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14/10/2010

La danse du baroud

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La danse du baroud

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Carnaval masqué chez les Ghiata

Ba Cheikh :"Ce carnaval a lieu chez nous à la fête du sacrifice. Au dixième jour après le sacrifice. Je dormais - seul Dieu ne dort jamais !- et je me voyais en rêve masqué dans une mascarade comme celle-ci!"

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Tous les villageois participent à ce pré théâtre populaire  dont les dialogues et les musiques sont entièrement improvisées avec leurs personnages burlesques dotés de baraka. Des offrandes sont recueillis par ces personnages burlesques et masquées au cours des tournées aumônières devant les hameaux.    Par Abdelkader Mana

Chez les Ghiata, le printemps revêt une exubérance certaine. Avec cette végétation luxuriante, ces chants d'oiseaux au creux des boccages et aux cimes des arbres, on comprend l'enthousiasme des anciens voyageurs andalous qui sont passés par là. C'est une fraîche oasis qui fait un agréable contraste avec les paysages dénudés de l'Est,  donnant à la campagne de Taza une dimension méditerranéenne particulièrement riante.

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Les jardins et  les vergers Ghiata entourent presque entièrement l'éperon et la ville de Taza. La végétation arborescente comprend surtout des oliviers : Taza produit une assez grande quantité d'huile et il y a de nombreux pressoirs au creux des vallons autour de la vieille cité. Une des caractéristiques des Ghiata est qu'ils mettent leurs maisons à l'abris des regards au fond des vallées, et non pas au sommet des montagnes comme font les berbères du sud pour faire face à l'ennemi venu de la plaine.

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On retrouve chez les pasteurs Ghiata de la montagne, la même fête carnavalesque qui s'observe à l'Aïd El Kébir, sous le nom de Bilmaun au Haut Atlas, de Boujloud, à Fès, et qu'on appelle Ba Cheïkh, chez les Ghiata, les Tsoul et les Branès dans la région de Taza. Le personnage essentiel s'y montre revêtu de peau de mouton ou de chèvre.Le sacrifice suivi de la mascarade constitue deux épisodes d'une même cérémonie. La peau dont le personnage est revêtu provient des victimes sacrifiées le premier jour de l'Aïd El Kébir.

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«  Ba cheïkh »,« Souna », la « fiancée » et  le « mari de Souna »

Le carnaval comporte trois principaux personnages :

« Souna », la « fiancée », «  Ba cheïkh » le « mari de Souna »,  convoitée par un troisième personnage masqué mais plus jeune :il dispute Souna à son aîné. Le quatrième personnage est celui du « juif » qui ravit « Sona », l'enlève et la fait disparaître pour exiger l'équivalent de la dote à sa restitution.

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Le carnaval d'Assad-Essdine

A Bachiyne , fraction Ghiata , le personnage masqué de Ba Cheïkhm , nous fit cette déclaration :

« Qu'Allah nous préserve des écarts du langage ! Amis ! Ce carnaval  légué  par nos ancêtres et  parents, continuons à le fêter ! Nous l'avions fêté avec feu Ali Zeroual, et avec Mohamed Bougrine, que Dieu ait son âme, et avec Ba Chiboub qui a soixante dix ou quatre vingt ans. J'ai joué avec Mestari Driss qui était presque centenaire, et je continue à apprendre aux jeunes.

Ce carnaval a lieu chez nous à la fête du sacrifice. Au dixième jour après le sacrifice. Je dormais - seul Dieu ne dort jamais !- et je me voyais en rêve masqué dans une mascarade comme celle-ci. Quand l'Aïd el Kébir arrive, on sacrifie une victime, et après avoir consommer méchoui et grillades, je m'accoutre de cette manière, je rassemble autour de moi les badauds, et je m'en vais de hameau en hameau où les villageois nous accueillent avec des offrandes : si quelqu'un souffre de rhumatisme par exemple, nous ne le soignons pas de notre propre volonté, mais par celle du Seigneur. Par la grâce d'Allah.Nous ne faisons que prier pour le malade. S'il guérit par la grâce divine, il offrira bouc et bélier.  Et Dieu accorde sa guérison. Ce n'est pas à moi que cette grâce appartient. Parmi cette assistance, chacun qu'il soit jeune ou vieux, possède sa propre baraka auprès de son Seigneur. Chacun sa part de grâce divine, qu'il mobilise en prières pour ce malade. On nous offre des céréales, on nous offre de l'orge, on nous offre des béliers. On va au devant des bienfaiteurs et ils nous accueillent avec joie. »
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Le carnaval d'après Maimoun Ali

On lui demande :

- l'amèneras tu avec ses cornes ?

 Oncle Ba Cheïkh :

- Il sera avec ses cornes !


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Passion des Dionysos

" Chacun sait comment le théâtre est sorti chez nous des mystères de la Passion qui se sont peu à peu mondanisés, écrit E.Doutté:  or nous savons pareillement que les carnavals du Maghreb ont engendré, , une sorte de théâtre rudimentaire, qui ne se borne plus au thème primitif, mais comporte, au Maroc par exemple, des représentations burlesques très variées. De semblables petites représentations sont rares en dehors de la fête de l'achoura et de la fête que nous avons seulement mentionné, du Roi des tolba, très analogue au carnaval et vraisemblablement d'origine semblable. Même la fête de l'achoura n'a pas , chez nos indigènes produit de véritable art dramatique : c'est à peine si on signale en dialecte zénatie les dialogues récités lors de la fête de l'achoura, du Ramadan etc. , par les membres du chaïb achoura, sorte de confrérie théâtrale et satirique qui a beaucoup de ressemblance avec les frères de la Passion et les Enfants sans soucis de la littérature française à la fin du Moyen - Âge."

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Nous avons filmé ce carnaval en 2006 à Bachiyne, fraction Ghiata située à la lisière de la montagne et la grande confédération des tribus Bni Waraïn : Un personnage identique à Ba Cheikh existe chez les Bni Waraïn voisins qui célèbrent également leur carnaval à l'Aïd El Kébir. En effet, parmi les types carnavalesques figure la soi-disant « fiancée de Bou jloud », Taslit ou Bou Jloud représentée par un homme déguisée en femme vêtue d'une magnifique handira.

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De semblables petites représentations sont rares en dehors de la fête de l'achoura et de la fête que nous avons seulement mentionné, du Roi des tolba, très analogue au carnaval et vraisemblablement d'origine semblable.

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Dans le nord du Maroc, le carnaval paraît également très répondu : nous savons qu'il existe à Tanger ; on l'a signalé à Fès, enfin il a été décrit en détail pour le Rif, pour les Djbala et pour la tribu des Zkâra. Dans le Rif on représente le Ba Cheïkh (mot qui veut dire, un chef et en même temps vieillard) : c'est un personnage âgé, avec une citrouille sur la tête, une peau de hérisson, en guise de barbe, deux défenses de sanglier de chaque côté de la bouche etc. à côté de lui sa femme est figurée par un individu déguisé, avec des fers à cheval en guise de pendants d'oreilles, un collier d'escargots au cou, un autre personnage représente l'âne, monture de Ba Cheïkh , derrière marche le juif, sordide caricature d'un fils d'Israël.

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Ce spectateur a l'allure du vrai Ba Cheikh dissimulé parmi le public

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Le personnage du soldat : ce quatrième personnage  ravit « Sona », l'enlève et la fait disparaître pour exiger l'équivalent de la dote à sa restitution.

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Carnavalesque d'El -Atrach
Pour Laoust, la cérémonie dont Ba Cheïkh évoque le souvenir nous reporterait à l'époque antérieure à l'invention du labourage où les berbères menaient la vie pastorale et où ils pratiquaient le culte du bélier, comme personnification du Dieu protecteur du troupeau. La victime sacralisée par son sacrifice, possède une baraka, sa peau en particulier jouit de la faculté  de guérir toutes sortes d'affections cutanée. On suspend les cornes aux arbres fruitiers, plus particulièrement aux grenadiers, dans le but d'augmenter la récolte de fruits. A la fin du 19ème siècle Frazer vit dans cette succession de sacrifice suivit de mascarade, dans cette juxtaposition de la douleur et de la liesse accompagnant la mort et la résurrection d'un Dieu de la végétation. Ainsi la nature fut régulièrement renouvelée, par cette célébration saisonnière.

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Boulebtaïn, en arabe et ilmen en berbère dont le pluriel est Bilmawn. Les deux termes signifient « homme vêtu de peaux ». Boujloud ou Bilmawn, ou encore Ba Cheïkh au nord du Maroc ; ce sont successivement les noms des personnages masqués du carnaval de l'Achoura et de la fête du sacrifice : personnage central de la procession masquée répondant selon les lieux aux noms de Boulebtaïn, Boujloud,Herma, en ville arabophone ou encore de Bilmawn et Bou-Islikhen au Haut-Atlas berbérophone.  Ces processions et mascarades s'intercalent entre le sacrifice et le Nouvel An. Ils sont liés à la fête du sacrifice dans la campagne et à celle de l'Achoura dans les villes. Pour Emile Laoust ces mascarades masquées  constituent les débris de fêtes antiques célébrant le renouveau de la nature, capturée par le calendrier musulman :« Au Maroc, des fêtes carnavalesques d'un genre spécial s'observent partout à l'Aïd el Kébir ; le personnage essentiel s'y montre revêtu de peaux de moutons ou de chèvres. Le Berbère n'aurait - il pas établi un rapport si étroit entre le sacrifice du mouton, ordonné par l'Islam, et la procession carnavalesque d'un personnage vêtu de peaux qu'il aurait vu en ces deux rites, deux épisodes d'une même cérémonie...L'Aïd El Kébir s'est substitué, en Berbérie à une fête similaire qui existait déjà et au cours de laquelle les indigènes sacrifiaient un bélier et se revêtaient de sa dépouille. Si l'on y rappelle que le bélier fut autrefois l'objet d'un culte dont le souvenir s'est conservé tard dans le pays, on voudra peut - être voir dans les mascarades actuellement célébrées à l'Aïd El Kébir, la survivance de pratiques zoolâtriques dont l'origine se perd dans les âges obscures de la préhistoire. »

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Masques et mascarades

Chez les Aït Mizan du Haut Atla, ces peaux sont plaquées à même sur le corps nu du personnage masqué. Celle qui lui couvre les bras est disposée de manière à laisser les sabots pendant au bout des mains. Sa figure noircie à la suie ou avec de la poudre disparaît sous une vieille outre à battre le beurre qui lui sert de masque. Sa tête  est agrémentée de cornes de vache ou coiffée d'une tête de mouton dont les mâchoires écartées par un bout de roseau lui font faire la plus horrible grimace. Une orange garnie d'un bouquet de plumes est souvent piquée à l'extrémité de chaque corne ; des branches de verdure lui couvrent parfois la tête ou les épaules. Enfin deux ou trois colliers, un immense chapelet aux grains fait de coquilles d'escargots, et de puissants attributs de mâle complète l'accoutrement du personnage hideux.  

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 Chez les Jbala on parle plutôt de Ba Cheikh, un vieillard lubrique à la barbe blanche, habillé de « haillons sordides », portant « une peau de bouc en guise de bonnet » et égrenant un chapelet de coquilles d'escargots. Ses organes génitaux sont bien mis en évidence : « une lanière de peau de mouton avec sa laine et deux aubergines entre les jambes, simulant les organes de reproduction ». Telles était les observations qu'avait noté Mouliéras au début du 20ème siècle, à propos de ce qu'il appelle le carnaval djebalien.

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 Moliéras décrit en ces termes les scènes burlesques des masques telles qu'elles se déroulaient devant chaque maison : « Une fois par an seulement a lieu ce carnaval. Il dure trois jours et coïncide avec la grande Fête des Sacrifices. Le premier jour, les masques se répondent dans les villages, vers midi, et ils commencent leur tournée aumônière, s'arrêtant devant chaque habitation, rééditant invariablement leurs farces après laquelle ils reçoivent ce qu'on veut bien leur donner : du pain, de la viande, des œufs, des poulets, des grains. Inutile d'ajouter que tout le village est à leur trousse, les entourant, les admirant, hurlant de bonheur quand se produit une grivoiserie plus épicée que les autres. ». Ce carnaval dont il ne reste que des débris dans les vieilles médina marocaine, reste encore vivace en haute montagne comme on le voit ici au Moyen Atlas oriental ,chez les Ghiata ,ou encore chez les Aït Mizane du Haut - Atlas.

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La danse du baroud
La danse du baroud est une danse rythmique. C'est par cette danse que se distinguent les tribus Ghiata d'une manière générale ; mais elle est tout particulièrement emblématique des Ghiata - Est. La danse du baroude a des prolongements dans l'Oriental marocain, à Guercif, Oujda, Berkane, jusqu'en Algérie, où on  retrouve une danse similaire. Lors du tournage d'un documentaire sur les Ghiata en 2006 le cavalier Ammar Beroual nous confiait :

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On peut se demander aussi si le nom des Ghiata ne provient pas de "Ghiata" (les hautboistes), parce que le hautbois est omniprésent dans leur musique...

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Dans sa « Reconnaissance au Maroc » le Vicomte Charles de Foucauld, raconte ces évènements en ces termes : « La fabrication des balles et celle de la poudre sont la principale industrie de la tribu : il y a 80 maisons où l'on s'y livre. Les Ghiata peuvent, je crois, mettre en ligne environ 3000 fantassins et 200 chevaux. C'est une tribu belliqueuse et jalouse de son indépendance.  Ses six fractions sont journellement en guerre entre elles, mais elles s'unissent toujours contre les ennemis communs. Il y a environ sept ans,Moulay El Hassan voulut la soumettre ; il marcha contre elle, à la tête d'une armée : ses troupes furent mises en déroute, lui-même eut son cheval tué dans la mêlée. Le combat eut lieu dans la montagne, sur les rebords de l'oued Bou Guerba. Ils ne marchent jamais qu'armés, et ont sabre et fusil : ici, chacun pour soi avec son fusil. »

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La fraction des Bni Snan,  est située à l'Est de Taza.  « La danse du baroud », nous l'avons hérité de nos ancêtres. Toutes les fractions Ghiata se distinguent par cette danse . Même si  chaque douar a son propre style.Les Ghiata - Ouest ne pratiquent pas cette danse , par contre ils chantent, en rythmant leurs chants de percussions. Mais quand ils ont un mariage, c'est à nos fantassins et à nos musiciens qu'ils font appel. Car, ce sont, nous autres , les Ghiata - Est qui pratiquent cette danse du baroud.Chaque année, nous portons un sacrifice aux chorfa d'Ouazzane et à Moulay Idriss Zerhoun. On passe deux à trois jours à ce moussem et jusqu'à nos jours, la fraction M'tarkat, reste fidèle à ce pèlerinage de Moulay Idriss Zerhoun.La danse du baroud se pratiquait après chaque victoire et au retour de chaque expédition guerrière contre les infidèles. C'est le leader du combat, sa tête de lance qui menait cette danse guerrière qui se déroulait au hameau jusqu'à l'aube. »

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Les Ghiata sont essentiellement montagnards. La partie de leur territoire située en plaine est très fertile, mais peu étendue comparée à l'épais massif montagneux : là sont leurs villages et leurs cultures, sur de hauts plateaux, dans de profondes vallées presque inaccessibles ; ces vallées sont d'une fécondité extrême, ombragées d'amandiers, et produisant de l'orge en abondance.

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D'après Az-Zaïani, qui fut gouverneur de Taza en 1787 et qui est l'auteur du Torjouman les Ghiata appartiendraient aux berbères Botr, ils seraient de la même famille que les Meknassa et les Mtalssa. Il est certain que les diverses fractions des Ghiata n'ont pas une origine commune. Les Riata ne parlent plus la langue berbère. Ils sont en réalité bilingues. Sauf la fraction montagnarde des Ahel Doula, qui sont en contact direct avec les Bni Ouarayen. Les Ghiata et  les Bni Ouarayen représentent les vieilles populations  stables de ces montagnes. Etant les premiers à être en contact avec les migrations en provenance d'Orient, les Ghiata, de même que les autres tribus de la trouée de Taza, ont été plus précocement touchés par l'arabisation que les autres tribus berbères du Maroc. p2.JPG

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« En hiver, l'huile se contracte. Quand le temps se réchauffe, les anciens disent que l'huile y ressemble au serpent : il faut la laisser chauffer pour se dilater. De même que quand il chauffe, le serpent sort, de même quand le grain d'olive chauffe, il donne davantage d'huile. Quand on procède au gaulage des olives, en fonction de son verger, le fellah peut faire venir quatre, cinq, ou six récolteurs d'olives, Il fait venir des femmes du douar, qu'elles soient âgées ou jeunes. On procède alors au gaulage des oliviers. Les hommes montent dans les arbres avec leurs gaule, et les femmes procèdent au ramassage au sol. Elles font la fête, les unes chantent, les autres poussent des you-you ... Mars - avril, est la période de pression de l'huile d'olive. Le temps s'y réchauffe. On y pratique le tour de rôle au pressoir à l'huile. A chacun son tour de rôle, ça équivaut à un jour ou trois selon les besoins de chaque  fellah. Il y en a qui ont besoin de quatre voir cinq jours, mais chacun doit attendre son tour de rôle, pour moudre sa récolte d'olives. Exactement comme les tours d'eau : il y a celui qui irrigue deux heures ou trois, qui est sa quotte part, puis il cède au suivant dont c'est le tour d'eau en fonction de ses besoins. »
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Le pressoir à l'huile d'olive appartient à toute la tribu. On y amène la récolte d'olives de toutes parts. Tout ce qu'on a au douar on l'amène au pressoir pour y être moulu, nous explique M'hamed Lamsieh qui veille sur l'un des principaux pressoirs à l'huile d'olive situé à ciel ouvert au creux d'un ravin fleuri de marguerites et de coquelicots:

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Depuis les versants nord de la montagne Ghiata , où existent des sources importantes, et d'où les oueds dévalent les pentes, l'eau de la montagne est amenée, par une canalisation, au sommet de l'éperon sur lequel est construit Taza. L'eau était acheminée vers la ville par des canalisations à ciel ouvert. Le tiers de cette eau était accordé en main morte à la  grande mosquée de Taza ainsi qu'à  ses bains maures. Cette seguia se trouvait sous le contrôle des Ghiata qui n'hésitaient pas à la couper tenant toute la ville à leur merci. De la Martinière qui est  passé près de cette ville en 1891, a constaté que les Ghata exerçaient une domination absolue dans la vallée de l'innaouen, à cette époque. Le vicomte Charles de Foucauld de passage à Taza en 1883, a aussi signalé l'état misérable des citadins cruellement opprimés par les Ghiata.  Aujourd'hui encore, le cavalier Bécharine que nous avons rencontré lors de notre tournage se souvient :

«Toute la production agricole locale est destinée à Taza. Elle n'est pas commercialisée ailleurs. Elle est destinée à l'autosuffisance de la médina de Taza. Que cette production agricole soit maraîchère, céréalière, ou d'huile d'olive, c'est ici que résidait à l'époque la source d'alimentation de la ville.

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  La fraction Bni Bou Qitoun entoure Taza de toute part.

Selon un cavalier du nom de Bécharine :« L'avènement de Moulay Idriss fut troublé par des guerres. Pour lui marquer leur soutient, la fraction Bni Bou Qitoun accompagnée de ss esclaves avaient planté ses tentes auprès de la sienne à Fès  .

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Bataille au sommet de Roman Lazarev
Ayant attiré ainsi l'attention de Moulay Idris celui-ci aurait  demandé : Qui sont ces gens là ? On lui a répondu : « Ce sont les Ghiata ». « Non, leur rétorqua-t-il, ce sont des « lighata », « les secours de la religion ».  Depuis lors, on les appelle « Ghiata », et leur fraction qui campait auprès d'Idris 1er , « Bni BouQitoun »(littéralement les descendants de l'homme à la tente de toile)
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Idris Premier, Roman Lazarev

Les Ghiata se disent les « aides par excellence de la dynastie Idrisside » . Encore de nos jours,on peut recueillir chez eux, cette tradition  selon laquelle,  Idris 1er leur aurait donné ce surnom qui signifie  « le secours de la religion. »

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Lorsqu' en effet, Idris 1er, fuyant les Omeyyades, s'est réfugié au Maroc pour se fixer à Volubilis, parmi les tribus berbères gagnées à sa cause à la fin de l'année 788, on cite les Ghiata et les Miknassa , parmi les premières tribus ralliées à sa cause. C'est probablement sous son règne que les Miknassa commencèrent à construire Taza.

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Le cavalier Krirech nous dit : «  On raconte qu'Idriss 1er a  appelé les « Ghiata » à son secours , c'est le sens et l'origine de leur nom qui signifie « secours »  en arabe. Il y a les Ghiata- Est et les Ghiata- Ouest. Le territoire de ces derniers s'étend de oued Bouhlou au col Touaher. Et celui des Ghiata - Est , de col Touaher à Ahl Doula. Les Ghiata - Est se composent des fractions suivantes : Bni Bou Qitoun, qui entourent Taza de toutes parts, Bni Ouajjan, Bni Bou Ahmed, Bni Snan, Galdaman, Ahl Doula. »

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 Région de passage et de contact à travers les siècles, le couloir de Taza abrite des tribus arabisées tels les Ghiata, qui sont cités dans ces régions depuis au moins l'arrivée de l'Islam au 7ème siècle. L'histoire montre d'ailleurs, que les grandes migrations et les conquérants ont souvent emprunté cette route. Le couloir de Taza, constitue de tout temps une voie de communication importante entre les steppes désolées des hauts plateaux de l'Oriental marocain et les riches plaines du Gharb. Sur le chemin du pèlerinage à la Mecque, « Triq Sultan » était ponctuée de Kasbah, à la fois étapes de caravanes et forteresses défensives face à l'ennemi héréditaire en provenance de l'Est que ce soit les Abdelwadides de Tlemcen ou plus tard, les Turcs.

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En 1680, Moulay Ismaïl, plaça en différents points de la route d'Oujda à Fès, des garnisons chargées d'assurer la sécurité des communications, dont celle de M'soun. Ces kasbah -garnisons avaient pour mission de faire face au péril turc établi en Algérie.

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La kasbah de M'soun occupe une position stratégique importante reliant l'Est et l'Ouest du Maroc à l'entrée de la trouée de Taza. Historiquement, elle reliait Tlemcen à Fès à travers Taza. On dit qu'elle fut construite du temps de Moulay Ismaïl. On dit aussi que Jilali Bouhmara fut blessé dans une bataille ici - même. C'est à partir de là que sa trace fut perdue et qu'on n'entendit plus parler de lui.

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La kasbah de M'soun est occupée le 11 mai 1912par l'armée Française en provenance d'Algérie. Avec l'occupation de la kasbah de M'soun, une réaction se produit chez les Mtalsa ; des feux apparaissent dans la montagne, et le soir - même les français subissent une attaque. A la fin du mois d'avril 1912, les émeutes de Fès provoquent l'effervescence sur la rive gauche de la Moulouya ; les tribus sont rassemblées à M'soun. Le 26 juin 1912, les troupes françaises s'installent à Guercif. C'est dans ces conditions, qu'il était devenu possible aux troupes coloniales de réaliser la jonction tant souhaitée entre le Maroc Oriental et le Maroc Occidental.

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Lyautey et Moulay Hafid d'après Roman Lazarev

Pour M'hamed Chlioueh, moqadem de la cavalerie Ghiata :

« A partir de 1912, la France a occupé la kasbah de  M'soun aux environs de Taza. Ils sont restés là quelques jours avant d'entamer leur marche en direction de Taza à travers oued Boulejraf situé dans la commune de Galdaman. A partir de là les Ghiata les ont attaqué ainsi qu'à Galdaman, jusqu'au lieu dit « Lamtiq » situé dans la commune de Bab Boudir. C'est là qu'ils ont entamé leur guerre contre le colonialisme, à Galdaman et chez les Branès, et ce jusqu'à l'avènement de l'indépendance du Maroc en 1956. »

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C'est en effet , à l'oued Boulajraf que les troupes françaises, en provenance d'Algérie ont rencontré les premières résistances marocaines, comme le soulignait, le 8 mai 1914, le capitaine Caussin, dans son journal de route « vers Taza » : « Des hauteurs de Jbala part un feu nourri. Le convoi se rassemble et fait une courte halte en avant de l'oued Boulajraf. Notre marche rapide et inattendue réveille les douars voisins de la piste. Il est décidé un mouvement simultané des troupes en provenance du Maroc Oriental et du Maroc Occidental pour alléger l'effort réciproque. »

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Les Français parcourent la région avec un groupe de 2300 hommes. Pourtant cela n'intimide pas les Bni Waraïn : le 9 avril 1912, à la pointe du jour, environ 2500 guerriers foncent sur la reconnaissance de Mahiridja. Dés le début le combat prend une allure très violente, l'action s'étend peu à peu sur un fond de huit kilomètres : 200 morts côté marocain et 28 tués côté français. Les Bni Waraïn restent déterminés et très hostiles, et ne songent nullement à dissoudre leur rassemblement à Bou Yaâcoubat. D'ailleurs une Harka des Ghiata et Houwara, formée dans la région Taza - Msoun, vient les appuyer ; en fin avril 1912 ; elle s'installe à Safsafat sur le Melloulou , puis vers le 10 mai 1912, elle atteint la Moulouya à Sidi Bou Jaâfar. Les forces des dissidents s'élèvent alors à environ 4500 combattants. Vers la fin de 1913, le commandement décide d'installer un poste provisoire à Mahiridja, qui sera achevé, comme l'indique la plaque commémorative, deux ans plus tard, en 1915. Cette mesure a pour but d'interdire les pâturages d'automne du Maârouf des Bni Waraïn.

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Dans son journal de route « vers Taza », le capitaine Caussin poursuit :

« Ce jour du 10 mai 1914 va marquer une date mémorable dans l'histoire de notre conquête marocaine. La grande voie de pénétration, l'antique « Triq Sultan » va s'ouvrir devant nous. Les Rhiatas de l'Est cherchent à sauver la face :une ère nouvelle commence pour le Maroc. A travers les champs et les jardins où les oliviers répondent une ombre bienfaisante, le convoie s'achemine vers la ville. Des montagnes qui semblent l'encercler, une vaste kasbah profile au sommet d'une crête ses murs rougeâtres. Une immense clameur salue cette vision encore lointaine :Taza !Taza ! Tout un chacun se sent  puissamment attiré vers ces hautes murailles encore estompées par la brume matinale. Ce soir nous camperons dans Taza la mystérieuse. »

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La bataille d'après Roman Lazarev

Par le passé, les Ghiata assiégeaient la ville et lui coupaient eau et nourritures. Les citadins ne pouvaient sortir sans l'accord des Ghiata. Alors, ils portèrent plainte auprès de Hassan 1er qui attaqua avec sa Mehella, les Ghiata dans ces montagnes. Il y avait beaucoup de brouillard, ce jour là, de sorte que l'expédition s'arrêta à « Bouguerbane » sans parvenir aux hauteurs de « Ras el Ma ». L'attaque eut lieu un vendredi. »

Au milieu du mois de septembre 1874, Hassan 1er entra à Taza. Les tribus de la province lui envoyèrent aussitôt des députations. Le souverain se montra bienveillant, sauf envers les Ghiata auxquels il reprochait d'opprimer constamment les citadins ; il infligea aux fractions les plus compromises d'entre eux, une forte amende, qu'ils payèrent sans résistance. L'année suivante, Hassan 1er sorti de Fès, pour se rendre à Oujda. Il atteint Taza au mois de juillet et fit camper son armée vers Draâ Louz,(le bras des amandiers) au pied des montagnes Ghiata. La tribu ne consentit à verser qu'une faible partie des vivres qui lui étaient demandés. Le jeudi 20 juillet 1876 Hassan 1er lança ses troupes contre une fraction Ghiata. Le lendemain le Sultan tenta de pénétrer au cœur de la montagne. Les Ghiata avaient établi des barricades en travers de tous les passages. A un certain moment l'armée assaillante se trouva acculée à un profond ravin ; les Ghiata firent alors une violente contre - attaque. Le porte étendard tomba.

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Le poulain blanc de Roman azarev

Aveuglés par la poussière que soulevaient les chevaux et par la fumée de la poudre, les soldats se précipitèrent pêle-mêle dans le ravin et s'y écrasèrent. Il y eut bientôt dans toutes les crevasses un amoncellement de bagages et de cadavres d'hommes et de chevaux. Hassan 1er dut mettre pieds à terre pour sortir du terrain affreusement coupé, dans lequel avait péri la plus grande partie de sa cavalerie. Il laissa aux mains des Ghiata de nombreux trophées et avaient failli perdre ses femmes. Le Sultan parvint enfin à rallier ses troupes et les Ghiata se retirent au sommet des montagnes en abandonnant leurs villages et leurs vergers. Ayant reformer son armée, Hassan 1er, retourna dans la montagne sans rencontrer âme qui vive, puis il se porta à Oujda. A son retour les Ghiata se soumirent.

 

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Tabjia (canoniers) d'après Roman Lazarev

Après la mort de Hassan 1er le7 juin 1894, un agitateur se mit à parcourir la vallée de l'Innaouen, au courant de l'été 1902, en prêchant l'insurrection. Il était monté sur une ânesse, ce qui lui valu le surnom de Bouhmara. Ce personnage se faisait passer pour Moulay Mohamed, le frère du Sultan, et l'on ignora longtemps sa véritable origine. C'était en réalité un nommé Jilali Ben Driss Zerhouni. Il s'attribuait le nom de Moulay Mohamed afin de justifier sa position de prétendant au trône. Beaucoup de Ghiata, Hyaïna, Béni Wuaraïn , Tsoul et Branès proclamèrent Sultan le Rogui Bouhmara. Un caïd Mia et une vingtaine de cavaliers, envoyés dans la vallée de l'Innaouen pour arrêter le prétendant, durent prendre la fuite. Enhardit par ce premier succès Bouhmara, marcha sur Taza, à la tête de contingents Ghiata. Il dresse son camp sous le mur de la ville où il entra le 25 octobre 1902, après deux jours de pourparlers avec les notables. Le prétendant nomma un Ghiati caïd de Taza Plus tard, partisans de la première heure , ces mêmes Ghiata se soumirent à Moulay Hafid, et répondirent aux lettres de supplication de Bouhmara en pillant son Dar El Makhzen à Taza.

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Au plat pays  (« Azaghar »en berbère) de Galdaman, nous avons visté le douar de Aïn Lahjal, (litéralement « l'œil de la perdrix »)qui se compose de quinze à vingt Canounes et qui fait partie de la fraction Ahl Doula(« ceux de l'Etat », probablement surnommés ainsi parce que jadis ils était des guerriers au service du Guich d'une dynastie) . Le mont enneigé de Bou Iblan est la frontière palpable entre les Ghiata et leurs voisins Bni Wuarayen. Et c'est au niveau de ce hameau surnommé « œil de perdreau », que les Ghiata se trouvent en contact direct avec leurs voisins les montagnards berbères Bni Warayen. Un habitant de ce hameau nous dit avoir assisté à des mariages mixtes entre les Ghiata et les  Bni wuarayen, où ces derniers chantent en berbère alors que les premiers chantant en arabe.

Abdelkader Mana

05:04 Écrit par elhajthami dans Achoura, Le couloir de Taza | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : le couloir de taza | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

06/12/2009

La mise en scène des villes

La nuit de l'Achoura

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La mise en scène des villes[i]

Par Abdelkader Mana

A Moharram , la partie rythmique de la fête ou Dakka est partout, même à Casablanca, pourtant ville moderne. Mais c'est seulement dans certaines villes que la Dakka s'accompagne d'une tradition poétique et musicale particulière et encore peu étudiée. Dans la nuit du 9ème jour de Moharram , des chanteurs se réunissent pour une célébration rituelle au cours de laquelle vont alterner rythme et chant. Le chant met en scène la ville qui se présente avec ses quartiers et ses saints comme à Marrakech.

  • L'achoura à Taroudant
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On dit que Taroudant est le berceau de cette tradition poétique proche du malhûn , par ses thèmes et sa versification. C'est pourquoi des spécialistes aussi avertis que Abderrahmen El Malhuni et Souhoum s'y intéressent de près : au festival de Safi, au cours du débat sur la culture populaire ; El Malhouni nous dit que le poème pour l'achoura de Marrakech et d'Essaouira est un « trait culturel » qui s'est diffusé à partir de Taroudant. Souhoum dit que ce chant de l'achoura est  pour l'essentiel d'empreints à des qasida de malhun. Toutefois la verve populaire, apte à la création collective y a ajouté dit-il des improvisations de  leur cru en fonction de la situation.

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Hussein Toulali, le chantre du malhûn du Maroc
  • L'appel de Marrakech (Jarr el Aït)

A Marakech, on chante « Jarr el Aït » à 1.Bab Doukkala, 2.la Kasbah, 3.Sidi Bel Abbès,  4.Bab Aylal,5. Bab Khémis,6. Sidi Youb, et7. Jamaâ el Fna. Ce chant « aït », fait l'éloge des sept saints de cette ville appelée parfois « Sabaâtou Rijal ». On présente ainsi les quartiers par le biais du pèlerinage maraboutique. A la fin on institue un concours des meilleurs frappeurs (ou dqaïqiya). Le jury fait particulièrement attention à la manière dont chacun des deux groupes en compétition introduit la partie rythmique du rituel appelé « Affouss » (la main en berbère). On raconte que le chef du groupe vaincu devait quitter la ville pour échapper au déshonneur.

  • L'achoura à Safi

A Safi la tradition est moins vivante qu'à Taroudant et Marrakech. Mais certains spécialistes du malhun peuvent vous chanter des brioula (couplets) du poème de l'achoura. Par ce patrimoine, que le prochain festival devrait se donner pour tâche de retrouver et de remettre en scène, Safi se rattache à la grande tradition médiniste du  malhûn et à sa diversification urbaine.

  • Le Rzoun d'Essaouira

A Essaouira, dans la nuit du 9ème jour de moharram ; les chanteurs des deux grands quartiers de la ville, se réunissaient séparément à la tombée de la nuit pour faire la dakka. Puis vers minuit les deux groupes des Chbanat à l'Est et des Béni-Antar à l'Ouest avancent lentement et toujours au rythme de la dakka à la rencontre l'un de l'autre. Ils se réunissent à Souk Jdid, la place des quatres marchés qui est le carrefour de la cité où se croisent les deux axes Nord-Sud et Est-Ouest. Là commence une longue joute poétique à la manière de grandes traditions  des tribus bédouines et du « bsat » qui se déroulait à Fès à la période du Mouloud et que nous décrit si bien Hassan El Ouazzane, dit Léon l'Africain.

  • Une mise en scène de la ville

La confrontation entre les Béni-Antar et les Chbanat d'Essaouira est ambiguë : elle est à la fois affirmation de soi par rapport à l'autre et de communion visant à diminuer les tensions et les sectarismes tribaux qui peuvent exister dans la vie quotidienne. La ville n'est pas comme la campagne : le fait d'être entouré de remparts oblige à la paix et à la tolérance. D'où le traitement des conflits de la ville à l'occasion de l'achoura.

Si le rituel des confréries et des zaouïas mettaient en cause essentiellement la communauté des adeptes et donc seulement une fraction de la population avec ses caractéristiques propres ; le Rzoun est la seule institution qui mettent en cause la totalité de la ville. Il raconte en une seule nuit, celle de l'achoura, la vie collective et affective de la cité. Les joutes poétiques auxquelles ils se livrent, rappellent le souk Okad de l'époque préislamique. Mais alors que dans ce dernier cas, chaque tribu avait son poète porte - drapeau, et que c'était au jury de choisir la meilleure qasida à suspendre au prestigieux mur ; ici la compétition se faisait entre deux « poètes collectifs et anonymes ».

Le Rzoun est une phase calme où la priorité est donnée à la parole rythmée en position assise ; elle est le signe de la sagesse et de la maturité. Chacun y va de son couplet, chacun y va de son mieux pour contribuer par sa verve et son tact à l'affaiblissement du clan adverse et au renforcement du sien. Parole répétée sur plusieurs registres mélodiques, substituant à la richesse du langage ; la vertu de la répétition et la force d'évocation d'une voix tantôt triste, tantôt nostalgique, traduisant une cassure quelque part.

  • Le plan humain et le plan extrahumain

Le chœur est répartit en deux moitiés ; la partie orientale, lafrach (la natte) et la partie occidentale, loghta,(le linceul ou la couverture). Le haut et le bas reproduisent ici, symboliquement, le ciel qui recouvre la terre, soit le plan humain et le plan extrahumain. A tour de rôle ; les deux parties du chœur, chantent la mélopée, tandis qu'ils font résonner lentement leurs tambourins.

La phrase musicale chantée par une partie, hésite en son milieu en une longue modulation vocale au terme de laquelle, elle est « saisie » par l'autre partie qui enchaine. Cette modulation hésitante entre la mort et la vie, le ciel et la terre, symbolise d'une façon tangible la transition marquée par cette nuit de l'achoura entre le cycle écoulé et celui qui s'ouvre.

Les paroles de l'oubli

L'universel et le rationnel ayant envahi le terrain, la culture traditionnelle ne peut être ressuscitée qu'en tant que folklore. Au cours de notre enquête, seuls les personnes nées à Essaouira et âgées de plus de 65 ans, étaient encore capables de nous restituer quelques bribes du chant perdu. Il nous est donc parvenu émietté dans de vagues souvenirs qu'une vieille personne peut encore garder de son enfance.

Le Rzoun (chant de l'achoura) est la démonstration que les uns et les autres appartiennent à la même communauté. Il est le signe distinctif à leur yeux, de la citadinité du chanteur : le Rzoun est la mémoire collective de la ville, l'on y appartient lorsqu'on est en mesure de répéter ses brioula (couplets).  Chacun y allait de son couplet, afin de contribuer par sa verve et son tact à l'affaiblissement du clan adverse et au renforcement du sien. Pour ridiculiser l'autre clan, rien de plus piquant que d'invoquer les personnages les plus saugrenus et les plus haut en couleur pour les lui attribuer pour chefs. Il s'agit généralement de marginaux de la ville. Ainsi Ali Warsas des Béni Antar était un boiteux qui ne pouvait se déplacer que sur son âne et dont la présence était de loin signalée par son chien. Par-dessus le marché, notre personnage était marié à une Anglaise à une époque où les mariages mixtes étaient une véritable curiosité. Quant à Osman, le chef des Chbanat, il n'était rien d'autre que l'un de ces personnages si obscurs mais attachants, dont la principale fonction était de faire le tour de la ville pour annoncer le début ou la fin du Ramadan grâce à des tambours et fanfares. Dans mon enfance j'ai connu le surnommé « Naw-Naw » (quelque chose comme le« ânonnant ») qui parcourait les ruelles à l'heure du sort pendant le Ramadan pour réveiller les dormeurs, en frappant trois coups d'un gourdin à chaque porte et en répétant : « Â jah - N'bi ! Allah m'salli âla n'bi ! » (Par la volonté du Prophète ! Pour la prière sur le Prophète !).

  • Le Rzoun

Nous avons recueilli le chant du Rzoun auprès de notre propre père, maâlam Tahar Mana, doyen des marqueteurs,  auprès d' Abdeljalil Kasri, le directeur de la chambre de commerce, décédé au cours de son pèlerinage à la Mecque, de Hajoub Iskiji, le vieux herboriste dont la maison adossée aux remparts du côté de la mer s'est effondrée à force d'embruns et de vent, Larbi des Béni-Antar dit « le club » parce qu'il y organisait les jeux de hasard et les bals des européens du temps du protectorat(au cours du Rzoun ressuscité de 1983, il synchronisait les deux parties de l'orchestre avec son grand tambour à sonnailles, et il serait mort brutalement en glissant au bord de la fontaine de sa propre maison devenue un somptueux Riad pour touristes de passage dans la ville) , Driss Bali qui travaillait, dans les années 1930,comme marqueteur avec mon père , chez Bungal l'un des premiers bazaristes que la ville avait connue. Driss Bali que j'ai connu avec Georges Lapassade, lorsqu'il travaillait comme « Chaouch » du Musée du temps où Boujamaâ  Lakhdar en était le conservateur dans les années 1980, et qui a été emporté par une foudroyante cirrhose de foie.L'une de ces aïlleules constitue d'ailleurs l'un des principaux personnages voqués par le Rzoun:

Trônant sur son fauteuil

Agitant l’éventail : Aïcha Bali.

Parée de bijoux, diadème magique

Sur le front : Aïcha Bali.

Aïcha, Aïcha, soit heureuse

Nous sommes partis.

La belle a dit :

Compagnon, je t’en prie,

Que me veulent ceux qui m’interpellent ?

Il n’y a rien à dire,

Il est temps que je m’en aille.

Voici donc le Rzoun que nous avons recueilli auprès de témoins -clé, dont la plupart nous ont quitté pour toujours.

Permettez - moi donc d'avouer

Les soucis qui m'oppressent

Et si je meurs que personne ne me pleure

C'est pour toi, mon bel amour

Que j'en appelle à la muse

O toi le Samlali

Tu es tout mon cœur et ma fortune

Soit donc sans réserve

Et sers - nous la fine fleur à fumer

Le clan des Chbanat

Je m'en allais au pèlerinage de la zaouïa

Mais que vois-je ô mon Dieu au seuil de sa mosquée ?!

Un jeune garçon en train d'apprendre ses versets !

Le clan des Béni Antar

Le beau garçon aux yeux brillants

Qui valse dans la salle

C'est le fils d'Alhyan

Il porte un poignard ô madame

Au cordon de soie

Ensemble

Moi, je ne veux pas du vieillard

Mais c'est la volonté de Dieu

Comme tu es folle !

Je veux seulement le garçon

A mettre sur mes genoux et préparer tôt notre dîner

Comme tu es folle !

Je ne veux pas me marier

Mon compagnon m'offre la coiffe rouge de Marrakech

Comme tu es folle !

Le clan des Béni-Antar

Allez-y faites la ronde toute grande

Où êtes-vous les Béni-Antar, vous les braves ?

Allez-y faites la ronde toute grande

Tels les pétales de la fleur

Les Béni-Antar autour de leur Sultan

Le clan des Chbanat

Lune ronde toute grande, faîtes la ronde

Où êtes-vous Béni-Antar, joueurs de hasard ?

Lune ronde toute grande faites la ronde

Où êtes - vous Béni-Antar, voleurs de hasard ?

Ensemble

Comment se fait-il que le garch d'argent

Deviennent le dirham de papier ?

Voilà l'origine du profit et du vol !

Commerçants spéculateurs

Artisan grâce à sa bourse mais sans métier

Et théologien dont la principale devise est de dire : « Donne »!

Le clan des Chbanat

Qu'est-il donc arrivé aux Béni-Antar ?

Pour délaisser les chanteurs du malhûn

Et les remplacer par le phonographe ?

Le clan des Béni-Antar

Mais quel est votre chef ô Chbanat ?

Osman à la tête bossue

Et à la bedaine serrée d'une cordelette ?

Le clan des Chbanat

Et qui est votre chef ô béni Antar ?

Ali Warssas traînant avec son chien et son âne ?

Le clan des Béni Antar

Vaillant compagnon, frappe ton bendir

La nuit est encore longue

Le clan des Chbanat

Vaillant compagnon frappe ton bendir

Vois les Béni-Antar qui s'essoufflent

Le clan des Béni Antar

Soyez tous nos témoins

Voyez donc venir l'aube...

Suite logique des échanges de sarcasmes, le rituel s'achève en rixes et bagarres entre adversaires, c'est le taâlak ; le « suspendu », (on devait probablement suspendre un mannequin dénommé « Baba âchour », symbole de l'année qui vient de s'écouler). Ils se lancent tambourins et tisons de feu. On compte souvent des blessés, mais les blessures reçus en cette circonstance possèdent une baraka. L'un des buts de la compétition consiste à déposséder le clan adverse de son drapeau pour le jeter à la mer. Il nous semble que c'est là, un rite de purification, qui consiste à laver l'adversaire de ses impuretés.

Abdelkader Mana


[i] Article paru dans Maroc-Soir du mardi 16 septembre 1986.


14:14 Écrit par elhajthami dans Achoura | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : achoura | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook