse avec un filet de pêche, comme celles qu’on trouve au port. Mais c’est un filet orné de cauris.

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Mahmoud Guinéa :

- A l’invocation de cette devise musicale, on danse en faisant semblant de nager avec un filet de pêche.

- Quelle cohorte est invoquée après les esprits de la mer ?

Mahmoud Guinéa :

-  Les célestes.

-         De quels esprits se composent ces célestes ?

Mahmoud Guinéa :

-         Ils expriment la transe céleste et tout ce que  contient le ciel d’anges, d’étoiles, de lune et autres sphères cosmiques.

- D’Afrique ils avaient amené avec eux la danse du sabre et des aiguilles. Ils dansaient également  avec un bol rempli d’eau de mer contenant un petit poisson des rochers couleur d’algues dénommé BOURI. Cette danse s’effectuait quand on invoque la cohorte des mossaouiyne, les esprits de la mer…

Mahmoud Guinéa :

-   C’est mon grand père qui avait amené ce bol de DAKAR : une ondée bénie des dieux…

Malika :

-  Au plus fort de la transe, quand on invoque l’esprit de la mer le poisson apparaît tout seul  au milieu du bol : sa baraka se manifeste de cette manière.

Mahmoud Guinéa :

-  C’est la pure vérité, il n’y a pas de mensonge…

Malika :

-  Ils remplissent le bol, présentent leur soumission aux esprits et se mettent à danser.  Ils se rendent compte à l’issue de leur transe que le bol contient du poisson.

- Le BOURI , est-il ce poisson des rochers ?...

-Mahmoud Guinéa :

-  Oui, il est tout petit ce poisson…

-  On raconte que chez les Africains, il existe une divinité dénommée BOURI ?

Mahmoud Guinéa :

- BOURI ! Ô BOURI !

- Es-ce que cet esprit qu’on invoque existe ?

Mahmoud Guinéa :

BOURI ! Ô BOURI ! Son invocation introduit les rouges.

Malika :

- Il est le portier des rouges. L’ouverture des esprits rocheux. Du sang. C’est le BOURI !

- Ne croyez – vous pas que ce sont les Gnaoua qui ont donné le nom de BOURI, à ce poisson couleur d’algues qu’on trouve à marrée basse aux interstices des récifs d’Essaouira ? C’est un nom d’origine africaine ?

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Mahmoud Guinéa :

-  C’est possible. BOURI, ô BOURI introduit les rouges. Et il y a BOURI, ô BOURI, des bleus.

Malika :

- Il y a deux genres : ceux qui ouvrent les rouges et ceux qui ouvrent les bleus.

-  Racontez – nous un peu la vie d’Aïcha Kabrane, votre mère que Dieu ait son âme : quel était son rôle ? Comment travaillait – elle avec les aiguilles ? Et comment prédisait – elle en état de transe ?  Ce sont les esprits qui la possèdent qui parlent à travers sa bouche ?

Mahmoud Guinéa :

- Les gens viennent la consulter et Dieu accorde sa guérison.

-  Que leur prescrit – elle quand ils viennent la consulter ? Es – ce qu’elle recoure aux cauris ? Raconte un peu avec détails.

Mahmoud Guinéa :

- Les parents des possédés les amènent chez elle, et elle commence d’abord par  la divination. C’est là qu’elle diagnostique le mal qui les a frappé. Elle prédit grâce à un auvent d’osier  contenant  des coquillages et des cauris de la mer du Nil que mon grand père avait amené jadis avec lui. Elle les remue d’une main et avale deux à trois  aiguilles de l’autre. Ce n’est qu’après qu’elle peut te dire quel djinn t’a frappé et pourquoi et comment. Puis elle encense le possédé en lui prescrivant le sucré et le salé.

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Malika :

- Elle appelle ces esprits pour qu’ils lui indiquent la raison pour laquelle ce monsieur ou cette dame sont venus la consulter. Elle ne préconise pas systématiquement la lila : il y a celui à qui on recommande le sucré et celui à qui on recommande le pèlerinage à Moulay Brahim, sidi Abdellah Ben Hsein ou Sidi Chamharouch : il doit effectuer ce pèlerinage avant de revenir la voir pour quelle puisse deviner ce que les esprits réclament. C’est à ce moment là que les esprits préconisent la lila. La talaâ(voyante médiumnique) doit alors jouer son rôle en se concertant avec son maâlem. Que demandent les esprits pour délivrer ce possédé ? Sera – t – il enfin délivré ou bien  deviendra –t- il  un serviteur des esprits? Car il y a le possédé à qui les esprits  demandent qu’il soit leur serviteur en devenant moqadem.

Mahmoud Guinéa :

-         Malgré lui s’il le faut, même s’il refuse de devenir leur serviteur. Cela est déjà  arrivé à de nombreux possédés.

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Malika :

-   Que faire ? Elle fait alors appel au maâlem qui se trouve être son propre mari comme c’est mon cas. Elle lui dit : une telle ou un tel désire une lila préparée de telle ou telle manière. Et il vont faire le marché . Ils vont acheté tout ce dont ils ont besoin pour l’organisation de la lila. Au cours de cette dernière la cliente se livre alors à la danse de possession. Et la voyante médiumnique l’empêche de rentrer à la maison : elle doit rester en sa compagnie au moins une semaine, le temps qu’elle lui indique la manière dont elle doit servir. Et même quand elle devient moqadema, elle se doit d’organiser une lila , où Lalla Aïcha doit être présente. Ceci pour ce qui concerne l’initiation de celle destinée à devenir moqadma. Pour celle qui est possédée, elle reste  chez elle ,voilée , isolée, consommant le sucré durant une semaine, dix jour voir un mois jusqu’à ce qu’elle va mieux. Après quoi, au cours d’une nuit du mois lunaire de chaâbane , elle doit se rendre en pèlerinage à Lalla Aicha avec un sacrifice en guise d’offrande.

Mahmoud Guinéa :

-  Elle doit régulièrement se rendre en pèlerinage et continuellement présenter des offrandes et des sacrifices.

Malika :

-  Il se peut qu’elle soit délivrée comme il se peut qu’elle soit à nouveau possédée. La mère de Guinéa tombait en transe quand on invoquait  Jilali, les noirs et le soudanais. Chose qu’on ne trouve chez aucune moqadma que ce soit à Essaouira ou ailleurs. Ces devises lui étaient propres.

Mahmoud Guinéa :

-  C’est mon grand père qui avait amené du Soudan ces devises bien faites. Aucun Gnaoui en dehors de notre famille ne joue ces devises musicales. Personne ne danse à leur invocation à part nous .

Malika :

- On ne les joue ni ne les danse ailleurs. Nous les respectons : la mère de Guinéa ne les jouait qu’au cours d’une lila qui lui était propre.

Mahmoud Guinéa :

- On préserve ces devises pour que les autres Gnaoua ne les jouent ou ne les enregistrent.

- En quoi consiste votre pouvoir de devination?....

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Dans les religions traditionnelles, le Chaman et le médium ont en commun leur formation, leur vocation. Dans les deux cas, très souvent, mais pas toujours, il y a un trouble à l’adolescence, une dissociation adolescente. Ils font des fugues ou elles font des fugues. Ils se réfugient dans la forêt ; ils sortent de chez eux. On voit même cela au Maroc ou en Algérie dans la vocation de certaines talaâ, de certains guérisseurs, comme on les appelle des médiums. Il y a cette sorte de tradition de fugues adolescente, au départ. C’est une dissociation pathologique, qui va se retourner, se transformer, en dissociation normale.  On n’élimine pas la dissociation comme le voulait jadis Janet. La thérapie occidentale visait l’élimination de la dissociation, tandis que là, on s’arrange avec, on se réconcilie en la transformant. C’est spectaculaire chez les Chamans et les médiums  et même chez les clients de base, d’une intervention qu’on appellera thérapeutique, en Afrique, la dissociation n’est pas éliminée comme un  trouble définitivement pathologique dont il faut se libérer…en reconstruisant les identités, mais elle est, quelque part, dans un coin de la personnalité et même du métier quand il s’agit d’en faire un métier. La talaâ, les spécialistes de la dissociation, les gestionnaires de la dissociation, à but thérapeutique restent dissociés. Donc, on peut dire qu’en Afrique, à la différence de l’Europe, il y a aménagement de la dissociation, il n’y a pas eu tentative d’élimination. C’est un trait de l’Afrique, de la psychologie africaine, des africains, cette disponibilité de la dissociation, peut-être que les Africains sont moins unifiés que les Européens, et qui sont plus porteurs d’une dissociation, d’une dissociation constitutive de leur identité.

Malika :

Moi-même, je ne sais quoi dire, jusqu’à ce que je consulte les esprits. Ce sont mes mlouk qui émissent le diagnostic à celle qui vient me consulter. Je suis alors en transe. C’est dans cet état que je les consulte et c’est eux qui lui disent ce dont elle souffre et ce qu’elle doit amener comme offrandes. A ce moment là, ce sont les esprits qui parlent. Je peux lui parler en dehors de l’état de transe. Mais là, je fait monter les esprits. C’est delà que vient le mot talaâ, celle qui fait monter les esprits et c’est eux qui lui disent : tu as ceci ou cela.

Les esprits avec lesquels je travaille, m’aident moi aussi à me sentir mieux. Quand j’organise une lila pour quelqu’un, je danse moi aussi en état de transe. Après quoi je me sens mieux. Ce n’est pas seulement celui ou celle qui est malade qui danse en état de transe ; moi aussi je danse en état de transe. A chaque foi que j’organise une lila, je danse en état de transe ; ce qui m’apaise

La nuit, lorsque je suis nerveuse, je vois apparaître les esprits dans mes rêves.

Quand j’ai consulté mes esprits vous concernant en leur demandant si je peux travailler avec vous ; ils m’ont répondu : oui, ce sont des gens correctes. Si vous n’étiez pas des gens correctes, la lila n’aurait pas été réussie : elle réussi si les intentions de ceux qui l’organisent sont bonne. S’ils sont de bonne foi, tout ce qu’ils entreprennent leur réussi.

-  Comment vous êtes devenue talaâ, (celle qui fait monter les esprits) ?

-  Avant j’étudiais, comme tout un chacun rêve de s’instruire. J’ai obtenu mon bac, pour poursuivre à l’étranger en section anglaise. Quand j’ai obtenu le bac j’ai eu un problème avec un Monsieur de notre fratrie qui m’a demandé en mariage mais sa mère a refusé. Comme il n’a pas tenu compte de l’avis de sa mere, pour nous séparer, celle-ci m’a jeté un mauvais sort. C’est de cette manière que les esprits m’ont possédé .En enjambant cette magie j’ai commencé à tomber en transe et à me désintéresser de l’école. Je n’aimais plus les hommes, d’une manière générale. Les hommes, étaient devenus un problème pour moi. Je suis choquée à chaque fois qu’un homme veut me demander en mariage. Durant près de deux ans, nous avons consulté de nombreux docteurs psychiques. Ma maman, que Dieu ait son âme, m’amenait chez les médecins. Franchement, je n’étais pas élevée dans une famille Gnaouie. Chez nous personne ne tombait en transe. On était tout à fait loin des Gnaoua.

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-   Le pouvoir de devination la sœur de Mahmoud Guinéa l’avait hérité de sa mère, alors que vous qui n’avez rien à voir avec les Gnaoua, vous êtes devenu talaâ plutôt suite à une crise initiatique ?...

- Effectivement, quand j’ai commencé à « tomber » (à devenir une possédée), les gens se mirent à nous dire : « Il faut voir les Gnaoua, organiser une lila ». Finalement, je ne croyais pas vraiment aux esprits. Il y avait alors dans notre voisinage une voyante qui organisait des lila. Un jour, alors que je dormais, j’entendais au loin le rituel se dérouler chez elle. Quand ils ont entamé la procession aux tambours, je n’ai pu m’empêcher de quitter la maison en courant, pour rejoindre dame Jmiâ que Dieu ait son âme (mon autel des mlouk comprend de vieux balluchons de couleurs déchirés qui lui appartenaient mais dont je ne puis me séparer. J’ai des serviettes toutes neuves, mais je leur préfère les anciennes qu’elle m’a légué au moment de mourir). Je l’avais alors rejoins et je me suis mise à danser en transe. J’ai dansé alors sur les notes du grand maâlem aïachi Baqbou , que Dieu ait son âme. En sortant de ma transe, je me suis endormie et elle m’a mise en isolation sous le voile  : « Ma fille, me dit-elle, les esprits te réclament sacrifice et désirent que tu les serve. » Je n’ai pas compris tout d’abord qu’est – ce que « servir » ? Je n’étais alors âgée que de 17 ans. Je suis allée voir ma mère en lui disant que lalla Jmia m’a prédis que je dois « servir », j’en ai déduit que je dois étudier et travailler. Mais une semaine plus tard je suis à nouveau « tombée »  et j’ai commencé à parler en état de transe (kan’Ntaq) . Les esprits se mirent à parler en moi  : « nous lui avons ordonné de nous servir, d’organiser une lila pour devenir moqadma. » Je suis tombée malade et ma mère, que Dieu ait son âme est allée voir cette voyante en lui disant : « Dame Jmiâ, vient voir ma fille est à nouveau tombée en transe. » Elle est venue et a commencé par faire parler les esprits qui me tourmentaient, puis elle a dit à ma mère :

-  Les esprits veulent qu’elle les serve.

- Peut-on organiser la lila ? Lui demande ma mère, on vous donnera l’argent qu’il faut. » ;

-  Ils veulent certes qu’elle organise une lila, mais ils veulent surtout qu’elle les serve. Lui répond la voyante .

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Nous avons effectivement organisé une lila . Je ne pouvais plus me lever , mais après la lila, je me suis sentie mieux. Un mois plus tard, j’ai à nouveau refusé de servir en tombant malade à nouveau. Les esprits dirent alors : « Elle ne veut pas de nous ? Qu’elle ait donc en pèlerinage. C’est ainsi que je me suis rendue à Moulay Abdellah Ben Hsein, à Chamharouch, jusqu’à ce que j’aie accepté. Je  les voyais dans mes rêves et je m’écriais dans la nuit. Ils ont chamboulé mon sommeil ; dormant le jour et veillant la nuit, me mettant à prédire à quiconque me rendait visite : je tombais en transe et je voyais aux gens  sans qu’ils me le demandent. C’est de cette manière que j’ai accepté progressivement l’idée de devenir talaâ (celle qui fait monter les esprits) acceptant ainsi le verdict des esprits qui m’ont possédés.

Quand j’ai intégré la mida (l’autel des mlouk) et que j’ai accepté de servir les esprits ; je me suis rendue en pèlerinage à Sidi Chamharouch après avoir organisé une première lila. En redescendant de la grotte, je suis tombée sur du fer que j’ai pris. En arrivant à la maison, je suis tombée en transe . Quand les esprits sont « montés »(talaâ’ou) , ils m’ont demandé de danser avec le fer  soit à l’invocation de Jilali , soit à celle du nuageux. C’est tout. Pour sanctifier le fer, j’ai organisé une lila avec sacrifice. Depuis lors, je ne peux plus danser à la devise de Jilali sans être munie de fer.C’est ce avec quoi je travaille.

Je ne croyais pas d’abord aux saints, mais quand je suis tombée malade, je me suis mise à rendre visite à tous les lieux saints qui sont en rapport avec les gnaoua : la grotte d’Aïcha  à Sidi Ali , celle de Sidi Chamharouch où je me suis isolée durant trois jours : là-haut, on mangeait, on buvait, on dormait . Après quoi, je suis descendue vers Moulay Brahim où j’ai séjourné pendant une semaine. De là je suis descendue vers Moulay Abdellah Ben Hsein.

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L’incubation en vue de l’inspiration à la suite d’un rêve divinatoire est un fait établi depuis la haute antiquité au Maghreb. Hérodote prête ainsi aux Nasamons une coutume qui ne leur est certainement pas particulière et que pratiquent encore les berbères : « Pour faire de la divination, dit-il, ils vont aux monuments de leurs ancêtres et s’endorment par – dessus : après avoir prié, ils se conforment à ce qu’ils voient en songe. »Avant d’être reconnue en tant que telle, la talaâ est allée en pèlerinage à Sidi Chamharouch – le Sultan des Jnoun, dont la grotte  se situe au sud de Marrakech -, à Moulay Brahim, à Tamesloht, et à beaucoup d’autres lieux saints. Là, elle s’est imprégnée de leurs effluves sacrés et s’est isolée pendant un certain temps dans leurs khaloua, lieu de prière et de retrait, généralement une grotte qui préfigure le ventre maternel où s’accomplissent la mort et la résurrection symbolique de la néophyte. Elle se retire en prière  jusqu’au moment où le rêve divinatoire apparaît dans la dormition. C’est la raison pour laquelle la postulante a accompli son pèlerinage.

Qui vient vous consulter?

La femme qui n’enfante pas, vient prendre la baraka et se remet à enfanter. L’homme qui a du mal à trouver du travail, recourt lui aussi aux Gnaoua.

Quand un patient ou une patiente, qu’elle soit jeune ou vieille, vienne me consulter, je ne sais pour ainsi dire rien à son propos. J’ouvre l’autel pour consulter les esprits à son propos. Ce sont les esprits qui m’assistent au cours de la consultation en me disant de quoi souffre ce Monsieur ou cette dame. Qu’à –t- il ? Es-t- il malade ? Que lui réclament les esprits ? Veulent –ils seulement qu’il organise une lila pour le délivrer ? Ou bien veulent – t –ils qu’il devient leur serviteur ? Les a – t – il atteint de quelque manière ? Ou les a – t – il agressé ? Une fois que j’ai consulté les esprits, je lui dis mon diagnostic. Je vois de quoi souffre le malade, puis je lui dis : voici de quoi tu souffres et voilà ce qu’attendent de toi les esprits. Ils veulent que tu leur organises une lila que tu achètes par exemple un mouton, un bouc, ou que tu leur prépares un poulet non salé. Ou que tu leur fasses don d’une offrande. Il y a aussi le malade à qui ils ne demandent rien avant qu’il ne revienne du pèlerinage soit à Chamharouch, Moulay Brahim et Tamsloht. Et ce n’est qu’au retour de ce pèlerinage qu’il ramène ce que les esprits lui réclame : qu’il ramène un bélier châtré, un bouc, des encens. J’organise alors le rituel en accord avec le maâlem . J’ai la chance d’être mariée avec un maâlem que je consulte à la maison en lui disant : d’ici trois jours, nous aurons une lila , qu’une telle femme est malade et qu’elle désire une lila. Si elle l’organise à son domicile, nous nous rendons chez elle. Nous prenons seulement notre baluchon de tissus de couleurs et notre plat d’osier : on ne prend pas tout l’autel des esprits. Puis nous nous dirigeons chez elle, accompagnées du maâlem. On la trouve ayant déjà préparé tout ce que je lui avais demandé d’acheter. On procède au sacrifice, puis avec la nuit on met en œuvre la lila. Et Allah accorde sa guérison. Ses vœux seront exhaussés. Généralement les esprits lui recommandent d’organiser une lila chaque année. Et quand cela n’est pas dans ses cordes, elle présente des offrandes au cours de la lila que j’organise moi-même annuellement : elle donne de l’argent, procède au sacrifice, selon ses propres moyens ou selon ce que les esprits lui ont recommandé de faire. Je vous cite les deux cas suivants

  1. Le premier cas est celui de cette femme qui a des cauchemars la nuit. Elle n’acceptait pas les hommes qui la demandaient en mariage. Elle n’aimait pas du tout les hommes. Sa mère me l’avait amené en consultation. Elle avait 28 ans. Les esprits m’ont indiqué que c’est eux – mêmes qui l’empêchaient de se marier pour  qu’ils la possèdent. L’esprit qui la possède l’empêche de se marier pour qu’elle devienne son épouse. Nous lui avons organisé une lila mais son esprit a refusé en disant : « cette femme doit m’épouser ou me servir. » Elle a refusé mais a néanmoins organisé la lila : « Je donnerai tout ce qu’on me demande disait-elle. Le financement n’est pas un problème : j’ai de l’argent. Je ferai tout ce qu’on me demande pourvu qu’on me délivre et que je me sente mieux. » Elle n’aimait plus la maison : elle voulait s’enfuir, fuguer. La première lila est passée, la deuxième et la troisième. Après, elle est guérie. Maintenant, elle est mariée. Elle a même deux enfants.Quand elle s’est mariée et qu’elle a eu des enfants ; elle m’emmena le premier à la tbiqa (l’autel des esprits). Pour le protéger on l’avait couvert des draps. Et quand elle a eu le deuxième , elle l’emmena également. Maintenant chaque année elle m’envoie son sacrifice. Elle vit à Tanger. Elle est guérie.
  2. L’autre cas, est celui d’une femme mariée qui n’enfantait pas : elle veut bien avoir des enfants. Mais  même quand elle tombe enceinte, elle finissait par perdre son enfant dans les trois mois qui suivent. Alors, elle est venue me consulter et il s’est avéré que c’est Sidi Hammou qui l’a « frappé » au ventre : il lui demande sacrifice et lila. Elle ne voulait pas organiser la lila, chez elle : elle avait honte de cette musique. Elle nous a remis l’argent et nous lui avons organisé la lila chez nous. Quand elle est redevenue enceinte, elle est venue me voir pour porter durant neuf mois le « fil de laine » (ceinture protectrice). Ce n’est que par la suite qu’elle a donné naissance à une fillette qui a grandi maintenant et qui nous offre elle aussi offrandes et sacrifices.
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Pour Georges Lapassade, la talaâ pratique une « thérapie de la dissociation ». Elle fait appelle aux Haddarates et aux Gnaoua  pour assurer un moment thérapeutique comme le Ndeupp, le rituel de possession sénégalais, où les danses de possession viennent clôturer une semaines d’actions ou d’actes thérapeutiques dont le plus important, le jeudi, c’est le sacrifice d’un animal et la construction d’un autel sur des poteries qui contiennent des boyaux de cet animal. Donc, le rite de possession collectif, les danses de possession collectives sont spectaculaires, menés d’ailleurs par un guérisseur ou une guérisseuse. Les danses de possession, dans le quartier où il y a eu l’intervention, viennent le dernier jour pour clôturer une semaine thérapeutique, dont probablement l’acte fondateur le plus important, pour la première fois, c’est le sacrifice conduisant le même jour à la création d’un autel sur lequel on pourrait faire des offrandes au Rab(part dissociée de la personnalité). C’est pourquoi je dis que c’est un autel de la dissociation parce qu’au départ, il y a l’idée d’une possession plus ou moins par le Rab qui est un animal, un être mystérieux, un peu comme un djinn  dans les pays arabes…Donc, cet esprit possesseur tourmente une personne et ce qu’on appellera la thérapie en langage occidental consiste à libérer, à soulager cette personne, non pas par la suppression du symptôme qui est à l’origine du trouble qui est une possession mal vécue. On ne met pas fin à la possession, mais on la déplace, c'est-à-dire, cet esprit, ce Rab qui tourment la personne, n’est plus dans la personne tourmentée, mais dans cet autel où la personne, pendant toute sa vie, va porter des offrande, du lait et autres produits.C’est intéressant du point de vue de la thérapie africaine, qui est une thérapie de réconciliation du possédé et de son possesseur considéré comme bénéfique. Ce qui est très différent de l’unique forme de possession que l’on connait et que l’on a connu en Europe, la possession diabolique. Et puisque c’est une possession diabolique, on ne peut pas se réconcilier avec le diable. Le diable doit être expulsé, c’est un exorcisme. Ce qui est très important en Afrique, dans la culture africaine, il y a aussi de l’exorcisme en Afrique, mais il y a cette pratique inconnue, non pratiquée dans l’ensemble de l’Europe à part quelques exceptions ; il y a une pratique adorciste qui consiste à construire une réconciliation. Donc, une sorte d’arrangement avec la dissociation. Ce n’est pas seulement une pratique pour mettre fin, à la dissociation pathologique car il y a des dissociations qui ne sont pas pathologiques. Cela est une autre affaire, on peut en parler, si vous voulez, mais la dissociation pathologique, c’est l’éclatement de l’identité chez le possédé occidental qui prétend être possédé par le diable, par un mauvais esprit. La seule solution, c’est de faire sortir cet esprit, c’est de le chasser. C’est de l’exorcisme, tandis qu’en Afrique, très souvent, ce n’est pas de le chasser, c’est de l’amadouer et de se faire ami avec lui.Cohabiter est très important pour l’étude du rite africain, on en est là.

L’autel des mlouk :

Les filles dépendantes de l’autel des esprits, doivent être présente à chaque lila que j’organise. Elle lave le baluchon de tissus. C’est elles qui nettoient l’autel des esprits du sang sacrificiel au cours de la lila que j’organise au mois lunaire de Chaâban. Ce sont elles qui peinent comme vous avez vu hier. Elles veillent au bon déroulement de la lila. On les appelle « les fille de la tbiqa », l’autel des esprits. Il se compose d’un  plat d’osier qui contient l’encens, les bocaux pleins du benjoin blanc, du benjoin rouge, du benjoin noir, de bois de santal et des bougies de foufou danba. Quand on quitte le domicile pour la procession, on laisse ces bougies sur l’autel des esprits pour ne s’en servir qu’au cours de la danse de possession. Ceci est le chèche de Sidi Hammou, ce bol est celui des esprits marins, ceci est de l’encens des esprits féminins : Mira, dame Rqiya, la berbère. Ceux –là sont les tissus par lesquels on recouvre les gens qui tombent en transe. Ce sont les sept couleurs : le blanc, le vert, le noir, le rouge, le bleu marin, la tunique rapiécée et enfin Mira. Ceux –ci sont les couvercle de l’autel : on le couvre avec après la transe. Plus précisément, on ne couvre pas aux jours ordinaires, mais à la fin du mois lunaire de chaâban (qui précède le Ramadan). C’est là qu’on recouvre l’autel des esprits, parce qu’au mois du Ramadan il n’y a ni lila ni musque : les esprits sont au repos. On les recouvre par ces serviettes jusqu’à la nuit du destin , le 27 Ramadan où les baluchons sont dénoués et l’autel des esprits est à nouveau découvert : on l’encens et le maâlem remue à nouveau le gunbri. C’est obligatoire le 27 Ramadan : nous fermons les bocaux à la fin de chaâban et on les ouvre le 27 Ramadan. Le maâlem joue alors une devise ou deux ; c’est là qu’on procède à ce qu’on appelle « l’ouverture de l’autel des esprits ».

sous.JPGLà, ce sont les serviettes de la danse de possession. On les utilise au cours de la lila. On les emporte avec nous à chaque fois qu’on se rend en pèlerinage au moussem de Moulay Brahim, de Tamsloht, comme pour les recharger à nouveau de la vivacité des mlouk. On leur donne ainsi une nouvelle vie : on voyage avec, on escalade les montagnes avec, là haut on danse avec. Ils se mêlent ainsi aux autres moqadma et aux autres mlouk. Une fois redescendus de la montagne, on les encens avant de les ramener : on les appelle mhalla (cohorte des génie).

Ceci est venu de la Mecque. Oui. C’est un cadeau d’une fille qui travaillait chez moi. Une fille qui n’avait pas de chance. Elle venait souvent chez moi, à chaque fois que j’organise une lila. Comme elle n’avait pas d’argent, elle aidait en mettant la main à la patte : elle lavait les draps, veillait la lila, en aidant les filles. Elle a demandé un jour aux esprits de l’aider à se marier, en leur promettant que rien ne leur manquera une fois qu’elle se portera mieux. Et effectivement Allah l’a comblé et maintenant elle réside à Doubaï. Allah l’a soulagé et elle s’est mariée. Maintenant elle a donné naissance à un garçon et elle va venir ce mois-ci. Elle envoie le cadeau à Mahmoud. Elle envoie le cadeau aux enfants. Elle va mieux, très bien même. Elle m’envoie les encens et tout ce qui est nécessaire à l’autel des esprits. Chaque année elle m’envoie son offrande, et son sacrifice. Elle se porte comme un charme maintenant. C’était pourtant une simple fillette qui était démunie de tout. Maintenant elle me dit : « J’envoie les cadeaux à tes enfants et à toi j’envoie tissus et encens : je connais l’intérêt que tu porte aux encens ! » Elle m’a envoyé un tissu noir pour confectionner une tunique pour Lalla Aïcha. “

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Le monde des Gnaoua  avec leur rite de possession et leur initiation adorciste  est avant tout une religion de femmes dont Aïcha est la figure centrale. Une sorte de religion  alternative dans une société où seuls les hommes ont vraiment accès aux lieux consacrés de la religion établie. Le moussem de Tamesloht donne à voir cette dualité, avec d’un côté les chérifs célébrant au grand jour leur religion d’hommes, et d’un autre les rites nocturnes et privés animés par les prêtresses d’Aïcha.

Abdelkader Mana

21:29 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie, transe | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

05/02/2012

Les fêtes du Mouloud

La religion des femmes

 

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Sidi Abderrahmane sur la corniche de Casablanca

 

Veille du Mouloud, une rumeur persistante circule au pays, à Casablanca, dans les trains et à Meknès même : cette année la procession des cierges de Salé n’aura pas lieu. Le deuil suspend la fête de la nativité à Salé, comme si la procession avait été frappée, en ce bord de l’Atlantique par l’onde de choc de la lointaine Palestine. Les morts de Naplouse, ceux de Jenine et les bannis de l’église de la Nativité – dont les images passent en boucle sur les ondes d’Al Jazira suspendent la fête de la Nativité du Prophète à Salé.

Chez les Trobriandais du Pacifique occidental aussi, nous dit Branislow Malinowski, la circulation des objets et des hommes, ne s’arrête qu’à l’occasion de la disparition d’un grand personnage. Les morts suspendent, le temps du deuil, les fêtes des vivants.

 

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Procession des cierges de Salé

Peu importe que la procession des cierges ait eu lieu ou pas : la rumeur est significative en elle-même, puisqu’elle est née de l’air du temps. Elle concerne l’interruption cette année d’une procession qui ouvre au Maroc les fêtes du Mouloud, qui aurait été instituée par le Sultan saâdien «  victorieux et doré », au terme d’un voyage en Orient où il aurait assisté à Istamboul à un carnaval de poupées colorées ornées aux fleurs de cire. Par sa naissance comme par ses multiples injonctions au « temps suspendant son vol », qui ont ponctué son histoire  tel l’exil de Mohamed V à Madagascar  la procession salétine vibre au rythme du monde. On dirait, aujourd’hui, qu’elle est suspendue au soupir de la mondialisation.

 

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Les ruines du palais El Badii dont la construction fut ordonnée par Ahmed El Mansour Dahbi (le victorieux et le doré)à la suite de la victoire de Oued El Makhazine

L’histoire confirme la tradition. En effet, al-Ifrâni, consacre à la préparation de la nativité du Prophète sous le règne d’Ahmed El Mansour Dahbi, une description assez détaillée et assez précise pour qu’on puisse l’identifier sans le moindre doute avec celle de Salé : il s’agit incontestablement des mêmes cierges, dont l’aspect évoquait déjà l’image de rayons de cire. Voici ce qu’en dit El Ifrâni :

« dés qu’on apercevait les premiers rayons de la lune de Rebia I, le souverain adressait des invitations à ceux des faqirs de l’ordre des soufis qui exerçaient les fonctions de muezzins et se dévouaient à faire les appels à la prière pendant les heures de la nuit. Il en venaient de toutes les villes importantes du Maroc..Ordre était ensuite donné aux marchands de cire de préparer un certain nombre de cierges et de mettre tous leurs soins à cette fabrication. Aussitôt ces habiles artisans se mettaient à l’œuvre et rivalisaient de zèle comme font les abeilles lorsqu’elles construisent les gracieux enchevêtrements de leurs alvéoles. Ces cierges avaient une grande variété de formes ; ils étaient si élégants qu’ils émerveillaient les regards et leurs couleurs étaient si vives que leur éclat ne palissait pas devant celui des plus belles fleurs. La veille de la Nativité, les gens dont le métier consiste à porter les litières des fiancées lorsqu’on les conduit à leurs maris se mettaient en devoir de transporter en grande pompe ces magnifiques cierges. Ce cortège était si brillamment ordonnancé et présentait un si beau coup d’œil que les habitants de la ville accouraient de tous côtés pour les contempler. Aussitôt que la chaleur du jour commençait à se calmer, les porteurs se mettent en marche, tenant sur leur tête ces cierges qui semblaient être alors de jeunes vierges traînant les pans de splendides tuniques ; leur nombre était tel qu’on croyait voir une forêt de palmiers. Le cou tendu, hommes et femmes se bousculaient pour admirer ces porteurs de cierges que suivaient d’habiles musiciens jouant du tambour et de la trompette. Dés que l’aurore aparaissait, le sultan sortait du palais, faisait la prière avec la foule du peuple, puis, vêtu d’une tunique blanche emblême de la royauté, il allait prendre place sur le trône devant lequel on avait déposé tous les cierges aux couleurs variées, les uns blans comme des statutes, d’autres rouges, tous garnis d’étoffes de soie pourpre et vertes, à côté étaient rangés des flambeaux et des cassolettes d’un si beau travail qu’ils causaient l’admiration des spectateurs et émerveillaient les assistants. Cela fait, la foule était admise à pénétrer ; chacun se plaçait selon son rang, et quand tout le monde avait pris place, un prédicateur s’avançait et faisait une longue énumération des vertus du Prophète et de ses miracles. La conférence terminée, tous les assistants accomplissent  les cérémonies de l’office de la Nativité, puis on voyait alors s’avancer les membres des confréries murmurant les paroles d’ach-chuchtûrî (célèbre soufi andalou ayant vécu au Maroc et mort en 896) et celles d’autres soufis, tandisqu’une troupe de coryphées déclamait des vers en l’honneur des deux familles (celle du Prophète et celle d’Al Mansour). » (d’après « Nozhat El Hâdî » d’Al Ifrânî).

 


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Meknès, le samedi 25 mai 2002, premier jour du Mouloud. De partout d’immenses foules dévotes et bariolées convergent vers le sanctuaire du fondateur de la confrérie des Aïssaoua. Au début du XVe siècle, en pleine effervescence mystique maghrébine  de lutte contre la pénétration portugaise, El Hadi Ben Aïssa aurait, dit-on, quitté son hameau des Mokhtar dans le Gharb pour aller parfaire son savoir théologique à Fès avant de venir s’établir finalement à Meknès dans une « khaloua » : paradoxe de l’ermite, le solitaire deviendra populaire. Pour stimuler la foi religieuse autour de lui, il allait, racontait-on, jusqu’à rémunérer ceux qui acceptent de délaisser les gains d’ici-bas pour les promesses de l’au-delà.

Sous un soleil matinal, les taïfas du Gharb, étendards en tête, se succèdent les unes aux autres. À l’approche du sanctuaire, comme happé par les énergies spirituelles du seuil sacré  le  horm hommes et femmes accourent pieds nus, chevelures au vent, souffle haletant, regard hagard. Humanité pathétique qui semble avoir laissé derrière elle, charrue et travaux des champs pour venir ici à la rencontre du divin. Pathétiques et néanmoins beaux, par leur quête du céleste et du sacré, sont ces paysannes disgracieuses et ces vieillards édentés aux pieds calleux, retrouvant en ce temps du pèlerinage, jouvence et nouvelles énergies. Au terme d’une course éperdue, ils s’accrochent au catafalque du saint pour y trouver réconfort et purification. Au cours de cette course effrénée, ils doivent enjamber le corps de pèlerins à plat ventre au seuil du mausolée, comme pour leur transmettre l’énergie bénéfique dont ils sont sensés être porteurs en ce moment de grâce. La croyance veut que par ce geste, ils contribuent à dénouer les entraves visibles et invisibles dont on cherche délivrance, auprès d’Aïssa le guérisseur des aveugles et des paralytiques.

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Parmi les taïfa rurales du Gharb, c’est celle d’El Mokhtar dont est issu le cheykh el Kamel  Hadi Ben Aïssa serait né vers 1450  qui ouvre en ce premier jour du Mouloud, la marche des processions. Cette taïfa aurait le pouvoir de remettre debout les paralytiques en piétinant leurs corps. Chez les pèlerins, sous un soleil matinal éclatant, la tunique blanche, symbole de pureté prédomine. Car, malheur à qui est vêtu de noir, il risque à tout moment de s’attirer les foudres des « lions » et des « lionnes », possédés par l’irrésistible esprit de la « frissa », de la consommation rituelle de la chair crue d’une victime expiatoire au pelage noir, bouc ou taureau. En souvenir de ce rite aïssaoua, aujourd’hui aboli, les possédés du lion symbole solaire, se ruent sur tout porteur de vêtement ou d’objet de couleur noire.

Sur la place sacrée où auront lieu les sacrifices au troisième jour du Mouloud, au cœur même du mausolée, de nombreuses pèlerines viennent passer une nuit d’incubation, dans le secret espoir d’entrevoir en un rêve divinatoire, le cheikh el Kamel en personne, ordonner leur délivrance des souillures et des nœuds qui entravent le cours de leur vie ici-bas.

 

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Comme à l’accoutumée, sous le vieux mûrier, au rythme du tambour et d’un air lancinant de flûtes traversières, les « charbonniers » de Meliana, venus d’Algérie, exposent leurs corps au bûcher sans être pour autant sensibles aux flammes. Attire particulièrement l’attention un vieux danseur au torse nu noirci par ses deux tisons enflammés, qui évoque curieusement à la fois, le Bossu de Notre – Dame de Paris et le gardien de la Géhenne de Dante. Juste, en face, une troupe  Haïyata jouant le répertoire haletant dit du « hiit », spécifique à la région du Gharb  entonne des chants qui sont autant de vœux pour la régénération de l’année à venir :

 

« Ô jeunesse, ne t’en fais pas trop, pour ton mariage.

La plus belle des filles sera bientôt pour toi ! »

 

L’un des signes d’élection spirituelle est le port de la « gouttaya », touffe de cheveux qu’on laisse pousser à la partie postérieure du crâne entièrement rasé. Je demande à l’un de ces personnages étrange :

- Pourquoi portez-vous cette touffe ?

- Parce que Sidi Mohamed Ben Aïssa attachait sa « gouttaya » à un arbre pour prier de jour comme de nuit, sans être vaincu par le sommeil ; celui qui n’est pas capable de porter la gouttaya ne doit pas la laisser pousser.

Venir à ce moussem pour ce personnage énigmatique du Gharb est une obligation :

- Si je ne viens pas au Mouloud, je tombe malade. Des fois, j’arrive au seuil de la mort. Mais quand ils m’emmènent au cheikh, je me rétablis aussitôt.

 

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Toujours plus bas, en s’éloignant du sanctuaire, dans un espace périurbain, mi-rural, mi-citadin, s’étend, l’immense souk du barouk, avec ses tentes, ses bouchers et autres marchands de fruits secs, ses immenses roues et autres jeux forains, ses musiciens ambulants et autres dresseurs de singes. Ce sont mille clameurs qui s’entremêlent tandis qu’au loin retentissent les détonations des fantassins et de la fantasia : au Maroc le baroud ouvre généralement un nouveau cycle. Ces réjouissances hippiques sont parfois ponctuées d’incidents : sous nos yeux, un homme traversant le champ de course, fut violemment heurté et piétiné par la charge des étalons. Mort ou vif. Une fois l’homme évacué, la fête continue comme si de rien n’était.

 

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Au crépuscule une ultime taïfa se présente au seuil du mausolée. C’est dans la nuit brune, au minaret jauni, la lune, comme un point sur un « i ». La pleine lune préside à l’ouverture du Mouloud, portant au paroxysme, toutes les énergies cosmiques : comme les marées montantes, les transes se voient décuplées. Les ruelles de la vieille médina s’animent de tambours et de hautbois pour des veillées domiciliaires aïssaoua, qui dureront jusqu’à l’aube.

Au deuxième jour du Mouloud, on est surpris de constater vers la mi-journée que déjà le souk du barouk et la fantasia ont plié bagages. Les ruraux ayant décampé de la zone périurbaine les citadins entrent en scène : à l’apaisement des ardeurs solaires, à partir de la monumentale Bab-el-Mansour, le cortège de la taïfa de Fès s’ébranle vers le mausolée du cheikh el Kamel. La famille Battahi de Fès y envoie en offrande deux beaux lustres que des adolescents portent au-devant du cortège. Viennent ensuite les danseurs aïssaoua scandant « Allah Hay ! » (Dieu est vivant). Fermant la marche, cinq hautboïstes sur leurs vieux mulets. Arrivée à hauteur du mausolée, la musique de procession cesse pour faire place à la hadhra proprement dite : danse extatique des citadins qui s’oppose, à bien des égards, à la possession rituelle par les « lions » et les « lionnes », à laquelle nous avons assisté la veille avec le défilé des taïfa rurales.

Les offrandes comportent outre les lustres de la taïfa de Fès, les tapis de celle de Casablanca, et même la couverture du catafalque. Chaque année ces accessoires du mausolée sont renouvelés en guise de régénération et de renaissance.

Au sortir de ce pèlerinage, nous apprenons par une dépêche que l’ancien ministre gauliste et islamophile Michel Jobert est mort le dimanche 26 mai à 0 h 30 à la suite d’un malaise, c’est-à-dire à l’aube du Mouloud. En effet Michel Jobert était né à Meknès le 11 septembre 1921. En tant que journaliste, j’ai eu à interroger à deux reprises l’auteur du  Maghreb à l’ombre de ses mains : il tenait à chaque fois à revoir avec minutie la copie, à la virgule près, avant de l’envoyer au journal. Mais il le faisait avec beaucoup de tact et une infinie gentillesse. C’est en guise d’hommage que cet article est dédié à la mémoire du célèbre enfant de Meknès qui vient de nous quitter à l’âge de 80 ans.

 

Troisième jour du Mouloud, mont Zerhoun.

Les tentes des pèlerins venus pour le grand moussem annuel sont déjà plantées. Je découvre un monde insolite, avec ses voyantes installées sous de petites guérites de toiles, ses troupeaux de boucs noirs parqués, en attendant d’être achetés et sacrifiés, ainsi que des poules noires enfermées dans de grandes volières.

J’entends le rythme sourd des grands tambours, les Herz des Hamadcha. J’y vais, et j’arrive à la grotte d’Aïcha. C’est un immense figuier aux feuillages compacts qui forme la grotte. Sur l’autel brûlent d’innombrables bougies. Juste à côté, au milieu d’une aire délimitée par des haies de branchages, se tient sa prêtresse. Plus loin, au fond, l’espace des sacrifices.

Trois femmes dansent au rythme des Herraz. Aïcha les possède et les entraîne dans un ballet échevelé. Puis je me rends au sanctuaire de Sidi Ali Ben Hamdouch. Là, le sol est jonché de nombreux pèlerins, surtout de femmes endormies ou en état de crise. J’ai l’impression de débarquer dans une véritable cour des miracles peuplée de possédés.

La nuit tombe. Maintenant du haut de cette montagne, on peut voir au loin dans la plaine, scintiller les lumières de Meknès. C’est le moment de la hadhra. Partout, sous les tentes, les Hamadcha venus du Gharb animent les veillées spirituelles, avec leurs hautbois et leurs tambours. C’est une musique saccadée et rapide, alors que celle des villes est lente et balancée. Les danseurs en transe, sautillent sur place interminablement. C’est la version rurale du rituel des Hamadcha. Ceux des villes arriveront demain.

Je rencontre une troupe des Jilala. Ils exécutent sur leurs grandes flûtes de nomades les airs mélancoliques du désert. Ils sont d’abord passés au Moussem des Aïssaoua de Meknès avant de venir ici. Ils y resteront jusqu’à la clôture.

Vers minuit, sous la pleine lune, un groupe de femmes avance en file indienne par les sentiers au flanc de la montagne. Elles portent leurs offrandes à Aïcha, dans son sanctuaire. L’une d’elles me dit qu’Aïcha aime qu’on lui offre de l’encens, des chèvres et des poules noires, du lait, du henné, et des tissus de soie colorés :

103Aujourd’hui, me dit-elle, on célèbre les fiançailles d’Aïcha. Dimanche prochain, septième jour du Mouloud, elle épousera Sidi Ali Ben Hamdouch.

Le cortège des femmes pénètre maintenant dans la grotte avec ses offrandes qui sont déposées sur l’autel. Elles y allument de nouveaux cierges. Elles apportent la chèvre à sacrifier et la poule noire à la prêtresse qui les bénit en parlant de « nœuds à dénouer » et de « portes à ouvrir ». Aïcha a fait des nœuds et a fermé des portes dans le destin des gens qui l’ont offensée et qu’elle a frappés. Raison pour laquelle ils viennent lui offrir des sacrifices de réconciliation.

Arrive le sacrificateur. Tout d’abord, devant l’autel d’Aïcha, il procède aux ablutions de la chèvre et de la poule noire, qu’il fait tournoyer par trois fois sur la tête et autour des épaules d’une femme accroupie. Puis il tranche la tête de la poule et la jette au loin. Enfin il égorge la chèvre noire qui se lève ensanglantée et se dirige vers les lumières de l’autel où elle va s’effondrer. Un peu plus tard, une famille aisée de Rabat, accompagnée d’une troupe de Gnaoua, apporte ses offrandes. Cette fois, on va immoler sept chèvres et douze poules. Les ruines de Volubilis ne sont pas loin d’ici. Peut-être gardent-elles le souvenir des sacrifices qu’on offrait jadis en ces lieux à la déesse Kadoucha ?

Marrakech, quatrième jour du Mouloud. En quittant le Zerhoun, j’ai laissé là-bas à leur moussem les Hamadcha du Nord. Je viens ici, à Marrakech, à la rencontre de ceux du Sud. Leur moussem commence aujourd’hui et se terminera dimanche.

À 18 heures, le cortège des Hamadcha marche avec le veau du sacrifice en direction de Riad Laârouss où se trouve leur zaouïa. Le sacrifice aura lieu demain à dix heures. J’apprends que les Hamadcha d’El Jadida, qui ont célébré leur moussem au premier jour du Mouloud seront présents ainsi que ceux de Damnate, Safi, Taroudant et d’Essaouira. Marrakech est la ville des innombrables zaouïas cachées et disséminées dans les ruelles de la médina. À Riad Laârouss, la zaouïa des Hamadcha illuminée de projecteurs et couverte d’étendards se prépare à recevoir les taïfa du sud.

 

 

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Marrakech, cinquième jour du Mouloud.

Ce matin, comme prévu, je retourne à Riad Laârouss où je rencontre les Hamadcha de Safi à l’heure du petit-déjeuner. Les vieux adeptes échangent des couplets de melhûn autour d’un verre de thé. On attend les autres taïfa qui vont arriver dans la journée. Après le sacrifice d’ouverture, elles animeront à tour de rôle des séances de Dhikr et de Hadra. J’ai décidé de les quitter pour suivre le pèlerinage d’une prêtresse des Gnaoua, une talaâ, à Moulay Brahim au sommet de la montagne. Je me rends donc à Bab Rab, la porte du Seigneur, d’où vont partir pour Moulay Brahim les chamelles apportées par les différentes taïfa du Maroc. Elles seront conduites là-haut en cortège au rythme des Aïssaoua.

 

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Moulay Brahim est situé sur le plateau de kik au sud de Marrakech

Moulay Brahim. À midi, j’arrive au pied de la montagne. Il y a là quelques pèlerins prenant un bain rituel près du moulin à eau, ainsi que quelques chamelles. Une femme qui est déjà venue ici l’an dernier n’est pas étonnée de voir si peu de gens cette année :

- L’année dernière, dit-elle, beaucoup de gens ont péri dans la grosse crue de l’oued qui a fait de nombreuses victimes. Alors que les autres années on avait beaucoup de mal à se loger, cette année, les courtiers vous courent après pour vous offrir les logements vides.

J’arrive à Moulay Brahim à une heure de l’après-midi. Des musiciens tournent autour du sanctuaire avec une jeune chamelle blanche couverte d’un tissu vert. Ce groupe vient des environs de Casablanca. Plus loin, voici une autre procession accompagnant elle aussi une chamelle : c’est la taïfa de Tarraste, en provenance du Sous. Et voici un troisième cortège avec sa chamelle en provenance des environs de Taroudant. Les cours intérieures des maisons qui font hôtellerie pour l’occasion sont animées par les Oulad Sidi Rahal avec leurs bouilloires et leurs serpents ; une autre troupe des Oulad Sidi Rahal, ceux de Bouya Omar, est venue pour animer demain des séances de Hadra. Un groupe de l’Ahouach des Houara ainsi qu’une troupe de Gnaoua d’Agadir proposent leur spectacle d’un patio à l’autre.

Sixième jour du Mouloud. Je pars à la recherche de talaât. Elles se trouvent, me dit-on, dans la maison attenante à la zaouïa. Il y a là, dans la cour intérieure, la grande chamelle qui sera sacrifiée. Elle a été amenée ici par Lalla Bacha une talaâ venue de Kénitra accompagnée de sa troupe de Gnaoua. Dans une petite pièce adjacente, les Gnaoua se reposent. Leur maître de cérémonie raconte :

- La chamelle a été achetée à Settat et on l’a amenée à Kénitra où la talaâ a organisé une lila le jour du Mouloud. De là, on a transporté cette chamelle à Marrakech par camion. On l’a conduite en procession depuis Bab Rab jusqu’ici, en passant par Tamesloht où notre talaâ a organisé une autre lila avec sacrifice d’un bélier. Nous resterons ici jusqu’au sacrifice de la chamelle.

Un peu plus loin, je rencontre une autre talaâ avec sa troupe de Gnaoua de Marrakech. Elle est originaire du Sahara et vit en ce moment en Belgique avec son mari, ancien travailleur immigré. C’est une grande et belle femme, imposante et couverte de bijoux :

- J’ai hérité mon activité de talaâ de mes ancêtres, dit-elle.

Puis son mari enchaîne :

- Elle vit avec moi depuis 32 ans, à Bruxelles. Elle y fat son métier de voyante par téléphone et sur rendez-vous pour les immigrés de là-bas et parfois aussi pour des clients européens.

La talaâ reprend la parole pour me raconter comment elle a découvert la vocation de médium :

- Je suis tombée en transe sans m’y attendre, et au cours de ma transe, j’ai commencé à « parler ». Je n’en étais pas consciente, ce sont les gens qui me l’ont dit à mon réveil.

Le parler en transe  N’tiq est la caractéristique fondamentale de la talaâ. C’est son esprit allié, son melk, qui parle par sa bouche, et qui fait la divination. Elle dit :

- J’ai chez moi deux autels, l’un me vient de Moulay Brahim, l’autre de Sidi Ali, pour son rapport avec Aïcha Qandicha, la Gnaouia. Je tombe malade chaque année au mois de Chaâbane. Je dois alors organiser une lila. L’année dernière, c’était à Essaouira. Je suis arrivée au Maroc cinq jours avant le Mouloud, et ici le jour du Mouloud pour y passer toute la semaine. J’ai acheté la chamelle pour Moulay Brahim au souk de Had Draâ. Après le moussem, je monterai à Sidi Chamharouch, le maître de la divination, puis je me rendrai à Bouya Omar, et j’irai enfin au Zerhoune chez Aïcha Qandicha. Je dois faire chaque année ce grand tour qui dure deux mois avant de revenir en Belgique. Sans quoi je ne pourrais pas travailler.

J’entends soudain un cri étrange qui tient à la fois du jappement d’un chiot et du hurlement d’un chacal :

- Regarde derrière toi ! Ordonne la talaâ de Bruxelles.

C’est un homme accroupi tenant sa tête entre ses mains et qui aboie. Brusquement, il se lève et commence à aller et venir, se rapprochant, puis s’éloignant de moi. Je ne suis pas rassuré. Il crie qu’il est Aïcha Qandicha :

- Je suis la reine des vallées et des fleuves ! Des forêts et des déserts ! J’attaque celui qui m’agresse !

Il parle avec un accent féminin. Et soudain, j’entends tout près de moi une autre voix, cette fois-ci masculine. C’est la talaâ en transe qui s’adresse à moi en criant :

- Ferme ton bloc-notes et va-t-en d’ici !

Alors qu’ils continuent leurs imprécations à mon encontre, je quitte les lieux en courant. Un peu plus tard, le Gnaoui de l’autre talaâ me dit que c’était une comédie pour essayer de m’extorquer de l’argent. Et beaucoup plus tard, quand je rencontre à nouveau la talaâ de Belgique alors qu’elle a retrouvé, me semble-t-il, son état normal, elle me dit :

- Aïcha a estimé que l’entretien était allée trop loin. Je ne devais pas vous livrer notre secret. C’est elle qui s’est adressée à vous par ma bouche pour vous demander de partir.

Midi, il fait très chaud, et je me promène à travers le village. Le Gnaoui de Marrakech vient à ma rencontre. Je l’invite à partager un tagine. Au cours du repas, il me dit combien le progrès de la modernisation au Maroc fait reculer les croyances traditionnelles :

- Dans les années soixante-dix, on apportait au moins dix-huit chamelles chaque année à Moulay Brahim, dont quatre de Marrakech. Maintenant, seuls les tanneurs de la ville rouge apportent la leur à l’oiseau des cimes. Même chose pour Casablanca d’où arrivaient cinq camelins pour un seul aujourd’hui.

Il est environ dix-huit heures lorsque les tanneurs de Marrakech, qui étaient déjà dans la zaouïa, en sortent avec leur chamelle, la seule qui sera sacrifiée. C’est une sorte de mise en scène, où tout se passe comme s’ils arrivaient sur les lieux. Leur procession fait le tour du marabout.

Moulay Brahim, septième jour du Mouloud. Ce matin, ce sont les Aïssaoua qui animent la place du sacrifice. À 9 h 30, on accompagne la chamelle hors de l’enceinte, du côté de l’entrée nord de la zaouïa, au milieu d’une foule bariolée, ensoleillée et joyeuse. La chamelle porte sur sa bosse une écharpe blanche où il est écrit : « Mohamed Messager d’Allah ». Étendards, tambours, crotales, la chamelle bouge. On l’oriente vers l’Orient. Une femme commente :

- Quand on veut la sacrifier, on lui fait manger du henné et on lui fait faire le tour du marabout. Certains s’abreuvent de son sang et il y a beaucoup de bagarres.

On lui enlève l’écharpe, mais elle se relève. Alors qu’elle est encore debout, beuglant de plus belle, on lui tranche le cou à la racine. Elle perd des flots de sang, on ouvre la porte nord, on la traîne à l’aide de cordes sur une pente glissante et à l’aide d’une hachette, on achève de lui trancher le cou. De vigoureux jeunes gens emportent la tête à toute allure, dévalant la montagne en direction de l’oued. La tête semble continuer à beugler toujours, quoique de manière aphone. Elle doit pousser son dernier soupir au moulin à eau si on veut que l’année qui vient s’annonce fertile.

Le corps gisant sans la tête tremble toujours. Une femme s’évanouit. On commence le dépeçage par le haut. On empêche les gens de prendre des photos. On enlève la bosse, considérée comme une ressource thérapeutique pour l’asthme. À l’aide de la hachette, on sectionne les pattes antérieures, puis les postérieures. On ouvre par le dos la carcasse agenouillée : tout est énorme en une chamelle ; ses poumons, son foie, son cœur, ses entrailles. Chaque organe pèse plusieurs livres. Le tout sera partagé entre les cinq cents Chérifs descendants du saint. Les pèlerins réclament un peu de barouk. Le soupir de la chamelle serait un puissant remède contre les maladies des voies respiratoires. Selon le moqadem de Moulay Brahim, c’est parce qu’on avait étouffé la tête de la chamelle dans un sac de jute l’année dernière que, deux jours après le moussem, l’oued a tout emporté. Je quitte les lieux en direction de Tamesloht, alors que sur les aires à battre les paysans procèdent déjà à la séparation du grain d’avec la paille.

 

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Enduire le corps au henné est l'un des principaux rites des fêtes du mouloud

Tamesloht, septième jour du Mouloud. À mon arrivée à Tamesloht, ce matin, je rencontre un Gnaoui qui joue du guembri. Je lui demande aussitôt si je peux trouver ici une talaâ. Celle qui fait « monter les mlouk ». Il me désigne ses doigts qui pincent les cordes pour me signifier que c’est sur sa sollicitation que les mlouk « montent » (tlaâ). Je rencontre celui qui l’a initié, maître Razouq de Safi, que je connais depuis déjà longtemps. Il me dit qu’il est venu ici en « touriste » bien qu’il soit là avec sa troupe et tous les instruments. En effet, aucune voyante n’a loué ses services. À Moulay Brahim, comme à Tamesloht, ce sont les prêtresses qui conduisent les rituels et les pèlerinages ; les musiciens gnaoua comme les griots d’Afrique sont leurs assistants.

Puis je me rends à la maison des hôtes des Chérifs descendants de Moulay Abdellah Ben Hsein, il y a là un aveugle assis sur une natte. Il m’accueille chaleureusement, comme s’il me connaissait depuis toujours :

 

- Mets-toi à l’aise, me dit-il, voici du thé, des galettes d’orge et de l’huile d’olive.

Pour l’aveugle l’important en ce jour du Mouloud, c’est le moussem des chérifs descendants de Moulay Abdellah Ben Hsein. Il me dit à ce propos :

- La pratique des Gnaoua qui sont ici relève du sacré impur, alors que la nôtre, à nous les chorfa, est d’essence prophétique.

 

Il me décrit la chaîne mystique de ce soufisme de Tamesloht en remontant à Chadili, via Moul Laqsour  le sixième saint de Marrakech  jusqu’à Jounaïd, le grand mystique de Baghdad. Et comme j’écoute ses discours, je ne peux plus traîner dans les ruelles de Tamesloht à la recherche des voyantes comme j’en avais l’intention. Je parvins finalement à lui fausser compagnie. Je pars à la recherche de la talaâ de Bruxelles. Mais je ne la trouve pas. D’ailleurs, toutes les talaât présentes restent enfermées dans les maisons louées aux habitants de Tamesloht, où elles organisent leur cérémonie nocturne. Je rejoins le Gnaoui de Marrakech. Il est maintenant 16 heures et le gnaoui se repose au voisinage d’un bélier et de deux jeunes boucs. Il me dit que je dois patienter jusqu’à demain si je veux vraiment assister au pèlerinage des talaât dans les sanctuaires et refuse de me présenter sa femme, elle aussi talaâ, qu’il accompagne ici.

Quand tombe la nuit, je finis par retrouver la talaâ de Bruxelles. Sa cérémonie nocturne vient de commencer. Les musiciens de l’orchestre dansent au rythme des Oulad Bambara. L’un d’eux figure l’ancêtre esclave, dont les pieds sont entravés, et saute dans un effort pour se libérer. Puis on brûle le bejoin pour sacraliser l’espace où vont se tenir les danses de possession. Et voici, Bouderbala, le mendiant céleste avec sa tunique rapiécée, sa canne et sa besace. Puis on évoque Sidi Mimoun le potier, et le défilé de sa cohorte donne lieu à la danse des bougies qu’exécute une vieille femme noire. Pour évoquer et représenter Baba Moussa le marin, un Gnaoui danse avec un bol d’eau sur la tête. Il est suivi du possédé de Pacha Hammou, qui danse avec des poignards. Après une pause, on célèbre les saints chorfa, en particulier Moulay Brahim et Moulay Abdellah Ben Hsein. C’est la revanche des Gnaoua : ils ont fait entrer dans leur système de la possession les saints d’ici, dont les descendants les tiennent un peu en marge.

 

Puis les Gnaoua fidèles à leur propre passé africain, invoquent « les gens de la forêt sauvage », dont on dit que seuls les jeddaba aguerris sont capables de les incarner. Et l’on finit à l’aube par les esprits féminins aux couleurs bariolées. La dernière invoquée, c’est Aïcha Qandicha. La voyante de Bruxelles, qui a organisé cette soirée, l’incarne et prophétise en état de transe. La cérémonie prend fin avec cette invocation d’Aïcha. Je l’avais laissé à Zerhoun et Moulay- Brahim, je la retrouve ici parce qu’elle est présente partout au Maroc et même au-delà de nos frontières.

Huitième et dernier jour des célébrations du Mouloud. Il fait très chaud et les voyantes, épuisées par la nuit cérémonielle, dorment dans leurs maisons. Elles en sortent vers seize heures. Chaque voyante apporte son bouc pour Sidi El Hâjj Bou Brahim et son bélier pour Moulay Abdellah Ben Hsein. Certaines d’entre elles vont même jusqu’à un veau ou une vachette. L’importance des offrandes exhibées témoigne de leur prospérité, de leur réussite, et rehausse leur prestige. Hier, elles ont déposé au sanctuaire leurs étendards et leurs autels. Sans ce dépôt d’une nuit, le voyage serait inutile. Il faut que ce qui fonde la pratique de ces talaât vienne ici se recharger de la baraka du saint. Les « filles des Gnaoua » accompagnent, pieds nus, leur talaât, entièrement voilée – comme si elle se dirigeait vers une soirée de noce, en tant que « fiancée » du maître des esprits. Elles sont leurs auxiliaires et constituent autour de chacune une sorte de petite confrérie féminine.

Le monde des Gnaoua  avec leur rite de possession et leur initiation adorciste  est avant tout une religion de femmes dont Aïcha est la figure centrale. Une sorte de religion  alternative dans une société où seuls les hommes ont vraiment accès aux lieux consacrés de la religion établie. Le moussem de Tamesloht donne à voir cette dualité, avec d’un côté les chérifs célébrant au grand jour leur religion d’hommes, et d’un autre les rites nocturnes et privés animés par les prêtresses d’Aïcha.


Abdelkader MANA

 

12:54 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

09/12/2011

Tabal, l'Africain

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Mohamed Tabal

Abdelkader Mana : -On raconte qu’au nord d’Essaouira, existait un figuier hanté par un serpent auquel les femmes des gnaoua présentaient des offrandes. Elles organisaient une fête saisonnière sous cet arbre.

Mahmoud Guinéa : - C’est Sidi Abderrahman. Depuis l’âge de douze ans, je m’y rendais en pèlerinage avec tous les gnaoua d’Essaouira. Chaque année on y festoie durant sept jours à partir du septième jour de la fête du sacrifice. De leur vivant nous y  accompagnaient  les serviteurs, lakhdam, ainsi que la troupe des gnaoua . Il y avait un lieu où on dansait en transe, où on organisait cette fête annuelle,  immolant sous cet arbre hanté par un grand serpent qu’on appelait Sid –El- Hussein. On l’encensait et on tombait en transe. Lors du rituel cette créature sortait mais sans faire de mal à personne. J’ai accompagné les Gnaoua  près d’une vingtaine d’années à ce sanctuaire de Sidi Abderrahman Bou Chaddada.

Abdelkader Mana :- Parler de ce figuier nous amène tout naturellement à évoquer le gunbri . Ton père, que Dieu ait son âme, m’a appris deux choses à ce propos ; que les Gnaoua ont deux instruments à cordes :  aouicha – qu’il fabriquait devant moi- et le gunbri. Et que celui qui n’a pas pratiqué aouicha, ne devait pas toucher au gunbri. Et votre père, que Dieu ait son âme, d’ajouter que les premiers Gnaoua confectionnait leur gunbra à base d’une grande courge évidée et desséchée. Mais quand ils ont découvert que le figuier donnait de meilleurs résonances ; ils ont commencé dés lors à en fabriquer leur gunbri

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Mohamed Tabal

Mahmoud Guinéa :-Dans le temps les premiers gnaoua étaient venus avec un gunbri  à base de courge comme tu as dit, confectionné d’une manière africaine. Après quoi ils ont adopté le figuier pour sa belle résonance, sauf que sont instrument est habité, hanté, maskoun. Son maniement nécessite purification. On ne doit pas y toucher en état d’ivresse. Car le figuier s’est sanctifié par les nombreuses années qu’il est resté sur cette terre avant d’être coupé pour en faire le gunbri. Donc, elle est déjà habitée, hantée, maskouna. Le maâlem lui accorde toute son attention en l’encensant. Le gunbri vieillit aussi : passé quarante ans, il se met à résonner tout seul quand tu le suspend au mur. Il parle tout seul la nuit.

Malika Guinéa : -Tu sens comme si quelqu’un raclait ses cordes. Le tambour, bouge lui aussi. Tu entends sa résonance.

Mahmoud Guinéa : -Pendant longtemps les instruments des maîtres disparus sont restés dans la zaouïa comme des antiquités sacrées auxquelles personne n’osait toucher. On se contenter de les visiter pour en recueillir la baraka.

Abdelkader Mana : -Lorsque j’écrivais mon livre sur les Gnaoua, l’un des  maâlem , Paka que Dieu le guérisse ou Guiroug, m’a raconté qu’enfants ils se rendaient à la zaouia de Sidna Boulal, où ils rejoignaient Mahmoud Guinéa et ils allaient ensuite confectionner aouicha, la petite guitare à table d’harmonie en zinc qui leur servait à s’exercer avant de jouer au gunbri.

Mahmoud Guinéa : -On était alors en période d’apprentissage : dés notre prime enfance, on était des amateurs de Gnaoua. On confectionnait notre instrument en se servant du zinc en guise de table d’harmonie et du nylon en guise de cordes. Et on se servait des boîtes de conserve de sardines pour confectionner les crotales. Et on allait s’amuser ainsi au village de Diabet. Une fois, alors que nous étions encore tous jeunes, la tombée du jour nous a surpris dans la forêt de Diabet où nous nous sommes mis à scander Charka Bellaydou, une devise des gens de la forêt. Très sérieusement, dés que nous avons entamé ce chant, nous apparu alors, surgissant de nulle part, une sorte de Kinko A l’apparition de cette énorme créature, nous prîmes la poudre des escampettes. Fil blanc, fil sombre était la lumière dans les jardins de Diabet, près de l’oued.

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Mohamed Tabal

Abdelkader Mana : -Au début tu accompagnais ton père , que Dieu ait son âme, en simple qraqbi (joueur de crotales) . Ton père jouait du gunbri et tu as commencé tout jeune en tant que qraqbi et en tant que jeddab (danseur rituel). Tu jouait Kouyou, la partie ludique du rituel. Un jour ils t’ont préparé une gasaâ(plat de couscous) pour te reconnaître en tant que maître de la nuit et du gunbri.

Mahmoud Guinéa : -A la zaouïa, ils m’avaient préparé une grande gasaâ, de couscous, semblable à celle des Regraga décorée de bonbons, d’amandes et de noix. Les Gnaoua étaient encore tous vivants. Ils m’ont béni et j’ai commencé à jouer. Mon jeu leur a plu. C’est de cette manière qu’ils m’avaient reconnu en tant que maâlem. Ce n’est pas le premier venu qu’on recrutait ainsi. N’importe quel profane, apprenant sur cassette, se prétend maintenant maâlem. Pour le devenir vraiment, il faut l’avoir mériter à force de peines. Maâlem , cela veut dire beaucoup de choses. Il faut être vraiment initié à tout ce qui touche aux Gnaoua : apprendre à danser Kouyou,à jouer du tambour, à chanter les Oulad Bambara , a bien exécuter les claquettes de la noukcha . Il faut savoir tout jouer avant de toucher au gunbri, qu’on doit recevoir progressivement de son maître. Maintenant, le tout venant porte le gunbri et le tout venant veut devenir maâlem.  Sans le vouloir, je deviens un autre en jouant du tambour...

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Mohamed Tabal

Malika (sa femme) :-Parce que la aâda (ou procession)est comme une invitation des esprits. Dés qu’on sort pour faire rentrer la procession à la maison ; on y amène en même temps les esprits avec soi. On les invite pour ainsi dire à la lila , la nuit rituelle, la nuit de transe : la plupart des gens rentrent en transe dés cette phase préliminaire de  la aâda,où l'on joue uniquement du tambour, cette voix des dieux africains.Mahmoud a tout pris de son père : le gunbri, les crotales, les kouyou, la patience au moment de la transe, comment conduire la lila. Il a tout pris de son père.

Mahmoud :-Cela se pratique avec sérieux, avec cœur, et de bonne foi. C’est une énergie qui nous vient d’en haut. Un don de Dieu. Lui seul  nous accorde cette force qui nous appartient. La transe n’est pas un apprentissage : c’est quelque chose qu’on a dans son sang, un don accordé par Dieu.

 Malika :-Il vit cette musique depuis l’âge de sept ans. Il accompagnait son père quand celui-ci se rendait chez les moqadma , pour le sacrifice qui précède la lila . Il rentrait en transe. oui, dés  l’âge de sept , huit ans. Depuis toujours, il a vu sa  maman accueillir les possédés. Elle les reçevait à la maison pendant une semaine, quinze jours jusqu’à ce qu’ils guérissent . On organisait tout le temps des lila à la maison ….

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Mohamed Tabal

Abdelkader Mana : Quel type de clientèles vous recevez ? 

Malika :-Le premier cas est celui de cette femme qui fait des cauchemars la nuit. Elle n’acceptait pas les hommes qui la demandaient en mariage. Elle n’aimait pas du tout les hommes. Sa mère me l’a amené en consultation. Elle avait 28 ans. Les esprits m’ont indiqué que c’est eux – mêmes qui l’empêchaient de se marier pour  qu’ils la possèdent. L’esprit qui la possède l’empêche de se marier pour qu’elle devienne son épouse. Nous lui avons organisé une lila mais son esprit a refusé en disant : « cette femme doit m’épouser ou me servir. » Mais elle refusait de servir. Elle a néanmoins organisé la lila en disant : « Je donnerais tout ce qu’on me demande, Le financement n’est pas un problème ".Elle a de l’argent. Elle fera tout ce qu’on lui demande pourvu qu’on la délivre et qu’elle se sente mieux. Elle n’aimait plus la maison : elle voulait s’enfuir, fuguer. La première lila est passée, la seconde et la troisième. Après quoi elle est guérie. Maintenant, elle est mariée. Elle a même deux enfants. Quand elle s’est mariée et qu’elle a eu le premier enfant ,elle l'a emmené à la tbiqa(l’autel des esprits). Pour le protéger on l’avait couvert des draps aux sept couleurs des esprits. Et quand elle a eu le deuxième enfant, elle l’emmena également. Maintenant elle m’envoie chaque année un sacrifice. Elle vit à Tanger. Elle est guérie. 

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Mahmoud Taba

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Autoportrait réalisé par l'artiste au tout début de sa carrière en 1989

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J’ai un autre cas, celui d’une femme mariée dont le problème est qu’elle n’enfantait pas alors que son plus ardent désir est d'avoir des enfants.Et même quand elle tombait enceinte, elle finissait par perdre son bébé dans les trois mois qui suivent. Alors, elle est venue me consulter et il s’est avéré que c’est Sidi Hammou qui l’a « frappé » au ventre en lui demandant sacrifice et lila. Elle ne voulait pas organiser la lila, chez elle : elle a honte de cette musique. Elle nous a donné l’argent et nous lui avons organisé la lila chez nous. Quand elle est redevenue enceinte, elle est venue me voir et je lui ai recommandé de porter durant neuf mois le « fil de laine autour du ventre» (comme ceinture protectrice). Suite à quoi, elle a donné naissance à une fillette qui a grandi maintenant. Elle aussi m'envoit offrandes et sacrifices à chaque nativité du Prophète..

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Mahmoud Taba

Abdelkader Mana : - Comment es-tu devenue talaâ(voyante médiumnique)?

Malika :- Auparavant j’étudiais, comme tout un chacun rêve de s’instruire. J’ai obtenu mon bac, pour poursuivre mes études en section anglaise à l’étranger. Quand j’ai obtenu le bac j’ai eu un problème avec un Monsieur de notre fratrie : il m’a demandé en mariage alors que sa mère m’a refusé. Mais comme il est passé outre ce refus, elle m’a jeté un mauvais sort,  pour provoquer notre séparation. C’est par  ce mauvais sort, que les esprits me possédèrent .En enjambant cette magie j’ai commencé à tomber en transe et à me désintéresser de l’école. Je n’aimais plus les hommes, d’une manière générale. Les hommes, étaient devenus un problème pour moi. Je suis choquée à chaque fois que j’entends parler d’un homme qui désir demander ma main. Durant près de deux ans, nous avons consulté de nombreux docteurs psychiques. Ma maman, que Dieu ait son âme, m’amenait chez les médecins. Franchement, je n’étais pas élevée dans une famille Gnaouie. Chez nous personne ne dansait en transe. On était tout à fait loin des Gnaoua. Quand j’ai commencé à « tomber » (à devenir une possédée), les gens se mirent à nous dire : « Il faut voir les Gnaoua, organiser une lila ». Finalement, je ne croyais pas vraiment aux esprits. Il y avait alors dans notre voisinage une voyante qui organisait des lila. Un jour, alors que je dormais, j’entends au loin le rituel de la lila se dérouler chez elle. Quand ils ont entamé la procession aux tambours, je n’ai pu m’empêcher de quitter la maison en courant, pour rejoindre dame Jmiâ que Dieu ait son âme (Mon autel des mlouk comprend de vieux balluchons de couleurs que j’ai hérité d’elle.Même vieux et déchirés je ne puis les jeter. J’ai des serviettes toutes neuves, mais les anciennes qui lui appartenaient ; je les garde parce qu’elle me les a légué au moment de mourir). Je l’avais alors rejoins et je me suis mise à danser en état de transe. J’ai dansé alors sur les notes du grand maâlem  Baqbou . En sortant de ma transe, je me suis endormie et elle m’a mis en isolation sous le voile : « Ma fille, me dit-elle, les esprits te réclament sacrifice et désirent que tu les serve. » Je n’ai pas compris tout d’abord qu’est – ce que « servir » veut dire? J’avais 17 ans.Je suis allée voir ma mère en lui disant que lalla Jmia m’a recommandé de « servir ». Une semaine après je suis « tombée en transe» à nouveau et j’ai commencé à pratiquer le parler en état de transe (kan’Ntaq). Les esprits se mirent à parler en moi : « nous lui avons ordonné de nous servir, disent-ils,d’organiser une lila pour devenir moqadma. » Je suis tombée malade et ma mère est allée voir cette voyante en lui disant : « Dame Jmiâ, viens voir ma fille elle s’est à nouveau évanouie." Elle est venue et a commencé par faire parler les esprits qui me possèdent, puis elle avait dit à ma mère : « Les esprits veulent qu’elle les serve. »

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Mahmoud Taba

«Peut-on organiser la lila ? demanda ma mère, on vous donnera l’argent pour l’organiser. » ; La voyante lui répondit : « Ils veulent certes qu’elle organise une lila, mais ils veulent surtout qu’elle les serve. ».Nous avons effectivement organisé une lila . Je ne pouvais plus me lever , mais après la lila, je me suis sentie mieux. Un mois environ après la lila, j’ai à nouveau refusé de servir. Je suis tombée malade à nouveau. Les esprits lui dirent alors : « Elle ne veut pas de nous ; il faut qu’elle ait en pèlerinage. C’est ainsi que je me suis rendue à Moulay Abdellah Ben Hsein, à Chamharouch, jusqu’à ce que j’aie accepté. Je  les voyais dans mes rêves et je m’écriais dans la nuit. Ils ont chamboulé mon sommeil :  je dormais le jour et me réveillais la nuit. Je me mettais à prédire à quiconque  me rendait visite : je tombais en transe et je voyais pour ceux et celles qui me rendaient visite sans qu’ils me le demandent. Petit à petit j’ai accepté l’idée de devenir talaâ(voyante médiumnique) celle qui fait monter les espritsen les faisant parler sur l'avenir des gens qui viennent consulter.

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 Mohamed Tabal

Je ne croyais pas d’abord aux saints, mais quand je suis tombée malade, je me suis mise à rendre visite à tout lieu saint en rapport avec les gnaoua : la grotte d’Aïcha  à Sidi Ali , celle de Sidi Chamharouch où je me suis isolée durant trois jours : on mangeait là-haut, on buvait là-haut, on dormait là-haut. Après quoi, on est descendu vers Moulay Brahim où j’ai séjourné pendant une semaine. De là je suis descendue vers Moulay Abdellah Ben Hsein. Pendant quatre années, j’ai servie ainsi comme talaâ (celle qui fait parler les esprits). Une fois je me suis rendue en pèlerinage au moussem de Moulay Abdellah Ben Hsein comme ils m’ordonnent de le faire chaque année. C’est là que j’ai rencontré maâlem Mahmoud d’une manière tout à fait inattendue, que m'annocaient cependant les esprits lors d'une dormition  :

- On t’autorise à te marier, à condition que ce soit avec un maâlem gnaoui et qu'il soit noir.

Je me suis dit : « Pourquoi dois-je chercher un homme qui soit de surcroît maâlem , gnaoui et noir ! Il est impossible de trouver un mâle qui réunit tous ces qualités ! »

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Mohamed Tabal

 Mais bien avant de le rencontrer, alors que je farfouillais dans mon autel des mlouk,je suis tombée sur une cassette qui contenait de la musique gnaoua. Notamment certaines devises de foufou-danba , du lait. Je me suis dit : « J’ai déjà écouté ce maâlem et sa musique comporte des devises qui n’existent pas chez les gnaua de Marrakech. " Je suis arrivée à Moulay Abdellah Ben Hasein en dissimulant cette cassette entre mes seins. C’est là que j’ai rencontré Mahmoud en campagnie de Hamida Bossou . Celui-ci m'invita à une lila qu'il organise en cette période du mouloud à Tamsloht. Parmi les invités, il y avait maâlem Mahmoud,  son père et ses frères. On s’est connu de cette manière et je suis rentrée chez moi. Mon frère a rencontré par la suite le maâlem et l’a invité chez nous. C’est ainsi que je me suis retrouvée en tête à tête avec lui à l’intérieur même de ma maison ! J’ai alors ordonné à mon frère de nous faire écouter  la fameuse cassette. Nous l’avons écouté sans que je sache d’où elle m’est venue. Mahmoud l’a reconnu : « C’est ma cassette » me dit-il.

Comment elle a pénétré à l’intérieur de ma maison ? Je ne saurais le dire . C'est de cette manière qu'il m'a découverte et épouser.

- Est-ce ta sœur ? Demanda –t-il à mon frère.

- Oui.

- Est-elle mariée ?

- Non.

C’est ainsi qu’en un très bref laps de temps, je me suis retrouvée fiancée et mariée . C’est maâlem Mahmoud qui m’a encouragé à poursuivre mon travail en tant que maâlma et en tant que voyante. Je suis originaire de Marrakech. Et du fait que j’organisais chaque année une lila, ma sœur dansait en transe, mon frère dansait en transe, ma fille dansait en transe. Cela remonte aux environs de 1985 que nous  baignons en permanence dans ces rituels, au point que la musique gnaoua coule maintenant dans nos veines.

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 Mohamed Tabal

Abdelkader Mana: - Deux familles sont aux origines des Gnaoua d’Essaouira : les Guinéa et les Gbani, qu’Allah les aient tous en sa miséricorde. Je veux que tu me parles de ces deux familles. Ton grand père Guinéa était arrivé à Essaouira avec l’armée Française en 1914, d’après ce que m’avait dit ton père. Gbani , que Dieu ait son âme, m’avait dit qu’ils étaient venus de Bamako au Mali ou bien de Tombouctou , à travers le Sahara…

Mahmoud Guinéa : - Quand ils étaient arrivés à cette époque, le père de mon père s’appelait Da Méssaoud. Il était venu du Mali en passant par la tribu des Oulad Dlim au Sahara. Le père de ma mère, Ba Samba, était venu de Dakar. C’est eux qui sont à l’origine des Gnaoua d’Essaouira. Les ancêtres de la famille des Gbani sont également originaires du Soudan. Ces deux familles sont pareilles. Nous sommes tous venus d’Afrique. C’est de là qu’avait commencé le gnaouisme  à Essaouira.

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Abdelkader Mana :- Ton père m’avait dit, qu’il n’y avait pas de zaouïa des Gnaoua ici : ils habitaient juste sous des casemates du côté du quartier des Alouj(les convertis de l’époque). En arrivant ici, ils ont participé à l’édification d’Essaouira. L’un d’entre eux était sourcier : là où il leur disait de creuser, ils trouvaient de l’eau. C’est lui, d’après ce que me disait ton père qui leur avait ordonné d’édifier par ici la zaouïa des Gnaoua où ils s’étaient mis à se réunir chaque samedi. Ils parlaient alors le Guinéen…

Mahmoud Guinéa : - Au temps où ils habitaient dans les casemates, dont tu parles, ils n’avaient pas de zaouïa. Après quoi, un jeddab souiri (danseur de transe), de la famille  Aït – el - Mokh, leur avait accordé un terrain, où ils pratiquaient leur rituel un certain temps, juste entourés d’une enceinte. Au bout d’un certain temps, les gens d’Essaouira, qui sont des jeddab (danseurs de transe) et des amateurs des Gnaoua, ont tous participé à l’édification de la zaouïa où se réunissent les Gnaoua

 Malika Guinéa : - Pourquoi, leur avait – on  accordé ce terrain ? A cause de ce fils qu’ils ont promené chez tous les guérisseurs sans qu’il soit guéri. Mais quant ils l’ont amené chez les Gnaoua, il s’est aussitôt rétabli. Ils ont alors accordé aux Gnaoua, ce terrain,  en guise de don, comme le font chaque année, les bienfaiteurs qui viennent en procession à Sidna Boulala : la femme qui n’enfante pas, vient prendre la baraka et se remet à enfanter. L’homme qui a du mal à trouver du travail, recourt lui aussi aux Gnaoua. Quand ils ont vu que celui dont le fils est malade avait accordé le terrain, les autres ont financé : celui-ci a acheté le ciment, celui-là le fer, jusqu’à ce que la zaouïa de Sidna Boulal soit érigée. Nous ne pouvons pas dire que Sidna Boulal soit enterré à Essaouira : il est là-bas, en Orient. Ici, nous n’avons que sa baraka, son maqâm (mansion).

Mahmoud Guinéa : -Parce que le gnaouisme a pour origine le charisme de Sidna Boulal.

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Abdelkader Mana : - Ils se réunissaient chaque samedi, parce que la plupart d’entre eux travaillaient chez les négociants juifs. Or le samedi c’est jour de shabbat chez leurs employeurs juifs : c’est pour cette raison que les gnaoua organisaient leur rituel un samedi.

Mahmoud Guinéa : - A l’époque, ils ne travaillaient pas chez les juifs. Il y avait ceux d’entre eux qui étaient dockers. Il y avait ceux  qui travaillaient comme artisans marquetant ce bois de thuya et il y avait parmi eux des marins.

Malika Guinéa : - Gnaoua, les vrais, ne travaillent pas le samedi. La nuit du vendredi au samedi est celle des esprits sauvages. Les Sabtaouiyne (ceux du samedi) sont mauvais. As – tu  jamais assisté à une lila (nuit rituelle) des sabtaouiyne (ceux du samedi) ? Ils réclament des choses mauvaises. Ils peuvent par exemple te demander quelques choses des latrines, ils peuvent te demander du sang, ils peuvent te demander un cadavre. Tant qu’ils le peuvent les gnaouas qui prient pour le Prophète, comme tu sais,  évitent cette nuit du vendredi au samedi. Ils lui préfèrent les jours du lundi et du vendredi, et évitent le mercredi porte malheur.

Abdelkader Mana : - Ce point concernant les esprits juifs du samedi, nous amène à parler de la religion des esprits possesseurs :il y a ceux qui sont musulmans, ceux qui sont juifs et ceux qui sont chrétiens. Et on dit que les esprits possesseurs juifs sont les plus difficiles à déloger ?

Mahmoud Guinéa : - Ce sont des êtres semblables à toi. Vous avez votre religion et j’ai la mienne. Et nous n’avons crée Adam que par la foi.

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Mahmoud Guinéa :- C’est mon grand père qui avait amené ce bol de DAKAR : une ondée bénie des dieux…

 Malika :-- Au plus fort de la transe, quand on invoque l’esprit de la mer le poisson apparaît tout seul  au milieu du bol : sa baraka se manifeste de cette manière.

 Mahmoud Guinéa : - C’est la pure vérité, il n’y a pas de mensonge…

 Malika : -Ils remplissent le bol, présentent leur soumission aux esprits et se mettent à danser.  Ils se rendent compte à l’issue de leur transe que le bol contient du poisson.

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 Abdelkader Mana : - Est – ce  le BOURI , ce poisson des rochers ?... 

Mahmoud Guinéa : -Oui, il est tout petit ce poisson…

 Abdelkader Mana :- On raconte que chez les Africains, il existe une divinité dénommée BOURI ?

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Malika :-Pour ce qui est du sacrifice de Sidi Hammou, il est recommandé à celle qui fait des cauchemars,  qui voit en rêve des hommes ensanglantés, qui se voit au milieu d’un abattoir, qui rêve de beaucoup de viande, de sacrifices, qui saigne en ouvrant les yeux. Bref, que du sang. Ou bien elle tombe atteinte par les génies : si elle ne voit pas le sang en elle-même ; elle le voit en quelqu’un d’autre, en assistant à quelqu’un qu’on a poignardé.Quand j’ai intégré la mida (l’autel des mlouk) et que j’ai accepté de servir les esprits ; je me suis rendue en pèlerinage à Sidi Chamharouch après avoir organisé une première lila. En redescendant de la grotte, je suis tombée sur du fer que j’ai pris. En arrivant à la maison, je suis tombée en transe . Quand les esprits sont « montés »(talaâ’ou) , ils m’ont demandé de danser avec le fer  soit à l’invocation de Jilali , soit à celle du nuageux. C’est tout. Pour sanctifier le fer, j’ai organisé une lila avec sacrifice. Depuis lors, je ne peux plus danser à la devise de Jilali sans être munie de fer.

Mahmoud Guinéa : - BOURI ! Ô BOURI !

 Abdelkader Mana : - Es-ce que cet esprit existe ? Es-ce qu’on l’invoque ?

 Mahmoud Guinéa : - BOURI ! Ô BOURI ! Son invocation introduit les rouges.

 Malika : - Il est le portier des rouges. L’ouverture des esprits rocheux. Du sang. C’est le BOURI !

 Abdelkader Mana : -  Ne croyez – vous pas que ce sont les Gnaoua qui ont donné le nom de BOURI, à ce poisson couleur d’algues qu’on trouve à marrée basse aux interstices des récifs d’Essaouira ? C’est un nom d’origine africaine ?

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Mohamed Tabal

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 Mahmoud Guinéa : - C’est possible. BOURI, ô BOURI introduit les rouges. Et il y a BOURI, ô BOURI, des bleus.

 Malika : - Il y a deux genres : ceux qui ouvrent les rouges et ceux qui ouvrent les bleus.

 Abdelkader Mana : -Il y a aussi un melk, un esprit dénommé BOSSOU, une espèce de divinité des marins en Afrique. Il y a maâlem hamida BOSSOU, que Dieu ait son âme. Mais il y a aussi un melk chez les Gnaoua qui porte le nom de BOSSOU ?

 Malika : - BOSSOU, n’est pas un nom de famille

 Mahmoud Guinéa : - Hamida dansait à cette devise.

 Malika : -Il est possédé par ce melk. Il jouait au gunbri , que Dieu ait son âme, mais une fois arrivé à la devise de BOSSOU, il tombait en transe.

 Mahmoud Guinéa : -J’ai joué pour lui à Casablanca.

 Malika : - Maâlem BOSSOU, que Dieu ait son âme, avait toujours besoin auprès de lui d’un autre maâlem , pour le relever au gunbri . Il ne jouait pas quand il n’y avait pas de maâlem pour le relever, même si la moqadema exigeait cette devise. C’est ainsi qu’on le surnomma hamida BOSSOU, du nom de cette devise.

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 Abdelkader Mana : - Que raconte cette devise  BOSSOU ? Es-ce que vous pouvez nous la jouer  en se faisant accompagner du chant de nos amis ?Est – ce qu’on peut considérer Hamida Bossou comme faisant partie des esprits de la mer ou ceux des cieux. Il fait donc partie des bleus ?

 Mahmoud Guinéa : - Il fait partie des gens de mer Haoussa. Lui était un Haoussa.

 Abdelkader Mana : -Qui sont ces Haoussa ?

 Mahmoud Guinéa : -Les Haoussa, ce sont les fils de la forêt de l’Afrique. La région où la forêt est proche de la mer. Cette devise musicale accompagne la transe de la forêt Haoussa, d’où est originaire Bossou.

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 Abdelkader Mana : -Qui sont ces esprits possesseurs Haoussa ? Portent – ils la couleur bleue ?

 Mahmoud Guinéa : -Non. C’est une cohorte des esprits noirs.

 Abdelkader Mana : - Même s’ils évoquent lamer ?

 Mahmoud Guinéa : -C’est que l’océan d’Afrique évoque la transe de cette contrée.

 Abdelkader Mana : -Es-ce qu’on évoque ces esprits Haoussa avant ou après les esprits marins ?

Malika : - Avec les esprits marins.. On peut dire que Bossou est le plus fort des esprits marins. Ces derniers commencent avec la danse au bol rempli d’eau. Après quoi entre en scène Bossou qui danse avec un filet de pêche. Tous les autres esprits se dansent avec les draps à l’exception de Bossou qui se danse avec un filet de pêche, comme celles qu’on trouve au port. Mais c’est un filet orné de cauris.

 Mahmoud Guinéa : - A l’invocation de cette devise musicale, on danse en faisant semblant de nager avec un filet de pêche.

 Abdelkader Mana : - Quelle cohorte est invoquée après les esprits de la mer ?

 Mahmoud Guinéa : - Les célestes.

 Abdelkader Mana : - De quels esprits se composent ces célestes ?

 Mahmoud Guinéa : -  Ils expriment la transe céleste et tout ce que  contient le ciel d’anges, d’étoiles, de lune et autres sphères cosmiques.

Malika :-A la maison on vit avec nos esprits. Et tout le temps, il y a un amour entre la femme et son mari. Même le maâlem a ses esprits . Il n’y a pas de maâlem  sans transe ni esprit possesseur ; jamais. Il doit être possédé ou bien par les chorfa ou bien par les noirs ou bien par les moussaouiynes . Les esprits vivent entre la femme et son mari . Il y a la mida , ( l’autel des mlouk, les esprits possesseurs) avec lesquelles je travaille :  même quand je dors  les esprits sont tout le temps dans la mida avec leurs encenses leurs serviettes aux sept couleurs et tout. Mahmoud mon mari les respecte et leur fait des offrandes. Quand je prépare le tagine au charbon, il jette  les encenses sur le brasier pour que les esprits soient toujours contents. Nous n’attendons pas la lila pour brûler le benjoins : nous le brûlons tout le temps chez nous ; si je ne le fait pas moi-même, c’est Mahmoud qui s’en occupe.

 Mahmoud :-L’encens est présent en permanence à la maison, ainsi d’ailleurs que le lait et les dattes. La transe est omniprésente à la maison.

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Abdelkader Mana : -  Racontez – nous un peu la vie d’Aïcha Kabrane, votre mère que Dieu ait son âme : quel était son rôle ? Comment travaillait – elle avec les aiguilles ? Et comment prédisait – elle en état de transe ?  Ce sont les esprits qui la possèdent qui parlent à travers sa bouche ?

Mahmoud Guinéa : - Les gens viennent la consulter et Dieu accorde sa guérison.

 Abdelkader Mana ; - Que leur prescrit – elle quand ils viennent la consulter ? Es – ce qu’elle recoure aux cauris ? Raconte un peu avec détails.

 Mahmoud Guinéa : - Les parents des possédés les amènent chez elle, et elle commence d’abord par  la divination. C’est là qu’elle diagnostique le mal qui l’a frappé. Elle prédit grâce à un auvent d’osier  contenant  des coquillages et des cauris de la mer du Nil que mon grand père avait amené jadis avec lui. Elle les remue d’une main et avale deux à trois  aiguilles de l’autre. Ce n’est qu’après qu’elle peut te dire quel djinn t’a frappé et pourquoi et comment. Puis elle l’encense en lui prescrivant le sucré et le salé.

 Malika :- Elle appelle ces esprits pour qu’ils lui indiquent la raison pour laquelle ce monsieur ou cette dame sont venus la consulter. Elle ne préconise pas systématiquement la lila : il y a celui à qui on recommande le sucré et celui à qui on recommande le pèlerinage à Moulay Brahim, sidi Abdellah Ben Hsein ou Sidi Chamharouch : il doit effectuer ce pèlerinage avant de revenir lavoir pour quelle puisse deviner ce les esprits réclament. C’est à ce moment là que les esprits préconisent la lila. Elle doit alors jouer son rôle en se concertant avec son maâlem. Que demandent les esprits pour délivrer ce possédé ? Il sera enfin délivré ou bien il deviendra un serviteur des esprits. Car il y a le possédé à qui ils demandent qu’il soit leur serviteur en devenant moqadem.

 Mahmoud Guinéa :-  Malgré lui s’il le faut, même s’il refuse de devenir leur serviteur. Cela est déjà  arrivé à de nombreux possédés.

Malika :-  Que faire ? Elle fait alors appel au maâlem qui se trouve être son propre mari comme c’est mon cas. Elle lui dit : une telle ou un tel désire une lila préparée d’une telle ou telle manière. Et il vont faire le marché comme nous l’avons fait nous-même. Ils vont acheté tout ce dont ils ont besoin pour l’organisation de la lila. Au cours de cette dernière la cliente se livre alors à la danse de possession. Et la voyante médiumnique l’empêche de rentrer à la maison : elle doit rester en sa compagnie au moins une semaine, le temps qu’elle lui indique la manière dont elle doit servir. Et même quand elle devient moqadema, elle se doit d’organiser une lila , où Lalla Aïcha doit être présente. Ceci pour ce qui concerne l’initiation de celle destinée à devenir moqadma. Pour celle qui est possédée, elle reste  chez elle ,voilée , isolée, consommant le sucré durant une semaine, dix jour voir un mois jusqu’à ce qu’elle va mieux. Après quoi, au cours d’une nuit du mois lunaire de chaâbane , elle doit se rendre en pèlerinage à Lalla Aicha avec un sacrifice en guise d’offrande.

Mahmoud Guinéa :-Elle doit régulièrement se rendre en pèlerinage et continuellement présenter des offrandes et des sacrifices.

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Malika :-Il se peut qu’elle soit délivrée comme il se peut qu’elle soit à nouveau possédée. La mère de Guiné tombait en transe quand on invoquait le Jilali, les noirs et le soudanais. Chose qu’on ne trouve chez aucune moqadma que ce soit ici à Essaouira ou ailleurs. Ces devises lui étaient propres.

 Mahmoud Guinéa :- C’est mon grand père qui avait amené du Soudan ces devises bien faites. Aucun Gnaoui en dehors de notre famille ne joue ces devises musicales. Personne ne danse à leur invocation à part nous autres.

 Malika :- On ne les joue ni ne les danse ailleurs. Nous les respectons : la mère de Guinéa ne les jouait qu’au cours d’une lila qui lui était propre.

Mahmoud Guinéa :-On préserve ces devises pour que les autres Gnaoua ne les jouent ou ne les enregistrent.

Abdelkader Mana

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15:09 Écrit par elhajthami dans Arts, Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts, psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

07/12/2011

Mohamed Tabal et les voyantes médiumniques

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Pour symboliser les deux grandes fêtes du calendier lunaire, Mohamed Tabal a peint cette fiancée au tatouage berbère avec un croissant de lune à un oeil et un béllier en dessous pour signifier la fête du sacrifice, et un croissant de lune pour l'autre oeil pour symboliser la fête du mouloud où les voyantes médiumniques des gnaoua se rendent en pèlerinage à leurs lieux saints.

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 A l’occasion des fêtes du mouloud, toutes les moqadma des Gnaoua se doivent d’organiser une lila. Une nuit de transe. Elles effectuent  aussi le pèlerinage à leurs saints protecteurs. Leurs esprits et leurs djinns. A chacune ses esprits protecteurs. Il y a celles qui sont les protégées de Sidi Ali Ben Hamdouch et de Lalla Aïcha avec toutes ces variantes : Aïcha la Dghoughi, Aïcha la bleu ciel, Aïcha Kandicha. Elles effectuent le pèlerinage à tous ces lieux dés le premier jour de la de la nativité d Prophète. En ce moment, on trouve les pèlerins sur les routes du pèlerinage à Sidi Ali . Ceux qui sont les protégés de Moulay Brahim, y conduisent leurs sacrifice. Il s’agit des moqadmas qui doivent se rendre à Moulay Brahim. Et il y a celles qui se rendent à Tamsloht. Ce sont les trois lieux saints auxquels elles doivent se rendre en pèlerinage.Bien avant de rencontrer maâlem Mahmoud, Malika vivait à Marrakech où elle participait à des lila au mois lunaire de chaâbane et à la fête du mouloud.

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 «  La moqadma n’est pas en charge de son seul état,nous explique-t-elle : elle se rend en pèlerinage accompagnée de ses malades. C’est ce que j’accomplis moi-même, depuis 1985 , année où j’ai intégré cet ordre des voyantes médiumniques alors que je n’étais encore qu’une jeune fille. Je soigne les malades psychiques qu’ils soient hommes ou femmes. J’ai soigné des femmes qui étaient folles et des femmes stériles. Des filles qui n’avaient pas de chance dans leur travail. Des hommes qui ne connaissaient rien au mariage. Ils avaient peur rien qu’à entendre parler du mariage !"

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A la nativité du Prophète, elle prend son balluchon de tissus de couleurs, ses autres accessoires, benjoins et encens et prend la direction de Marrakech , pour y rencontrer ses possédés. Pour que ces derniers se portent bien, il faut qu’ils viennent accorder les offrandes promises aux divinités. Ces offrandes qu’ils présentent chaque année :

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« Il y a celui qui offre un sacrifice de bouc, il y a celui qui sacrifie un bélier, il y a celui qui sacrifie de la volaille. Il y a celui qui offre l’habillement : tunique noire, tunique blanche, tunique verte. Selon. Il y a celui qui a pour offrande le sucre, les bougies et tous les accessoires de la lila. Il m’est indispensable d’organiser une lila à Moulay Brahim. Mes malades m’y apportent leurs offrandes ainsi que les dons en argent que j’offre au marabout. Je  rends visite à Moulay Brahim accompagnée de mes malades. Il y a des personnes qui sont empêchées de se rendre à ce pèlerinage, parce que la femme travaille, parce qu’elle est mariée et n’a pas le temps ; elle accorde son offrande à la moqadma qui se charge de la porter au sanctuaire. Tel le sacrifice et autres dons en monnaie ou en semoule. En tant que moqadma je réuni toutes ces offrandes tout en demandant aux malades comment elles se sentent ? Comment elles se portent ? »

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Pour les filles novices qui viennent d’intégrer l’autel des esprits ; il leur est indispensable d’accompagner leur voyante médiumnique à Moulay Brahim.  Là haut elles louent leur logis et font leur fête. Elles y réunissent leurs dons qu’elles vont offrir au lieu saint. Tel les sacrifices. Elles effectuent une circumambulation autour de Moulay Brahim et accordent leurs dons aux descendants du saint :

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« Après le sacrifice, les descendants du saint nous accordent uniquement la tête du bouc ou du bélier. Le soir on prépare le couscous avec cette tête et on accorde ainsi la baraka aux esprits. On prépare aussi le repas sans sel à base d’encens et de viandes fade. On prépare un autre plat de couscous autour duquel se réunissent les hôtes de Dieu de passage en ces lieux saints/ Chacun a droit à sa part de baraka. »

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"Les descendants de Moulay Brahim nous accordent leur baraka , que nous distribuons à toutes les filles qui nous accompagnent ainsi qu’aux autres possédés et on garde même leur part à celles qui ne sont pas venues. Cela consiste en henné, en sel, en levure, et en encens. Après quoi nous descendons vers la plaine en direction de Moulay Abdellah Ben Hceine."

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- Tout à l’heure, tu m’avais parlé de cette femme qui accorde le bouc rouge….

- Cette femme est « frappée » par Sidi Hammou : il désire qu’elle soit voyante et moqadma. Mais ses enfants en ont honte. Chaque année ils accordent un sacrifice au mois lunaire de Chaâban et un autre au mouloud.  Au mois de Chaâbane on organise la lila  chez moi : elle tombe en transe et tout le reste. Et au mouloud je l’emmène avec moi à Moulay Brahim. Elle y tombe en transe et doit y sacrifier et y boire du sang de son bouc. Elle reste avec moi à Moulay Brahim jusqu’à ce qu’on descend ensemble vers Tamesloht.

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-Pourquoi doit-elle s’abreuver de sang ?

-Parce que l’esprit Sidi Hammou aime le sang. Comment a-t-elle été frappée pour la première fois ? Elle a était « atteinte » de nuit, en lavant du sang menstruel à l’égout. En y versant de l’eau chaude sans demander la permission des esprits des lieux. Sans verser du lait. Elle fut « frappée » au moment où elle pressait ses mollets au dessus de l’égout. Elle perd conscience sur le champ. Depuis lors et durant trois années, elle vomit du sang. Chaque fois qu’elle tombe en transe, elle ressent une envie irrésistible de se mordre la peau. Elle ne s’apaise qu’à la vue du sang jusqu’au jour où on me l’a amené : en faisant « monter » les esprits, ceux –ci lui dirent : c’est Sidi Hammouqui t’a frappé et voilà ce que tu dois faire pour te faire pardonner. Elle organisa une lila et s’est sentie mieux. Mais l’esprit demandait davantage : il voulait qu’elle soit sa servante. Elle n’était pas encore soumise à sa volonté. Nous continuons à négocier sa reddition. Chaque il lui faut danser en état de transe. C’est indispensable. Elle ne doit pas se contenter de faire ses offrandes et partir. Il lui est indispensable d’offrir ses faveurs et de danser en transe. Que ce soit au mois lunaire de Chaâban ou au mouloud. Et qu’elle achète le sacrifice, et qu’elle achète le benjoin rouge, et qu’elle achète les bougies rouges qu’elle allumera au cœur du sanctuaire.

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 "A Tamsloht on est rejointes par le maâlem. Selon dépend des moqadma. Nous autres les moqadma novices on va à Tamsloht uniquement avec nos accessoires. Au cours de nos « manipulations », les gens se mettent à tomber en transe. Une fois que nous avons terminé une lila, ils se mettent à nous réclamer une autre. Si bien qu’au lieu de rester une journée à Tamsloht, on y reste une semaine entière. Et au lieu d’y organiser une lila, on y organise trois à quatre, c’est selon."

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 - J’aimerai que tu nous entretiennes des symboles de la lila. Il y a le lait,le feu…

- Il y a le fer. Il y a le bol d’eau de mer.

- Explique nous la signification de ces symboles? Que signifient le lait, les dattes ?

-  Pour ce qui est des dattes et du lait, ils sont les symboles de la paix : c’est par eux qu’on accueille les esprits. On leur souhaite ainsi la bien venue. Il y a les esprits mécréants et il y a les esprits croyants. Cela signifie qu’on les accueille par la fête , pour qu’ils soient heureux. La fête dont il s’agit, c’est la lila. Une rencontre propice au dévoilement de vos cœurs. Ceci pour le lait et les dattes. Après vient le bol des esprits marins : il est le symbole de la pureté. Car le bol des esprits marins est le symbole de la mer : quand quelqu’un est malade et se sent serré dans sa tête, il se sent soulagé en voyant la mer. Comme tu sais la mer contient beaucoup de vertus. Dans le bol on met de la menthe : cela veux dire qu’il ne faut pas que tu fermes tes yeux, le monde est vaste et ne se limite pas seulement ici. Vois combien l’univers est vaste, et combien l’espérance est grander renaît. L’océan est symbole d’espoir et la mer ne nous vient que du bien.

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Double lecture : recto, fiancée de l'eau, verso, aigle des cîmes

En pratiquant le zoom-out, on s'aperçoit que nous avons affaire à "une femme - oiseau".Le tableau se prête en effet à une double lecture : oiseau d'un côté, femme de l'autre.Tabal se livre souvent à cette acrobatie, puisque certaines de ses oeuvres se prête même à une quadruple lecture : où qu'on tourne le tableau, on obtient une nouvelle lecture, un nouveau sens.Chaque détail du tableau est une oeuvre en soit.Une polyphonie de sens, une symphonie de formes et de couleurs : il y a le crocodille et il y a l'instrument à corde aux yaux grandes ouvertes qui constitue en même temps une amphore pleine des essences fortifiantes et vitales...Et je tais d'autres sensations encore...Plus on scrute le tableau, plus on en découvre de nouveaux détails et de nouvelle signications : le béllier du sacrifice, la calligraphie faite chose, l'oiseau étrange, les hommes vaquant à leur vie quotidienne en milieu rural....

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Mohamed Tabal

On offre du miel à Sidi Hammou, en lieu et place du sang qui est quelque chose d’impure : si le sang était bon on l’aurait pas rincé de nos vêtements. Au lieu du sang, on te met du miel à la bouche. Au cours de la devise des rouge, il y a celui qui n’a qu’une envie : étrangler , mordre, manger de la viande crue. On lui substitue le sang par le miel : le mal par le bien. Ce qui est quelque chose de sucré et bon.

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Vers la fin de la lila, on allume le feu pour éclairer les esprits sauvages. Quand on arrive à l’étape des esprits noires ; on opte pour le blanc, pour signifier que nous sommes encore sous la protection des esprits saints. Même si nous nous sommes possédés par les esprits noirs, nous expulsons ces mécréants par le feu et nous appelons les croyants en se couvrant des draps blancs. On distribue les bombons et les confiseries aux filles : cela veux dire que nous avons expulsé les esprits mécréants par le feu et nous accueillants les esprits croyant par les sucreries.

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Y-a-t-il un lien entre la lila et l’univers ? Entre la lila et les manifestations de vie et de mort ?

-  Le lien réside en ce que Dien le plus haut a crée le monde, il a crée en même temps le djinn et l’humain. Ils ont leur vie et nous avons la nôtre. Pou la femme chaque enfantement est un traumatisme , après lequel elle n’a plus envie d’accoucher durant deux à trois ans. Mais le jour où elle tombe enceinte, son espoir renaît en ce monde. Psychiquement, elle n’accepte pas d’avoir un mort-né. C’est là qu’intervient le rôle des djinns. Elle pleure de jour comme de nuit. Au point que sa foi en Dieu faiblit. Elle en vient à se demander si les djinns ne lui avaient pas dérobé son bébé?  S’il n’a pas été frappé par le mauvais œil ? Elle se sent possédée ; s’éveillant de nuit et dormant de jour. Et qui y-at-il dans la nuit ? La nuit est peuplée de djinns. Ce sont eux qui ont possédé cette dame. Elle commence à tomber en transe : elle crie. Elle ne trouve plus guère d’apaisements que dans la transe. Quand le maâlem joue les devises  de « hadya », d’il n’y a de seigneur qu’allah ou encore celle de « ô koubayli, ils ont emporté les miens »…Le maâlem chante à ce moment précis la souffrance qui la taraude : elle se met à crier quand lui chante, parce qu’il atteint ses pulsations vitales. Son éros en souffrance. C’est le lien qui unit la danseuse au musicien.

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 Combien de femmes espèrent se marier mais à l’heure où le destin allait sceller la liaison tout se désintègre : le mari s’enfuit, le mari meurt, il s’est peut-être marié avec sa propre amie. Comme si le diable l’a « enveloppé » (katelbass). Son plus ardent désir est de quitter au plus vite sa situation de recluse à l’intérieur du foyer. C’est en le quittant qu’elle trouve l’apaisement. En se réfugiant dans une enceinte sacré tel Sidi Rahal ou bien Bouya Omar où résident les fiancée folles. Les  sevrées d’amour. A Sidi Rahal elle trouve les Jilala, les maîtres de la transe : pour retrouver l’apaisement elle doit danser aux rythmes des Jilala.

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L’homme qui paraît n’accorder aucun intérêt aux femmes est souvent possédé par Aïcha. Quand sa maman l’accompagne en consultation chez nous en nous disant : je désire le marier. Nous découvrons que son « problème » s’appelle Aïcha. C’est elle qui le ligote en créant des nœuds dans sa vie : mtaqfah. Il te dit lui-même qu’il désire se marier , mais en réalité, il ne passera jamais à l’acte. Il faut qu’il accomplisse les rituels nécessaires pour qu’Aïcha le délivre. L’homme doit toujours se frotter à la femme. Il doit toujours s’égailler de la féminité, ne jamais rester seul. Quand il reste seul, Aïcha le ligote. C’est elle la castratrice de beaucoup d’hommes. Le rôle de Sidi Ali est de les en libérer. Si nous avions un peu de temps, on se serait rendu à Sidi Ali. Les problèmes qu’on y rencontre sont ceux des hommes plus que des femmes. Des hommes castrés par Aïcha. Ils lui sacrifient dans sa grotte pour qu’elle les libère pour qu’ils puissent se marier et retrouver leur virilité et leur masculinité. C’est le genre d’hommes qui n’aiment pas se réunir avec les autres hommes. Ils préfèrent le boudoir des femmes et les jupes de femmes, où ils chantent et rient. Cela veut dire qu’ils sont possédés par Aïcha.

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« Combien d’hommes j’ai reçu ici accompagné de sa mère, me disant qu’il veut se marier. Mais au moment où la porte est bien dressée sur sa poutre (expression qui veut dire : au moment où tout est prêt), il te dit : Non ! Il n’y a pas de fille qui me mérite ou que je mérite. En consultant l’autel des esprit je découvre qu’il est possédé par Aïcha !

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En négociant avec elle, nous lui disant :

- Est – ce lui l’objet de ton désire ?

Elle nous répond :

- Cet homme, je le veux ! Je désire me marier avec lui ! Il mourra s’il désire une autre femme !

Nous lui demandons :

- Que veux – tu au juste ?

Elle nous répond :

- une vache à chaque moussem.

C’est son exigence pour le libérer. A condition que la femme avec laquelle il se mariera ne doit jamais lui interdire de rendre hommage à Aïcha. D’un samedi, l’autre, il doit s’encenser. D’un moussem, l’autre, il doit se rendre en pèlerinage. Il doit sacrifier. Quand une lila a lieu ; il doit y assister et y offrir ce qui est nécessaire à son déroulement. Aïcha peut lui rendre visite de nuit. Elle gâtera ses désires d’elle. Ce sont là ses conditions. Maintenant il a donné naissance à trois enfants et se porte à merveille.

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 -Il a trouvé la femme…

- Oui, une femme qui l’a accepté.

- Parce qu’auparavant les femmes n’en voulaient pas ?

- Il y a celles qui hésitent

- Il y a ceux que les femmes ne désirent pas

- Oui.

- Cela veut dire qu’Aïcha l’empêche et à chaque fois qu’il s’approche d’une femme..

- Elle s’empresse de le fuir. Quand il l’aborde pour la première fois, elle lui dit : « Oui ». Mais le lendemain elle lui dit : Non ! Je ne veux pas de toi. C’est un nœud, un tqaf. C’est comme si Aïcha effarouchait les autres femmes de s’en approcher.

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-  Y-t-il des lila particulières que les gnaoua et leurs possédés doivent organiser à des moments favorables, telles les nuits de pleine lune ou de demi lune. Y-t-il un lien..

-  Avec les planètes ? Il y en a. Il y en a qui concernent Aïcha et il y en a qui concernent Malika. Ils ont une relation avec les planètes. Ils présentent leurs vœux en période de pleine lune. C’est du domaine de l’astrologie. Il y a celui dont le signe est de feu et il y a celui dont le signe astrologique est de nature terrienne. Le remède de chacune dépend de la nature de son signe astrologique. Voici ce qu’il faut faire et voilà le moment propice où il faut faire. Par exemple pour ce qui concerne l’homme, il doit s’abstenir de se raser les cheveux à certaines périodes particulières.

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« Il faut compter les lettres qui composent ton nom. Savoir avec précision quand tu es né. Ton esprit libre. Des procédés magiques qui nous permette de te « lire » entièrement. C’est de cette manière qu’on arrive à identifier le djinn qui te possède. S’agit-il d’un mâle ou d’une femelle ? Que veulent de toi, ces esprits possesseurs ? Que te réclament-ils ? Te veulent-ils du bien ou du mal ? Nous on se contente de dire : je suis possédée par Aïcha, je suis possédée par Mira. Mais qu’est ce que tu as réellement ? Est-ce que cet homme te veut du bien ? Êtes vous d’humeur compatibles ? » 

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Mohamed Tabal

Les Gnaoua, les vrais, ne travaillent pas le samedi. La nuit du vendredi au samedi est celle des esprits sauvages. Les Sabtaouiyne (ceux du samedi) sont mauvais. As – tu  jamais assisté à une lila (nuit rituelle) des sabtaouiyne (ceux du samedi) ? Ils réclament des choses mauvaises. Ils peuvent par exemple te demander quelques choses des latrines, ils peuvent te demander du sang, ils peuvent te demander un cadavre. Tant qu’ils le peuvent les gnaouas qui prient pour le Prophète, comme tu sais,  évitent cette nuit du vendredi au samedi. Ils lui préfèrent les jours du lundi et du vendredi, et évitent le mercredi porte malheur.

 

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- Ce point concernant les esprits juifs du samedi, nous amène à parler de la religion des esprits possesseurs :il y a ceux qui sont musulmans, ceux qui sont juifs et ceux qui sont chrétiens. Et on dit que les esprits possesseurs juifs sont les plus difficiles à déloger ?

- Ce sont des êtres semblables à toi. Vous avez votre religion et j’ai la mienne. Et nous n’avons crée Adam que par la foi. Nous répond Mahmoud Guinéa.

- On raconte qu’au nord d’Essaouira, existait un figuier hanté par un serpent auquel les femmes des gnaoua présentaient des offrandes. Elles organisaient une fête saisonnière sous cet arbre.

- C’est Sidi Abderrahman. Depuis l’âge de douze ans, je m’y rendais en pèlerinage avec tous les gnaoua d’Essaouira. Chaque année on y festoie durant sept jours à partir du septième jour de la fête du sacrifice. De leur vivant nous y  accompagnaient  les serviteurs, lakhdam, ainsi que la troupe des gnaoua . Il y avait un lieu où on dansait en transe, où on organisaient cette fête annuelle,  immolant sous cet arbre hanté par un grand serpent qu’on appelait Sid –El- Hussein. On l’encensait et on tombait en transe. Lors du rituel cette créature sortait mais sans faire de mal à personne. J’ai accompagné les Gnaoua  près d’une vingtaine d’années à ce sanctuaire de Sidi Abderrahman Bou Chaddada.

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 « Parler de ce figuier, poursuit Mahmoud Guinéa, nous amène tout naturellement à évoquer le gunbri . Ton père, que Dieu ait son âme, m’a appris deux choses à ce propos ; que les Gnaoua ont deux instruments à cordes :  aouicha – qu’il fabriquait devant moi- et le gunbri. Et que celui qui n’a pas pratiqué aouicha, ne devait pas toucher au gunbri. Et votre père, que Dieu ait son âme, d’ajouter que les premiers Gnaoua confectionnait leur gunbra à base d’une grande courge évidée et desséchée. Mais quand ils ont découvert que le figuier donnait de meilleures résonances ; ils ont commencé dés lors à en fabriquer leur gunbri. »

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Dans le temps les premiers gnaoua étaient venus avec un gunbri  à base de courge comme tu as dit, confectionné d’une manière africaine. Après quoi ils ont adopté le figuier pour sa belle résonance, sauf que sont instrument est habité, hanté, maskoun. Son maniement nécessite purification. On ne doit pas y toucher en état d’ivresse. Car le figuier s’est sanctifié par les nombreuses années qu’il est resté sur cette terre avant d’être coupé pour en faire le gunbri. Donc, elle est déjà habitée, hantée, maskouna. Le maâlem lui accorde toute son attention en l’encensant. Le gunbri vieillit aussi : passé quarante ans, il se met à résonner tout seul quand tu le suspend au mur. Il parle tout seul la nuit.

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- Tu sens comme si quelqu’un raclait ses cordes, me dit Guinéa. Le tambour, bouge lui aussi. Tu entends sa résonance.Pendant longtemps les instruments des maîtres disparus sont restés dans la zaouïa comme des antiquités sacrées auxquelles personne n’osait toucher. On se contenter de les visiter pour en recueillir la baraka.

-Lorsque j’écrivais mon livre sur les Gnaoua,lui dis-je, l’un des  maâlem , Paka que Dieu le guérisse ou Guiroug, m’a raconté qu’enfants ils se rendaient à la zaouia de Sidna Boulal, où ils rejoignaient Mahmoud Guinéa et ils allaient ensuite confectionner aouicha, la petite guitare à table d’harmonie en zinc qui leur servait à s’exercer avant de jouer au gunbri.

- On était alors en période d’apprentissage : dés notre prime enfance, on était des amateurs de Gnaoua. On confectionnait notre instrument en se servant du zinc en guise de table d’harmonie et du nylon en guise de cordes. Et on se servait des boîtes de conserve de sardines pour confectionner les crotales. Et on allait s’amuser ainsi au village de Diabet. Une fois, alors que nous étions encore tous jeunes, la tombée du jour nous a surpris dans la forêt de Diabet où nous nous sommes mis à scander Charka Bellaydou, une devise des gens de la forêt. Très sérieusement, dés que nous avons entamé ce chant, nous apparu alors, surgissant de nulle part, une sorte de Kinko A l’apparition de cette énorme créature, nous prîmes la poudre des escampettes. Fil blanc, fil sombre était la lumière dans les jardins de Diabet, près de l’oued.

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- Au début tu accompagnais ton père , que Dieu ait son âme, en simple qraqbi (joueur de crotales) . Ton père jouait du gunbri et tu as commencé tout jeune en tant que qraqbi et en tant que jeddab (danseur rituel). Tu jouait Kouyou, la partie ludique du rituel. Un jour ils t’ont préparé une gasaâ(plat de couscous) pour te reconnaître en tant que maître de la nuit et du gunbri.

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- A la zaouïa, ils m’avaient préparé une grande gasaâ, de couscous, semblable à celle des Regraga décorée de bonbons, d’amandes et de noix. Les Gnaoua étaient encore tous vivants. Ils m’ont béni et j’ai commencé à jouer. Mon jeu leur a plu. C’est de cette manière qu’ils m’avaient reconnu en tant que maâlem. Ce n’est pas le premier venu qu’on recrutait ainsi. N’importe quel profane, apprenant sur cassette, se prétend maintenant maâlem. Pour le devenir vraiment, il faut l’avoir mériter à force de peines. Maâlem , cela veut dire beaucoup de choses. Il faut être vraiment initié à tout ce qui touche aux Gnaoua : apprendre à danser Kouyou,à jouer du tambour, à chanter les Oulad Bambara , a bien exécuter les claquettes de la noukcha . Il faut savoir tout jouer avant de toucher au gunbri, qu’on doit recevoir progressivement de son maître. Maintenant, le tout venant porte le gunbri et le tout venant veut devenir maâlem.

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D’Afrique ils avaient amené avec eux la danse su sabre et des aiguilles. Ils dansaient également  avec un bol rempli d’eau de mer contenant un petit poisson des rochers couleur d’algues dénommé BOURI. Cette danse s’effectuait quand on invoque la cohorte des mossaouiyne, les esprits de la mer…

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Abdelkader Mana

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14:02 Écrit par elhajthami dans Arts, Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts, psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

26/05/2011

Lapassade au 1er festival des Gnaoua

Ce texte est un inédit de Georges Lapassade que vient de me transmettre notre ami commun Jean françois Robinet. Il s'agit de la communication que Georges avait adressée au colloque du premier festival des Gnaoua depuis Paris, puisqu'il a quitté définitivement Essaouira en 1996 pour raison de santé. Mais il en a gardé la nostalgie jusqu'à sa mort au mois de juillet 2008 (voir dans ce blog les autres textes consacrés à notre regretté maître).On trouvera à la fin de ce texte "une dédicace à Georges Lapassade": un ensemble de liens internet vers des sites qui lui rendent hommage

Le médiumnisme chez les Gnaoua

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Par Georges Lapassade

A l’occasion du colloque d’Essaouira (5 juin 1998) je propose,dans les lignes qui suivent, quelques réflexions sur le médiumnisme chez les Gnaoua marocains. J’entends ici par médiumnisme, comme le veut le sens courant de ce terme, la pratique essentiellement divinatoire consistant à incarner, en état de transe, une entité surnaturelle dans une situation, souvent, de consultation, ou de prophétie, etc. (je ne prends pas en compte ici le fait que le même terme a un sens un peu différent dans le spiritisme occidental) .

Mon travail sur le médiumnisme chez les Gnaoua, et plus précisément ceux d’Essaouira, a été particulièrement tardif. Dans les premiers temps en effet, à partir de 1969, je cherchais plutôt à décrire le rite des Gnaoua dans sa liturgie avec la partie spectaculaire des Kouyou et des Ouled Bambara suivie de la partie impliquant les transes dites de «possession » avec invocation et incarnation des saints et des mlouk C’est seulement plus tard que j’ai commencé à m’intéresser à l’autre dimension de ce culte, a savoir la présence d’un médium (ou plusieurs) dans le rite de possession et aussi, et surtout dans la séance de divination (au cours de la consultation au domicile du médium, surtout).

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J’ai d’abord interrogé longuement sur ce point, le maâlem Boubeker d’Essaouira. Et de ces entretiens, effectués avec l’aide de B.Lakhdar et d’A. Maghnia au musée d’Essaouira pendant l’été 1985,j’ai rendu compte dans un article intitulé « La voix de son melk»,article publié par la revue Quel corps ? en 1986. Cet article constitue l’une des bases de ce qui suit.

Puis, au cours de l’été 1996, toujours à Essaouira, j’ai pu finalement rencontrer Zeida, la fille de Boubeker, qui a succédé à sa mère Aicha dans le métier de voyante médiumnique, ainsi qu’une autre voyante, Jmia, qui entre elle aussi en transe médiumnique au cours de ses consultations.

Enfin, j’ai suivi avec profit le travail d’A. Chlyeh (en cours de publication)sur les Gnaoua d’Essaouira (et de Marrakech) et leurs pratiques thérapeutiques comme on pourra le constater par les quelques emprunts que je fais ici à ce travail.

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 1 La talaâ

On appelle talaâ, au Maroc, une prêtresse qui fait partie de la confrérie des Gnaoua de Sidna Bilal ; elle joue un rôle essentiel dans l’organisation et l’animation de la derdeba.Elle est spécialisée dans une forme de voyance fondée sur la transe de possession médiumnique : les mlouk – ses mlouk– parlent par sa bouche. Sa capacité médiumnique est souvent héréditaire mais dans certains cas, cette vocation est apparue au cours d’une maladie initiatique.Pendant cette crise, elle était possédée par les mlouk qui la tourmentaient : ils exigeaient d’elle qu’elle obéisse à leur appel.La thérapie, pour elle, a pris la forme d’un adorcisme: elle a fait alliance avec les esprits possesseurs, les mlouk, qui l’aident maintenant dans son activité. Elle les fait monter (tlaâ) en elle, ils sont àsa disposition.Au cours de nos entretiens, déjà évoqués ci-dessus, de l’été 1985,le maâlem Boubeker présentait la talaâ comme suit (je résume l’article La voix de son melk) :

– elle est liée aux Gnaoua, elle leur adresse les gens qui la consultent et particulièrement les « possédés ». Les gnaoua font de même, ils travaillent ensemble ;– elle organise régulièrement, chaque année, son moussem (fête rituelle) avec les Gnaoua. Au cours de ce moussem, au deuxième jour, elle dispose sur l’autel de son melk (mida) ou les autels de ses mlouk sept bols contenant du miel, de la farine mélangée à de l’huile... Elle en offre aux assistants qui lui donnent quelque chose en retour, pour le prix de la substance magique appelée ici barouk,terme qui implique la baraka ;– elle danse ou se trouve en état de transe pendant le rituel des Gnaoua ;– pour entrer dans l’état de transe médiumnique, pour faire monter(tlaâ) les mlouk(en elle), elle recouvre sa tête d’un voile et procède,sous le voile, à des fumigations avec les encens qu’utilisentégalement les gnaoua au cours de leur rituel. Ensuite elle rote, et le melk monte. Il va alors s’exprimer par sa bouche. La voix de la talaâ change et devient la voix de son melk;– elle est « entrée » au sens de « pénétrée », possédée par son melk. Les Grecs disaient entheos (« endieué »), dans un contexte similaire, pour désigner celui qui est « entré par le dieu » (theos),« enthousiaste ».Je vais maintenant reprendre et développer ces points en les complétant par quelques observations plus récentes.

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1.1 La talaâ est une « gnaouia »

La talaâ fait partie de la confrérie marocaine des Gnaoua ; elle travaille avec eux et elle a la même conception du rapport au monde des « esprits » et de la structure de ce monde. Mais on constate des variations dans la manière dont les talaâte d’Essaouira conçoivent et vivent leurs relations avec ces entités surnaturelles .Fatima, voyante d’Essaouira affiliée aux Gnaoua, établit une nettedistinction entre les esprits musulmans – « les gens de Dieu »(rijal Allah) – d’une part, et d’autre part les « esprits africains », –les « noirs ». Elle a chez elle deux petits sanctuaires : dans celui qui est habité par les « gens de Dieu », la couleur verte domine (avec une place pour le rouge de Baba Hammou), tandis que le noir caractérise le sanctuaire des esprits africains. Chez Fatima, les « verts » et les« noirs » ne s’entendent pas bien : les premiers lui interdisent de travailler avec les autres, qui la tourmentent : Sidi Mimoun le noir la brûle, dit-elle, avec ses bougies.Pour Zeida, par contre, tous les esprits de la derdeba sont des gens de Dieu.

1.2 Vocation

Zeida est la fille du maâlem Boubeker. Elle appartient à une famille de Noirs venus du sud du Sahara, elle a hérité de sa mère le métier de voyante-thérapeute et tout le matériel qui va avec, notamment les autels des mlouk. Fatima, par contre, n’est pas l’héritière d’une tradition africaine. Elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui à partir d’un ensemble de troubles dans lesquels un ethnologue reconnaîtra un « recrutement par la maladie ». La même distinction quant au recrutement se retrouve d’ ailleurs chez les chamans dont certains le deviennent à partir d’une maladie initiatique, alors que d’autres ont hérité de la charge (Eliade, 1951).

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1.3 Obligations rituelles

La talaâ doit accomplir régulièrement un certain nombre de rituels et si elle ne le fait pas, elle risque, dit-on, de perdre ses capacités professionnelles et de retomber dans la maladie si sa carrière à commencé par « maladie ». Pendant le mois de chaâbane qui précède celui du ramadan, elle organise, généralement à son domicile, une fête religieuse étalée sur trois jours et trois nuits au cours desquelles les Gnaoua qui travaillent avec elle animent le rite de possession de la confrérie.Elle participe elle-même à ce rite de possession organisé pour elle en même temps que pour sa clientèle et d’autres invités. Ce moussem annuel est l’occasion pour elle d’exhiber publiquement les signes de sa réussite professionnelle.

A l’occasion des fêtes du mouloud qui commémorent la naissance du Prophète elle se rend en pèlerinage en deux lieux complémentaires: celui où se trouve le sanctuaire de Moulay Ibrahim, dans la montagne au sud de Marrakech, et ensuite à Tamesloht où elle organise des derdeba et procède à des sacrifices. Elle est accompagnée en ces lieux de « ses » Gnaoua. Cette situationmet ainsi en évidence le fait que l’activité religieuse des gnaoua est essentiellement gérée par les femmes, même si le maître musicien – le maâlem – assume certaines fonctions liturgiques et thérapeutiques complémentaires de celles de la talaâ : dans la tradition religieuse des gnaoua, ce sont les talaâte qui instituent les situations dans lesquelles les musiciens vont intervenir.

1.4 Les autels

Les autels de la talaâ prennent avant tout la forme d’une table basse, la mida, qui supporte les « nourritures » de son melk . Toutefois, Viviana Pâques (1991) classe dans la catégorie des autels non seulement cette table mais encore le plateau de fumigation (tbiga)et celui de la divination (tbag).Mais là encore les usages particuliers sont différents.

Zeida ne laisse pas voir sa mida. Elle la dissimule au regard des visiteurs par un voile dont elle recouvre également sa tête au moment de la consultation ; je ne peux donc décrire le contenu de cet autel.Sa mère, Aicha Cabral, était médium et fille elle-même d’un médium

qui avait rapporté du Soudan, dit-on, un bol magique. Il avait perdu sa vertu le jour où une autre épouse du grand-père maternel l’avait laissé voir. Ce récit de Zeida fait allusion à l’obligation de garder cachée la mida . Elle n’est visible qu’une fois l’an lorsque, pendant le moussem de chaâbane, elle est présente sur le lieu du sacrifice.Mais Fatima ne cache pas sa mida. J’ai pu la voir dans son alcôve et j’aurais pu la toucher : c’est une très petite table basse qui supporte un plateau de métal contenant des oeufs, des coquillages,des foulards, des bougies et autres accessoires. Lorsque j’ai interrogé Fatima sur les nourritures des esprits qui devraient se trouver en principe sur sa mida, elle m’a présenté un petit sac de plastique noir contenant des amandes, me disant :

– ce sont les amandes pour Lalla Malika, je les mets sur la mida quand c’est elle que je fais monter.

Il y avait aussi dans l’alcôve verte de Fatima un étendard de la même couleur, celui des saints qu’elle incarne lors de sa consultation.J’y ai vu également une quantité ressionnante de petits cadenas dont certains étaient ouverts, d’autres fermés. Chacun, m’a dit Fatima, appartient à un client. Le cadenas reste ouvert lorsque le client est encore en thérapie, il est fermé lorsque cette thérapie est terminée.Si Fatima a finalement accepté de m’accueillir dans son sanctuaire la négociation n’a pas été facile.Lorsque je suis allé à sa consultation, elle a d’abord refusé de merecevoir ; puis elle a accepté de répondre seulement à mes questions.Au cours de notre entretien elle a constaté que j’avais quelques connaissances sur le système gnaoui dans son ensemble, que je connaissais bien les gnaoua d’Essaouira. Elle en a conclu que j’avais effectué une sorte d’initiation. Elle est alors retournée soudain dans sa transe mais sans inhalation cette fois et son melk m’a parlé. Je n’ai pas eu cette chance avec une autre voyante, la dénommée ?Habiba, que je connaissais pourtant depuis déjà longtemps.Elle avait dans un premier temps accepté de répondre à mes questions, mais ne m’avait pas reçu en consultation, me disant qu’elle ne travaillait plus avec sa mida parce que c’était trop fatiguant pour elle vu son âge, que d’ailleurs elle n’en avait plus besoin pour l’exercice de son métier. Puis je suis retourné chez elle avec des étudiants qui souhaitaient pousser plus loin la recherche auprès d’elle. Elle a fini par se lasser et par me dire, sans doute pour se débarrasser de moi finitivement, qu’elle avait « rendu la mida à Moulay ».

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Elle rentrait du pèlerinage auprès de ce saint, nous étions dans le temps du mouloud, et ce n’était peut être pas une dérobade.Je n’ai pas eu le temps de procéder à l’inventaire complet des objets réunis dans la « chambre des esprits » (beit lajouad) de Fatima.Mais on peut trouver dans le mémoire de doctorat d’ Abdelhafid Chlyeh (1994) – qui a, lui aussi, mené une enquête chez les voyantes d’Essaouira – une présentation des habits et accessoires de la liturgie d’une autre voyante d’Essaouira dénommée Zahra.On y trouve notamment des tuniques (qachaba) et des voiles (foutah)en tissu de diverses couleurs qu’on utilise lorsque, pendant les danses de possession, les adeptes sont possédés par tel ou tel melk selon l’ordre liturgique. On y trouve également « trois bâtons (aâkakez)enveloppés de tissus et décorés de cauris : un rouge, un noiret le dernier de plusieurs couleurs, sans cauris, avec une besace de plusieurs couleurs également ». Le dernier des trois bâtons est probablement celui qui fait office de canne pour la danse de Bouderbala.

1.5 La transe médiumnique

La transe médiumnique de Zeida est probablement la plus « classique » dans le système africain des Gnaoua : lorsqu’elle sort de sa transe au cours de laquelle elle a incarné un melk qui parlait par sa bouche elle demande au consultant de lui dire ce qu’a dit ce melk:

elle est censée, en effet, ne rien savoir, ne se souvenir de rien. Fatima, par contre, « s’écoute parler », si l’on peut dire, lorsque son melkparle, de sorte qu’après la transe elle commentera ses dires sans avoir besoin que quelqu’un lui rapporte ce que ce melk a dit.

Ce que j’ai vu chez elle me paraît très proche de ce que Vincent Crapanzano (1973) a pu observer à Meknès chez les talaâte associées à la confrérie des Hamadcha à propos desquelles il écrit :

« Quand elle pratique la divination médiumnique, la talaâ brûle un encens et inhale la fumée. Elle entre alors dans un état de dissociation partielle et commence par bredouiller des mots et des phrases souvent incompréhensibles entremêlés de noms de jinns et de saints.Puis elle s’arrête et elle dit à son patient qu’il est possédé par tel ou tel jinn et qu’il doit satisfaire à ses exigences : visiter tel sanctuaire, brûler tel encens, organiser une cérémonie des Gnaoua, des Jilala ou des Hamadcha... »

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Reprenant à ce propos les catégories d’OEsterreich (1921), on pourrait dire que la transe médiumnique de Zeida est de type somnambulique,tandis que celle de Fatima serait à classer dans la catégorie de la possession lucide en admettant, bien sûr, qu’il s’agit de transes.J’ai raconté à un maâlem des Gnaoua qu’au cours d’une transe, Fatima avait quitté son alcôve de consultation pour venir rouler pendant de longues minutes à travers la cour intérieure de sa maison.On m’a ensuite expliqué que la voyante s’était trouvé en manque,ce qui expliquait ce comportement inattendu. Mais le maâlem, à semble-t-il vu la chose autrement :

- Il faut, m’a-t-il dit, lui laisser faire son théâtre !

Admettons cependant que j’aie assisté ce jour-là à une vraie transe dans laquelle on pouvait distinguer trois temps forts :

– dans un premier temps, qui a duré cinq minutes environ, Fatima est entrée dans sa transe de manière bruyante, parfois avec des éclats de rire très sonores et qui paraissent interminables, entrecoupés de hoquets et autres bruits divers ; – puis elle a commencé à parler, ou plutôt le melk a parlé pendant dix minutes environ avec une voix stridente (alors que lorsqu’elle retrouve son état normal la voix de Fatima est celle d’une femme

d’allure fragile et réservée) ;– elle a retrouvé enfin sa voix normale pour commenter, et prescrire(et, dans la situation particulière d’enquête ethnographique,pour répondre à nos questions).

1.6 Les techniques du diagnostic

Qui consulte les voyantes ?

Dans les cultures de la possession ritualisée, on ne s’occupe pas seulement des possédés qu’un être surnaturel tourmente. A côté de ceux qui souffrent de troubles attribués à l’intervention maligne d’êtres surnaturels qu’il va falloir identifier, on rencontre dans les

cabinets des voyantes d’Essaouira des gens qui viennent pour des problèmes très différents : une femme consulte parce qu’elle est stérile, une autre parce que son mari est infidèle, une autre encore pour les problèmes scolaires de son fils... A chaque fois, les diagnostics et les interventions qui suivront seront spécifiques tout en relevant d’un

ensemble de procédures et de recettes plus ou moins stéréotypées.Crapanzano rapporte que les talaâte de Meknès utilisent, pour identifier les jinns responsables de certains troubles, soit des techniques mécaniques relevant de la divination par manipulation d’objets,soit des techniques médiumniques. S’agissant des troubles attribués à une atteinte par une entité surnaturelle, une question préalable,selon Fatima, va se poser : soit, dit-elle, la personne possédée désire le rester et on va mettre en route une initiation à la possession ritualisée, soit elle ne le souhaite pas et l’intervention sera différente.

Mais quoiqu’il en soit, la première démarche va consister à identifier l’agent surnaturel du trouble.Il ne m’a pas été possible d’établir si certaines des techniques de diagnostic que j’ai pu recenser au cours des entretiens étaient spécifiques à une tradition médiumnique ou si elles étaient empruntées, plus ou moins, à d’autres traditions.

Reste spécifique aux médiums le fait d’incarner des entités qui, parlant par leur bouche, se prononcent, le plus souvent, sur une situation présente, comme le note par ailleurs Erika Bourguignon (1968 b), plutôt qu’elles ne prédisent l’avenir.C’est ainsi que j’ai entendu le melk de Fatima annoncer à une cliente que son mari, travailleur immigré en France, avait une maîtresse dans l’immigration, laquelle avait usé de la sorcellerie pour s’attacher le mari ; il convenait de défaire le mal qui avait été fait et Fatima, bien sûr, proposait ses services à cet effet.A propos de Zahra, Chlyeh nous apprend qu’au cours de sa transe médiumnique, « elle entre en relation avec le melk ce qui lui permet de proposer à son patient un rituel à visée thérapeutique. Mais la même aura recours aussi à d’autres “tests ” pour établir son diagnostic: les fumigations effectuées selon l’ordre liturgique d’une lila. Zahra recouvre en même temps la tête de son patient avec un foulardde la couleur correspondant au melk invoqué... »

1.7 Procédures thérapeutiques

Chlyeh nous présente comme suit les pratiques thérapeutiques de Zahra :

a) « elle allonge le patient par terre et le frappe avec un foulard de couleur (foutah) tout en projetant son souffle et sa salive sur la partie atteinte de son corps et en procédant à des fumigations ininterrompues ». C’est la technique dite du tastawate, – ce terme désignant l’action de frapper : « si l’atteinte est attribuée à Sidi Mimoun le noir on utilisera un foulard noir et du benjoin de la même couleur. Si l’atteinte est attribuée à Sidi Hammou on utilisera un foulard rouge et on procédera à des fumigations de benjoin rouge »,etc.

b) Zahra procède aussi, si besoin est, à des onctions à base d’huile, la même que celle utilisée dans le rite de possession des gnaoua lorsqu’ils invoquent Lalla Hawa.

c) Elle peut faire cuire avec une recette spécifique (sans sel, et avec du sucre) une poule ou un coq (hlou) : « la volaille est immolée par le moqadem de la confrérie qui procède à un marquage avec le couteau enduit de sang sur le corps du patient. Les plumes et les

entrailles seront rassemblées dans un tissu auquel Zahra ajoutera une bougie et du benjoin avant de le nouer. Ce paquetage sera jeté à la mer face au rocher de Sidi Bouricha par le sacrificateur. Le jus de cuisson servira à des onctions corporelles du malade, il consommera également la chair du poulet en évitant de rogner les os. Les restes du jus et les os seront rassemblés dans un tissu auquel on ajoutera une bougie et du benjoin et ce second paquet sera lui aussi jeté à la mer, face à Sidi Bouricha, par Zahra qui, à ce moment-là, invoquera les “esprits ” pour qu’ils délivrent son patient ».

d) Zahra peut préconiser « le port autour du cou d’un tissu avec du benjoin et autres ingrédients, l’usage d’un fil de laine déposé dans la tiba avant d’être porté par la future mère, ou d’un fil noirpréparé pour être porté autour du cou s’il s’agit d’une atteinte par

Sidi Mimoun qui se traduit par des étouffements ».

Si, par contre, l’atteinte « est due aux mlouk blancs tel Moulay Abdelkader, on utilisera de l’eau de fleur d’oranger pour des applications sur le corps et du bois d’aloès pour les fumigations. Et on appliquera la technique du tastawate avec un foulard blanc », etc.

2 Histoire d’un médium

Jusqu’ici, la source essentielle de mes informations sur les Gnaoua se trouvait, on l’a vu, à Essaouira. Je vais maintenant emprunter, pour donner à voir un des possibles processus par lequel on peut devenir médium, un compte-rendu ethnographique dont le contexte se

situe dans le nord du Maroc. Dans un ouvrage publié en langue alle-mande, non traduit, et consacré au culte de possession des Gnaoua marocains, Frank-Maurice Welte rapporte l’histoire d’un jeune Marocain,Si Mohammed, né en 1941, qui tient un petit restaurant à Azrou, dans le moyen Atlas, non loin de Meknès. Mohammed a perdu son père il y longtemps et vit avec sa mère.A 18 ans, il commence à participer à des séances de transes religieuses(hadras) dans un contexte de soufisme populaire.Il a 28 ans le jour où le toit de sa maison s’effondre, et un coffre contenant des vêtements rituels, des cauris et un chapelet tombent en même temps : ces instruments et accessoires font partie des outils des voyantes de la confrérie des Gnaoua.Intrigué, Si Mohammed va consulter un fqih, personnage de formation eligieuse, spécialisé dans l’exorcisme et la confection de talismans.Ce fqih conseille à Si Mohammed de consulter une voyante affiliée aux Gnaoua, – une talaâ: c’est visiblement la personne qualifiée pour tenter d’interpréter la situation.A l’issue de la consultation, sur les recommandations de la voyante,Si Mohammed organise à son domicile une nuit (lila) de transes de possession. Cette première nuit se passe sans événement notable. Le lendemain, il se repose et dans son sommeil, il fait un rêve : LallaMalika était dans son lit et elle lui parlait... Il retourne alors voir le fqih. Ce dernier lui demande s’il a déjà dansé sur le rythme et la devise de Lalla Malika :

- Mais non ! répond Si Mohammed, c’est un rythme pour les femmes, pas pour les hommes !

Le fqih lui dit alors que le message de Lalla Malika était clair : elle l’a « élu » pour la servir : il sera son médium et il devra désormais, au cours des cérémonies publiques des Gnaoua, incarner Lalla Malika. Si Mohammed organise une nouvelle lila au cours de laquelle va être publiquement possédé par Lalla Malika ; alors, comme l’exige le

« théâtre » de la possession, il va revêtir sa tunique, se maquiller, car l’un des traits de caractère de Malika est la coquetterie. Il va se comporter en public comme une jolie femme et il va « parler », ou plutôt, Lalla Malika va parler par sa bouche, s’adressant de préférence aux femmes de l’assistance pour leur dire quelques mots sur leurs problèmes quotidiens.Si Mohammed devient alors rapidement un voyant-thérapeute très sollicité, reconnu de tous et respecté. Il pratique la divination médiumnique et la thérapie soit au cours de la lilades Gnaoua, soit à l’occasion de consultations à domicile. Sa clientèle est composée de femmes dont il peut d’autant mieux comprendre les problèmes, toujours selon Welte, qu’il vit seul avec sa mère et que, par elle, il aaccès aux problèmes habituels des femmes, à leur univers spécifique, sans doute aussi à leurs secrets. L’un des informateurs de Welte lui révèle que Si Mohammed, avant de découvrir sa vocation – son « élection » par Lalla Malika,dont il est maintenant le médium – avait coutume de se travestir chez lui secrètement et de se maquiller. La dénégation, par Si Mohammed, de son homosexualité et de son transvestisme, jointe à sa fréquentation, dès l’adolescence, des cultes de transe ont été, selon Welte, les prémisses de son entrée dans le système de la possessionliturgique et médiumnique des Gnaoua. Mais il a fallu un choc, le toit qui s’est effondré, associé à d’autres circonstances biographiques favorables, pour qu’il se décide à consulter un fqih Ce dernier, on l’a vu, a eu l’intelligence de comprendre le « problème» de Si Mohammed et de le traduire dans un système de croyances, celui des Gnaoua.Ce système gnaoui, avec son panthéon, a fonctionné comme un dispositif de légitimation sociale en offrant à Si Mohammed la possibilité de transformer un désir réprouvé en un comportement accepté: il est maintenant réconcilié avec lui-même et avec son entourage.

Il peut désormais apparaître publiquement dans des vêtements,de femme – la tenue exigée par Lalla Malika –, se maquiller, etc. Il peut désormais le faire parce qu’un culte théâtral de possession, et lui seul, le lui permet.Il est un peu comme le berdache – l’homme-femme, travesti –des Amérindiens, désigné par le terme nadle chez les Navajos où« le nadle sait tout puisqu’il est à la fois homme et femme. C’est donc un signe de bon augure d’en avoir un chez soi... » (Desy, 1977).

3 Le travail de la thérapie

Revenons à Essaouira, où le maâlem Boubeker, que j’interrogeais sur la dimension thérapeutique de la derdeba , m’en donna une version qui m’a paru se situer plutôt du côté de l’exorcisme :

– le melk qui commande le jinn du possédé, me disait-il, doit en principe le faire sortir ; mais en cas de défaillance de sa part, on va appeler à l’aide Abdelkader Jilali qui est un Saint, et non un melk ; Abdelkader va alors intervenir auprès du melk concerné pour exiger de lui qu’il fasse son travail. Naturellement, cette intervention surnaturelle sollicitée se paye en hommages et en nature : il faut organiser une fête – une derdeba – pour plaire aux mlouk si l’on veut obtenir leurs faveurs.On le voit : on est bien ici dans une perspective plus proche de l’exorcisme que de la réconciliation avec l’esprit possesseur, ce qui est cohérent dans la mesure où les jnoun sont vus comme des êtres négatifs dont la présence n’est pas négociable.Ce point de vue, toutefois, va à l’encontre de la théorie adorciste pour laquelle le système thérapeutique des gnaoua est fondé sur une alliance finale avec un melk qui constitue un retournement complet de la situation initiale de souffrance.Cette apparente contradiction est sans doute le résultat du mélange de deux cultures de la possession – la culture africaine et la culture maghrébine – dans le système des Gnaoua. Et la contradiction que semble produire ce mixage pourrait être surmontée en prenant en compte une réponse de Fatima, la voyante d’Essaouira, à l’une des questions que je lui posais.Concernant le traitement de la possession, elle séparait en effet deux possibilités : soit, me disait-elle, la personne possédée désire le rester et on organise alors pour elle une derdeba ; soit elle souhaiteau contraire en finir avec cet état et on fait tout ce qu’il faut pour la libérer.Le premier cas de figure serait celui de la talaâ au moment où sa vocation se manifeste par certains troubles qui sont vus comme le signe de son élection : on va organiser pour elle une initiation dans laquelle l’institution d’une derdeba aura un rôle essentiel.Mais si, par contre, la personne possédée ne souhaite pas en faire un métier, on va procéder autrement et mettre en route une démarche de type exorciste. C’est cette démarche que Boubeker décrit tout en sachant parfaitement, mais il ne le dit pas dans cette phase de nos entretiens, qu’on ne procédera pas de la même manière s’ils’agit de la carrière d’une talaâ

.4 Le vocabulaire de la possession

Le tableau ci-après présente les termes utilisés localement, en particulier à Essaouira, pour décrire les transes de possession et les transes médiumniques. Verbes prenant Etat de posses- Transe de pos- Transe de posun sens parti sion permanente session rituelle session médiuculier dans le (passive et géné- (transitoire et mnique ou divicontexte reli- ralement morbide) ne dure que le natoiregieux moment du rite) (elle implique la maîtrise des Esprits : possession volontaire)

Jabada Mejdoub Jdeb(tirer à soi) (mystique illuminé) (danseur en état de transes) malaka mamlouk temlek

La talaâ est à(posséder un (esclave possédé) (il vient d’être la fois :

bien) possédé) -memlouka(possédée par ses mlouk)-malaka(elle possède ses mlouk)

sakana maskoun tasken(habiter) (habité, possédé en (il vient d’êtrepermanence) habité)

Commentons brièvement ces termes et leurs variations :

a) à partir de jadaba, on a produit les termes majdoub qui signifie l’illuminé, l’errant mystique, d’une part, et d’autre part le terme jdeb pour désigner celui qui exécute, en transe, une danse rituelle (soit dans un rite de transe instituée par une confrérie du soufisme populaire, soit dans un rite de possession) ;

b) à partir de malaka, nous trouvons les termes memlouk(esclave)qui désigne une possession durable, d’une part, et d’autre part temlek,qui désigne celui qui est en train d’être pris (ou possédé) dans le contexte rituel et pour la durée de l’invocation du melk. Nous avons en outre,memlouka, terme qui caractérise la talaâ en état de possession rituelle ou médiumnique etmallaka en tant que ses mlouk sont à sa disposition ;

c) à partir de sakana nous avons meskoun (durablement habité)d’une part, et d’autre part

tasken (habité par le melk pour la durée rituelle de son invocation). Ce tableau montre comment, à partir de trois verbes empruntés au langage courant, on décrit l’opposition entre des états permanents et subis et d’autres qui sont au contraire temporaires et transitoires, tout en appartenant à la même racine d’expériences vécues. Les termes employés entrent dans la composition d’une théorie populaire des troubles mentaux et de leur traitement. Ce système est celui d’une ethnopsychologie où le réel est déjà décrit par les membres et où l’enquêteur a toujours à travailler à partir de leurs descriptions.

Georges Lapassade

psychothérapie

Georges Lapassade

et maâlem Hayat en 1978 à Essaouira

 

 

http://www.google.com/search?ie=UTF-8&oe=UTF-&sou...

http://www.youtube.com/watch?v=OvFcBUrg03c

http://www.youtube.com/watch?v=FCl69M5qiWs

http://www.youtube.com/watch?v=Rp73LKTzRuc

http://www.poolpi.com/0/video/Lapassade/p0SGnl9FXOU.html

 

 


13:38 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

04/05/2010

Les Gnaoua : ceux qui travaillent avec l'invisible

Ceux qui travaillent avec linvisible

 

 

boussou guenbri.jpg

 

Maalem Bossou

 

« Nous sommes des esclaves à la peau fraîchement marquée.

Soyez témoins de ces marques, elles ne s’effaceront jamais »

Chant Gnaoui

 

 

Le linguiste Kenneth Pike oppose le discours émique qui est le commentaire des gens ordinaires au discours étique ou savant qui tend à remplacer la théorie populaire de la chose. Pour donner un exemple directement appliqué à notre propos ; l’observation d’un possédé rituel en état de transe peut donner lieu à ces deux discours :

 

Dans le discours émique les gens disent que la transe est produite par la présence d’un être surnaturel. Le même comportement sera interprété de manière « étique » par un psychologue comme l’effet du rythme des tambours ou encore comme l’expression d’un tempérament hystérique, etc.

 

Dans une société où l’individu s’efface devant le groupe, on peut se demander si le transfert des concepts psychologiques des sociétés occidentales atomisées est légitime. A ce sujet une ethnopsychiatrie maghrébine aurait beaucoup à nous apprendre. Pour Géorges Lapassade : « La transe rituelle n’est pas une hystérie, c’est l’hystérie qui est une transe. Mais c’est une transe refoulée et oubliée dans les sociétés occidentales depuis le temps de l’inquisition ». C’est pourquoi cet auteur fait la distinction entre les sociétés à transe et les sociétés sans transe.

 

Nous sommes donc en présence de deux modes d’interprétation savant et populaire : Pour la psychanalyse l’origine de la maladie est endogène : « Ce sont les processus psychiques inconscients ». Pour le thérapeute traditionnel : l’origine du « mal » est exogène ; l’individu est « frappé » par une entité surnaturelle malfaisante ; la possession n’est donc pas le symptôme d’un état morbide. Ces deux modes d’interprétations impliquent deux attitudes : l’Occident rejette le « malade », le Maghreb accepte le « possédé ». Ces deux modes d’interprétations impliquent également deux modes de traitement : l’un vise à « expulser l’intrus », l’autre à mettre en évidence le traumatisme responsable mais oublié.

 

§ Visite à maâlam Bosso

 

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Dans le marché de la psychothérapie de Casablanca, le psychiatre s’entourant de la légitimité du savoir positiviste et du pouvoir institutionnel se trouve confronté  à la « concurrence » de la légitimité charismatique (Baraka) des zaouia et des marabouts. : la plupart des malades préfèrent encore, les nuits bleues de la transe, les khaloua au sein des grottes et au sommet des montagnes ; au divan du psychanalyste et à l’enfermement psychiatrique.

Les Gnaoua célèbrent deux fêtes principales, l’une obligatoire pour tous, le 15 du mois lunaire de Chaâbane, qui se déroule dans la maison à laquelle, ils sont affiliés, l’autre est un acte de soumission envers Sidi Abdellah de Tamesloht, auquel ils procèdent à l’occasion d’un pèlerinage, lors de la fête du Mouloud. Les Gnaoua célèbrent cet événement durant sept jours : ils iront d’abord à Moulay Abdellah Ben Hsein enterré à Tamesloht, puis à Moulay Brahim, enfin jusqu’au Sultan des génies, Sidi Chamharouch dans l’Atlas.

 

Le mercredi 20 août 1986, je publie un compte-rendu de ma visite à Maâlem Bosso, décédé récemment, sous le titre : « Ceux qui travaillent avec l’invisible, Maroc-Soir leur rend visite et fait parler le Maâlem Bosso ». Dans cet article, j’écrivais :

Lorsqu’on aime la culture populaire  un imaginaire autre que ce qu’offrent les cinémas et les vendeurs de rêve, on peut se demander : où est ce qu’elle réside dans ce Casablanca qui semble emporté par le courant universel des sociétés de consommation ? Pour tous ceux qui refusent l’hégémonie de l’industrie culturelle, il suffit de se diriger du côté de la vieille médina. Au-delà de son étalage d’objets sans prix ni vitrine où l’antique marchandage domine encore, au-delà de cette économie informelle ; il y a ceux qui travaillent avec l’invisible.

J’ai demandé, où sont les Gnaoua ? On m’indiqua par des ruelles tortueuses la demeure de Maâlam Bosso. J’y  pénètre : sous l’ombrage d’un figuier, des rossignoles et des tambours. Deux symboles qui ne trompent pas : On est chez un musicien, mais pas n’importe lequel. C’est un musicien qui a commerce avec l’invisible et c’est une musique qui a une fonction thérapeutique.

Le maâlam est un initié qui connaît les devises musicales, leur ordre de succession et leur efficacité selon le tempérament des malades qui tombent en transe. À ce sujet, voilà ce que dit maâlam Bosso :

- La plupart des Maâlam Gnaoui de Casablanca sont originaires de Marrakech. Certains étaient d’anciens esclaves de Caïds. D’autres viennent de Rabat. Parallèlement au « Gnaouisme », la plupart d’entre eux, pratiquent des petits métiers d’artisans .

- Mais vous-même Bosso, comment êtes-vous devenu maâlam ?

- J’étais encore tout jeune, lorsque je me suis rendu en pèlerinage à notre saint qui se trouve au sommet d’une montagne au sud de Marrakech. Je l’ai vu en rêve me tendre un guembri en me disant : « Prends la source de ta vie ». Le lendemain, j’ai joué au hasard un air musical, une femme tomba en transe, et refusa qu’un autre que moi puisse l’accompagner. Depuis, j’ai quitté mon métier de tanneur pour celui de musicien professionnel.

- Que pensez-vous de ceux des musiciens gnaoua qui sont devenus vedettes du mouvement folk ?

- Vous voulez dire Pako qui fait partie du groupe Nass el Ghiwane, et Baqbou qui a rejoint le groupe Jil Jilala ?

- Oui. Que signifie pour vous ce passage du sacré au profane ?

- Celui qui travaille dans le domaine des Gnaoua doit suivre la voie de la droiture et de la purification. Sinon, il risque d’être paralysé : on est parfois paralysé en travaillant avec des gens qu’on voit, alors que dire de celui qui travaille avec ceux qu’on ne voit pas ? », Conclut maître Bosso.

Avec plusieurs années de distances, ces propos prennent des accents prémonitoires : Pako, qui est le premier à sortir l’autel sacré de la zaouïa des Gnaoua d’Essaouira, pour le présenter avec sacrifice de bouc, au Living Theater, en 1968 ; Paco, le premier grand maâlam gnaoui à partir jouer sur scène avec son guembri, au sein du mythique groupe folk de Nass el Ghiwan, a fait récemment l’objet d’une attaque cérébrale avec perte partielle de l’usage de la parole ; a–t-il été frappé par l’invisible ? Pour les Gnaoua, la paralysie de Paco est certainement due à une faute rituelle commise à l’endroit des esprits dont il était le fidèle serviteur du temps où il était uniquement maâlam gnaoui, bien avant de devenir la célébrissime vedette du mythique groupe folk de Nass el Ghiouan. Pour les Gnaoua, l’attaque cérébrale et la paralysie partielle de Paco ont avoir avec l’invisible.

 

§ Le lila des Gnaoua

 

La lila est un rite de passage qui permet la transition de l’état d’angoisse à l’état de détente. Cette angoisse peut résulter de raisons diverses : c’est pourquoi la demande de la clientèle n’est pas motivée par une même raison comme nous l’explique Maâlam Bosso :

 

« Une femme m’a demandé d’organiser une lila chez elle, parce qu’elle veut déménager de la médina pour aller habiter Bourgogne. Une autre femme à El Jadida a organisé une lila pour commémorer le décès de son mari. Des travailleurs immigrés l’organisent avant leur départ en France. On fait aussi appel aux Gnaoua si quelqu’un est « touché » ou « atteint » par les djinns. Les lila ne sont pas limitées à la vieille médina : il existe une demande dans les autres quartiers populaires de Casablanca tels que Derb Sultan, Sidi Maârouf, Hay Mohammadi, etc ».

 

Le maâlam Hmida Bosso, porte le nom d’un melk marin qui le possédait lorsqu’il était jeune. Les Gnaoua chantent ainsi cette devise :

« Me voilà, ô Bosso !

Bosso au filet de pêche,

Bosso le pêcheur,

Bosso le poisson ».

 

Ce chant rituel a lieu au milieu de la  lila des Gnaoua, celle-ci  se compose de trois phases :

a) Une phase préliminaire qu’on appelle  Âada, ou la procession crépusculaire dans la ville avec tambours et crotales. Elle a pour fonction d’annoncer à la communauté tout entière qu’une nuit thérapeutique va se dérouler dans telle maison de tel patient ou patiente. L’événement prend donc une dimension publique et sociale. Ceci est très important dans le processus qui conduit à la guérison : généralement, l’entourage familial et social change d’attitude vis-à-vis du malade, le lendemain de la lila : désormais, on le considère comme normal, ce qui facilite sa réinsertion sociale.

Si le malade est guéri, il ne devient pas nécessairement un Gnaoui, c’est-à-dire un pratiquant de la musique rituelle. Mais un serviteur surnaturel des Gnaoua. Chaque année au mois lunaire de Chaâbane qui précède le  Ramadan où les djinns sont enchaînés, et  où se déroule le grand moussem, le serviteur doit sacrifier soit un coq bleu, s’il est pauvre, soit un taureau noir, s’il est riche.

 

b) Une phase liminaire qu’on appelle kouyou où l’on amuse l’assistance au début de lila (nuit rituelle). On se livre à des jeux énigmatiques, où le guembri guidant le chercheur d’anneau d’or – qu’on a soigneusement dissimulé parmi l’assistance – sur la voie des mystères ou « quête du chamelier ».

 

c) Ce n’est qu’au milieu de la nuit, moment des rêves, que commence le rite de possession qu’on appelle Lila, où la musique induit la transe chez les possédés rituels. Par exemple lorsqu’on arrive à la devise musicale d’Aïcha Kandicha ; celui qu’elle possède entre en état de transe et se couvre la tête d’une serviette couleur océan, tel cet unijambiste  qui me raconta un jour :

 

« Au milieu de la nuit, sous la voûte de l’herboriste, j’ai cru voir une prostituée sacrée. Mais lorsqu’elle se retourna, j’ai reconnu celle dont on parle dans tous les vieux ports marocains. J’ai perdu conscience et, plusieurs jours, l’usage de ma langue et de mes jambes. Une autre fois, elle m’a paru en rêve, et m’a ordonné comme condition à ma délivrance d’organiser une lila avec sacrifice[1] d’un bouc noir ».

En effet, seule une nuit rituelle un samedi soir, a pu sauver l’esprit boiteux de notre unijambiste, grâce à la remise en place et en ordre des sept couleurs de l’arc en ciel ! Le succès de la thérapie dépend de la nya du malade, c’est-à-dire sa bonne foi. Il faut que l’entourage soit préparé à recevoir le rite comme une délivrance providentielle.

Le bon déroulement de la lila exige, dépend de la bonne maîtrise du guenbri, le principal inducteur de transe chez les Gnaoua bilaliens de la ville. C’est un luth à trois cordes, en boyau de bouc ; celles-ci sont nouées par des lacets à l’extrémité du manche. La table d’harmonie est faite de peau de dromadaire, habituellement couverte de dessins au henné. Un guenbri mal accordé ne peut induire la transe : ce sont, dit-on, ses vibrations qui investissent le subconscient et, à force de répétitions, font naître une tension si forte qu’elle finit par toucher le centre vital du système nerveux, provoquant ainsi la transe.

Selon maâllem Goubani, le guenbri était à l’origine, c'est-à-dire à l’époque où il fut inventé au Soudan, fabriqué avec une courge géante séchée dont on vidait la coquille pour en faire une calebasse. N’ayant pas trouvé au Maroc une courge de dimensions semblables, les Noirs lui substituèrent le bois de figuier qui, une fois creusé, a la même tonalité musicale. Généralement le maître de la lila porte l’instrument au four pour que peau et cordes acquièrent une « résonance cosmique » suffisante pour atteindre l’invisible. Maâllem Boubker Guinéa précise que le guenbri taillé dans le bois de figuier est souvent dit meskoun (habité) et qu’il est donc nécessaire que celui qui s’en sert soit sûr de son art et sache le respect qu’il doit à son instrument. De nos jours, pour les soirées profanes on utilise un luth, nommé aouicha, sur lequel s’exercent les jeunes musiciens qui ont l’ambition de devenir maâllem du guenbri dans les nuits sacrées. Ce luth est taillé dans le bois blanc ou l’acajou ; la peau de mouton ou de bouc est tendue à l’aide de clous. Cela le différencie du guenbri ancien qui ne contenait aucun clou, la peau étant tendue par ses propres ligaments. Il ne s’agit pas de maîtriser une technique musicale, explique maâllem Guiroug, mais rien de moins que d’induire la transe, chose qui n’est pas à la portée du premier venu. Il y a la lila où le hal est présent et celle où il est absent, en raison d’une impureté, de mauvaises intentions ou tout simplement parce que le seuil n’est pas bon. Ces mauvaises vibrations font que le guenbri refuse de s’accorder. On a beau faire, c’est comme si on frappait dans un mur. Et il y a des fois, et des seuils, où le guenbri n’a même pas besoin d’être accordé. Il suffit de le frôler pour qu’il fasse vibrer l’assistance.

L’ouïe entend et le destin parle. Ce vertige de l’ouïe, qui conduit à l’étourdissement de l’âme, vient du tambour, la voix des dieux africains, et du guenbri, vibrations cosmiques de trois boyaux de bouc sur une écorce de figuier sacré. Ils font appel aux sept esprits surnaturels pour illuminer la nuit :

 

Les esprits illuminent la nuit

Les esprits soufflent dans le vent

Les esprits marchent dans les forêts et les déserts

Les esprits font trembler les montagnes

Les esprits marchent au devant de la tempête

Un cheval de vent règne sur la mer

Sur les crêtes écumantes de l’océan

 

Le rythme du tambour et les vibrations du guenbri accompagnent – à la charnière de l’amour, de la mort et du hal- la horde multicolore des possédés en transe vers la lumière éclatante du jour. Au début le hal est un art, on y va de son propre gré. A la fin, on succombe à sa possession, comme le taureau va au devant du sacrifice et de la mort.

 

 

 

§ Les voyantes médiumniques de Taesloht

 

 

Selon le témoignage de Procope au VI è siècle :

« Chez les Berbères, les hommes n’ont pas le droit de prophétiser ; et se sont au contraire les femmes qui le font : certains rites religieux provoquent en elles des transes qui, au même titre que les anciens oracles, leur permettent de prédire l’avenir. »

 

A l’occasion des fêtes du Mouloud qui commémorent la naissance du Prophète la talaâ se rend en pèlerinage au sanctuaire de Moulay Brahim, dans la montagne au sud de Marrakech, puis à Tamesloht, au sanctuaire de Moulay Abdellah Ben Hsein où elle organise des lila et procède à des sacrifices. Ses Gnaoua l’accompagnent en ces lieux. Dans la tradition religieuse des Gnaoua, ce sont les talaâ (ou voyantes médiumniques) qui instituent les situations dans lesquelles les musiciens vont intervenir.

Sous le patronage de Baba Tourougui et de Baba Mekki, ces voyantes font le pèlerinage à Tamesloht pour obtenir la baraka du Cheïkh. Chaque voyante offre un sacrifice et laisse sa tbiga à la belle étoile jusqu’à l’aube. Dès lors, elle est reconnue comme talaâ, dépositaire de la baraka du Cheïkh.

Le don de prédire l’avenir en état de transe, et de servir le maître de la nuit, suppose de la part de la néophyte une longue période d’incubation, au cours de laquelle elle passe d’une mort symbolique à une renaissance.

« Avant d’être reconnue en tant que telle, explique maître Guinéa, la talaâ est allée en pèlerinage à Sidi Chamharouch le sultan des djinns, dont la grotte se situe au sud de Marrakech-, à Moulay-Brahim, à Tamesloht, et à beaucoup d’autres lieux saints ».

Là, elle s’est imprégnée de leurs effluves sacrés et s’est isolée pendant un certain temps dans leurs khaloua, lieu de prière et de retrait, généralement une grotte qui préfigure le ventre maternel où s’accomplissent la mort et la résurrection symbolique de la néophyte. Généralement, elle se retire en prière pendant un mois, jusqu’au moment où le rêve divinatoire apparaît dans la dormition. C’est la raison pour laquelle la postulante a accompli son pèlerinage.

Si le rêve divinatoire n’est pas apparu cette semaine, il apparaîtra la semaine prochaine. Au cours de ce rêve, elle se voit devant un tribunal de génies présidé par leur sultan Chamharouch. C’est là qu’on lui ordonne d’accomplir tel ou tel autre rite : elle doit sacrifier telle victime, à tel endroit, et y organiser une lila. On lui demande d’accomplir beaucoup de rites, avant de lui accorder des dons particuliers, soit l’immunité contre le fer  ce qui lui permettra de danser en état de transe avec les couteaux sans se couper, la capacité de danser avec le feu sans se brûler, ou encore celle de danser sur les débris de verre sans se blesser.

 

 

Dans ce dernier cas, elle égorge un pigeon et fait couler le sang sacrificiel sur les débris, puis jette la dépouille dans un endroit totalement isolé, par exemple à la mer. Dès lors, elle peut danser sur les débris de verre sans danger pour sa peau. Grâce à son plateau de cauris, elle détermine l’origine du mal et prescrit le remède qui guérira : soit un pèlerinage à tel ou tel autre marabout, soit l’organisation d’une nuit rituelle. Si elle prescrit une lila, c’est elle qui avisera le groupe de Gnaoua avec lequel elle a l’habitude de pratiquer la thérapie traditionnelle.

 

§ Les voyantes médiumniques

 

Sous la thérapie des femmes se dissimule une religion. En effet, à Tamesloht, le moussem met en scène l’opposition entre deux groupes de pèlerins : les Chorfa et les Gnaoua. Pour les Chorfa descendants de Moulay Abdellah Ben Hsein, cette manifestation du Mouloud est celles des tribus liées à leur ancêtre ; les Gnaoua y viennent par l’effet d’une greffe tardive. Ils sont tolérés à condition de rester dans les maisons et de ne visiter les lieux saints que pour apporter leurs offrandes.

Les Gnaoua ont une tout autre définition de la situation. Pour bien comprendre ce qu’ils font ici, il faut d’abord constater, que ce sont les femmes qui organisent les manifestations de leur confrérie à Tamesloht. Les musiciens Gnaoua qui les accompagnent sont là à titre d’assistants qui louent leurs « services » à ces talaâ. C’est là, d’ailleurs, la véritable structure de leurs pratiques pour autant qu’elles restent fidèles à la tradition africaine.

Cela, certes, n’apparaît pas au premier abord. Le spectateur de leur rite nocturne de possession, fasciné par ce « spectacle » de la transe « habitée », est avant tout sensible au jeu musical de ses animateurs. Il est tenté alors, de conclure que chez les Gnaoua, ce sont les musiciens qui sont les maîtres du jeu. En réalité, ici, comme dans tous les rites de possession, la gestion de la situation est assurée par les prêtresses du culte. Et ici comme ailleurs, les femmes, parce qu’elles sont tenues en marge de la religion des hommes, se sont donné secrètement une autre « religion » : la religion des femmes.

 

Qui consulte les voyantes ? Des gens souffrant de troubles attribués à l’intervention maligne d’êtres surnaturels qu’il va falloir identifier. La première démarche consiste à identifier l’agent surnaturel du trouble. C’est en état de transe que la voyante médiumnique est elle-même possédée par son Melk, qu’elle est en mesure d’indiquer au « possédé », l’entité qui le possède. Pour se faire elle a besoin de tout un « bricolage » rituel. Outre la présence des instruments de musique, il y a celle des deux accessoires sacrés : la tbiga et le hmal.

La tbiga est une corbeille d’osier contenant des étoffes ornées de cauris ainsi que sept encens : le benjoin noir, le benjoin rouge, le benjoin blanc, du bois de santal, du persil séché, des clous de girofle et, enfin, une prise de tabac dont la finalité est de faire éternuer les danseurs qui font semblant d’être en transe, ceux qui n’ont pas le hal.

 

Le hmal est constitué de deux baluchons de foulards aux couleurs des esprits qui seront évoqués durant la nuit rituelle. Il comprend également des tuniques aux mêmes couleurs dont se revêtiront les danseurs et les musiciens animant la nuit rituelle. Il comporte aussi des cannes de cérémonie, des poignards, des aiguilles et des bols traditionnellement dessinés à recevoir un mélange à base de farine de blé tendre qui sera consommé pendant la lila. Parmi ces bols figure celui de Sidi Moussa le marin. On note enfin la présence d’une gargoulette dont on se sert pour la danse des pèlerins.

C’est une voyante, la talaâ, qui a la charge de préparer ses accessoires. Le Gnaoui est, en général, au service d’une talaâ, qui prend en main l’organisation pratique du rituel, s’occupe des préparatifs pour le sacrifice et des accessoires que l’on vient de décrire. C’est à elle qu’on fait appel si quelqu’un tombe malade.

 

Aïcha Karbal, la femme de maâlam Guinéa, était une grande talaâ. Elle a légué son pouvoir de divination à deux de ses filles. L’une d’entre elles, Zeïda, nous parle, assise devant son alcôve où se trouve l’autel des mlouk, caché par un rideau de mousseline. Il supporte sept bols contenant les nourritures du melk.

 

Zeïda utilise aussi des cauris pour la divination car ils indiquent de quel génie le patient est possédé. Je sais s’il est possédé par Lalla Mira ou Sidi Mimoun. Chacun a sa couleur, son encens, son jour de la semaine et sa planète. Il y a la femme stérile a qui l’on demande de se ceinturer d’un fil de laine, et il y a celle à qui on recommande un coq sans sel cuit avec de l’huile d’olive et juste ce qu’il faut d’eau.

« Au moment de la consultation, raconte Zeïda, je suis moi-même possédée par mon melk, Bouderbala, le saint à la tunique multicolore, je me couvre d’une serviette rapiécée, je prends sa canne de mendiant céleste et son couffin. Ma sœur, elle, travaille avec les maîtres de la mer, les moussaouiyines.

Pendant la lila, ma mère avalait sept aiguilles et buvait un litre d’eau parfumée de rose. Puis, elle éjectait les aiguilles, l’une après l’autre, chaque fois qu’elle prédisait son sort à quelqu’un dans l’assistance de la lila. Moi, j’ai à peine la maîtrise du feu. Les flammes de quatorze bougies me lèchent les bras et les mollets, et je ne sens rien ».

Zeida appartient à une famille de Noirs venus du sud du Sahara, elle a hérité de sa mère, Aïcha Karbal, le métier de voyante-thérapeute et tout le matériel qui va avec, notamment les autels des mlouk.

 

Fatima, par contre, n’est pas l’héritière d’une tradition africaine. Elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui à partir d’un ensemble de troubles dans lesquels un ethnologue reconnaîtra un « recrutement par la maladie ».

La même distinction quant au recrutement se retrouve d’ailleurs chez les chamans dont certains le deviennent à partir d’une maladie initiatique alors que d’autres ont hérité de la charge.

La talaâ doit accomplir régulièrement un certain nombre de rituels et si elle ne le fait pas, elle risque, dit-on, de perdre ses capacités professionnelles et de retomber dans la maladie si sa carrière a commencé par une « maladie ».

Ces voyantes médiumniques, ces talaâ sont les héritières d’une vieille tradition, comme le constatait  Édmond Doutté, au début du XXe siècle :

« J’ai retrouvé aux environs de Mogador, les devineresses qui prédisent l’avenir avec des coquillages, et que Diego de Torrès observait déjà en 1550. Ce sont des femmes berbères qui prétendent faire parler des térébratules fossiles ».

Léon l’Africain nous parle pour sa part de femmes qui « font entendre au populaire qu’elles ont grande familiarité avec les démons, et lorsqu’elles veulent deviner, se parfument avec quelques odeurs, puis (comme elles disent) l’esprit entre dans leur corps, feignant par le changement de leur voix que c’est l’esprit qui répond par leur gorge ». La fumigation de parfums, aux dires d’Ibn Khaldoun, met certains individus dans un état d’enthousiasme tel qu’ils prévoyaient l’avenir.


Abdelkader MANA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Le sacrifice d’une victime a pour objet de mettre en relation le sacrifiant avec le sacré. Entre profane et sacré, homme et Dieu. C’est ce qu’exprime le terme arabe de « Qurbân » (sacrifice), qui signifie l’action de s’approcher de Dieu.

 

12:45 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique, psychothérapie, gnaoua | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les Gnaoua : l'exorciste et la possédée

Lexorciste et la possédée

 


L’éclairé est celui qui est emporté par la parole divine,
le possédé est celui qui est atteint par les djinns, et le fou est celui qui est atteint dans son corps.

Je rencontre ce soir mon cousin Ahmed, l’aîné de ses frères et qui fait partie depuis la fin des années 1960 de la Tariqa Boutchichia, dont le maître spirituel se trouve à Madagh dans la fertile plaine de Triffas à la frontière algéro-marocaine, là où l’émir Abdelkader s’était replié après l’occupation de l’Algérie par la France en 1830. Je dis à Ahmed :

- Pourquoi tu as délaissé la fille que tu avais eue avec ta première femme originaire d’Essaouira ?
- C’est sa mère qui a toujours refusé que ma fille rencontre ses demi-frères que j’ai eus avec ma seconde femme. Elle ne cesse de me jeter des mauvais sorts, en enterrant mon sort au cimetière.
- « Comment l’as-tu su, alors qu’elle vit à Essaouira et que toi tu vis à Casablanca ?
- Par l’intermédiaire d’un fqih de Marrakech et plus précisément par son « khabir »…
- Qu’est-ce que ce « khabir », ce n’est pas Élie le Khadir ?
- C’est le djinn qui lui chuchotte à l’oreille ce qui se trame contre moi dans les cimetières d’Essaouira ».

Le fqih a le même pouvoir de voyance, grâce au Khabîr — l’équivalent de l’agent de renseignement chez les jnûn, puisque le mot Khabîr dérive des Mokhabarates, l’équivalent du Mossad et de la C.I.A. dans le monde arabe - que la voyante médiumnique des Gnaoua, qui, en état de transe devient le médium d’une entité surnaturelle parlant par sa bouche pour indiquer aux possédès consultants le diagnostic et le remède.

J’ai connu dans les années soixante-dix Larbi, le menuisier de notre quartier qui était épris de football, et qui avait fini par errer pieds nus dans les ruelles de la ville, jusqu’à ce que sa famille décide de le rapatrier définitivement à son bled d’origine dans les environs d’Essaouira. On disait alors qu’il s’était amouraché d’une femme voilée, et que celle-ci avait emprisonné son âme en l’enterrant sous forme de tortue au cimetière. Pour qu’il puisse retrouver la raison il fallait absolument deterrer la tortue enterrée vivante au royaume des morts.
L’univers des djinns fait partie de ce vaste domaine, de l’imaginaire collectif où il est difficile de faire la part du fantastique de celle de la divagation mentale. Par analogie, il est le reflet de notre monde débarrassé des obstacles de la vie réelle et peuplé d’entités « volantes » qui se métamorphosent à volonté en toutes sortes d’identités animales parlantes.
D’après l’exorciste gnaoui, un chat n’est pas un chat et un chien n’est pas un chien :
« Là-bas près de la montagne où a disparu Chamharouch, il n’existe pas de vrai chat, ni de vrai chien : si tu vois un chien, sache que c’est un melk, si tu vois un chat, sache que c’est un melk, si tu vois un serpent, sache que c’est un melk ; présente-lui ton taslim (soumission) et tu n’auras rien à craindre ».
Dans la croyance populaire, toute maladie est due à une entité surnaturelle malfaisante qui s’introduit dans le corps : le possédé est le « cheval » de l’esprit possesseur (melk). Dans ce cas, on recourt soit à la musicothérapie du groupe et c’est une « transe de possession », soit aux soins de l’exorciste pour expulser l’intrus et c’est une « crise de possession ». Cet état de transe est induit, par contagion ou par imitation au cours de la séance à laquelle le possédé assiste. C’est une possession non pas par des « esprits impurs » mais par les mlouk qui sont sacrés.

La captation de ces effluves bienveillants a besoin d’une théâtralisation rituelle accompagnée de musique pour faire « monter » le « saken » (l’habitant surnaturel). On n’intervient pas lorsque quelqu’un est saisi de transe ; il faut aller jusqu’au bout ; au bout de quoi ? Au bout de la crise, au bout des nœuds qui sclérosent le corps et l’esprit. Cette forme de conscience altérée et frappée de mutisme ; la parole lui revient lorsque les instruments de musique se taisent. Qauant à la possession par les esprits impurs, elle fait appel au sriî (séance d’exorcisme) pour expulser l’intrus.
On appelle « sriî », l’opération par laquelle les spécialistes qui manient les « autres gens » expulsent le djinn qui « habite » l’individu. Cette expulsion se fait par la négociation qui est, en fait, une cure par la parole et par la flagellation. D’ailleurs, l’une des acceptions du mot Sriî signifie « battre », « vaincre » quelqu’un, ici, ce quelqu’un est le jinn possesseur qui s’exprime par la bouche du possédé. La flagellation a pour fonction de provoquer la détente en libérant les tensions (en les « dénouant » dirait le magicien).
Deux conditions sont nécessaires et suffisantes au déclenchement de la crise de possession : la rencontre de la nya et du horm. La nya est un concept à double signification ; c’est à la fois l’intention de guérir et la croyance en l’efficacité du « bricolage mythologique ». La nya vaut l’acte : comme pour Spinoza « la pensée de Dieu, c’est déjà Dieu », pour la thérapie traditionnelle :
« Croire qu’on est guéri, est déjà la guérison ».
Le bricolage mythologique et l’outillage rituel ont pour fonction d’ancrer cette croyance. L’exorciste ne peut à lui seul, déclencher une crise de possession sur commande ; il est tributaire du parvis sacré de la zaouïa : le horm qui fonctionne comme déclencheur de crise ainsi que le divan du psychanalyste. Dès que les possédés franchissent l’enceinte sacrée de Sidi Yahya qui commande aux génies aériens, dont il fait lui-même partie ils se tordent aux pieds des maîtres des lieux.
C’est ce à quoi nous avons assisté à Marrakech ; la patiente est étendue et, à califourchon sur son ventre, l’exorciste gnaoui est assisté, pour la maîtriser, par ses auxiliaires humains et surnaturels. Nous avons assisté à une véritable séance d’accouchement-vomissement du diable par la voie orale. Le silence de mort qui règne parmi l’assistance, révèle l’angoisse d’être contaminé par l’invisible ; cela met au bord de la transe à laquelle on n’échappe que par le subterfuge de la rationalité et de la dérision.

L’enjeu consiste à arracher l’invisible aux entrailles de la victime. Même si ce n’est pas un accouchement naturel, il préfigure l’angoisse de la naissance que l’espèce a connue à l’aube de la vie.
« Chamharouch, ordonne l’exorciste, travaille avec les divins qui ont peur d’Allah. Les choses de Satan sont « haram » (tabou), celles de Chamharouch sont « halal » (licites) ».

La sourate des djinns dit :

« Il y avait des mâles parmi les musulmans qui cherchaient la protection des mâles parmi les djinns et ceux-ci augmentaient la folie des hommes ».

Le Sriî n’est possible que si l’exorciste, comme le ou la « possédé(e) » n’est plus qu’une écorce « charnelle » (khachba) dont l’âme est le jinn possesseur, et l’exorciste ne peut officier qu’au moment où il est lui-même « rempli » par les « autres gens ». Alors il entre en négociations ardues avec le diable en recourant tantôt à la menace, tantôt aux promesses ; c’est une suggestion à large spectre.
Non, il n’offrira pas au djinn en contrepartie de son départ le repas salé, mais le miel sucré dont Allah seul connaît le procédé de fabrication, mais le sang d’une victime expiatoire à corne et de préférence de pelage noir, mais la semoule des premières moissons que les Berbères mélangent à l’huile d’argan.
Pour expulser « l’intrus », l’exorciste use du pouvoir suggestif des mots. Car tous les champs de l’activité humaine sont entraînés dans le cercle magique des symboles et des mots. « Je veux qu’on transcrive le nom du djinn, dit-il, pour pouvoir l’emprisonner au tribunal de Chamharouch et en délivrer la jeune femme qu’il tourmente ». En agissant sur le nom, l’exorciste compte agir du même coup sur le djinn qui le porte. Il n’y a pas de distinction possible entre signifié et signifiant : ils se confondent comme la valeur et la marchandise dans la théorie de la fétichisations. Le concept populaire de faksa évoque l’effet psychologique de certains mots : ainsi le terme h’chouma relève beaucoup plus de l’anthropologie pathologique que son équivalent honte qui se rapporte plutôt à l’individu. Un simple mot peut déclencher la joie ou faire régner la tristesse ; par des « négociations avec l’invisible », l’exorciste guérit et par des incantations magiques les Regraga font tomber la pluie ou éloignent le sanglier qui s’attaque au maïs, aux moineaux qui s’enivrent de raisins et de figues.
On connaît l’importance du verbe chez les peuples sémites : le verbe est puissance et de la parole divine est né le monde. Il est représenté par le calame dont nous parle le Coran :

« Noun, Par le calame et par ce qu’ils écrivent ! Grâce à la faveur de ton Seigneur, tu n’es pas un possédé ! »

Cependant la parole à elle seule ne suffit pas : « il faut être initié et dire la basmala (formule de conjuration) si l’on veut guérir par la grâce d’Allah tout ce qu’on touche ; sinon, on risque de se faire mal à soi-même, explique l’exorciste, depuis mon jeune âge, j’ai été élevé par les jnûn ; c’est au pèlerinage de Sidi Yahya guérisseur des possédés que j’ai perdu la vue en nageant dans son lac hanté. Depuis, j’ai voyagé dans toutes les contrées du Maroc ; lorsque lesdjinns ont décidé que je devais être leur serviteur, je le suis devenu malgré moi. Depuis, je fais partie de ce « hal » et je possède le secret de ces gens ».

Les propos sur les djinns, ombres fuyantes de l’imaginaire, nous renseignent beaucoup plus sur celui qui y croit que sur les djinns eux-mêmes.
Abdelkader MANA

12:43 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les couleurs de la transe

Les couleurs de la Transe

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Tout, soudain, danse dans la ville habitée [1]: hommes, femmes, oiseaux, enfants, vieillards. Les youyous fusent dans la lumière éclatante. Essaouira, ville à dimension humaine, habitée par le hal ! Véritable « port de transe » où crotales et tambours font battre le cœur de l’Afrique, en un dialogue sublime qui tantôt s’élève jusqu’aux sphères célestes, tantôt s’abîme dans les profondeurs de la mer.

 

Etendards en tête avec le taureau du sacrifice, la procession a quitté la zaouia de Sidna Boulal [2]au début de l’après-midi. Des rangées de danseurs s’improvisent dans les rues, les joueurs de crotales et les tambourinaires avancent en ligne à petits pas, se font face, se rapprochent puis s’écartent pour se rapprocher encore, suivant le rythme de la musique.

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Se plaçant entre le taureau du sacrifice et les musiciens, voici les voyantes au géranium et au basilic qui implorent Allah : «  guéris-nous, ô Seigneur ! » Lentement, elles avancent au rythme omniprésent de la musique. En tête de la procession, les deux étendards, le vert et le rouge, puis vient le taureau noir que suivent les enfants aux yeux émerveillés. Dans les rues étroites, pleines de poussière, de couleurs, de lumières, la circulation est bloquée. On prie, on fait appel à la baraka qui guérit : « Laâfou ya Moulana » (guéris-nous, Ô Seigneur !)

Dans le labyrinthe des rues la procession continue d’avancer.

Partout est la danse, offrande de musique, promesse de hal[3] .On se désaltère aux gargoulettes parfumées aux feuilles de menthe. Les voyantes aspergent d’eau de rose la foule des curieux et des adeptes. Le hal habite les murs, la foi exalte les remparts, les ruines parlent de ceux qui ne sont plus. Oubli du temps présent, oubli du monde. L’immémorial illumine le ciel et, toute puissante, la musique ressuscite le lent et noble déhanchement des caravanes en marche.

On fait halte un moment devant le sanctuaire du Pôle de l’Orient. Dans la clarté du jour la procession investit la cité du son grave du tambour, du martèlement des crotales.

Dis-nous, ô arbre immobile !

Entends-tu les sons graves qui

Accompagnent le taureau vers le repos éternel ?

Son sang va jaillir comme jaillissent en  geysers de brume

les chevaux marins de la houle violente.

Corps broyé par les vagues.

Rôde la mort, la mort sereine et brutale.

En échos à la prière cosmique du firmament,

Des ombres en oraison se répondent dans la pâle clarté du crépuscule.

 

D’un côté le tumulte des vagues, l’immensité de l’océan ; de l’autre le bruit assourdissant des tambours. Infinité des mystères, mystère de l’infini. Des goélands voguent au rythme du vent, des essaims d’hirondelles planent au dessus du cortège. Les musiciens pénètrent avec vacarme dans l’enceinte sacrée. L’homme préposé au sacrifice serre les pattes antérieures du taureau. Une foule immense envahit la place.

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L’instant est solennel. Les femmes se pressent sur la terrasse. Les jambes des danseurs trépignent, les youyous des femmes vrillent l’air. Le sacrificateur lave les pattes antérieures, les pattes postérieures, puis le dos, le sexe et la queue de l’animal. Il l’encens de la fumée du benjoin s’élevant d’un petit braséro, le culbute à terre et l’oriente vers la Mecque. Aux appels au Prophète succèdent les youyous des femmes.

Des femmes, fronts baissés sur les bols, trempent leurs lèvres dans le lait ; quand elles relèvent la tête, rien n’apparaît sous le voile si non l’éclat de leurs yeux agrandis par le khol [4]. Au centre de la place une cohorte de voyantes déposent leur bouquets de géraniums et de basilic. Deux joueurs de tambours et cinq joueurs de crotales ne cessent de tourner autour de la place du sacrifice. Le chant modulé par le maâllem est repris par la foule. Deux danseurs inscrivent de grands huit syncopés autour de la fontaine, un joueur de crotales se place entre les deux comme pour les encourager.

Le taureau est au repos sous la coupole verte. Venant du centre où murmure la fontaine, les résonances frénétiques, vont s’amplifiant dans l’espace clos de l’enceinte sacrée. Les goélands volent haut dans le ciel bleu qui pâlit. Le soleil décline sur l’océan. Un chien noir aboie au pied de la citadelle. Le vent mugissant fait trembler les fenêtres closes. La ville frémit comme un corps vivant sous le fracas des vagues. L’étoile polaire scintille à l’horizon. Violent mugissement, plainte pathétique de la houle qui gémit et qui pleure.

 

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Le maître des musiciens pose le tambour, prend en main le guenbri. Le sacrificateur ôte au taureau les étoffes aux couleurs de la transe, sur lesquels il pose un instant les couteaux du sacrifice afin qu’ils s’imprègnent du pouvoir magique des génies de l’abattoir. Alors s’élève le chant :

« Il n’y a aucun dieu, en dehors de Dieu ! »

Danse haletante autour du taureau en attente de son destin. Le soir monte au milieu de la mer, le hal descend sur la place. Les musiciens de l’ombre, les musiciens de la nuit accélèrent le rythme qui se fait lancinant. Tambours qui battent, crotales qui s’entrechoquent, youyous des femmes. Sublime transe sous l’éblouissante lumière !

Vêtu de rouge, le sacrificateur mime le roi des génies des abattoirs qui l’habite, en effectuant la danse des couteaux. La lune apparaît dans le ciel encore clair. La gorge du taureau est tranchée. Son sang encore fumant est recueilli dans une bassine. De cette énergie vitale, on asperge, au couteau, les couleurs des mlouks, le guenbri, les crotales. Une femme tombe en transe. Apportez l’encens ! Majid danse dans les nuages. Les esprits des nuages le saisissent. Il tombe du haut de la terrasse. Brûlez de l’encens, couvrez-le de noir. Son cœur a sombré à l’appel des esprits qui le possèdent. Combien n’a-t-il pas erré au pays des Noirs ! As-tu vu d’où les esprits des nuages l’ont fait tomber ? Il n’a pu résister à leur appel. S’il résiste ses os lui feront mal. La transe chasse les impuretés avec la sueur, la transe délivre.

 

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Un peu plus haut les vagues, et la ville serait engloutie par la mer. Le sang jaillit à gros flots de la blessure ouverte. Le retrait du ressac marin fait apparaître d’énormes précipices : gouffre glacial où s’engloutit le soir qui tombe, les prières et les paroles sont emportées par le vent.

On clôt le sacrifice par une prière qui évoque les servitudes d’antan :

« Nous sommes des esclaves à la peau fraîchement marquée.

Soyez témoins de ces marques, elles ne s’effaceront jamais »

Maintenant, le maâllem est seul à jouer mais tous les assistants accompagnent le son du guenbri en battant des mains. On vient d’entamer la partie ludique des kouyou, qui se déroule en deux temps : d’abord les Fils des Bambara, où on rythme uniquement des mains et du son du guenbri les évolutions des danseurs qui se lèvent et dansent à tour de rôle. Vient ensuite la Noukcha, où les crotales accompagnent le guenbri et la danse est collective.

Celle-ci revêt un aspect théâtral. Le danseur doit à la fois danser et mimer toutes sortes de rôles ; celui en particulier, de l’esclave enchaîné, ou de la femme enceinte qui va vendre son enfant. Il doit aussi représenter les bêtes sauvages et les anciens totems des clans. Toutes les tribus de l’ancien Soudan sont évoquées ainsi que la mémoire de l’exile des ancêtres.

 

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La condition d’esclave est évoquée : un danseur aux pieds liés par un foulard saute comme pour se libérer de ses liens ; on compare la condition du maître et celle de l’esclave, on moque et on plaint à la fois la vie de servitude :

 

Allah, Allah, notre Seigneur !

Oncle Bara le pauvre,

Voici son destin de pauvre :

Madame boit le thé, monsieur boit le thé,

Et Bara se rince les yeux,

Le maître mange la viande,

La maîtresse mange la viande,

Et oncle Bara, grignote les os...

 

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On commence par la parodie, le jeu et le rire pour se préparer au tragique de la possession :

 

Soudani kouyou

Soudani ya Yamma

Dada Yamma Ya Toudra

Mon frère est venu de Tombouctou!

Soudani Ya Yamma

Hé !Lalla Ya Toudra

Ils nous ont amené du Soudan

Ils nous ont amené de Guinée

Ils nous ont amené des Bambara !

 

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Théâtralité des gestes, danse en cercle, frénésie du rythme : prière pour les esclaves et les hommes libres de la Séguia rouge.

Danse balancée et gracieuse : offrande pour la beauté du geste.

Bangara, bangara....

Pirouettes et balancements rythmiques du danseur solo sur place. En chœur :

Amara Moussaoui

Sidi Ya Rijal Allah…

 

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La danse est splendide, alerte et entraînante. Le Gnaoui danse, le sourire au lèvre : magie de l’Afrique et de ses rythmes !

On invoque le soudanais Yamma et les fils des Bambara. Trois danseurs se lèvent et épaule contre épaule, se rapprochent

puis s’éloignent du maâllem à pas comptés – flux et reflux.

Le guenbri poursuit son solo tandis que les trois danseurs battentle sol de leurs pieds nus.

Echange grave et sonore entre guenbri et pieds qui trépignent :

« Saha Kouyou ! », lance le maâllem.

 

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Les danseurs s’approchent, frappent à l’unisson le sol d’un seul coup du pied droit, reculent et se reprennent à battre le sol,

à la manière des claquettes américaines. On cesse de chanter pour mieux prêté l’oreille au rythme des mains et des pieds

qui battent le sol et brassent l’air. Le bruit de la plante des pieds s’harmonise avec le registre bas du guenbri.

Pour la danse du chasseur, une gazelle traverse l’imaginaire poursuivie par un homme-tigre en transe.

La soirée commence :demain, le monde renaîtra de ses cendres grâce à la magie des musiciens guérisseurs

et au pouvoir de leur imaginaire éclaté...

 

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Voici les couleurs des mlouk, génies de l’au-delà, esprits de la nuit. Les sept couleurs de l’arc en ciel,

ont chez les Gnaoua,une signification magico-sacrale clairement définie :

à chaque devise musicale correspond une entité surnaturelle,et à chaque entité surnaturelle une couleur particulière.

Ainsi au milieu de la nuit, les Gnaoua procèdent à « l’ouverturede la place »(ftouh Rahba)

pour marquer le passage de la réalité ordinaire à la réalité extraordinaire :

l’invocation des entités surnaturelles.

La lila est un voyage dans l’océan de la transe et les esprits évoqués sont des étapes,des haltes dans la nuit.

 

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On commence par l’invocation des  Jilala , génies que dirige le pôle de l’Orient, et qui porte la couleur blanche.

Les entités surnaturelles marines, les  Moussaoui portent la couleur de la mer, comme les samaoui, entités célestes sont vêtus

du bleu du ciel. Si les chorfa vous habitent, vous porterez la couleur verte de l’Islam.

Avec la devise musicale de Sidi Hammou,on porte la couleur rouge du sacrifice.

 

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La possession par les « gens de la forêt et des nuages », est symbolisée par le noir.

On invoque également les entités surnaturelles féminines qui provoquent des transes de diverses couleurs. :

le jaune de lalla Mira,le violet de lalla Malika, le rouge de la berbère et le noir d’Aïcha Kandicha

(de Kadoucha, la déesse de la mer ?), qui possèdela voyance, et celle-ci prédit l’avenir en état de transe.

Bouderbala (le porteur de la tunique rapiécée du vagabond) fait la synthèsede toutes les couleurs.

La tunique rapiécée des anciens n’est pas portée par n’importe qui :

elle est le symbole de l’errance et de l’illumination divine qui s’y attache.

Après les Jilala, on passe à Bouderbala.

Le danseur qui « joue ce rôle », au sens presquethéâtral du terme, porte une tunique de toutes les couleurs

 

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et un grand couffin rapiécé. On l’invoque par ce chant :

 

« Ô l’homme en haillons,

Tel est l’état des possédés,

L’homme à la canne et aux vieux habits,

Tel est l’état des possédés ».

 

Vient ensuite le moment des moussaouiyne, couleur bleue clair, commandés par Sidi Moussa,

maître de la mer et protecteurdes marins.

 

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On effectue la danse au bol magique, et les danseurs qui portent un foulard bleu font aussi le simulacre de nager.

Quand on invoque la devise Bala Matimba, les danseurs s’aspergent d’eau. On chante :

« Ô Sidi Moussa, ô gardien du port,

Ô Bouria[5], poisson de rocher,

Ô Bouria, poisson de marée,

Je vous demande protection,

Ô hommes de l’île,

Je vous demande protection,

Ô maîtres de la côte,

Je vous présente autant de prières qu’il y a d’eau,

Autant de prières qu’il y a de poissons dans la mer. »

 


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Cette poésie marine est offerte à Sidi Moussa, que certains auteurs présentent comme

une version populairede Moïse qui commande les eaux.

Après les moussaouiyine viennent les smaouiyine,dont la couleur est le bleu foncé ;

on évoque ici les devises Moussa Barkiyou, Barri ya Berri,

Jab el-Ma et Ya Allah Samaoui.

Le maâlem hamida Boussou[6] porte le nom d’un melk marin

qui le possède lorsqu’il était jeune.

Les Gnaoua chantent ainsi cette devise :

 

« Me voilà, ô Boussou !

Boussou à l’hameçon,

Boussou au filet de pêche,

Boussou le pêcheur,

Boussou le poisson. »

 

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On passe ensuite à la mehella[7] des rouges de Sidi hammou, le maître du sang et des abattoirs.

Le pacha hammou porte le couteau du boucher et une chéchia ; il parle de sacrifices.

Ceux qu’il possède at qui dansent avec des poignards

dans le melk de Sidi Goumi ne courent aucun danger :

« Tu vois le sang jaillir, dit maâlem Mahmoud Guinéa,

mais à la fin de la danse tu ne trouve plusaucune trace de sang.

Le danseur est insensible au poignard

parce que Sidi hammou le protège lorsqu’il danse... »

 

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Dans le melk hammouda, tous les Gnaoua mangent du miel.

On commence par mettre un peu de miel sur la peau du guenbri,

on en induit aussi les crotales avant d’en offrir au maâlem et à chacun des Gnaoua.

 

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Viennent ensuite les fils de la forêt vêtus de noir et particulièrement violents.

Parmi les esprits noirs de la forêt, il y a aussil’ogre Bariando .

On fait le simulacre de le capturer en lui enroulant une grosse chaîne autour du cou.

Il essaie de se libérer, maison le retient de chaque côté.

C’est le symbole de la traite des esclaves volés et deleur asservissement.

Il y a Haoussa, appelé l’enchaîné, qui se frappe la poitrine.

Il y a Segou Balaychi, qui se couvre du pelage d’un moutonet danse avec

une canne noireautour d’un plateau d’orge et de sucre,

dans lequel les jeddaba[8] mangent commedes esclaves ou des animaux.

 

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Ensuite vient successivement :

 

§ Tamarmania, dont le jeddab avale des aiguilles.

§ Jini Yata, que l’on couvre d’une serviette noire.

§ Koulou M’bara, dont on frappe le dos avec une lanière de cuir.

§ Bao Bao, Sidi Madani, le chasseur possédé de la forêt.

§ Joujou Nama, dont les jeddaba mangent de la viande crue.

On invoque encore d’autres mlouk, dont le plus impressionnant est

Gouban Bou Gangi,qui se frappe la tête d’un mortierde huit kilos.

Ceci ne va pas sans accidents, à en croire maâlem Abdessalam Belghiti,

qui animait les lila de khaddouj Bent Yahya,la plus grande voyante d’Essaouira,

et qui a assisté à la mort d’un adepte, Tabboza, à la fin d’une lila.

 

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Dés qu’on aborde la devise musicale

Goubani Bou Gangi,ceux qui ne sont pas Gnaoua quittent la place.

Après les esprits noirsde la forêt vient le tour des chorfa , dont la couleur est le vert.

On commence par Sidi Lahcen, suivi de Sidi Boubker et de Sidi Ali.

Lors de cette devise, on danse avec un grand sabre.

On évoque Moulay Abdellah ben Hsain, le « saint » de Tamesloht, ainsi que

Moulay Brahim, le « saint » de la montagne, dit « l’oiseau des cimes ».

A la fin des chorfa, on invoque Foullani, les hommes de Dieu du Soudan :

 

« Hayii Foullani, ô mon père !

Hayii Soudanais, ô mon père !

Foullani, ô Seigneur,

Bambrani, ô Seigneur ! »

 

Les danses de possession se terminent par les génies de sexe féminin,

aux couleurs variées :jaune, rouge, violet et noir.

On brûle des encens divers et on asperge les danseurs avec de l’eau de rose.

On évoque d’abord lalla Aïcha, la noire, ensuitelalla Rkiya,

la rouge, puis lalla Mira, la jaune et lalla Malika la noire.

Lalla Mira, s’en prend tout particulièrement aux voyageurs.

Elle aime les promenades au crépuscule, et c’est à ce moment là qu’elle est dangereuse.

Les gens qui dansent ce melk rient beaucoup

et les gens qui pleurent sont particulièrement vulnérables à ses attaques.

 

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Ces quatre premières entités féminines sont suivies par huit autres dont la couleur

est le noir.La plus redoutable estAïcha Qandicha.

Pour l’accueillir, on éteint la lumière et la danseuse qui en est possédée se met à prédire.

On verse de l’eau eton fait semblant de laver le linge avec la plante des pieds,

car Aïcha Qandicharéside dans les oueds, les mers et les flaques d’eau.

On termine la série en invoquant les esprits féminins berbères.

On sert une soupe d’orge aux participants :

c’est la fin de la lila.

Le maître dépose le guenbri, et l’azoukay ramasse tout le matériel.

Laârifa reprend son panier de cauris, de pierres du delta du Nil

et d’ébène des profondeurs du Soudan.

Après leur transe, les adeptes se sentent mieux et sollicitent pour les absents

leur partde barouk.A l’horizon, l’aube se met à poindre.

La transe et les génies qui la provoquent se dissipent

avec la lumière du nouveau jour qui nait.


Abdelkader MANA

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[1] Au milieu des années 1980,  j’ai participé à une lila des Gnaoua  à Essaouira  dont  je relate ici le déroulement ainsi que la succession des devises musicales et les couleurs de la transe telles que je les ai observés alors.

[2] Essaouira est la seule ville au Maroc où les Gnaoua disposent d’une zaouïa : partout ailleurs leur culte a un caractère domiciliaire. L’édifice de la zaouïa dédiée à Sidna Bilal, premier muézin noir du Prophète, semble dater du XVIIIè siècle. Il servait de lieu de rassemblement aux esclaves qui y célébraient leur fête. Ceux-ci vivaient alors hors des murs, au nord de la kasbah, dans des casemates bâties au milieu des dunes. On raconte que là vivait un maître du guenbri, maâllem Salem, qui appartenait à un négociant, Allal Jouâ, dont une rue de la médina porte encore le nom. Celui-ci vendait la cire et possédait au moins sept esclaves qu’il traitait comme ses propres enfants. Allal Jouâ n’était pas comme les autres commerçants qui obligeaient leurs esclaves à décharger les barcasses au port. Lui, il leur apprenait à travailler comme maçons et comme graveurs sur pierres. C’est ainsi que maâllem Salem était devenu une sorte d’ingénieur, un sourcier. S’il disait aux ouvriers de creuser à l’endroit qu’il leur indiquait, immanquablement ils tombaient sur de l’eau. On le nomma moqadem des Gnaoua. Il entoura le lieu de culte, alors une simple mzara, de quatre murs. C’est ainsi qu’est née la zaouïa de Sidna Bilal, au cœur même de la médina d’Essaouira, du côté de la mer.

[3] Hal : La transe ; état de celui qui est possédé par la transe. La confrérie des Ghazaoua chante le hal en ces termes :

Le hal, le hal, Ô ceux qui connaissent le hal !

Le hal qui me fait trembler !

Celui que le hal ne fait pas trembler, je vous annonce ;

Ô homme ! Que sa tête est encore vide

Ses ailes n’ont pas de plumes

Et sa maison n’a pas d’enceinte

Son jardin n’a pas de palmier

Celui qui est parfait, la calomnie ne l’effleure pas

Sidi Ahmed Ben Ali le wali

Prends-nous en charge, Ô notre cheikh !

Sidi Ahmed et Sidi Mohamed

Ayez pitié de nous. »

 

[4] Khol : pour noircir les cils et les sourcils. Les femmes utilisent aussi l’ écorce de noyer pour la denture, le rouge à lèvre de Fès et le hargouss (extrait d’une mixture à base de vapeur de benjoin blanc et de bois de santal, donnant un parfum aux vertus aphrodisiaques particulièrement puissantes qui enrobait le corps de la femme pendant une semaine entière,  dit-on.

[5] la mer en se retirant laissait derrière elle, dans les interstices des rochers, de petits poissons couleur d’algues dénommés  bouris probablement par la population d’origine africaine de la ville parce qu’il existe effectivement une divinité africaine du nom de « Bouri » : au cours du rituel de la Lila, il existe un esprit possesseur (melk) où le possédé danse avec un bol d’eau de mer contenant ce petit poisson des rochers .

 

 

[6] Selon l’explorateur et photographe danois S.E.Sokkelund, on appelle « Boussou » un peuple riverain du Niger, ainsi que les Africains travaillant au port d’Accra au Ghana. Ces hommes de la mer sont les « Boussou ».

[7] Cohorte de génies.

[8] Pluriel de Jeddab, danseur en transe qui peut avaler de l’eau bouillante sans peine, comme les Oulad Sidi Rahal.

12:30 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

12/12/2009

Le moussem des Hamadcha

Le moussem des Hamadcha

 

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Procession des Hamadcha a Essaouira

 

 

Hamdouchi, tourneur sur bois de son état,rencontré à Sidi Mogdoul, me dit en préparant sa pipe de kif : "Tout ce qui brûle au feu n’est pas impur. Jadis, on cachait le kif dans  le tambour.Le moqadem disait : « Fumez où bon vous semble, sauf dans la salle de prière. ».Nous gens du hal, nous avons besoin de fumer jusqu’à ce que nos yeux soient hors des orbites pour pouvoir chanter et faire monter le saken (l’habitant surnaturel) ».

 

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Le Herraz des Hamadcha par Boujamaâ Lakhar

En 1983, j’avais assisté au moussem des Hamadcha, en notant son déroulement au jour le jour :

 

Le 31 août 1983, 17 heures.

Des rumeurs musicales me parviennent de loin : c’est la procession des Hamadcha à Souk – Jdid. À mesure qu’on s’approche de la zaouïa, la musique devient frénétique. Après avoir franchi la porte sur la place du sacrifice et des danseurs sacrés, l’animal est encensé avec du benjoin (jaoui). Le public l’entoure et la musique continue. On fait tomber l’animal pour l’égorger, le public s’agite, la musique devient frénétique et les femmes sur la terrasse poussent des appels au Prophète et des youyous. C’est la première dbiha. La seconde aura lieu lorsque les taïfa invités seront là. Le moqaddem des Hamadcha (boucher de son état) aiguise son couteau en adressant un regard lointain vers le ciel. Il ordonne qu’on oriente la tête du taureau vers La Mecque. Puis, pieusement, d’un geste circulaire, il bénit l’assistance. En ce moment la musique parvient au sommet de la passion ; c’est le mode « daoui hali » (guéris-moi de ma transe), le moqaddem tranche la gorge du taureau. Lorsque les entrailles de l’animal sacrifié sont vidées la musique cesse brutalement.

 

C’est la vente aux enchères, de certaines parties de l’animal, qui commence. D’abord les pieds antérieurs puis postérieurs. Quelqu’un dans l’assistance demande un morceau du cœur. On lui rappelle que le cœur a été envoyé pour la baraka du gouverneur. L’un des sympathisants des Hamadcha s’approche du moqadem pour lui rappeler qu’il faut aussi envoyer un peu de baraka sacrificielle au nouveau conseil municipal (Union Constitutionnelle.) qui a contribué cette année à la subvention du moussem et supprimé les quêtes aumonières.

À ce moment-là, une femme descend de la terrasse et fait irruption parmi les hommes. Vieille et pauvre, elle propose timidement trois dirhams pour avoir sa part du  barouk . Celui qui dirige les enchères la regarde avec dédain et continue son travail. La rate est vendue 5 DH, puis un morceau de gorge rapporte 13 DH. La queue 18,50 DH et le sexe de l’animal 10,50 DH. Pour ce dernier morceau l’un des participants aux enchères commente : « Je ne l’achète pas en été, c’est un aliment chaud, valable surtout en hiver ».

« Les enchères ne sont pas tellement brillantes cette année », me dit un habitué des Hamadcha.

- Pourquoi ? lui dis-je.

- Parce qu’on a supprimé les quêtes dans les rues qui servaient aussi comme publicité au moussem.

Il y a peut-être d’autres raisons à cette désaffection. Dans la zaouïa des Hamadcha, on constate pour la première fois une floraison inhabituelle de drapeaux, entourant le portrait de Sidi Mohamed Ben Abdellah (le fondateur de la ville) qui symbolise ici l’association  portant son nom et qui a donné naissance récemment à la section locale du nouveau parti (Union Constitutionnelle).

Un peu plus tard, le hautboïste Dabachi m’explique :

- La musique un peu triste qu’on a jouée tout à l’heure, c’est la Nouba du Rasd puis on a joué Qoddam Ârqâjam.

Khalili intervient pour préciser :

- Les paroles qui accompagnent la mise à mort du taureau commencent ainsi :

 

Ah que ma patience est limitée !

Et que mon corps et mon cœur sont épuisés !

 

Au moment de sortir les entrailles de l’animal, on avait joué Qoddam El Maya. Et à la fin de la Dbiha, les musiciens avaient entamé l’air joyeux du Haddari. Ce morceau de musique rituelle fait aussi partie du Saken des Aïssaoua où il accompagne le moment de la frissa (consommation rituelle de la viande crue chez les Aïssaoua).

On me dit que les quatre morceaux de musique andalouse qui accompagnent le sacrifice chez les Hamadcha sont joués dans d’autres rites de passage tels que ceux de la circoncision ou de la défloraison qui fait passer la mariée du statut de jeunes filles à celui de femme. Dans les trois rites de passage (moussem, circoncision, mariage) cette musique rituelle accompagne l’apparition dangereuse du sang.

 

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Georges Lapassade et Gianni de Martino
devant la zaouia des Hamadcha, sis rue Ibn Khaldoune

 

1er septembre 1983 à 10 h 30.

Ce matin, je passe par hasard près de la rue Ibn – Khaldoun. Les Hamadcha d’Essaouira sont devant la porte de la zaouïa ; ils se préparent à accueillir la taïfa de Safi qui doit arriver par le car Chkouri à Bab Doukkala. La taïfa d’Essaouira marche maintenant vers Bab-Doukkala.En tête le drapeau rouge des Dghoughiine et l’étendard vert des  Allaliyne ; à cet étendard sont accrochés deux serviettes blanches ; quelqu’un me dit que des femmes ont apporté ces serviettes qui représentent leur  âar  (leur demande de protection adressée au wali Sidi Ali Ben Hamdouch). Mais selon un autre informateur ces serviettes blanches appartiennent à la moqadima de la zaouïa ; elles symbolisent la paix et la fraternité entre les deux taïfas qui vont se rencontrer.

J’ai interrogé tout à l’heure un Hamdouchi sur le pourquoi de la présence hier, dans le cortège, du drapeau bleu de Sidi Mohamed Ben Aïssa (de la confrérie des Aïssaoua). Il m’a répondu ceci :

« Sidi Mohamed Ben Aïssa est le cousin de Sidi Ali Ben Hamdouch ; et celui qui les séparerait aurait la chair dissociée de ses os ».

Ce lien est en réalité à interpréter à partir de la silsila (chaîne) mystique, pôle de l’Occident soufi auquel sont rattachées les deux confréries.

Les Dghoughiine disciples de Sidi Ahmed Dghoughi  constituent la partie la plus violente de la confrérie et du rituel des Hamadcha. Ils se frappent et se mutilent avec des hachettes nommées Chakrya, avec des baguettes de bois fixées sur un cerceau de fer formant le h’mal et avec des boulets de canon nommés zerzbana. Ils sont, dans l’orchestre, ceux qui frappent le herraz. Leur étendard est rouge, couleur  sang.

Le drapeau vert appartient aux Allaliyne disciples plus directs de Sidi Ali Ben Hamdouch. Ils sont, dans l’orchestre, les musiciens du hautbois (ghaïta) et dans la jedba, danse sacrée, les danseurs qui ne se frappent pas, ne se mutilent pas. Les Dghoughiyne se caractérisent ainsi par le fait de frapper (frapper sa tête ou le herraz) tandis que les Allaliyne se caractérisent par le souffle (souffler dans la ghaïta, souffler en dansant).

Au moment où les deux taïfas se rencontrent à Bab Doukkala elles jouent ensemble dans le mode gharbaoui

Les portes étendards d’Essaouira inclinent leurs drapeaux en signe de bienvenue. Puis les deux taïfa se dirigent vers la zaouïa. Quand ils sont proches de la zaouïa, ils commencent à jouer ce qu’ils appellent le zouak : c’est une phase intermédiaire où l’orchestre cherche un passage entre deux modes. En rentrant dans la zaouïa on joue Maâboud Allah (prière à Dieu). L’accueil se fait chaleureux, avec des embrassades fraternelles ; on offre aux invités les dattes et le lait traditionnels.

 

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La quête aumonière des Hamadcha, d'après Roman Lazarev

Nuit du 1er septembre.

Les membres de la taïfa accueillis durant la journée dorment dans la zaouïa sur la place sacrée et les pièces adjacentes à celle de la prière. D’autres chuchotent On attend l’arrivée imminente d’agents d’autorité Dans la salle de prière, au milieu de l’encens, les madihin et les notables lisent maintenant, silencieusement le Coran. La salle de prière est entièrement recouverte de tapis rouges. On voit à la qualité des coussins que tout un côté est réservé aux invités d’honneur [].

 

Vendredi 2 septembre.

À 9 heures, ce matin, le cortège des Hamadcha se dirige par Bab Doukkala vers la résidence du gouverneur de la province d’Essaouira. En tête les quatre étendards. La taïfa d’Essaouira est suivie des taïfas de Taroudant, Safi,Marrakech,Tamazt, et Demnate. Ils avancent en dansant. Devant l’entrée de la résidence une taïfa danse en attendant la sortie de la taïfa d’Essaouira qui est reçue par le gouverneur.

La taïfa d’Essaouira sort un peu plus tard avec un taureau noir et un mouton pour un sacrifice. Vient ensuite le conseil municipal en tenue de cérémonie. L’atmosphère est vite surchauffée : youyous des femmes et musique de plus en plus accélérée des Hamadcha. Mais d’un signe cette musique cesse, et le silence succède au bruit. On récite publiquement avec le public, une prière.

À 10 h 15 le cortège s’ébranle en direction de la médina. En tête du cortège, un Gnaoui de Marrakech joue avec des couteaux qu’il passe sur sa langue et ses bras sans se blesser. Derrière ce Gnaoui vient le taureau noir, tenu à la corde par un Hamdouchi. Puis le mouton. Et les étendards. Suit le groupe des femmes Haddarate avec, à leur tête, la moqadma des Hamadcha portant un bol de henné dans lequel elle trompe son doigt de temps en temps pour mettre une marque au henné dans la paume de la main des croyants. Suivent les Dghoughiyne de Demnate. Leur moqadem m’explique qu’ils sont pour la plupart des forgerons et des fellahs :

- « Pour devenir Dghoughi me dit-il, il faut apporter à la zaouïa de Zerhoun une galette de seigle et une galette d’orge, puis dormir dans le sous-sol de cette zaouïa ». Durant cette séance d’incubation paraît dans le rêve soit Aïcha Qandicha démente de la mer soit le marabout en personne pour vous ordonner de vous fracasser la tête avec tel ou tel instrument rituel sans risque pour votre santé.

Au centre de la médina, au moment où la musique rituelle atteint son comble, l’un des Dghoughi est brusquement atteint d’une crise. Il se tord par terre en implorant qu’on lui donne immédiatement sa Chakriya (hachette). Le boucher qui porte dans son couffin ces instruments redoutables, lui en offre deux. Alors, il se lève, jette son turban par terre et sautillant – comme s’il a les deux pieds liés par une corde imaginaire – il se met au rytme musical à frapper le sommet de son crâne. Les yeux hagards, le visage ensanglanté ; il laisse sur son passage une traînée de gouttes de sang. Le public fasciné s’écarte sur son passage. Ses confrères lui arrachent ces instruments d’automutilation rituelle en déversent du jus de citron sur ses blessures. Les musiciens devancés par la course folle de tout à l’heure, s’approchent à nouveau et leur saken enflamme un autre Dghoughi. Il a l’air d’un vieux boucher de campagne : la barbiche blanche mais la tête forte. Il a le corps trapu et fort des montagnards berbères. Tenant deux h’mal – une dizaine de baguettes de bois, autour d’un cerceau de fer – il frappe le sol et menace le public pour qu’il s’écarte. Il tend l’oreille pour saisir le meilleur moment musical inducteur du surnaturel et de la transe.

 

2 septembre (suite). À 19 heures le soir.

Dans la zaouïa, le groupe d’Essaouira s’est mêlé en partie à celui de Marrakech. Cela forme maintenant un cortège de 18 musiciens. C’est plus que nécessaire pour créer l’atmosphère enflammée du saken. Pour la première fois une jeune fille de 15 ans tombe en transe. On la transporte alors de la terrasse jusqu’à la place où jusqu’ici se trouvaient les hommes seulement.

Le ciel est encore du bleu du jour agonisant. On allume des bols de terre contenant de l’huile d’olive, des mèches, qui se trouvent au milieu de la place. Le Dghoughi de Demnnate se frappe la tête. Pour la première fois des gens du public tombent en transe. Un jeune homme de 18 ans perd le contrôle de ses gestes. Une autre jeune fille se roule par terre en pleurant. Elle retire son peignoir que prend sa sœur qui l’accompagne et qui paraît plus étonnée d’être parmi les hommes que de l’état de sa sœur. Un boucher me dit plus tard que la possession de cette fille cessera avec le mariage. Le public l’observe avec sympathie et compréhension. Non pas en tant que cas pathologique, mais en tant que personne en contact avec le surnaturel. La jeune fille s’effondre dès que la musique cesse. Le public se précipite autour d’elle. Dakki, le jeune hautboïste d’Essaouira leur dit :

 

« Eloignez-vous, elle n’a rien, c’est seulement le hal, apportez le brasero et l’encens »

 

Après avoir respiré ce parfum, elle sort de sa transe et va se reposer.

 

Le 3 septembre 1983, 7 heures du soir.

Au centre du rituel : la démente de la mer. Déjà, hier soir, j’ai remarqué au milieu de la place sacrée plusieurs bols de poterie autour de l’égout. Ils contiennent de l’huile d’olive, du sucre, des œufs et autres produits magiques. Le soir on les allume.

- De quoi s’agit-il ?

Le Hamdouchi auquel je m’adresse me répond rapidement comme pour cacher une vérité honteuse :

- Ce sont les femmes qui déposent ces bols-là.

Je m’approche d’un groupe de Hamadcha et je leur demande des précisions sur le même sujet. J’obtiens successivement les réponses suivantes :

- On se sert des cendres qui restent pour les maladies de la peau.

- La personne qui a subi une injustice allume un bol pour que son ennemi se consume de la même manière.

- Ces lumières sont en offrande à Aïcha Qandicha qui habite l’égout et s’assouvit du sang sacrificiel. On lui fait cette offrande lumineuse pour l’empêcher de nuire aux danseurs de la place sacrée.

Je demande à un Marrakchi :

- Pourquoi dans votre taïfa il existe deux personnages qui se mutilent l’un au couteau l’autre au feu ?

- Tous deux sont des Gnaoua venus chez les Hamadcha par ordre d’Aïcha Qandicha. C’est elle qui les protège des métaux et du feu.

Il faut remarquer que par leur métier, les Gnaoua et les Hamadcha qui se mutilent ont tous des rapports avec les métaux et le feu : forgerons, bouchers et coiffeurs pratiquant la circoncision. Pour plus de précision, je demande au même Hamdouchi :

- Est-ce que dans votre répertoire il existe des paroles qui font allusion à Aïcha Qandicha ?

- Elle apparaît dans la phase chaude du rituel. Et habite l’individu en état de transe. Dans la hadhra, on chante :

 

Aïcha la folle met le henné

Tant que dureront les jours

Elle se livrera pour boire

La part de Dieu et de son Prophète.

 

Les bols qu’on apporte au crépuscule sont appelés Sabhya (la matinale) parce qu’ils restent allumés jusqu’à l’heure du sort. Cette lumière offerte au saint devrait illuminer l’obscurité de la tombe :

 

Vieillard comme le blé déjà mûr,

Voilà le temps des moissons qui arrive !

Dieu ! Que faire la dernière nuit de la solitude ?

Lorsque toute lumière s’éteint sauf la tienne !

 

 

Le 4 septembre 1983

Le moment du saken le plus intense de ce moussem s’est produit durant la visite du président du conseil municipal. Comme si chaque participant au rituel voulait être regardé par l’homme charismatique. Il y a là une sorte de jeu de séduction et une collusion entre le pouvoir, la musique et le sacré. Mais cette affectation a cassé la transe. La musique pourtant intense n’a pas induit la transe comme d’habitude.

C’est au cours de ce moussem des Hamadcha que j’ai compris que la musique populaire est surtout une musique sacrée. Le mythe fondateur lui-même est musical. Sidi Ali Ben Hamdouch est allé avec son herraz dans un mariage. Il a joué et chanté un air de musique sacrée. Les gens séduits le suivirent jusqu’à la zaouïa et c’est ainsi qu’est née la confrérie.

 

5 septembre 1983

Après le moussem des Hamadcha, au cours de ma dérive dans la ville, je demandais à ceux qui ne participent pas leur opinion sur le moussem qui vient de se dérouler. Les réticences des vieux citadins proviennent d’un changement dans le rituel. Alors que chez les jeunes modernistes on assiste à une attitude de rejet. À titre d’exemple nous reproduisons les quatre réactions suivantes :

R1 (ancien citadin menuisier) :

« Je n’ai pas assisté au moussem car les gens du hal –de la transe-  sont tous morts. À l’époque de Si Omar le hautboïste que Dieu ait son âme il n’y avait pas de failles dans le flux musical. Maintenant les musiciens essouflés se font remplacés par d’autres, ce qui fait que des « trous » cassent l’élan musical. Jadis les femmes en transe tombaient de la terrasse. Maintenant, à peine à t-on commencé un chant de dhikr que déjà on entame la partie musicale de la hadhra. : c’est comme un film de karaté où la bagarre se déclenche dès la première scène sans raison. Le rituel est désordonné parce que les gens du hal ne sont plus là ».

R2 (ancien citadin, écrivain public) :

« Je n’ai pas assisté cette année, parce qu’il y a trop de tapage et de foule qui ne permettent plus de savourer dans le calme les morceaux de saken ».

Les réactions des jeunes sont différentes :

R3 (jeune fonctionnaire) :

« Moi, je ne vais jamais au moussem ; je préfère la plage et le bar ».

R4 (jeune fonctionnaire) :

« Ce moussem est une résurrection de la mythologie qui nous replonge au Moyen-Âge ».

 

Abdelkader MANA

22:46 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

24/10/2009

Psychothérapie

 

 

 

L'invitée du Lundi

http://www.ritaelkhayat.org/wp-content/uploads/2008/10/elkhayat.jpg

Dr Ghita El Khayat, psychiatre

Le marché de la psychothérapie

Entre le savoir positiviste et la Barak maraboutique

Entretien réalisé par Abdelkader MANA

 

Le jeudi 15 Octobre 2009 , je me rends au cabinet de Ghita El Khayat, sis boulevard d'Anfa à Casablanca, pour m’entretenir avec elle de la publication de mon future livre.

- Avez-vous un rendez-vous? M'a-t-elle demandé en me recevant

- Je suis un ami d'Abdelkébir Khatibi, je vous ai interviewé pour Maroc-Soir, en 1987...

- Ça ne nous rajeunit pas. Attendez, je vais vous voir....

Après notre entrevue je lui envoie ce message : "Dès qu'il me sera possible, je vous remettrais ce fameux article de Maroc-Soir où vous parliez déjà de vos recherches avec les Italiens…"e Lundi 12 janvier 1987, je publie comme « invité du lundi » notre regretté Abdelkébir Khatibi, sous le titre « Notre mémoire est une richesse, prenons-la en charge ». Et le lundi suivant je publiais cette interview de Ghita El Khayat, sous le titre : « Le marché de la psychothérapie entre le savoir positiviste et la baraka maraboutique ».Aujourd’hui, j’ai décidé de faire mieux : sauver de l'oubli, cet entretien 'classé dans mes archives depuis 22 ans , en le republiant sur « Rivages de pourpre ».

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Le linguiste Kenneth Pike oppose le discours émique qui est le commentaire des gens ordinaires au discours étique ou savant qui tend à remplacer la théorie populaire de la chose. ¨Pour donner un exemple directement appliqué à notre propos : l’observation d’un possédé rituel en état de transe peut donner lieu à ces deux discours.

Dans le discours émique les gens disent que la transe est produite par la présence d’un être surnaturel. Le même comportement sera interprété de manière « étique » par un psychologue comme l’effet du rythme des tambours ou encore comme l’expression d’un tempérament hystérique, etc…

Dans une société où l’individu s’efface devant le groupe on peut se demander si le transfert des concepts psychologiques des sociétés occidentales atomisées est légitime. A ce sujet, une ethnopsychiatrie maghrébine aurait beaucoup à nous apprendre. Pour Georges Lapassade : « La transe rituelle » n’est pas une hystérie, c’est l’hystérie qui est une transe. Mais c’est une transe refoulée et oubliée dans les sociétés occidentales depuis le temps de l’inquisition ». C’est pourquoi cet auteur fait la distinction entre les sociétés à transe et les sociétés sans transe.

Nous sommes donc en présence de deux modes d’interprétation savant et populaire : pour la psychanalyse l’origine de la maladie est endogène : « Ce sont les processus psychiques inconscients » pour la thérapie traditionnelle : l’origine du « mal » est exogène : l’individu est « frappé » par une entité surnaturelle malfaisante ; la possession n’est donc pas le synonyme d’un état morbide.

Ces deux modes d’interprétations impliquent deux attitudes : L’Occident rejette le « malade », le Maghreb accepte le « possédé » . Ces deux modes d’interprétations impliquent également deux modes de traitement : l’un vise à « expulser  l’intrus », l’autre à mettre en évidence le traumatisme respensable mais oublié.

Dans le marché de la psychothérapie, la psychiatrie s’entourant de la légitimité du savoir positiviste et du pouvoir institutionnel se trouve confronté à la « concurrence » de la légitimité charismatique (Baraka) des zaouïas et des marabouts : la plupart des malades préfèrent encore, les nuits bleues de la transe, les khaloua au sein des grottes et au sommet des montagnes ; au divan du psychanalyste et à l’enfermement psychiatrique.

Pour mieux cerner cette opposition entre guérisseurs traditionnels – exorcistes, voyantes, Fquih, membres de zaouia, qui sont aussi des initiés à la psychologie pratique qui en appelle à l’adhésion du malade par la Nya – et médecin moderne : nous avons rencontré le docteur Ghita El Khyat psychiatre à Casablanca très ouverte sur le monde moderne.

  • Ménager le chou et la chèvre

M.S. – Dans le discours populaire les gens disent que la transe est produite par la présence d’un être surnaturel, le même comportement sera interprété par un psychologue comme l’effet du rythme du tambour ou comme l’expression d’un tempérament hystérique. Que pensez-vous de cette opposition entre le « savoir populaire » et votre propre pratique ?

Dr Ghita El Khayat. – Moi, je récuse cette opposition. J’aime bien ménager le chou et la chèvre dans la théorie. Donc, pour moi, elles ne s’excluent pas. La théorie aussi bien populaire que savante est intéressante en soi. Celle qui a préexisté historiquement, c’est celle qui est populaire, et à ce titre, elle ne peut ni être rejetée ni ne pas être étudiée. Dons, le discours savant s’enracine dans « cette chose populaire » qui, elle-même, a au moins, peut-être un  certain « bon sens », en tout cas une certaine nécessité d’exister. Parce qu’avant le discours savant, il a bien fallu expliquer les phénomènes. Des choses extrêmement passionnantes mais souvent traumatisantes qui sont des phénomènes quasiment surnaturels. Donc, ne pas exclure et prendre les deux choses.

Mais il faut beaucoup d’expériences, donc il faut entendre parler un maximum de gens. Dans ma pratique, quand les gens viennent me voir je ne les rebute pas en leur disant : « C’est mauvais ». mais au contraire, j’essaie de les faire parler là-dessus ; sur ces pratiques populaires, ces compréhensions populaires des phénomènes de folie, de transe etc…Il se trouve que c’est extrêmement enrichissant et que ce n’est absolument pas du tout méprisable.

  • Garder ses vieilles chaussures

M.S. – Alors, es-ce que vous croyez à l’efficacité des thérapies musicales que pratiquent par exemple les Gnaoua ?

Dr Ghita El Khayat. – Vous me posez une question très directe, j’ai horreur des questions directes. Mais je pense aussi, qu’il faut tout exploiter. Je suis quelqu’un qui aime le positivisme à tout prix. Donc, pourquoi ne pas exploiter ce genre de catharsis qui est la transe pour traiter un problème psychique ? Cela dit : ça n’enlève pas le fond du problème. Il n’y a pas d’irradication de l’origine pathologique du problème visualisé par la crise. Il y a une espèce de détente musculaire, physique, psychique, somatique du problème à travers une transe mais ça en reste là. C'est-à-dire que même si c’est très bien fait et que ça donne une impression de guérison ou de bien-être ; elle n’est que temporaire. Et le problème de toute façon se repose un jour parce que la matrice de cette pathologie est inconsciente. Donc elle peut être refoulée pour un temps mais elle reparaîtra obligatoirement.

M.S. – L’aspect social, l’aspect du groupe est important dans les thérapies traditionnelles…

Dr Ghita El Khayat. – La thérapie traditionnelle utilise le groupe. Puisqu’auparavant la vie était strictement grégaire ; il y avait plusieurs groupes qui se voisinaient, qui se regroupaient, qui se séparaient, qui recommençaient. L’être humain n’était pas capable d’individualisme. Je crois que l’individualisme est une chose du XXè siècle. Je crois qu’il était hautement grégaire, que tout se passait en troupeau, en groupe. Donc que la maladie psychique ait été soignée au sein des groupes et des familles, c’est tout à fait logique et normal par rapport à l’époque. Et actuellement, avec cet individualisme caractéristique du XXè siècle - peut-être parce que notre siècle a développé des sciences, - je ne dirai pas précises mais intéressantes, pour comprendre l’individu dans ses tréfonds. Donc à travers cet essai de compréhension de l’individu, il a été possible de porter l’individualisme à son summum si je puis dire et donc d’offrir la possibilité à l’individu de se traiter seul. Une analyse est extrêmement individuelle qui ne se ressent pas d’un individu à l’autre.

M.S. – Mais on ne peut pas exclure la culture de cet individu qui dans notre pays reste très lié à la famille au sens large, au groupe professionnel, au groupe de voisinage, etc…Est-ce que le savoir occidental ne se heurte pas à la mentalité marocaine?

Dr Ghita El Khayat. – Non, il ne se heurte pas. Au cours d’une analyse il va émerger des problèmes d’un type social. C’est évident.

M.S. – A Doukkala ou Taroudant le malade utilise un langage différent de celui dont vous vous servez pour établir votre analyse…

Dr Ghita El Khyat. – Oui, mais c’est un être humain et quand vous décapez les couches superficielles de n’importe quel individu, vous retrouvez un être humain. Vous savez, j’ai fait quatre ou cinq ans d’ethnopsychiatrie pour comprendre la variabilité interethnique qui nous convainc que l’être humain est profondément un et semblable. Quand l’individu en thérapie a travaillé tout ce qui est la partie superficielle de son être, il sera fait comme l’autre, d’un certain nombre de choses.

  • La prise en charge par le groupe

M.S. – Le patient marocain et sa famille n’ont pas la même attitude qu’on trouve en Occident vis-à-vis des psychologues : ils préfèrent les Fquih, les voyantes et les marabouts…

Dr Ghita El Khayat. – Evidemment, puisque nous abordons-là un groupe de gens. Très souvent les gens viennent avec un groupement humain tout à fait important. Ils viennent à la consultation à cinq ou six personnes et c’est très bien. Parce que le malade est pris en charge par un certain nombre de personnes en même temps. Ce qui est extrêmement rassurant. Je refuse de croire personnellement que parce que nous travaillons ici que nous n’allons avoir que des difficultés, des barrages, des choses impossibles à dépasser. Ce n’est absolument pas le cas. A un moment donné, j’ai pensé qu’il faut arabiser toutes ces sciences. Or j’ai été amené à les arabiser dans le cours du quotidien. Et ce n’est plus un problème ; dire qu’on fasse une thérapie en arabe classique ou en arabe vernaculaire ou en arabe campagnard ; le résultat est le même. De toute façon je finis par me faire comprendre et je finis par comprendre ce qu’on veut me dire. En plus, il y a un langage inconscient qui existe de fait entre deux individus en présence. Tout le non-dit est aussi une chose éminemment inconsciente et importante.

  • Une espèce de commerce

M.S. – Es-ce que vous avez appris, sur la psychologie de base du Marocain, des éléments nouveaux à travers votre pratique et qu’on ne vous a pas appris à la faculté ?

Dr Ghita El Khayat. – Ah, Oui ! Tout à fait. Je veux dire, à la faculté, on n’apprend jamais tout. Heureusement d’ailleurs, si non, on n’aurait pas besoin d’aller sur le terrain pour apprendre autres choses. J’ai énormément appris dans ma pratique. En plus, je suis comme diraient les Américains « in volved » (je suis complètement concerné à tous les titres). C’est une espèce de passion qui s’alimente ; c’est la passion d’aller vers l’individu et de voir l’individu venir vers moi. Et cet espèce de commerce dans ce genre de travail, je dirai presque que c’est un honneur qu’a le psychiatre d’exercer son métier, à condition de le faire avec énormément d’humilité et de patience.

M.S. – Es-ce que vous ne pensez pas utiliser en tant que médecin moderne les ethnométhodes comme la musicothérapie des Hamadcha ou la Derdeba des Gnaoua ?

Dr Ghita El Khayat. – je vous ai dit que je ne crois pas à une guérison mais à une résolution d’une période critique. Ma profession de foi, c’est que oui, oui, oui. Pourquoi pas ? En plus c’est culturel.

M.S. – En France, certains de vos collègues ont tenté l’expérience d’introduire des guérisons africaines dans les hôpitaux…

Dr Ghita El Khayat. – Oui, ça a été fait partout. C’est un phénomène de société. Ce n’est ni étrange, ni invraisemblable….

  • L’oisiveté est de moins en moins supportable

M.S. – Quelle impression vous font vos patients ?

Dr Ghita El Khayat. – Je travaille à Casablanca. Je reçois des gens de partout du Maroc. Il est assez difficile de supporter définitivement quelqu’un qui ne travaille pas, qui ne veut pas travailler. C’est quand même une société qui évolue, qui avance, qui a besoin de tous ses membres. On n’accepte pas qu’il y ait des gens paralysés à ne rien faire. C’est la loi de l’accélération de la vie et les individus qui ne sont pas productifs pour eux-mêmes et pour la société vont être à mon avis de plus en plus rejetés.

  • L’enfermement

M.S. –Es-ce que vous êtes d’accord avec la nouvelle psychiatrie qui apparaît actuellement en Occident et qui est contre « l’enfermement ».

Dr Ghita El Khayat. – Non. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Parce qu’on a l’exemple des Etats –Unis et de l’Italie qui ont vidé leurs hôpitaux psychiatriques – je ne connais pas le résultat en Italie. Mais j’ai vu le résultat aux Etats-Unis : la société américaine est ainsi faite qu’elle pouvait se permettre cette expérience – sortir des centaines de milliers de gens qui sont eux plus de 200 millions d’habitants, donc il y a au moins 500 000 malades chroniques lourds.

Et l’année dernière à pareille époque dans l’un des premiers numéro du Time on faisait un constat lamentable : les malades étaient devenus des semi-clochards, de pauvres haires, des gens complètement désocialisés.

  • L’anti – psychiatrie

M.S. –Justement parce que c’est une société atomisée. On ne peut pas transposer cet exemple à nos sociétés africaines où le vieillard et le fou sont pris en charge par les leurs comme l’exige la solidarité familiale.

Dr Ghita El Khayat. – Tout à fait. Mais j’ai l’impression que c’est en train de changer. On garde grand-mère chez nous, on garde nos malades psychiatriques chez nous, c’est tant mieux. Mais cependant, on ne peut pas dire qu’on pet se passer d’hôpitaux psychiatriques. Ce n’est pas possible. Dans les moments féconds de la maladie mentale, je pense que le lieu même asilaire est préférable au maintien du malade dans sa famille. N’oublions pas que les premiers hôpitaux psychiatriques du monde sont arabes et musulmans : Les Maristanes. Si on fait « l’histoire de la clinique », come dirait Foucauld, le lieu d’enfermement est quand même nécessaire. Il ne faut pas se mettre du côté de l’antipsychiatrie qui dit : « Non, il ne faut pas enfermer le fou ».

  • La dérive sur le Rhin

M.S. – Foucauld parle justement des noyades des fous au moyen-âge.

Dr Ghita El Khayat. – On les mettait sur les nefs des fous et on les faisait dériver sur le Rhin. Alors, ceux qui étaient noyés étaient noyés et ceux qui étaient rejetés sur une autre rive se retrouvaient à 300 ou 500 kilomètres de chez eux. C’est aussi une manière de les enfermer : ne les ayant pas mis dans un lieu clos, on les excluait. Donc la société se nettoyait de ces éléments-là d’une manière ou d’une autre.

M.S. – Le maraboutisme est finalement plus humain que l’enfermement psychiatrique ?

  • Je ne peux pas me départir de mon statut.

Dr Ghita El Khayat. – Ecoutez, je ne peux pas me départir du fait que je suis scientifique et médecin. Je ne peux quand même pas me gargariser de choses anciennes et dépassées. Je ne peux pas faire fi de mon instruction médicale. Je me vois très mal envoyer mes malades dans un marabout.

M.S. – Es-ce qu’il y a des troubles psychiques qui relèvent de la situation spécifique à la femme ?

Dr Ghita El Khayat. – On va en débattre à Rome en juin ou en octobre prochain. Il y a une unité de recherche, une espèce de CNRS italien et il y a une division qui s’intéresse aux problèmes mentaux spécifiquement féminins et qui veut déterminer, si oui ou non, la « féminité » est une source de problèmes psychiques ou mentaux spécifiques. Nous venons ici de réfléchir à ce problème au service de psychiatrie d’Averroès : nous avons essayé de comprendre le rapport entre la condition féminine et la psychopathologie donc des troubles mentaux qui en étaient issus. Plus je réfléchis au problème, plus je suis prudente. Je pense que je dirai à mes collègues à Rome que je ne pense pas – et c’est une position personnelle qui peut lever beaucoup de boucliers - que la condition féminine ait produit un type spécifique de maladie mentale. C’est trop dangereux de dire une chose pareille. Parce que je ne crois pas personnellement que la condition féminine soit infernale. Et donc on ne fait naître des maladies psychiques féminines que de situations féminines dites intolérables, qui seraient pathogènes, parce qu’intolérables. Ma théorie là-dessus : les femmes, principalement, ne supportent pas tellement. Mais comme toute théorie, elle doit être vérifiée. C’est plutôt une intuition que la condition féminine n’est pas plus génératrice que la condition masculine de problèmes psychiques. Il peut y avoir autant d’hommes qui vont mal que de femmes qui vont mal.

M.S. – Est-ce que votre position sociale ne vous empêche pas de connaître les femmes qui n’appartiennent pas à votre classe sociale ?

Dr Ghita El Khayat. – Ah, mais pas du tout. Pourquoi ?

M.S. – Je veux dire que le lieu d’observation est aussi important que l’objet observé.

Dr Ghita El Khyat. – Oui. Mais je ne traite pas une classe sociale particulière. Pas du tout. Je crois que je m’enracine parfaitement dans toutes les classes sociales. J’estime que n’importe quelle personne a droit aux soins et que si elle fait l’effort de venir, moi, j’ai le devoir de l’écouter et de l’assister.

  • Le monde arabe au féminin

M.S. – Vous avez écrit un livre sur la femme. Je suppose.

Dr Ghita El Khayat. – Oui. Pas sur la femme. J’ai écrit un livre sur la société arabe. Et la confusion malheureusement existe entre la femme et ce livre, parce que le titre est « le monde arabe au féminin ». Ça veut dire « écrire au féminin », c’est tout. C’est plutôt un ouvrage évoquant à peu près tout ce qu’on peut évoquer de la société arabe dans le passé, dans le présent, soulevant quelques questions pour l’avenir. Ecrit au féminin, c'est-à-dire par une femme arabe, parce qu’à aujourd’hui, elles n’écrivent pas : un regard d’une arabe de l’intérieur et non pas d’une occidentale. C’est pour cela que ce livre n’a malheureusement pas été lu par suffisamment d’hommes.

M.S. – Par misogynie ?

Dr Ghita El Khayat. – Non. Parce que les plus honnêtes m’ont dit que c’est un livre de femme, c’est fait pour les femmes, nous l’avons acheté pour nos femmes.

M.S. – De quoi traitez-vous ?

Dr Ghita El Khayat. – J’ai essayé de prouver que la condition féminine est une chose qui a été élaboré par les siècles dans des repères historiques, sociaux, ethniques, linguistiques , religieux..Et que ce n’est pas parce que le XXè siècle a crée les Orientalistes. Les arabes ont une histoire très longue et antérieure à l’Islam. Donc, c’est du découlement historique et de cet espèce de brassage et de mouvance de l’être arabe que nous sommes issus.

M.S. – L’ « être arabe » est une notion assez abstraite. La réalité est nécessairement plurielle et diversifiée…

Dr Ghita El Khayat. – L’ethnopsychiatrie m’a appris le relativisme culturel. J’avais un très grand maître qui Georges Devereux qui maintenait une espèce de cohésion entre les cultures merveilleuses, parce que c’était un balancement de la pensée d’ une ethnie à l’autre et dans le temps et dans l’espace et d’une façon diachronique et synchronique. Les berbères contenus dans la civilisation arabe sont arabisés de fait parce qu’ils sont englobés dans cette société. Les Arabes et les Berbères ont une histoire islamique commune. Il y a plus de ressemblance entre un Arabe et un Berbère sur la rive sud de la Méditerranée qu’entre un Sicilien et un Arabe ou un Sicilien et un Berbère. Il y a une cohésion de fait qui est géographique, qui est culturelle, qui est celle d’un compagnonnage dans les siècles.

  • Des femmes appréciées et respectées

M.S. – Pensez-vous que la scolarité peut faire évoluer le statut de la femme ?

Dr Ghita El Khayat. – Je pense que c’est une chose extrêmement impérative dans le siècle actuel que tout le monde soit alphabétisé. C’est élémentaire. C’est quelque chose que plus personne ne remet en cause. Mais c’est un problème d’individus. Par exemple dans certaines familles on envoie à l’école le garçon pas les petites filles. Cela personne n’y peut rien parce que ça se passe dans l’intimité d’une famille. Une des solutions majeure réside dans l’alphabétisation de tous, des garçons et des filles. Il y a des femmes qui font un travail tout à fait remarquable et qui sont appréciées à leur juste valeur et qui forcent même l’admiration des hommes et qu’en plus, elles sont respectées dans le travail qu’elles font.

Propos recueillis par Abdelkader MANA

12:29 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook