26/08/2010
Le joueur de clarinette ...
B O U G H A N I M[i]
Le bouffon du Haut – Atlas Central
« J'ai toujours été un homme roseau. Frêle et délicat. Solidement enraciné dans mon terreau et résistant aux vents. Tous les vents. Philosophiques, religieux, poétiques. Je ne ploie pas, je plie. Puis je me redresse, comme le dit un midrash. »Bouganim Ami
Boughanim , homme au roseau joue d’une clarinette double en roseau ; aghanim, qu’il utilise pour la danse mais aussi comme instrument d’appel. En se rendant sur la place du village , il signale sa présence ainsi que celle de ses compagnons aux gens du village et les invite à se rassembler . Les imdyazen qui l’accompagnent sont à la fois poètes et musiciens. Ils sont itinérants au sens stricte du mot. A l’approche d’un douar, ils se préparent ; ils se costument. Ces voyageurs se transforment alors en comédiens.
Aouryl désignant la double flûte de roseau:
- Ceci est aghanim.
Désignant la flûte ordinaire :
- Cette autre flûte est dénommée tagmoud, en berbère.
- Je suis bou-ghanim, celui qui joue d’aghanim en conduisant son troupeau en haut de la montagne.. Mon père jouait de la grande et de la petite flûte pour conduire le troupeau mais aussi aux fêtes de mariage. Une tradition transmise de génération en génération. Tadla et Azilal sont connues par aghanim, tout particulièrement les Aït Bouguemmez. L’été, nous allons d’un douar à l’autre : après les Aït Bouguemmez,on entame les Aït Abbas puis Aït Bouilli, waouizeght, zaouit cheikh. Les gens s’attroupent autour de nous. Boughanim est le symbole de nos fêtes. Nous avons une maison en plaine et une autre au mont Azurki. L’hiver on habite la plaine et l’été notre gîte de montagne.
Les Berbères de l’Atlas central sont essentiellement des pasteurs. Mais ils possèdent aussi des terres de culture bour et irriguées où sont fixés leurs villages ou leurs tighremt. Partout où il neige , la vie devient impossible en hiver. Les montagnards descendent alors dans la zone plus basse de l’azaghar. La plaine.
Voici nos deux imdyazen au souk hebdomadaire du vendredi des Aït Bouguemmez. Ils utilisent deux langues : au souk , la langue d’usage, c’est le tachelhit de Sous. Aux fêtes , c’est plutôt le tamazight qui constitue la langue de culture, comme nous l’explique l’imdyaz des Aït Abbas:
« Notre parler relève à la fois du tamazight de zayan et du tachelhit de Sous.Car nous vivons dans une région charnière située entre les Zayan et le Sous. Au souk nous parlons le tachelhit de Sous et aux fêtes nous adoptons le tamazight Zayan. »
Les deux principales danses de l’Atlas sont l’ahidus et l’ahouach. A l’Est et au Nord de l’Atlas, c’est le pays de l’ahidus. A l’Ouest et au Sud, c’est le pays de l’ahouach. Ahouach et ahidus ne sont que deux des nombreuses formes musicales connues par les Berbères de la montagne. Ahidus et ahouach ont en commun d’être une musique de village chantée par des chœurs accompagnée par une batterie de tambours sur cadre et de claquement de mains. C’est sans doute sur le plan mélodique que se différencie plus nettement l’ahidus de l’ahouach : les mélodies de l’ahouach sont très généralement pentatoniques , celle de l’ahidus sont fréquemment composées de petits intervalles s’inscrivant dans un ambitus plutôt étroit .Ouissaâdan, chef de troupe Ahidus : « l’aire d’ahidus s’étend d’Azilal à khénifra en passant par les Aït Bouzid et les Aït Chokhman. C’est le même ahidus que celui des Aït Atta . De Damnate et au-delà en direction du sud, c’est le domaine de l’ahouach dans le Sous. C’est un rythme à part par rapport à celui d’Azilal de ce côté – ci. »
C’est en tamazight que nos imdyazen composent leurs poèmes :
« Mon père et mon oncle étaient des anchad (chansonniers) . C’est aux fêtes de mariage que j’ai commencé moi-même à composer. C’est de cette manière que j’ai appris à composer mes poèmes. On y évoque les évènements de ce monde. Des légendes. Celle d’Adam, des Prophètes Joseph et Job ainsi que l’histoire de cet apprenti de l’école coranique. On évoque le passé proche et lointain. »
Parmi les légendes religieuses introduites par les demi lettrés, figurent en effet l’histoire d’Adam et celle de Job dont il circule des récits poétiques dans tous l’Atlas. Ces récits sont véhiculés à la fois par les trouvères chleuhs et les imdyazen amazighs. Il s’agit de sorte de chansons – récits , cantilènes , qui appartiennent au genre poème d’édification traditionnelles, des hadiths dont la matière est tirée des livres sacrés ou des commentaires pieux. Le drame raconte l’histoire d’Adam et d’Eve jusqu’à leur expulsion du paradis et leur chute. Le diable tenta Adam en lui disant :
- Adam ! T’indiquerais- je l’arbre de l’éternité et un Royaume impérissable ?!
Tous deux, Adam et Eve en mangèrent. Adam désobéit ainsi à son Seigneur et s’égara . Cet égarement atteindra finalement la descendance d’Adam composée des trois religions monothéistes qui, depuis lors, n’ont pas cessé de faire la guerre au lieu de faire la paix. Depuis cette chute originelle l’homme n’a pas cessé de vivre la nostalgie des origines : celle du paradis perdu.
Chaque année, ils empruntent un itinéraire traditionnel qui leur fait visiter les principales tribus de la montagne : les hauts alpages d’Azurki où se retrouvent les transhumants Aït Abdellah , Aït Abbas et Aït Bouguemmez que nous avons visité mais aussi les Aït Bouilli . Souvent ces groupes portent le nom de leur propre montagne : le Ghat couvert de neige est le mont des Aït Bouilli. L’autre mont enneigé est celui des Aït Bouguemmez et plus loin encore celui des Aït M’gun. C’est parmi ces cimes enneigées que se trouve la zaouia d’Ahançal, sanctuaire du haut Atlas Central par excellence.
Ighrem, la construction la plus emblématique du haut Atlas Central est destinée à servir à la fois d’abris aux habitants et de grenier fortifié pour les grains et les provisions. Car les transhumants n’emportent dans leur déplacement hivernal que la plus faible partie de leur récolte. Telle est la raison de ces innombrables ighrem que les tribus du Haut Atlas central ont défendu avec opiniâtreté à chaque avance des Français. En Haut Atlas central , ighrem désigne une enceinte carrée , bastionnée, aux ongles des tours basses enserrant une grande tour. Nous avons visité l’ ighrem du douar Bernat qui appartient au caïd Mah de la tribu Aït M’hamed . Lorsque la troupe est arrivée au pied d’ighrem , boughanim, s’est mis à vanter les qualités et la générosité du maître des lieux, le caïd Mah . Et le barde d’ajouter celui de la théière :
Nous sommes arrivés chez le guerrier
Qui a fait son devoir le jour du combat
Comme le jour où les trouvères lui demandent l’hospitalité
Hommage à celui qui nous offre le thé !
Le premier verre écarte les soucis
Et le monde m’apparu autrement.
C’est la théière que je chante
Les verres de cristal, beaux comme un groupe de jeunes
D’où nous viens-tu, ce thé inconnu des cultivateurs ?
Mes avis,il vient du Gharb où le chrétien a fait son apparition.
Lahcen Aouryl,le boughanim des Aït Bouguemmez nous raconte :
« Cette qasida parle d’un brave homme qui était notre caïd nous autres les Aït Bouguemmez et les Aït M’hamed. C’est lui qui a dit aux colonisateurs :
Il nous faut notre indépendance !Nous avons notre Roi et ceci est notre peuple. Vous êtes arrivés la veste sur les épaules, vous partirez la veste sur les épaules ! Vous n’avez rien apporter, vous n’emporterez rien ! »
Il est rare qu’un berbère renvoie les imdyazen sans rien. A le faire, il risquerait de se voir bafouer dans leurs champs. On en a vu promener par les marchés, une tortue au bout d’un bâton en criant à la foule amusée :
« Voici le beau mouton qu’un tel le généreux a égorgé à notre honneur. »
Transhumant du Haut Atlas central :
« Nous autres amazigh, au temps des labours on donne du fourrage à nos troupeaux et au mois de mars , on les emmène paître en montagne. Que ce soit nous les Aït M’hamed ou les Aït Bouguemmez, les gens du Sahara (les Aït Atta), de Warzazate, de Tinghir ; on se retrouve tous aux alpages d’Azurki. Certains plantent des tentes en toile, d’autres en palmier – nain ou vivent sous les huttes de branchage. On reste en haute montagne du mois de mai au mois d’août puis on retourne en plaine avec la saison des pluies. Ceux qui sont très loin de chez eux reviennent en camions, les autres à pied. On commence alors à engraisser le troupeau dans les écuries. »
Transhumant des environs de kasba Tadla :
« Au mois d’octobre on vient du haut- Atlas pour transhumer ici. On y garde notre troupeau en pâturage pendant tout le printemps et au mois de juin on revient à la maison de haute montagne pour y pratiquer la veine pâture après la moisson. Car, en cette période, le manque d’eau commence à nous poser problème ici. C’est en cela que consiste notre vie ; l’élevage principalement et un peu d’agriculture. Les Berbères pratiquent aussi la transhumance : ils montent en montagne avec leur troupeau aux mois de décembre – janvier et y restent jusqu’aux mois d’août – septembre. Après quoi ils reviennent à leur azib (alpage). Le temps devient alors plus sec et l’herbage se fait plus rare dans les montagnes et les vallées en raison de la neige. ». Après la période des moissons, les troupeaux quittent leurs hauts alpages pour revenir vers la veine pâture de la plaine.
La stratégie militaire de la colonisation Française consistait à bloquer ce va et vient circulaire entre la montagne et la plaine en empêchant les pasteurs – nomades de descendre en hiver des zones d’alpage vers l’azaghar. Tandis que l’armée Française occupait l’azaghar, les pasteurs – nomades se réfugiaient avec leur troupeau dans le Haut Atlas. Les moutons moururent par centaine durant le rigoureux hiver 1922 – 1923. Des poèmes d’imdyazen livrent ainsi un aperçu fascinant de ces tribus de haute montagne qui ne seront entamés par l’avance Française que 30 ans plus tard :
S’il ne sait mettre baïonnettes au canon
Affectons-le donc à la garde des moutons
Le Haut – Atlas central, la partie de la montagne de la région d’Azilal , se situe à cheval sur le moyen et haut Atlas. La plus haute altitude est de 4071 m. Le contacte heurté de la plaine et de la montagne constitue ce qu’on appelle le dir ou piedmont. Si les colons ont pu conquérir la plaine de Tadla et y implanter de somptueuses fermes, ce ne fut pas le cas de la montagne où vivent des montagnards passionnément attachés à leur indépendance et à leur terre. Il a fallu aux Français vingt ans d’opérations militaires pour assurer la pacification de l’Atlas Central.
Abdelkader MANA
23:50 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique, haut-atlas | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Je vous approuve pour votre exercice. c'est un vrai charge d'écriture. Poursuivez .
Écrit par : invité | 12/08/2014
Je vous vante pour votre critique. c'est un vrai état d'écriture. Poursuivez .
Écrit par : invité | 12/08/2014
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