27/08/2010
Ahouach
L’ ahouach c’est le nom générique des danses collectives de l’Atlas occidental où on parle le chleuh, par opposition à l’ahidus, la danse du moyen Atlas où on parle le tamazight. Ahidus et ahouach ont en commun d’être une musique de village chantée par des chœurs accompagnée par une batterie de tambours sur cadre et de claquement de mains. C’est sans doute sur le plan mélodique que se différencie plus nettement l’ahidus de l’ahouach : les mélodies de l’ahouach sont très généralement pentatoniques , celle de l’ahidus sont fréquemment composées de petits intervalles s’inscrivant dans un ambitus plutôt étroit.Cette danse est de toutes les fêtes nous confie la Raïssa Bihi au hameau d’Anbdour :
« On s’adonne à l’ahouach à la grande fête du sacrifice, à la petite fête de la rupture du jeûne et aux moussem (fête saisonnières). On danse accompagnées des percussionnistes et des flûtistes. Nous autres femmes, on chante : « C’est au nom de Dieu que commence notre tour de rôle. » Cependant que les Raïs frappent les tambourins et que les flûtistes jouent des airs de bergers. Et quand on a assez dansé, chacun rentre à sa maison. »
Nous nous sommes rendu à la fête d’ assif el Mal, auprès de la famille Jakraw qui vit de musique plutôt que d’agriculture : le fils aîné joue du rebab, le cadet du tambourin à cadre et de la flûte berbère aouad et enfin le junior de l’outar. Nous avons tenu à ce qu’ils nous présentent eux – mêmes leur musique en commençant par leur patriarche Si mokhtar, car comme le disait Jacques Berque, « le discours le plus sûr d’une population est celui qu’elle tient sur elle – même ». Au cours de la fête qu’ils ont organisé pour notre tournage on a retrouvé les ahouach d'Idikel et de Tiskiwin , mais aussi la musique des Rways, ces troubadours de l’Anti – Atlas.
L’ ahouach d’assif el Mal qu’on appelle Idikel est également pratiqué par les tribus voisines de Mzoda , Aït Bou Yaâkoub et Douirane. C’est un ahouach d’un rythme différent de celui d’Imin Tanout et du pays Haha, même si ces derniers appartiennent au même ère linguistique chleuh. Ahouach Tidikel se distingue surtout par la position centrale qui y occupe le chant solo, cette improvisation poétique et musicale qu’on appel arasal et qui est propre aux montagnards du Haut – Atlas. Pour orchestrer l’ahouach Idikel on recourt à trois tambours à cadre à tonalités différente, selon qu’il s’agit d’un coup vibrant appliqué de poing au centre de la peau ou de coups secs obtenus par le choc de la main à plat sur bord. Le premier tambour, le trime, commence par jouer un rythme appelé hamz, le deuxième qu’on appelle amtarfo , parce qu’il occupe les marges, joue une autre variation rythmique appelée asidari, et le troisième soliste recourt à une technique de jeu appelée Amdil. Chaque soliste joue un rythme différent mais il doit être impérativement complémentaire des deux autres.
Au pays chleuh, l’aouada est indispensable à chaque fête. On dit que les chevaux de la fantasia sont très sensibles aux airs de cette flûte de berger par excellence. Sans cette flûte et la danse atlasique qui l’accompagne ; la fantasia ne serait pas réussie. Pour le Raïs Mohamed Lamzoudi :
« Les Chtouka de Sous sont surtout connus pour leur outar. Ils sont doués pour cet instrument à corde. Les Haha, le sont pour leur aberdag, trépignement et leur aouad, flûte. Cet instrument à vent est né chez eux. Les Mtougga, eux, sont réputés pour leur rebab. Comme les autres tribus du Haouz, ils produisent beaucoup de poésie. »
T I S K I W I N
La danse Tiskiwin a une vieille histoire. Son nom lui vient du corne qu’on appelle tiskt (corne en Berbère). Les guerriers s’en servaient comme étui à poudre, qu’on appelle aâlaw. Au retour de chaque expédition guerrière, la corne du bélier était portée sur l’épaule gauche, en guise de signe de victoire. Tiskiwin est à la fois danse du bélier et danse de la victoire. Elle est spéciale aux Seksawa du Haut – Atlas, aux Ida ou Mahmoud et aux Aït Aghbar. Les danseurs revêtus d’une grande tenue de coton blanc et portant sur l’épaule gauche une corne à poudre d’argent ornée de franges rouges. Ce groupe encercle autour d’un Raïs exécute une sorte de parade rythmée dont les figures diffèrent beaucoup de celles des autres danses de tribus. La corne portée par chacun des danseurs est un objet précieusement conservé dans chaque famille. Chez les Aït Mansour , il est formellement interdit de la vendre. Elle se transmet de père en fils. L’utilisation du petit tambourin dénommé tagbalt, qui vient en complément,imprime à la danse, une cadence et un rythme particuliers.
A Chichaoua (Seksawa en berbère), la rivière d’ assif el Mal, ne charrie pas seulement les limons du haut Atlas, mais aussi toutes ses musiques. Les influences musicales de la montagne aboutissent à son embouchure où se tient chaque année le moussem de Sidi Bou Othmane vers lequel affluent toutes les tribus environnantes et bien au – delà. Ce moussem est l’occasion d’échanges intertribaux d’ordre économique mais aussi culturels. On s’y rend même depuis le Sous de l’autre côté de la montagne selon le patriarche du hameau d’Anbdour :
« Sidi Bou Othmane est lui – même originaire de Sous. Il était arrivé ici où on l’a enterré il y a si longtemps de cela. Quelques trois cent ans. En vérité, personne ne se souvient plus de son arrivée ici. C’est lui qui aurait fondé ce moussem ; le sien. Vers la mi – septembre, on y plante les tentes des cafetiers et des marchands. On y vend ovins, bovins, raisins, beignets, ferronneries et ustensiles. Le deuxième jour est marqué par la vente des ânes, des mulets et autres bêtes de somme, »
Tout le long de l’oued, qui dévale de l’Atlas vers la plaine, avec ses galets bordés de lauriers rose s’égrènent les hameaux et les douars de l’ assif el Mal, la rivière de la providence ou « rivière d’or » . En amont, de l’oued souvent desséché mais dont les crues peuvent être brusques et violentes, la fraction Mejjad qui s’étend jusqu’aux douars Aït Abaïd et Tifratine. Vient ensuite Anbdour le hameau – citadelle à l’allure de vaisseau à mi distance entre les douars de Timlil et Imi N’ighzer (le seuil des inondations). Toujours en suivant ainsi le cours d’eau, on aboutit au douar Taskourt ( la perdrix) et finalement à l’embouchure où se tient chaque année le moussem de Sidi Bou Othmane, qui connaît une grande affluence.
Au moussem de Sidi Bou Othman, se souvient notre patriarche, se tenait la fantasia. Les tambourinaires prenaient les devants, suivis des chevaux de la fantasia :
« Je jouais de la tara. J’étais encore jeune et je portais des lunettes. Mon père que Dieu ait son âme, me voyant ainsi me fit cette prière :
- Ô mon Dieu ! Accordez – lui son gagne pain de la musique ! Ainsi d’ailleurs qu'à sa descendance !
C’est pour cette raison que nous sommes tous des musiciens dans ce village ! Cette prière avait décidé de notre sort. »
De quoi est fait le tambour à cadre et à peau unique qu’on appelle tara en arabe, iqarqab à assif el Mal et partout ailleurs en Atlas, allûn ou taguenza ? Il est confectionné par un maâlem , un artisan spécialisé à Sidi Bou Othmane. Il fait sécher le bois au soleil puis l’arrondi à un moule qu’on appelle tamrrayt. Il le perse ensuite d’un trou et le recouvre d’une membrane faite de boyaux de bouc. Une fois déseché, il obtient ainsi la tonalité suraiguë recherchée. L’autre instrument de musique indispensable est la flûte appelée aouada. Pour émettre des sons aiguë, elle est confectionnée dans un roseau femelle Car le roseau est mâle et femelle. La flûte oblique dont il s’agit est percée de sept trous. Son accord ressemble à celui du rebab. Elle donne un air qu’on appelle « âsra Gnaouia » : c’est la gamme pentatonique.
Les femmes autant que les hommes savent improviser les refrains au milieu de l’ahouch : au fur et à mesure que le rythme chauffe, que la compétition s’active ; leur créativité poétique s’aiguise. Et si le troubadour de Sous emprunte les sentiers solitaires et tracés d’avance ; l’improvisation poétique des danses montagnardes explore dans toutes les directions, des territoires inconnus. Au milieu de l’ahouach, la parole poétique fuse de partout, fruit imprévu de l’improvisation, de la compétition et du dialogue. Comme la rivière d’assif el Mal , elle est tantôt desséchée , tantôt en crue, mais toujours le produit de sources à la fois multiples et disparates. On reconnaît le refrain du terroir à son style comme l’apiculteur reconnaît à son parfum à quelle fleur de mars les abeilles avaient butiné leur miel. Le n’dam, poésie, n’est pas limité à assif el Mal et aux Mzoda, mais se trouve disséminé à travers toutes les montagnes du Haut – Atlas. Il y a même certaines poétesses virtuoses chez les Glaoua. Quand l’ ahouach est là, le n’dam, n’est pas loin. Abdelkader Mana
21:34 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique, haut-atlas | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Je vous applaudis pour votre critique. c'est un vrai charge d'écriture. Poursuivez .
Écrit par : cliquez ici | 11/08/2014
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