06/10/2010
La deuxieme guerre du Rif
Immouzar - des - Marmoucha
Dimanche 2 octobre 1955
Il y a trois ans de cela, au mois d'octobre 2007, nous avons rencontré Ilyas Mimoun Ou Aqqa alors âgé de 97 ans. Il nous a reçu chez lui, sur chaise roulante, non loin de la cascade d'Imouzzar des Marmoucha pour nous entretenir de ses souvenirs du soulèvement armé du 2 octobre 1955 dont il était l'instigateur à l'âge de 45 ans. Né à Marmoucha en 1910, il est aujourd'hui centenaire en 2010. Le documentaire que nous lui avons consacré alors n'est toujours pas diffusé par la deuxieme chaine marocaine. Pourquoi?
Au lendemain de l'attaque - surprise , le dimanche 2 octobre 1955, d'Immouzar des Marmoucha au Sud du couloir de Taza et de Boured au Nord de ce même couloir, « la Vigie Marocaine », annonce en première page les graves incidents qui se sont produits au cours de la nuit de samedi à dimanche dans la région située au Nord et au Sud de Taza sous le titre : « 2000 rebelles des tribus tenus en échec à Immouzer - des - Marmoucha et à Berkine ».L'attaque d'Imouzzer des Marmoucha fut l'épisode le plus sanglant de l'insurrection du 2octobre 1955 : Les rebelles tuèrent dix européens et cinq goumiers. Ils purent emporter une grande quantité d'armes.
Le contexte Maghrébin était favorable à la revendication d'indépendance. C'était l'impasse en Tunisie avec la répression contre le néo-déstour, l'assassinat en 1953 du dirigeant syndicaliste Farhat Hachad, et au Maroc avec la déposition du Sultan Mohamed V et les émeutes sanglantes de Casablanca. L'option en faveur de la lutte armée se faisait sous le signe de la coopération Maghrébine. Plusieurs réunions, en 1953 et 1954, aboutirent à la reconstitution d'un Comité de la libération du Maghreb arabe siégeant au Caire.
Abd-el-krim et Mohamed V au Caire
Abbas Messaâdi
De Nador, la voiture allouée à Abbas Messaâdi servait à déplacer les armes jusqu'à une distance hors de la ville. L'armement était caché par la suite à Drius(45 kms au sud-ouest de Nador). Une quantité fut transportée à Immouzar Marmoucha par Mimoun Ou Aqqa, Ahmed Dkhissi et Lhoucine Marmouchi. Tout acheminement se faisait de nuit, soit à dos de mulet, soit à dos d'hommes.Dans la foulée de ces dramatiques évènement, la presse de l'époque annonce le départ du Roi fantoche Ben Arafa vers Tanger, ainsi que la constitution d'un conseil du trône composé du Grand - Vizir Mohamed El Moqri, de Si Bekkaï, ancien Pacha de Sefrou, de Si Sbihi pacha de Salé, et de Si Tahar Ou Assou caïd des Alaham ,(ce dernier est le fils de Ali Ou Assou le caïd des Alaham, qui était venu avec sa harka dans le sillage du colonisateur pour mater la rébellion Marmoucha en 1926). C'est son fils qui est nommé par le résident général, le 16 octobre 1955, comme membre du Conseil du Trône. Juste après l'indépendance, on retrouvera ce même Tahar Ou Assou, gouverneur de « Marrakech-Safi-Essaouira » : allez comprendre quelque chose à l'histoire politique du Maroc...Ceux qui ont véritablement contribué par leur lutte à l'avènement de l'indépendance sont restés à l'ombre jusqu'à la mort. C'est le cas d'Ilyas Mimoun Ou Aqqa que nous avons rencontré presque centenaire près de la cascade d'Imouzzar des Marmoucha, là même où ,un demi siècle plutôt, il avait dirigé le commando qui mena l'attaque contre le poste des goums , le 2 octobre 1955 à 0 heure. Mission dont l'avait chargé personnellement Abbas Messaâdi, membre fondateur de l'Armée de Libération du Maghreb.
Ce dernier qui était alors chargé avec Sanhaji, de la résistance de la zone Nord et du Maroc Oriental, avait alors adressé aux hauts responsables de l'A.LM., une lettre en date du 11 août 1955, où il affirmait qu'il était en train de former 15 personnes au maniement des armes, au bord de la Moulouya, et dans les parages de Nador.Il était écrivait-il obligé de « porter la djellaba, de s'enrouler la tête d'un turban et de voyager dans un autocar « dégoûtant » roulant sur une piste épouvantable, ne pouvant dépasser vingt kilomètre à l'heure, pour contacter des personnes ressources et former des paysans ! » .
Larbi Ben Mhidi le 23 janvier 1957
Abbas Messaâdi était chargé avec l'algérien Larbi Ben M'hidi d'entraîner et de former militairement ces frustes montagnards, au bord de la Moulouya, d'en faire les premiers éléments de l'Armée de Libération du Maghreb naissante. C'est d'ailleurs ce noyau primitif de la résistance Maghrébine qui formera à son tour les commandos qui seront éparpillés dans les montagnes rifaines et du Moyen-Atlas . Lesquels entrainements servaient aussi à preparer la fameuse Bataille d'Alger : Ben M'hidi finira par y laisser la vie....
Le témoignage d'Ilyas Mimoun Ou Aqqa
Ce simple Mokhazni du protectorat à Tagnift de 1937 à 1955, soit 18 ans de bons et loyaux services,Ilyas Mimoun Ou Aqqa va progressivement se convertir au nationalisme par ceux-là mêmes dont il était le géolier du temps du protectorat. C'est une « apparition surnaturelle » de Moulay Idriss qui était à l'origine de sa conversion au nationalisme en le convaincant de choisir définitivement son camp ; celui des damnés de la terre :
« Le début de mon engagement dans la résistance a commencé du temps où j'étais Mokhazni du côté de Béni Mellal. J'ai vécu 16 à 18 ans là-bas. Des gens de Wawizeght venaient d'être emprisonnés. Ils étaient six condamnés aux travaux forcés à Tagnift. Le Makhzen d'alors nous a chargé de les surveiller de près et de les mater sévèrement au besoin pour qu'ils reprennent le droit chemin. J'ai dit : « D'accord ». Au moment de toucher ma paie, un de mes amis qui était au bureau, m'invita à déjeuner :« J'ai des secrets à te confier... » Me glissa-t-il.
Et au cours du repas, il m'a demandé si j'étais au courant, que des nationalistes parcouraient ces contrées en allant au devant des tribus ? « Mais qui va m'en informé, lui- répondis-je, puisque je suis considéré du mauvais côté , celui des colonisateurs français. De quoi s'agit - il ?»
« Nous autres les nationalistes, me rétorqua-t-il, on te considéré comme des nôtres. Même si tu n'avais pas assisté à la réunion clandestine, on t'a compté parmi les nôtres. Il va bientôt arriver par ici un chérif à qui tu dois prêter serment. ». Le soir le dit chérif est arrivé et je lui ai prêté serment. Il m'a recommandé bouche cousue, après quoi je suis parti au bureau. En s'en approchant, je l'ai trouvé entouré de tentes. J'ai alors demandé au gardien :
« Pourquoi tant de surveillances ? »
Il m'a répondu :
« Nous avons reçu l'ordre de nous rendre aux Skhounate.
« Où se trouve cette localité ? »
« Chez les Marmoucha. » Me répondit - t -il.
« Ma maison se trouve à 2 ou 3 kilomètres de ce lieu - dit. Je vais donc vous accompagner ! » lui dis-je.
Le lendemain, je me suis retrouvé dans cette montagne. J'étais accompagné de quelqu'un. Nous étions en conciliabule à la lisière de la forêt, quand des gens surgirent de nulle part. Certains portaient des turbans, d'autres non.
A leur approche, nous nous sommes enfuis vers le plat pays, là où partout des fleures surgissent du sol : des rouges, des mauves, des jaunes. Je demande à mon compagnon : « D'où vient tant de fleurs ? »,« De Moulay Idriss. »Me répondit -t-il.J'ai alors commencé à errer. Les échos du nationalisme tournoyant dans ma tête. J'ai dis à un ami :« Nous autres qui travaillons pour le Makhzen, les Français nous considèrent comme leurs enfants, pourtant l'appel du nationalisme m'interpelle. » Il me rétorqua : « Tais-toi ! N'évoque pas cela ! Les Français parviennent à dénicher ce qui est souterrain, alors n'en parlons pas de ce qui est visible sur la surface de la terre ! »
Un peu plus tard, j'ai eu la visite de l'un des prisonniers que j'ai connu à Beni Mellal. Dés sa descente du bus, il m'a dit :« On m'a envoyé de Casablanca. »
« Pourquoi vous continuez à me poursuivre ?! Lui dis je. C'est à cause de vous que j'ai perdu mon emploi au Makhzen !
« Nous avons déjà travaillé avec toi en prison, me rétorqua -t- il.. On a vu comment tu nous traitais, en nous disant :« Si vous voyez le capitaine ; au travail ! Mais si vous ne le voyez pas, dodo ! » Il faut que tu nous dise, quant es ce que tu vas nous rejoindre à Beni Mellal ?
« Nous avons ici une boutique et les Français veillent au grain... » Leur -dis-je.
« À telle date, on se reverra à Moulay Yaâkoub, me dit le mystérieux visiteur. Tu porteras une écharpe jaune et notre émissaire des lunettes rouges. C'est par ces signes que vous allez vous reconnaître mutuellement. »
En quittant Immouzar-des Marmoucha, j'ai dis à mon frère :
« Si quelqu'un demande après moi, dit lui que tu ne sais pas si je suis mort ou vivant ! »
C'est à Safsafat que nous avons rencontré notre contact. On l'appelait Haj Ben Qaddour. Il état accompagné d'un résistant des Doukkala dont j'ai oublié le nom. Ils ont téléphoné à Abbas en lui disant :
« Le Monsieur est avec nous. » Abbas nous rejoignit par la suite à Tétouan :
« Maintenant que tu es arrivé saint et sauf, me dit - il, rendant grâce au Seigneur, car tu étais menacé d'arrestation à tout moment ! »
Abbas Messaâdi est arrivé avec l' un de ses amis qui poursuit ses études à Bab el Khoukha à Fès :« On t'a dénoncé à la police, lui dit ce dernier. Ils viendront te chercher ce soir. »Un mouchard est allé nous dénoncer à la police.
L'inconnu venu d'Egypte se lève alors en disant à Abbas :
« Je m'en vais, les armes qui arrivent au Maroc passeront par tes mains. Tu auras une somme d'argent, et je t'indiquerais les centres de l'armée de libération. Vous pouvez constituer les premiers noyaux de cette armée. »
L'égyptien était un émissaire de Nasser qui soutenait les mouvements de libération nationale maghrébin. C'est au Caire, en effet que naquit le 9 décembre 1947 le comité de libération du Maghreb Arabe. C'est là, que l'émir Abd-el-krim, publia le 5 janvier 1948,un manifeste signé par les représentants des principaux partis nord-africains, où tous s'engagent à lutter pour l'indépendance et rien que pour elle et à n'accepter aucune négociation préalable.
Les armes expédiées d'Egypte par Nasser et Abd el Krim étaient destinés aux armées de libération du Maghreb. Une fois réceptionnées à Nador, ils ont étaient répartis entre Algériens et Marocains. La plus grosse partie des armes servira à la bataille d'Alger, le reste a été destiné principalement à Boured, Tizi Ousli et Aknoul chez les Gzenaya, à Berkine chez les Bni Waraïn, et à Immouzar - des - Marmoucha.
« Avez-vous des résistants ? », Me demande Abbas Messaâdi.
« Nous en avons. » Lui dis je.
« Combien ? »
« 400. Essentiellement des déserteurs de l'armée Française. »
Nous sommes resté à Nador jusqu'à la livraison des armes en provenance d'Egypte. Nous étions cinq personnes à réceptionner le yacht pour récupérer les armes. Voyant que je suis taciturne, Abbas me dit :
« Pourquoi ce silence ? »
« Devons nous, nous attaquer aux colons ou aux Cheikhs ? Lui dis-je. Car tuer les Cheikhs serait une erreur qui risque de nous mettre à dos leurs tribus d'origine, avant même que ne commence la bataille contre les colons.On risque de réveiller les vieux démonts du tribalisme!. »
« Donnes - moi ta photo, me dit-il finalement. C'est toi qui es désigné pour l'attaque d' Immouzer des Marmoucha, Ben Qaddour s'occupera de celle de Berkine. »
Vue de Berkine
Les armes furent transportées jusqu'à Aïn Zorah. Mais une fois arrivés à Tlat Boubker, des gardes espagnols ont arrêté les convoyeurs d'armes et les ont conduits au commandant pour vérification d'identité. Ils ont prétendu qu'ils se rendaient en visite à leurs familles. Le commandant espagnol leur a répondu qu'il n'était pas dupe, qu'il comprenait leur lutte, et les laissa continuer leur chemin. Ils ont parcouru de grandes distances jusqu'à ce que le soleil se lève sur la kasbah de Msoun. De là ils ont continué vers Safsafat, où à la tombée de la nuit, on les a muni de mulets pour transporter les armes vers Berkine d'une part, et vers Imouzar des Marmoucha d'autre part. A l'approche de celle ci, en passant devant un hameau où des gens étaient en palabre, Ilyas a pu entendre l'un d'eux dire :
« Je soupçonne ces mulets d'être des convoyeurs d'armes, car je peux d'ici sentir la poudre! »Tout le monde se mit à rire de sa remarque sans trop lui accorder l'importance qu'elle mérite !
Les armes à la manière dont les bergers transportent à dos de mulets les tentes de la transhumance. Je suis arrivé à Immouzar - des - Marmoucha, en longeant l'oued. Une fois à la maison mon frère qui y recevait des gens me dit : « Où as-tu disparu ? Les Français te cherchent partout ! ». Avec l'aide de mes trois frères, nous avons caché les armes dans la montagne.
Une fois chez lui, Ilyas Mimoun Ou Aqqa organise une réunion clandestine pour la répartition des tâches. Il y avait là des membres originaires de différentes fractions Marmoucha : Aït Mama, Aït Messad, Aït Bazza, Aït Samh, Aït Lahcen, Aït Youb, et Aït Benaïssa. Tous les fractions Marmoucha étaient là. C'est au cours de cette réunion qu' Ilyas fait part de la décision d'Abbas Messaâdi de mener des attaques simultanées contre tous les postes ennemis, le 2 octobre 1955 à zéro heures. Le plan d'attaque d'Immouzar - des -Marmoucha, visait les points névralgiques suivants :
§ La résidence du commandant « Baud »
§ La caserne militaire, située au centre d'Immouzer- des -Marmoucha.
§ La caserne des Forces Auxiliaires, aux environs de la cascade.
§ Le domicile du garde forestier.
Immouzer-des -Marmoucha allait connaitre l'attaque la plus violente au Moyen Atlas. Le plan consistait à attaquer simultanément tous les points névralgiques, puis de se retirer au mont Bou Iblane, où la résistance peut se réorganiser avant d'attaquer à nouveau les forces coloniales, à la manière de la guérilla rifaine. Ils étaient 120 résistants.
Une fois qu' Ilyas les a informé que le moment d'en découdre est arrivé, les participants à la réunion clandestine se dispersèrent Chacun pris la direction du lieu d'attaque qui lui est assigné. Ilyas se dirigea avec un groupe armé vers les cascades, objet d'une surveillance sévère:
" Un détachement militaire se dirigeait vers la forêt. Ceux qui s'y cachaient s'enfuirent. C'est à ce moment là que nous avons attaqué le bureau des affaires indigènes. Dkhissi Ahmed était le chef de la cellule qui s'est attaquée à la caserne des forces auxiliaires. Cinq résistants parmi lesquels Maghis Mohamed Ou Aqqa - qui a défoncé la porte du dépôt d'arme - ont attaqué l'armurerie, qui était sous la garde de quelques soldats, qui se sont enfuis par la fenêtre et se mirent à tirer sur les résistants, tuant sur le coup mon frère Maghis Mohamed Ou Aqqa."
Les assaillants s'emparèrent du poste d'Immouzar-des-Marmoucha : le magasin d'armes permit aux résistants de récupérer 300 fusils mortiers 60, plusieurs fusils mitrailleurs et plusieurs dizaines de pistolets mitrailleurs. Cependant la plupart de ces armes étaient inutilisables parce qu'on avait pris la précaution de leur retirer les culasses.
"Dés le début de l'attaque, le gardien a tiré en direction des Moujahidines. Mais une des balles de ces derniers le tua sur le coup. Les Moujahidines ont occupé la caserne jusqu'au matin. Quant à l'attaque du garde forestier, elle a aboutit à la mort de ce dernier ainsi qu'à celle de sa femme. Chevauchant leurs bêtes de somme, deux indicateurs - il s'agit du suppléant du Cheikh et du directeur de la coopérative agricole - quittèrent la localité et se dirigèrent vers le village de Serghina, de là ils se rendirent à Boulman où ils informèrent le commandant de l'attaque infligée au bureau des Affaires Indigènes d'Immouzar. Informée, l'état major de Fès envoya immédiatement un avion de reconnaissance, suivi de bataillons de tanks et d'artillerie."
"Notre occupation du bureau des Affaires Indigènes dura jusqu'au matin du 2 octobre 1955. C'est alors qu'au ciel les avions firent leur apparition. Nous nous sommes empressés de libérer les prisonniers,leur disant :
« Aujourd'hui, il y aura un soulèvement général dans tout le Maroc ! »
Nous leur avons ordonné de rejoindre leurs hameaux, pour y inciter leurs familles à rallier la résistance. Dés le levé du soleil, des dizaines d'individus, hommes et femmes, affluèrent de partout vers le centre d'Immouzer."
Il était 8 heures du matin, le 2 octobre 1955, quand apparut au ciel un avion français en provenance du Sud-Ouest. La fumée s'élevait encore au dessus du village. L'avion a tournoyé plusieurs fois au dessus des villageois avant de repartir vers sa base arrière. Quinze minutes plus tard, cinq avions se mirent à bombarder les positions où se sont regrouper les habitants. La résistance a combattu avec courage jusqu'à 14 heures, où sont apparu les forces terrestres avec tanks et colonnes en provenance des bases militaires de Fès et de Meknès.
« La Vigie Marocaine » du mardi 4 octobre 1955, titre ainsi « le calme est revenu à Immouzer-des- Marmoucha, où de nouveaux morts ont été identifiés » et l'auteur de l'article de poursuivre :« Le calme est revenu ce matin entièrement à Immouzer-des- Marmoucha après la tragédie de la nuit de samedi à dimanche. Quelques rares journalistes ont pu atteindre la petite cité martyre grâce à des convois militaires qui assurent les liaisons entre Boulmane et Immouzer d'où aujourd'hui tous les blessés et tous les morts ont été évacués. D'après les témoins qui ont pu être interrogés, c'est à la faveur d'une nuit claire que les assaillants ont rampé lentement vers les maisons dans lesquelles en toute confiance, reposaient les familles. Ce fut alors brusquement en plein sommeil, un épouvantable cauchemar pour les victimes de scènes atroces dont certaines ont tenté d'échapper en se dissimulant dans les pièces retirées des appartements, où finalement, elles succombèrent.Des meubles ont été éventrés, calcinés, les fils téléphoniques ont été coupés et les machines à écrire du bureau des affaires indigènes, lui-même incendié, ont été brisé contre les rochers. Décor de tragédie également dans la villa du capitaine Chaussier dont la femme et les deux enfants ont été massacré.Il semble que les assaillants dont certains se trouvent encore dissimulés non loin d'Immouzer et tiraillent parfois, aient été armés minutieusement par les soins d'approvisionneurs auxquels s'intéressent particulièrement les enquêteurs. Interrogé à Fès par un journaliste américain, le général Bertron a déclaré que vendredi dernier, lui avait été signalé la présence d'un commando venant de la zone espagnole qui se trouvait au sud de Mezguiten, mais dont la trace a été perdue. Le général Bertron a précisé que le commandos était armé de carabines espagnoles. Le général Bertron a encore déclaré qu'à la suite des évènements qui se sont produit en tribu le 2 octobre, une certaine nervosité s'est manifestée au sein de la population européenne de la ville de Fès. »
Chez lui, le commandant d'Imouzzar fit face à trois maquisards Marmoucha . L'un était de la fraction Benaïssa, les deux autres étaient des Aït Makhlouf, la fraction d'où est issu Mimoune Ou Aqa. Le commandant en faucha deux à la mitrailleuse. Ils moururent sur le coup. Les combats se poursuivirent ainsi, jusqu'à la fin de l'après midi. Les tanks arrivaient. Les militaires arrivaient. Ils étaient accompagnés des tribus qui encerclent les maquisards. Ceux-ci prennent le maquis en escaladant les montagnes environnantes et en suivant leurs crêtes jusqu'à Nador. En première page,« La Vigie Marocaine » du mardi 4 octobre 1955, sous le titre « Nos troupes traquent les groupes rebelles », écrivait :
« Chassés des postes qu'ils avaient occupés et incendiés les hors - la - loi se sont engagés dans la montagne où sont maintenant engagés des opérations de nettoyage. La révélation que fit hier, à sa conférence de presse le général Bertron, frappa tout le monde de stupeur. Ce furent trois commandos de la zone espagnole qui, à 400 kilomètres du sud du Rif, menèrent la première attaque surprise de nuit sur le poste d'Immouzer-des-Marmoucha et massacrèrent les européens de ce centre. Qu'une telle infiltration soit possible, c'est certain, mais on juge par là même de l'audace d'un plan qui fit infiltrer si loin de son centre de départ une telle troupe et son armement, vraisemblablement par Mezguiten, Guercif et Berkine. »
Un autre article de ce même journal en date du lundi 10 octobre 1955, écrit sous le titre « des bandes rebelles des Marmoucha tenteraient de rejoindre les groupes du Nord » : « Dans le secteur sud en pays Marmoucha et Berkine, on signale de ce dernier centre, la soumission d'une fraction des Aït Makbel, comportant un millier d'habitants. Cette reddition a eu lieu hier, vers treize heures trente.
Un fusil - mitrailleur et deux fusils anglais ont été rendu par les Aït Smint à Berkine hier après midi »
En réalité les Aït Makbel et les Aït Smint sont des transhumants montagnards Bni Waraïn. Ce qui veut dire que de son côté Ben Qaddour chargé par l'Armée de Libération de l'attaque de Berkine, a finalement réussi à rallier à sa cause, ces tribus Bni Waraïn.
« La Vigie Marocaine » du vendredi 7 octobre 1955 annonce que « les rebelles Marmoucha rendent leurs armes ». Selon cette publication :
« Le bilan des armes rendues par la fraction Marmoucha ayant fait leur soumission est la suivante : armement français( qui avait été volé pendant l'attaque du poste) 110 fusils et mousquetons ; 6 fusils mitrailleurs ; 7 pistolets mitrailleurs ; 7 pistolets automatiques ; une mitrailleuse ; 2 bazooka ; un pistolet signaleur et un mortier.Armement étranger : 4 fusils anglais ; 2 fusils mitrailleurs anglais ; 4 pistolets automatique Allemand. »
Les fuyards prirent la direction de l'oued Melellou, dans une région entièrement couverte d'alfa, où ne pousse aucun arbre. De peur d'être repérés par les avions , Ilyas Mimoune Ou Aqqa ordonne à ses camarades de se terrer, en creusant des trous et en se recouvrant d'alfa de manière à demeurer invisibles aux militaires Français qui les poursuivaient. Vers 8 heures, Saïd Ou Qasso, qui était chargé de la surveillance, vint les avertir, que les Tanks ennemis arrivaient du côté de Taza, de là même où ils comptaient traverser en direction de Nador dans le Rif. Ils comprirent alors qu'ils étaient dénoncé par un certain Mzroud ,qui avait déserté leurs rangs. Après l'éloignement des tanks ennemis et à la faveur de la nuit et du brouillard accompagné d'averses ; une galette de seigle est remise à chaque groupe de cinq combattants. Ils passèrent ainsi la nuit dans la forêt et au levé du jour, ils poursuivirent leur marche vers Nador où un commandant espagnol les convoqua pour leur dire :
- Maintenant vous pouvez rentrer chez vous. Vous avez notre garantie. »
- Nous ne reviendrons chez nous, qu'après le retour du Roi, lui répondit Mimoune Ou Aqqa. Car nous avons un grave litige avec les Français. Si vous, espagnols vous respectez vos engagements, nous devons rester ici jusqu'à ce que notre retour soit assuré.
- D'accord. » Leur répondit le militaire Espagnol.
" La déposition de Mohamed V était à l'origine de l'insurection
« Si je savais que vous alliez faire tout cela, je serais venu avec vous. Maintenant, soyez en paix par la grâce de Dieu, vous qui n'avez pas trahi. »
« Il n'y a pas de traîtres parmi nous, lui rétorqua Mimoune Ou Aqqa. Les Marmoucha sont tous fidèles au Roi. Ils sont tous des nationalistes. A l'indépendance du Maroc, on m'a désigné caïd à Beni Mellal, et mon ami caïd à Missour. Les autres ont rejoint soit les Forces Armées royales, soit les Forces Auxiliaires. Depuis lors, nous sommes restés là, sans que plus personne ne demande de nos nouvelles." Des cocus de l'histoire? Is ont risqué leurs vies et celle de leurs familles, Ilyas y avait laissé celle de son frère Maghis qui aurait pu vivre centenaire comme lui, pourtant "depuis lors" plus personne n'a demandé de leur nouvelle, plus personne ne sait où se trouve Immouzer des Marmoucha qui continue à ronronner au milieu des ruines des vieilles bâtisses de la colonisation....
En 1956, Abbas Messaâdi et Sanhaji s'occupaient des commandos comme avant. Bien que certains éléments abandonnèrent le front pour rejoindre les villes les plus proches, le gros de l'Armée de Libération demeurait à ses postes et obéissait à leurs anciens chefs de Nador. Sanhaji fut convoqué au Cabinet Royal à Rabat le 9 juin 1956 à 9 heures. Avant de quitter Nador, il fixa un rendez-vous à Abbas à Taza pour le 8 juin 1956. Sanhaji l'attendit au domicile du gouverneur comme prévu jusqu'à 11 heures. Les deux responsables se rencontreront non loin de Taza où Sanhaji fit savoir à Abbas Messaâdi son départ pour Rabat. Mohamed V lui proposa alors d'aller en pèlerinage à la Mecque. Sanhaji fit savoir au Souverain que : « les circonstances actuelles ne me permettent pas d'effectuer le pèlerinage. L'armée de libération est convoitée par les partis politiques qui cherchent à l'exploiter à des fins personnelles. »
Pendant que Sanhaji se trouvait à Rabat, Abbas Messaâdi souffrant, se rendit à Fès pour consulter un médecin. Il se dirigea chez Belcadi à Bab El Khokha. A peine installé, il fut invité par Hajjaj qui était un ancien résistant à Casablanca et avait rejoint Tétouan comme réfugié politique. Après la déclaration de l'indépendance, il devint chef d'un commando qui opérait dans la région de Fès et obéissait au parti de l'Istiqlal. Abbas fut donc invité par Hajjaj au domicile de El Haj Ben Allal, membre très influent du parti à Fès. C'est dans cette maison qu'il fut arrêté par un groupe de personnes qui le transportèrent à Aïn Aïcha. Abbas Messaâdi dut succomber en cours de route : sa dépouille fut retrouvée inhumée dans un champs à Aïn Aïcha, dans la région de Taounate au Nord de Fès. Selon Mellal Qaddi, qui fut envoyé par Abbas Messaâdi à Casablanca, le 25 juin 1956 pour faire des achats au profit de l'Armée de Libération Nationale :
« Abbas fut enlevé à Fès et les kidnappeurs prirent la direction de Taounate. Aussitôt j'ai téléphoné à Nador à Sanhaji que j'ai trouvé dans une colère extrême. Il me fixa un rendez vous à Taza le lendemain matin., soit le 28 juin, chez M'hamed khyari, gouverneur de Taza, qui était leur ami. »
A Taza, Sanhaji pria le gouverneur de contacter le gouvernement ou directement le Roi, pour que l'affaire Abbas Messaâdi soit considérée dans les quarante huit heures. Autrement, ce serait à l'Armée de Libération de régler le problème à sa façon. Surprise ! L'arrivée du Prince Moulay Hassan fut annoncée. Il fallait se dépêcher pour l'accueillir à la base de Taza. Effectivement, SAR débarqua en secret et sans escorte de l'avion, accompagné de Driss M'hamdi ministre de l'intérieur. Il portait la tenue kaki et la casquette de Général. Le gouverneur lui présenta alors Sanhaji et Mellal. Tous les cinq prirent la direction de la préfecture de Taza. Dans une salle de la préfecture, le Prince s'adressa aux quatre hommes en ces termes : « Messieurs, Sa Majesté le Roi Mohamed V désire que le calme et la paix règnent dans la région et que l'Armée de Libération intègre les fonctions publiques et les rangs des Forces Armées Royales du Maroc indépendant. Quant à l'affaire Abbas, elle sera réglée par moi-même. »
Selon le témoignage de Mellal Qaddi :
« Au cours de l'interrogatoire des suspects arrêtés du commandos de Mohamed Hajjaj, deux éléments qui avaient participé au meurtre, passèrent aux aveux.. Il s'agissait d'un certain M'barek Marzouki et d'Ahmed Mounir qui indiquèrent l'endroit où feu Abbas Messaâdi était enseveli. C'était à Aïn Aïcha, neuf kilomètres au Sud de Taounate, dans un champ fraîchement labouré où on trouva le corps de la victime couvert de mottes de terre. On le déterra, déjà en décomposition avancée, et on le mit dans une couverture. On trouva la voiture du martyre au fond d'un ravin, elle était balancée certainement du haut d'une pente raide. Abbas Messaâdi sera finalement enterré à Fès. En signe de reconnaissance, le Prince attribua au martyre Abbas Messaâdi, le grade de commandant à titre posthume. »
Compagnon de route à Nador et au bord de la Moulouya, le chef de la zone Oranaise, l'Algérien Larbi Ben M'hidi fut lui aussi capturé et assassiné le 23 janvier 1957, dans « la bataille d'Alger » confiée à la dixième division parachutiste du général Massu. Avec la disparition de Abbas Messaâdi et de Larbi Ben M'hidi, ce sont deux des plus hautes figures historiques de la résistance Maghrébine qui disparaissent ainsi mystérieusement à l'aube de l'indépendance, en pleine lutte des clans pour la prise du pouvoir.
Abdelkader MANA
11:27 Écrit par elhajthami dans Histoire, Le couloir de Taza, Témoignage | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : le couloir de taza, la guerre du rif, marmoucha | | del.icio.us | | Digg | Facebook
28/09/2010
La porte du Sahara
Tariq Lamtouna : la voie des Almoravides
Au milieu de paysages dénudés qui annoncent déjà le désert, des oasis sporadiques émergent ça et là, comme dernier refuge d’une culture qu’irriguent de multiples courts d’eau descendant des derniers contreforts de l’anti – atlas pour former le fameux oued Noun qui donne son nom à tout ce Maroc présaharien. Au-delà de l’anti-atlas , s’étend une vaste zone semi – désertique où voisinent les montagnes et les oasis . C’est le Maroc saharien. Quelques greniers collectifs comme ceux d’Imtdi , fraction des Aït Harbile, reflètent la vieille tradition villageoise du Sous extrême. Ce sont des greniers à caractère de citadelles imprenables construites souvent sur un éperon rocheux. Ces Agadirs inaccessibles servent de magasins pour des tribus semi – pastorales. Ils se dressent encore émouvants à chaque piton rocheux du Bani dont la chaîne étroite et vive comme un arrêt, veille le long du désert.
Grenier collectif d'IMTDI, fraction de la tribu des Aït Harbile
C’était un rempart naturel , au lieu même où deux mondes se rencontrent ; celui des nomades avec les sédentaires. Les oasis du Noun et du Bani , constituent la limite et la frontière du pays des sédentaires et des nomades.Mais aussi le lieu de rencontres et d'échanges, comme en témoigne Brahim Assaka chez les Aït Harbile:
Mahfoud Amangar et Brahim Assaka chez les Aït Harbile
"Nos aïeuls allaient à Tindouf. Ils y vendaient sel et dromadaires. Ceux de là bas venaient pour acheter nos céréales et nos ovins. Mes parents que Dieu ait leur âme allaient au moussem de Tindouf. Le trajet nécessitait une dizaine de jours environ. Moi-même je me suis rendu à Tindouf, en 1968, 1969, 1970. On amenait nos légumes à ce moussem d'où on ramenait dromadaires, tissus et quincailleries. On y vendait, on y achetait. Tout allait bien. Le moussem de Tindouf avait lieu le mois de mai. Les gens s'y rendaient pour en ramener des marchandises. Il passaient par Assa, Zag et puis Tindouf.".
Amhirich au sud de Goulimine, le principal souk régional de l'oued Noun
Amhirich au sud de Goulimine, est le principal souk régional nous assure Mahfoud Amangar de cette même tribu des Aït Harbil :« Les gens du Sahara s’y rendent ainsi que ceux de Mauritanie et du Mali. On y vient de Dakhla, de Smara et de Laâyoune. Ceux de l’intérieur s’y rendent aussi , d’Agadir et des Doukkala ».
Vestiges de Noul Lamta, l'Almoravide au Sud de Guelimine
Lorsque la ville de Noul Lamta l’Almoravide s’effondra au 12ème siècle sous les coups des Almohades, c’est Tagaost, qui existe encore sous le nom de Ksabi qui allait jouer un rôle important dans le commerce transsaharien . Léon l’ Africain qui séjourna treize jours dans cette ville en 1513 pour y acheter des femmes esclaves la décrit en ces termes :
La danse de la Gadra, ou "Rguiss" est spécifique à l’oued Noun. La gadra , en tant que marmite est aussi un instrument de percussion. C’est à l’origine un simple ustensile de cuisson qu’on a métamorphosé en instrument de percussion. La Gadra est donc en rapport, avec le feu sacré en tant qu'élément fondamental de la vie célébré ici par un rite : ces chanteuses qui « réchauffent » qu’on appelle hammayâtes, et ces chanteurs qu’on assimile au feu, appelé « Nar ». La danse elle- même est circulaire et donc solaire.
En allant de Sijilmassa à Wallata , Ibn Battouta s’y est arrêté au mois de mars 1352. Selon le célèbre globe trotter tangérois :
«Les dalles de sel gemme extraites par les esclaves du Massoufite tributaires de l’Empire du Mali sont transportées au Soudan. La nourriture des mineurs vient à la fois du sud Marocain, les dattes et du Soudan, le mile. »
Ibn Battouta nous montre les Massoufite ancêtres des hommes bleus associés à la vie du Mali. Il n’est donc pas étonnant que certaines musiques soudanaises soient à la fois appréciées au Soudan et au Sahara. Si bien qu’aujourd’hui, la musique au Sahara semble composée d’un ensemble d’éléments négro-berbères tardivement arabisés.
Géographie humaine! Dans cette région cohabite l'ahouach Berbère des Aït Harbil
le Tarab Hassani des Aït Oussa et les Ganga de l'oued Noun!
"Azawane", L'orchestre des Aït Oussa en pays Tekna
La guitare électrique a remplacé la tidinit des griots de jadis
Ce paysage austère et pluvieux revêt des allures poétiques pour l'épilogue d'un chant nomade :
Nos gîtes de campagne,
Sont dressés là - même où sont nos racines Sur cette étendue désertique frappée d'éclaires. Doux rêve d'hiver, sous la fine pluie et sous la tente Parfum d'herbes sèches, s'évaporant du milieu des oueds. Lointaines rumeur des bêtes sauvages. Cérémonial de thé, entre complices de l'aube. Crépitement de flammes consumant des brindilles desséchées Et avec le jour d'hiver qui point Chaque amant rejoint la tente des siens. Vision du désert comme centre de rayonnement mystique et comme source d'inspiration Les Ganga de l’Oued Noun
Les ganga de l'oued Noun, rappellent le temps où la kasbah du cheikh Bayrouk, était l'aboutissement des caravanes, en provenance d'Afrique. Lieu d'échange, l'oued Noun est aussi un carrefour culturel où on retrouve l'ahouach berbère de l'anti - Atlas, celui des Aït Harbile et des Aït Baâmrane, les rythmes africains Ganga, ainsi que la Gadra de l'oued Noun mêlée au tbal et au chant Hassani..
Les gangas de Guelmim (la porte du Sahara)se distinguent par un répertoire à forte influence bédouine notamment à travers le dhikr et le madih à forte connotation mystique. Dans leur chant on invoque la beauté de l’esclave m’birika (sobriquet qu’on lui donnait par référence à son maître le cheikh Bayrouk de l’Oued Noun) femmes que ramenaient les caravanes du Soudan :
Comme les filles du Soudan sont belles !
M’birika ô ma belle, on t’a amené du Soudan
On n’était pas fatigués et tu n’étais pas épuisée
M’birika ô ma belle,quand on t’a amené du Soudan
En reliant St Louis au Sénégal à Mogador vers 1850, Léopold Panet, le premier explorateur du Sahara, décrit sa rencontre avec le cheïkh Bayrouk pendant son séjour à Noun, où il avait assiste à une fête d'accueil d'une caravane en provenance de Tombouctou :
« Pendant mon séjour à Noun, j'y fut témoins d'une fête magnifique. C'était le 12 mai ; la veille, on savait qu'une grande caravane revenant de Tombouctou devait arriver le lendemain, parce qu'elle avait envoyé faire louer des tam-tams pour fêter sa rentrée. Dés sept heure du matin, les femmes des marchands arabes, qui composaient cette caravane, étaient parées de tout ce qu'elles avaient de beau en habis et en bijoux, et le tam-tam, dont le bruit assourdissant se répétait au loin, avait attiré autour d'elles une foule des deux sexes...Ceux au-devant de qui elles allaient, paraissaient à l'autre extrêmité de la plaine, laissant derrière eux leurs chameaux chargés et deux cent esclaves appartenant aux deux sexes. Le tam-tam résonna avec fracas, les drapeaux voltigèrent en l'air, les chevaux se cabrèrent de part et d'autre...La troupe forme deux haies qui reçoivent entre elles les chameaux chargés et les esclaves déguenillés, souvent nus. Les hommes continuent leur évolution guerrière avec le même enthousiasme, mais il y a moins de charme, moins de mélodie dans les chants naguère si harmonieux des femmes : elles ont tourné leur attention vers les esclaves et déjà chacune d'elles y a fait son choix. »Les maîtres de ces lieux de rassemblement de convois caravaniers, disposaient dans leurs citadelles de nombreux esclaves issus du commerce transsaharien. Les Noirs qui vivent aujourd'hui autour de ces vestiges du passé y célèbrent encore leur fête annuelle.
Le moussem annuel de ces ganga de l’oued Noun a lieu au mois de juillet à Guelmim : à la rahba (marché au grains) de Sidi H’sein où on vendait jadis les esclaves. Participaient à ce moussem annuel les gangas d’Asrir, de Tighmert, de la kasbah des Aït Baâmrane et du ksabi, lieu dit qui se trouve à l’emplacement de l’antique Tagaost.
Lieu de rencontre entre sédentaires et nomades, Guelmim, la porte du Sahara est la parfaite illustration de ce métissage culturel permanent à l’œuvre depuis des siècles dans tout le Sahara. Cela est clairement visible chez les ganga de l’oued Noun où l’on joue à la fois du tambour africain, le tambourin berbère tout en chantant en langue hassani. Ces ganga de l’oued Noun se différencient de ceux qui vivent en milieux berbère, par le fait qu’ils adoptent l’idiome et le mode de vie nomade. Certains de ces ganga travaillent comme bergers chez les chameliers et portent tous la tunique bleue typique aux nomades. La plupart des ganga du borj Bayrouk font partie de la troupe de la guedra de Guelimim qui pratique la danse du rguiss sur des airs de musique et de poésie hassani se disent originaires de Tombouctou. Ce qui prouve que le Sahara n’a jamais été une frontière infranchissable, mais bien au contraire, le lieu où s’est opéré le métissage biologique et culturel entre la négritude et la civilisation arabo – berbère.
Au Sahara existe deux types de flûtes : la flûte oblique du pays Tekna qu’on appelle zozaya et la flûte traversière de la seguiet el hamra , qu’on appelle nifara. La longue flûte oblique du berger saharien qu’on appelle zozaya est confectionnée à partir de la racine d’acacias dont on ne garde que l’écorce. Elle est ensuite recouverte de la trachée artère du bélier puis peinte de couleur écarlate. Cela permet d’un côté de donner des sons graves et mélancoliques à la flûte et d’un autre de consolider l’instrument. A Guelmim, la flûte porte deux noms : zozaya mais également tihihite pour souligner sa parenté avec la flûte enchantée du pays Haha. La nifara est la flûte du berger saharien par excellence. Cette flûte traversière est typique au chant Hassan de la seguiet el hamra.
Il est à remarquer que contrairement à la danse de la Guedra de l’oued Noun où la danseuse est tout le temps agenouillée balançant le buste et la chevelure, à la seguiet el hamra, les danseurs sont debout : le seul point commun entre les deux danses est la gestuelle des mains et des doigts. Cette danse dénommée r’guiss fait tellement partie de l’art de vivre saharien qu’il existe même une localité perdue dans le désert qui s’appelle tout simplement r’guiss, mot qui désigne la danse en dialecte Hassan.
Le Tbal (grosse timbale) est l’autre point commun entre le pays Tekna au nord et la seguiet el hamra au sud. Le tbal était d’abord voué au madih , louanges, dus au chef de la tribu. Il est aussi présent à toutes les fêtes. Au point que le mot tbal a fini par désigner non seulement l’instrument lui-même mais aussi les festivités qui se déroulent tout autour.Instrument de percussion fondamental auquel on recourt partout au Sahara. Cette grosse timbale , dont jouent essentiellement les femmes est un instrument semi sphérique pouvant atteindre un mètre de diamètre. Jadis, cet instrument appartenait au chef de fraction et de tribu comme symbole de commandement. Les hommes aussi bien que les femmes dansent au rythme du tbal. On y chante les guifân , pluriel de guef qui signifie quatrain à l’honneur de la générosité des hommes et des femmes des grandes tentes.
Tout le long de son histoire le Sahara s’est constitué à partir d’élément Sanhaja (les premiers habitants Berbères du Sahara) Soudanais, et Arabes Hassan venus s’y établir à partir du 11ème siècle. Le dialecte arabe Hassan qu’on parle au Sahara comprend à côté de quelques mots soudanais, un grand nombre de mots et de toponymes Berbères, tel le lieu dit tagant(qui signifie forêt en berbère) berceau de la musique savante des griots sahariens en Mauritanie.
Abdelkader Mana
12:55 Écrit par elhajthami dans Histoire, Musique, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sahara | | del.icio.us | | Digg | Facebook
18/08/2010
Jazouli
Dérive au piton rocheux d’El Jazouli
Coupôle blanche au sommet de la bétyle de Tazrout (Ph.A.Mana, février 2010)
Essaouira le jeudi 13 août 2008.
J’ai décidé de me rendre chez les Neknafa en pays Hahî, pour y enquêter sur le maqâm (mansion) d’El Jazouli, en appliquant l’enquête ethnographique à un sujet historique.A la gare routière un courtier répète inlassablement : Agadir !Agadir ! J’ai pris cette direction en s’arrêtant à Tidzi, de là j’ai empreinté une longue route serpentant au milieu de vallées fauves et déséchées jusqu’à Sebt Neknafa, souk hebdomadaire qui se tient chaque samedi et qui était vide ce jour-là. Je me suis rendu ensuite à Talaïnt, source thermale découverte récemment au bord de l’oued ksob, où les pèlerins observent une cure de plusieurs jours en s’abreuvant abondamment de son eau minérale sensée les débarrasser de leurs calculs.
Une fois sur place, on me proposa à prix modique une chambrette donnant sur la source chaude et l’oued ksob. Celui-ci a sa source au lieudit Igrunzar sur les hauts plateaux Mtougga, traverse ensuite les innombrables ravins du pays Hahî avant de se jeter à la mer près d’Essaouira. C’est son eau qui jadis irrigua les plantations saâdiennes de canne à sucre situées en aval, non loin de là. Ces plantations de canne, auxquelles s’est substitué aujourd’hui l’arganier, entouraient jadis, l’ancienne sucrerie de Souira Qdima, dont on peut encore admirer, les splendides aqueducs en pisée, au cœur des Ida Ou Gord. La source thermale se situe donc au bord de l’oued ksob, à la lisière des Ida Ou Gord et des Neknafa, tous deux faisant partie des douze tribus Haha.
Après avoir commandé un tagine de bouc à l’huile d’argan au cafetier, j’ai passé la nuit sur une natte. La petite chambrette ayant emmagasiné toutes les chaleurs d’août, j’ai laissé la porte grande ouverte sur les étoiles. Dehors, pleine lune, chiens errants, coassement de grenouilles, flûte enchantée du pays Hahî, trépignements de danseurs, applaudissements saccadés, youyous enthousiasmées de femmes berbères, rumeur au loin. Purification du corps, repos de l’esprit. J’espère me débarrasser ici de ce qui m’obstrue la vue de l’aube, pour être à nouveau admis à l’écriture.
Réveil à l’aube, marche, vers l’intérieur des terres, toujours en direction du soleil levant. Marche solitaire, par sentiers muletiers, oueds desséchés et falaises rocheuses où s’accrochent miraculeusement de squelettiques et noueuses racines d’arganiers. Paysage austère, terroir sévère, pays de moines guerriers.
Après le plat pays, les premiers escarpements de l’Atlas occidental au niveau des canyons granitiques de lalla Taqandout.
Le site de la grotte d'Imine Taqandout en images
La grotte d'Imine Taqandout, février 2010, Ph. A.Mana
Je marque une pose à la grotte d’Imin Taqandout, pour voir si la troglodyte que j’y avais rencontré jadis, y réside toujours.Sa mère, la tenancière des lieux, me dit que la belle bergère aux yeux verts et au corps élancé était finalement partie avec un jeune émigré dans un pays lointain et inconnu. Je lui demande si on pratique toujours l’Istikhara, cet oracle des génies de la grotte ?
Elle me répond que tout cela n’est que légendes. Les anciennes divinités sont ainsi reléguées au rang de génies, les anciennes religions à celui de magie.
Curieuse dénégation ethnographique, de la part de la tenancière même des lieux. Celle-là même que j’ai vu pratiquer, lors d’une précédente visite, le bain lustral au fond d’une pièce sombre de la grotte : après avoir chauffer à blanc deux fers à cheval, elle les étouffe dans un récipient rempli d’eau, qu’elle déverse ensuite sur le corps du pèlerin mis à nu : le feu, l’eau, purification du corps et de l’âme de ce bas monde et de ses souillures. Le fer éloigne les esprits, le fer à cheval porte bonheur, c’est pourquoi on le met sur les portes des maisons.
Il y avait aussi au fond de la grotte, un tout petit orifice creusé dans la roche : le traverser sans encombre est signe de piété filiale, et maudit soit-il, celui qui s’y bloque ! Toujours ces satanés rites de passage, cette symbolique de la mort suivie de résurrection et de re-naissance. Mais depuis que des personnes corpulentes s’y étaient trouvées prisonnières, l’orifice a été condamné pour toujours. Plus de renaissance magique du ventre même de la terre nourricière!
En quittant la grotte; les escarpements qui mènent au cénotaphe d'El Jazouli
Le pèlerinage à la grotte est sensé guérir les possédés : lalla taqandout qui l’habite Artsawal (elle parle) aux djinns. Elle leur dit : « Que vous a fait un tel pour mériter vos foudres ? » Et les djinns de délivrer la personne qu’ils possèdent. Beaucoup de ceux qui sont « atteints » guérissent de la sorte, généralement après une nuit d’incubation dans la grotte. Une entité surnaturelle masculine du nom de Sidi Abderrahman, y réside également.Elle aussi recourt au « parlé en état de transe », qu’on appelle ici Awal , qu’on retrouve chez les voyantes médiumniques des gnaoua sous le nom de « N’taq » (la voyance, le parlé en état modifié de conscience).
C’est en traversant le mont Tama à l’aube, que je me suis rendu en pèlerinage avec ma mère, pour la première fois à la grotte d’Imine Taqandoute. J’étais encore enfant et je montais le robuste mulet de mon oncle Mohamad. J’avais l’impression que le mulet qui me transportait était en prise directe avec les énergies telluriques de la montagne, avec ses pentes abruptes, ses blocs de granits, ses arganiers noueux, et ses sentiers serpentant, tantôt vers le haut tantôt vers le bas.
Une fois parvenu à la grotte hantée d’esprits, je me souviens surtout du sacrifice d’un bouc noir, et du fait qu’on m’obligea à passer au travers d’un étroit orifice au fond de la grotte : ce qui constitua pour moi, comme une seconde naissance. Imine – Taqandout est au pays hahî, ce qu’est la grotte de Sidi – Ali – Saïeh (l’errant) au sommet de la montagne de fer est au pays chiadmî, le pays de mon père. Mon enfance a été ainsi bercée autant par le paganisme de mes ancêtres que par les grands mystiques du Sud marocain qui ont marqué mon père : le Cheikh Naçiri de Tamgroute et Sidi Slimane el Jazouli.
Le sacré se manifeste ici de multiples manières : par le culte de la grotte, celui des amas de pierres sacrées (karkour), celui des arganiers et des oliviers sauvages, celui de la sainte source, et de la bétyle d’ogresse, et enfin par le maqâm(mansion) de celui qu’on appelle en cette montagne berbère Sidi M’hand Ou Sliman El Jazouli, l’auteur de Dalil el khayrate, qui réveilla la ferveur religieuse des marocains contre l’incursion portugaise sur les côtes. La coalition groupée autour de lui contre l’envahisseur, fut pour beaucoup dans le renversement de la dynastie mérinide, laissant ainsi toute latitude aux chérifs Saâdiens pour instaurer une nouvelle dynastie sur les débris de l’ancienne. Il mourut assassiné en 1465 à Afoughhal près de Had – Dra, en pays Chiadmî. Des historiens affirment qu’il fut empoisoné par les mérinides
Bétyle et karkour
Je continue mon ascension solitaire vers le piton rocheux de Tazroute (« rocher » en berbère) au sommet duquel scintille la blanche coupole d’El Jazouli. Je traverse d’abord Tagoulla Ou Argan (amphore d’argan), cette arganeraie sauvage qui pousse sur une cuvette sous forme d’anse , avant de prendre d’assaut le haut lieu et son sanctuaire. En cours de route, je marque une pose à Asserg N’Taghzount (le bétyle d’ogresse) ; stèle rocheuse sur laquelle, nous dit-on, se dressent les femmes stériles désirant un enfant. Sous les regards médusés des bergers et de leurs troupeaux de chèvres, elles s’écrient : « Ô, mes enfants ! ».Si jamais à ce moment précis, des oiseaux noirs les survolent ; c’est signe de bon augure. Si non les présages des cieux seraient réservés. Elles y font halte à chaque r corvée d’eau à la « sainte source », en chantant :
Asserg N’taghzount, aygan agourram
Ourat t’sar n’tou, oura ghat’anfal
Oudanna ghid nazri, atid n’aslay
Ô bétyle d’ogresse ! Tu es notre lieu saint.
Jamais, on ne t’oubliera ! Jamais, on ne te délaissera !
A chaque fois qu’on passera par ici,
On s’arrêtera à notre bétyle d’ogresse!
Asserg N'taghzount (la bétyle d'ogresse)
En 1984, à mon retour du daour , je faisais état de ma découverte de « fiancées pétrifiées » laâroussa makchoufa, à lalla Beit Allah au mont Sakyat et au sommet du djebel Hadid, ce qui permettait à Géorges Lappassade de faire le lien avec le bétyle phénicien découvert sur l’île . Il écrivait alors dans un article parut au mois de décembre 1985 :
« Beaucoup d’objets qui témoignent d’une haute antiquité ont quitté l’île pour rejoindre le Musée d’Archéologie de Rabat. Mais un de ces objets est resté dans l’île. C’est une grande pierre jadis dressée dans le ciel. On trouve partout des bétyles datant d’une époque précédant les grandes religions monothéistes : il y en avait dans l’Arabie d’avant l’Islam. Le mythe de lalla Beit Allah chez les Regraga n’est pas sans rapport avec ces anciens cultes : on sait qu’il correspond, à des pierres dressées, qui furent ensuite recouvertes d’une toiture. C’est aussi le cas de « la fiancée pétrifiée », sur le djebel Hadid sur la route d’Essaouira à Safi. On ne doit pas, par conséquent suivre la tradition orale qui traduit « Beit Allah », par « Maison de Dieu », pour interpréter ce mythe hagiographique, il faut au contraire faire l’hypothèse d’un lieu de culte « mégalithique » lequel, sans remonter nécessairement à la préhistoire, ni d’ailleurs, pour ce lieu là, aux Phéniciens, a certainement précédé l’islamisation de la région des Chiadma. Pour le moment le Musée ne possède comme signe des Phéniciens que le fameux symbole de tanit que représente la fébule berbère en forme de triangle et qui figure comme armoirie de Tiznit ».
Tazrout , le gigantesque rocher qui se dresse au ciel et que surplombe le sanctuaire, est probablement un ancien bétyle. Il est entouré de deux autres rochers effilés qui se dressent à des hauteurs vertigineuses, qui donnent vaguement l’impression des formes anthropomorphiques (figures de singes et de lions sculptées dans le rocher), et dont la base est transformée en habitat troglodyte, sont probablement d’anciens bétyles également. Le maqâm d’El Jazouli couronne pour ainsi dire un ancien lieu de culte mégalithique berbère. Une sorte d’islamisation du paganisme. Sous le marabout,la mégalithe : c’est cela l’islam berbère,ou la berbérisation de l’islam si l’on préfère.
Les sources écrites utilisent improprement à son égard soit le terme Taghzout soit celui de Taçrout. On peut lire par exemple à ce sujet :
« En vertu de sa baraka qui apporterait la victoire, Le cercueil de Jazouli fut promené dans le Sud marocain par l’agitateur Omar Sayyaf el Maghiti ach-Chiadmi. A la mort de ce dernier, la dépouille mortelle d’El Jazouli fut enterrée à Taghzout (au lieu de Tazrout), puis enlevé par les gens d’Afoughal, qui l’inhumèrent chez eux. Mohamed el-Aaraj le Saâdien le fit transférer à Marrakech où il trouva enfin le repos. »
L’auteur andalous Mohamed çalih, utilise quant à lui le terme de Taçrout :
« L’Imam Ben Sliman Essamlali El-djazouli,est né dans l’extrême Sous dans la fraction des Semlala de la tribu de Djazoula, au commencement du IXè siècle de l’hégire ; il mourut à Tankourt dans le Sous vers 1465 et fut enterré d’abord à Taçrout (c'est-à-dire, notre Tazrout des Neknafa), puis à Afoughal. Enfin une soixantaine d’années après sa mort, son corps fut transporté à Marrakech sur l’ordre du premier sultan Saâdien Abou Âbbas Ahmed El Aâredj, où il fut inhumé à Riad Laârous. »
La méthode ethnographique, c'est-à-dire le terrain, permet non seulement de rétablir le véritale toponyme du site de tazrout (le « rocher » en berbère),mais de découvrir qu’il s’agit en fait d’un bétyle et même de plusieurs se dressant au ciel dans un paysage fauve, attestant d’un ancien site mégalithique berbère.
Des escaliers taillés dans le rocher
On aurait enterré jadis al-Jazouli à cet endroit inaccessible de Tazrout pour préserver ses reliques du vol. Car il y a bien eu « guerre des reliques » entre Haha et Chiadma, à en croire le moqaddam de la source chaude :
- Du temps des luttes intertribales entre Neknafa, Mtougga, et Chiadma, les uns et les autres cherchaient à l’ensevelir sur leur territoire pour bénéficier de sa baraka. On croyait alors que la tribu qui en aurait pris possession aurait la prééminence sur les autres.
Selon Ibn Âskar, « à la mort du cheikh, le cercueil fut déposé au milieu d’une raoudha (un cimetière) dans un endroit appelé ribât ; il ne fut pas mis en terre. Le caïd, par crainte d’un enlèvement le faisait garder : chaque nuit le caïd faisait brûler un moudd d’huile et la lumière, en atteignant au loin, éclairait les chemins et les voyageurs qui les suivaient. Le corps du cheikh reposa dans ce pays jusqu’au jour où il fut emporté à Marrakech. Lors du transfert du corps d’Al-Jazouli à Marrakech, soixante dix sept ans après sa mort, on constata que rien n’était changé en lui. Les Saâdiens montèrent sur le trône en l’an 930(J.C. 1523-1524). C’est Al Aâraj, le premier de cette dynastie ; qui ordonna le transfert à Marrakech de l’imam Al-Jazouli pour qu’il soit enterré à Riyâdh – Al- Ârous, à l’intérieur de la ville. Sur sa tombe on éleva un monument splendide et grandiose. »
La mémoire d’Al-Jazouli sera revendiquée de bonne heure par la dynastie saâdienne, en la personne du fondateur Mohamed El-Qâ’îm venu depuis le Draâ et se faisant enterrer à Afoughal en 927/1517, près du corps du saint martyre, empoisonné sur ordre des mérinides. Une fois devenu souverain du Maroc, le Saâdien Moulay Ahmed Al Aâraj, ordonna le transfert des dépouilles de son père et de celle de l’imam El Jazouli, du lieu dit d’Afoughal à Marrakech où ce dernier figure parmi les sept saints de la ville.
Cette vénération particulière des Saâdiens pour El Jazouli s’explique de deux façons : c’est aux zaouia issues de ce cheikh que les Saâdiens ont dû leur élévation au trône d’une part, et d’autre part l’importance du tombeau de El Jazouli était telle que les sultans de la nouvelle dynastie croyaient sans doute préférable d’avoir dans leur capitale un sanctuaire qui était un véritable centre de ralliement.
En remontant toujours plus haut, le défilée rocailleux de Taqandout, débouche sur la « sainte source » (l’aïn tagourramt), que surplombe un vieux arganier. Deux paysans y puisent une eau de roche, à la fois fraîche et pure. Le plus vieux me dit :
- Ben Sliman El Jazouli, le saint protecteur du pays a disparu, il y a cinq siècles et demi de cela. Il est dit « dou qabrein » (le saint aux deux tombeaux) parce qu’il a un sanctuaire ici, et un autre à Marrakech. Sa dépouille fut transférée à Marrakech , soixante quinze ans après sa mort.Il luttait contre les portugais. Il enseignait le Coran et le Jihad. Les deux armes de l’époque. Après sa mort, on s’est mis à transporter ses reliques pour vaincre grâce à leur baraka au Jihad.
L’influence portugaise se heurta, devant Mogador, à une résistance don’t l’âme fut l’organisation maraboutique des regraga. Les affrontements entre Portugais et Berbères Haha devaient se poursuivre au delà de 1506.L’âme de la résistance locale à l’influence portugaise fut regraga, sous la direction du mouvement jazoulite don’t le fondateur, l’imam Al Jazouli, s’établit au lieu dit Afoughal, près de Had – Draa, où il prêcha la guerre sainte contre les chrétiens, avec une telle foi qu’il eut bientôt réuni plus de douze mille disciples de toutes les tribus du Maroc. Après avoir séjourné à Fès, Tit et Safi, El Jazouli se retira à la campagne dans les tribus Haha et Chiadma, non loin du mysticisme Regraga qui depuis 771 (1370) existe à l’embouchure de l’oued Tensift.
L’enseignement de Jazouli et de ses nombreux disciples a profité du mouvement de rénovation religieuse causé par l’invasion portugaise et y a gagné une telle notoriété et une telle autorité que la tariqa Jazouliya a fait oublier la tariqa Chadiliya don’t elle procède et l’a complètement remplacé au Maroc.
Chez les Neknafa, on lui consacrait jadis une frairie de trois jours à chaque mi-septembre julienne. Du temps du protectorat, le caïd M’barek y sacrifiait taureau avec Ahwach et fantasia.Maintenant, il semblerait que son affluence est beaucoup moins importante. Parmi ses disciples, on cite Abdelaziz Tabaâ, l’un des sept saints de Marrakech, qui fut le maître spirituel de Sidi Hmad Ou Moussa dans le Sous et de Sidi Saïd Ou Abdenaïm le grand saint des Aït Daoud en pays Hahî. D’après un acte recueilli chez les Mtougga, ce dernier, après avoir fonder une « principauté maraboutique » dans le Sous, convoqua à son chevet les Haha et les Mtougga à la fin de ses jours. Après une pieuse homélie, il les requit de la célébration annuelle d’un maârouf au début du mois de « mars berbère », mars’ajâmi(sic). Ils acquiescèrent dans un grand élan de contrition. Et chaque tribu de s’engager spontanément à verser aux descendants du saint, qui de l’orge, qui du beurre ou de l’huile. L’ensemble est qualifié de khidma, « service » et churût, « stipulation ». Cela se passe dans le courant du Xe siècle de l’hégire, c’est-à-dire au XVIè siècle. Le texte indique le processus habituel de ces engagements de groupe à patron. On retrouve là ces mêmes rapports sociaux de protection que nous avons découvert ailleurs entre saints Regraga et tribus-servantes Chiadma lors du pèlerinage circulaire du printemps.
Après m’avoir offert l’hospitalité d’usage, le fqih en charge du maqâm, me lit une brève biographie de l’auteur de Dalil El Khaïrate :
Jazouli était né dans la fraction des Semlala de la tribu des Jazoula de l’Extrême –Sud marocain. Il était donc de souche berbère. Il étudia à Fès, mais c’est au ribat des B. Amghar, à Tît, au Sud d’El Jadida, qu’il s’initia aux doctrines de Chadili, ramenées d’Orient par d’autres Cheikhs du Sud marocain. Sous les saâdiens, un marabout des B.Arous, descendant de Moulay Abdessalam b.Mechich, conduisit les contingents des Jbala à la Bataille des Trois Rois. Sa victoire accrut son prestige et il ramena la doctrine jazoulite dans sa montagne natale. C’est désormais de Jazouli que se réclameront tous les fondateurs de confréries, et la tariqa chadiliya au Maroc ne sera plus guère nommée que tariqa jazouliya. Les pérégrinations post mortem de Jazouli montrent de quel prestige il jouissait dans le Sud marocain. Pour cette raison on lui attribue un rôle central dans le développement des zaouia et des turuq (voies soufies), durant le 16ème et 17ème siècle.
C’est au cours de son séjour studieux à Fès qu’Al-Jazouli rencontra une autre figure du mysticisme marocain. Il s’agit de Sidi Ahmed Zerrouq El Bernoussi né dans la tribu des Branès aux environs de Taza en 1442. Dans sa quête du savoir théologique et mystique, l’itinéraire de ce dernier est celui des maîtres spirituels de son temps. Après s’être imprégner de l’ordre mystique de la Chadiliya et du savoir théologique de la Qaraouiyne de Fès, il se rendit en pèlerinage au Moyen Atlas auprès du maître Soufi Sidi Yaâla, puis Sidi Bou Medienne de Tlemcen, de là à Bougie où il aura ses premiers disciples. A son retour de la Mecque , il s’établit dans l’ancienne oasis libyenne de Mestara, où il mourut dans sa retraite en 1494. Pour les amis de la légende, c’est plutôt le fils qui serait enterré en bordure de la Méditerranée en Libye, et c’est le père qui serait enterré chez les Branès, où sa dépouille aurait été amenée de Fès sur une jument. Malgré le cursus commun, de ces deux pérégrinant et maîtres spirituels, c’est finalement al-Jazouli qui aura le plus de prégnance sur le maraboutisme marocain, en particulier auprès des Regraga, qu’il entraîna dans le jihad contre les incursions portugaises sur les côtes, et auprès de la confrérie des Hamacha don’t le maître spirituel se réclamait du Jazoulisme.
Sur cet Islam maraboutique et confrérique voici ce que nous dit Jacques Berque :
« Il arrive en effet que, par un échange très compréhensif, le confrérisme prenne appui sur des marabouts et les marabouts sur une confrérie. Dans les deux cas, le résultat sera le même sur le terrain : on aura cet établissement pieux : la zaouia. La plupart de ces zaouia procèdent de quelques grands saints du haut Moyen Âge, disons de la retombée des siècles d’or de l’Islam. Citons par exemple celle du Cheikh Abd al-Qâdir al-Jîlânî de Bagdad, d’Abou Median de Tlemcen, mort à l’extrême fin du XIIè siècle, du cheikh Abûl’Hassan al-Châdhulî qui rénova l’exercice du mysticisme populaire dans le courant du XIIIè siècle. Périodiquement ces écoles s’affaissent. Elles requièrent alors une rénovation, qui donne parfois naissance à des écoles dérivées ou dissidentes. Le fameux Mohamed al-Jazûlî, originaire des Idaw Semlal de l’Anti-Atlas (mort en 1473/4), a laissé un wird (formulaire d’oraisons), le Dalâ’il al-khayrât, que j’ai vu moi-même psalmodier par un cercle de vieillards assis sous une accaciée géante dans le lointain Darfour. Le cheikh Zerrûq (1442-1494), qui étudia à Fès, puis fixé à Bougie, et de là émigré sur la côte des Syrtes exerça une influence si profonde qu’il n’est guère aujourd’hui de congrégation qui ne le compte parmi ses références ou asnâd. Le Maroc et son extrême Sud paraissent avoir constitué le foyer le plus constant de ces mouvements...Le cheikh Ben Nâcer (mort en 1669) fonda à Tamgrout dans le Draâ, l’ordre Nâcirîya...Disons qu’à l’encontre d’une opinion trop répondue aujourd’hui, l’Islam des marabouts et des confréries a généralement assumé, pendant un demi siècle au moins après la conquête d’Alger, une résistance violente ou sournoise, don’t l’Islam citadin, par la force des choses, était généralement incapable. »
Les amandiers sont mauves juste avant d'éclore
Tout un village est édifié là haut autour du maqâm que prolonge une medersa qui prodigue un enseignement religieux semblable à celui de la medersa çaffârîn (relieurs) de Fès, où l’Imam avait fait ses études au temps des mérinides et qui sera plus tard le prototype de toutes les medersa du Maroc.
D’après Ibn Âskar :
« L’auteur de Dalaïl el Khaïrat qui suivit au début à Fès les cours de la Madrasa çaffârîn, occupait une chambre dans laquelle, dit-on, il ne laissait entrer personne. Apprenant la chose, son père se dit en lui-même :
- Il ferme la chambre parce qu’elle renferme quelque trésor.
Et il quitte son pays de Semlala dans le Sous, se rendit à Fès auprès de son fils et lui demanda de le laisser entrer dans la chambre. El Jazouli accéda à son désir ; sur les murs, de tous les côtés, étaient écrits ces mots :
« La mort ! La mort ! La mort ! »
Le père comprit alors les pensées qui hantaient son fils ; il se fit des reproches à lui-même :
- Considère, se dit-il, les pensées de ton fils et les tiennes !
Il prit congé de lui et revint à son pays d’origine. »
La mort hantait également Fatima, la sœur aînée de ma mère, que nous appelons affectueusement « lalla », notre marraine à tous. Comme Sidi Sliman El Jazouli, elle était également originaire, par sa mère, de la tribu des Semlala dans le Sous. Elle avait acheté il y a quelques mois déjà son propre linceul, le déposant au milieu, des tolbas qui firent festin et oraison funèbre au hameau de Tlit, où elle s’est retirée ces dernières années. Elle n’avait qu’un seul vœux : mourir dans la dignité, en finir par une mort aussi subite qu’une cruche qui se briserait d’un coup à la margelle d’un puit.
Abdelkader MANA
03:08 Écrit par elhajthami dans Histoire, le pays Haha, religion | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, jazouli; neknafa; saadien, haha | | del.icio.us | | Digg | Facebook