29/05/2011
Lieux de mémoire
La vieille médina est maintenant transformée en une énorme hôtellerie comme on le voit avec cette enseigne annonçant un "Riad"....
En traversant le vieux Mellah (mellah QDIM) on aboutit à "jamaâ Bihi" l'école coranique où chaque matin, mon père maâlem Tahar MANA, devait quitter son atelier de marqueteur en face du cinéma Skala pour nous ramener des baignets tout chaud en guise de petit déjeuner. Le fiqih Si Bihi qui nous enseignait alors avait une longue barbe blanche et la mine sévère: il recourait àouvent à la bastonnade en guise de correction : un jour il m'ordonna d'épeler l'alphabet arabe tandis que les autres enfants devaient répéter après moi. Mais je n'arrivait pas à aller au-delà de la lettre "JIM" et invariablement il faisait tomber son énorme baton sur mon crâne. Depuis lors je me suis mis à fuire l'école coranique pour aller écouter le savoureux conteurde Bab Marrakech : ma mère avait toutes la peine du monde à me faire revenir à cette école coranique.qui représentait pour moi le chatiment Elle devait me trainer au point de voir son haïk défait en pleine rue : j'en ai gardé pendant des années une bosses au sommet du crâne....
Le mur où était accroché la planche coranique où je devais épeler les lettres arabe
A l’alliance israélite où j’étudiais, on m’accorda alors de beaux livres pour enfant, que je n’ai pu recevoir à l’estrade, mais que Zagouri, mon institutrice, me fit alors venir chez le pâtissier Driss, où j’ai eu droit et aux Beaux Livres et à un gâteau au chocolat ! Je lui ai menti, en lui disant que je n’ai pas pu assisté à la remise des prix parce que j’étais parti à Chichaoua ! En réalité l’appel de la plage et des vacances étaient plus forts, surtout quand les élèves se mettaient à chanter à la récréation dans la cour :
« Gai gai l’écolier, c’est demain les vacances...
Adieu ma petite maîtresse qui m’a donné le prix
Et quand je suis en classe qui m’a fait tant pleurer !
Passons par la fenêtre cassons tous les carreaux,
Cassons la gueule du maître avec des coups de belgha (babouches)
Le témoignage de maâlem Mtirek
Sur le samaâ judéo - musulman d'Essaouira
Aujourd'hui, le mercredi 13 janvier 2010, vers la mi-journée (journée brumeuse mais lumineuse) alors que je prenais un thé à la menthe à la terrasse du café Bachir qui donne sur la mer, je vois venir sur une chaise roulante, maâlem Mtirek, ami à mon père. Il est presque centenaire maintenant, mais sa mémoire reste vivace. Il se souvient de la veillée funèbre du 13 janvier 2003, organisée à la Zaouia de Moulay Abdelkader Jilali pour le quarantième jour du décès de mon père : « C'est là, me dit-il, qu'est enterré maâlem Mad, le maître artisan de ton père. Après avoir accompli son apprentissage auprès de lui, ton père était venu travailler chez Bungal dans les années 1930. Mon établi ( manjra), le sien et celui de Ba Antar étaient mitoyens. Un jour, je me suis mis à déclamer des mawal (oratorios) . Une fois apaisé de mon extase, ton père qui écoutait à l'entrée de l'atelier est venu vers moi pour me dire sur le ton de la plaisanterie :
- Maâlem ! Laisse les gens travailler au lieu de les extasier par ton mawal ! le chantier s'est arrêté à cause de tes mawal !
C'est ce mawal que je déclamais alors sur le mode de la Sika andalouse :
Ya Mawlay koun li wahdi,Li annani laka wahdaka
Wa biqalbika îndi,Min Jamâlikoum
la yandourou illa siwaakoum
Seigneur, soit pour moi tout seul
Parce que c'est à toi seul que je me suis dévoué !
Et mon cœur n'a plus de regards que pour ta splendeur !
A l'époque , poursuit maâlem Mtirek, tout le monde était mordu de mawal à Essaouira : le vendredi on allait animer des séances de samaâ, d'une zaouia, l'autre : la kettaniya, la darkaouiya, celle des Ghazaoua et celle de Moulay Abdelkader Jilali. Les Aïssaoua et les Hamadcha faisaient de même avec leur dhikr et leur hadhra à base de hautbois et d'instruments de percussion. On allait aussi chez les Gnaoua dont la zaouia était dirigée par El Kabrane (le caporal), un ancien militaire noir, qui parlait sénégalais et qui gardait l'hôpital du temps du docteur Bouvret. C'était un type très physique qui servait en même temps de videur lors des lila des Gnaoua : si quelqu'un sentait l'alcool en arrivant à la zaouia de Sidna Boulal ; il le prenait à bras le corps comme un simple poulet et le jetait au loin, hors de l'enceinte sacrée. Les gens étaient véritablement « Ahl Allah » (des hommes ivres de Dieu). Nous avions notre propre orchestre de la musique andalouse, dont faisait partie Si Boujamaâ Aït Chelh, El Mahi, El Mamoune et un barbier . Les juifs avaient leur propre orchestre de musique andalouse: Chez eux un dénommé Solika faisait office de joueur de trier, il y avait aussi un rabbin qui jouait de la kamanja et un autre du luth. On allait aussi écouter les mawal chez la communauté israélite de la ville. Une fois alors que j'étais au mellah, au vestibule d'une maison juive où se déroulait un mariage, je me suis mis à déclamer un mawal à haute vois - j'avais alors une voix très forte qui porte au loin - et tout le monde s'est mis à courir dans tous les sens en disant : « Venez écouter cette belle voix d'un musulman ! ». A l'époque il y avait un tailleur parmi les musulmans dont j'ai oublié le nom, qui avait une voix tellement attendrissante, qu'elle paralysait quiconque venait à l'entendre. »
L'atelier de Simohamed BEN M'barek, dit "lamine", l'un des marqueteurs les plus raffiné de la ville est devenu une boutique d'herboriste!
Enfant du pays l'herboriste va recueillir lui même les plantes médicinales aux environs d'Essaouira en s'inspirant des vieilles recettes de grand'mère: pour l'efficacité de la thérapie, le moment de la cueillette est très important, nous explique-t-il.
A l'intérieur, des femmes triturent de l'huile d'argan à l'ancienne au prix de 150 dhs le litre alors qu'a travers la ville de nombreuses boutiques de coopérative dédiée à l'huile d'argan le vende à 300 dhs le litre. l'un des principaux bazar de la ville fait faire de l'huile d'argan par des femmes rurales qu'on peut observer sur place au prix de 300 dhs le litre également...
L'une des femmes travaillant pour l'herboriste, m'apprend qu'elle est originaire de Bni Lent fraction Tsoul de la région de Taza, région que je connais bien. Nombreuses sont les femmes qui cherchent leur autonomie financière en travaillant dans les Riads de la médina, dans le commerce et maintenant dans quelques salles de massage et d'esthétique qui viennent d'ouvrir leurporte pour répondre à la demande touristique: il parait maintenant que les touristes se rendent même dans la campagne environnante pour se marier : les parents n'hésitent plus à confier leur fille même à de vieux touristes, pourvu que leur fille trouve un meilleur sort en Europe....Le lendemain de ma visite à l'herboriste j'ai pris tôt le matin du samedi 28 mai 2011, la direction de Marrakech...Les deux villes sont maintenant reliées par autoroute: un appréciable gain de temps. En ce fin mai, il pleut sur le pays des rhamna: ce pays de vieux nomades et de transhuman semble inhabituellement verdoyant. Un vieux proverbe dit: "Quand le pays Rhamna est verdoyant, c'est qu'il y aura une belle moisson dans tout le Maroc."
Abdelkader Mana, fin mai 2011
17:01 Écrit par elhajthami dans Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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