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22/08/2010

Dédicace à Bouganim Ami

L'ami Bouganim

La tolérance vient d'abord de l'éducation: le fait que nous avons partagé le même banc d'école, les mêmes éducteurs, le même enseignement de l'Arabe et de l'Hébreux avait grandement contribué aux respect mutuel entre juifs et musulmans de Mogador.Paléstiens et Israéliens ne peuvent coéxister pacifiquement en Terre Sainte que  s'ils envoient leurs enfants étudier à la même école maternelle où on apprend l'hébreux aussi bien que l'Arabe , où on apprend à reconnaitre l'humanité de l'autre...De sorte qu'en grandissant on n'oserait plus le haïr et encore moins le tuer...

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Classe de première année de l'école pimaire de l'Alliance israélite de Mogador où étudiaient juifs et musulmans : 1961 - 1962

Je viens de publier sur mon blog une note sur le pays montagneux des Glaoua où il est question d'un saint judéo - berbère du nom de Moulay Ighi qui est situé dans la fraction Glaoua de Tisakht Ighi. Et ce matin je m'apprête à écrire une nouvelle note sur le Haut Atlas central mais j'hésite sur le titre: hier soir déjà je me disais que le titre qui conviendrait le mieux c'est celui du bouffon-musicien qui joue à la double flûte de roseau (aghanim en langue tamazight) qui porte de ce fait le nom de "Boughanim". Et juste avant de dormir j'ai fait le lien entre "Boughanim" et "Bouganim" et je me suis dit que peut-être ce rapprochement sémantique n'est pas le fruit du pur hasard....  Consulté à ce sujet; aujourd'hui; Bouganim Ami me réconforte dans cette hypothèse :

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L'élève Abdelkader Mana; premier en bas à droite

Très cher Albdekader,

J'ai toujours été un homme roseau. Frêle et délicat. Solidement enraciné dans mon terreau et résistant aux vents. Tous les vents. Philosophiques, religieux, poétiques. Je ne ploie pas, je plie. Puis je me redresse, comme le dit un midrash. Quand j'ai quitté Mogador pour Casablanca, je me suis retrouvé au théâtre du parc des jeux. J'étais à la fois prince et… clown. Ca n'a duré que deux ans, c'était assez pour me marquer pour la vie. Prince par-ci, clown par-là. Ne me posant pas en prince sans être pris pour un clown, ne me livrant pas à mes clowneries sans m'attirer des attentions princières. Mes souvenirs de théâtre sont consignés dans un livre intitulé Le Cid qui n'a pas encore paru, mes illuminations de roseau pensant et rieur sont consignées dans un dossier que je reprendrai peut-être un jour et qui s'intitule : "Ainsi parlait Derbala…"

Tu vois que n'es pas loin.

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Entre-temps, je travaille sur mon manifeste poétique de Mogador. Tu es mentionné toutes les cinq pages environ. Sans parler de ton portrait. C'est te dire que je suis un des meilleurs connaisseurs de ton site. Peut-être passerai-je deux ou trois semaines en novembre à Mogador. Pour rencontrer Hussein Miloudi, découvrir l'arrière-pays, prendre des notes pour un roman que j'ai en tête et compléter le manifeste.

Me permets-tu de reprendre cette correspondance dans mon propre blog ?

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Mais bien sûr et avec grand plaisir : à cause de ton frère cadet; Jojo mon copain de classe chez notre maîtresse Benssoussan, j'ai un rapport très mystérieux avec les Bouganim. Disant un rapport fraternelle . Quand tu m'avais conduit à la maison où tu étais né à Mogador ; il s'est trouvé que c'est dans cette même maison que j'ai passé les plus heureuses années de mon enfance...Quand plus tard j'ai pleuré d'émotion en lisant ton récit du Mellah...Maintenant que tout ce que nous aimons n'est plus là-bas, maintenant que nos retrouvailles avec notre villes sont peuplés de déceptions...Maintenant que le passage devant notre école et notre vieux cimetière ne nous fait plus frémire de nostalgie...Maintenant que la ville ne nous appartient plus. Maintenant... Abdelkader Mana

P.S. Ma tante maternelle habitait alors dans la médina d’Essaouira du côté de la Scala de la mer — la maison même où était né Bouganim Ami, l’auteur du « Récit du Mellah », comme il me l’a indiqué lui-même lors de son bref séjour de 1998. Une maison avec patio où la lumière venait d’en haut. Et moi tout petit au deuxième étage regardant le vide à travers des moucharabiehs et répétant la chanson en vogue à la radio :

Cest pour toi que je chante

Ô fille de la médina !

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Comment de la plaine resurgirait Mogador
Comment pourrait-on haïr qui l'on aime?
Je t'aime Mogador, je t'aime!

A l’alliance israélite où j’étudiais, on m’accorda alors de beaux livres pour enfant, que je n’ai pu recevoir à l’estrade, mais que Zagouri, mon institutrice, me fit alors venir chez le pâtissier Driss, où j’ai eu droit et aux Beaux Livres et à un gâteau au chocolat ! Je lui ai menti, en lui disant que je n’ai pas pu assisté à la remise des prix parce que j’étais parti à Chichaoua ! En réalité l’appel de la plage et des vacances étaient plus forts, surtout quand les élèves se mettaient à chanter à la récréation dans la cour :

« Gai gai l’écolier, c’est demain les vacances...

Adieu ma petite maîtresse qui m’a donné le prix

Et quand je suis en classe qui m’a fait tant pleurer !

Passons par la fenêtre cassons tous les carreaux,

Cassons la gueule du maître avec des coups de belgha (babouches)

De cette vieille maison que nous avons en partage Bouganim Ami  écrit  :

" De Mogador, je conserve surtout le souvenir d'une maison lézardée qui menaçait de céder et de s'écrouler. Les marches étaient si vieilles qu'elles craquaient sous nos pieds. Les monter ou les descendre relevaient d'une prouesse acrobatique. L'escalier était si obscur, de jour et de nuit, hanté de gnomes, de démons et de génies qu'on ne savait qui l'on croisait. Les carreaux de la verrière, contre laquelle le vent s'acharnait, ne cessaient de casser et de s'écraser dans la cour. Les balustrades des fenêtres étaient si fragiles qu'il nous était interdit de nous y appuyer. Les portes et les volets ne cessaient de claquer, secouant toute la bâtisse. Les souris et les chats s'introduisaient librement par la porte entrouverte en permanence ; les hirondelles ne se glissaient malencontreusement par la verrière que pour se heurter aux murs en quête d'une introuvable issue de secours. Les mouches, les abeilles et les hannetons voltigeaient tout autour jusqu'à ce que, par distraction, ils échouent dans l'une des nombreuses toiles d'araignées qui dentelaient les coins. Pourtant, c'était le paradis, ça l'est resté, malgré la riche galerie des esprits ou grâce à eux, et à l'occasion du  tournage d'un documentaire sur Mogador, j'ai découvert sans grand étonnement que des promoteurs sagement avisés s'apprêtaient à en faire une maison d'hôte."

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Il y a quelque jours Marta , l'ami Française m'écrivait: "Vous Mana, vous êtes un intellectuel, un cérébral, et un érudit, et avec une ouverture d'esprit peu commune." Je crois savoir aujourd'hui que mon ouverture d'esprit me vient de mon passage par l'école Israélite de Mogador..

Avec la nostalgie d'une humanité pastorale, le souvenir d'une humanité tatouée, la hantise d'une humanité robotisée,comme l'écrit Bouganim par ailleurs , je lui dédierai le texte sur le pastoralisme du Haut Atlas que je suis en train d’écrire et que parcourent depuis toujours les Boughanim au son de leur double clarinette de roseau….Abdelkader Manamoi.JPG

 

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Pratiquement à la même fameuse allée des arocarias, qui borde l'alliance Israélite d'une part et le vieux cimetière musulman d'autre part, à des années lumières d'interval: l'auteur en 1961 et en 2009....

17:34 Écrit par elhajthami dans Mogador, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poèsie, mogador | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

20/08/2010

Haut - Atlas

G l a o u a, le pays montagneux

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Tisseuses d’Iswal, scène homérique du Maroc éternel !

Frère, suit ton chemin

Il finira bien par te mener quelque part

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Tel est le refrain que répètent des musiciens ambulants à travers les allées et les étales de had zerkten, le principal souk hebdomadaire vers lequel convergent chaque dimanche toutes les tribus montagnardes environnantes qui font aussi leur marché à telwet qui est le véritable cœur du pays Glaoua. Ces musiciens ambulants s’inspirent dans leurs chants des dires d’Andam ou Adrar, le compositeur mythique des montagnes du Haut – Atlas. Ici, on croit que les arts musicaux  et poétiques sont un don qu’on reçoit après une nuit d’incubation à l’enceinte sacrée de certains saints. C’est le cas du vieux troubadour d’ Iswal qui nous fit don de ce poème :

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On festoie à la citadelle

Une fête que personne ne pourra oublier

Soit heureux ô pied qui avance pour danser la mesure

Soit heureuse ô main qui se saisit du tambourin

Azaghar est illuminé de toutes les lumières

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Ces montagnes sont pour nous la paix

Ces montagnes sont pour nous l’eau

On y trouve les troupeaux de gazelles

On y trouve l’olivier, l’amandier,

On y trouve les moulins à eau

On t’y trouve toi aussi ô rivière !

On y trouve les hommes hospitaliers et les ahwach prestigieux

C’est à la fois le sel des jours, des hommes et des choses.

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Avant que le chant ne s’épanouisse pleinement lors des fêtes annuelles, c’est en vaquant aux travaux des champs et de la vie quotidienne ; tisser, moudre, puiser l’eau ou ramasser le bois de chauffage que dès leur jeune âge, les jeunes filles apprennent le chant des femmes, leurs aînées et initiatrices. Autrefois c’est l’époque du tissage  que peu de femmes pratiquent encore de nos jours : vêtements et couvertures devaient être terminés avant le grand froid. Tisseuses d’Iswal, scène homérique du Maroc éternel !

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Tambour de feu, tambour d’Afrique en pays berbère…

Contrairement à l’ahouach des autres tribus masmoda , celui du pays Glaoua ne se limite pas au tambour sur cadre qu’on appelle taguenza ou allûn , mais y associe également le tambour haoussa à deux peaux, qu’on appelle ici comme à l’oued Noun au Sahara , « Ganga », probablement introduit au pays Glaoua par les esclaves noirs des grands caïds. Le métissage biologique et culturel explique pourquoi l’ahouach des Glaoua est l’un des plus complexes et des plus beaux au Haut – Atlas. Celui d’Iswal diffère grandement de celui de Tisakh Ighi, même si les deux fractions appartiennent à la même tribu Glaoua. Mais au – delà des différences locales inéluctables par où se manifeste le particularisme tribal, c’est ce caractère en quelque sorte sacré qui confère à cette danse berbère son unité foncière :  La même ronde circulaire ou allongée , serrés épaule contre épaule, le même balancement , le même geste menu et précis , réglé selon un rythme à la fois souple et rigoureux, la même mélopée suraiguë, la même batterie savante et impérieuse. Les préliminaires commencent lentement avec les percussions taguenza. Ce tambour sur cadre reste l’instrument principal ; celui sur lequel on exerce sa virtuosité. L’instrument de la fête par excellence. Les mots berbères les plus communément employés dans toute la montagne pour le désigner ce  sont allûn ou taguenza.

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Cette montagne si lourde et somptueuse est dépourvue de forêts ; son austérité et sa nudité lui confère pourtant une grandeur sauvage. Les chleuhs l’appellent « adrar n’deren » (la montagne des montagnes). Ce massif est attirant par sa beauté rude. Ici, la montagne est si haute qu’elle touche les nuages venues de l’océan si proche et qu’elle est couverte de neige une partie de l’année. Montagne aride, montagne humide, montagne froide. Les douars d’ Iswal s’y cramponnent pourtant, profitant du peu de terre arables qui reste au fond des vallées profondes et au bord des cours d’eau. Iswal est une  fraction qui se compose de neuf douars. Mais seuls trois d’entre eux ont participé à la fête saisonnière à laquelle nous avons assisté : celui de titoula, où a eu lieu le tournage,  celui d’anamer et celui de taâyat. On s’est dirigé ensuite vers la fraction de tisakht Ighi qui se caractérise par la présence d’un saint judéo - berbère, Moulay Ighi, dont le sanctuaire fait l’objet chaque année d’une hiloula , pèlerinage auquel participe la diaspora juive d’origine berbère.

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En automne, après les fêtes familiales tels les mariages, les femmes vont chercher du bois qu’elles entreposent pour l’hiver. Elles doivent prévoir et accumuler des réserves comme témoigne dans un arabe approximatif cet habitant de haute montagne : « Quand il ne reste plus que dix jours à l’automne pour finir, en prévision de la période du grand froid de l’hiver, les femmes  stockent de l’herbe sèche pour les bêtes et récolent le navet qui une fois séché sur les terrasses et réduit en poudre servira de condiment pour le couscous. Il tombe ici jusqu’à deux mètres de neige. C’est la période où les villages sont entièrement isolés par la neige. Les femmes montent sur les terrassent et balaient la neige pour que l’eau ne s’infiltre pas à l’intérieur des maisons. »

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Contraste brutal entre des sommets et des crêtes à l’imposante majesté et des vallées étroites et profondes. Les montagnes sont tantôt dénudées et austères tantôts recouverts de pins d’Alep associé au chêne vert au thuya et au genévrier rouge. Un pays difficile d’accès où les pistes muletières l’emportent largement sur les pistes carrossables qui sont une réalité récente due largement au système d’entraide collective connu sous le nom de tuiza .  Le peu de terres arables qui reste en flanc de montagne et au bord des cours d’eau est cultivé en terrasse. Au bord de l’oued Ghdat, on sème l’ail,l’ognon, le navet en plus des céréales. Le moindre espace est exploité y compris parmi les galets de la rivière, lorsque celle-ci est desséchée. Le douar tighwine où a lieu la fête saisonnière, organisée pour le tournage de « la musique dans la vie », se situe sur la rive gauche de l’oued Ghdat, un alluvion de l’oued Tensift, alimenté par de nombreux cours d’eau qui descendent principalement d’ adrar n’gourent (la grande montagne) qui culmine à plus de 3000 m. d’altitude.

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Chez les Glaoua , le col de Tizi n’Telouet est le passage obligé au Haut – Atlas pour les caravaniers et les marchands. C’est en prélevant une dîme de passage sur les marchandises que le caïdalisme s’est développé chez les Glaoua.  Leur puissance prenait sa source d’abord du contrôle des échanges marchands qui transitaient par les cols . La fameuse route de l’or et du sel qui reliait par delà le Haut – Atlas, le Sahara au sud aux rivages de la Méditerranée au nord.

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Au XIXème siècle  habituellement le caïd du Makhzen était choisi chez les tribus zamran ou  sraghna. Chaque année ce chef de tribu guich rassemblait ses contingents et dépassait par Telouet, où le père de Sidi Madani Glaoui, n’était alors qu’un petit cheikh de montagne semblable aux autres, puis il descendait vers le Warzazate, Taznakht et le zegmouzen en suivant ces vallées, chez les petits amghars dont les maisons jalonnaient cette « voie Makhzen ». En 1914, les Français s’appuient sur le Glaoui  ainsi que les autres seigneurs de l’Atlas – les caïds Mtouggi et Goundafi – pour soumettre les tribus du Sud. A son avènement Thami el Glaoui garde sous son autorité quelques tribus du Sud, mais surtout, sur le versant nord, les Zamran et les Mesfiwa où il s’implante solidement en prenant les meilleurs terres dont il expulse les habitants. Lors du séquestre de 1958, ses propriétés rurales immatriculées dans le seul Haouz, couvraient une superficie totale de 11.400 hectares irrigués. Sa famille possédait plus de 16000 hectares et le clan 25000 hectares. Ne sont pas compris ici ; les terres non titrées, les oliviers (660 000 pieds), ni les propriétés dans les autres provinces (oued Dra et Dadès notamment). Il s’agit là de la plus grande concentration foncière connue au Maroc. La Vigie du mercredi 26 octobre 1955 titrait ainsi : « Coup de théâtre à Rabat hier après midi : Le ralliement du Glaoui au sultan ben Youssef a fait sensation. » Il a été couramment admis qu’avec lui prenait fin le régime féodal marocain. Thami el-Glaoui, est resté Pacha de Marrakech sans discontinuer de 1918 à sa mort le 12 janvier 1956, où il fut inhumé au splendide mausolée de Sidi Sliman El Jazouli, l’un des sept saints de Marrakech. Il y disposait d’ailleurs d’un palais, de style andalous – mauresque,  surnommé stiniya (littéralement la soixantaine), en raison de l’une de ses salles, dont la coupole était décorée d’un dessin géométrique comportant « soixante rayons ».

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Chez les Glaoua, l’ahouach est essentiellement mixte :la présence des femmes dans les fêtes est sans conteste primordiale, ne serait – ce que pour assurer la réussite de la danse . Dans la danse comme dans le chant les femmes occupent une place prépondérante. Elles composent un chœur complémentaire à celui des hommes et ont tout au moins sur le plan vocal, puisqu’elles ne touchent jamais au tambour ; un rôle à tenir.

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On prélude par le rythme à l’état pur : percussion de plusieurs taguenza à la fois. Puis on entame arasal :. jeu de tambour accompagnant le chant des hommes à l’unisson. On enchaîne ensuite par une ornementation dénommée tazrart : élévation des voix qui accompagnent les percussion comme des échos de bergers au fond de   la montagne, cris de joie qui vise à susciter l’enthousiasme qu’on appelle ici tahyar. Ce qui prouve s’il en est besoin que l’ahouach est une danse jubilatoire qui vise à produire l’enthousiasme et la joie et non la transe même s’il est fondé sur le même principe d’accélérando .Survient enfin le chant des femmes à l’unisson qu’on appelle tihwachine.

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Dans la poésie chantée qu’on appelle N’dam, les hommes ont un rôle prépondérant. Ce sont eux qui assurent l’improvisation poétique , devant les villageois rassemblés sur la place publique. On chante le N’dam en couvrant la bouche de son tambourin comme pour se protéger des puissances surnaturelles autant que pour mieux moduler sa voix. Un refrain montagnard, jeu de tambour, tambour de fêtes saisonnières. Voilà ce qui frappe le plus du point de vue musical au pays Glaoua que nous avons traversé à mi – chemin entre Marrakech et Warzazate ,à l’aube de cette nouvelle année agricole de 1998.

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Un pays montagneux où chaque vallée possède sa propre troupe d’ ahouach et où pourtant aucune musique d’une vallée ne ressemble à une autre.

Abdelkader Mana

21:09 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, haut-atlas | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

18/08/2010

Houara

Rythme H O U A R A

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Danses des gazelles

« Danse des gazelles », c’est ainsi qu’on appelle la danse aillée au rythme saccadé des Houara. Dans l’expression « mizân haouari », il y a la notion d’équilibre. La danse doit être parfaitement synchronisée au rythme. C’est cet équilibre qu’on appelle mizân. Tout l’art du danseur est de synchroniser le geste à la percussion, la chorégraphie au rythme. C’est généralement la petite tara qui mène la danse marquant par des césures musicales des arrêts où le danseur doit passer d’une posture chorégraphiques à une autre. Chacun  fait preuve de ses prouesses chorégraphiques : danseurs et danseuses se relaient à tour de rôle mais chacun a son propre style, sa propre chorégraphie. Le jeu de pur rythme destiné à la danse est entrecoupé de chants qu’on appelle tagrar : « Je suis l’hôte de Dieu, ô braves hommes de ce pays !». C’est par ces mots que s’ouvre la compétition dansée.

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Nous nous sommes arrêtés au douar Mzila (« les maîtres forge » en berbère) là où finit le Haut Atlas et où commence la plaine de Sous. On est là encore dans le domaine aride comme l’atteste la chaleur accablante de la région. C’est le domaine de l’arganier. La chaleur est si extrême durant la prédominance du shûm qu’il n’est pas possible de sortir dehors. Les toitures des maisons sont fréquemment pelées par la chaleur du vent du chergui qui ressemble à celle qui se dégage de la gueule d’un four : les vêtements deviennent étouffants. Ce vent violent est cependant prélude à la saison pluvieuse. Aux abords de l’oued Sous l’écosystème change brutalement trahissant les effets bénéfiques d’une meilleure qualité du sol et de la nappe phréatique alimentée par le Haut - Atlas tout proche. On passe du vide, le lieu non habité, lakhla, à ce qu’Ibn khaldoun définissait par Oumrân , ou civilisation,parce que partout on retrouve l’empreinte de l’homme. Plus on s’éloigne de la montagne vers la plaine et qu’on s’approche des rives de l’oued Sous, plus on passe du domaine bour au domaine irrigué, de l’arganier qui pousse tout seul à l’agrumiculture et à la culture sous serre qui doivent être constamment entretenus.

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Aux rives de l’oued Sous,  à mi-chemin entre Agadir et  Taroudant, les houara constituent un îlot arabophone au milieu de tribus berbère. Ils seraient arrivés au Sous dans le sillage des conquérants arabes qui y avaient introduit jadis aussi bien les techniques d’irrigation que la culture de la canne à sucre :

« Dans cette région qui est située sur une grande rivière, écrit au 11ème siècle le géographe andalous El Békri, il y a beaucoup de fruits et de canne à sucre dont le produit s’exporte dans tous les pays du Maghreb. L’honneur d’avoir fait construire le canal qui fournit l’eau à la ville de Sous (Taroudant) et d’avoir canaliser les bords de cette rivière est attribué à Abderrahmane Ibn Moumen dont le père était le dernier Calife Omeyyade d’Orient ».

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En provenance d’Orient les Houara se seraient d’abord arrêtés au Sahara avant de déposer définitivement armes et bagages au bord de l’oued Sous. Leurs couplets ils les appellent «  tagrar », terme d’origine saharienne. De nos jours encore, ils continuent de chanter la légende de l’égérie, cette gazelle aux mollets tatoués, qui aurait trahi le pacte conclu du temps de Jésus avec « l’homme dépouillé » . Chacun s’était engagé à ne pas se remarier si son partenaire vient à mourir :

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Ô gazelle aux mollets tatoués !

La mécréante qui a trahit ma confiance !

Ô gazelle aux mollets tatoués !

Le Seigneur  très haut t’a ressuscité

Après la mort

Et aujourd’hui tu oses trahir ma confiance !

Les fossoyeurs retournent la terre

On retire les rats, on coud ton linceul

L’homme nu te pleurait durant sept longues années

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Jésus fils de Marie  descend du ciel et lui dit :

- Cesse de pleurer, ô homme nu !

- Je pleure ma femme, la gazelle aux mollets tatoués

- Mais elle est morte et son destin est scellé,

Je te la ressuscite par ordre du Seigneur le plus haut !

L’égérie a ressuscité par ordre du Seigneur le plus haut

Il s’est accroché à sa chevelure

Le cœur palpitant de joie

Il s’assoupit  en posant la tête sur ses genoux

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Passant par là des chasseurs royaux du temps de Jésus lui  dirent :

- Beauté ! Pourquoi t’occupes-tu de cet homme nu ?!

Viens avec nous à la Maison Royale !

Là où tu seras couverte de soie et de velours.

-   Mais que dois-je faire de cet « homme nu » ? leur répondit-elle.

Ils lui répondirent :

-Posez-lui la tête sur le rocher de l’ éternité.

Ils la prirent sur leurs chevaux et partirent.

En se réveillant l’homme nu n’a trouvé que les mirages du désert

Il se met à parcourir les étendues solitaires

Sur son chemin il rencontra des bergers et leur dit :

-N’avez-vous pas vu la gazelle aux mollets tatoués ?

-Elle est passée par ici en compagnie des chasseurs du sultan

Ils l’ont amené comme présent à la Maison Royale.

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Il accouru à la Maison Royale

En frappant à la porte, le gardien du sultan lui apparu :

Vous m’avez pris ma gazelle aux mollets tatoués. Lui dit-il.

-   Nous n’avons vu aucune égérie et la Maison Royale est pleine des wedga.

Le sultan de l’époque leur ordonna de le laisser entrer.

Il la reconnu parmi les nombreuses belles houri qu’on lui aligna

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Il s’accrocha à elle en lui disant :

-   Pourquoi ô égérie trahir ma confiance ?!

-   Eloignes-toi de moi ô homme nu lui rétorqua-t-elle. Je suis élevée et j’ai grandi à la Maison Royale. J’y ai même coiffé ma chevelure !

Le Seigneur très haut t’avait ressuscité après ta mort. Jésus fils de Marie est venu me voir, je l’ai prié et il a prié Dieu qui t’a ressuscité. Tu as pourtant trahi ma confiance.

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-   Non, je ne te connais pas, insista- t – elle.

Viens mesurer ce tombeau avec nos doigts, lui proposa-t-il.

En l’accompagnant elle trébucha au tombeau qui s’enflamma aussitôt.

Depuis lors on l’évoque en chantant :

Ô gazelle aux mollets tatoués !

La mécréante qui a trahit ma confiance !

Ô gazelle aux mollets tatoués !

Le Seigneur  très haut t’a ressuscité

Après la mort

Et aujourd’hui tu oses trahir ma confiance !

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Ces chants relèvent souvent du conte   racontant sur le mode théâtralisé (avec dialogues) des histoires comme celle de cette jeune femme qui vient se plaindre au juge de son vieux compagnon. :

Ma mère m’a confié au vieil homme que je n’ai jamais aimé !

Se plaint – elle. Ce à quoi le vieux mari répond :

Que dois-je faire ô mon Dieu pour confesser

Les péchés commis par la bien aimée ?

Il est dit dans un de leurs couplets qu’on désigne par le nom de tagrar :

En allant du côté des Berbères

Elle faisait tomber les fruits

Comme l’étoile filante sur la trace des mirages

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Les Houara forment une très grande tribu arabe établie dans la plaine de Sous entourée de montagnes habitées par des Berbères dont le parler est le tachelhit. Leur territoire s’étend depuis Agadir jusqu’à Taroudant.  On trouve les houara dans le Sous ; mais également dans maintes autres endroits que ce soit en Orient ou au Maghreb : les houara ouled Rahou du côté de Guercif, en Algérie, en Egypte etc. Les Ouled Taïma de Sous proviendraient d’Arabie Saoudite où existe une  ville du nom de Taïma. Dans la fertile plaine de Sous, le territoire occupé par les Houara se compose de neuf tribus arabes (OuledTaïma, Laktifat, Sidi Moussa el Hamri, el gardane, lahfaya, Ouled Saïd, Hmar, Freija, Ouled Berhil) et d’une tribu Berbère, celle d’Amezzou.

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La plaine de Sous est située dans une région tellement agréable et fertile qu’on l’appelait « le paradis terrestre ». Au début du 19ème siècle, il a fallu deux jours au voyageur anglais Jackson, pour traverser toutes ces plantations, lesquels formaient une ombre ininterrompue et impénétrable aux rayons du soleil. Le Sous produisait plus d’amandes et d’huile d’olive que toutes les autre provinces réunies. La canne à sucre poussait spontanément aux abords de Taroudant . Le bâton de réglisse était si abandon  qu’on l’appelait « ârq Sous » (la racine de Sous). C’étaient les vergers de l’oued Sous qui assuraient l’approvisionnement en huile d’olive. Les amphores de hmar, en particulier où nous nous trouvons en ce moment. Ce sont les oliveraies d’Ouled Taïma et d’Aït Melloul qui alimentent en huile d’olive jusqu’aux régions saharienne. Jusqu’à une période récente, l’eau était à fleur de sol. Dans les années 1970, on pompait l’eau à sept mètres de profondeur à peine. Il faut maintenant la pomper à près de 200 m de fond et l’oued Sous lui-même n’est plus ce qu’il était jadis

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Cette luxuriance de végétation, le  Sous la doit d’abord à la rivière dont il porte le nom :

« L’oued Sous est un véritable trésor, s’exclame Haj Ali Kayouh le principal fermier des Houara . Par le passé l’eau coulait toute l’année. C’était bien avant l’édification des barrages. Et quand l’oued était en crue on ne pouvait plus le franchir : ceux qui étaient de l’autre côté de l’oued achetaient le sucre au double de son prix réel. Tandis que l’oued demeurait infranchissable le prix du sucre valait de ce côté – ci le double de ce qu’il valait de l’autre. Celui qui avait au bord de l’eau une parcelle de 400 ou 500 m la consacrait au maïs et au blé tendre et il était considéré comme quelqu’un d’aisé. Il n’y avait pas encore ne serait-ce qu’une seule ferme : avant le colonialisme, il n’y avait pas de fermes par ici. »

Quand les colons Français sont arrivés, ils ont partagé les terres fertiles de l’Oued Sous, en particulier celles des  Oulad Taïma et de  Sebt el Guerdan. C’est dans ces régions qu’ils ont commencé par s’établir se souvient haj Ali Kayouh :

« La terre ne valait rien en 1948. Un tracteur valait quinze dirhams et un camion guère plus. Le mazoute ne coûtait pratiquement rien aussi. Pour irriguer les fermes, les colons ont creusé des puits. A l’époque ils confiaient ces corvées aux prisonniers de guerre Allemands et aux légionnaires. Ils travaillaient torse nu  et portaient un simple short. C’est de cette manière que l’agriculture a été modernisée. Ces colons créèrent les chambres d’agriculture, les associations et se mirent à exploiter les richesses du pays. Les marocains n’avaient pas une seule ferme. A l’indépendance, les gens ont pris l’initiative et ont constitué des fermes. Du jour au lendemain, de simples marchands d’épices se sont transformés en fermiers. »


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Au Maroc, les Houara sont actuellement parmi les principaux exportateurs d’agrumes : « Presque 100% des fermes pratique une agriculture de haut niveau. En ce qui concerne les agrumes, grâce à Dieu, cette région représente 60% des exportations nationales. Maintenant la production laitière du Sous et de Houara est commercialisée dans de nombreuses régions du pays. Toutes les villes sahariennes , que ce soit Laâyoune, Smara, Dakhla ou Boujdour sont approvisionnées en lait par la province de Sous. »

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Chez les houara de Sous, l’achoura dure trois à quatre jours. Elle se déroule au patio de la mosquée du village où on amène offrandes et tambours dés que commence la fête.

On chante :

A kharjou ya laâyalat !

Ha hamaqa jat !

Sortez ô femmes !

Le carnaval est arrivé !

On appelle le carnaval « hamaqa » (la folie).

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Une fois que tout le monde est présent , ils allument un feu de joie et se mettent à sauter par-dessus les flammes en répétant :

En toi, je laisse ma paresse !

Ou encore :

En toi, je laisse ma maladie !

Chacun émet son vœux à cet occasion, tandis que les femmes poussent des youyou. Ils disent aussi :

Qui veut se rendre en pèlerinage

Pour chercher l’eau de zemzem auprès du Prophète ?

Le jour de l’achoura , il est en effet bon de recueillir l’eau de l’aube, qu’on appelle zemzem : Et nous puisons cet eau à l’aube du jour de fête en chantant :

Marches de pied ferme

O henné qui se rend en pèlerinage au tombeau du Prophète !

L’achoura qu’on appelle ici hamaqa (carnaval) se déroule de la manière suivante :

La troupe de musique houari arrive au douar en répétant :

Nous sommes hôte de Dieu

O hommes de ce pays !

Le maître de la maison où se déroulera la cérémonie les accueille.

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Après l’interruption du mizân houari ils entament le tagrar. Puis à nouveau la danse,puis à nouveau le chant et ce jusqu’au milieu de la nuit.

Ils se mettent alors en position assise pour entamer hammouda, la wedga (l’égérie, la gazelle) aux mollets tatoués qui a trahit l’homme dépouillé, son mari mis à nu. Et si le temps le permet, le maître de la maison leur demande de jouer gourar. Ils continuent ainsi jusqu’au levé du jour.

On n’est pas houari par naissance, on le devient par la participation à sa vie à sa culture ; par la maîtrise de ses chants, ses danses, ses rites et ses mythes. C’est en ce sens que les houara sont maintenant plus une réalité culturelle qu’ethnique. Abdelkader MANA

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03:33 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook