25/06/2010
L'arbre du Malhûn
L’arbre du malhûn
Sadya Bayrou nous a quitté à la force de l'âge(Essaouira, 1963-2010). Pleine de fougue et de créativité. Son art relève autant de la poésie que de la peinture: une palette d'or imprégnée de mysticisme. Dés que j'ai appris son décès à Essaouira je me suis empressé de lui rendre hommage aux travers les images de la salle de prière des femmes de Moulay Abdelkader Jilali. J'ai voulu récupérer des images de ces oeuvres auprès de son mari, mais celui -ci était trés éprouvé pour répondre à mes sollicitations..Maintenant c'est chose faite avec l'exposition "Traces et mémoires" qui lui est consacrée au bastion de Bab Marrakech. Elle aurait été très heureuse d'assister à ce vernissage auquel elle a préparée elle - même un catalogue. On peut y lire une citation d'elle où elle écrivait: "Les traces nous font remonter le temps et nous guident à travers bien des espaces. ils traduisent des aspects de notre vécu et de nos mémoires enfouies. Les traces font rêver...". En effet, chez Sadya Bayrou comme chez beaucoup de femmes marocaine, la frontière entre la réalité et le rêve est ténue et bien souvent le rêve se confond avec la réalité voir s'y substitue...Ce son ses oeuvres qui accompagnent ce texte sur l'arbre du malhun qui rend hommage à d'autres poètes disparus...
J’aimerai mettre en exergue à ce texte « L’arbre jouant au saxophone », poème de mon ami Moubarak Raji, qui s’incrit véritablement, avec sa modernité et sa fraîcheur, dans la lignée des grands poètes du Malhun local :
L’arbre jouant au saxophone
Accueille des nuées d’oiseaux invisibles
C’est l’arbre de la vie,
Qui ne se crucifie, ni par les clous, ni sur les murs
Depuis que l’arbre est arbre
Tous les souffles sont vibrations d’ailes sur l’arbre
Le souffle de l’âme
Le souffle du saxophone
Le souffle du souffle
L’arbre jouant du saxophone
A effacé de son destin
Le cauchemar de devenir une porte de prison
Ou de se transformer en poignée de cendre dans un four
L’arbre jouant au saxophone
A toute la nuit derrière lui
Une nuit qui s’engouffre toute entière
Dans les orifices d’une petite oreille
Tel l’univers dans le trou noir…
Le melhûn, comme composante de l’identité culturelle des artisans des vieilles cités marocaines, est à la fois un legs bédouin sur le plan poétique et un legs andalou sur le plan musical. Beaucoup de mots de cette poésie populaire ne sont plus usités. Il serait le chant par lequel les chameliers rythmaient le déhanchement des caravanes. Maître Laânaya, forgeron de son état, au quartier des Sraïria où l’on fabriquait les armes à Meknès,fait même remonter les origines du melhûn , aux temps immémoriaux (la seconde moitié du Xe siècle),où les Béni Hilâl, « pareils à une nuée de sauterelles »,font leur apparition aux frontières de l’Ifriquiya (l’actuel Maghreb).
Une des oeuvres de Sadya Bayrou :"Traces et moires", Essaouira vendredi 25 juin 2010
La majeure partie des poètes est originaire de Tafilalet, notamment leur prince, Mohamed El Maghraoui,surnommé « l’arbre du melhûn ».Il était pasteur-nomade, se déplaçant avec son troupeau entre le Sahara et les plaines de la côte atlantique. Un jour qu’il sortait du souk avec son troupeau , une sauterelle s’est posée sur la corne d’un bélier. Elle ne l’a plus quitté jusqu’au Sahara, le pays d’origine du poète-pasteur. Le troupeau s’étant mis à l’ombre d’un muret, une salamandre noire marbrée de taches jaunes sortit d’un trou pour dévorer la sauterelle sur la corne du bélier. Le poète qui assistait à la scène s’exclama alors :
« Après tant de chemin parcouru, celui qui destina la sauterelle à la salamandre, apportera sa nourriture au Maghraoui en sa demeure ! »
Parmi les autres poètes du melhûn, on cite également Thami Lamdaghri de Mdaghra au Sahara qui a vécu de longues années à Fès et Marrakech. L’une de ses qasidas les plus célèbres s’intitule La lanterne. On ne sait d’ailleurs pas si cette lanterne est faite pour éclairer tout le monde, ou lui seul :
Ton manque m’ébranle, ô lanterne !
Branche brisée, tu m’as jeté au milieu des arbres
Sans pareil parmi les délaissés !
Non loin des chandeliers et des candélabres de Moulay Idriss à Fès, en collectionneur averti, Si Abdelkader Berrada exhibe de sous le paillasson, tout un florilège de melhûn inscrit avec un grand soin sur un registre de commerce ! Pour lui cette poésie populaire est aussi un art musical et plus précisément un tarab cette émotion musicale qui aboutit à l’extase :
« À travers le temps, les poètes ont fait du melhûn un tarab. À l’origine les gens du Sahara rythmaient leurs qasidas uniquement en battant des mains. Puis vinrent les terrassiers qui tenaient la mesure en aplatissant le sol et en rythmant de la plante des pieds, ce qui a d’ailleurs donner naissance à cette danse qu’on appelle « rakza » ».
Pour Hussein Toulali, le chantre de Meknès et du Maroc, le melhûn était né, en quelque sorte, pour commenter la prose du monde :
« On commentait les événements qui se déroulaient dans ce bas monde. Puis, il est venu un temps, où un certain homme des Jbala, s’est mis à découper la qasida en strophes pour permettre aux chanteurs de respirer, quand la chorale lui réplique par un refrain ».
Pour Laânaya, le forgeron Meknassi, au moment où il eut l’expulsion des Morisques d’Espagne vers le Maroc en 1610, il s’est établi un échange entre leurs musiciens et les poètes du melhûn. Ce sont eux qui ont introduit les instruments à cordes dans l’orchestre du melhûn. Auparavant cette poésie était rythmée uniquement par des instruments de percussion : al handka (castagnettes), la taârija (tambourin) et le dûf (cadre de bois entouré de peau de chameau qui scande aussi la parole du conteur).
C’est à partir de ce contact avec les Morisques qu’on voit apparaître des modes de la ala andalouse – Al Maya, lahgaz, Sika, Rasd, Al Istihlal – dans les mesures du melhûn.
Laânaya, le maître forgeron de Meknès, se souvient encore de son premier jour d’initiation :
« J’ai découvert le melhûn grâce à un gardien de nuit, chargé de surveiller les boutiques du souk. À l’époque je me réveillais tôt pour nettoyer ma boutique. Et lui passait par là, en chantonnant pour son propre plaisir. Je l’écoutais sans vraiment tout comprendre, mais j’appréciais la musicalité des mots. Un jour, je lui ai offert deux beignets, en preuve de mon admiration. De debout qu’il était, il s’est assis par terre. Et il commença à m’expliquer la qasida qu’il chantait. L’amour de la parole poétique habitat alors ma conscience. Il me demanda :
- Veux-tu apprendre ?
- Bien sûr, si je pouvais.
Il m’apprit deux qasidas. Toutes deux portaient sur l’aube. La première est celle de Sidi Kaddour El Alami, dont le refrain dit :
La nuit s’est dissipée,
Prélude à une aube lumineuse.
La musique s’embellit,
Par la coupe qui fait le tour des convives.
La seconde qasida est « Lafjar » (aube) de Mohamed Ben Sghir, le poète du melhûn d’Essaouira. On l’avait retrouvée dans un cahier daté de 1920 :
Vois le ciel au-dessus de la terre, source de lumière
Les habitants de la terre ne peuvent l’atteindre
Vois Mars, toi qui es indifférent
Sa beauté apparaît au monde clairement
Vois Mercure qui vient à toi, ô voyageur
Au dessus du globe, de l’ignorance étonnante
Vois Neptune qui illumine les déserts
Il a mis dans la création, le riche qui a tout.
Vois Saturne qui vient visiblement vers toi
Au-dessus des sept du secret parfait
Guerre des hommes, ô toi qui dort,
Vois le mouvement des astres
Ils ont éclairé de leur lumière éclatante, les ignorants.
Et sache la vérité si tu veux être pur
Lafjar (l’aube) qui t’advient d’une science illuminée
Prends ô toi qui m’écoutes Yabriz et Nikir
Celui qui règne sur le plus rusé des loups
Celui qui répond très vite au défi
Doit protéger les fauves
Est-ce que le hérisson peut aller à la guerre contre l’ogre ?
On connaît l’aigle parmi les faucons
Il craint le moindre bruit et les fauves au sommet des montagnes
En passant par les grottes Bendir Telemsani et son beau cortège
Dites à celui qui n’est ni faible ni vantard
Que Mohamed Ben Sghir est une épée dégainée.
De seigneur qu’il était Sidi Kaddour Al Alami, finira par devenir un mystique errant entre les parvis sacrés, dans un univers où les valeurs et les rôles sociaux se sont inversés :
L’aigle apeuré rentre ses griffes
Quand le hibou chasse l’hirondelle.
Ce poète qui était l’âme même de la générosité, toujours au service de ses amis, a fini par devenir mystique et misanthrope :
Un jeu sur la pointe d’une lance,
C’est comme ça que je vois,
La grande fréquentation des hommes.
Ce désenchantement du monde, il le doit à l’amère expérience qui l’avait conduit à perdre sa belle demeure pour s’abriter sous des auvents, dit-on qu’il décrivait comme un lieu où :
Les étourneaux frôlent l’eau qui ruisselle dans les canaux inclinés,
Comme les poissons fuyant dans les lacs,
Les hameçons que leur jettent les pêcheurs.
Cette interprétation recueillie par Khiati à la coupole du souk est désapprouvée par le forgeron des Sraïria de Meknès, pour qui il faut plutôt comprendre :
Les oiseaux de la maison
Sont aux aguets,
Picorant, s’envolant,
Tels les poissons des côtes rocheuses
Fuyant les hameçons.
C’est ainsi que sont les amis
Prompts à s’attrouper autour du verre
Et à se dissiper quand la main est vide.
Quand la nourriture est abondante à toute heure
Que d’amis, m’entourent !
Que de compagnons me font la cour !
C’est un pôle mystique parmi d’autres. La nuit, il dormait sans feuilles ni plumes, mais le lendemain le mur se noircissait par ce que la nuit dictait au jour. On le considérait comme un Mejdoub qui aurait reçu l’inspiration d’en haut : il se rendait souvent à Moulay Idriss Al Akbar du Zerhoune, pour s’adonner dans l’isolement à la prière. Il ne devait rentrer chez lui, qu’après être « autorisé » - par un rêve divinatoire. Une fois, la dévotion du poète a duré trop longtemps, sans que Moulay Idriss lui apparaisse dans le rêve pour l’autoriser à quitter les lieux. De guerre lasse, il se dirigea à pied vers la ville de Meknès. En cours de route, un homme lui demanda :
- Où vas-tu comme ça ?
- Je vide le pays pour le laisser à ses habitants. Depuis que je suis ici, je n’ai pas reçu de Burhan (preuve surnaturelle).
Un peu plus loin, le même personnage lui apparut une seconde fois :
- Où vas-tu comme ça ?
- Je fus délaissé alors que d’autres, venus après moi, ont eu ce qu’ils voulaient.
- Non, lui répliqua l’apparition. Tu es le fils de la maison, alors que les autres ne sont que de simples hôtes. À ce titre, ils ont la priorité sur les propriétaires de la maison.
Et il lui tendit un ustensile contenant du miel. Le seigneur des poètes en but une gorgée et continua son chemin. Arrivé à un oued, il lava l’ustensile. L’eau en devint sucrée. Depuis lors, on l’appela Oued Bou Âssoul (rivière de miel). C’est ce qu’on raconte chez les gens de Zerhoune et d’ailleurs, et Allah est le plus savant. Son mausolée est richement décoré par de vieux lustres, des calligraphies sur l’une d’entre elles, on peut lire : « Par la plume et ce qu’elle a tracé » des poèmes, des tapis, et surtout de vieilles horloges qui semblent s’être arrêtées à une heure indéterminée du passé.
Sidi Kaddour El Alami était un maître, et les connaisseurs du melhûn sont ses « adeptes », dans le sens où ils n’ont pas un simple rapport esthétique avec cette poésie, mais un rapport mystique proche de la possession rituelle. Et le producteur de melhûn qu’on appelle Sejaï n’était pas non plus un simple poète, mais un mejdoub, une sorte de fou de Dieu, auquel on élève parfois un mausolée après sa mort. Les initiés – ces priseurs de tabatières, ces joueurs de ronda qui semblent « tuer le temps », sont en fait en quête permanente de la sjia, cette sorte d’extase, cette voie mystique que la poésie et le chant rendent possible. En ce sens, le melhûn devient un besoin fondamental pour l’équilibre spirituel et psychique de l’individu. Une sorte de « drogue poétique » à laquelle on s’accoutume autant qu’au tabac à priser. C’est en cela que cette poésie diffère fondamentalement de ce qu’on entend généralement par « poésie » dans notre monde moderne : son but n’est pas esthétique, mais spirituel.
Abdelkader MANA
15:22 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèsie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
04/05/2010
La musique dans la vie
La musique dans la vie
Noces du Malhoune
Par Abdelkader Mana
Roman Lazarev
O hôte d'Allah ! Soit le bienvenue
Avance sans voiles au pays des ardeurs inassouvis !
Pourquoi tiens - tu une arme à la main ?
N'aie pas peur, répond au salut de la paix.
Le poète s'adresse ainsi à sa bien aimée qui vient lui rendre visite la nuit déguisée en garçonnet. Ce poème rappelle étrangement « l'hôte » du Cheikh Jilali Mtired dont Al Andaloussi était le disciple. Dans les deux cas, il s'agit d'un bien aimé qui vient frapper la nuit à la porte du poète, non pour le soustraire à sa retraite studieuse, mais plutôt pour répondre à ses secrets désirs.
On découvre avec stupéfaction dans la qasida du Cheikh JilaliMtired, qui a servi de modèle, d'étranges similitudes avec le poème du corbeau d'Edgar Alan Poe. Dans les deux cas, il s'agit de la visite fantastique de l'esprit de la maîtresse disparue qui vient frapper la nuit à la porte de son amant.
C'est l'orchestre du malhoune de Salé qui nous chanta cette qasida sur l'une des barques qui assurent la traversée de Bou Regreg, avec comme fil conducteur Mustapha Khalili, comédien et grand connaisseur de ce genre poétique et musicale. On voit et on entend chanter Allal à la voix de ténor, aujourd'hui disparu.C'était en 1998, lors de la série documentaire « lamusique dans vie », consacré au genre Malhoune et qui nous conduisit depuis Rissani et les ruines de Sijilmassa dans le Tafilalet, en passant par Marrakech et Salé et enfin Meknès où nous avions rencontré le maître forge Laânaya, éminence grise du malhoune, aujourd'hui disparu ainsi que Huceine Toulali qui chanta pour nous la qasida du cœur dont il était malade avant de disparaître à son tour. Aujourd'hui je suis étonné de mon propre commentaire d'alors ; c'est pourquoi j'ai décidé de le publier sur « rivages de pourpre », pour mieux en apprécier et méditer la teneur, ce qui n'était pas le cas pour un média comme la télévision où la voix off semble dans une course effrénée avec les images qui défilent à toute allure sans possibilité de retour en arrière pour mieux apprécier tel ou telle trouvaille tant au niveau de la forme que du contenu. Retrouvons donc notre commentaire sur le documentaire de Salé :
On chercherait vainement de nos jours, parmi la paisible population maritime de rabat - Salé, d'authentiques descendants des corsaires du 17ème siècle. Notons cependant que certaines familles actuelles de Rabat comptent parmi leurs ancêtres des membres issus de l'ancienne entité morisque de Salé.
Les derniers survivants de la corporation des barcassiers qui exercent de nos jours le dangereux métier de passeurs de l'oued, ou les rares pêcheurs qui ne quittent guère l'abris des jetées , n'ont en tout cas rien de commun avec les fameux Slaouis (Salétans) dont les exploits firent pendant près de deux siècles trembler la chrétienté. La venue des Andalous expulsés d'Espagne a joué un rôle déterminant dans le trafic maritime du fleuve.
A Salé, la Nzaha printanière dans les beaux jardins de l'antique CHALLA , celle des barques sur les berges du Bouregreg , sont autant de réminiscences du passé andalou de la ville. C'est ici que s'est opéré la jonction au niveau poétique et musical entre la qasida en tant que legs bédouin et l'art andalous. On voit apparaître des modes de la Ala Andalouse - Al Maya, Lahgaz, Sika, Al Rasd, Al Istihlala - dans les mesures du malhoune. Nous suivons Mustapha Khalili, en tant que fil conducteur, pour les découvrir et mieux les connaître.
Seigneur, bénis soient les poètes - musiciens !
Comédien et grand connaisseur du malhoune , Mustapha khalili se rend dans une sorte de pèlerinage sur la trace des poètes errants en hauts lieux du malhoune ; le but ultime de sa visite à la ville des sept saints est de se rendre au mausolée de Sidi Bel Abbas le saint patron de la ville dans la pure tradition des poètes errants qui vont chercher l'inspiration la nuit près du tombeau d'un saint vénéré. En ce sens sans le savoir il marche sur les traces de Sidi Qaddour El Alami qui faisait de fréquentes tournées de visites pieuses aux tombeaux des saints. Ainsi , lors de son long séjour à Marrakech, qui a duré vingt ans, il visitait lui tous les jours les tombeaux des sept patrons de Marrakech comme il lui arrivait à se borner à visiter le tombeau d'Abou el Abbas Sabti. Et c'est ce que khalili a l'intention de faire en commençant par la place de Jamaâ Lafna qui fut la place public où les chanteurs de malhoune venaient présenter sur le plan musicale les qasidas produites au cœurs de la médina. Maintenant que le malhoune en tant que musique a cédé la place de l'anéantissement aux voyantes, aux porteurs d'eau, aux charmeurs de serpents, aux conteurs et autres troubadours de Sous, Khalili sait que c'est seul au cœur de la médina qu'il doit aller à la rencontre des chanteurs du malhoune, ces musiciens - poètes qui prennent souvent l'air d'un dinandier, d'un maître forge ou d'un teinturier. Avec Fès , Marrakech était le principal aboutissement des caravanes en provenance de Sijilmassa et de Tafilalet raison pour laquelle les chantre s du Malhoune de Fès et de Marrakech sont presque tous originaires de Tafilalet.
Roman Lazarev
Jusqu'à la découverte de l'Amérique, l'or du Soudan a joué un rôle prépondérant dans l'histoire monétaire mondiale. Avec les esclaves et autres articles exotiques le métal jaune était l'objet principal du commerce transsaharien. Un véritable trait d'union entre trois mondes, trois civilisations : l'Afrique Noire, le Maghreb et l'Europe qui souffrait d'une faim frénétique du métal jaune. Située dans un Oasis au sud du Haut Atlas, juste en face de l'actuel Rissani dans le Tafilalet, Sijilmassa occupait un emplacement stratégique entre l'Afrique du Nord d'une part et Bilad Soudan, le pays des Noirs d'autre part. Tous les historiens s'accordent pour reconnaître en Sijilmassa la première cité islamique au Maroc. Selon Ibn Hawkal qui a séjourné à Sijilmassa en 1151, la fortune de la ville a commencé quand les commerçants fuirent les dangers de plus en plus grands sur la route qui reliait le Ghana à l'Egypte se sont dirigés vers la route septentrionale .Les caravanes ont commencé ainsi à se diriger vers Sijilmassa. Et les commerçants en provenance, de Bassora, de Koufa et même de Bagdad s'y installèrent en apportant dans leur sillage la poésie arabe. C'est en ce lieu qu'étaient venus se réfugier les tribus Zénètes qui ont fuit les Aghlabides de Kairouan vers l'an 705.Ils y fondèrent l'Etat des Banou Badrane .La dynastie régna pendant deux siècles et son histoire était rapportée dans ses grandes lignes par Ibn Khaldoune.
Roman Lazarev
Khalili : Sidi Abdelkrim, Allah, Allah, où est passé El Maghraoui dont le croissant continue à nous illuminer !
Abdelkrime : On dit dans le Tafilalet : « Toute haute taille est vide, sauf le palmier et El Maghraoui ».
Khalili : Que raconte-t-on sur Abdelaziz El Maghraoui du Tafilalet ?
Abdelkrim : Il a vécu à Fès où il enseignait. Quand son heure avait sonné, il est revenu au Tafilalet. Il est arrivé de nuit au ksar où il habitait. Les temps étaient mauvais et les gens se barricadaient contre les attaques nocturnes. Mais au lieu de frapper à la porte, notre poète escalada un palmer qui s'élevait à côté du rempart et surplombait le ksar. Réveillé par le bruit son frère avait cru qu'il s'agissait d'un cambrioleur. Il s'arma alors de son poignard et rejoignait l'ombre qui s'agitait la nuit en haut du palmier. C'est son frère qui assassinat Sidi Abdelaziz El Maghraoui.
Roman Lazarev
Ya Jamaâ El Bahyat (L'assemblée des belles enjouées) est une qasida du registre lyrique chantée ici sur l'un des modes musicaux les plus anciens du malhoune. Sur le plan poétique et musical, elle a servi de modèle pour les poètes et les chanteurs ultérieurs. En effet, le malhoune est à la fois poésie et musique, c'est-à-dire une poésie qui ne peut pas vivre en dehors de sa mise en œuvre musicale. Pour être compris, le poème doit être chanté, déclamé. Cette qasida nous fait penser aux poèmes épiques d'Antar, en ce sens où le poète y compare les tourments de l'amour aux batailles épiques :
Le prince de l'amour a dégainé son épée et s'est rué sur moi
Il a vaincu mon armée en m'entourant de toute part par les chevaux
Où est passé Maghraoui dont la lumière nous éclaire toujours ? Pour ceux qui savent en déchiffrer le sens sa poésie est pleine de perles lumineuses, c'est sur sa trace que nous marchons : Seigneur, bénis soient les poètes - musiciens ! Les premiers bardes du malhoune se faisaient accompagner du dûf, instrument à cadre entouré de peau de chameau pour déclamer des qasidas dont les thèmes étaient similaires à ceux des conteurs : la Sira du prophète mais aussi les épopées des héros légendaire ainsi d'ailleurs que les aventures de Qaïs et Leïla dont le modèle inspirera Cheikh Jillali Mtired pour sa qasida sur la mer. On s'expliquera d'ailleurs pourquoi les qasidas du malhoune prennent souvent la forme de récits théâtralisés.
Roman Lazarev
Le malhoune serait le chant par lequel les chameliers rythmaient le déhanchement des caravanes pour animer les soirées étoilées autour d'un gîte d'étape. « A ces chants de chameliers, nous dit Ghazali, même les chameaux sont sensibles, au point qu'en les entendant ils oublient le poids de leurs charges et la longueur du voyage et qu'ainsi excités étendent leurs cous n'aillant plus d'oreilles que pour le chanteur : ils sont capable de se tuer à force de courir ».
Or nous dit toujours Ghazalai, « ces chants de chameliers ne sont rien d'autre que des poèmes pourvus de sons agréables, aswat tayeba et de mélodies mesurées, alhan mawzouna. En effet, cette poésie populaire qu'est le malhoune est aussi un art musical, plus précisément un tarab, cette émotion musicale qui aboutit à l'extase.
La poésie arabe s'est muée en arrivant ici d'arabe classique en arabe dialectale. Le malhoune signifie d'ailleurs ; une poésie rythmée mais qui ne respecte pas les règles de la grammaire. C'est ce qu'Ibn Khaldoune a voulu dire par « Âroud el Balad », la poésie du terroir.
L'arrivée à Sijilmassa des Béni Hilal et en particulier des Béni Maâqil ainsi que des andalous au temps des Almoravides et des Almohades, du temps où le Maroc et l'Andalousie ne faisaient qu'un seul et même pays a grandement contribué à la naissance du malhoune dans le Tafilalet puis sa diffusion dans le reste du pays. Du Tafilalet, cette poésie s'est propagée avec la remontée des dynasties, du commerce transsaharien et de pasteurs nomades vers les villes impériales du Maroc.
Un autre évènement majeur avait influencer le genre malhoune sur le plan musical : l'expulsion des andalous d'Espagne qui essaimèrent sur tout le Maghreb et apportèrent entre autre la musique andalouse dont les modes musicaux auront une influence notoire sur la déclamation du malhoune
Le foyer lumineux des rays des taïfa qui s'éteint en Espagne avec l'expulsion des Morisque en 1610, continuera à projeter sa clarté sur les cités du Maghreb non seulement sur le plan architectural mais aussi sur le plan musical.
Roman Lazarev
Le malhoun tel qu'il est chanté actuellement est une synthèse entre la poésie en tant que legs bédouin et l'art musical andalou. Le mausolée d'El Moâtamid Ibn Âbbad (le fameux Abou Abdil de l'Alhambra de Grenade) à Aghmat dans le sud marocain est la trace tangible de ces anciens apports culturels du paradis perdu de l'Adalousie musulmane.
L'un des plus grands poètes du malhoune au Maroc est sans conteste Cheikh Jilali Mtired qui serait né à Marrakech vers la fin du XVIIIème siècle, qui aurait vécu très vieux et serait mort vers le milieu du XIXème siècle ; Lui aussi considérait sa poésie comme un don divin qu'il aurait acquis après un pèlerinage à la zaouia de Sidi Bou Âbid Charki , le maître spirituel de Sidi Ali Ben Hamdouch, comme il l'affirme dans un poèmes :
L'inspiration m'a été donnée par les Charkaoua
C'est là que mes seigneurs m'ont fait don d'un breuvage sacré
Feu Mohamed El fassi qui rapporte ce dire, le commente en ces termes :
« Il se peut que cette visite à Boujaâd n'aie jamais eu lieu, car pour les gens du peuple, l'inspiration poétique est un don de Dieu. Il est nécessaire pour un très grand poète comme Jilali que ce don soit fait par l'intermédiaire d'un saint célèbre d'une façon solennelle. D'autres d'ailleurs n'ont pas été satisfaits par cette explication et attribuent l'origine de l'inspiration aux Jnounes. »
On raconte que le poète sortait seul tous les jours avant le couché du soleil se promener en dehors de Marrakech. Il allait au Sahrij Bel haddad (littéralement le bassin du forgeron), endroit peu fréquenté où poussent des plantes sauvages et dans des marres stagnantes pleines de crapauds et de grenouilles. Mélancolique, il s'asseyait là pour méditer au milieu des coassements, quand une grenouille lui aurait adressé la parole en l'invitant à une fête de mariage. Quand il eut chanté, les djinns lui offrirent un tambourin d'or. La légende veut que ce soit à lui qu'on doive l'invention des tambourins !
Dans sa qasida sur la tempête de mer qui emporte le fou d'amour, on reconnait nettement l'influence de la littérature arabe classique dont le fameux « fou de Leila » qui a servi de modèle pour le prince des poètes arabes Ahmed Chawki en Orient et qui aurait inspiré par la suite en Occident « le fou d'Elsa » de Louis Aragon. Cheikh Jilali, humble marchand de légumes au XIXème siècle se montre ici, un précurseur :
Ô toi qui t'engage dans la tempête d'amour !
Reviens avant que ses vents mugissants ne t'emportent !
Et que son tumulte ne t'engloutisse
Sous ses abîmes de brouillard et son déluge,
De houles, de tonnerres et d'éclaires !
L'amour est un océan sans fin à l'abîme insondable
Aucun amoureux n'a pu un jour le conquérir !
Combien de corsaires y ont fait naufrage !
Ni mâts, ni voiles, n'ont pu les sauver !
Avant lui Qays, le pitoyable s'y est déjà aventuré
Mais loin des siens, il n'a connu, hélas que l' errance,
Au milieu des haillons et des bêtes sauvages...
Roman Lazarev
Cheikh Jilali avait une boutique où il vendait des légumes à Riad Larousse et passait probablement tout son temps à composer des vers puisqu'il laissa après sa mort une œuvre immense dont une grande partie nous a été conservée soit dans des kounnachs, soit dans la mémoire des houffades (littéralement « les mémorisateurs »). Tous les poètes qui sont venus auprès de lui, le reconnaissent comme maître. Il mourut très vieux et fut enterré près de la Kutubiyya .
Au terme de son voyage initiatique, Khalili arrive enfin à Sidi Bel Abbas Sebti, où il est accueilli par un fauconnier féru de malhoune qui lui récite une qasida sur la ville des sept saints .
Abdelkader MANA
12:34 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : musique, poèsie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
26/04/2010
Coup de coeur
L'épave d'une patera
Je publie en cette note de « coup de cœur » ces images d'une épave échouée au Cap Sim que vient de m'envoyer mon ami Herve Decker que j'ai connu a Essaouira dans les années quatre vingt lorsque je rédigeais mon livre d'histoire sur la ville. Il s'agit en fait d'une patera marocaine - elle porte le nom de Sidi Mogdoul en arabe!- echouée sur les rivages Andalouses de Tarifa comme vient de me le preciser Herve par un nouveau message:
Salut mon cher
Je t'ai fait parvenir la photo de cette barque de pèche devenue "patera " du cote espagnol, c'est un témoignage .Cette épave est a Tarifa en face de Tanger sur la cote espagnol, ce en quoi elle est d un intérêt certain. Je suis a l'aéroport de bristol UK et j'attends un avion pour Malaga pour rentrer ce soir sur l'Espagne je devrais faire un tour a Essaouira très bientôt bon courage
Precedemment il nous avait ecrit:
Salut à toi Mana,
Bloqué en terre Anglaise, je consulte ton journal toujours avec grand plaisir. Je te signale que le chercheur Desanges rapporte une observation d'Elien qui peut être rapprochée de celle de Pline selon laquelle « les lions comprennent la langue des Maures » (Desanges : "Le témoignage masqué sur Juba II et les troubles de Gétulie" ) .Peut - on rapprocher ce texte de la tradition qui accorderait à Sidi Mogdoul la vertu d'avoir parlé a un lion et sauvé la ville ?
j'ai récupéré les bancs de cette épave pour les mettre dans le jardin de ma maison de compagne en faisant un rapprochement avec ton texte déjà ancien sur Cap Sim .... Tes photos sur les mouettes et les figures d'Essaouira m'ont incite à commencer la constitution d'une liste que j'intitule « Ceux de Mogador » . Elle trouve son origine dans la documentation que j'ai consultée à ce sujet depuis fort longtemps. A l époque il n'y avait pas encore Internet ni de portable comme tu t'en souviens ....elle reste a compléter .Continue, nous comptons sur toi cher Mana. Ton ami de Mogador. De :herve decker <canal16marine@hotmail.com
C'est vraiment curieux que cette patera echouee sur les rivages Espagnols porte lisiblement en arabe le nom de "Sidi Mogdoul"!
C'est mon ami Hervé qui le premier m'avait signalé et fourni la correspondance de Louis Chénier, consul de France auprès de Mohamed III et père du grand poète du même nom . En prologue a mon livre d'histoire de la ville j'avais alors mis en exergue sa citation suivante en date du 15 décembre 1769 :
« L'Empereur est arrive a Mogador au commencement du mois passe. Il a vu avec toute la tendresse d'un auteur la ville dont il a pose lui-même les fondements. Il a fait établir une batterie respectable a l'entrée du port et fait réparer tant bien que mal quelques fortifications, que le temps avait déjà dégradées. Sa Majesté doit partir a la fin de ce mois pour retourner a Maroc. » Comme le soulignait Louis Chénier, la ville n'a pas émergée lentement des méandres du Moyen Age : elle est née de la volanté du Prince. On appelait alors Marrakech « Maroc » et Essaouira devait être son avant - port. En effet, pour marquer son désire de faire d'Essaouira le principal port sur l'Océan, Sidi Mohamed Ben Abdellah commença par bâtir un mur sur les rochers au bord de l'eau. Il fit inscrire la bénédiction du Prophète en lettres coufiques sur la pierre de taille arrachée au flanc de cette ile qui n'est rattachée au continent que par une lagune.
Herve Decker est un authentique amoureux de Mogador, un oiseau migrateur qui revient périodiquement a cette ile exactement comme les faucons d'Éléonore qui traversent tout l'espace océane qui sépare les iles Britanniques des iles pupuraires de Mogador pour venir y nicher a chaque mois d'avril. C'est le marin dans l'âme, qui s'occupait alors de la restauration de l'actuelle 'Villa Maroc' que l'Anglais James venait d'acquérir auprès de Jrayfia avant son départ définitif pour Agadir ou celle-ci allait mourir de chagrin : dans les années cinquante sa maison close abritait les plus belles filles du Maroc au bons plaisirs des Pachas de l'époque et dis -it-on , Orson Welles en personne y venait se délasser de ses fastidieuses journées de tournage d'Othello. Herve Decker a toujours été convaincu que si on effectuait des plongées sous marines dans la baie de Sidi Mogdoul, on y découvrirait quelques antiques épaves. Une ile aux trésors donc ! Il ne croyait pas si bien dire le bon Decker : tout récemment au parages du rocher dit « taffa ou Gharrabou » (l'abris de la pirogue, en berbère) , des marins ont pris dans leurs filets deux magnifiques amphores antiques intactes recouvertes seulement de coquillages et d'algues !
Abdelkader Mana
16:06 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : poèsie, photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook