12/05/2010
Tournage chez les Ganga
Tournage chez les Ganga de Tamanre
Chant négro spiritual ganga
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
A peine ai-je ouvert la bouche qu'un flot de paroles poétiques coule de source
Je vous ouvre la voie, la porte du Seigneur, seul mérite nos prières
C'est au nom d'Allah que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Ô vous qui étudiez les mystères, puissiez vous nous indiquez les chemins de l'au-delà ?!
Ici - bas, nous y sommes, mais l'au-delà, voilà toute notre ignorance !
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Ce sont les taleb et les hommes des sciences qui nous guident sur les chemins de l'au-delà
A eux je dis : connaîtrons- nous un jour un autre monde que celui- ci ?
C'est au nom d'Allah que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Le taleb, Sidi khalil , et l'imam ont dit : ce bas monde est invivable sans entraide.
Sans prière, sans entraide, cette vie serait aussi sombre que la tombe !
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Retroussons nos manches pour cette vie, prions pour l'autre , la mort est inéluctable :
Celui qu'elle n'emporte pas tout jeune , elle l'emportera tout vieux
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Nous finirons tous par quitter ce monde, que le bon Dieu (rabbi) nous accorde sa protection ;
Car celui que protège « rabbi »(le bon Dieu), ne manquera jamais de rien
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Ce bas monde (dounit) est un broyeur de pierre dont la roue moud le grain
L'autre monde en est le tamis qui séparera le bon grain de l'ivraie
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Poème recueilli et traduit du berbère par Abdelkader Mana
« L'édifice de la zaouia dédiée à Sidna Bilal, qui semble dater du XVIIIè siècle, servait de lieu de rassemblement aux esclaves qui y célébraient leur fête. Ceux-ci vivaient alors hors des murs, au nord de la kasbah, dans des cases bâties au milieu des dunes. On raconte que là vivait un maître du guenbri, maâllem Salem, qui appartenait à un négoçiant, Allal Jouâ, dont une rue de la médina porte encore le nom. Celui-ci vendait la cire et possédait au moins sept esclaves qu'il traitait comme ses propres enfants. Allal Jouâ n'était pas comme les autres commerçants qui obligeaient leurs esclaves à décharger les barcasses au port. Lui, il leur apprenait à travailler comme maçons et comme graveurs sur pierres. C'est ainsi que maâllem Salem était devenu une sorte d'ingénieur, un sourcier. S'il disait aux ouvriers de creuser à l'endroit qu'il leur indiquait, immanquablement ils tombaient sur de l'eau. On le nomma moqadem des gnaoua. Il entoura le lieu de culte, alors une simple mzara, de quatre murs. C'est ainsi qu'est née la zaouia de Sidna Bilal, au cœur même de la médina d'Essaouira, du côté de la mer. »
« Pendant mon séjour à Noun, j'y fut témoins d'une fête magnifique. C'était le 12 mai ; la veille, on savait qu'une grande caravane revenant de Tombouctou devait arriver le lendemain, parce qu'elle avait envoyé faire louer des tam-tams pour fêter sa rentrée. Dés sept heure du matin, les femmes des marchands arabes, qui composaient cette caravane, étaient parées de tout ce qu'elles avaient de beau en habis et en bijoux, et le tam-tam, dont le bruit assourdissant se répétait au loin, avait attiré autour d'elles une foule des deux sexes...Ceux au-devant de qui elles allaient, paraissaient à l'autre extrêmité de la plaine, laissant derrière eux leurs chameaux chargés et deux cent esclaves appartenant aux deux sexes. Le tam-tam résonna avec fracas, les drapeaux voltigèrent en l'air, les chevaux se cabrèrent de part et d'autre...La troupe forme deux haies qui reçoivent entre elles les chameaux chargés et les esclaves déguenillés, souvent nus. Les hommes continuent leur évolution guerrière avec le même enthousiasme, mais il y a moins de charme, moins de mélodie dans les chants naguère si harmonieux des femmes : elles ont tourné leur attention vers les esclaves et déjà chacune d'elles y a fait son choix. »Les maîtres de ces lieux de rassemblement de convois caravaniers, disposaient dans leurs citadelles de nombreux esclaves issus du commerce transsaharien. Les Noirs qui vivent aujourd'hui autour de ces vestiges du passé y célèbrent encore leur fête annuelle.S'ils vénèrent tous Lalla Mimouna, et sont issus de la même origine l'ancien Soudan, le pays des Noirs des géographes arabes, qui correspond à la boucle du Niger , il n'en demeure pas moins que sur le plan culturel, chaque communauté ganga s'est adaptée à sa manière au contexte, dans lequel, elle fut intégrée.
Lors d’un long séjour à Agadir, j’ai assisté en octobre 1995, à une fête nocturne des Ganga berbères. À l’époque, j’avais noté ceci :
Le disque d’or du soleil décline sur la marée basse d’Anza, et déjà, les feux de joie célèbrent la fête annuelle des Ganga. Là, le tambour cette voix des dieux africains est roi. Il résonne au cœur même de la nuit, dans cette périphérie d’Agadir où se retrouvent les Ganga du pays hahî,ceux d’Aït Melloul, ceux d’Aït Baha, et ceux de Houara : chants et danses berbères, entremêlés de rythmes africains.Le maârouf a lieu dans ce quertier industriel d’Anza, chaque année, en cette période du début de l’automne.
Départ vers l'Assaïs, la place de la danse solaire et du sacrifice de Lalla Mimouna
Les Ganga procèdent d’abord à une tournée aumônière dans tout le « bled » - Anza, Taddart, Tamraght – pour collecter de quoi acheter la « Dbiha » (la victime sacrificielle). Puis, un crieur public, le « barrah » annonce le jour d’ouverture de la fête annuelle.Les maârouf ganga sont organisés à tour de rôle dans chaque douar où résident des noirs, à travers tout le Sous, en particulier les relais caravaniers d’Illigh et de l’oued Noun et au pays hahî, généralement autour d’une ancienne demeure caïdale, comme la citadelle d’Azaghar du caïd El Hâjj Abdellah Ou Bihi chez les Aït Zelten, ou aux alentours d’anciennes sucreries saâdiennes. À chaque étape, le rite solaire se déroule en trois jours – samedi, dimanche et lundi – et on y veille jusqu’aux premières prémices de l’aube.
Le supporter gnaoui d’Hassania l’équipe de football locale qu’on encourage au stade aux rythmes de l’Ahouach berbère et du tambour africain traverse le cercle magique des danseurs collectifs d’Anza. Les chanteurs aux crotales, des Noirs habillés tout en blanc, diseurs de « Ndam » (poésie en berbère), l’interrogent sur le score de son équipe favorite, et lui reprochent d’être venu sans ses instruments de percussion, pour participer à l’indispensable animation de leur fête annuelle qu’ils appellent Maârouf . Il se confond en excuses et se mêle à la foule des curieux qui forment une immense halqa (anneau) tout autour de l’Assaïs, la grande place ouverte des fêtes négro-berbères, où se déroule le spectacle.
Le moqaddem d’Anza, un vieux Noir à la barbiche poivre et sel, porte un gros anneau d’argent à l’une de ses oreilles. Tandis qu’il sert le repas communiel aux Ganga qui marquent une pose, en jouant de l’outar et du nakoss , il m’explique :
« Ma mère qui perdait ses enfants en très bas âge, m’avait mis sous la protection des Ganga. Ceux-ci m’ont percé l’oreille, et j’y ai accroché cet anneau ». Il est donc le signe distinctif d’une protection surnaturelle.
Le souvenir de la traite des esclaves reste vivace chez leurs descendants marocains. Voici le témoignage d’un maréchal-ferrant noir, également grand connaisseur de l’amerg, chant poétique berbère :
« Les esclaves provenaient de la tribu Sharg du Sahara. Des marchands les amenaient de là-bas pour les vendre dans le Sous. Par la suite, leurs enfants étaient expédiés dans le pays Haha. On leur mettait la corde au cou pour les conduire sur la place où on les vendait comme des bêtes, en examinant leur denture pour distinguer le jeune du vieux. C’est ainsi que mon père fut offert au caïd des Ida ou Guilloul. En revanche chez les Neknafa, les esclaves noirs appartenaient à Israren, un caravanier qui échangeait les céréales de la région contre le thé, le sucre, et les esclaves de Sous. C’était le trabando (la contrebande). Cette traite des esclaves a cessé quand il a plu à Dieu de venir en aide aux Noirs. Une fois affranchis, comme ils ne possédaient pas de terres, ils ont dû devenir métayers pour subsister. Un jour, j’ai décidé de troquer le tambour contre le ribab et j’ai fait le tour des villages pour animer les fêtes de mariage. J’ai chanté l’amerg en tant que maître du ribaba pendant quatorze ans, mais quand mon père est mort, j’ai pris sa relève à la forge. »
Avant de traverser le désert des déserts, les caravanes faisaient halte au pays des moulatamoun, ces hommes voilés du désert, pour y faire provision d’eau. Quand les vents chauds tarissaient l’eau dans les outres, les caravaniers pour apaiser leur soif recouraient au stratagème suivant : ils prenaient avec eux des chameaux sans charge et les assoiffaient pour les faire boire une première fois puis une deuxième fois, jusqu’à ce que leur panse soit pleine. Quand le besoin d’eau devenait impérieux, les chameliers égorgeaient le chameau et se désaltéraient avec l’eau de sa panse jusqu’au point d’eau suivant. C’est ainsi que, recrus de fatigue, les caravaniers avançaient dans leur voyage jusqu’au lieu de rencontre avec les propriétaires de l’or.
Les liens entre le Maroc et l’Afrique noire sont forts anciens et multiformes ; toutefois ce ne fut qu’après la conquête arabe de l’Afrique du Nord, au VIIè siècle, que des routes commerciales régulières furent établies à travers le Sahara. Elles connurent ensuite une impulsion considérable sous les dynasties almoravide et almohade, au XIè et XIIè siècle. Il ne fait pas de doute que ce fut la quête de l’or qui fit traverser aux Maghrébins les vastes espaces sableux du Sahara pour rejoindre le pays des Noirs. Le précieux métal devint l’objet principal du commerce transsaharien, mais les caravanes transportaient d’autres articles exotiques de grande valeur, comme les plumes d’autruches, l’ivoire, le sel et les esclaves.
Les caravanes de l’or, du sel et des esclaves suivaient la route appelée tariq lamtouna, c'est-à-dire la route des gens qui se couvrent du litham (voile). Les moulathamoune, ces hommes voilés du désert, étaient des Sanhaja, une tribu berbère de la région mauritanienne, et leur territoire constituait un passage obligé aussi bien à l’allée comme au retour du pays des Noirs, car les caravanes s’y approvisionnaient en eau.
Vers la moitié du XIè siècle, le Sultan Abdellah ben Yacine fonda dans le bas Sénégal un couvent militaire (ribât), où ces nomades acquirent une discipline féroce. Le contrôle que les moulathamoun exerçaient sur le commerce transsaharien et leur ferveur religieuse furent déterminant pour l’affermissement et l’expansion du pouvoir almoravide.
Selon le géographe et historien El-Bekri, Ben Yacine ne périt qu’après avoir conquis Sijilmassa, Aghmat, le Sous entier, l’Oued Noun et le désert. Son successeur Ben Tachfine, puisera également ses forces au Sud du Sahara, puisqu’il sera le premier souverain marocain à avoir recours à une garde noire pour venir en aide aux principautés de l’Andalousie musulmane menacées par la chrétienté, comme le relate l’historien Ibn Khaldoun : « Lors de la bataille de Zellaqa, en 1086, ben Tachfine engagea en Espagne 4000 soudanais...En transperçant les chevaux, ces fantassins désorganisèrent complètement la cavalerie des chrétiens que commandait le roi Alphanse VI ». Sous la conduite de Youssef ben Tachfine, les Almoravides allaient faire la conquête du Maghreb et soumettre ensuite toute l’Espagne musulmane : leur empire s’étendra de la Mauritanie et du Maroc actuels à l’Andalousie, au Nord, et à la région de Tlemcen, à l’Est.
L’historien et géographe arabe el-Zouhri fait remonter la conversion des Gnaoua à la prise de l’ancien royaume du Ghana par l’Almoravide Abou Bakr en 1076. Il signale le passage en Andalousie de chefs du Ghana se rendant en pèlerinage à la Mecque. Le transit de personnes et de biens à travers le Sahara en direction de la Méditerranée était, à cette époque, affaire courante en temps de guerre comme en temps de paix.Un commerce caranier important s’était établi de l’Espagne jusqu’au bord du Sénégal et du Niger.
El-Bekri raconte que les familles aisées du Maghreb et de l’Andalousie achetaient des esclaves, parmi lesquels on trouvait des negresses cuisinières très habiles, dont chacune était vendue contre cent pièces d’or ou plus. « Elles savent apprêter des mets très appétissants, tel que le gateau de noix, les pâtisseries au miel, et toutes sortes de sucreries ».On acquérait également des esclaves qu’on employait pour la chasse. Ainsi, avant la prise de Ceuta par les Portugais, en 1415, el-Zouhri affirme avoir vu le gouverneur mérinide de la région « accompagné de deux esclaves noirs, vêtus de rouge et qui menaient chacun en lesse un lévrier muni de colliers précieux... »
Au temps de la conquête du Soudan par Ahmed-El Mansour Eddahbi(1590), les caravanes rapportaient un nombre particulièrement d’esclaves. C’est ainsi qu’aux premiers temps de la conquête, le prix de vente d’un esclave à Tombouctou descendit jusqu’à 200 cauris, monnaie d’échange de l’époque. La traite n’épargna aucune population dans toute la région de la boucle du Niger et son importance fut telle qu’elle suscita des remous au sein de la société marocaine et de ses lettrés qui n’admettaient que des musulmans fussent réduits en escclavage. Dans un opuscule rédigé en 1614, un savant de Tombouctou condamne sévèrement « cette calamité de notre époque qui touche aussi bien les peuples convertis à l’Islam depuis longtemps que ceux dont la conversion est incertaine, mais dont l’esclavage n’est pas permis pour autant ».
Grâce à leur tradition familiale, beaucoup de Ganga ont gardé le souvenir de l’arrivée de leurs ancêtres avec les caravanes du Sahara. Haj Blal, qui habite la maison de la vallée, non loin de Smimou, se souvient aussi que son père était venu de Sous, de chez les Aït Baâmrane. Il prétend qu’on peut encore voir aujourd’hui l’endroit à Sidi Hmad ou Moussa où l’on vendait les esclaves.
Les populations noires de la région sont venues en deux vagues. D’abord, pour travailler dans les sucreries saâdiennes, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. Ces anciens esclaves noirs se sont intégrés progressivement à la société berbère où on les appelle Isamgânes et leurs musiciens Ganga. N’ayant pas de possessions foncières notables, leur principale ressource provenait des tournées aumônières, surtout pendant la période des moissons. À la fin de leur tournée estivale, ils organisent un maârouf ou moussem à Tiguemmi Louda (la maison de la vallée) avec les dons qu’ils percevaient, sacrifiant un veau à la mémoire de Lalla Mimouna. Dans la kasbah du caïd Abdellah Ou Bihi – qui contrôlait au XIXe siècle les étapes de caravanes en pays hahî – on dénombrait plus de 500 esclaves. Akenssous nous confirme que cette première vague d’esclave remonte à la période Saâdienne : « Les conditions dans lesquelles les Abids ont été réunis sont rapportés en détails sur le grand registre de Moulay Ismaïl...Toutefois le registre porte diverses catégories de nègres distinctes qui, aux yeux du Sultan, étaient indubitablement des esclaves d’El Mansoûr Essaâdi, et qui s’étaient dispersés dans les tribus, à la chute de la dynastie Saâdienne. »
La deuxième vague, celle des Gnaoua bilaliens d’Essaouira, dont le rite est plutôt nocturne et le principal inducteur de transe est le guembri, date de la fin du XVIIIe siècle. Ils auraient été employés à la construction de la ville. Ce qui explique leur importance dans la ville. Dans leur chant Boulila (le maître de la nuit), on retrouve encore le souvenir du Soudan :
Kankani Boulila, ô Boulila !
Kankani Boulila, que Dieu ait ton âme !
Il était possédé par une Jania, ô Boulila !
Du Soudan, ils m’ont amené !
Ils m’ont amené, ô mes yeux Boulila !
O Boulila que Dieu ait ton âme !
Le Soudanais, le Soudanais, ôBoulila !
Si les Ganga vénèrent tous Lalla Mimouna, et sont issus de la même origine l’ancien Soudan, il n’en demeure pas moins que sur le plan culturel, chaque communauté ganga s’est adaptée à sa manière au contexte dans lequel, elle fut intégrée. Ainsi à Guelmim, chez les Ganga de borj Bayrouk, on joue à la fois du tambour africain (ganga), que de la grosse timbale saharienne (tbal), ou du tambour à cadre berbère (bendir), spécifique aux rythmes des chaînes de l’Atlas. Ces Ganga se différencient de ceux de Sous et du pays hahî par le fait qu’ils chantent en arabe hassani, et non comme eux en berbère tachelhit.
Ces Ganga de l’oued Noun, ont adopté le parler et la poésie hassanie, mais aussi le mode de vie nomade en général : ils travaillent comme bergers chez les chameliers et portent la tunique bleue et le voile des hommes bleus. La plupart de ces Ganga animent non seulement la fête annuelle qui leur est propre mais font aussi partie de la troupe locale labchara qui joue de la guedra saharienne. À ce titre, ces Ganga de l’oued Noun connaissent aussi bien l’art du Rguiss que la poésie hassanie.
Les Ganga sont donc à la jonction de deux cultures : celle de la diaspora noire à laquelle ils appartiennent, et celle soit des nomades arabes pour ceux de l’oued Noun ou des sédentaires berbères pour ceux du Sous ou du pays hahî au milieu desquels ils ont été amenés à vivre. Ce qui prouve que le Sahara n’a jamais été une frontière infranchissable entre le Maroc et bilâd Soudân (le pays des Noirs des géographes arabes du XIIe siècle), mais bien au contraire le lieu où s’est opéré le métissage culturel entre la négritude et la civilisation arabo-berbère.
Les Ganga n’ont pas seulement subi l’influence du milieu dans lequel ils ont été intégrés, mais ils l’ont également influencé à leur tour. Ainsi le Raïs du somptueux Ahouach des Glawa reconnaît l’origine africaine du ganga, le gros tambour qui rythme les danses collectives qui se sont développées autour du col de Telwet, jadis lieu de passage obligé à travers le Haut-Atlas, entre le Sahara au sud et les plaines côtières au nord. Et quelle ne fut ma surprise cet hiver, en me rendant à Assif-el-Mal, pour y assister à la danse tiskiwin , lorsqu’un berger berbère me joue sur sa flûte de roseau un air gnaoui !
Abdelkader MANA
23:19 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique, photographie | |
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11/05/2010
Ouarzazate
A Ouarzazate les amandiers sont déjà en fleurs

Tout avait commencé en musique, un accueil au rythmes de la montagne entrecoupé de youyou. L’Ahouach de Tifoultout. Au bout du voyage réel commençait le voyage imaginaire. Le dépaysement est complet. Une ambiance propice à l’amitié entre les hommes et les femmes qui ne se connaissaient pas cinquante minutes plus tôt. C’est le mystère de Ouarzazate. La ville du silence où l’on se recueillit pour être attentif à l’appel du berger et à l’échos de la bergère que mime justement le mariage de ces voix graves et aigues de ces chanteuses et de ces musiciens habillés aux couleurs bariolées de la fête ; arc-en-ciel lumineux du soleil.

Après cet accueil musical, un dîner copieux est offert au bien nommé hôtel « karam » (hospitalité). C’est l’occasion pour les invités de nouer les liens de l’amitié autour d’une même table. Beaucoup d’entre eux avaient quitté l’hiver et la neige en Europe pour se retrouver au printemps et au soleil de Ouarzazate. Le matin en est une illustration éblouissante : l’eau qui s’évapore crée une atmosphère de rêve que renforce le chant multimélodiques des oiseaux. Direction Tinghir puis les gorges de Toudhra en passant par la source des poissons sacrés : la journée commence bien. Le guide explique :
« Faisant une petite promenade à pied dans les gorges. Il y a des mouflons dans la montagne. On peut les voir grâce aux jumelles ».

Les parois abruptes des gorges sont impressionnantes ; elles s’élèvent à pic jusqu’à 300 m. L’ascension dure trois heures en moyenne. Il y a des gens qui passent ici toute une semaine, rien que pour pratiquer des escalades. Laftah Omar, le président de la commune rurale de Tinghir précise : « Les alpinistes viennent généralement en équipe. Les gorges de Toudhra sont uniques. Ils s’agrippent aux falaises. Il faut le voir pour le croire». A Tinghir les amandiers sont déjà en fleurs. Des fioritures de hautbois nous accueillent. On nous offre un repas pantagruélique sur une esplanade qui a vue sur les montagnes enneigées. En fait, on va d’une grande bouffe à l’autre, d’une musique à l’autre, d’un paysage à l’autre.

Lawrence d’Arabie et les dix commandements

La journée du samedi 21 février 1987…s’achève en apothéose par un dîner – spectacle à l’hôtel Karam Palace avec orchestre de musique flamenco et groupe les lords (tenue sombre). Le groupe espagnol a notamment dansé sur les airs du « Lac de signe » de Tchaïkovski. Le dimanche, la ville silencieuse de Ouarzazate se réveille dans la lumière et le silence ; ville rouge sur fond de montagne enneigée. Le touriste peut pratiquer toutes sortes de sports dans cet air purifié. : le tennis, le tir à l’arc, l’équitation, la nage et j’en passe. Il peut vivre en deux jours l’équivalent d’un mois de vacances, tellement le temps est bien rempli et l’espace parcouru dans tous les sens.

Rien de mieux pour faire peau neuve et prendre une nouvelle charge d’énergie : On oublie, on se laisse vivre, on devient un autre. Les ksour et les kasbah parsèment de temps en temps, ici et là des espaces sauvages, dénudés, silencieux, mystérieux et magnifiques. Au milieu d’un paysage lunaire et rocailleux où pas une herbe ne pousse, brusquement la vie ressurgit avec sa profusion de végétations : c’est la victoire de la vie sur la mort, de l’eau sur la sécheresse. C’est le cas de l’oasis où nous fûmes accueillis au milieu des tentes caïdales. L’eau y vient de l’oued Taznakht. Il y a aussi des eaux souterraines qui proviennent de la fonte des neiges du versant sud du haut – atlas.

Devant les tentes caïdales, l’immense Ahouach de l’Adrar.
Les percussionnistes sont assis à même le sol alors qu’auteur d’eux les danseuses cosmiques imitent la roue solaire : ici, ce n’est plus cet objet décoratif et folklorique qu’on promène dans les hôtels et les « fichta » officielles. L’ahouach est dans son cadre naturel, au bord de l’oued sur fond de falaises et de lumière. Il n’y a ni micro, ni estrade. C’est la culture paysanne dans son authenticité. Dans ce contexte naturel ; le produit exotique, se sont les touristes !

Oasis de Ouarzazate
Sur le plan culinaire et musical, on a presque fait le tour de l’univers si l’on peut dire : du plat norvégien au menu traditionnel dans sa version berbère et fassie et de la musique espagnole à la Sokla de Tamgrout….Une journaliste française me dit : « Il faut que je fasse ma provision de thé à la menthe, parce qu’à Paris, ça ne cours pas tellement les rues ». Un autre journaliste français lui rétorque : « Ici, on mange ; on ne fait pas de discours. Alors qu’en France ; Oh là, là ! Les discours ! Ici, les discours, on les traduit par les faits. ». Le méchoui est servi. Des youyou strident entrecoupent le chant des femmes qui rythment avec leurs mains. Au delà de quelques îlots de verdures…l’espace ocre court jusqu’au pied de la montagne ombragée. Ce n’est pas par hasard que les cinéastes avaient choisi ce paysage à la fois hostile et sauvage pour tourner leurs films. Des studios de cinéma sont déjà installés à Ouarzazate. On y a tourné plusieurs films : Laurence d’Arabie, le dernier James Bond, les Milles et une nuit, les joyeux de Niel, et « Liberté, égalité, choucroute ».La kasbah des Aït Ben Haddou a d’ailleurs été le théâtre de plusieurs activités cinématographiques comme nous le précise le guide du coin du nom de Mohamed Abdou du haut de cette kasbah :

Amandiers en fleurs
« Là en bas, près des jardins avec des amandiers en fleurs et des figuiers, on a rajouté une petite muraille pour les besoins du film « Lawrence d’Arabie » ; c’est cela ce qu’ils appellent « la kasbah ». mais ce n’est pas comme ça qu’on la voit dans le film, parce qu’ils ont coupé tous les arbres. Les figurants qui jouaient le rôle de nomades sont des sédentaires qui vivent à Ouarzazate. Ils ont loué tous les jardins du village pour y installer des tentes. Pour cela, ils ont coupé tous les arbre. Maintenant, il y a moins de fruits parce qu’il est difficile de faire repousser un arbre tout de suite. Les quatre fenêtres blanches que vous voyez là-bas ne sont pas d’origine : avant…il n’y avait pas de fenêtres sur les murs ; ça, c’est pour un film français qui s’appelle « le vol du sphinx » avec Alain Souchon. Ils ont mis sept coupoles qui ressemblent à des marabouts. Au cinéma, les gens croient qu’il y a plein de marabouts à Aît Ben Haddou. Je dirai non. Ce ne sont pas des vrais. Le vrai marabout est derrière : au village à côté du cimetière et la petite coupole aussi. Là haut, on l’appelle « Agadir », vous savez ce que c’est ?
- Le grenier collectif, lui répondit-on.
- Grenier collectif pour mettre les gazelles ! (éclat de rire).
Excusez – moi… Messieurs – Dames, parce que je rigole un petit peu. Nous, on n’est pas des dromadaires ou des chameaux qui sont toujours fâchés. D’ailleurs il n’y a plus de chameaux parce que les chameaux ne servent plus, puisqu’il n’y a plus de caravanes. Le problème maintenant, c’est que les gens quittent la kasbah qui se trouve sur les hauteurs pour habiter la terre pleine. Car la kasbah n’a plus sa fonction de lieu protégé contre les razzia. Par conséquent, les maisons non entretenues tombent en ruines.
Le monde d’hier qui tombe en ruine peut être restauré parce qu’il a maintenant une autre fonction : répondre aux besoins du tourisme culturel. En présence du gouverneur de Ouarzazate, le séjour s’est terminé en apothéose par une soirée marocaine à l’hôtel Salam animé par l’orchestre de musique andalouse sous la direction de Haj Abdelkrim Raïs. La vedette en était le jeune chanteur Abderrahim Souiri qui a ébloui tout le monde par ses mawal enflammés, ses inçiraf légers et la gaieté des ses mouwashah andalous. Aux lueurs qui préludent le jour, tout le monde est transporté à l’aéroport où l’avion a pris son envol en même temps que le levé du soleil pour atterrir à Casablanca au moment où tout le monde prenait encore son petit déjeuner.
Abdelkader MANA
12:53 Écrit par elhajthami dans Voyage | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : voyage | |
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