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23/11/2009

Les poètes

L'[i]invité du lundi

La secte des diplomates et la race des poètes

Ali Skali et Fatima Abaroudi...Face à Face...

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Le carrefour du livre - que dirige l'animatrice culturelle Mme Marie-Louise BELARBI, dont il faut saluer le dynamisme au passage - a connu la rencontre de deux poètes : lui diplomate de haut rang. Elle, femme au foyer, ex-professeur de littérature, ayant délaissé l'enseignement pour se consacrer à l'écriture. Pour lui, on peut concilier diplomatie et poésie. Pour elle enseigner la littérature des autres et faire la sienne est inconciliable.

Lui, c'est Mr.ALI SKALI homme d'humour spirituel et de modestie qui vient pour la présentation d'une œuvre poétique destinée  au départ à l'intimité et à l'oubli et offerte par hasard aux lumières du grand jour : « Regards » primé par l'académie Française et « Aux gré des sens », dont Maurice Druon dit :

« Ali Skali pourrait bien nous piéger avec son titre « Au gré des sens » et nous faire croire qu'il s'agit de pièces érotiques. Mais non, il joue sur le sens du mot « sens » : bon sens, non- sens, sens interdit, sens dessus-dessous... »

Elle, c'est Fatima Chahid Abaroudi. Elle vient pour nous présenter « Imago », du latin « image ». Poétesse couverte de je ne sait quel halo de noblesse et de modestie qui nous dit : « Je ne suis pas militante féministe -loin de là- mais je suis pour un rapport d'égalité et d'équilibre entre la femme et l'homme pour -comme dirait le poète - « regarder ensemble dans la même direction ».

L'univers diplomatique - dans un monde conflictuel et cynique - donne l'impression d'un enfer climatisé où les monstres froids sont en conciliabule. Apparemment, il n'y a pas de place pour les poètes. Cela veut-il dire pour autant que notre poète est un rossignol au milieu des loups ? Oh, que non ! Disons que c'est un homme d'équilibre qui parvient à réconcilier les exigences du devoir avec  la soif de liberté. Difficile équilibre entre la valise diplomatique et la clé des champs, entre l'homme et la fonction. Mais notre poète est un habile acrobate au sens intellectuel s'entend. La poésie est à la fois délivrance et humanisation de la diplomatie - le monde serait certainement meilleur si tous les diplomates   étaient des poètes. Trêve de comparaison, la poésie est besoin tout court. Les Peuls du Sénégal ne définissent-ils pas la poésie comme étant « les paroles plaisantes au cœur et à l'oreille » ?

Si l'outil linguistique est le Français, le miel des choses nous vient de deux villes millénaires : Taroudant où est née la poétesse et Fès d'où nous vient le poète. Si les branches respirent aux cieux de l'ailleurs le tronc reste enraciné au terroir des ancêtres. Contrairement à notre habitude, d'adopter la formule « INTERVIEW » - un mot d'ailleurs assez barbare, reconnaissons le-  pour une fois, nous avons préféré le dialogue entre deux poètes qui connaissent mieux que nous - quoiqu'ils s'en défendent par « modestie diplomatique » !- l'univers de la poésie et sont à même de nous en dévoiler les mystères. Écoutons-les. Qu'ils nous fassent traverser avec les chevaux sauvages sur les terres nouvelles.

M.Ali Skali : On laisse entendre parfois qu'il ne faut pas prendre au mot le diplomate. Que son « Oui » veut dire « Peut-être » et que quand il dit « Peut-être » cela signifie « Non » et qu'un diplomate ne doit jamais dire « Non » pour se garder toujours une porte de sortie et pouvoir modifier en cas de besoin son attitude initiale. Le diplomate doit se garder de dire toute la vérité qu'il pense. Ce n'est pas mentir par omission, c'est tout simplement atténuer l'effet de ses jugements pour garder toujours le contact avec l'interlocuteur ou l'adversaire. Car la diplomatie est un souci constant de ne pas perdre contact. En revanche la poésie n'est pas une « carrière » ; la poésie « habite » le poète. Elle s'identifie à lui au point qu'on ne peut dissocier facilement l'homme de son œuvre. Le poète est sincère, totalement, éperdument. Pour lui « Oui », c'est « Oui », « Non », c'est « Non ». La poésie, c'est la clé des champs, l'évasion, l'irrationnel et surtout l'imaginaire. Le poète confronte la totalité de son expérience personnelle et l'expérience humaine en général avec la totalité des mots dont il peut disposer. La poésie s'apparente à mon sens à la musique par ses rythmes et son harmonie.

Alors que nous voguions entre la liberté du poète et les contraintes du diplomate ; telle une apparition, la poétesse de feu vint nous rejoindre avec son IMAGO et le dialogue se poursuivit sur le miel des choses aux abords de Taroudant, sur Fès au pied du mont Zalagh, sur les lieux hantés et les moment inoubliables qui font que vous êtes saisi par cette transe de l'écriture, moment de grâce et de création qu'on n'aimerai jamais quitter.

Mme Abaroudi : Ce que nous exprimons n'est pas différent. Nous ne sommes pas des Martiens. Tout simplement la vie, l'amour, la mort avec des optiques différentes féminines et masculines. La poésie, c'est comme chausser des lunettes avec lesquelles on voit le monde transfiguré, c'est une espèce de coup de baguettes magiques avec laquelle on magnifie les objets autour de nous. C'est un regard contemplatif. Le réel autour de nous est chargé de poésie et la poésie ne se limite pas seulement à l'écriture, la création poétique peut toucher tous les domaines, que ce soit l'écriture, l'expression filmique, la danse ou la peinture. Par exemple Van Gogh a peint d'affreux  godillots, qui sont un objet banal et usé. Pourtant à bien y regarder, il en a fait un tableau tout à fait poétique. Victor Hugo a fait du crapaud un superbe passage poétique. Un poète espagnol a écrit tout un recueil sur « le petit âne argenté et moi » et c'est ce recueil qui a obtenu le prix Nobel de littérature en 1956.

M. Ali Skalli : Il n'est pas indifférent au poète d'être sensible aux évènements de notre monde. Au contraire. Aussi bien à la paix qu'à la misère humaine et aux droits de l'homme. Si on est témoins, on ne peut se taire parce qu'un poète où il est sincère ou il ne l'est pas. J'évoque d'ailleurs dans « Aux gré des sens » le problème de Jérusalem :

« Ces enfants égorgés et ces vieillards amputés,

Ces femmes éventrées et ces maisons dynamitées,

C'est pour toi Jérusalem.

Ce peuple décidé à se battre jusqu'à la victoire

Parce qu'il y a une histoire dont il garde la mémoire

C'est pour toi Jérusalem ».

Peuple bafoué, peuple exilé, peuple chassé de ses terres qui endure le pire, le droit est de son côté, la sensibilité humaine est de son côté. Malgré tout cela le peuple palestinien continue à naviguer sur les routes.

Mme A baroudi :  La poésie est plutôt venue à moi. Très tôt. J'ai écris mes premiers poèmes à l'âge de neuf ans et demie. C'était suite à un déchirement que j'ai vécu dans mon enfance. Je suis native de Taroudant, cette ville, que si on enlève les aspects modernes (voitures, poteaux électriques etc.) est une ville moyenâgeuse, qui vit en dehors du temps. Quand j'ai obtenu mon certificat d'étude à 9 ans, j'ai été envoyée comme interne à Rabat. Alors, imaginez une petite fille de neuf ans et demie, partie à Rabat. A l'époque, c'était le bout du monde. Quand mon père m'a laissé à l'internat et que sa silhouette a disparue derrière la vitre de la grande porte d'entrée, j'ai sentie un déchirement très douloureux. J'ai pleuré pendant des jours et des nuits et c'est là que j'ai écris mon premier poème sur la séparation. C'est un poème sur Taroudant, je l'ai écrit dans « imago », mais bien sûr plus amélioré, plus mûr. C'est un déclic causé par la séparation de mes parents et de ma ville :

« Il est au loin une ville brune

Que chante le vent du Sud

D'or et de pourpre, de cuivre et de feu.

Corps tendre de rosier et ceinture d'orangers

Dans une main la plaine, dans l'autre le désert

C'est la vierge fiancée du vent qui passe

Coulez larmes et fleuves

L'aube sera toujours belle sur ma ville

Elle est rêve de pierres entre deux crépuscules

Et le soleil qui allume ses remparts a un autre destin

Elle est beauté sereine à la lisière du silence

Et le vent qui la chante a un autre langage

Coulez larmes et fleuves

L'aube sera toujours belle sur ma ville... »

M. Ali Skalli : La poésie est un exutoire qui me permet d'échapper au quotidien pour me retrouver avec moi - même...Quand j'ai cette feuille blanche j'oublie tout. Même ma femme qui dort à côté. Je suis seul au monde avec cette feuille et ce crayon à la main pour faire quelque chose ; je ne sais quoi ? Une rencontre, un paysage, un mot qui peut parfaitement suggérer bien des choses. C'est une façon de m'endormir en communion avec moi-même. J'écrivais pour mes plaisirs parce que ça me permettait de faire une espèce de mosaïque des mots. Un jour nous recevions un ami qui travaillait à l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Je ne sais pas comment on est arrivé à parler de poésie. Mais j'ai refusé à la fin du repas de leur lire ma poésie. J'ai dis à mon ami : « Ce que j'écris ne s'aurait t'intéresser à aucun titre. Il m'a alors demandé : « Est-ce que mon avis ne t'intéresse pas ? ». Là, j'étais piqué au vif. Je lui ai remis alors la liasse de feuilles. Huit mois sont passés. Silence absolu. Un soir le téléphone sonne et cet ami me dit : « Ali ! Tu es assis ? ». Je dis : « Non ». « Alors assieds toi et écoutes-moi, j'ai lu tes poèmes, je les ai beaucoup appréciés, j'ai pris sur moi de les envoyer à un éditeur à Paris ». Je lui ai rappelé que je suis le représentant du Maroc ; ce que j'écris dans ces textes n'est peut-être pas publiable ? Il m'a répondu :  «  écoutes, tu a un roi réputé pour être très large d'esprit ; je suis sûr que quelque soit le texte qui va être publié, eh bien, il sera d'accord avec toi ». « Encore faut-il, lui dis-je, que je lui demande quand même l'autorisation, parce que je ne suis pas seulement un homme mais j'ai aussi un titre. » Et c'est ainsi que j'ai demandé l'autorisation et Sa Majesté dans sa magnanimité et dans sa bonté m'a dit qu'il était fier d'avoir un ambassadeur qui était aussi poète et que je pouvais publier ce que je voulais.  Et c'est comme cela que ce livre est sorti. Ce qui m'a incité à commettre un deuxième livre (éclat de rire). Maurice Rheims, de l'Académie Française, qui m'a fait l'amitié de préfacer « Regards » écrit :

« Un homme écrit...Qu'il prenne garde !...Il suffit parfois d'un simple billet pour en dire long sur lui, bien plus peut-être que le signataire n'aurait désiré le faire, mais si un roman peut révéler la personnalité de l'homme de lettre, ses ambitions, son caractère, ses frustrations, en ces domaines, rien ne vaut la poésie...Et c'est vrai, on est nu pratiquement comme un ver devant son public. Autrement, ce n'est pas de la poésie. On triche et ça ne résonne pas dans l'âme du public. »

Quand on vit loin de son pays, on éprouve la nostalgie pour ce pays :

« si en Amérique les Andes entendent fièrement leur Cordillère, toi mon Maroc à moi, tu porte allègrement ton Atlas en bandoulière ! »(Regards).

Le temps marque. Il marque non seulement les choses autour de nous ; il marque les êtres, hélas, et ceux que l'on aime. Il les marque peut-être d'une façon assez dramatique, puisque souvent, on s'en sépare. C'est la raison pour laquelle la fuite du temps et la mort, je les ressens très douloureusement :

« Tu es parti comme l'effluve d'un parfum,

Comme la rosée du matin qui s'évapore au soleil levant.

Et je suis resté seul,

Abattu, désappointé, médusé, hébété,

L'esprit aux quatre vents ».

Mme Abaroudi : Pour la compréhension de ma dédicace « d'Imago » ; j'ai perdu une fille que je n'ai jamais vu, parce qu'elle est morte à la naissance et c'est à elle que j'ai dédié mon recueil :

« Racontez - moi cet été,

La terre avait-elle son blé ?

Et le ciel ses couleurs quand vint le règne de l'oiseleur ?

Ils venaient de force des haleurs sans mémoire

Ils m'auraient pris tes jours,

Ferme tes yeux, courbe ton corps

Brise la fleur du jour nouveau

Les voleurs d'aube, les voleurs d'eau

Fille promise au cœur du bel été

Colombe trop tôt envolée...

Imago veut dire en latin « image ». Beaucoup de gens connaissant le sang berbère qui coule dans mes veines m'ont demandé si ce n'est pas Aïmago ? Non, le mot est latin. C'est une image affective qu'on se fait de soi-même. Mon regard sur les choses de la vie, sur les choses de l'amour, les grands thèmes du monde. Comme on a un album de photos pour fixer les souvenirs de sa vie, j'ai écris des poèmes à chaque étape importante de ma vie. Et j'ai comme une sorte d'album poétique ; certains je les ai mis dans « imago », d'autres je les garde pour moi-même.

M. Ali Skali : Certains lieux m'ont inspiré, Fès ma ville natale :

« Et c'est l'indicible moment de la prière et du recueillement

Devant ce paysage d'un autre âge

Avec ses oliviers et ses buissons sauvages.

L'on se croirait assurément devant Nazareth, Bethléem ou Jérusalem.

Alors que l'on subit l'envoûtement de Fès, leur grande sœur d'Occident ».

Mon père a vécu une vie assez extraordinaire. Il me plaisait infiniment de l'entendre parler des ces montagnes qu'il a traversées au siècle dernier à dos de mulet. C'était absolument un monde fabuleux qui était resté pour l'enfant que j'étais. Mon père, propriétaire terrien, était mêlé à l'histoire de la région. C'était un homme épris de musique andalouse  et de malhoun. Tichka, c'était une découverte de la beauté de notre pays pour moi et pour mes enfants. Il y a des moments qui vous marquent plus que d'autres, ou tout simplement des arrêts dans la vie qui font que vous sentez le besoin de les marquer par un souvenir : certains prennent des photos, moi, j'écris des poèmes.

Propos recueillis par Abdelkader Mana



[i] Paru à Maroc - Soir du lundi 29 décembre 1986

Le vendredi 12 octobre 2007, l'agence MAP, annonce le décès de l'ancien diplomate et homme de lettres, Moulay Ali Skali "le jeudi, dans une clinique Suisse, des suites d'une longue maladie, annonce le ministère des Affaires étrangères et de la coopération".

 


11:48 Écrit par elhajthami dans Entretien | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèsie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

16/11/2009

Nostalgie

Le goût de l’anis et de la nostalgie

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Les mouettes sont des vagues qui prennent leur  envol

Et les vagues, des mouettes qui grondent

Quand on  brise une vague

Une aile vous pénètre profondément

Et quand on brise une aile

Une  vague vous pénètre profondément

Ecoutez les trois mouettes briser leurs oeufs

Comme si la mer surgissait du sable pour la première fois

Avec comme notes musicales : l’éclosion d’œufs de mouettes

Moubarak Raji

Le destin étrange d’une famille qui fit partie de mon enfance me revient d’une manière lancinante et nostalgique. Il s’agit de la belle Jraïfiya, de son compagnon Moulay El Fatka, et leur fils Choukri : un trio de légende au destin pathétique. Tout d’abord Jraïfiya, qui a vendu au cours des années 1970 l’actuelle « Villa Maroc », pour des clopinettes, avant de se retirer à Agadir, où elle mourra plus de chagrin que de maladie. Il faut dire qu’au temps des tournages d’Othello sur les remparts de la ville, Jraïfiya était la Desdemona incarnée de Mogador. L’actuelle Villa-Maroc, lui tenait lieu de maison close. C’était paraît-il, une beauté aux charmes irrésistibles. Ceux qui avaient du pouvoir et de l’argent trouvaient auprès d’elle l’idylle apaisante qui flattait leur ego. Il fallait littéralement se ruiner pour honorer la table de Jraïfiya et faire partie du cercle étroit qui accède à ses charmes et à ceux de ces filles. Le pacha  borgne faisait partie de ces heureux élus qui venaient savourer les bonnes choses de la vie en s’enivrant de vin fin, en écoutant les classiques du Tarab Oriental, telles Oum Kaltoum et Smahan des années trentes. Ce même pacha borgne qui avait droit aux plaisirs de la maison close de Jraïfiya pouvait s’ériger le lendemain dans son bureau en juge et bon gardien de la morale de la cité !

Du temps de Jraïfiya, les plus beaux fruits étaient destinés à la clientèle sélective qui avait accès à sa maison close. Dans mon enfance, j’ai pu connaître de près son mari, Moulay El Fatka, parce que ce personnage haut en couleur était un compagnon bucolique de « Dadda Brahim », le chauffeur d’autocar et mari de ma tante maternelle, chez qui je passais mes vacances d’été à Casablanca.

Ma tante maternelle habitait alors dans la médina d’Essaouira du côté de la Scala de la mer — la maison même où était né Bouganim Ami, l’auteur du « Récit du Mellah », comme il me l’a indiqué lui-même lors de son bref séjour de 1998. Une maison avec patio où la lumière venait d’en haut. Et moi tout petit au deuxième étage regardant le vide à travers des moucharabiehs et répétant la chanson en vogue à la radio :


Cest pour toi que je chante

Ô fille de la médina !


Ma tante a dû déménager par la suite à Casablanca, d’abord à la maison de Derb Sultan — juste à côté du marché et des escaliers du chemin de fer, là où tout petit je me suis perdu un jour me retrouvant aux mains d’une inconnue dénommée l’« Aârifa », représentant le pouvoir municipal dans le quartier des Hobous, ensuite au quartier de villas dénommé France-Ville.  Dadda Brahim a dû y accéder en signe d’amélioration de son niveau économique, aussi à un moment où ces quartiers chics étaient en voie de marocanisation après le départ des Français. Da Brahim travaillait alors aux transports intervilles du Grand – Sud que possédaient les Aït Mzal, issus d’une grande tribu du Souss qui avait prospéré d’abord dans le commerce caravanier avant de s’adonner au transport des voyageurs, reliant par autocar Tafraout à Casablanca.


A l’alliance israélite où j’étudiais, on m’accorda alors de beaux livres pour enfant, que je n’ai pu recevoir à l’estrade, mais que Zagouri, mon institutrice, me fit alors venir chez le pâtissier Driss, où j’ai eu droit et aux Beaux Livres et à un gâteau au chocolat ! Je lui ai menti, en lui disant que je n’ai pas pu assisté à la remise des prix parce que j’étais parti à Chichaoua ! En réalité l’appel de la plage et des vacances étaient plus forts, surtout quand les élèves se mettaient à chanter à la récréation dans la cour :


« Gai gai l’écolier, c’est demain les vacances...

Adieu ma petite maîtresse qui m’a donné le prix

Et quand je suis en classe qui m’a fait tant pleurer !

Passons par la fenêtre cassons tous les carreaux,

Cassons la gueule du maître avec des coups de belgha (babouches)


Pratiquement chaque été, juste après avoir chanté à l’école israélite ce fameux chant des adieux, je me rendais en vacances à France - ville chez ma tante. Là où j’ai connu, à la puberté, mon premier amour, à la lumière duquel je lisais tous les grands amours de la littérature, depuis les maux du jeune Werther de Goethe, jusqu’au « Premier amour » de Tourgueniev. Je la vois encore tricotant sous l’oranger de la villa, les yeux baissés mais brûlant à la fois sous mes regards ardents et les chants dOum Kaltoum scandant au crépuscule les quatrains d’un Khayyam sur la vanité des jours sans amour… J’étais fou dAmina, ma cousine si proche et si inaccessible ! J’en rêvais à chaque retour de Casablanca en regardant la haie des eucalyptus que traversait l’autocar dirigé par son père, et en écoutant la voix mélancolique d’une Asmahan ! Elle était brune, à la chevelure et aux yeux ardents « dun tel noir, ô mes frères, quils mont ravi », comme disait le vieux chant de la ville.


Da Brahim, son père, arrivait souvent le soir avec des moutons entiers, qu’il achetait aux bouchers en cours de route, si bien que le réfrigérateur était toujours plein de nourriture et surtout d’une odeur d’alcool tellement agréable, qui m’intrigua longtemps avant que je ne découvre sur le tard que c’était de l’arôme d’anis qui émanait des bouteilles de Ricard. Cette odeur d’anis, si caractéristique, je l’ai toujours identifiée à la présence, dans la charmante villa de France –Ville — qui a vu éclore mon premier amour — de Da-Brahim revenant de ses lointains et incessants voyages et surtout avec celle du loufoque et corpulent Moulay El Fatka, que je croisais au bain – douches le lendemain au sortir de longues veillées bucoliques avec Da-Brahim, passées à boire du Ricard à l’odeur d’anis , qui me donnait tant de rêves paradisiaques et olfactifs.


En rentrant un soir d’un long voyage entre Tafraout et Casablanca, Da Brahim mourut très jeune au début des années soixante-dix. Ma tante meurtrie, nous dira le lendemain, qu’il s’était levé pour aller au bain, et qu’au retour, il s’est endormi pour ne plus se réveiller. Ce jour-là je m’isolai sous un abricotier de la paisible demeure de France-Ville et je me mis sans me rendre compte à rédiger le premier texte de ma vie : un poème au goût d’anis et d’amertume, inspiré par la fin de mon premier et dernier amour.


De la cirrhose du foie Da Brahim était mort, et la mort est d’autant plus injuste qu’elle retire à notre affection des êtres si jeunes. Des années plus tard,  son compagnon de veillées bucolique mourut à son tour de la même cirrhose de foie. Il laissa un fils unique qui lui ressemblait à tous égards aussi bien par son caractère loufoque que pour son amour du vin et de la vie qu’il croquait à pleines dents. C’était Choukri le fils de Jraïfiya et de Moulay El Fatka.

Dans les années soixante-dix, à Essaouira, c’était le temps des hippies. Et Jraïfiya qui avait déjà perdu ses charmes d’antan, leur louait les innombrables pièces de son ex-maison close de la kasbah. Son fils, Choukri, profitait en bon adolescent de la présence de ces curieux locataires aux cheveux longs et aux regards hagards, venus fuir les images de la guerre du Vietnam, dans le sillage de Jimmy Hendrix et du Living Théâtre : « Love and peace » était leur mot d’ordre, « trip » et nudisme était leur mode de vie entre le village de Diabet et l’embouchure de l’oued Ksob. Choukri profitait donc de la présence de ces curieux locataires pour s’approvisionner en gadgets de toutes sortes : cela allait de la montre électronique, en passant par le T-shirt et les espadrilles de luxe. Objet que les autres adolescents s’empressaient de lui dérober à la première occasion, notamment quand il se mettait sous la douche. C’était le temps heureux où l’on se retrouvait aux cabines de la plage, qui étaient organisées en forme d’« arêtes de poisson » de sorte que la plage communiquait avec le grand boulevard qui tenait lieu d’allée des Anglais, aux déambulations méditerranéennes, où le jeune Choukri se distinguait particulièrement par son humour caustique quasi naturel. On voyait bien que la vie n’était pour lui – comme pour ses parents -  que plaisirs épicuriens. Il n’avait aucune idée de l’effort et de la souffrance. Et pourtant, c’est par des souffrances atroces – un cancer de la gorge dont des métastases s’étendirent à la langue en phase finale — qu’il finira prématurément sa brève existence à Agadir où il s’était exilé avec sa mère — sa vie ne fut qu’une longue veillée nocturne consacrée au rire, au tabac et à l’alcool au goût d’anis et de nostalgie.

Essaouira reste une « veuve déchue qui se souvient de sa gloire », me disait mon père. Une ville hantée par les fantômes du passé comme l’exprime dans ce récit fantastique mon ami le jeune poète Moubarek Raji :

Ici, je ris, je pleurs, je bois et je m’adresse au lointain ami, au vieux grillon dans l’âme. Es-ce que les mers des villes pauvres se vendent maintenant comme des chats siamois ?! Riez poissons de thon ! Criez, amis fantômes ! Riez araignées de mer ! Mouillez-vous d’eau salée, ombres anciennes !

Ce qui reste de l’île, c’est d’abord cette prison à ciel ouvert, recouverte de toiles d’araignée, telle une tombe de silence avec son tapis d’algues vertes et ses vestiges de murex ayant échappé aux filets des anciens pêcheurs…

Il m’importe de beaucoup le devenir de cette île. De savoir comment elle s’est envolée pierre par pierre. Au point qu’il n’en reste plus que cette prison, prisonnière de sa propre histoire. On y aurait découvert des squelettes enchaînés. Pourquoi ces chaînes pèsent – elles encore sur ces squelettes ? Ont –elles peur que leurs fantômes soient des revenants parmi les hommes ?

Il y a aussi cet homme étrange qui, depuis des lustres s’ingénie à nourrir les mouettes à l’aube, et qui ornait la porte de son échoppe de fleurs sauvages ainsi que d’un vieux squelette de mouette, comme il aurait aimé qu’on orne sa propre tombe.

Ici personne ne se soucie de l’heure qu’il est. Même l’horloge à coq n’annonce plus l’aube, car si le coq a toujours sa queue, il n’a plus de tête.« La mer n’est plus à sa place ! » avait murmuré Ringo à chaque table du café Bab Laâchour. « Depuis trois mois que je suis sur cette chaise, et mon café est toujours chaud. Trois mois ou six ans, quelle importance ! »

Tous les clients du café, montrent du doigts la prison de l’île :

- Elle s’approche ! Dans une heure l’île sera devant Bab Laâchour ! Elle y est déjà !Les barrières de sa prison s’élevaient au ciel. Les oiseaux de l’île en deviennent prisonniers. Certains clients du café nous rassuraient qu’ils avaient déjà entendu parler de ce papillon qui rêvait d’être homme et de cet homme qui rêvait d’être papillon…


Quand on s’éloigne d’Essaouira, c’est toujours sous forme de mouette qu’on la retrouve ! Leurs envol au crépuscule, leur envol au ras des vagues et au – dessus des mâts, sont la réincarnation des légendes et des mythologies marines , comme le souligne si bien Moubarek Raji, le jeune poète contemporain de la ville :


Les mouettes sont des vagues qui prennent leur  envol

Et les vagues, des mouettes qui grondent

Quand on  brise une vague

Une aile vous pénètre profondément

Et quand on brise une aile

Une  vague vous pénètre profondément

Ecoutez les trois mouettes briser leurs oeufs

Comme si la mer surgissait du sable pour la première fois

Avec comme notes musicales : l’éclosion d’œufs de mouettes


On a retrouvé chez Ghorba, le vieux cordonnier disparu, qui pendant le Ramadan  du haut des minarets enchantait la ville, par les airs séraphiques de son hautbois, seul instrument de musique admis, à l’exclusion de tous les autres, considérés comme étant diaboliques en ce temps d’abstinence, un manuscrit légué par Saddiq, poète de la ville, ayant vécu au XIXème siècle : on a dégagé, tel un talisman, un poème dédié à « Aylal et Aylala » (goéland et mouette).


Ce poème est le seul à être sauvegardé de la khazna perdue de Ghorba. Le terme khazna désigne le trésor de manuscrits contenant les qasida de malhûn, que les connaisseurs consevent jalousement au fond d’un coffre. Ghora le cordonnier d’Essaouira, le hautboïste virtuose, l’adepte des Hamadcha, qui a perdu un œil lors d’une compétition chantée du rzoun de l’achoura, était l’un des principaux khazzan (conservateurs) des qasidas du genre malhûn. Il refusait d’en transmettre le contenu à ceux qui enquêtaient au début des années 1980 sur les paroles oubliées d’Essaouira, jusqu’au jour où après sa mort, sa vétuste boutique de cordonnier s’effondra engloutissant à jamais sous les décombre, tout le trésor poétique qu’il conservait si jalousement.


. Que raconte le poète à travers cette qasida-talisman, d’« Aylal » et d’« Aylala » ? La légende d’un couple de mouettes ayant niché au dessus de la terrasse où vivait le poète de ces îles purpuraires où n’existaient que le sable et le vent. Ils finirent par focaliser son attention d’autant plus que goélands et mouettes étaient nombreux à s’élever en nuées successives au dessus de sa tête :


Tout commença  avec un couple de mouettes

Qui s’en vint bâtir son nid au dessus de ma  terrasse

Leurs robes blanchâtres scintillaient tels les sommets  enneigés

Et le burnous gris du bien – aimé virevoltait dans les cieux

Fascination  de tout ce qui est cloué au sol pour tout ce qui vole

Un jour le mâle  s’est envolé pour ne plus revenir

Vint alors un chaton menaçant qui se hissa vers le nid

Restée seule que peut faire la mouette au milieu des tempêtes ?!

Qu’elle s’envole ou qu’elle demeure, ses petits seront  la proie du félin,

Ses jacassements emplissent alors les fortifications du port

Des centaines d’oiseaux survolèrent l’éplorée

Le  félin  disparu, le vent  tomba, et mon âme s’apaisa

C’est ce  qui arrive  à celle qui a vendu sa ceinture d’or

Permettant à l’inconnu de  dérober ce qu’elle a de plus précieux

Elle a beau  lancé des appels de détresse, personne n’y répond

C’est un poète – conteur qui composa cette qasida sur la mouette

Comme il en aurait composé sur l’abeille ou la flamme effilochée

Interroge – toi plutôt sur le sens des symboles

Prends une lampe et va  déchiffrer à ton  tour les symboles de la vie

Ne fais aucune confiance au temps, Ô toi qui comprend !

Il fait d’une hutte un château

Et d’un palais une ruines ensablées dans la baie !


Pour ce poète comme pour le  magicien de la terre qu’était Boujamaâ Lakhdar, les représentations de la nature – salamandre, gazelle, mouette, abeille, etc.- sont souvent des symboles anthropomorphiques dont il faut déceler le sens au-delà des apparences. Une mouette n’est pas une mouette, elle est pour l’artiste peintre le symbole même de la ville. Le dernier tableau peint par Boujamaâ Lakhdar, avant sa disparition en 1989, représentait une mouette fantastique portant sur ses ailes les  signes et les symboles magiques de la ville.

Abdelkader MANA

15:16 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mogador, nostalgie, poésie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

05/11/2009

Un christ arabe

A mon ami Falk Van Gaver j'écris : Je viens de publier sur mon blog ton "Christ arabe". Il fait en effet partie profondément de notre inconscient collectif, comme le montre la légende des Regraga dans cette terre du Maghreb qui avait donné naissance jadis à un berbère dénommé Saint Augustin. Il me semble même l'avoir rencontré une fois: En 1983, faute de logement pour étudiant , on m'avait logé au presbytère du  Tholonet , un petit village situé à deux pas d'Aix en Provence dans la Haute Vallée de l'Arc,.... J'y logeais seul dans une vieille bâtisse de campagne  avec immense cuisine et chambre à coucher à baldaquin aux très hauts plafonds. Un soir d'hiver j'étais comme pris d'une crise mystique et je me suis mis à chanter des auratorios (le fameux samaâ) avec des accents mi-persans , mi-turcs, mi-bosniaques, la patrie de l'Imam Al Bousiri,l'auteur de la fameuse BORDA(tenture du Prophète) qui berça mon enfance au sein des confréries de l'extase... à ce moment là dans la profonde solitude du presbytère, j'ai ressentis dans le noir de la nuit de la solitude et du desespoire, comme le regard de Jésus qui se posait doucement sur moi. J'en tressaillis de tout mon être et j'élevais plus haut mes psaumes sur un ton qui me semble à la fois sincère et beau. Ce soir là, j'avais la conviction de pleurer et de chanter sous son regard...Oui, je me souviens de mon séjour au Tholonet lorsqu'au Vatican il y avait un Polonais...qui fut accueillis quelques années plus tard par le commandeur des croyant- auteur du "génie de la modération"- en cette terre marocaine où on ne pouvait pas faire un pas sans rencontrer un saint juif portant le nom de Sidi Ishak ou Sidi Brahim Ou Aïssa (Abraham et Jésus). Le Maroc est véritablement un carrefour des cultures et des religions. Un pays qui ne pourra jamais être lui-même, hospitalier et tolérant que dans le respect de l'identité spirituelle de l'autre qui est soi-même."Nulle contrainte en religion", "Dieu est amour," me disait inlassablement mon père; sinon rien...A.M.
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Le Tholonet était un des lieux préférés de Cézanne, la terre rouge, la roche grise, le ciel bleu azur sur lequel se détache la montagne Sainte-Victoire offre une palette de couleurs extraordinaires.

Un Christ arabe

Par Falk van Gaver

 

Si la figure du Christ est présente dans l’islam, elle n’est pas celle du Jésus de l’Evangile. Cependant, une nouvelle figure du Christ est apparue dans la culture arabe contemporaine : celle du Christ poétique.

« Celui qui est atteint par cette passion qui s’appelle Jésus ne guérira jamais. » Cette sentence mystique n’est pas le fait d’un poétique franciscain ni d’une carmélite extatique, mais d’un maître soufi médiéval, le célèbre Ibn' Arabi.[1] Jésus, Yihuchua en hébreu, qui signifie « Dieu sauvera », est en effet présent dans l’islam, qui prêche un Christ né de la vierge Marie, reconnaissant en lui le Verbe et l’Esprit de Dieu. Le Coran le mentionne ainsi plus de 15 fois sous le nom d’Aissa et ne lui consacre pas moins de 93 versets. Pour autant, la christologie coranique ne se confond pas avec l’évangélique. Il est certes le Rasul, l’Envoyé, le Messager de Dieu, l’avant-dernier Prophète avant Mahomet. Successeur d’Abraham, Moise et Noé, Serviteur de Dieu (‘Abd Allah), il est chargé de rectifier la Torah par l’Evangile et répandre paix et lumière. « Al-Massih, Aissa Ibn Maryam » : le Messie, Jésus Fils de Marie. Le Jésus du Coran est même le Messie de Dieu. Dans la Sourate Maryam, l’islam admet sa naissance miraculeuse et virginale (versets 16-21), mais Jésus, « Fils de Marie », n’est pas Fils de Dieu (versets 89-95) : l’islam nie sa divinité et jusqu'à sa crucifixion. Dieu par miracle le délivra, un autre fut crucifié à sa place, et il fut enlevé au Ciel, d’où il reviendra sur Terre pour proclamer le Jugement dernier.

Demain, mon Seigneur reviendra

Sa voile est comme un nuage blanc

Aux doigts de l'aurore

Je savais quand il apparaîtrait,

Comment puis-je l'ignorer ?

Ses cordes, moi je les ai tissées,

Mes doigts les ont purifiées,

Et mes larmes les ont lavées

Comment puis-je l'ignorer ?

De retour,

Lorsque de loin,

Il apparaît comme une nuée a l'horizon

Demain, mon Seigneur reviendra

Il reviendra,

Des terres inconnues, derrière Chypre,

L'aimée, derrière Carthagène,

Il me revient.

O quelle joie...

Hier, il était vivant,

L'aube perçait ses yeux.

Portant un cœur, souriant

Aux lumières et aux douceurs

Brandissant son bras,

Frappant la terre de ses deux pieds

Claquant le vent de ses deux joues

Courant,

Ils  disaient qu'il était

Un fleuve bouillant

Ils disaient qu'il était

Sérénité.[2]

Mais s’il est un grand Prophète, c’est surtout la tradition hétérodoxe et mystique de l’islam, le soufisme, que la figure de Jésus inspira : « Certains soufis sont profondément attachés à Jésus. Ils le voient comme un maître, un guide spirituel, un modèle de dépouillement total, un témoin de l’Amour divin, le type idéal de pauvreté spirituelle, d’ascétisme, de douceur. […] Pour le soufi, si l’âme devient assez pure et assez pleine d’amour, elle devient comme Marie et engendre le Messie. »[3] Voilà qui fait penser au superbe et si catholique Angelus Silesius en son Pèlerin chérubinique. Christ prophétique des sourates et des hadiths, Christ mystique des traditions soufies, il reste le Christ coranique sans grand rapport avec le Christ évangélique. Mais le Jésus oriental prendra une nouvelle figure au 20e siècle : celle du Christ poétique des jeunes nations arabes.

Jésus est passé par ici

Et ses yeux s'emplirent de larmes

Et il me dit :

Hier Jésus est passé par ici.

Jésus

Sa croix : deux branches ; olives, florissantes.

Ses yeux : deux étoiles

Son allure : une colombe.

Ses pas : des chants.

Hier il est passé par la

Et le jardin a fleuri

Et les enfants se sont réveillés,

Plus beaux

Et dans les cieux

Les étoiles de la nuit étaient

Comme des cloches,

Comme des croix

Noyées dans mes larmes

Le chagrin était

Notre sentier d'amour et d'oubli.

Notre terre verte,

Dans ses supplices,

Affaiblie par ses blessures,

Elle rêvait de lys

Et de milliers de Jésus

Qui porteront leur croix

Dans l'obscurité des prisons

Et qui seront nombreux

Ils offriront la vie à une postérité,

Qui sèmera de jasmin la terre de Dieu

Et qui enfantera des  héros,

Des révolutionnaires et des saints.[4]

« La poésie arabe est née dans le désert. Elle célèbre le désert, non pas dans sa sécheresse mais dans sa richesse, la solitude qu’il permet autorisant l’homme à rêver, réfléchir, les oasis qu’il abrite étant semblables a autant de paradis sur terre. »[5] La poésie arabe précède l’islam : le prestige des poètes était si grand que l’islam naissant en prit ombrage : « Et quant aux poètes, ce sont les égarés qui les suivent. Ne vois-tu pas qu’ils divaguent dans chaque vallée, et qu’ils disent ce qu’ils ne font pas ? » (Sourate Ash-Shuara’a, Les poètes, 224-226) Mais en même temps le Prophète aurait dit dans un hadith : « Servez-vous de la poésie pour éclairer le Coran. » Tour à tour mystique et charnelle, ascétique et érotique, la poésie arabe classique est un splendide monument du patrimoine littéraire de l’humanité. Mais, au tournant du 20e siècle, de même que les occidentales, les lettres orientales font leur révolution. De nombreux mouvements poétiques, dont le plus célèbre reste Al-Diwan, fondé en 1921 en Egypte, introduisent la modernité poétique et littéraire dans l’Orient arabe. Le rôle des Arabes chrétiens, Libanais notamment, y fut décisif, et les influences de Khalil Gibran (1883-1931), l’auteur de Jésus Fils de l’Homme, marqueront un recentrement sur la figure du Christ et son ancrage dans l’héritage évangélique autant que coranique – et ce, qui est important, aussi bien chez les poètes musulmans que chrétiens. Quelques recherches récentes ont éclairé cet aspect méconnu de la république des lettres arabes.[6]

La bienveillance est née avec Jésus

Ainsi que la bravoure et la vie

Avec lui est né le chemin du salut

L'univers s'émerveille du nouveau-né

Le prodige du Christ s'est répandu

Comme s'irradie sur l'existence

La clarté de l'aurore.

Pus de menace,

Plus d'injustice,

Plus de vengeance,

Plus de sabre,

Plus d'invasion,

Plus de sang.

C'est un roi,

Un voisin intime de la terre.[7]

Mais le Jésus des poètes n’est pas non plus celui des Evangélistes : il est le Seigneur des pauvres et des opprimés. Pour le nationalisme arabe, il est une figure de la nation arabe écartelée ou de la Palestine crucifiée. C’est ainsi que Mahmoud Darwish le décrit : « C’est un enfant du pays, il est de Nazareth, en Galilée. Et puis, sa mission est très simple, c’est une mission de paix et de justice. Avec ses paraboles, il parle comme un poète. Le Christ est un état poétique à lui tout seul. Le Christ nous inspire et nous donne du courage. »[8]la Passion du Christ. « Je suis le Christ qui tire en exil sa croix », chantait Al-Sayyab. Cette identification poétique introduit dans la culture arabo-musulmane la figure christique, présence hérétique que de nombreuses voix islamiques condamneront et censureront. La poésie arabe moderne se dresse alors comme un nouvel évangile poétique contre la souffrance et l’injustice, cris de désespoir et de douleur, mais aussi écrits d’amour et de douceur. Parmi les plus beaux chants, il y a ceux des chrétiens Fawzi Maluf (1899-1930), Yusuf Al-Khal (1917-1987), des musulmans Ahmad Shawqi (1868-1932), Abd Al-Wahab Al-Bayati (1926-2000), Badr Shakir Al-Sayyab (1926-1964), ou Fadwa Tuqan (1917-2003)… Qu’ils soient Egyptiens, Libanais, Irakiens ou Palestiniens, ils expriment tous, avec leur liberté et leurs limites, quelque chose de l’insondable mystère du Christ. Mais, plutôt que de gloser davantage, laissons parler ces voix magnifiques qui chantent un autre Jésus, ni coranique ni évangélique, mais arabe et poétique. Le rêve brisé d’une nation arabe laïque et la défaite de 1967 ont plongé les poètes, « nouveaux prophètes », dans le doute et le deuil. Ils identifient le « martyre » de leur peuple et d’eux-mêmes à

Mon cœur est le soleil

Quand il s'ébroue de lumière.

Mon cœur est la terre frémissante de blé,

Des fleurs et de l'eau claire.

Mon cœur est l'eau, mon cœur est l'épi

Sa mort est résurrection

Il vit à travers ceux qui mangent.

Il vit dans la pâte qui s'arrondit,

Comme le sein de la vie.

Je suis mort par le feu :

De mon argile, j'ai brûlé l'obscurité.

Dieu seul est resté.

Je fus un commencement.

Et au commencement étais pauvre.

Je suis mort pour qu'on mange

Le pain en mon nom,

Qu'on me sème en la saison.

Combien de vies dois-je vivre ?

Dans chaque brèche, je deviens le futur,

Je deviens une graine,

Génération d'entre les hommes

Je deviens.

Et a chaque cœur d'hommes,

Je donne une goutte de mon  sang,

D'une goutte, une parcelle.[9]

Falk van Gaver



[1] Les Illuminations de La Mecque, Albin Michel, 1997

[2] Le Retour, Yusuf al-Khal (Liban, 1917-1987)

[3] Faouzi Skali, Jésus dans la tradition soufie, Albin Michel, 2004

[4] Le Christ fidele (extrait), Abd al-Wahab al-Bayati (Irak, 1926-2000)

[5] René Khawam, La Poésie arabe, Phébus, 2000

[6] Chiheb Dghim, Jésus dans la poésie arabe chrétienne et musulmane, Editions de Paris, 2007

[7] Le prodige du Christ, Ahmad Shawqi (Egypte, 1868-1932)

[8] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul Dieu, entretien in Libération, 10 mai 2003

[9] Le Christ après la Crucifixion (extrait), B'adr Shakir As-Sayab (Irak, 1926-1964)


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