27/09/2011
Littoral
"L'été indien de Mogador"et ses oiseaux migrateurs
Fou de Bassan juvénile
Photographié ce mois de septembre 2011 sur la plage d'Iftan au sud d'Essaouira, ce jeune Fou de Bassan se nourrit de poissons tels que le maquereau, le hareng ou le calmar comme le cormoran, mais son mode de pêche est différent: il vole d'une manière stationnaire trés haut dans le ciel avant de fondre sur sa proie comme une flèche en plongeant droit au fond de la mer. Comme la plupart des oiseaux migrateurs de ces rivages, il vient de très loin plus précisemment d'Europe du Nord...Sa dénomination latine, dont dérive son nom français, signifie "fou de Bass", île située à proximité des côtes orientales de l'Écosse, qui en abrite une colonie particulièrement abondante. Cet excellent plongeur qui se nourrit de petits poissons et céphalopodes ;vit principalement dans l'Atlantique Nord en plus de la Bretagne et le Canada. C'est le plus gros des oiseaux de mer d'Europe.
Fou de Bassan adulte
Brun foncé la première année, il se métamorphose progressivement en oiseau aux plumages clairs, sur la tête d'abord puis sur le dos, le ventre, et la partie de l'aile située entre le poignet et le corps, jusqu'à acquérir leur plumage d'adulte au bout de cinq ans, avec une envergure allant jusqu'à 1,80m. Cet oiseau marin d'envergure à l'évolution lente,évoque à la fois l'albatros de Baudelaire et le corbeau étrange et beau d'Edgar Alan Poe qui répond invariablement au visiteur nocturne "Jamais plus!".Le jeune et sombre Fou de Bassan est ici une métaphore du Fou de Layla ou d'Elsa" d'Aragon, c'est selon....
O hôte d'Allah ! Soit le bienvenue
Avance sans voiles au pays des ardeurs inassouvis !
Pourquoi tiens - tu une arme à la main ?
N'aie pas peur, répond au salut de la paix.
Le poète s'adresse ainsi à sa bien aimée qui vient lui rendre visite la nuit déguisée en garçonnet. Ce poème rappelle étrangement « l'hôte » du Cheikh Jilali Mtired dont Al Andaloussi était le disciple. Dans les deux cas, il s'agit d'un bien aimé qui vient frapper la nuit à la porte du poète, non pour le soustraire à sa retraite studieuse, mais plutôt pour répondre à ses secrets désirs.
On découvre avec stupéfaction dans la qasida du Cheikh Jilali Mtired, qui a servi de modèle, d'étranges similitudes avec le poème du corbeau d'Edgar Alan Poe. Dans les deux cas, il s'agit de la visite fantastique de l'esprit de la maîtresse disparue qui vient frapper la nuit à la porte de son amant et auquel l'étrange oiseau répond invariablement "Jamais plus!".Dans sa qasida sur la tempête de mer qui emporte le fou d'amour, on reconnait nettement l'influence de la littérature arabe classique dont le fameux « fou de Leila » qui a servi de modèle pour le prince des poètes arabes Ahmed Chawki en Orient et qui aurait inspiré par la suite en Occident « le fou d'Elsa » de Louis Aragon. Cheikh Jilali, humble marchand de légumes à Marrakech au XIXème siècle se montre ici, un précurseur :
Ô toi qui t'engage dans la tempête d'amour !
Reviens avant que ses vents mugissants ne t'emportent !
Et que son tumulte ne t'engloutisse
Sous ses abîmes de brouillard et son déluge,
De houles, de tonnerres et d'éclaires !
L'amour est un océan sans fin à l'abîme insondable
Aucun amoureux n'a pu un jour le conquérir !
Combien de corsaires y ont fait naufrage !
Ni mâts, ni voiles, n'ont pu les sauver !
Avant lui Qays, le pitoyable s'y est déjà aventuré
Mais loin des siens, il n'a connu, hélas que l' errance,
Au milieu des haillons et des bêtes sauvages....
Le vent alizé soufle violemment tout le long du mois d'août mais quand arrivent les mois de septembre et d'octobre ces rivages connaissent un climat très doux connu sous le nom d"été indien d'Essaouira" qu'apprécient particulièrement les oiseaux migrateurs: Aigrette neigeuse, héron cendré, flamand rose font leur apparition dans ces parages....
Images du randonneur - photographe Abdelmajid Mana
Poésie de Moubarak Erraji traduite de l'arabe par Abdelkader Mana
Avec un peu de "gachti", un peu de provision, le marin a quitté l'épouse endormie pour réveiller l'âme de la mer
Marin
Voyez ce marin jeter la lumière de son âme
Appât enflammé au bout de l’hameçon
Pêchant le reflet de la lune dans l’eau
Transperçant d’une aiguille de lumière
Son capuchon de paille
Le marin n’a pas emporté de provisions avec lui
A part une croûte tachetée de sang
Une besace pleine de vent
Et un rêve au bord des sourcils de l’univers
Qu’il a vu demain…
Elle se tient dans toute sa splendeur sur son rocher marin où j'ai vu le vent admirer la toile qu'il avait peint il y a mille ans
Bhay Bah
Filet de pêche
Malgré ses innombrables yeux
Le filet n’a aucune chance
La mer, il lui suffit l’œil du poète et de la lune
Eux seuls sont issus de cette flamme
Venue d’une galaxie lointaine
Rien ne me sépare de la mer
Des poissons des vagues à mon âme
Et de mon âme à leurs vagues
Ceci est ma schizophrénie bleue
En dehors des cahiers de la psychologie
Comme l’atteste la blessure qui écume
Entre marais haute et marais basse
Protestation de l'oeil du poisson qui a connu les profondeurs
Contre la terre ferme où il se meurt
Ses yeux disent: "Plate est la surface de la terre."
Revoilà l'océan
Après les marais houleuses
Tel un bébé fermant les yeux
Dans un berceau bleu
L'île de Mogador où nichent les faucons d'Eléonore
L’Éléonore
Sur l’île de Mogador
Le pur Éléonore
A oublié le salut secret au vent
Moi qui ne suis né
Que pour me donner en entier à la mer
Par un envoi de vagues
Je lui enverrai mon cœur
Empaqueté dans une coquille
Laissant derrière moi
Mon mirage offrir une poignée de sable
A la terre ferme
Une poussière de mes ancêtres
Cette lignée carbonisée
Sur laquelle les semelles impriment leurs chiffres
Et le vent ses pas invisibles
Avant que l’océan ne les mêle à son sable
D’écume pour l’éternité
Qui prétend que j’avais pleuré par ici ?
Qui détermine le sel de mes yeux dans la mer ?
Mon corps est une eau qui file entre les mailles du filet
Et non entre les salines et les épices à cuire
Le croissant de lune est ma raison amoureuse
Il est le poème qui attire la mer
La transformant en marée montante
Plus maigre et plus petit qu’une aile de poisson
La mer est un doux volcan
D’une pureté profonde
Que les lampes nocturnes
Des étrangers qui partagent ses vagues
Chandelles pour cette nuit
Ce matin l’océan est un amoureux
Au bord des larmes
Prêt à donner son âme
Pour une corde brisée
D’un violoniste fou
Qui monte les voiles d’un bateau égaré
Le corps nu sous le vent et sous la pluie
Ces bécasseaux courent à tout allure en bordure de mer pour attraper des insectes aquatiques: ils se nourissent aussi des petits molusques dissimulés sous le sable à la lisière où viennent mourir les vagues
Comme du temps des caravanes de Tombouctou, des chameaux sur ces rivages
Cap Sim au loin : après Sidi Kawki on abouti aux cascades
Les cascades sont également connues par Sidi M'barek
Le vent est si virulent dans ces parages que les arbre s'en trouvet décoiffés
Le vent à Mogador
Est un violon que je porte sur mes épaules
Poussé vers un vide stellaire et infini
Racines mises à nue par la violence du vent
A Mogador, le vent et la mer
Sont nés au même moment
Dans un cocon de sable
Depuis la poésie de l’univers
Depuis que la pluie a dévoilé
Les signes et les symboles des nuages
Et l’écriture des poèmes de l’oubli
Sur ses sourcils endormis
Sur nos ombres légères comme la vie
A Mogador, le vent et la mer
Sont nés au même moment
Dans un cocon de sable
Plein de pierres précieuses
De blessures primordiales
Secrètement, ils ont brisé les œufs
Sur les toitures des maisons et des phares
Secrètement, ils ont remis leurs ailes aux mouettes
En leur plantant dans les hauteurs des plumages virvoltants
Sperme bleu d’une généalogie marine
Issue du vent
Secrètement ils nous ont fait sangloter
D’isolement lointains
Aux ongles des questionnements et des poèmes.
AGHBALOU
Les rivages au - delà de Cap Sim
Manuscrit d'une vague
Entre une vague et une autre, point de ligne abstraite: Juste des écumes enportées par le vent avec des bulles d'où se jette le regard de créatures que j'ai vu dans un rêve à venir
Petite marais
De mon corps - marin, mes lèvres s'offrent aux mouettes
Un mot bleu pour la coquille de l'âme
Un mot doré pour le soleil
Blanc pour le sable
Mais pas un mot
Au crabe
à l'intérieur
de son couillage
Après les cascades de Sidi M'barek on abouti à la falaise d'où se détache un rocher sur lequel vit une colonie de cormorans
Le rocher sur lequel vit la colonie de cormorans
De quelles résonnances
S'extasie le chant de syrène
Au plus profond de la mer ?
Cette colonie de cormorans vit en permanence sur ce rocher
Les plantes qu'on découvre plus au sud du côté d'Iftan
Iftan - Sidi Ahmed Sayeh
Au fond d'un coquillage
Le grand océan
a passé la nuit entière
à l'écoute des voix - visionnaires
d'un rêve qui nage
Fou de Bassan juvénile photographié ce mois de septembre 2011 sur la plage d'Iftan au sud d'Essaouira
Issu de l'âme
d'un marin mort de noyade
Le ploncton nourrit la flamme éclairante
De la chandelle de mer
Port d'Iftan
T A F E L N E Y
Tafelney, la baie encaissée comme une citerne(d'où son nom de "Tafedna" toponyme qui signifie "citerne" en berbère) est le haut lieu de rencontre des oiseaux migrateurs au mois de septembre
En langeant la côte au sud d'Essaouira on découvre des oiseaux marins et des oiseaux migrateurs parfois très rares et qui viennent de très loin
Une aigrette neigeuse?
Cette aigrette neigeuse se nourrit des bancs de petits poissons au grè des vaguelettes
Héron cendré
Héron cendré sur fond d' échopes des pêcheurs de Tafelney
Héron cendré et aigrette neigeuse se nourrissant de petits poissons et d'insectes aquatiques
Bécasseau à échasse qui préfère chasser dans les rochers marins
Aylala
Aylala, la mouette féconde
Après cent et une caresse du vent
Après cent et un battement du coeur
Elle pondra au dessus de cette hutte,
Un foeutus pour les vagues qui bruissent au loin
Combien j'aurai aimé
Me chamailler avec lui
Si je n'avais pas peur
De suscitet la jalousie des rêves
Qui montent du grognement
D'un chat sur mes genoux...
Jour de lumière à Essaouira
Après la tempête des derniers jours de février 2010, l'éclaircie de ce lundi 1er mars : jour de lumière à Essaouira. Au sortir de l'aube je me dis : ce jour est différent, c'est le premier jour de lumière transparente, translucide qui mettra en valeur le blanc et le bleu d'Essaouira. Ni ciel, ni mer, un seul bleu éclat de lumière. Et puis les mouettes, encore et toujours. Elles occupent maintenant le cœur même de la médina. Se chamaillant pour une bouchée de pain endurcie maintenant que la tempête des derniers jours a empêché les arrivages au port et forcé les bateaux bleus à rester à sec sur les quais du port. Elles n'ont plus peur de l'homme, elles sont partout, cependant que se lève le soleil à l'Est des îles purpuraires.
Première prise de vue : la porte du lion : en ce jour qui point, par delà l'horizon le soleil se profile derrière le rideau des branchages d'araucarias. Cet arbre venu d'Amérique Latine s'est tellement bien acclimaté au ville côtière du Maroc qu'il donne l'impression de faire partie du paysage depuis toujours.Je regarde ma montre, il est 7h.17. et je me rends compte qu'on est déjà au premier jour de mars : les tempêtes de février sont déjà loin derrière nous. Je note la lumière du soleil levant sur les crêtes des vaguelettes, les vieilles pierres ocres du port, l'île reverdissante au loin, le flamboiement des minarets et des araucarias se dressant au ciel comme autant de lances de chevaliers Donquichottesques en marche. L'aube et ses humeurs. L'aube et ses lumières. Oui, aujourd'hui, la lumière sera bonne et le ciel serein.
Les photos récentes et en couleurs sont les miennes et celles de mon frère Abdelmajid Mana, rondonneur impénitent à la recherche de ces racines à Essaouira et son arrière pays.C'est le lundi 1er mars 2010 où j'ai vraiment découvert ma vocation de photographe. Plus qu'une question de technique, la photographie est d'abord une affaire de "feeling" et de présence: il fallait être là au bon moment..
La Tour de feu et du vent
Les hippis s'abritaient du vent à Borj el Baroud (peinture Roman Lazarev)
Je note la lumière du soleil levant sur les crêtes des vaguelettes, les vieilles pierres ocres du port, l'île reverdissante au loin, le flamboiement des minarets et des araucarias se dressant au ciel comme autant de lances de chevaliers Donquichottesques en marche.
Petite par son espace, grande par son temps mouvant,Essaouira se prête au regard poétique
Plus je m'approche de Borj El Baroud, cette tour de feu, plus elle prend les allures d'une œuvre d'art sculptée par les vagues et les vents. Elle n'a plus la forme de la tour de guet qu'elle avait au début du siècle dernier avec ses créneaux et ses arcades. Elle semble s'effondrer sur elle-même au milieu des dunes de sable.Elle est maintenant à l'embouchure de l'oued ksob, le lieu de rencontre privilégié de nué d'oiseau après avoir été le lieu des rencontres amoureuses au temps des hippies. En en faisant le tour brusquement deux bétyles phéniciens se dressèrent devant mon objectif ! Une découverte ! Une révélation toute fraîche concernant un lieu visité et revisité depuis mon enfance ! Je n'aurais probablement jamais remarqué une si évidente parenté avec les bétyles phéniciennes de l'île d'en face. C'est la prise de vue qui orienta ainsi mon regard, ma perception et mon analyse. La photographie comme outil de recherche...La lumière de l'aube, c'et aussi la lumière sur le passé phénicien d'Essaouira.Je garde le meilleur pour la fin: ma découverte des bétyles phéniciennes d'Essaouira. Comme disait Hegel: "Au début toutes les vaches sont noires, ce n'est qu'à la fin que l'oiseau de minerve se lève." Ce n'est qu'à la fin que l'éclaircie permet à la lumière d'éclater.
Hamza Fakir n’a que 21 ans et sa peinture a la fraîcheur même de son âge. Son discours porte la marque des rêves qui bourgeonnent à l’équinoxe du printemps : " Un soir, du haut du promontoire d’Azelf, j’ai vu Essaouira illuminée, entourée de noir. Elle semblait flotter dans l’air, nager dans l’eau. Depuis lors je n’ai pas cessé de représenter sa population dans un espace plein. Mes rêves sont toujours limités, à ce petit monde d’Essaouira. L’idée du tableau me vient parfois au début du sommeil. Je commence à imaginer des visages et des formes. Il y a des moments, où je sens vraiment que ma tête va éclater, alors je me réveille et j’essaie d’esquisser un premier croquis. Ça peut demander des heures de travail et de fatigue. Mas juste après, je me sens soulagé, et l’envie de dormir me revient. Quand le matin arrive, je vais sur la plage, et j’essaie de bien développer cette idée conçue dans le rêve du demi-sommeil. Je vais dans mon coin préféré ; un abri en haut des ruines de « la tour du feu.C’est là que je développe mes esquisses, surtout quand il y a beaucoup de vent. J’ai déjà essayé mais je ne pourrais pas travailler ailleurs. Seul, ce lieu hanté par l’histoire et l’esprit du passé, m’inspire. J’y dialogue avec la mer et les pierres anciennes. Comme par le passé, de temps en temps des caravanes venues d’ailleurs, laissant des empreintes de chameaux que rapidement le ressac efface.
La « tour de feu » et la solitude m’inspirent. Delà, j’ai une superbe vue sur la plage immense ; au loin je vois des vaches et je pense à la Corne de l’Afrique, ce bout du monde. Les vaches sont toujours là, le matin, calmes sur le sable. Ce qui est bizarre avec ces vaches, c’est qu’elles viennent soit du sacré village de Diabet, soit de Ghazoua. Elles viennent de bon heure, sans berger, car elles connaissent les chemins de la forêt, qui débouchent sur la mer. En regardant les mouettes et les goélands, dont l’envol m’inspire…
Quand tu t’assois le matin au bord de la rivière, tu vois des oiseaux superbes. Surtout les faucons qui volent vers l’île. C’est surtout le ballet aérien des étourneaux sur l’île et sur la ville, qui m’inspire les formes flottantes de certains de mes tableaux. Une fumée emportée par le vent. Pourquoi les piranhas ?
Parce que tu vois dans la rivière, surtout quand il y a du vent, de jolis poissons, qui sautent en pleine liberté. Ils sont très contents de leur milieu aquatique, limpide et calme. Je les représente sous des formes d’algues, avec des nageoires multicolores et surtout de grosses dents. Si tu les vois avec ces grosses dents, tu diras qu’ils sont méchants, mais c’est tout à fait le contraire, les grosses dents représentent leur sourire : un sourire qui n’est pas tronqué, un vrai sourire du cœur. Je vais sur la plage et j’essaie d’imaginer ce monde.
Quand je me promène seul, dans les ruelles d’Essaouira, le regard ébloui par ses petites fenêtres bleues, et ses murs blancs, je scrute surtout les visages, que j’imagine par la suite à ma façon. Je vois que derrière le voile du sourire, il y a beaucoup de problèmes. Un sourire de masque. C’est surtout cette souffrance derrière le masque que je peins par un cri. Le masque est leur vrai visage. Je représente toujours la souffrance des gens, avec des visages grimaçants. Ce n’est pas de beaux visages, car j’adore beaucoup les films d’épouvante, où les visages font peur.J’ai peints un grand masque sur fond gris.C’est le grand esprit qui n’est pas heureux. Il domine la femme qu’il possède. Sa tête est un volcan, et c’est ma tête aussi. Il est beau, non ? Il crie jusqu’à ce que les larmes jaillissent de ses yeux, dont on voit les vaisseaux bleus qui jaillissent comme l’éclair au milieu du ciel. C’est un masque vivant. Quand les Gnaoua dansent, ils portent aussi leur masque rituel sous la forme d’écharpes multicolores. Avec cet anneau au pied, cet errant qui voyage à pied le sac sur le dos, et ce chameau, j’essaie de faire voir les caravanes qui passaient à Essaouira.
Mais je ne peux pas toujours expliquer mes tableaux, sauf quand je me réveille le matin, que je mets mes mains dans ma poche, et que je marche très longtemps sur la plage. Ce jour-là, je me raconte ma peinture, pendant des heures et des heures. C’est seulement à ces moments d’extase, où la parole vous tient à cœur autant que les images, que j’arrive vraiment à m’expliquer mes propres tableaux. Mais ce sont des moments où les paroles sont adressées au soleil et au vent et non pas aux humains.
Poussant des cris joyeux un couple de hérons se pourchassent, tantôt s’élevant lentement tantôt piquant vers le bas. Une oie sauvage étend ses ailes noires pour accueillir le soleil matinal. La nature semble d’une beauté fragile, éternelle, irréelle.
Les ailes du vent
A chaque jour suffit sa peine.
Le vendredi 12 mars 2010, je devais envoyer le manuscrit de la nouvelle version de mon livre sur les Regraga aux éditions MARSAM, mais étant fatigué, je me suis assoupi en écoutant Chopin. En fin d'après midi je m'asseois sur un banc non loin du port. La lumière n'est pas extraordinaire ce jour là, mais brusquement je m'aperçois d'une intense activité des goélands du côté des poissonniers. Je décide alors de prendre quelques images, avec la certitude que certaines seraient assez extraordinaires. A mon retour à la Kasbah, je rencontre mon ami le poète Moubarak Erraji attablé à la terrasse d'un café non loin de la pâtisserie Driss. Il va bientôt publier un recueil de poèmes dédié à son fils, intitulé « Berceuse pour Adam ». Il faut signaler que notre ami a déjà été consacré par le prestigieux prix Al Bayati qui consacre les jeunes poètes du monde arabe. Moubarak Erraji a reçu ce prix à Damas en 1998, pour son recueil "contre la terre ferme".
Je lui montre les images que je viens de prendre au port, des goélands portés par le vent. Il me dit : " Avec les ailes de l'une d'entre elles, entremêlées au ciel et au vent, l'image donne l'impression de formes surréalistes."
Moubarak Erraji était en train de lire des Haïku Japonais. Je note au hasard celui-ci :
Silence
Le chant des cigales
Pénètre les rocs
Des Haïku, Moubarak Erraji, en produit lui-même, mais en arabe, avec une sensibilité particulière. Il me cite celui-ci, sur la mer, le vent et les oiseaux de ces rivages :
Après la marée haute
La mer s'est apaisée
Comme un nourrisson fermant ses yeux
Dans un berceau bleu
Et puis encore celui-ci :
Entre une vague et une autre
La non-ligne abstraite de l'écume
Sa mousse portée aux quatre vents
Et ses bulles d'où se penchent les milles yeux des créatures
Que j'ai vu jadis dans un rêve à venir
Et pour finir le jeune poète me recommande de conclure par celui-ci :
Les mouettes sont des vagues qui prennent leur envol
Et les vagues, des mouettes qui grondent
Quand on brise une vague
Une aile vous pénètre profondément
Et quand on brise une aile
Une vague vous pénètre profondément
Ecoutez les trois mouettes briser leurs oeufs
Comme si la mer surgissait du sable pour la première fois
Avec comme notes musicales : l'éclosion d'œufs de mouettes
Un peu plus tard, la lumière a complètement changé, je décide de prendre cette dernière image à la tombée du jour et d'intituler cette note: "Les ailes du vent". Dimanche 14 mars 2010, vers la mi-journée, la mer avait une couleur vert-bleu qui m'attire et qui me plaît : elle donne aux vols des goélands une allure plus majestueuse et plus poétique encore
Le soir, je montre les dessins géométriques et floraux, ces "marqueteries" qui restent de notre père et que je viens de publier dans ma note"les marqueteurs d'Essaouira" . Il trouve les pièces belles et rares, en ajoutant que les Marocains sont actuellement en dehors de leur mémoire, "hors-mémoire", comme on dit "hors-zone", mais il viendra un jour où ils seront obligés de s'occuper de leur patrimoine. En faisant part de cette réflexion de mon frère Majid.à mon ami le poète Moubarak Erraji, celui-ci me rétorque alors:
- Celui qui est sans mémoire, se situe à la marge froide de l'avenir. Nous aurions aimé avoir une continuité dans le souffle de la mémoire de ton père, les autres oeuvres de sa vie, et pas seulement ces vestiges de "touriq" (marqueterie), ainsi que des autres artisanats de la ville. Malheureusement, il y a des trous dans cette mémoire de la ville et de ses hommes.
On s'est retrouvé au même lieu, mais pas au même temps. Nous étions tous les deux égarés, dans l'incertitude des temps qui courent. Ni moi, ni lui, nous ne savons de quoi demain sera fait. On ne veut ni faire sourire la carte postale, ni la faire pleurer, mais nous rêvons de jours meilleurs pour cette ville...Il n'y a pas seulement les différents moments de la journée où le visage de la ville change : c'est chaque minute que les envolées elliptiques des goélands prennent une nouvelle coloration : ce vert-turquoise d'aujourd'hui que j'aime beaucoup..
Je me lève pour commander mon café et voilà qu'à l'autre bout de la terrasse; j'aperçois mon ami David Bouhaddana, assis coude à coude avec le Palestinien Saâd Abou Tammam, originaire de la ville de Safad (à côté de Thébiriade), sur le mont Canaân:
- Mais c'est un très ancien nom que ce Canaân? lui dis-je
- C'est le nom des premiers habitants de la Palestine : ce sont les Canaânéens qui ont reçu Abraham et le peuple juif lors de leur exode d'Egypte, d'où il fuyaient Pharaon...
Saâd Abou Tammam a connu l'histoire d'un autre exode : celui du peuple Palestinien en 1948. Il s'est réfugié alors avec sa famille en Syrie et vit actuellement en Suèd. David Bouhadana qui est né à Essaouira, vit pour sa part depuis de nombreuses années à Marseille. Saâd lui dit:
- Je n'ai absolument rien contre toi, en tant que juif marocain.Nous avons nos extrémistes et ils ont les leurs, mais nous sommes tous les deux pour la tolérance, la cohabitation et la paix.
- Formidable message de paix que tu viens de noter ce soir mon cher Mana! s'écrie David Bouhadana en serrant très affectueusement la main de Saâd Abou Tammam le palestinien.
L'un vit en Suèd , l'autre à Marseille et c'est l'honneur d'Essaouira, ville de la cohabitation et de la tolérance de les réunir fraternellement et humainement ainsi par delà le bien et le mal, par delà les religions et les nationalismes : l'humanité souffrante, l'humanité aimante les a réunie.
Aylal et Aylala
Nous avons retrouvé chez Ghorba, le vieux cordonnier disparu, qui pendant le Ramadan du haut des minarets enchantait la ville, par les airs séraphiques de son hautbois, seul instrument de musique admis, à l’exclusion de tous les autres, considérés comme étant diaboliques en ce temps d’abstinence, un manuscrit légué par Saddiq, poète de la ville, ayant vécu au XIXèmesiècle : de la liasse poussièrouse de manuscrits, on a dégagé, tel un talisman, un poème dédié à « Aylal et Aylala » (goéland et mouette).
Ce poème est le seul à être sauvegardé de lakhazna perdue de Ghorba. Le terme khazna désigne le trésor de manuscrits contenant les qasida de malhûn, que les connaisseurs consevent jalousement au fond d’un coffre. Ghora le cordonnier d’Essaouira, le hautboïste virtuose, l’adepte des Hamadcha, qui a perdu un œil lors d’une compétition chantée du rzoun de l’achoura, était l’un des principaux khazzan(conservateurs) des qasidas du genre malhûn. Il refusait d’en transmettre le contenu à ceux qui enquêtaient au début des années 1980 sur les paroles oubliées d’Essaouira, jusqu’au jour où après sa mort, sa vétuste boutique de cordonnier s’effondra engloutissant à jamais sous les décombre, tout le trésor poétique qu’il conservait si jalousement.
Que raconte le poète à travers cette qasida-talisman, d’« Aylal » et d’« Aylala » ? La légende d’un couple de mouettes ayant niché au dessus de la terrasse où vivait le poète de ces îles purpuraires où n’existaient que le sable et le vent. Ils finirent par focaliser son attention d’autant plus que goélands et mouettes étaient nombreux à s’élever en nuées successives au dessus de sa tête :
Tout commença avec un couple de mouettes
Qui s’en vint bâtir son nid au dessus de ma terrasse
Leurs robes blanchâtres scintillaient tels les sommets enneigés
Et le burnous gris du bien – aimé virevoltait dans les cieux
Fascination de tout ce qui est cloué au sol pour tout ce qui vole
Un jour le mâle s’est envolé pour ne plus revenir
Vint alors un chaton menaçant qui se hissa vers le nid
Restée seule que peut faire la mouette au milieu des tempêtes ?!
Qu’elle s’envole ou qu’elle demeure, ses petits seront la proie du félin,
Ses jacassements emplissent alors les fortifications du port
Des centaines d’oiseaux survolèrent l’éplorée
Le félin disparu, le vent tomba, et mon âme s’apaisa
C’est ce qui arrive à celle qui a vendu sa ceinture d’or
Permettant à l’inconnu de dérober ce qu’elle a de plus précieux
Elle a beau lancé des appels de détresse, personne n’y répond
C’est un poète – conteur qui composa cette qasida sur la mouette
Comme il en aurait composé sur l’abeille ou la flamme effilochée
Interroge – toi plutôt sur le sens des symboles
Prends une lampe et va déchiffrer à ton tour les symboles de la vie
Ne fais aucune confiance au temps, Ô toi qui comprend !
Il fait d’une hutte un château
Et d’un palais une ruines ensablées dans la baie !
Pour ce poète comme pour le magicien de la terre qu’était Boujamaâ Lakhdar, les représentations de la nature – salamandre, gazelle, mouette, abeille, etc.- sont souvent des symboles anthropomorphiques dont il faut déceler le sens au-delà des apparences. Une mouette n’est pas une mouette, elle est pour l’artiste peintre le symbole même de la ville. Le dernier tableau peint par Boujamaâ Lakhdar, avant sa disparition en 1989, représentait une mouette fantastique portant sur ses ailes les signes et les symboles magiques de la ville.Essaouira reste une « veuve déchue qui se souvient de sa gloire », me disait mon père.
Goéland cendré et faucon d'Eléonore
Le citoyen Broussonet est le premier vice-consul français à Mogador Ce fut seulement en 1798, qu’il partit de Montpellier pour rejoindre son poste à Mogador : « je serais au comble de mes vœux , écrit-il si je pouvais être envoyé à Mogador ; c’est le lieu de passage des oiseaux qui viennent d’Europe, et la quantité de volaille qu’on y trouve est réellement prodigieuse. »En y arrivant il découvre « d’immenses argans, dont on recueillait alors les fruits » ainsi que le thuia, dont on tire la résine de sardanaque ; « le thuia sandaraque ; le gommier, arbre important du genre de mimosa, dont on tire une gomme qui est un des objets du commerce du pays, que les arabes emploient en onguent dans les maladies cutanées ; un stapélia, leur sert d’aliment et grand nombre d’autres végétaux rares et inconnus. »
Autour de l’île, les eaux sont si poissonneuses qu’on y pêche avec les algues, par nuit sombre, comme au clair de lune. Sans cesse un vent impitoyable balaie tout sur son passage. Quand souffle le vent du nord, il faut pêcher sur l’îlot de « firaoune », mais quand souffle le vent du Sud, il faut aller jusqu’à la grande île. Les goélands y forment une véritable voie lactée aux milliers d’ailes qui vibrent avec douceur, comme des prières bercées par les vagues.
Le faucon Eléonore niche ici du mois d’avril au mois d’octobre, loin des bruits et des fauves, au sommet des montagnes...L’hiver, les étourneaux , ces oiseaux solaires qu’on appelle zerzour, forment un immense « boa volant », qui orne le ciel et se confond avec lui. Calligraphie céleste, noria tournoyante au crépuscule. Ces oiseaux sont les gardiens de l’île, ou peut être la réincarnation des âmes qui la hantent encore.
A Essaouira, à l’embouchure de l’oued ksob et sur les parois des îles pupuraires Afalkay, le faucon d’Éléonore vient nicher du mois d’avril au mois d’octobre;On trouve des faucons sauvages dans les Doukkala mais c’est surtout en allant vers le Sud, à partir de Safi qu’on les trouve en abondance. Déjà, il y a cinq siècles, Diégo de Torres signalait les monts clairs, c'est-à-dire le Haut Atlas comme un pays où on trouvait des faucons réputés.
Les Doukkala distinguent deux espèces de faucons : le Bahri et le Nabli. Quand ils ont jeunes, ils se ressemblent tous les deux. Le Nabli devient plus grand et plus beau. Ses yeux sont grands et noirs et sa poitrine devient avec l’âge toute tigrée. Le Bahri chasse de la Ânsra, le 24 juin, jusqu’à mars. Et le Nabli d’octobre à la Ânsra. Le reste du temps, on les tient à l’attache. Aucun d’eux ne chasse la grosse outarde, ou l’Ahbara.
La chasse est un sport à l’honneur chez les Doukkala. Ils ont poussé assez loin, l’art de dresser les oiseaux, et c’est chez les Doukkala que se trouvent les plus célèbres fauconniers du Maroc. « la chasse au faucon rajeunit » disent les adeptes, en raison du plaisir intense qu’elle donne. En même temps qu’elle pousse au maximum toutes les facultés locomotives. Les fauconniers , ou Biaza au Maroc, forment une sorte de corporation placée sous le patronage de Sidi Ali Ben Qacem. Ce saint homme vivait à Marrakech où il mourut. Son sanctuaire se trouve actuellement derrière laKoutoubia. Les fauconniers qui prétendent aujourd’hui descendre du saint s’appellent , en son souvenir, Qouacem.
A l’époque de la domination portugaise les faucons figuraient au nombre des redevances féodales des petites villes berbères comme Agouz. De même lorsque les espagnoles traitaient avec les rois de Tlemcen ; ils obligeaient ceux – ci à leur livrer annuellement un nombre déterminé de ces oiseaux.Cette descendance maraboutique des fauconniers, leur organisation en une corporation d’ailleurs aristocratique et religieuse, peuvent sans doute être considéré comme des vestiges d’une époque antique à laquelle le faucon avait un caractère sacré.
.
Sculpture des vagues et du vent
08:11 Écrit par elhajthami dans Poésie, Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poèsie, photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
08/06/2011
Poème de la mer
Poème de la mer
Poème du Raïs Belaïd, pionnier de l’amerg qui a introduit le rebab
(Traduction de Saïd Khalil, faculté des lettres et sciences humaines, Agadir)
Ceci est un poème que je viens d’écrire
Poème à propos de tassort (Essaouira) et de ceux qui s’y promènent.
Ô Sidi Mogdoul ! Je t’implore !
Ne me laisse jamais seul au milieu des mers.
Ô tassort(Essaouira) ! Combien ta mer est dangereuse !
Si nombreux sont ceux qui y sont disparu !
Toute ta mer n’est autre que vagues immenses, insurmontables.
Montagnes au sein même des flots !
Sont pris pour néant, ceux, malheureux qui y voguent.
Ce bout de monde de tassort à Agadir
N’est autre qu’un monde des ténèbres
Seule l’eau y prend parole.
Ce bout de monde de tassort à Agadir,
Qui d’autre aurait l’audace de le traverser
Si ce n’est l’aventurier insensé ?
Cette mer emporta bateaux et ce qui s’y trouvait,
Cette mer emporta barque et poisson.
Elle mit son ancre en pièce pour l’ensabler.
De même, matelots qui s’y trouvaient ont tous péri.
Laissant derrière eux, épouse et femmes seules
Faire faces seules, à leur propre sort.
Ô ensorcelé par les charmes de tassort !
Amoureux de plage et de ceux qui s’y baladent,
Des allées, et de ceux qui s’y promènent,
Ne prends plus jamais le large !
Vois-tu ces navires entrants, que tu prendrais pour le retour à midi,
D’un troupeau de petit bétail ?
Le début d’une tempête peut les disperser toutes et les faire disparaître
Seraient alors réduits à néant tous ceux malheureux qui s’y trouvaient !
Eau de mer et vie ne vont point de pair,
Et point ne tient à la vie celui qui s’y attache encore.
Mieux vaut pour lui, commercer « même » de la menthe,
Se contenter du bonheur d’un pain d’orge au repas,
Ne pas s’empresser de faire fortune
Et prendre garde à errer, de crainte enfin de s’égarer.
Poème du Raïs Belaïd, pionnier de l’amerg qui a introduit le rebab
(Traduction de Saïd Khalil, faculté des lettres et sciences humaines, Agadir)
Eloge à mon Rebab
Du Raïs Aïsar du pays haha
Poéme traduit du berbère par Abdelkader Mana assisté de Raja Mohamed
Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi
Et si tu es fatigué, moi aussi je n’en peux mais
Le banjo et le luth t’ont privé de ton sel
Ta déchéance retombe finalement sur moi
A force de t’accompagner aux fêtes champêtres:
Je n’ai pu être parmi les miens ne serais-ce qu’une semaine
Seigneur ! Sauvez la langue tachelhit de son état déplorable !
Où sont passés ceux avec qui, j’ai la parole en partage ?
Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi
Et si tu es fatigué, moi aussi je n’en peux mais
Je suis le parieur qui ne perd jamais
Si le sommeil vient à nous manquer
On peut toujours récupérer
Et si je meurs, c’est cette parole que je vous lègue
Je la transcris dans les livres
S’il y a quelqu’un pour la lire
S’il n’existe pas aujourd’hui
Il existera demain
Celui qui la lira priera pour ma miséricorde
Il saura alors quels effrois m'ont fait périr
Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi
Et si tu es fatigué, moi aussi je n’en peux mais
Seigneur ! Venez au secours de ma pauvre pirogue
Car nous ne saurons nager,
Au milieu de la houle qui s’avance à vive allure
Et des eaux agitées
Si nos mains et nos pieds en viennent à geler
De quel secours pouvons-nous, nous prévaloir,
Avant que les poissons ne nous dévorent?
Dieu seul voit clairement en ces profondeurs insondables
Mon Dieu venez donc au secours de cet orphelin
Car la mère qui prodiguait consolations n’est plus
C’est désormais à toi seul qu’il s’en remet.
Je te dépose ô Ribab puisque personne ne veut plus de toi
Et si tu es fatigué, moi aussi je n’en peux mais
Reportage photographique d'Abdelkader mana
Essaouira, jeudi 26 mai 2011
11:22 Écrit par elhajthami dans Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
29/05/2011
Lieux de mémoire
La vieille médina est maintenant transformée en une énorme hôtellerie comme on le voit avec cette enseigne annonçant un "Riad"....
En traversant le vieux Mellah (mellah QDIM) on aboutit à "jamaâ Bihi" l'école coranique où chaque matin, mon père maâlem Tahar MANA, devait quitter son atelier de marqueteur en face du cinéma Skala pour nous ramener des baignets tout chaud en guise de petit déjeuner. Le fiqih Si Bihi qui nous enseignait alors avait une longue barbe blanche et la mine sévère: il recourait àouvent à la bastonnade en guise de correction : un jour il m'ordonna d'épeler l'alphabet arabe tandis que les autres enfants devaient répéter après moi. Mais je n'arrivait pas à aller au-delà de la lettre "JIM" et invariablement il faisait tomber son énorme baton sur mon crâne. Depuis lors je me suis mis à fuire l'école coranique pour aller écouter le savoureux conteurde Bab Marrakech : ma mère avait toutes la peine du monde à me faire revenir à cette école coranique.qui représentait pour moi le chatiment Elle devait me trainer au point de voir son haïk défait en pleine rue : j'en ai gardé pendant des années une bosses au sommet du crâne....
Le mur où était accroché la planche coranique où je devais épeler les lettres arabe
A l’alliance israélite où j’étudiais, on m’accorda alors de beaux livres pour enfant, que je n’ai pu recevoir à l’estrade, mais que Zagouri, mon institutrice, me fit alors venir chez le pâtissier Driss, où j’ai eu droit et aux Beaux Livres et à un gâteau au chocolat ! Je lui ai menti, en lui disant que je n’ai pas pu assisté à la remise des prix parce que j’étais parti à Chichaoua ! En réalité l’appel de la plage et des vacances étaient plus forts, surtout quand les élèves se mettaient à chanter à la récréation dans la cour :
« Gai gai l’écolier, c’est demain les vacances...
Adieu ma petite maîtresse qui m’a donné le prix
Et quand je suis en classe qui m’a fait tant pleurer !
Passons par la fenêtre cassons tous les carreaux,
Cassons la gueule du maître avec des coups de belgha (babouches)
Le témoignage de maâlem Mtirek
Sur le samaâ judéo - musulman d'Essaouira
Aujourd'hui, le mercredi 13 janvier 2010, vers la mi-journée (journée brumeuse mais lumineuse) alors que je prenais un thé à la menthe à la terrasse du café Bachir qui donne sur la mer, je vois venir sur une chaise roulante, maâlem Mtirek, ami à mon père. Il est presque centenaire maintenant, mais sa mémoire reste vivace. Il se souvient de la veillée funèbre du 13 janvier 2003, organisée à la Zaouia de Moulay Abdelkader Jilali pour le quarantième jour du décès de mon père : « C'est là, me dit-il, qu'est enterré maâlem Mad, le maître artisan de ton père. Après avoir accompli son apprentissage auprès de lui, ton père était venu travailler chez Bungal dans les années 1930. Mon établi ( manjra), le sien et celui de Ba Antar étaient mitoyens. Un jour, je me suis mis à déclamer des mawal (oratorios) . Une fois apaisé de mon extase, ton père qui écoutait à l'entrée de l'atelier est venu vers moi pour me dire sur le ton de la plaisanterie :
- Maâlem ! Laisse les gens travailler au lieu de les extasier par ton mawal ! le chantier s'est arrêté à cause de tes mawal !
C'est ce mawal que je déclamais alors sur le mode de la Sika andalouse :
Ya Mawlay koun li wahdi,Li annani laka wahdaka
Wa biqalbika îndi,Min Jamâlikoum
la yandourou illa siwaakoum
Seigneur, soit pour moi tout seul
Parce que c'est à toi seul que je me suis dévoué !
Et mon cœur n'a plus de regards que pour ta splendeur !
A l'époque , poursuit maâlem Mtirek, tout le monde était mordu de mawal à Essaouira : le vendredi on allait animer des séances de samaâ, d'une zaouia, l'autre : la kettaniya, la darkaouiya, celle des Ghazaoua et celle de Moulay Abdelkader Jilali. Les Aïssaoua et les Hamadcha faisaient de même avec leur dhikr et leur hadhra à base de hautbois et d'instruments de percussion. On allait aussi chez les Gnaoua dont la zaouia était dirigée par El Kabrane (le caporal), un ancien militaire noir, qui parlait sénégalais et qui gardait l'hôpital du temps du docteur Bouvret. C'était un type très physique qui servait en même temps de videur lors des lila des Gnaoua : si quelqu'un sentait l'alcool en arrivant à la zaouia de Sidna Boulal ; il le prenait à bras le corps comme un simple poulet et le jetait au loin, hors de l'enceinte sacrée. Les gens étaient véritablement « Ahl Allah » (des hommes ivres de Dieu). Nous avions notre propre orchestre de la musique andalouse, dont faisait partie Si Boujamaâ Aït Chelh, El Mahi, El Mamoune et un barbier . Les juifs avaient leur propre orchestre de musique andalouse: Chez eux un dénommé Solika faisait office de joueur de trier, il y avait aussi un rabbin qui jouait de la kamanja et un autre du luth. On allait aussi écouter les mawal chez la communauté israélite de la ville. Une fois alors que j'étais au mellah, au vestibule d'une maison juive où se déroulait un mariage, je me suis mis à déclamer un mawal à haute vois - j'avais alors une voix très forte qui porte au loin - et tout le monde s'est mis à courir dans tous les sens en disant : « Venez écouter cette belle voix d'un musulman ! ». A l'époque il y avait un tailleur parmi les musulmans dont j'ai oublié le nom, qui avait une voix tellement attendrissante, qu'elle paralysait quiconque venait à l'entendre. »
L'atelier de Simohamed BEN M'barek, dit "lamine", l'un des marqueteurs les plus raffiné de la ville est devenu une boutique d'herboriste!
Enfant du pays l'herboriste va recueillir lui même les plantes médicinales aux environs d'Essaouira en s'inspirant des vieilles recettes de grand'mère: pour l'efficacité de la thérapie, le moment de la cueillette est très important, nous explique-t-il.
A l'intérieur, des femmes triturent de l'huile d'argan à l'ancienne au prix de 150 dhs le litre alors qu'a travers la ville de nombreuses boutiques de coopérative dédiée à l'huile d'argan le vende à 300 dhs le litre. l'un des principaux bazar de la ville fait faire de l'huile d'argan par des femmes rurales qu'on peut observer sur place au prix de 300 dhs le litre également...
L'une des femmes travaillant pour l'herboriste, m'apprend qu'elle est originaire de Bni Lent fraction Tsoul de la région de Taza, région que je connais bien. Nombreuses sont les femmes qui cherchent leur autonomie financière en travaillant dans les Riads de la médina, dans le commerce et maintenant dans quelques salles de massage et d'esthétique qui viennent d'ouvrir leurporte pour répondre à la demande touristique: il parait maintenant que les touristes se rendent même dans la campagne environnante pour se marier : les parents n'hésitent plus à confier leur fille même à de vieux touristes, pourvu que leur fille trouve un meilleur sort en Europe....Le lendemain de ma visite à l'herboriste j'ai pris tôt le matin du samedi 28 mai 2011, la direction de Marrakech...Les deux villes sont maintenant reliées par autoroute: un appréciable gain de temps. En ce fin mai, il pleut sur le pays des rhamna: ce pays de vieux nomades et de transhuman semble inhabituellement verdoyant. Un vieux proverbe dit: "Quand le pays Rhamna est verdoyant, c'est qu'il y aura une belle moisson dans tout le Maroc."
Abdelkader Mana, fin mai 2011
17:01 Écrit par elhajthami dans Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook