09/05/2010
Le théâtre des "remparts"
En hommage à El Haj Mahmoud Mana
Fondateur du théâtre les remparts en 1979
Les premiers pas de Mahmoud Mana au théâtre: souvenirs, souvenirs...Interprétation de l'avare de Molière en arabe dialectal en 1964.
Il y a plus de trente ans El Haj Mahmoud Mana, créait la première compagnie théâtrale d'Essaouira du nom du "Théâtre des remparts". C'est un fervent amoureux du théâtre qu'il pratiquait depuis l'âge de 12 ans au tout début des années 1960.
On reconnais au milieu Mahmoud Mana; il y a déjà de cela si longtemps; du temps du noir et blanc: nostalgie quand tu nous tient...En colonie de vacances à Ifran en 1969.
On reconnait à gauche, le comédien Boussen du temps de sa jeunesse: ce fonctionnaire municipale qui délivre les extraits d'actes de naissance et de décès est le fils du célèbre herboriste du même nom qui avait vendu sa belle demeure de la kasbah au prix de clopinettes, devenue depuis le Tharos qui vaut maintenant son pesant d'or depuis que les festivaliers y organisent leurs dîners de gala. Boussen est également un fervent adepte de la confrérie des hamadcha où il a toujours joué un rôle important en tant que percussioniste du Herraz lors de la Hadhra...
On peut lire sur cette affiche: tout en haut Masrah Al Asouar (le théâtre des remparts)avec Mahmoud Mana présente: "Cris du fond des gorges enrouées". Prix d'entrée: 25 DHS, spectacle théâtral exceptionnel: deux heures de plaisir et de rire...
Entre tradition et modernité: on recourait littéralement à cette notion d'enfermement dans des remparts, ces derniers , en carton-patte, étaient omniprésents sur le plateau comme pour signifier le fort enracinement de ce théâtre dans la ville...Un enjeu culturel mais aussi urbain en quelque sorte...
La dimension ihtifaliste, festive, de ce théâtre participant à un dséfilé officiel probablement lors de la fête du trône qui avait eu lieu chaque 3 mars à l'époque du Roi défunt.Epopée dont Mahmoud Mana en tant que directeur artistique du festival a réalisé la mise en scène au pays Haha de la pièce "Haha, jeunesse et fêtes": c'était au premier festival de Tamanar en 1986
Théâtre d'émanation municipale très influencé à ses début par le vaudeville égyptien et le feuilleton télévisuel...C'est la pièce "choumouâ wa doumouâ" (Larmes et chandelles): Mahmoud a participé avec cette pièce a une rencontre nationalez à Fès sur le planning familial où cette pièce a obtenu le deuxième prix
Une scène où on reconnait à gauche le comédien kalaza, compagnon de route de Mahmoud Mana depuis toujours. Scène de la pièce "cri du fond des gorges enrouées" joué l'an 2007 et 2008 où la troupe a donné quatre spectacles à Essaouira. Kalaza y a joué le rôle d'un petit fonctionnaire faisant face à de nombreux problèmes familiaux et noyant sa mélazncolie en buvant comme un trou force alcool
Kalaza excellait surtout dans le rôle de "l'ivrognee", provoquant à chaque fois l'hilarité universelle ...
Le théâtre less "remparts", symbole d'Essaouira par excellence puisque le nom de la ville signifie jusqtement "petites remparts", a toujours était le lieu d'épanouissement des talents féminins malgrés des traditions étouffantes au sein des remparts.
Trio féminin sur scène: l'art naïf et poétique au service de la cause des femmes.....
Parti de l'expérience des maisons des jeunes dans les années 1960, ce théâtre de quartiers tourne en dérision les scènes de la vie quotidienne: en arrière plan on peut lire en arabe: "Interdit de jeter les détritus sur la place public"....Bien avant l'heure ce théâtre se voulait comme un moyen de mobilisation en faveur de l'environnement, il s'agissait en quelque sorte de réveiller l'esprit civique chez le spectateur.
Cette pièce remonte probablement à l'après attentat terroriste de mai 2003 qui a fait plus de quarante victimes à Casablanca puisqu'on peut lire sur l'une des affiches: non à la violence, non à l'incitation à la haine contre les enfants de mon pays...
Le rabbin, le prêtre et l'imam: tout un symbole : un message de coéxistence et de tolérance entre les trois religions monothéistes: on reconnait là aussi l'influence du dramathurge Tayeb Saddiki avec lequel Mahmoud Mana a collaboré au temps de maqamat Badiî zaman al hamadaniu et durant le premier festival d'Essaouira de 1980-1982, intitulé "la musique d'abord" que dirigeait alors tayeb Saddiki et au colloque de musicologie, il y avait alors Georges Lapassade, Edmond Amran el Maleh, Ahmed Aydouin, Abdelkader Mana, Hussein Miloudi; Mohamed Bouadda, Abdelghani Maghnia, Boujamaâ Lakhdar, Hussein Toulali, et j'en oublie...Un moment culturel-clé pour Essaouira et son histoire: c'est le moment de l'explosion des arts plastique comme bombe à retardement de la peinture psychédélique qu'a connu la ville avec l'afflu du mouvement hippie vers la ville à la fin des années 1960 - début des années 1970. Ce festival de la musique d'abord qui n'a connu que deux éditions, celle de 1980 et celle de 1982, sera en quelque sorte le precurseur et l'annonceur de tous les autres festivals qu'a connu la ville depuis...
Mahmoud Mana peintre devant l'une de ses oeuvres dans les années 1970
A travers ces costumes et cette mise en scène, on voit bien que Fontômas et Drakula sont passés par là...
Consécration : du bonheur d'être reconnu par son public..
La dernère pièce réalisée par Mahmoud Mana est celle des Al achbah (les fantômes) présentée à Essaouira et à Safi à l'occasion de la journée mondiale du théâtre le 27 mars 2010. Notre auteur faute de soutiens pense cette pièce sera son ultime baroud dans ce domaine...
Abdelkader Mana
16:05 Écrit par elhajthami dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : hommage | |
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Lettre de Casablanca
Chère Marta,
Je prends immédiatement le bus pour aller voir ma fille à Casablanca. La sincérité, est ce qu''il y a de plus beau: c'est le seul style qui me sied et qui siéra à notre relation. Considère que je suis seul dans le cosmos et vient à ma rencontre..... Aujourd'hui comme un fou, j'appelle toutes les femmes de mon portable et je les surprends en leur disant combien j'ai envie d'elles toutes avec jubilation... Oui il est venu pour moi le temps de raconter une histoire.Je n'ai pas de scénario pour une "histoire", la mienne et celle de mon pays: il faut juste écrire au jour le jour en espérant trouver un fil conducteur. En partant de mon impasse et de celle de mon pays. A Casablanca j'ai l'impression étrange de me retrouver dans un monde inconnu. De me sentir comme un "revenant": Il n'y a plus personne à qui s'adresser. Oui j'ai l'impression de me réveiller dans un autre Maroc... Un pays amnésique qui ne sait plus d'où il vient ni où il va...
Pour ce qui est de mon ex-je lui ai demandé hier de me prêter son appareille photo numérique Elle m' a répondu : " Je te le donnerai dès mon retour de Fès ce dimanche » . Il est vrai que mes pulsions deviennent particulièrement virulentes à chaque fois que je prends le train: c'est là que je me suis rendu compte un jour brutalement de son départ irrémédiable et que je me suis mis à pleurer comme un enfant abandonné par sa maman...Dans un train en partance vers le Sud. Depuis lors, à chaque fois que je monte dans un train je n'arrive pas à me tenir en place: je me mets à errer dans les couloirs et les compartiments comme si j'allais la retrouver à nouveau pour m'y blottir. C'est pourquoi j'ai terriblement peur des pulsions incontrôlables qui me saisissent à chaque fois que je monte dans un train...En ce printemps renaissant, le désir est pour moi un signe de bonne santé physique mais je sens que je n'en n'ai plus pour longtemps. C'est une manière d'exprimer la panne d'écriture. Ni Casa ni Rabat ne me sont d'aucun secours: je dois revenir à Essaouira et tenter d'être admis à nouveau à l'écriture: ici le vide est effrayant...Tenter de retrouver cette brûlure, cette flamme intérieur si précieuse à mon écriture.
Je suis content que vous ayez trouvé belles mes images....C'est extrêmement beau et gratifiant. J'en tire deux conclusions essentielles: ce qui me sied le plus c'est le style 'journal de route' où je m'implique émotionnellement et non le style prétendument 'objectif', genre rapport ou documentaire (ce qui suppose une documentation qui n'est pas mienne et qui n'appartient déjà plus au monde des vivants, figeant ainsi ma respiration dans le marbre, me privant de ma propre libre expression...La seconde observation est vitale : tous les textes que vous venez de choisir ont été rejetés, censurés par la presse officielle au point que le pauvre Jbiel n'a pu trouve nul part où publier notre réçit sur son bidonville! Mon blog était une simple consolation. Ça nous rassure tous les deux: ce n'est pas nous qui sont des enfoirés mais le système. On n'est pas des officiels; c'est rassurant y compris pour la série documentaire suspendue que j'animais a la deuxième chaine marocaine. Dernière observation d'importance : mon blog a fait un bon significatif en terme de visiteurs (il est passé de 153 avant hier a 184 visiteurs hier et 225 aujourd'hui) : Est- ce a cause de la guerre du Rif ou de la naissance de mon nouveau blog ? http://abdelkadermana.wordpress.com/
Vous m'avez écrit entre autre :
« Je pense que je sais de quoi tu parles : je suis restée un an et demi au Maroc, et c'est assez récent pour que je ressente encore cette oppression, cette terreur, ce vide, j'étais à Moulay Bousselham, un village de pêcheurs sur la côte entre Kénitra et Larache. Cette inculture, cette saleté, et leur détresse : à qui peuvent-ils s'adresser ? Cette corruption à tous les étages, ce manque de solidarité. La grande misère dans le douar, pas d'eau courante. Les femmes qui passent de l'enfance à l'état de grand-mère sans avoir eu l'idée d'apprendre à sourire, cheminant pliées à l'équerre sous leur charge de fagots de bois.Je viens de feuilleter compulsivement mon cahier, celui où on écrit à la main, pour retrouver le mot que Saïd m'avait dit. Vous auriez compris. Paranoïa, Loi du Silence, Omerta. Un peuple dans une détresse extrême, tenu dans l'ignorance et la crainte. Je ne pourrai jamais m'habituer à ce marché de dupes. J'ai pris la fuite, j'ai compris mon bonheur d'être française ; ce réseau d'aide sociale fonctionne plus ou moins bien, c'est admis, mais il existe tout de même. Cette prise en charge médicale quand des soins urgents doivent être administrés. Mais le Maroc que j'ai vu, ce n'est même pas le Moyen Âge, c'est l'aube de l'humanité ! Momo Erectus ! Je dis ça pour vous faire rire. Une autre devinette que vous connaissez peut être : quelle est la différence entre la dictature et la démocratie ? La dictature c'est "ferme ta gueule" et la démocratie c'est "cause toujours". Bon. Il faut rire pour se remuscler les abdos... »
Votre message est très fort et émouvant. Il m a convaincu de mettre en ligne les documentaires suspendus. Je reporte mon voyage a Essaouira à la semaine prochaine. Il faut que mon blog serve la mémoire de ce pays. Ton très beau message arrive à un moment très difficile de ma vie: depuis le mois de mars 2008, la deuxième chaîne marocaine - le colloque que je préparais ce printemps a probablement été annulé pour les mêmes raisons - a suspendu la série documentaire "La musique dans la vie" que j'y anime depuis 1997: en 11 années de laborieuses recherches j'ai supervisé, en tant qu'ethnomusicologue pour le compte de 2M, 81 documentaires sur le Maroc profond et méconnu, du Rif au Sahara, de l'Atlantique à l'Oriental, dont 21 prêts à diffuser depuis 2008 et qui ne le sont toujours pas a ce jour, alors que 'La musique dans la vie' a purement et simplement disparue de la grille des programmes. Il s'agit entre autre de deux documentaires sur la guerre du Rif(1921-1926), de plusieurs autres sur le soufisme: Nuit Soufie, Spiritualité vécue, fête du Mouloud chez les Seksawa du Haut Atlas...On a suspendu brutalement mon émission sans me rembourser un reliquat de 37500 DHS et sans donner suite à mes réclamations concernant le non respect du contrat par la chaine: non diffusion des documentaires tournés au mépris des population de Bou Iblan, de Nador, de Gzenaya, du Moyen Atlas Oriental etc. Ils ne m'ont pas non plus remis copie des 81 documentaires réalisées sur une durée de 11 ans et qui peuvent constituer la base de mon livre "le Maroc musical du Rif au Sahara".J'ai effectué des repérages au Maroc Oriental mais a ce jour pas de tournage comme stipulé par le contrat. J'en ai également effectué au Haut Atlas...J'ai adressé mille et un courriels aux "responsables" de la chaine mais à ce jour aucune réponse n'a été donnée à mes requêtes et réclamations. Silence radio propice a toutes les interprétations pour donner l'illusion qu'un jour l'émission reverra le jour alors qu'en réalité elle a été enterrée une fois pour toute, sans que le propre intéressé en soit avisé d'une manière ou d'une autre. Ainsi va le Maroc : mise à l' écart, mise en placard en catimini. J'ai adressé les mêmes requêtes au ministre de la communication, au ministre des Affaires religieuses mais sans réponse à ce jour. J'ai même voulu adressé une requête en ce sens au premier ministre mais un Istiqlalien m'en a dissuadé me disant qu'il avait lui-meme des comptes a régler avec la deuxième chaine. Pour un ancien dirigeant de cette chaine : 'A mon avis ils ne feront rien tant qu'ils n'auront pas d'instructions d'en haut'. Mais ce qui est grave et inquiétant c'est qu'aucune institution ne se croit tenue par le contrat moral engagé : il y a un an le maire de Casablanca a donné son accord verbal pour un beau livre que je devais écrire sur les peintres de Casablanca. Puis, plus rien. Un an après le maire d'Essaouira a donné son accord pour la préparation d'un colloque international sur les pèlerinages en Méditerranée. Puis plus rien. On m'a laissé préparer le colloque pendant des mois et des mois à mes propres frais pour se dérober à la dernière minute sous des prétextes fallacieux. Plus personne n'a de crédibilité et personne ne semble s'en soucier. Aucun engagement n'est jamais respecté, aucun contrat n'est mis en œuvre, aucune institution à qui s'adresser :le vide mortel.
En attendant il faut vivre et mourir à crédit. Depuis mars 2008, je survis sans ressources , depuis déjà une éternité .On vous laisse dans l'attente angoissée, les faux espoirs, les interprétations polysémiques. Cela me rappelle ce qui s'est passe en 1999 quand j'ai travaillé comme sociologue consultant pour l'Office National d'Électricité (ONE). Comme la tonalité du rapport commandé sur le programme d'électrification rurale n'avait pas plu - c'est mon interprétation, eux ils n'en n'ont donné aucune, se contentant de me fermer la porte au nez - ils ont suspendu là aussi le contrat sans me remettre un reliquat de 100 000 Dhs; et sans donner suite à mes réclamation; suite à quoi ma beauté de femme m'avait immédiatement quitté pour un plus riche que moi avec toutes les blessures de l'âme que vous pouvez imaginer. Entre temps mon Beau Livre "Essaouira, le temps d'une ville" a été co - réédité sous le titre "Essaouira, perle de l'Atlantique" à Casablanca et à Genève, distribué en Europe par Vilo, mais sans droits d'auteur en pleins tourments pour ma famille. Toqueville disait: "Pour reconnaître une démocratie, il faut voir le traîtementqui y est administré aux gens d'esprit....".
C'est la raison de la naissance au mois de mars 2009 de ce blog : gratuité pour gratuité autant mettre toute ma littérature gracieusement sur Internet. Mes démarches auprès des éditeurs Français n'ayant pas été fructueuses non plus que ce soit pour la réédition du printemps des Regraga épuisé depuis 1992 ou pour "l'aurore me fait signe", ouvrage que je comptais illustrer par mes propres soins. Mais l'aurore commence peut - être à poindre à nouveau pour moi et c'est l'Europe qui me fait signe grâce à l'Université Européenne qui m'invite cet été....Mon regretté amiAbdelkébir Khatibi, après la fermeture de l'institut de sociologie qu'il dirigeait à Rabat dans les années soixante dix a fini par trouver une issue en France avec son amitié avec Jean Genet, Roland Barth et Derrida...
En tant qu'ethnologue, journaliste, intellectuel, je suis effectivement menacé d'asphyxie et je pense m'exiler ailleurs pour survivre. Rompre l'isolement est devenu un impératif de survie. Il est vital d'ouvrir une fenêtre sur l extérieur, se faire entendre au - delà du désert, desserrer l'étau qui m'enserre. En regardant la deuxième chaine hier soir j'étais horrifié par le vide absolu qu'on y a installé et je me suis dis: ma place n'est plus là, ma place n'est plus dans cette télévision des spots publicitaires. Il faut faire quelque chose avant qu'on m'enterre vivant ...Ce soir ou demain je commencerai a mettre en ligne la guerre du Rif et les documentaires suspendus sans préavis, et non diffusés a ce jour. En attendant, je vais faire un tour a Rabat pour voir un peu du pays... à Rabat où je viens de manger de la tête de chameau, je n'ai déjà qu'une seule envie: revenir à nouveau à Essaouira. Le cœur du pays est vide. Pour mon âge l'Europe n'est pas non plus une solution. Il faut vivre de peu mais écrire: il ne sert de rien de ressortir les vieux documentaires. Il faut passer à autre chose. Se donner la peine d'accoucher d'autres chose...S'efforcer ....
Le mercredi 21 avril 2010, je reçois ce message : « Ce soir dîner spectacle à 20h avec Mamoun au café-théâtre Azizi 515 bd Ghandi devant le Pacha ». Le chauffeur de taxi qui m'y conduit me dit que Radio FM en a parlé à la mi journée. C'est un théâtre privé ou plutôt « privé de moyens » comme se plait à l'appeler son promoteur le dramaturge Tayeb Saddiki.
Une fois sur place, je m'empresse d'aller le saluer. Il m'accueille avec les jeux de mots qu'il affectionne : « On ne fait pas du théâtre contemporain , me dit-il ; on fait du théâtre, quand on pourra !... »
Il avait là un groupe folk jouant le répertoire de Nass elGhiouane :
- Comment tu traduis « Nass el Ghiouan » ? Me demande Tayeb Saddiki.
Je reste pantois et lui de poursuivre :
- El Ghiouan, c'est la perdition. Ceux de la perdition...Maintenant qu'est ce que tu veux boire ?
- Rien. Lui répondis-je
- Donnez-lui un verre vide ! Ordonna - t -il.
- Que Dieu lui donne sa baraka, lui dit quelqu'un.
- Es-ce qu'il n'aimerai pas avoir une baraque ? Lui rétorque le dramaturge. Puis s'adressant à moi, il ajoute, va faire un tour ; le vrai théâtre se trouve à l'étage. Mon fils Baker Saddiki te donnera tout un dossier de presse concernant ce théâtre de Mogador.
Abdelkader Mana
16:04 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : casablanca, lettre, mogador, la musique dans la vie | |
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Arts:Texture de couleurs
Fadela Kanouni
Tableaux – caftans - miniature
Une texture de couleurs tout en nuances....
Les tableaux- caftans de Fadela Kanouni, racontent chacun à sa manière des histoires de femmes du Maroc, dans leur diversité culturelle. Travail fait main, broderies, brocard, passementerie, bijoux, textures de couleurs... Femmes toutes en nuances de couleurs ; jamais en blanc et noir. Mélanges inattendus de textures, de tissus, de couleurs. Expression ancestrale du travail artisanal renouvelé : Pli et repli, vagues dans les robes. Ton ocre, pastelle, couleurs des âges de la vie, du ciel, de la terre. Textures, bijoux et parures de toutes les régions du Maroc. Tissus anciens et modernes. Les mousselines vaporeuses entourent les bras comme autant de désirs de liberté : « Histoire de femmes multiples, celles que je connais, celles que je ne connais pas : le corps des femmes est habillé mais absent. Visage caché, parure en mouvement, membres mutilés, modes éphémères exprimées dans ces tableaux mettant en relief la féminité, la diversité, les aspirations des femmes, leur créativité. » C’est sa fille, par sa beauté, sa grâce et son amour du beau qui lui a inspiré sa première œuvre : « C’est vraiment par hasard que j’ai commencé à réaliser ces tableaux. Au départ, c’était juste pour faire un petit cadeau à ma petite fille. J’ai voulu lui offrir quelque chose d’original en me disant : C’est comme cela qu’elle va garder un souvenir de nos traditions. » Un caftan on le met x fois et on fini tôt ou tard par le jeter mais un tableau, ça reste pour toujours .

Et comme ce premier tableau a plu, elle a continué à en faire. Voilà tout...une robe-caftan en soie couleurs pastels et drapée de soie perlée rose et nacre, de sfifa et soie bleue : le collier accompagne jade dans son mouvement continu. Un mouvement qui se situe entre tradition et modernité comme nous l’explique l’artiste Fadela Kanouni dans cet entretien. Il est important cependant de signaler, que Fadela n’est pas n’importe qui puisque son aïeul n’est rien d’autre que Abdelhay Kattani, le chef historique de la fameuse zaouïa Kettania, qui fait partie de l’aristocratie de Fès
- Tu es née à Fès. Raconte-nous un peu, tes souvenirs d’enfance à Fès, les fêtes de Fès, les femmes de Fès...
- J’ai gardé un souvenir de Fès en fête. Des souvenirs extraordinaires de l’ancienne médina de Fès, où déjà petite je fabriquais des poupées de roseau. J’aimais déjà les belles textures. Je suis né à Fès où j’ai vécu jusqu’à l’âge de quinze ans. Ma sœur qui était couturière m’a appris la haute couture parce qu’elle était la première femme à en faire à Fès. J’étais toujours bien habillée par elle. Autour de moi il y avait des femmes avec de beaux caftans. Ma mère, c’est vrai, avait une culture traditionnelle. J’étais élevée aussi par ma sœur charafa, la couturière et par mes grands frères qui ont étudié en Europe. Donc, il y avait déjà ce mélange de modernité et de traditions. Mon père était présent sans l’être vraiment. J’étais entouré plutôt de femmes et de mes frères plus que de mon père. A l’âge de quinze ans, j’étais arrachée de cette ville ancienne et je me suis retrouvée à Rabat dans une belle villa tout entourée de jeunes hommes : mes frères qui m’ont appris à vivre la modernité. C’est grâce à eux que j’accepte en moi cette diversité culturelle comme une richesse. Jai vécu cette vie moderne à côté de ce que j’ai vécu à Fès, comme un enrichissement. J’ai jeté en l’air beaucoup de tabous qui me bloquaient. En même temps, dans cette modernité, je risquais de me perdre.
- Vous êtes issue d’une famille de Chorfa Kettani ?
- Oui, mes valeurs presque soufies, m’ont inculqué le respect de l’autre. C’est ce qui me permettait d’accepter cette modernité sans m’y perdre.
- Quelque part, dans ces tableaux, il y a un peu ce que vous étiez et un peu ce que vous êtes maintenant : Une harmonieuse synthèse entre tradition et modernité...
- Dans notre culture, il y a beaucoup de choses extraordinaires. La vie m’a appris à m’enrichir de cette culture qui est en moi et en même temps de m’ouvrir à l’autre pour apprendre de lui. Dans la modernité il y a beaucoup de choses qui nous permettent de faire évoluer nos traditions. Ces tableaux sont l’aboutissement de cette évolution en moi. Ce n’est pas seulement des tableaux que j’essaie de vendre, parce que je m’en fous de les vendre à la limite, mais c’est des œuvres que j’aimerai que les autres apprécient. - Vous êtes donc de la zaouïa Kettania ? - Je suis de la famille de Si Abdelhay El Kettani : à la maison on recevait des tribus entières lors du moussem (fêtes annuelles de la zaouïa). Tout un cérémonial a lieu à cette occasion parce que les Chorfa avaient un impact sur ces populations. Maintenant, la zaouïa Kettania de Fès est un peu à l’abandon, malheureusement. - En matière de tissage, le savoir faire des artisans de Fès est fabuleux, en fil d’or, en fils d’argent, en soierie. Des tissages d’origine andalous d’un raffinement extraordinaire. Ce raffinement est également symbolisé par « les chants des femmes de Fès »recueillis par Mohamed El Fassi dans les années 1930. Vous êtes un peu l’héritière de tout ce monde disparu ou en voie de disparition et en même temps, vous êtes le signe et le symbole de l’ouverture : toutes ces très belles traditions vous les marier d’une manière harmonieuses avec la modernité dans vos oeuvres...
Dans mes tableaux "j’évoque l’évolution des femmes. La richesse qu’on a dans tout ce qui est traditionnel et en même temps j’ai montré que les femmes essaient de s’en débarrasser : des fois elles y arrivent, d’autre fois pas. C’est comme moi ! j’ai appris avec le temps à me débarrasser de beaucoup choses qui me pèsent. Mais dans les traditions il y a de belles choses qui m’enrichissent qui font que j’ai cette identité plurielle." Fadela Kanouni
- Puisque vous évoquez « les chants de femmes de Fès », j’ai souvenir de ces après-midi de fêtes entre femmes, qui étaient toujours très bien habillées, très bien apprêtées, surtout ma mère : elle était toujours majestueuses, du matin au soir. Elle était toujours en caftans et avec ses beaux bijoux. Et quand elle s’arrêtait de travailler, l’après-midi , elle dansait, chantait avec tambours et gâteaux . C’était vraiment des après-midi de fêtes. Pour les femmes de Fès, tous les mariages, les baptêmes étaient des occasions pour se parer, se faire belles. Mes souvenirs de Fès, c’est cela. - Il y a aussi l’influence de votre sœur la couturière... - J’accompagnais souvent ma sœur, quand elle allait en médina, choisir les tissus chez les artisans. J’ai gardé le souvenir de belles textures. C’est là que j’ai appris le choix des couleurs, des matières, l’harmonie des tons. Chaque fois que je vais en médina, je me rappelle de Fès. Chaque médina me rappelle les souvenirs d’enfance et ceux de charafa qui m’a appris tout cala. Et quand on faisait une bêtise, pour nous punir, ma mère nous envoyait chez la âqada (fabricante de boutons en fils de soie pour fermer les caftans). C’est comme ça que j’ai appris à faire laâqad (boutons). Certes, en pleurant mais finalement, j’ai appris quelque chose ! Les punitions étaient une forme d’apprentissage. - Il faut dire que Fès grouillait alors de tisserands et de métiers à tisser... - Il y avait souvent un maâlem qui fabriquait des caftans pour maman à l’entrée de notre maison. Et j’allais m’asseoir à côté de lui et je le voyais travailler. Quand je descendais en médina, c’était les artisans qui travaillaient dans la rue ; qui filaient la soie. La médina de Fès est tellement riche d’artisans qui travaillent dans la rue et j’étais toujours là en train de les regarder. Quand je vais à Marrakech, c’est la même chose. Ils sont d’une dextérité, d’une finesse... - C’est avec les bouts de tissus que vous achetez aux tisserands que vous faites vos tableaux ? - Quand je vais chez les tisserands à Fès, j’achète des bouts de tissus faits avec d’anciennes machines à tisser : je trouve ça beau et j’ai envie de les mettre sur des tableaux. C’est chargé d’histoire. Ce n’est pas que des tissus. Chaque bout de tissus représente une région du Maroc. C’est cette charge culturelle qui est intéressante, que je met en valeur et que je retravaille à ma façon. - Mais en même temps votre démarche est éminemment moderne ne serait-ce que dans la forme même du « tableau » qui encadre ces caftans miniature? - Quand je vais en médina que ce soit à Fès ou à Marrakech, Rabat ou quand je vais dans les régions du sud ; j’essaie de retrouver cet artisanat qui est en train de se perdre et en même temps qui est en train de se rénover grâce à la modernité : l’ouverture sur l’autre a permis à nos artisans de faire des choses de plus en plus adaptées à la mode, aux niveaux qualité, design, couleurs, texture . Ils se modernisent quelque part. Chaque fois que je retrouve des choses anciennes faites main, je suis très heureuse. Chaque fois que je trouve des choses nouvelles, faites dans des tons nouveaux ; cela me fait également plaisir et je me dis : notre artisanat est en train de s’enrichir de la culture de l’autre. - Vous ne vous inspirez pas seulement de modèles fassis ? - Derrière le travail fait main, derrière ce que je fais pour montrer un Maroc pluriel, je ne suis pas que fassie : je suis un petit peu berbère, rifaine, européenne : je suis tout cela en même temps. Dans mes tableaux, il y a un peu de chaque région et c’est cette diversité qui fait la richesse du Maroc. Je ne parle pas seulement de la culture berbère, musulmane mais aussi de la culture juive qui fait aussi partie de notre culture. Nous sommes même ouverts à une certaine forme de spiritualité multiple . On n’est pas dans un pays fermé, heureusement. On est dans un pays qui a toujours connu un brassage de civilisations. Je ne pense pas qu’on puisse se limiter aujourd’hui à une unicité culturelle.
- Votre œuvre est justement cette belle synthèse entre tradition et modernité. - Je n’ai pas eu à me confronter à la modernité : je l’ai vécu avec ma tradition. Dans le temps ma sœur faisait déjà des robes – caftans. Il y avait de la musique orientale et de la musique moderne. On dansait oriental et on dansait moderne. Il y avait le salon marocain et le salon européen. L’art culinaire marocain mais aussi européen. Ce mélange, on continue d’ailleurs à le vivre. Chez moi, il y a le petit coin marocain et le petit coin européen. Et quand je fais la cuisine, je mélange un peu les différentes recettes et dans mes tableaux, je mélange les différents styles. Cette diversité n’est pas que marocaine, elle est internationale. J’ai beaucoup voyagé à travers le monde, Et chaque fois que je vais quelque part, je suis curieuse de l’autre, curieuse de ce qu’il peut m’apporter pour mieux vivre. Finalement on cherche une certaine forme de bonheur, de sérénité de paix. - Dans quelle mesure la dimension spirituelle influe dans ta création ? - Je suis toujours dans cette quête de spiritualité. Mon père ne m’a jamais imposé la foi, j’ai donc cru surtout dans les valeurs universelles que je retrouve dans notre culture soufie : cette part du divin que nous avons en nous. Je me rappelle de mon père lisant le Coran tandis que je lisais Sartre. Il me disait : « tu sais, quelle est la meilleur façon de croire ? c’est de croire dans le respect de soi et de l’autre. Parce que la foi, je ne peux pas te l’imposer. » J’ai un tableau fait à partir de son selham (burnous en laine blanche et fine) , que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde. Il le mettait toujours pour aller à la mosquée. Pour moi, il est dans une forme d’humilité ; une manière d’être dans la simplicité et le dépouillement. Pour moi ce selham symbolise la recherche de la paix et de la sérénité. Une forme de prière. Ce selham qui était enfoui au fond de mon placard est maintenant une œuvre d’art expressive ; il me rappel mon père, ses prières, les valeurs dans lesquelles il nous a élevé : simplicité et sobriété. La beauté n’est pas seulement extérieure mais aussi intérieure : chaque être qui crée a cette beauté en lui. Il montre dans ces créations, ce qui lui fait mal, ses souffrances, ses désirs, ses aspirations. Il y a tout cela dans ma créativité.
- On appellera le tableau de votre père « la prière de l’aube ». - J’aime beaucoup. - Parce que les femmes sont exclues de la religion officielle des hommes, elles se sont créées leur propre « religion » et Aïcha Qandicha est en quelque sorte la « déesse » de cette religion des femmes. Est-ce qu’il n’y a pas une spiritualité féminine qui est un peu occulté mais qui existe ? - Vous me parlez d’Aïcha Qandicha : c’est vrai que toutes petites, on a toujours entendu parler d’elle : c’est une femme qui a historiquement marqué son temps. Mais je dirai que la spiritualité musulmane ne peut pas être confondue avec des rites qui sont traditionnellement plutôt païens. Il y a les traditions berbères ancestrales qui sont millénaires et il est vrai qu’ici la religion musulmane n’est venue que depuis douze ou quatorze siècles. Donc, ce n’est pas très ancien. Et chaque fois que l’Islam est apparu quelque part, il s’est mélangé avec les traditions qui lui ont préexisté. Au Maroc, il y a un mélange entre culture musulmane et croyances magico-religieuses. La tolérance en Islam vient du fait qu’il accepte d’incorporer dans son universalisme les particularismes locaux.
- Au Maroc, l’univers féminin est quand même un univers culturel et religieux, je dirai à part : c’est une façon qu’ont les femmes de s’approprier leur corps, leur esprit de manière à se distinguer de nous autres les hommes ? - Quand je me suis mariée, je me suis rendu compte qu’au Maroc, peu de couples vivaient dans l’équilibre, la sérénité, la paix. Et ça m’a poussé à réfléchir un peu, à décoder notre histoire pour comprendre. Pourquoi on est dans une situation de conflits plutôt que d’acceptation de l’autre, de recherche de paix entre hommes et femmes ? Cela n’a rien de naturel ; c’est à la fois culturel et historique. Tout ce que nous avons hérité du passé, si on arrive à le décoder et à le comprendre ; on peut le dépasser. On peut garder ce qu’il y a de bien. Si au Maroc, très souvent les femmes vont vers les saints, c’est parce qu’elles n’ont pas toujours vécues dans la sérénité, que ce soit avec leurs proches ou leur mari. Et comme on n’est pas habitué au psychologue, elles ont recourt aux saints, aux voyantes...C’est une façon pour elles de se retrouver. Avec l’âge, je suis revenue au soufisme pour retrouver la part du divin en moi. J’ai vu des européens adopter cette culture soufie où on n’est pas toujours dans la guerre comme c’est le cas actuellement avec les fanatismes de tous bords et un peu partout. La religion n’est pas une forme d’agression ; au contraire elle doit révéler la beauté qui est en nous. La foi est là pour nous apprendre à mieux vivre, à être en paix avec nous-mêmes, à aller vers plus de sérénité, plus de détachement. C’est ce qui me permet de me détacher par rapport à tout ce que j’ai été. Maintenant, devant mes tableaux, je me dis : j’ai la chance d’avoir une nouvelle vie.
Propos recueillis par Abdelkader MANA

15:59 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts | |
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05/05/2010
Arrivée des Regraga à Essaouira
Arrivée des Regraga à Essaouira
Le jeudi 1 avril 2010
Reportage photographique d'Abdelkader Mana
Avertissement: les photos ont bien été prises hier, jour d'arrivée des Regraga à Essaouira et non pas à la date érronnée inscrite en jaune en bas des images, du fait que l'horloge et le calendrier de l'appareil n'ont pas été configurés à temps avant la prise des photos : ces images dates en réalité du jeudi 1 avril 2010. Mais vous me direz : quelle importance, puisque le rituel des Regraga se déroule de la même manière depuis toujours!...
23:10 Écrit par elhajthami dans Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie | |
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04/05/2010
Les Gnaoua : ceux qui travaillent avec l'invisible
Ceux qui travaillent avec l’invisible

Maalem Bossou
« Nous sommes des esclaves à la peau fraîchement marquée.
Soyez témoins de ces marques, elles ne s’effaceront jamais »
Chant Gnaoui
Le linguiste Kenneth Pike oppose le discours émique qui est le commentaire des gens ordinaires au discours étique ou savant qui tend à remplacer la théorie populaire de la chose. Pour donner un exemple directement appliqué à notre propos ; l’observation d’un possédé rituel en état de transe peut donner lieu à ces deux discours :
Dans le discours émique les gens disent que la transe est produite par la présence d’un être surnaturel. Le même comportement sera interprété de manière « étique » par un psychologue comme l’effet du rythme des tambours ou encore comme l’expression d’un tempérament hystérique, etc.
Dans une société où l’individu s’efface devant le groupe, on peut se demander si le transfert des concepts psychologiques des sociétés occidentales atomisées est légitime. A ce sujet une ethnopsychiatrie maghrébine aurait beaucoup à nous apprendre. Pour Géorges Lapassade : « La transe rituelle n’est pas une hystérie, c’est l’hystérie qui est une transe. Mais c’est une transe refoulée et oubliée dans les sociétés occidentales depuis le temps de l’inquisition ». C’est pourquoi cet auteur fait la distinction entre les sociétés à transe et les sociétés sans transe.
Nous sommes donc en présence de deux modes d’interprétation savant et populaire : Pour la psychanalyse l’origine de la maladie est endogène : « Ce sont les processus psychiques inconscients ». Pour le thérapeute traditionnel : l’origine du « mal » est exogène ; l’individu est « frappé » par une entité surnaturelle malfaisante ; la possession n’est donc pas le symptôme d’un état morbide. Ces deux modes d’interprétations impliquent deux attitudes : l’Occident rejette le « malade », le Maghreb accepte le « possédé ». Ces deux modes d’interprétations impliquent également deux modes de traitement : l’un vise à « expulser l’intrus », l’autre à mettre en évidence le traumatisme responsable mais oublié.
§ Visite à maâlam Bosso

Dans le marché de la psychothérapie de Casablanca, le psychiatre s’entourant de la légitimité du savoir positiviste et du pouvoir institutionnel se trouve confronté à la « concurrence » de la légitimité charismatique (Baraka) des zaouia et des marabouts. : la plupart des malades préfèrent encore, les nuits bleues de la transe, les khaloua au sein des grottes et au sommet des montagnes ; au divan du psychanalyste et à l’enfermement psychiatrique.
Les Gnaoua célèbrent deux fêtes principales, l’une obligatoire pour tous, le 15 du mois lunaire de Chaâbane, qui se déroule dans la maison à laquelle, ils sont affiliés, l’autre est un acte de soumission envers Sidi Abdellah de Tamesloht, auquel ils procèdent à l’occasion d’un pèlerinage, lors de la fête du Mouloud. Les Gnaoua célèbrent cet événement durant sept jours : ils iront d’abord à Moulay Abdellah Ben Hsein enterré à Tamesloht, puis à Moulay Brahim, enfin jusqu’au Sultan des génies, Sidi Chamharouch dans l’Atlas.
Le mercredi 20 août 1986, je publie un compte-rendu de ma visite à Maâlem Bosso, décédé récemment, sous le titre : « Ceux qui travaillent avec l’invisible, Maroc-Soir leur rend visite et fait parler le Maâlem Bosso ». Dans cet article, j’écrivais :
Lorsqu’on aime la culture populaire un imaginaire autre que ce qu’offrent les cinémas et les vendeurs de rêve, on peut se demander : où est ce qu’elle réside dans ce Casablanca qui semble emporté par le courant universel des sociétés de consommation ? Pour tous ceux qui refusent l’hégémonie de l’industrie culturelle, il suffit de se diriger du côté de la vieille médina. Au-delà de son étalage d’objets sans prix ni vitrine où l’antique marchandage domine encore, au-delà de cette économie informelle ; il y a ceux qui travaillent avec l’invisible.
J’ai demandé, où sont les Gnaoua ? On m’indiqua par des ruelles tortueuses la demeure de Maâlam Bosso. J’y pénètre : sous l’ombrage d’un figuier, des rossignoles et des tambours. Deux symboles qui ne trompent pas : On est chez un musicien, mais pas n’importe lequel. C’est un musicien qui a commerce avec l’invisible et c’est une musique qui a une fonction thérapeutique.
Le maâlam est un initié qui connaît les devises musicales, leur ordre de succession et leur efficacité selon le tempérament des malades qui tombent en transe. À ce sujet, voilà ce que dit maâlam Bosso :
- La plupart des Maâlam Gnaoui de Casablanca sont originaires de Marrakech. Certains étaient d’anciens esclaves de Caïds. D’autres viennent de Rabat. Parallèlement au « Gnaouisme », la plupart d’entre eux, pratiquent des petits métiers d’artisans .
- Mais vous-même Bosso, comment êtes-vous devenu maâlam ?
- J’étais encore tout jeune, lorsque je me suis rendu en pèlerinage à notre saint qui se trouve au sommet d’une montagne au sud de Marrakech. Je l’ai vu en rêve me tendre un guembri en me disant : « Prends la source de ta vie ». Le lendemain, j’ai joué au hasard un air musical, une femme tomba en transe, et refusa qu’un autre que moi puisse l’accompagner. Depuis, j’ai quitté mon métier de tanneur pour celui de musicien professionnel.
- Que pensez-vous de ceux des musiciens gnaoua qui sont devenus vedettes du mouvement folk ?
- Vous voulez dire Pako qui fait partie du groupe Nass el Ghiwane, et Baqbou qui a rejoint le groupe Jil Jilala ?
- Oui. Que signifie pour vous ce passage du sacré au profane ?
- Celui qui travaille dans le domaine des Gnaoua doit suivre la voie de la droiture et de la purification. Sinon, il risque d’être paralysé : on est parfois paralysé en travaillant avec des gens qu’on voit, alors que dire de celui qui travaille avec ceux qu’on ne voit pas ? », Conclut maître Bosso.
Avec plusieurs années de distances, ces propos prennent des accents prémonitoires : Pako, qui est le premier à sortir l’autel sacré de la zaouïa des Gnaoua d’Essaouira, pour le présenter avec sacrifice de bouc, au Living Theater, en 1968 ; Paco, le premier grand maâlam gnaoui à partir jouer sur scène avec son guembri, au sein du mythique groupe folk de Nass el Ghiwan, a fait récemment l’objet d’une attaque cérébrale avec perte partielle de l’usage de la parole ; a–t-il été frappé par l’invisible ? Pour les Gnaoua, la paralysie de Paco est certainement due à une faute rituelle commise à l’endroit des esprits dont il était le fidèle serviteur du temps où il était uniquement maâlam gnaoui, bien avant de devenir la célébrissime vedette du mythique groupe folk de Nass el Ghiouan. Pour les Gnaoua, l’attaque cérébrale et la paralysie partielle de Paco ont avoir avec l’invisible.
§ Le lila des Gnaoua
La lila est un rite de passage qui permet la transition de l’état d’angoisse à l’état de détente. Cette angoisse peut résulter de raisons diverses : c’est pourquoi la demande de la clientèle n’est pas motivée par une même raison comme nous l’explique Maâlam Bosso :
« Une femme m’a demandé d’organiser une lila chez elle, parce qu’elle veut déménager de la médina pour aller habiter Bourgogne. Une autre femme à El Jadida a organisé une lila pour commémorer le décès de son mari. Des travailleurs immigrés l’organisent avant leur départ en France. On fait aussi appel aux Gnaoua si quelqu’un est « touché » ou « atteint » par les djinns. Les lila ne sont pas limitées à la vieille médina : il existe une demande dans les autres quartiers populaires de Casablanca tels que Derb Sultan, Sidi Maârouf, Hay Mohammadi, etc ».
Le maâlam Hmida Bosso, porte le nom d’un melk marin qui le possédait lorsqu’il était jeune. Les Gnaoua chantent ainsi cette devise :
« Me voilà, ô Bosso !
Bosso au filet de pêche,
Bosso le pêcheur,
Bosso le poisson ».
Ce chant rituel a lieu au milieu de la lila des Gnaoua, celle-ci se compose de trois phases :
a) Une phase préliminaire qu’on appelle Âada, ou la procession crépusculaire dans la ville avec tambours et crotales. Elle a pour fonction d’annoncer à la communauté tout entière qu’une nuit thérapeutique va se dérouler dans telle maison de tel patient ou patiente. L’événement prend donc une dimension publique et sociale. Ceci est très important dans le processus qui conduit à la guérison : généralement, l’entourage familial et social change d’attitude vis-à-vis du malade, le lendemain de la lila : désormais, on le considère comme normal, ce qui facilite sa réinsertion sociale.
Si le malade est guéri, il ne devient pas nécessairement un Gnaoui, c’est-à-dire un pratiquant de la musique rituelle. Mais un serviteur surnaturel des Gnaoua. Chaque année au mois lunaire de Chaâbane qui précède le Ramadan où les djinns sont enchaînés, et où se déroule le grand moussem, le serviteur doit sacrifier soit un coq bleu, s’il est pauvre, soit un taureau noir, s’il est riche.
b) Une phase liminaire qu’on appelle kouyou où l’on amuse l’assistance au début de lila (nuit rituelle). On se livre à des jeux énigmatiques, où le guembri guidant le chercheur d’anneau d’or – qu’on a soigneusement dissimulé parmi l’assistance – sur la voie des mystères ou « quête du chamelier ».
c) Ce n’est qu’au milieu de la nuit, moment des rêves, que commence le rite de possession qu’on appelle Lila, où la musique induit la transe chez les possédés rituels. Par exemple lorsqu’on arrive à la devise musicale d’Aïcha Kandicha ; celui qu’elle possède entre en état de transe et se couvre la tête d’une serviette couleur océan, tel cet unijambiste qui me raconta un jour :
« Au milieu de la nuit, sous la voûte de l’herboriste, j’ai cru voir une prostituée sacrée. Mais lorsqu’elle se retourna, j’ai reconnu celle dont on parle dans tous les vieux ports marocains. J’ai perdu conscience et, plusieurs jours, l’usage de ma langue et de mes jambes. Une autre fois, elle m’a paru en rêve, et m’a ordonné comme condition à ma délivrance d’organiser une lila avec sacrifice[1] d’un bouc noir ».
En effet, seule une nuit rituelle un samedi soir, a pu sauver l’esprit boiteux de notre unijambiste, grâce à la remise en place et en ordre des sept couleurs de l’arc en ciel ! Le succès de la thérapie dépend de la nya du malade, c’est-à-dire sa bonne foi. Il faut que l’entourage soit préparé à recevoir le rite comme une délivrance providentielle.
Le bon déroulement de la lila exige, dépend de la bonne maîtrise du guenbri, le principal inducteur de transe chez les Gnaoua bilaliens de la ville. C’est un luth à trois cordes, en boyau de bouc ; celles-ci sont nouées par des lacets à l’extrémité du manche. La table d’harmonie est faite de peau de dromadaire, habituellement couverte de dessins au henné. Un guenbri mal accordé ne peut induire la transe : ce sont, dit-on, ses vibrations qui investissent le subconscient et, à force de répétitions, font naître une tension si forte qu’elle finit par toucher le centre vital du système nerveux, provoquant ainsi la transe.
Selon maâllem Goubani, le guenbri était à l’origine, c'est-à-dire à l’époque où il fut inventé au Soudan, fabriqué avec une courge géante séchée dont on vidait la coquille pour en faire une calebasse. N’ayant pas trouvé au Maroc une courge de dimensions semblables, les Noirs lui substituèrent le bois de figuier qui, une fois creusé, a la même tonalité musicale. Généralement le maître de la lila porte l’instrument au four pour que peau et cordes acquièrent une « résonance cosmique » suffisante pour atteindre l’invisible. Maâllem Boubker Guinéa précise que le guenbri taillé dans le bois de figuier est souvent dit meskoun (habité) et qu’il est donc nécessaire que celui qui s’en sert soit sûr de son art et sache le respect qu’il doit à son instrument. De nos jours, pour les soirées profanes on utilise un luth, nommé aouicha, sur lequel s’exercent les jeunes musiciens qui ont l’ambition de devenir maâllem du guenbri dans les nuits sacrées. Ce luth est taillé dans le bois blanc ou l’acajou ; la peau de mouton ou de bouc est tendue à l’aide de clous. Cela le différencie du guenbri ancien qui ne contenait aucun clou, la peau étant tendue par ses propres ligaments. Il ne s’agit pas de maîtriser une technique musicale, explique maâllem Guiroug, mais rien de moins que d’induire la transe, chose qui n’est pas à la portée du premier venu. Il y a la lila où le hal est présent et celle où il est absent, en raison d’une impureté, de mauvaises intentions ou tout simplement parce que le seuil n’est pas bon. Ces mauvaises vibrations font que le guenbri refuse de s’accorder. On a beau faire, c’est comme si on frappait dans un mur. Et il y a des fois, et des seuils, où le guenbri n’a même pas besoin d’être accordé. Il suffit de le frôler pour qu’il fasse vibrer l’assistance.
L’ouïe entend et le destin parle. Ce vertige de l’ouïe, qui conduit à l’étourdissement de l’âme, vient du tambour, la voix des dieux africains, et du guenbri, vibrations cosmiques de trois boyaux de bouc sur une écorce de figuier sacré. Ils font appel aux sept esprits surnaturels pour illuminer la nuit :
Les esprits illuminent la nuit
Les esprits soufflent dans le vent
Les esprits marchent dans les forêts et les déserts
Les esprits font trembler les montagnes
Les esprits marchent au devant de la tempête
Un cheval de vent règne sur la mer
Sur les crêtes écumantes de l’océan
Le rythme du tambour et les vibrations du guenbri accompagnent – à la charnière de l’amour, de la mort et du hal- la horde multicolore des possédés en transe vers la lumière éclatante du jour. Au début le hal est un art, on y va de son propre gré. A la fin, on succombe à sa possession, comme le taureau va au devant du sacrifice et de la mort.
§ Les voyantes médiumniques de Taesloht
Selon le témoignage de Procope au VI è siècle :
« Chez les Berbères, les hommes n’ont pas le droit de prophétiser ; et se sont au contraire les femmes qui le font : certains rites religieux provoquent en elles des transes qui, au même titre que les anciens oracles, leur permettent de prédire l’avenir. »
A l’occasion des fêtes du Mouloud qui commémorent la naissance du Prophète la talaâ se rend en pèlerinage au sanctuaire de Moulay Brahim, dans la montagne au sud de Marrakech, puis à Tamesloht, au sanctuaire de Moulay Abdellah Ben Hsein où elle organise des lila et procède à des sacrifices. Ses Gnaoua l’accompagnent en ces lieux. Dans la tradition religieuse des Gnaoua, ce sont les talaâ (ou voyantes médiumniques) qui instituent les situations dans lesquelles les musiciens vont intervenir.
Sous le patronage de Baba Tourougui et de Baba Mekki, ces voyantes font le pèlerinage à Tamesloht pour obtenir la baraka du Cheïkh. Chaque voyante offre un sacrifice et laisse sa tbiga à la belle étoile jusqu’à l’aube. Dès lors, elle est reconnue comme talaâ, dépositaire de la baraka du Cheïkh.
Le don de prédire l’avenir en état de transe, et de servir le maître de la nuit, suppose de la part de la néophyte une longue période d’incubation, au cours de laquelle elle passe d’une mort symbolique à une renaissance.
« Avant d’être reconnue en tant que telle, explique maître Guinéa, la talaâ est allée en pèlerinage à Sidi Chamharouch le sultan des djinns, dont la grotte se situe au sud de Marrakech-, à Moulay-Brahim, à Tamesloht, et à beaucoup d’autres lieux saints ».
Là, elle s’est imprégnée de leurs effluves sacrés et s’est isolée pendant un certain temps dans leurs khaloua, lieu de prière et de retrait, généralement une grotte qui préfigure le ventre maternel où s’accomplissent la mort et la résurrection symbolique de la néophyte. Généralement, elle se retire en prière pendant un mois, jusqu’au moment où le rêve divinatoire apparaît dans la dormition. C’est la raison pour laquelle la postulante a accompli son pèlerinage.
Si le rêve divinatoire n’est pas apparu cette semaine, il apparaîtra la semaine prochaine. Au cours de ce rêve, elle se voit devant un tribunal de génies présidé par leur sultan Chamharouch. C’est là qu’on lui ordonne d’accomplir tel ou tel autre rite : elle doit sacrifier telle victime, à tel endroit, et y organiser une lila. On lui demande d’accomplir beaucoup de rites, avant de lui accorder des dons particuliers, soit l’immunité contre le fer ce qui lui permettra de danser en état de transe avec les couteaux sans se couper, la capacité de danser avec le feu sans se brûler, ou encore celle de danser sur les débris de verre sans se blesser.
Dans ce dernier cas, elle égorge un pigeon et fait couler le sang sacrificiel sur les débris, puis jette la dépouille dans un endroit totalement isolé, par exemple à la mer. Dès lors, elle peut danser sur les débris de verre sans danger pour sa peau. Grâce à son plateau de cauris, elle détermine l’origine du mal et prescrit le remède qui guérira : soit un pèlerinage à tel ou tel autre marabout, soit l’organisation d’une nuit rituelle. Si elle prescrit une lila, c’est elle qui avisera le groupe de Gnaoua avec lequel elle a l’habitude de pratiquer la thérapie traditionnelle.
§ Les voyantes médiumniques
Sous la thérapie des femmes se dissimule une religion. En effet, à Tamesloht, le moussem met en scène l’opposition entre deux groupes de pèlerins : les Chorfa et les Gnaoua. Pour les Chorfa descendants de Moulay Abdellah Ben Hsein, cette manifestation du Mouloud est celles des tribus liées à leur ancêtre ; les Gnaoua y viennent par l’effet d’une greffe tardive. Ils sont tolérés à condition de rester dans les maisons et de ne visiter les lieux saints que pour apporter leurs offrandes.
Les Gnaoua ont une tout autre définition de la situation. Pour bien comprendre ce qu’ils font ici, il faut d’abord constater, que ce sont les femmes qui organisent les manifestations de leur confrérie à Tamesloht. Les musiciens Gnaoua qui les accompagnent sont là à titre d’assistants qui louent leurs « services » à ces talaâ. C’est là, d’ailleurs, la véritable structure de leurs pratiques pour autant qu’elles restent fidèles à la tradition africaine.
Cela, certes, n’apparaît pas au premier abord. Le spectateur de leur rite nocturne de possession, fasciné par ce « spectacle » de la transe « habitée », est avant tout sensible au jeu musical de ses animateurs. Il est tenté alors, de conclure que chez les Gnaoua, ce sont les musiciens qui sont les maîtres du jeu. En réalité, ici, comme dans tous les rites de possession, la gestion de la situation est assurée par les prêtresses du culte. Et ici comme ailleurs, les femmes, parce qu’elles sont tenues en marge de la religion des hommes, se sont donné secrètement une autre « religion » : la religion des femmes.
Qui consulte les voyantes ? Des gens souffrant de troubles attribués à l’intervention maligne d’êtres surnaturels qu’il va falloir identifier. La première démarche consiste à identifier l’agent surnaturel du trouble. C’est en état de transe que la voyante médiumnique est elle-même possédée par son Melk, qu’elle est en mesure d’indiquer au « possédé », l’entité qui le possède. Pour se faire elle a besoin de tout un « bricolage » rituel. Outre la présence des instruments de musique, il y a celle des deux accessoires sacrés : la tbiga et le hmal.
La tbiga est une corbeille d’osier contenant des étoffes ornées de cauris ainsi que sept encens : le benjoin noir, le benjoin rouge, le benjoin blanc, du bois de santal, du persil séché, des clous de girofle et, enfin, une prise de tabac dont la finalité est de faire éternuer les danseurs qui font semblant d’être en transe, ceux qui n’ont pas le hal.
Le hmal est constitué de deux baluchons de foulards aux couleurs des esprits qui seront évoqués durant la nuit rituelle. Il comprend également des tuniques aux mêmes couleurs dont se revêtiront les danseurs et les musiciens animant la nuit rituelle. Il comporte aussi des cannes de cérémonie, des poignards, des aiguilles et des bols traditionnellement dessinés à recevoir un mélange à base de farine de blé tendre qui sera consommé pendant la lila. Parmi ces bols figure celui de Sidi Moussa le marin. On note enfin la présence d’une gargoulette dont on se sert pour la danse des pèlerins.
C’est une voyante, la talaâ, qui a la charge de préparer ses accessoires. Le Gnaoui est, en général, au service d’une talaâ, qui prend en main l’organisation pratique du rituel, s’occupe des préparatifs pour le sacrifice et des accessoires que l’on vient de décrire. C’est à elle qu’on fait appel si quelqu’un tombe malade.
Aïcha Karbal, la femme de maâlam Guinéa, était une grande talaâ. Elle a légué son pouvoir de divination à deux de ses filles. L’une d’entre elles, Zeïda, nous parle, assise devant son alcôve où se trouve l’autel des mlouk, caché par un rideau de mousseline. Il supporte sept bols contenant les nourritures du melk.
Zeïda utilise aussi des cauris pour la divination car ils indiquent de quel génie le patient est possédé. Je sais s’il est possédé par Lalla Mira ou Sidi Mimoun. Chacun a sa couleur, son encens, son jour de la semaine et sa planète. Il y a la femme stérile a qui l’on demande de se ceinturer d’un fil de laine, et il y a celle à qui on recommande un coq sans sel cuit avec de l’huile d’olive et juste ce qu’il faut d’eau.
« Au moment de la consultation, raconte Zeïda, je suis moi-même possédée par mon melk, Bouderbala, le saint à la tunique multicolore, je me couvre d’une serviette rapiécée, je prends sa canne de mendiant céleste et son couffin. Ma sœur, elle, travaille avec les maîtres de la mer, les moussaouiyines.
Pendant la lila, ma mère avalait sept aiguilles et buvait un litre d’eau parfumée de rose. Puis, elle éjectait les aiguilles, l’une après l’autre, chaque fois qu’elle prédisait son sort à quelqu’un dans l’assistance de la lila. Moi, j’ai à peine la maîtrise du feu. Les flammes de quatorze bougies me lèchent les bras et les mollets, et je ne sens rien ».
Zeida appartient à une famille de Noirs venus du sud du Sahara, elle a hérité de sa mère, Aïcha Karbal, le métier de voyante-thérapeute et tout le matériel qui va avec, notamment les autels des mlouk.
Fatima, par contre, n’est pas l’héritière d’une tradition africaine. Elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui à partir d’un ensemble de troubles dans lesquels un ethnologue reconnaîtra un « recrutement par la maladie ».
La même distinction quant au recrutement se retrouve d’ailleurs chez les chamans dont certains le deviennent à partir d’une maladie initiatique alors que d’autres ont hérité de la charge.
La talaâ doit accomplir régulièrement un certain nombre de rituels et si elle ne le fait pas, elle risque, dit-on, de perdre ses capacités professionnelles et de retomber dans la maladie si sa carrière a commencé par une « maladie ».
Ces voyantes médiumniques, ces talaâ sont les héritières d’une vieille tradition, comme le constatait Édmond Doutté, au début du XXe siècle :
« J’ai retrouvé aux environs de Mogador, les devineresses qui prédisent l’avenir avec des coquillages, et que Diego de Torrès observait déjà en 1550. Ce sont des femmes berbères qui prétendent faire parler des térébratules fossiles ».
Léon l’Africain nous parle pour sa part de femmes qui « font entendre au populaire qu’elles ont grande familiarité avec les démons, et lorsqu’elles veulent deviner, se parfument avec quelques odeurs, puis (comme elles disent) l’esprit entre dans leur corps, feignant par le changement de leur voix que c’est l’esprit qui répond par leur gorge ». La fumigation de parfums, aux dires d’Ibn Khaldoun, met certains individus dans un état d’enthousiasme tel qu’ils prévoyaient l’avenir.
Abdelkader MANA
[1] Le sacrifice d’une victime a pour objet de mettre en relation le sacrifiant avec le sacré. Entre profane et sacré, homme et Dieu. C’est ce qu’exprime le terme arabe de « Qurbân » (sacrifice), qui signifie l’action de s’approcher de Dieu.
12:45 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique, psychothérapie, gnaoua | |
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Les Gnaoua : l'exorciste et la possédée
L’exorciste et la possédée
L’éclairé est celui qui est emporté par la parole divine,
le possédé est celui qui est atteint par les djinns, et le fou est celui qui est atteint dans son corps.
Je rencontre ce soir mon cousin Ahmed, l’aîné de ses frères et qui fait partie depuis la fin des années 1960 de la Tariqa Boutchichia, dont le maître spirituel se trouve à Madagh dans la fertile plaine de Triffas à la frontière algéro-marocaine, là où l’émir Abdelkader s’était replié après l’occupation de l’Algérie par la France en 1830. Je dis à Ahmed :
- Pourquoi tu as délaissé la fille que tu avais eue avec ta première femme originaire d’Essaouira ?
- C’est sa mère qui a toujours refusé que ma fille rencontre ses demi-frères que j’ai eus avec ma seconde femme. Elle ne cesse de me jeter des mauvais sorts, en enterrant mon sort au cimetière.
- « Comment l’as-tu su, alors qu’elle vit à Essaouira et que toi tu vis à Casablanca ?
- Par l’intermédiaire d’un fqih de Marrakech et plus précisément par son « khabir »…
- Qu’est-ce que ce « khabir », ce n’est pas Élie le Khadir ?
- C’est le djinn qui lui chuchotte à l’oreille ce qui se trame contre moi dans les cimetières d’Essaouira ».
Le fqih a le même pouvoir de voyance, grâce au Khabîr — l’équivalent de l’agent de renseignement chez les jnûn, puisque le mot Khabîr dérive des Mokhabarates, l’équivalent du Mossad et de la C.I.A. dans le monde arabe - que la voyante médiumnique des Gnaoua, qui, en état de transe devient le médium d’une entité surnaturelle parlant par sa bouche pour indiquer aux possédès consultants le diagnostic et le remède.
J’ai connu dans les années soixante-dix Larbi, le menuisier de notre quartier qui était épris de football, et qui avait fini par errer pieds nus dans les ruelles de la ville, jusqu’à ce que sa famille décide de le rapatrier définitivement à son bled d’origine dans les environs d’Essaouira. On disait alors qu’il s’était amouraché d’une femme voilée, et que celle-ci avait emprisonné son âme en l’enterrant sous forme de tortue au cimetière. Pour qu’il puisse retrouver la raison il fallait absolument deterrer la tortue enterrée vivante au royaume des morts.
L’univers des djinns fait partie de ce vaste domaine, de l’imaginaire collectif où il est difficile de faire la part du fantastique de celle de la divagation mentale. Par analogie, il est le reflet de notre monde débarrassé des obstacles de la vie réelle et peuplé d’entités « volantes » qui se métamorphosent à volonté en toutes sortes d’identités animales parlantes.
D’après l’exorciste gnaoui, un chat n’est pas un chat et un chien n’est pas un chien :
« Là-bas près de la montagne où a disparu Chamharouch, il n’existe pas de vrai chat, ni de vrai chien : si tu vois un chien, sache que c’est un melk, si tu vois un chat, sache que c’est un melk, si tu vois un serpent, sache que c’est un melk ; présente-lui ton taslim (soumission) et tu n’auras rien à craindre ».
Dans la croyance populaire, toute maladie est due à une entité surnaturelle malfaisante qui s’introduit dans le corps : le possédé est le « cheval » de l’esprit possesseur (melk). Dans ce cas, on recourt soit à la musicothérapie du groupe et c’est une « transe de possession », soit aux soins de l’exorciste pour expulser l’intrus et c’est une « crise de possession ». Cet état de transe est induit, par contagion ou par imitation au cours de la séance à laquelle le possédé assiste. C’est une possession non pas par des « esprits impurs » mais par les mlouk qui sont sacrés.
La captation de ces effluves bienveillants a besoin d’une théâtralisation rituelle accompagnée de musique pour faire « monter » le « saken » (l’habitant surnaturel). On n’intervient pas lorsque quelqu’un est saisi de transe ; il faut aller jusqu’au bout ; au bout de quoi ? Au bout de la crise, au bout des nœuds qui sclérosent le corps et l’esprit. Cette forme de conscience altérée et frappée de mutisme ; la parole lui revient lorsque les instruments de musique se taisent. Qauant à la possession par les esprits impurs, elle fait appel au sriî (séance d’exorcisme) pour expulser l’intrus.
On appelle « sriî », l’opération par laquelle les spécialistes qui manient les « autres gens » expulsent le djinn qui « habite » l’individu. Cette expulsion se fait par la négociation qui est, en fait, une cure par la parole et par la flagellation. D’ailleurs, l’une des acceptions du mot Sriî signifie « battre », « vaincre » quelqu’un, ici, ce quelqu’un est le jinn possesseur qui s’exprime par la bouche du possédé. La flagellation a pour fonction de provoquer la détente en libérant les tensions (en les « dénouant » dirait le magicien).
Deux conditions sont nécessaires et suffisantes au déclenchement de la crise de possession : la rencontre de la nya et du horm. La nya est un concept à double signification ; c’est à la fois l’intention de guérir et la croyance en l’efficacité du « bricolage mythologique ». La nya vaut l’acte : comme pour Spinoza « la pensée de Dieu, c’est déjà Dieu », pour la thérapie traditionnelle :
« Croire qu’on est guéri, est déjà la guérison ».
Le bricolage mythologique et l’outillage rituel ont pour fonction d’ancrer cette croyance. L’exorciste ne peut à lui seul, déclencher une crise de possession sur commande ; il est tributaire du parvis sacré de la zaouïa : le horm qui fonctionne comme déclencheur de crise ainsi que le divan du psychanalyste. Dès que les possédés franchissent l’enceinte sacrée de Sidi Yahya qui commande aux génies aériens, dont il fait lui-même partie ils se tordent aux pieds des maîtres des lieux.
C’est ce à quoi nous avons assisté à Marrakech ; la patiente est étendue et, à califourchon sur son ventre, l’exorciste gnaoui est assisté, pour la maîtriser, par ses auxiliaires humains et surnaturels. Nous avons assisté à une véritable séance d’accouchement-vomissement du diable par la voie orale. Le silence de mort qui règne parmi l’assistance, révèle l’angoisse d’être contaminé par l’invisible ; cela met au bord de la transe à laquelle on n’échappe que par le subterfuge de la rationalité et de la dérision.
L’enjeu consiste à arracher l’invisible aux entrailles de la victime. Même si ce n’est pas un accouchement naturel, il préfigure l’angoisse de la naissance que l’espèce a connue à l’aube de la vie.
« Chamharouch, ordonne l’exorciste, travaille avec les divins qui ont peur d’Allah. Les choses de Satan sont « haram » (tabou), celles de Chamharouch sont « halal » (licites) ».
La sourate des djinns dit :
« Il y avait des mâles parmi les musulmans qui cherchaient la protection des mâles parmi les djinns et ceux-ci augmentaient la folie des hommes ».
Le Sriî n’est possible que si l’exorciste, comme le ou la « possédé(e) » n’est plus qu’une écorce « charnelle » (khachba) dont l’âme est le jinn possesseur, et l’exorciste ne peut officier qu’au moment où il est lui-même « rempli » par les « autres gens ». Alors il entre en négociations ardues avec le diable en recourant tantôt à la menace, tantôt aux promesses ; c’est une suggestion à large spectre.
Non, il n’offrira pas au djinn en contrepartie de son départ le repas salé, mais le miel sucré dont Allah seul connaît le procédé de fabrication, mais le sang d’une victime expiatoire à corne et de préférence de pelage noir, mais la semoule des premières moissons que les Berbères mélangent à l’huile d’argan.
Pour expulser « l’intrus », l’exorciste use du pouvoir suggestif des mots. Car tous les champs de l’activité humaine sont entraînés dans le cercle magique des symboles et des mots. « Je veux qu’on transcrive le nom du djinn, dit-il, pour pouvoir l’emprisonner au tribunal de Chamharouch et en délivrer la jeune femme qu’il tourmente ». En agissant sur le nom, l’exorciste compte agir du même coup sur le djinn qui le porte. Il n’y a pas de distinction possible entre signifié et signifiant : ils se confondent comme la valeur et la marchandise dans la théorie de la fétichisations. Le concept populaire de faksa évoque l’effet psychologique de certains mots : ainsi le terme h’chouma relève beaucoup plus de l’anthropologie pathologique que son équivalent honte qui se rapporte plutôt à l’individu. Un simple mot peut déclencher la joie ou faire régner la tristesse ; par des « négociations avec l’invisible », l’exorciste guérit et par des incantations magiques les Regraga font tomber la pluie ou éloignent le sanglier qui s’attaque au maïs, aux moineaux qui s’enivrent de raisins et de figues.
On connaît l’importance du verbe chez les peuples sémites : le verbe est puissance et de la parole divine est né le monde. Il est représenté par le calame dont nous parle le Coran :
« Noun, Par le calame et par ce qu’ils écrivent ! Grâce à la faveur de ton Seigneur, tu n’es pas un possédé ! »
Cependant la parole à elle seule ne suffit pas : « il faut être initié et dire la basmala (formule de conjuration) si l’on veut guérir par la grâce d’Allah tout ce qu’on touche ; sinon, on risque de se faire mal à soi-même, explique l’exorciste, depuis mon jeune âge, j’ai été élevé par les jnûn ; c’est au pèlerinage de Sidi Yahya guérisseur des possédés que j’ai perdu la vue en nageant dans son lac hanté. Depuis, j’ai voyagé dans toutes les contrées du Maroc ; lorsque lesdjinns ont décidé que je devais être leur serviteur, je le suis devenu malgré moi. Depuis, je fais partie de ce « hal » et je possède le secret de ces gens ».
Les propos sur les djinns, ombres fuyantes de l’imaginaire, nous renseignent beaucoup plus sur celui qui y croit que sur les djinns eux-mêmes.
Abdelkader MANA
12:43 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : psychothérapie | |
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Télévision
LA MUSIQUE DANS LA VIE
Abdelkader Mana et le Maroc profond
Un travail télévisuel occulté
pour cause d’ « indigénat »[1]
Par JP Péroncel-Hugoz
Paradoxal Maroc ! D’un côté, la plupart de ses habitants se vexent si vous n’adhérez pas inconditionnellement à leur conviction selon laquelle le Royaume chérifien est « le plus beau pays du monde » ; d’un autre côté, nombre de choses de qualité made in Morocco - citons en vrac le cinéma, les livres édités ici, la médecine, les vins locaux, les vêtements de style occidental, etc. – sont méprisées par ces mêmes Marocains, alors que la production nationale peut en maints domaines aujourd’hui rivaliser avec les produits importés.
Cet autodénigrement, ce complexe d’infériorité expliquent que nombre de créateurs marocains soient obligés de s’expatrier s’ils veulent voir leurs talents reconnus sur leur propre terre – étant entendu qu’il se trouvera toujours une foule de leurs compatriotes pour leur reprocher ensuite d’avoir « déserté »... Pas étonnant que ce fin analyste de son peuple que fut Hassan II ait dit, à la fin de son règne, au journaliste britannique Stephen Hughues qui venait prendre congé au Palais, après cinquante ans passés au Maroc : « Oui, je sais, plus on vit parmi les Marocains, et moins on les comprend... »
Par exemple, il est incompréhensible, alors que des gestionnaires culturels marocains se plaignent sans cesse de la « rareté » de la production télévisuelle locale « de qualité », que des téléastes auteurs d’une œuvre de tout premier choix, déjà abondante, soient condamnés à végéter, à faire antichambre, à envoyer courriers et courriels auxquels aucun décideur ne répond, à voir programmer leurs films quand tout le monde dort... Je pense ici en particulier aux documentaires pour la télévision du sociologue rural et ethnosociologue ( pourtant formé à l’étranger chez les meilleurs maîtres du genre, notamment le professeur émérite Georges Lapassade !...) qui attendent dans les placards de 2M, et qui passent, si jamais ils passent, aux plus « mauvaises heures » ; documentaires qui n’ont même pas suscité la curiosité d’une chaîne comme Médi-1 Sat, pourtant grosse importatrice de reportages socio-culturels...
Soyons précis : je ne suis pas un ami ou un parent d’Abdelkader Mana. Je l’ai rencontré certes plusieurs fois lors de mes séjours nord-africains pour le Monde ou La Nouvelle Revue d’Histoire ou encore dans le cadre de la Bibliothèque arabo-berbère, collection de littérature orientaliste que j’anime depuis dix ans à Casablanca, chez l’éditeur Abdelkader Retnani. Cependant, ce n’est pas moi qui ai eu la chance d’éditer les ouvrages de Mana – car il écrit aussi, et bellement – sur les Regragas, Mogador, ou les Gnaouas.
Fruit d’une longue observation sur le terrain, de la réflexion née d’une authentique double culture arabo-européenne, l’apport écrit ou filmé de Mana à la création marocaine fait mon admiration et je m’en nourris chaque fois que je peux. Ainsi, afin de visionner chez 2M des œuvres inédites ou archivées de Mana, je suis allé jusqu’à affronter les diverses démarches bureaucratiques nécessaires pour obtenir une telle « faveur »...
Je ne l’ai pas regretté, ayant de cette façon pu enfin regarder quelques-uns de ceux des quatre vingt et un films de Mana que je n’avais jamais vus, sur la musique, la danse, les traditions, les pèlerinages, les terroirs, la cuisine, l’artisanat, l’architecture, la poésie, etc., etc.
Bref, le Maroc entier, depuis la Maison d’Illigh (déjà connue grâce aux recherches du regretté Pascon) jusqu’aux feux de l’Achoura, de la Grande Mosquée méconnue de Taza, au Rif non touristique, des Glaoua du Haut- Atlas, à la plaine atlantique et jusqu’au Sahara récupéré. Une œuvre chatoyante à plaisir, à la portée de tout public un tant soit peu captivé par le Maroc populaire réel, un espace resté vivant, loin des conurbations modernes où tout se délue et se corrode. S’ils sont bien conservés, ces films, tous guidés par la même idée de découverte et d’explication, feront sans nul doute partie un jour de la mémoire civilisationnelle du Royaume alaouite.
Dans tout autre Etat que le Maroc, les documentaires de Mana seraient déjà considérés comme appartenant de plein droit au patrimoine national, et on les vendrait au public dans des coffrets avec des textes du concepteur sur les sujets traités. C’est pitié de constater qu’il n’en n’est rien, qu’il faut veiller jusqu’aux petites heures si on veut attraper de temps en temps quelques images de Mana à la télévision. C’est archipitié de continuer pendant ce temps à entendre un tel ou une telle se plaindre étourdiment de l’ « indigence » de la création audiovisuelle marocaine...
Bon sang de bon sang, sortez donc de votre auto-dénigrement, donnez-vous la peine de vous pencher sur les productions « indigènes » ! Saperlipopette, elles en valent la peine. J’ai mis en exergue le seul cas Mana, car il m’a paru emblématique d’une situation particulièrement absurde – mais, bien sûr, ce cas est malheureusement loin d’être unique dans « le plus beau pays du monde »....
JP Péroncel-Hugoz[1] Article paru dans LIBERATION du Mardi 5 août 2008
La musique dans la vie”, une émission en voie de disparition sur 2M |
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Depuis 1998, et jusqu’à aujourd’hui, 2M diffuse et rediffuse, par intermittence, une série de documentaires ethnographiques sur les musiques du Maroc profond et inconnu. Cette émission intitulée “la musique dans la vie”, vise à restituer au Maroc musical, du Rif au Sahara, sa portée esthétique et identitaire en replaçant chaque genre musical, dans son contexte social, culturel et historique. Réduction Aujourd’hui, le constat amer est que feuilletons et autres sagas semblent avoir plus le droit de cité que les documentaires sur le patrimoine marocain. En effet, le nombre de documentaires planifiés en 2001 fut réduit de moitié -passant de 8 à 4 documentaires par an- et la rémunération par documentaire de l’ethnomusicologue qui en supervise la production fut également réduite de moitié. Illusion Le patrimoine marocain a droit à notre respect, et les téléspectateurs ont droit à un produit de qualité. La chaîne n’aurait pu maintenant rediffuser les anciens documentaires s’ils n’étaient pas de qualité. Or si jadis, on a pu produire des documentaires de qualité, c’est parce que la ressource humaine “pouvait s’épanouire localement sans avoir à chercher ailleurs”. Un documentaire a un coût, un temps nécessaire à sa production et une qualification requise de ses producteurs. En deça de quoi, on peut tout produire, sauf un documentaire. |
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Article paru à "Maroc-Hebdo" |
Le magazine de la deuxième chaîne ne signe pas les articles que je lui confie
et qui sont des extraits de mes commentaires à cette série documentaires
Documentaires diffusés par la 2M
La musique dans la vie: les cantatrices du désert
Sektou, la plus belle des voix !
Nul ne peut égaler son jeu de harpe
C’est sa belle voix qui ouvre les veillées musicales du désert
C’est à la digne héritière du grand Saddûm Wall N’dartou
Que je dédie mes poèmes !
Le modèle des cantatrices du Sahara est incontestablement la célèbre Sektou qu’évoque le poète. C’est au 18ème siècle que Saddûm Wall N’dartou allia la forme poétique de la qasida à un nouveau style musical divisé en deux voies, l’une blanche et l’autre noire.
Le premier style musical est de caractère arabe et le second est inspiré de la musique des noirs. La cantatrice accomplie se reconnaît à la parfaite homogénéité qui existe entre sa technique vocale et instrumentale. Non seulement sa harpe parle clairement, mais aussi elle imite parfaitement la harpe avec sa voix.
Au Sahara, la harpe, dénommée "Ardine" est du domaine féminin, et le luth dénommé "Tidinite" est du domaine des hommes.
le grand retour de l'émission "La musique dans la vie", à 2M
LE CHANT DES DUNES
Par Taieb CHADI
"La musique dans la vie" est de retour sur 2M. Lors de sa diffusion en ramadan dernier sur l'antenne de la deuxième chaîne, l'émission de l'écrivain Abdelkader Mana n'est pas passée inaperçue. Ce mois de mai, " La musique dans la vie" revient avec deux documentaires sur les musiques du Sahara marocain
.
Le premier intitulé " Le chant des chameliers", consacré aux musiques de Oued Noun a été diffusé le 7 mai ; le deuxième, "Les poètes errants" qui rend hommage à la poésie nomade de Sakiet al Hamra, sera diffusé le14 mai prochain.
Abdelkader Mana et son équipe ont essayé de remonter la légende des chants des chameliers. Celle qui prétend que Oued Nouq ( La rivière des chameliers) était la porte du Sahara.
Au Sahara marocain, " Le chant des chameliers" est appelé "Al Hoaul". Ce vocable hassani désigne doublement le forte émotion et la terreur sacrée que provoque le sentiment d'esseulement et de solitude face au grand néant peuplé de dunes de sables et de silence éloquent. "Al Haoul", c'est donc cette poésie qui raconte et décrit, l'amour du chamelier pour sa bien aimée, nomade. Le "pauvre" chamelier se recueille religieusement devant ses vestiges. Il se rappelle, se lamente devant des ruines. Celles de sa bien aimée. ça nous rappelle " Al Atlal" , prologue classique des grands poètes de l'ère de Jahilia ( avant l'avènement de l'Islam). À ces chants, assure Ghazali, même les chameaux ne restent pas insensibles. En les entendant, ils oublient le poids de leurs charges et la langueur du voyage, "ils étendent leur cou et n'ayant plus d'oreilles que pour le chanteur (...). Ils sont capables de se tuer à force de courir".
À travers cette émission, Abdelakader Mana a sommairement retracé l'histoire des caravanes et des caravaniers. Il y a des années, hommes et troupeaux étaient obligés de parcourir jusqu'à mille kilomètres. Leur carrefour étaient Souk Mhirich qui se tient toujours chaque Samedi à Guelmime. Jadis, marché de dromadaires où les commerçants de la Mauritanie comme ceux de Mali troquaient leurs marchandises. Ce souk était aussi un lieu d'échange culturel ce qui a donné lieu à un métissage. Ce métissage est encore observable chez les Ganga de "Borj Bayrouk" ou l'on joue à la fois du tambour africain que de la flûte et du "bandir" berbère. Quant aux chants, ils sont scandés en dialecte hassani.
Sur le plan des instruments de musique, On distingue à Oued Noun la flûte oblique, appelée "Zozaya et la Gadra pour la percussion, tandis que à Sakiet al Hamra, on recourt à la flûte traversière, dite "Nifara" et la "Tidnite", instrument à corde typique aux griots de mauritaniens.
Donc entre la musique d'Oued Noun et Sakiet al Hamra, il y a au moins deux points en commun : la poésie hassani qui jouit d'un grand prestige, et le "Tbal", grosse timbale-instrument semi-sphérique qui peut atteindre un mètre de diamètre.
£"La musique dans la vie" offre aux téléspectateurs l'occasion d'aller à la rencontre de la poésie et la musique du désert.
MAROC-HEBDO
Numéro 322 du 9 au 15 mai 1998

Lundi 9 janvier à 15h20. Mardi 10 janvier à 01h55.
Aux premières approches du printemps, lorsque la température se fait plus douce, que les cols de l’Atlas sont débarrassés de leurs neiges et que les troupeaux, bien nourris, donnent un lait abondant, des troupes ambulantes de poètes berbères descendent des montagnes vers la plaine. La troupe se compose d’un boughanim (l’homme à la flûte), joueur de flûte, musicien, bouffon, baladin qui représente dans la troupe l’élément comique, et de deux Imdyaezn ou poètes ambulants sachant se servir habilement du tambourin à peau unique, allun.
Le répertoire des aèdes (Imdyaz) est intiment lié par son contenu à la vie agricole et pastorale :
L’amour m’habite comme une corvée des moissonneurs
Qui manient les grandes faucilles du Tadla
L’amour m’habite comme un attelage de chameaux
Laboureurs ou pâtres dressent leurs tentes
Mais restera sans foyer le tambourinaire
La vie pastorale scande ainsi les saisons et les jours depuis le Dir (Pièmont) à la charnière da la plaine du Tadla jusqu’aux cimes enneigées du Haut Atlas central. Souvent une même faction occupe plusieurs étages écologiques avec un territoire en montagne et un territoire en plaine. La maison en plaine pour la période des activités agricoles (semences, labours, moissons), et la maison en montagne pour le pastoralisme. Il a fallu aux français vingt ans d’opérations militaires pour assurer la pacification de la région la plus difficile, l’Atlas central, qui a constitué le foyer permanent de la dissidence anti-coloniale.
Partout où il neige, la vie devient impossible en hiver. Les montagnards descendent alors dans la zone plus basse de l’Azarar. La stratégie militaire de la colonisation française consistait à bloquer ce mouvement de va et vient séculaire entre la montagne et la plaine en empêchant les pasteurs nomades de descendre en hiver des zones d’alpage vers l’Azarar. Tandis que l’armée française occupait l’Azarar, les pasteurs nomades se réfugiaient avec leurs troupeaux dans le Haut-Atlas. Les moutons moururent ainsi par centaines pendant le rigoureux hiver 1922-23. Et c’est une population très appauvrie qui dut alors faire acte de soumission pour recouvrer ses terres de labour. Ces déplacements saisonniers, qui amenèrent les tribus à plus de 100 kilomètres de leur habitat, n’ont pas seulement un simple intérêt géographique puisqu’ils éclairent d’une vive lumière toute l’histoire du Maroc.
Pendant la phase initiale de la conquête militaire, les cavaliers marocains avaient constaté l’effet désastreux qu’avaient fait les obus d’artillerie sur la cavalerie lorsqu’elle chargeait en masse compacte, notamment dans le Tadla.
Quand explose la bombe en plaine
Les cavaliers s’enfuient au galop
Comme lorsque fond le chacal sur le troupeau
C’est la montagne qui t’informe, ô col du genévrier
Voilà le Roumi qui se dresse devant vous
Est venu le temps de le combattre
Deviens rebelle montagnard
Monte au delà, préférable est la gelée blanche
A la domination du chrétien !...
S’il ne sait mettre baïonnette au canon
Affectons-le donc à la garde des moutons !
Les deux principales danses de l’Atlas sont l’Ahouach et l’Ahidûs. A l’est et au nord de l’Atlas, c’est le pays de l’Ahidûs, à l’ouest et au sud, c’est celui de l’Ahouach. La frontière précise entre les deux types de danse passe par les sommets de Rat et de l’Ighil M’Gin, à l’est du pays des Aït M’Gun.
Ahidûs et Ahouach ne sont que deux des nombreuses formes musicales connues par les berbères de la montagne. Ahidûs et Ahouach ont en commun d’être de la musique du village, chantée par des chœurs, accompagnés par une batterie de tambours sur cadre et de claquements de mains.
Le boughanim (homme au roseau) des Aït Bouguemmaz qui nous a servi de fil conducteur, joue d’une clarinette double en roseau (aghanim) qu’il utilise pour la danse mais aussi comme instrument d’appel. En se rendant sur la place du village, il signale sa présence, ainsi que celle de ses compagnons aux gens du village et les invite à se rassembler. Les Imdyazen qui l’accompagnent sont à la fois poètes et musiciens. Ils sont issus pour l’un de la tribu des Aït Abbas et pour l’autre de la tribu des Aït Bouwali.
Chaque année, ils empruntent un des itinéraires traditionnels qui leur fait visiter les principales tribus de la montagne. Lorsque la troupe est arrivée au pied de l’Ighrem – qui sert à la fois d’abri aux habitants, et de grenier fortifié pour les grains et les provisions car les transhumants n’emportent dans leur déplacement hivernal que la plus faible partie de leur récolte, Boughanim vante les qualités et la générosité du maître des lieux. C’est que leur mémoire garde précieusement le souvenir de ceux qui, dans leurs précédentes tournées, auront eu la main large.
La musique dans la vie: Idernan, la fête de l'Anti-Atlas
Samedi 13 mai à 14h10.
"A l’herbe des prés, l’amandier en fleur a dit : A quoi bon désirer l’eau ? ش fleur, voici l’abeille !"
Lorsque les amandiers en fleurs donnent aux vallées de l’Anti-Atlas leur aspect presque riant, et au moment où commence le gaulage des olives, la fête des Idernan a lieu juste après le jour de l’an du calendrier julien. C’est "Rass El âm", cette "porte de l’année agricole" qui s’ouvre au premier jour du calendrier julien –correspondant au 13 janvier – et donne le coup d’envoi des fêtes saisonnières qui permettent aux vallées de l’Anti-Atlas de passer progressivement de la léthargie hivernale à la renaissance printanière. Comme les petites pousses en cette période ont besoin de pluie, ces rituels sont en fait autant de prières de rogations.
Pour assister à la fête des Idernan, nous nous sommes rendus au village de Tagdicht, au sommet de Jbel El Kest qui surplombe Tafraouat et la célèbre vallée d’Ammeln. Le village escarpé de Tagdicht fait partie de la tribu des Aït Smayoun qui fêtent les Idernan après Igourdan et Taguenza. Et voici, selon le chef du village, pourquoi cette fête commence à Igourdan : "Il y avait la famine, et on guerroyait entre villages, entre tribus. Les Ouléma du Souss se sont alors réunis à Igourdan.
Ils ont cherché à établir une trêve pour que les gens puissent faire leur marché en paix. Ils ont appelé cette trêve, la trêve d’Idernan. Deux représentants de chaque douar avaient signé ce pacte qui stipule que quiconque veut aller à un douar ne doit pas être porteur d’une arme. Cette fête mettait aussi fin à l’opposition entre le "leff" des Tahougalt et celui des Tagouzoult.
Ces deux "leff" ont toujours été en opposition dans le Souss. Idernan est donc venu comme une fête qui marque la fin des hostilités entre les deux "leff". On fête Idernan en offrant des crêpes aux invités. Les femmes arrivent le jeudi, les hommes le vendredi. On commence à danser l’Ahouach l’après-midi et on termine tard le soir."
Au jbel El Kest, les Aït Smayoun célèbrent la fête des beignets, une fête que célèbrent aussi, à tour de rôle, la plupart des tribus de l’Anti-Atlas ; les Ammeln, les Aît Souab, les Ida Ougnidif, les Ida Ou Samlal, les Ida Ou Baâkil... La fête des Idernan (beignets faits de pâte molle que l’on cuit dans un plat à pain enduit au préalable d’huile d’Argan) commence chez la tribu des Ida Ou Samlal le 15 janvier.
Les autres tribus la célèbrent à leur tour et cela dure jusqu’à la mi-mars. Chez les Aït Souab, on fête les Idernan le 12 février. C’est une fête qui dure trois jours : le jeudi, le vendredi et le samedi. Au second jour de la fête, la fraction se réunit en un lieu choisi et y fait Ahwach.
Après avoir mangé ses Idernan, la tribu se rend à la grande place d’Assaïs pour y chanter, danser et faire ses vœux. On dit alors : "S’il pleut au moment d’Idernan, l’année agricole sera bonne, parce qu’à cette époque, l’orge a soif".
Autre coutume de ces tribus de l’Anti-Atlas : la fête annuelle des R’ma, confrérie de tireurs. Les membres de chaque faction se réunissent chez leur chef et exercent leur adresse après avoir festoyé et psalmodié la prière d’usage. Cette tradition des R’ma est en voie de disparition parce que dans ce creuset de l’émigration, dans beaucoup de villages, il ne reste plus au pays que les femmes et les enfants.
Les hommes qui vivent du commerce dans le villes côtières et à l’étranger reviennent pour cette fête saisonnière pour marquer leur attachement à leurs racines culturelles, mais ils ne sont plus les dépositaires des traditions culturelles locales : Ils font appel pour l’Ahouach à des hommes venus de tribus qui sont restées plus attachés à la terre nourricière. Les femmes particpent à la fête en se couvrant du "Chach", ce voile collectif qui semble être une tradition inspirée par les zaouias et les vieilles écoles coraniques de la région. Ce voile collectif imposé par les hommes limite l’expression chorégraphique des femmes.
Le Souss se répartit ainsi en deux sortes de tribus : celles dont l’Ahwach des femmes se déroule sans voile et qui excellent dans la danse et le chant tel "Ighrem". Et celles dont l’Ahouach des femmes est recouvert d’un voile collectif comme on a pu le constater à Aït Smayoun. Ici le corps des femmes est marqué d’interdits. On nous a même empêché de filmer les femmes spectatrices ainsi que l’espace intérieur réservé aux femmes. De manière symbolique, le seuil (Atba) marque encore la limite à ne pas franchir.
Grâce à ce fabuleux voyage dans l’Anti-Atlas, pays des Agadirs et des Ighrems, greniers collectifs séculaires, nous rendons hommage à l’enfant prodige du pays : le poète Mohammed Khaïr-Eddine et au grand Mokhtar Soussi.
La Musique dans la vie: Au bord de la Moulouya
En ce mois d’août, une série de documentaires ethnographiques nous convie à découvrir le patrimoine musical de quatre régions du Maroc rural. En replaçant chaque fois ces musiques dans leur contexte historique et culturel, on découvre un Maroc à la fois mystérieux et attachant et, en fonction du mode de vie, les cadres sociaux de la mémoire changent d’un contexte à l’autre. Au bord de la Moulouya, dimanche 24 août à 00h10.
Echappée aux plis orientaux du Moyen Atlas où elle a sa source, la Moulouya irrigue de riches oasis, qui interrompent la monotonie désolée de ces steppes de l’Est, ce pays de l’armoise et du vent. C’est par ces paysages steppiques aux environs de Guércif, que commence véritablement, l’Oriental marocain, qui s’oppose par son aridité aux plaines verdoyantes et humides du Maroc atlantique. Ici, on ressent davantage, les vents d’Est de la steppe que les vents d’Ouest du Gharb.
C’est le territoire des Hawwâra Oulad Rahou, ces pasteurs nomades, attestés à l’Est de Taza, bien avant l’avènement des Idrissides. Ils firent partie des premiers berbères Zénètes qui accompagnèrent Tariq Ibn Ziad dans sa campagne de L’Espagne. Guercif n’est que le centre d’échange entre le Tell et les Hauts Plateaux. Son intérêt de lieu d’échange entre Maroc occidental et Maroc oriental prendra davantage d’ampleur avec la construction maghrébine.
Ce passage de l’Algérie au Maroc occidental, a été suivi par toutes les migrations en provenance de l’Est, y compris celle des Hawwâra Oulad Rahou, cet ilot arabophone d’origine Zénète. Gercif est un toponyme berbère qui signifie «Lieu de rencontre entre deux oueds»; celui de la Moulouya et celui du Melloulou, qui irriguent oliveraies et jardins potagers alentour.
La Musique dans la vie: TAZA SENTINELLE DU MAROC ORIENTAL
(1ère partie) Dimanche 6 juillet 2008, à 00h00
(2ème partie) Dimanche 13 juillet 2008, à 23h25
Taza est l'un des rares sitesoù l'on peut témoigner de la continuité de la présence humaine
depuis la préhistoire.Les grottes de Taza étaient habitées dés le néolithique, comme l'attestent
les fouilles de la caverne de Kifane el Ghomari.On peut parler ici, d'un véritable complexe
archéologique, comprenant des cavernes qui étaient habitées par l'homme ancien et que nous
appelons les troglodytes de Taza. Lorsque l'Islam s'implante au Maroc, Taza avait déjà un long
passé: elle était à tout le moins, l'Agadir et la nécropole d'une tribu ou d'un groupe de tribus berbères. La seule chose sûre est que Taza est antérieure à l'islamisation du pays, soit à l'an 800.
Taza existait déjà lorsqu'Idriss 1er s'installa dans le Maroc du Nord: il passera à Taza, peu avant sa mort, en 790.
Les traditions locales attribuent la construction de Taza aux Miknassa. Tous les historiens musulmans s'accordentà dire qu'à l'emplacement de Taza, il y a eut d'abord un Ribât. D'après Ibn Khaldûn, ce Ribât, sorte de forteresse aux frontières occupée par les volantaires de la foi, a été fondée par les Meknassa du Nord, sous le règne d'Idriss 1er(788-803) qui islamisa les Ghiata et autres tribus berbères de la région de Taza.Le Ribât de Taza qui a servit de fondement à la ville du moyen-âge ne devait comprendr, en fait de constructions, que l'enceinte en pierres et une mosquée, dont le minaret de Jamaâ el Kébir serait le seul vestige. Les pieux guerriers, chargés de défendre les frontières de la terre d'Islam, vivaient sans doute à l'intérieur des murs.Après la prise de possession par l'Almohad Abdelmoumen, le Ribât devient une ville qui porte le nom de Ribât de Taza.Les travaux auraient été ordonnés par Abdelmoumen, en 1135. du point de vue archéologique, le passage des Almohades est marqué à travers deux monuments historiques essentielles: la grande mosquée de Taza et le grand rempart qui l'entoure. L'enceinte enveloppante était selon les chroniqueurs, tel le halo encerclant la lune.
En berbère, le toponyme de Taza signifie: l'Agadir, le magasin collectif perché sur un éperon facile à défendre. Cet éperon rocheux, tout creusé de grottes, domine des plaines et des vallons riches en eau courante, a de très bonne heure retenu les hommes. Le seul passage étroit entre le Rif et le Moyen Atlas était le lit de la rivière Innaouen qui passe au pied du piton rocheux sur lequel on avait construit Taza. D'où l'intérêt stratégique de cette dernière qui conbtrôlait ainsi le passage entre le Maroc oriental et le Maroc occidental. Elle pouvait obsruer le passage à l'ennemi héréditaire venat de l'Est. C'est dans la région de Taza que se trouvent les premières tribus berbères arabisées et islamisées du Maroc, que sont les Tsoul, les Ghiata et les Branès.Ces derniers sont cités par Ibn khaldoun comme faisant partie des premiers berbères que sont les Botr et les Branès. Les Ghiata et les Béni Waraïn représentent les vieilles populations stables de ces montagnes.
LES BRANES AU TEMPS DES MOISSONNEURS
Dimanche 27 juillet 2008, à 23h35
L’oued Lahdar traverse tout le pays Branès, depuis l vallée de l’Innaouen jusqu’au mont de Taïnest. C’est l’un des principaux affluents qui se déversent depuis les contreforts rifains sur l’oued Innaouen au fond de la trouée de Taza. De même que le drainage rattache le couloir de Taza au Sebou du côté Ouest, il le rattache au Moulouya du côté Est. La vallée de l’oued Innaouen recueille ainsi toutes les eaux du pays au niveau du barrage Idriss 1er. Cette brèche est une ligne de partage des eaux.
La route et le chemin de fer de Fès à Oujda via Taza, passent par la voie de l’Innaouen. En 1914, pour obtenir, cette jonction entre Maroc Oriental et Maroc Occidental, il a fallu à la France, non seulement vaincre les obstacles naturels, mais briser par la force la résistance des nombreuses tribus environnantes dont celle des Branès.
Au moment de la conquête Arabe les plus importantes confédérations de tribus Branès sont, selon Ibn Khaldoun, celles des Awraba, des Houara et des Sanhaja, qu’on retrouve encore aujourd’hui au voisinage de Taza.
La tribu actuelle des Branès est un résidu de l’une des deux grandes familles qui ont constitué la nationalité berbère : Les Botr et les Branès. Ibn Khaldoune revient soouvent sur cette dichotomie, qui lui sert à la fois à classer les tribus et à ordonner l’histoire du Maghreb, lorsqu’il évoque les évènements de la conquête arabe à la fin du 7ème siècle. C’est à ce moment là qu’entre en scène le chef berbère Koceila qui appartient au groupe ethnique des Branès et à la tribu des Awraba. Koceila est l’un des trois héros de l’histoire de la conquête, avec Oqba et la Kahéna. Grisé par sa victoire, Koceila s’empara de Kairouan en 683. L’armée arabe le pousuivit jusqu’au Moulouya, et ses soldats Awraba ne s’arrêtèrent qu’à Volubilis. Beaucoup d’entre eux, iront par la suite s’établir dans la reégion de Taza où on les trouve toujours, dans cette contrée verdoyante du pré – Rif, où poussent drus l’herbe et le bois épais.
Ici, chanter, c’est semer la parole sage. Le poète, tel le journaliste de la tribu, traite de toutes les préoccupations de la vie quotidienne : cherté des prix « qui brûlent au souk », pénurie d’eau, sécheresse, ou encore conflit du Moyen-Orient.
ABDELKADER MANA
Article paru dans la page "Temps forts" du magazine de la deuxième chaîne.
Découverte | |
Le couloir de Taza, «route des Mérinides» | |
Une région stratégique et historique où s'est joué le destin du pouvoir suprême | |
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| Par Abdelkader Mana* | LE MATIN *Ethnomusicologue |
Toute une série documentaire de «La musique dans la vie» est diffusée cet été sur 2M. Elle est consacrée au fameux « couloir de Taza » et à son arrière-pays ; une région stratégique et historique où s'est toujours joué le destin du pouvoir suprême des différentes dynasties qu'a connues le Maroc. C'est aussi le premier lieu de l'arabisation et de l'islamisation du Maghrib El Aqça. Le couloir de Taza, comme lieu de passage obligé entre l'Est et l'Ouest du Maghreb, en faisait aussi une étape où s'arrêtaient des personnages de renommée comme le poète Lissan Eddin Ibn El Khatib, qui y est venu d'Andalousie avec ses coutumes, ses traditions et sa culture. Ainsi que le célèbre séjour du grand voyageur Ibn Battouta, lors de son retour de Chine. Par Abdelkader Mana* | LE MATIN *Ethnomusicologue Publié le : 15.08.2008 | 16h45 | |
12:39 Écrit par elhajthami dans Télévision | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |
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Télévision
Autant en emporte le vent
Autant en emporte le vent[1]
Le soir même du samedi où la télévision devait transmettre en direct d’Essaouira son show musical j’y ai fait un saut . Les musiciens de la ville m’ont parlé d’une seconde mort de Ben Sghir, le poète du malhûn de la ville. On m’a dit que Souhoum, grande autorité en la matière a supprimé la qasida de la « chamaâ » de Ben Sghir qui était prévue au programme. C’était une flamme qui s’était éteinte. D’autres ont invoqué le facteur temps pour expliquer cette suppression. Je me suis rendu compte du manque de culture de ces musiciens de la ville qui ne connaissent ni Ben Sghir ni son aurore (Lafjar). Ce qui les intéresse c’est d’apparaître à la télévision. Ils ont une vision commerciale de la culture. Ils n’ont pas l’amour du Malhûn comme l’ancienne génération qui vivait au temps où il n’y avait ni phonographe ni télévision comme le chantait le Rzoun de l’Achoura :
Pourquoi donc avez-vous remplacé,
Les chanteurs du malhûn par le phonographe ?
Nous avons demandé à M. Souhoum pourquoi il a supprimé le melhûn souiri du programme ? Et voilà ce qu’il nous a répondu :
- Le chanteur qui devait présenter la qasida a une voix faible : nous voulons ressusciter Ben Sghir, faire revivre le patrimoine mais sur la base de règles saines et de belles voix.
Khalili, un chanteur du malhûn local réplique :
- Essaouira, n’est pas seulement un simple entrepôt, c’est aussi une ville de culture qui a connu en son temps le malhûn. La raison qu’invoque Souhoum concernant la mauvaise voix du chanteur, ne justifie pas la suppression de la qasida. De toute manière, c’est au public de juger.
On veut faire connaître les provinces à travers la télévision, mais on étouffe la culture locale. On a finalement assisté à un show de variétés nationales avec les vedettes habituelles, mises en scène par le charqi (vents alizés) : le vent qui balaie les odeurs semblait balayer ce soir la mauvaise musique. Une soirée surréaliste, avec des images abstraites qui défilent de temps en temps sur l’écran, et quand c’est au pire on montre le lorgnon de la Scala. Si on veut présenter un défilé de variétés, ce n’est pas la peine de les déplacer à Essaouira ; ils seraient mieux dans un bon studio à Rabat. Jusqu’à 23 h 10, toujours pas de culture régionale.
On critiquait le vent d’Essaouira et maintenant, on s’en réjouit parce qu’il est devenu le vent de la critique qui balaie ce qu’il ne lui convient pas, c’est-à-dire ce qui échappe à sa culture. De même que le vent d’Essaouira n’existe que dans le microclimat d’Essaouira, sa présence frondeuse était la manifestation permanente de l’âme de la ville. Comme une sorte d’ironie permanente, de moquerie, un téléspectateur de la ville me dit en montrant la chanteuse étoilée avec le diadème de perles : « celle-là, vient du mellah ! »
Dans la ville, certains disent que Sidi Wâsmîn, dans sa sainte colère, faisait trembler le djbel Hadid pour secouer le pilon de la télévision, empêchait la transmission de la soirée. Cela donnait un spectacle étonnant sur le petit écran : les chants de nos vedettes nationales, cheveux au vent, étaient constamment entrecoupés de formes abstraites, de zébrures, et autres désordres. Puis réapparaît le lorgnon fixe de la Scala.
Mohamed El Idrissi nous chanta deux longues chansons dont l’une s’intitule : Mazal al hal (encore le temps). Le chanteur crispé sur scène, se voûtait sur son luth, chantant des paroles insipides, comme un défi lancé par l’ignorance des métropoles à la culture profonde du pays. On attendait l’Aïta des Chiadma et l’Amerg des Haha comme trésor culturel des plaines enserrées entre la montagne et l’océan. On ne soulignera jamais assez la beauté intense des vieux chants populaire de notre patrimoine.
Au lieu de faire apprécier le Rzoun plein de trouvailles poétiques, on nous déversa ce qu’il y a de plus plat dans le menu quotidien de la télévision. Quand on voit miauler et racler les violons orientaux ils font durement regretter le kamandja de Badenni chantant à khobbaza son éternel refrain :

« L’amour, l’amour,
C’est pour toujours ».

Quelqu’un me réplique :
- Mais non, Idrissi est très bon, et Badenni n’est qu’un sauvage du Mellah.
Grâce à Nass el Ghiwane, l’ambiance musicale change complètement. Tout a en effet changé vers minuit avec l’arrivée des jeunes Ahouach . Sidi Wasmin était très content dans sa montagne. Il arrêta le vent. Lalla Beit Allah tendit l’oreille à une musique aussi belle. Enfin, le décore est devenu sobre : on dirait que les cadreurs ont changé de regard ; ils ont retrouvé le port. On retrouve enfin Essaouira et sa musique. Mais les Hamadcha et les Gnaoua furent vite expédiés du plateau de la télévision.
La télévision a un pouvoir hégémonique fondé sur la technique. Je quitte l’écran pour aller au port. La ville est vide. Tout le monde est devant son écran. Enfin, on voit le port autrement que ce qu’à la télévision . L’œil de verre de la télévision impose sa vision des choses. Elle produit la nouvelle culture de masse, avec une « écurie » de chanteurs et chanteuses. La télévision se livre à un travail d’homogénéisation en éliminant les particularités locales, en imposant un système de valeur aseptisé et médiocre. À Essaouira comme partout, c’est la télévision en tant que monstre machinique qui a pris le pouvoir.
Le metteur en scène, expédiant rapidement les Gnaoua et les Hamadcha du plateau, les traite comme des sauvages . La culture pour eux, ce sont les permanents de la télévision. Ils sont à la remorque d’une égyptianisation que le mouvement folk des années soixante-dix n’a pas réussi à exorciser. Le pouvoir médiatique a tendance à figer la réalité en la momifiant. La télévision unifie la diversité des cultures locales en la gommant et en la folklorisant. La folklorisation est une muséification de la vie. Comme dans un musée, on a une espèce d’épouvantail à moineaux à la place d’un être vivant qui portait un costume au passé. De la même manière la musique locale est dévitalisée.
La méconnaissance des fonctionnaires déracinés des médias, à la fois du cadre et des acteurs de la culture locale conduit à une présentation décolorée et sans attrait du produit local. On expédie les Hamadcha en une minute, comme si on montrait dans une foire agricole une rondelle de saucisson à déguster. Pour eux, vu de Rabat, Essaouira est un petit patelin perdu avec des nègres qui font du tapage nocturne à l’aide de tambours et de castagnettes en fer. Ils opposent leurs violons monotones qui font regretter le Ribab des Raïs de la montagne. On retrouve là, la problématique soulevée au colloque de Taroudant sur le statut de la culture populaire où l’on a vu des clercs énoncer quelques énormités du genre : « Les chikhates et compagnie, ce n’est pas de la culture ».
La télévision crée un nouveau système culturel : une standardisation de la culture, une vedettarisation des acteurs et des chanteurs et un regard médiatisé. Exemple : au port, le beau décor était fait pour être fixé par l’œil de la caméra, pour des plans de coupe et non pour être regardé par les gens au port. La télévision domestique le réel. Elle l’ajuste aux exigences du récepteur. Et alors, ce qui ne rentre pas dans ce cadre est éliminé. Surtout la culture populaire qui est un spectacle total, qui n’est pas fait pour être directement appréhendé par la télévision.
La culture populaire doit être consommée sur place et sans médiation. Elle passe mal à la télévision, même modernisée comme le folk. Les cadreurs sont entraînés à prendre et à faire ressortir sur l’écran, les violons d’un orchestre de la Radio Télévision Marocaine. Alors qu’ils ne mettent pas en valeur ces instruments populaires. Une musique rituelle est massacrée par la télévision, parce qu’elle ne supporte pas d’être mise en scène par les autres, qu’il lui faut du temps pour faire monter le hal (transe). Le temps du rituel est cosmique, mesuré par les astres et non par les horloges. Mais le temps de la télévision est chronométré. On donne une minute aux Hamadcha qui ont l’habitude de créer un climat par une lente progression.
Un Souhoum expert en culture populaire est venu spécialement pour commenter ce spectacle, selon le projet de mise en valeur des cultures régionales, est lui-même éliminé avec sa verve au bénéfice dune starlette télégénique et stéréotypée, rodée à l’art de présenter les spectacles de variétés à la télévision. Cette série d’émissions voulait en principe valoriser les pratiques culturelles et musicales localisées. Mais tout cela est déclassé par un même spectacle de variétés qui se déplace d’une ville à l’autre. La part du lion revient ainsi fatalement à « l’écurie musicale » de la télévision.
Dans le port, samedi soir, certains spectateurs tournaient le dos à la scène pour regarder l’écran d’une télévision placée pour le contrôle. Ils regardaient alors et avant tout la « télévision ». Comme le dit McLuhan : « le message, c’est le médium ». Ce n’est pas le contenu du petit écran lui-même, en tant qu’il a capté et digéré l’événement. Tout devient spectacle télévisé contemplé par l’œil tyrannique de la caméra, qui vous impose son regard. On voit désormais les choses à travers l’œil de la télévision.
À Safi, pendant le festival, j’ai vu un halaqi sur une place populaire racontant les événements du jour. À un moment donné, il nous a dit :
- Maintenant, j’ai fini ma journée, je vais rentrer chez moi dire à ma femme de préparer le thé et regarder tranquillement les gens qui se tuent à la télévision. Il nous a confessé ensuite que, naturellement, il était trop pauvre pour avoir la télévision et que, s’il l’avait, il ne serait pas sur cette place à nous proposer son beau spectacle. Quand tout le monde aura la télévision, il n’y aura plus de halaqi, et bien sûr, plus de halqa. Abdelkader MANA
[1] Article paru à Maroc-Soir, le lundi 8 septembre 1986.
12:37 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |
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La musique dans la vie
La musique dans la vie
Noces du Malhoune
Par Abdelkader Mana

Roman Lazarev
O hôte d'Allah ! Soit le bienvenue
Avance sans voiles au pays des ardeurs inassouvis !
Pourquoi tiens - tu une arme à la main ?
N'aie pas peur, répond au salut de la paix.
Le poète s'adresse ainsi à sa bien aimée qui vient lui rendre visite la nuit déguisée en garçonnet. Ce poème rappelle étrangement « l'hôte » du Cheikh Jilali Mtired dont Al Andaloussi était le disciple. Dans les deux cas, il s'agit d'un bien aimé qui vient frapper la nuit à la porte du poète, non pour le soustraire à sa retraite studieuse, mais plutôt pour répondre à ses secrets désirs.
On découvre avec stupéfaction dans la qasida du Cheikh JilaliMtired, qui a servi de modèle, d'étranges similitudes avec le poème du corbeau d'Edgar Alan Poe. Dans les deux cas, il s'agit de la visite fantastique de l'esprit de la maîtresse disparue qui vient frapper la nuit à la porte de son amant.
C'est l'orchestre du malhoune de Salé qui nous chanta cette qasida sur l'une des barques qui assurent la traversée de Bou Regreg, avec comme fil conducteur Mustapha Khalili, comédien et grand connaisseur de ce genre poétique et musicale. On voit et on entend chanter Allal à la voix de ténor, aujourd'hui disparu.C'était en 1998, lors de la série documentaire « lamusique dans vie », consacré au genre Malhoune et qui nous conduisit depuis Rissani et les ruines de Sijilmassa dans le Tafilalet, en passant par Marrakech et Salé et enfin Meknès où nous avions rencontré le maître forge Laânaya, éminence grise du malhoune, aujourd'hui disparu ainsi que Huceine Toulali qui chanta pour nous la qasida du cœur dont il était malade avant de disparaître à son tour. Aujourd'hui je suis étonné de mon propre commentaire d'alors ; c'est pourquoi j'ai décidé de le publier sur « rivages de pourpre », pour mieux en apprécier et méditer la teneur, ce qui n'était pas le cas pour un média comme la télévision où la voix off semble dans une course effrénée avec les images qui défilent à toute allure sans possibilité de retour en arrière pour mieux apprécier tel ou telle trouvaille tant au niveau de la forme que du contenu. Retrouvons donc notre commentaire sur le documentaire de Salé :

On chercherait vainement de nos jours, parmi la paisible population maritime de rabat - Salé, d'authentiques descendants des corsaires du 17ème siècle. Notons cependant que certaines familles actuelles de Rabat comptent parmi leurs ancêtres des membres issus de l'ancienne entité morisque de Salé.
Les derniers survivants de la corporation des barcassiers qui exercent de nos jours le dangereux métier de passeurs de l'oued, ou les rares pêcheurs qui ne quittent guère l'abris des jetées , n'ont en tout cas rien de commun avec les fameux Slaouis (Salétans) dont les exploits firent pendant près de deux siècles trembler la chrétienté. La venue des Andalous expulsés d'Espagne a joué un rôle déterminant dans le trafic maritime du fleuve.
A Salé, la Nzaha printanière dans les beaux jardins de l'antique CHALLA , celle des barques sur les berges du Bouregreg , sont autant de réminiscences du passé andalou de la ville. C'est ici que s'est opéré la jonction au niveau poétique et musical entre la qasida en tant que legs bédouin et l'art andalous. On voit apparaître des modes de la Ala Andalouse - Al Maya, Lahgaz, Sika, Al Rasd, Al Istihlala - dans les mesures du malhoune. Nous suivons Mustapha Khalili, en tant que fil conducteur, pour les découvrir et mieux les connaître.
Seigneur, bénis soient les poètes - musiciens !
Comédien et grand connaisseur du malhoune , Mustapha khalili se rend dans une sorte de pèlerinage sur la trace des poètes errants en hauts lieux du malhoune ; le but ultime de sa visite à la ville des sept saints est de se rendre au mausolée de Sidi Bel Abbas le saint patron de la ville dans la pure tradition des poètes errants qui vont chercher l'inspiration la nuit près du tombeau d'un saint vénéré. En ce sens sans le savoir il marche sur les traces de Sidi Qaddour El Alami qui faisait de fréquentes tournées de visites pieuses aux tombeaux des saints. Ainsi , lors de son long séjour à Marrakech, qui a duré vingt ans, il visitait lui tous les jours les tombeaux des sept patrons de Marrakech comme il lui arrivait à se borner à visiter le tombeau d'Abou el Abbas Sabti. Et c'est ce que khalili a l'intention de faire en commençant par la place de Jamaâ Lafna qui fut la place public où les chanteurs de malhoune venaient présenter sur le plan musicale les qasidas produites au cœurs de la médina. Maintenant que le malhoune en tant que musique a cédé la place de l'anéantissement aux voyantes, aux porteurs d'eau, aux charmeurs de serpents, aux conteurs et autres troubadours de Sous, Khalili sait que c'est seul au cœur de la médina qu'il doit aller à la rencontre des chanteurs du malhoune, ces musiciens - poètes qui prennent souvent l'air d'un dinandier, d'un maître forge ou d'un teinturier. Avec Fès , Marrakech était le principal aboutissement des caravanes en provenance de Sijilmassa et de Tafilalet raison pour laquelle les chantre s du Malhoune de Fès et de Marrakech sont presque tous originaires de Tafilalet.

Roman Lazarev
Jusqu'à la découverte de l'Amérique, l'or du Soudan a joué un rôle prépondérant dans l'histoire monétaire mondiale. Avec les esclaves et autres articles exotiques le métal jaune était l'objet principal du commerce transsaharien. Un véritable trait d'union entre trois mondes, trois civilisations : l'Afrique Noire, le Maghreb et l'Europe qui souffrait d'une faim frénétique du métal jaune. Située dans un Oasis au sud du Haut Atlas, juste en face de l'actuel Rissani dans le Tafilalet, Sijilmassa occupait un emplacement stratégique entre l'Afrique du Nord d'une part et Bilad Soudan, le pays des Noirs d'autre part. Tous les historiens s'accordent pour reconnaître en Sijilmassa la première cité islamique au Maroc. Selon Ibn Hawkal qui a séjourné à Sijilmassa en 1151, la fortune de la ville a commencé quand les commerçants fuirent les dangers de plus en plus grands sur la route qui reliait le Ghana à l'Egypte se sont dirigés vers la route septentrionale .Les caravanes ont commencé ainsi à se diriger vers Sijilmassa. Et les commerçants en provenance, de Bassora, de Koufa et même de Bagdad s'y installèrent en apportant dans leur sillage la poésie arabe. C'est en ce lieu qu'étaient venus se réfugier les tribus Zénètes qui ont fuit les Aghlabides de Kairouan vers l'an 705.Ils y fondèrent l'Etat des Banou Badrane .La dynastie régna pendant deux siècles et son histoire était rapportée dans ses grandes lignes par Ibn Khaldoune.

Roman Lazarev
Khalili : Sidi Abdelkrim, Allah, Allah, où est passé El Maghraoui dont le croissant continue à nous illuminer !
Abdelkrime : On dit dans le Tafilalet : « Toute haute taille est vide, sauf le palmier et El Maghraoui ».
Khalili : Que raconte-t-on sur Abdelaziz El Maghraoui du Tafilalet ?
Abdelkrim : Il a vécu à Fès où il enseignait. Quand son heure avait sonné, il est revenu au Tafilalet. Il est arrivé de nuit au ksar où il habitait. Les temps étaient mauvais et les gens se barricadaient contre les attaques nocturnes. Mais au lieu de frapper à la porte, notre poète escalada un palmer qui s'élevait à côté du rempart et surplombait le ksar. Réveillé par le bruit son frère avait cru qu'il s'agissait d'un cambrioleur. Il s'arma alors de son poignard et rejoignait l'ombre qui s'agitait la nuit en haut du palmier. C'est son frère qui assassinat Sidi Abdelaziz El Maghraoui.

Roman Lazarev
Ya Jamaâ El Bahyat (L'assemblée des belles enjouées) est une qasida du registre lyrique chantée ici sur l'un des modes musicaux les plus anciens du malhoune. Sur le plan poétique et musical, elle a servi de modèle pour les poètes et les chanteurs ultérieurs. En effet, le malhoune est à la fois poésie et musique, c'est-à-dire une poésie qui ne peut pas vivre en dehors de sa mise en œuvre musicale. Pour être compris, le poème doit être chanté, déclamé. Cette qasida nous fait penser aux poèmes épiques d'Antar, en ce sens où le poète y compare les tourments de l'amour aux batailles épiques :
Le prince de l'amour a dégainé son épée et s'est rué sur moi
Il a vaincu mon armée en m'entourant de toute part par les chevaux
Où est passé Maghraoui dont la lumière nous éclaire toujours ? Pour ceux qui savent en déchiffrer le sens sa poésie est pleine de perles lumineuses, c'est sur sa trace que nous marchons : Seigneur, bénis soient les poètes - musiciens ! Les premiers bardes du malhoune se faisaient accompagner du dûf, instrument à cadre entouré de peau de chameau pour déclamer des qasidas dont les thèmes étaient similaires à ceux des conteurs : la Sira du prophète mais aussi les épopées des héros légendaire ainsi d'ailleurs que les aventures de Qaïs et Leïla dont le modèle inspirera Cheikh Jillali Mtired pour sa qasida sur la mer. On s'expliquera d'ailleurs pourquoi les qasidas du malhoune prennent souvent la forme de récits théâtralisés.

Roman Lazarev
Le malhoune serait le chant par lequel les chameliers rythmaient le déhanchement des caravanes pour animer les soirées étoilées autour d'un gîte d'étape. « A ces chants de chameliers, nous dit Ghazali, même les chameaux sont sensibles, au point qu'en les entendant ils oublient le poids de leurs charges et la longueur du voyage et qu'ainsi excités étendent leurs cous n'aillant plus d'oreilles que pour le chanteur : ils sont capable de se tuer à force de courir ».
Or nous dit toujours Ghazalai, « ces chants de chameliers ne sont rien d'autre que des poèmes pourvus de sons agréables, aswat tayeba et de mélodies mesurées, alhan mawzouna. En effet, cette poésie populaire qu'est le malhoune est aussi un art musical, plus précisément un tarab, cette émotion musicale qui aboutit à l'extase.
La poésie arabe s'est muée en arrivant ici d'arabe classique en arabe dialectale. Le malhoune signifie d'ailleurs ; une poésie rythmée mais qui ne respecte pas les règles de la grammaire. C'est ce qu'Ibn Khaldoune a voulu dire par « Âroud el Balad », la poésie du terroir.
L'arrivée à Sijilmassa des Béni Hilal et en particulier des Béni Maâqil ainsi que des andalous au temps des Almoravides et des Almohades, du temps où le Maroc et l'Andalousie ne faisaient qu'un seul et même pays a grandement contribué à la naissance du malhoune dans le Tafilalet puis sa diffusion dans le reste du pays. Du Tafilalet, cette poésie s'est propagée avec la remontée des dynasties, du commerce transsaharien et de pasteurs nomades vers les villes impériales du Maroc.
Un autre évènement majeur avait influencer le genre malhoune sur le plan musical : l'expulsion des andalous d'Espagne qui essaimèrent sur tout le Maghreb et apportèrent entre autre la musique andalouse dont les modes musicaux auront une influence notoire sur la déclamation du malhoune
Le foyer lumineux des rays des taïfa qui s'éteint en Espagne avec l'expulsion des Morisque en 1610, continuera à projeter sa clarté sur les cités du Maghreb non seulement sur le plan architectural mais aussi sur le plan musical.

Roman Lazarev
Le malhoun tel qu'il est chanté actuellement est une synthèse entre la poésie en tant que legs bédouin et l'art musical andalou. Le mausolée d'El Moâtamid Ibn Âbbad (le fameux Abou Abdil de l'Alhambra de Grenade) à Aghmat dans le sud marocain est la trace tangible de ces anciens apports culturels du paradis perdu de l'Adalousie musulmane.
L'un des plus grands poètes du malhoune au Maroc est sans conteste Cheikh Jilali Mtired qui serait né à Marrakech vers la fin du XVIIIème siècle, qui aurait vécu très vieux et serait mort vers le milieu du XIXème siècle ; Lui aussi considérait sa poésie comme un don divin qu'il aurait acquis après un pèlerinage à la zaouia de Sidi Bou Âbid Charki , le maître spirituel de Sidi Ali Ben Hamdouch, comme il l'affirme dans un poèmes :
L'inspiration m'a été donnée par les Charkaoua
C'est là que mes seigneurs m'ont fait don d'un breuvage sacré
Feu Mohamed El fassi qui rapporte ce dire, le commente en ces termes :
« Il se peut que cette visite à Boujaâd n'aie jamais eu lieu, car pour les gens du peuple, l'inspiration poétique est un don de Dieu. Il est nécessaire pour un très grand poète comme Jilali que ce don soit fait par l'intermédiaire d'un saint célèbre d'une façon solennelle. D'autres d'ailleurs n'ont pas été satisfaits par cette explication et attribuent l'origine de l'inspiration aux Jnounes. »
On raconte que le poète sortait seul tous les jours avant le couché du soleil se promener en dehors de Marrakech. Il allait au Sahrij Bel haddad (littéralement le bassin du forgeron), endroit peu fréquenté où poussent des plantes sauvages et dans des marres stagnantes pleines de crapauds et de grenouilles. Mélancolique, il s'asseyait là pour méditer au milieu des coassements, quand une grenouille lui aurait adressé la parole en l'invitant à une fête de mariage. Quand il eut chanté, les djinns lui offrirent un tambourin d'or. La légende veut que ce soit à lui qu'on doive l'invention des tambourins !

Dans sa qasida sur la tempête de mer qui emporte le fou d'amour, on reconnait nettement l'influence de la littérature arabe classique dont le fameux « fou de Leila » qui a servi de modèle pour le prince des poètes arabes Ahmed Chawki en Orient et qui aurait inspiré par la suite en Occident « le fou d'Elsa » de Louis Aragon. Cheikh Jilali, humble marchand de légumes au XIXème siècle se montre ici, un précurseur :
Ô toi qui t'engage dans la tempête d'amour !
Reviens avant que ses vents mugissants ne t'emportent !
Et que son tumulte ne t'engloutisse
Sous ses abîmes de brouillard et son déluge,
De houles, de tonnerres et d'éclaires !
L'amour est un océan sans fin à l'abîme insondable
Aucun amoureux n'a pu un jour le conquérir !
Combien de corsaires y ont fait naufrage !
Ni mâts, ni voiles, n'ont pu les sauver !
Avant lui Qays, le pitoyable s'y est déjà aventuré
Mais loin des siens, il n'a connu, hélas que l' errance,
Au milieu des haillons et des bêtes sauvages...

Roman Lazarev
Cheikh Jilali avait une boutique où il vendait des légumes à Riad Larousse et passait probablement tout son temps à composer des vers puisqu'il laissa après sa mort une œuvre immense dont une grande partie nous a été conservée soit dans des kounnachs, soit dans la mémoire des houffades (littéralement « les mémorisateurs »). Tous les poètes qui sont venus auprès de lui, le reconnaissent comme maître. Il mourut très vieux et fut enterré près de la Kutubiyya .
Au terme de son voyage initiatique, Khalili arrive enfin à Sidi Bel Abbas Sebti, où il est accueilli par un fauconnier féru de malhoune qui lui récite une qasida sur la ville des sept saints .
Abdelkader MANA
12:34 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : musique, poèsie | |
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Les couleurs de la transe
Les couleurs de la Transe
Tout, soudain, danse dans la ville habitée [1]: hommes, femmes, oiseaux, enfants, vieillards. Les youyous fusent dans la lumière éclatante. Essaouira, ville à dimension humaine, habitée par le hal ! Véritable « port de transe » où crotales et tambours font battre le cœur de l’Afrique, en un dialogue sublime qui tantôt s’élève jusqu’aux sphères célestes, tantôt s’abîme dans les profondeurs de la mer.
Etendards en tête avec le taureau du sacrifice, la procession a quitté la zaouia de Sidna Boulal [2]au début de l’après-midi. Des rangées de danseurs s’improvisent dans les rues, les joueurs de crotales et les tambourinaires avancent en ligne à petits pas, se font face, se rapprochent puis s’écartent pour se rapprocher encore, suivant le rythme de la musique.
Se plaçant entre le taureau du sacrifice et les musiciens, voici les voyantes au géranium et au basilic qui implorent Allah : « guéris-nous, ô Seigneur ! » Lentement, elles avancent au rythme omniprésent de la musique. En tête de la procession, les deux étendards, le vert et le rouge, puis vient le taureau noir que suivent les enfants aux yeux émerveillés. Dans les rues étroites, pleines de poussière, de couleurs, de lumières, la circulation est bloquée. On prie, on fait appel à la baraka qui guérit : « Laâfou ya Moulana » (guéris-nous, Ô Seigneur !)
Dans le labyrinthe des rues la procession continue d’avancer.
Partout est la danse, offrande de musique, promesse de hal[3] .On se désaltère aux gargoulettes parfumées aux feuilles de menthe. Les voyantes aspergent d’eau de rose la foule des curieux et des adeptes. Le hal habite les murs, la foi exalte les remparts, les ruines parlent de ceux qui ne sont plus. Oubli du temps présent, oubli du monde. L’immémorial illumine le ciel et, toute puissante, la musique ressuscite le lent et noble déhanchement des caravanes en marche.
On fait halte un moment devant le sanctuaire du Pôle de l’Orient. Dans la clarté du jour la procession investit la cité du son grave du tambour, du martèlement des crotales.
Dis-nous, ô arbre immobile !
Entends-tu les sons graves qui
Accompagnent le taureau vers le repos éternel ?
Son sang va jaillir comme jaillissent en geysers de brume
les chevaux marins de la houle violente.
Corps broyé par les vagues.
Rôde la mort, la mort sereine et brutale.
En échos à la prière cosmique du firmament,
Des ombres en oraison se répondent dans la pâle clarté du crépuscule.
D’un côté le tumulte des vagues, l’immensité de l’océan ; de l’autre le bruit assourdissant des tambours. Infinité des mystères, mystère de l’infini. Des goélands voguent au rythme du vent, des essaims d’hirondelles planent au dessus du cortège. Les musiciens pénètrent avec vacarme dans l’enceinte sacrée. L’homme préposé au sacrifice serre les pattes antérieures du taureau. Une foule immense envahit la place.
L’instant est solennel. Les femmes se pressent sur la terrasse. Les jambes des danseurs trépignent, les youyous des femmes vrillent l’air. Le sacrificateur lave les pattes antérieures, les pattes postérieures, puis le dos, le sexe et la queue de l’animal. Il l’encens de la fumée du benjoin s’élevant d’un petit braséro, le culbute à terre et l’oriente vers la Mecque. Aux appels au Prophète succèdent les youyous des femmes.
Des femmes, fronts baissés sur les bols, trempent leurs lèvres dans le lait ; quand elles relèvent la tête, rien n’apparaît sous le voile si non l’éclat de leurs yeux agrandis par le khol [4]. Au centre de la place une cohorte de voyantes déposent leur bouquets de géraniums et de basilic. Deux joueurs de tambours et cinq joueurs de crotales ne cessent de tourner autour de la place du sacrifice. Le chant modulé par le maâllem est repris par la foule. Deux danseurs inscrivent de grands huit syncopés autour de la fontaine, un joueur de crotales se place entre les deux comme pour les encourager.
Le taureau est au repos sous la coupole verte. Venant du centre où murmure la fontaine, les résonances frénétiques, vont s’amplifiant dans l’espace clos de l’enceinte sacrée. Les goélands volent haut dans le ciel bleu qui pâlit. Le soleil décline sur l’océan. Un chien noir aboie au pied de la citadelle. Le vent mugissant fait trembler les fenêtres closes. La ville frémit comme un corps vivant sous le fracas des vagues. L’étoile polaire scintille à l’horizon. Violent mugissement, plainte pathétique de la houle qui gémit et qui pleure.
Le maître des musiciens pose le tambour, prend en main le guenbri. Le sacrificateur ôte au taureau les étoffes aux couleurs de la transe, sur lesquels il pose un instant les couteaux du sacrifice afin qu’ils s’imprègnent du pouvoir magique des génies de l’abattoir. Alors s’élève le chant :
« Il n’y a aucun dieu, en dehors de Dieu ! »
Danse haletante autour du taureau en attente de son destin. Le soir monte au milieu de la mer, le hal descend sur la place. Les musiciens de l’ombre, les musiciens de la nuit accélèrent le rythme qui se fait lancinant. Tambours qui battent, crotales qui s’entrechoquent, youyous des femmes. Sublime transe sous l’éblouissante lumière !
Vêtu de rouge, le sacrificateur mime le roi des génies des abattoirs qui l’habite, en effectuant la danse des couteaux. La lune apparaît dans le ciel encore clair. La gorge du taureau est tranchée. Son sang encore fumant est recueilli dans une bassine. De cette énergie vitale, on asperge, au couteau, les couleurs des mlouks, le guenbri, les crotales. Une femme tombe en transe. Apportez l’encens ! Majid danse dans les nuages. Les esprits des nuages le saisissent. Il tombe du haut de la terrasse. Brûlez de l’encens, couvrez-le de noir. Son cœur a sombré à l’appel des esprits qui le possèdent. Combien n’a-t-il pas erré au pays des Noirs ! As-tu vu d’où les esprits des nuages l’ont fait tomber ? Il n’a pu résister à leur appel. S’il résiste ses os lui feront mal. La transe chasse les impuretés avec la sueur, la transe délivre.
Un peu plus haut les vagues, et la ville serait engloutie par la mer. Le sang jaillit à gros flots de la blessure ouverte. Le retrait du ressac marin fait apparaître d’énormes précipices : gouffre glacial où s’engloutit le soir qui tombe, les prières et les paroles sont emportées par le vent.
On clôt le sacrifice par une prière qui évoque les servitudes d’antan :
« Nous sommes des esclaves à la peau fraîchement marquée.
Soyez témoins de ces marques, elles ne s’effaceront jamais »
Maintenant, le maâllem est seul à jouer mais tous les assistants accompagnent le son du guenbri en battant des mains. On vient d’entamer la partie ludique des kouyou, qui se déroule en deux temps : d’abord les Fils des Bambara, où on rythme uniquement des mains et du son du guenbri les évolutions des danseurs qui se lèvent et dansent à tour de rôle. Vient ensuite la Noukcha, où les crotales accompagnent le guenbri et la danse est collective.
Celle-ci revêt un aspect théâtral. Le danseur doit à la fois danser et mimer toutes sortes de rôles ; celui en particulier, de l’esclave enchaîné, ou de la femme enceinte qui va vendre son enfant. Il doit aussi représenter les bêtes sauvages et les anciens totems des clans. Toutes les tribus de l’ancien Soudan sont évoquées ainsi que la mémoire de l’exile des ancêtres.
La condition d’esclave est évoquée : un danseur aux pieds liés par un foulard saute comme pour se libérer de ses liens ; on compare la condition du maître et celle de l’esclave, on moque et on plaint à la fois la vie de servitude :
Allah, Allah, notre Seigneur !
Oncle Bara le pauvre,
Voici son destin de pauvre :
Madame boit le thé, monsieur boit le thé,
Et Bara se rince les yeux,
Le maître mange la viande,
La maîtresse mange la viande,
Et oncle Bara, grignote les os...
On commence par la parodie, le jeu et le rire pour se préparer au tragique de la possession :
Soudani kouyou
Soudani ya Yamma
Dada Yamma Ya Toudra
Mon frère est venu de Tombouctou!
Soudani Ya Yamma
Hé !Lalla Ya Toudra
Ils nous ont amené du Soudan
Ils nous ont amené de Guinée
Ils nous ont amené des Bambara !
Théâtralité des gestes, danse en cercle, frénésie du rythme : prière pour les esclaves et les hommes libres de la Séguia rouge.
Danse balancée et gracieuse : offrande pour la beauté du geste.
Bangara, bangara....
Pirouettes et balancements rythmiques du danseur solo sur place. En chœur :
Amara Moussaoui
Sidi Ya Rijal Allah…
La danse est splendide, alerte et entraînante. Le Gnaoui danse, le sourire au lèvre : magie de l’Afrique et de ses rythmes !
On invoque le soudanais Yamma et les fils des Bambara. Trois danseurs se lèvent et épaule contre épaule, se rapprochent
puis s’éloignent du maâllem à pas comptés – flux et reflux.
Le guenbri poursuit son solo tandis que les trois danseurs battentle sol de leurs pieds nus.
Echange grave et sonore entre guenbri et pieds qui trépignent :
« Saha Kouyou ! », lance le maâllem.
Les danseurs s’approchent, frappent à l’unisson le sol d’un seul coup du pied droit, reculent et se reprennent à battre le sol,
à la manière des claquettes américaines. On cesse de chanter pour mieux prêté l’oreille au rythme des mains et des pieds
qui battent le sol et brassent l’air. Le bruit de la plante des pieds s’harmonise avec le registre bas du guenbri.
Pour la danse du chasseur, une gazelle traverse l’imaginaire poursuivie par un homme-tigre en transe.
La soirée commence :demain, le monde renaîtra de ses cendres grâce à la magie des musiciens guérisseurs
et au pouvoir de leur imaginaire éclaté...
Voici les couleurs des mlouk, génies de l’au-delà, esprits de la nuit. Les sept couleurs de l’arc en ciel,
ont chez les Gnaoua,une signification magico-sacrale clairement définie :
à chaque devise musicale correspond une entité surnaturelle,et à chaque entité surnaturelle une couleur particulière.
Ainsi au milieu de la nuit, les Gnaoua procèdent à « l’ouverturede la place »(ftouh Rahba)
pour marquer le passage de la réalité ordinaire à la réalité extraordinaire :
l’invocation des entités surnaturelles.
La lila est un voyage dans l’océan de la transe et les esprits évoqués sont des étapes,des haltes dans la nuit.
On commence par l’invocation des Jilala , génies que dirige le pôle de l’Orient, et qui porte la couleur blanche.
Les entités surnaturelles marines, les Moussaoui portent la couleur de la mer, comme les samaoui, entités célestes sont vêtus
du bleu du ciel. Si les chorfa vous habitent, vous porterez la couleur verte de l’Islam.
Avec la devise musicale de Sidi Hammou,on porte la couleur rouge du sacrifice.
La possession par les « gens de la forêt et des nuages », est symbolisée par le noir.
On invoque également les entités surnaturelles féminines qui provoquent des transes de diverses couleurs. :
le jaune de lalla Mira,le violet de lalla Malika, le rouge de la berbère et le noir d’Aïcha Kandicha
(de Kadoucha, la déesse de la mer ?), qui possèdela voyance, et celle-ci prédit l’avenir en état de transe.
Bouderbala (le porteur de la tunique rapiécée du vagabond) fait la synthèsede toutes les couleurs.
La tunique rapiécée des anciens n’est pas portée par n’importe qui :
elle est le symbole de l’errance et de l’illumination divine qui s’y attache.
Après les Jilala, on passe à Bouderbala.
Le danseur qui « joue ce rôle », au sens presquethéâtral du terme, porte une tunique de toutes les couleurs
« Ô l’homme en haillons,
Tel est l’état des possédés,
L’homme à la canne et aux vieux habits,
Tel est l’état des possédés ».
Vient ensuite le moment des moussaouiyne, couleur bleue clair, commandés par Sidi Moussa,
maître de la mer et protecteurdes marins.
On effectue la danse au bol magique, et les danseurs qui portent un foulard bleu font aussi le simulacre de nager.
Quand on invoque la devise Bala Matimba, les danseurs s’aspergent d’eau. On chante :
« Ô Sidi Moussa, ô gardien du port,
Ô Bouria[5], poisson de rocher,
Ô Bouria, poisson de marée,
Je vous demande protection,
Ô hommes de l’île,
Je vous demande protection,
Ô maîtres de la côte,
Je vous présente autant de prières qu’il y a d’eau,
Autant de prières qu’il y a de poissons dans la mer. »
Cette poésie marine est offerte à Sidi Moussa, que certains auteurs présentent comme
une version populairede Moïse qui commande les eaux.
Après les moussaouiyine viennent les smaouiyine,dont la couleur est le bleu foncé ;
on évoque ici les devises Moussa Barkiyou, Barri ya Berri,
Jab el-Ma et Ya Allah Samaoui.
Le maâlem hamida Boussou[6] porte le nom d’un melk marin
qui le possède lorsqu’il était jeune.
Les Gnaoua chantent ainsi cette devise :
« Me voilà, ô Boussou !
Boussou à l’hameçon,
Boussou au filet de pêche,
Boussou le pêcheur,
Boussou le poisson. »
On passe ensuite à la mehella[7] des rouges de Sidi hammou, le maître du sang et des abattoirs.
Le pacha hammou porte le couteau du boucher et une chéchia ; il parle de sacrifices.
Ceux qu’il possède at qui dansent avec des poignards
dans le melk de Sidi Goumi ne courent aucun danger :
« Tu vois le sang jaillir, dit maâlem Mahmoud Guinéa,
mais à la fin de la danse tu ne trouve plusaucune trace de sang.
Le danseur est insensible au poignard
parce que Sidi hammou le protège lorsqu’il danse... »
Dans le melk hammouda, tous les Gnaoua mangent du miel.
On commence par mettre un peu de miel sur la peau du guenbri,
on en induit aussi les crotales avant d’en offrir au maâlem et à chacun des Gnaoua.
Viennent ensuite les fils de la forêt vêtus de noir et particulièrement violents.
Parmi les esprits noirs de la forêt, il y a aussil’ogre Bariando .
On fait le simulacre de le capturer en lui enroulant une grosse chaîne autour du cou.
Il essaie de se libérer, maison le retient de chaque côté.
C’est le symbole de la traite des esclaves volés et deleur asservissement.
Il y a Haoussa, appelé l’enchaîné, qui se frappe la poitrine.
Il y a Segou Balaychi, qui se couvre du pelage d’un moutonet danse avec
une canne noireautour d’un plateau d’orge et de sucre,
dans lequel les jeddaba[8] mangent commedes esclaves ou des animaux.
Ensuite vient successivement :
§ Tamarmania, dont le jeddab avale des aiguilles.
§ Jini Yata, que l’on couvre d’une serviette noire.
§ Koulou M’bara, dont on frappe le dos avec une lanière de cuir.
§ Bao Bao, Sidi Madani, le chasseur possédé de la forêt.
§ Joujou Nama, dont les jeddaba mangent de la viande crue.
On invoque encore d’autres mlouk, dont le plus impressionnant est
Gouban Bou Gangi,qui se frappe la tête d’un mortierde huit kilos.
Ceci ne va pas sans accidents, à en croire maâlem Abdessalam Belghiti,
qui animait les lila de khaddouj Bent Yahya,la plus grande voyante d’Essaouira,
et qui a assisté à la mort d’un adepte, Tabboza, à la fin d’une lila.
Dés qu’on aborde la devise musicale
Goubani Bou Gangi,ceux qui ne sont pas Gnaoua quittent la place.
Après les esprits noirsde la forêt vient le tour des chorfa , dont la couleur est le vert.
On commence par Sidi Lahcen, suivi de Sidi Boubker et de Sidi Ali.
Lors de cette devise, on danse avec un grand sabre.
On évoque Moulay Abdellah ben Hsain, le « saint » de Tamesloht, ainsi que
Moulay Brahim, le « saint » de la montagne, dit « l’oiseau des cimes ».
A la fin des chorfa, on invoque Foullani, les hommes de Dieu du Soudan :
« Hayii Foullani, ô mon père !
Hayii Soudanais, ô mon père !
Foullani, ô Seigneur,
Bambrani, ô Seigneur ! »
Les danses de possession se terminent par les génies de sexe féminin,
aux couleurs variées :jaune, rouge, violet et noir.
On brûle des encens divers et on asperge les danseurs avec de l’eau de rose.
On évoque d’abord lalla Aïcha, la noire, ensuitelalla Rkiya,
la rouge, puis lalla Mira, la jaune et lalla Malika la noire.
Lalla Mira, s’en prend tout particulièrement aux voyageurs.
Elle aime les promenades au crépuscule, et c’est à ce moment là qu’elle est dangereuse.
Les gens qui dansent ce melk rient beaucoup
et les gens qui pleurent sont particulièrement vulnérables à ses attaques.
Ces quatre premières entités féminines sont suivies par huit autres dont la couleur
est le noir.La plus redoutable estAïcha Qandicha.
Pour l’accueillir, on éteint la lumière et la danseuse qui en est possédée se met à prédire.
On verse de l’eau eton fait semblant de laver le linge avec la plante des pieds,
car Aïcha Qandicharéside dans les oueds, les mers et les flaques d’eau.
On termine la série en invoquant les esprits féminins berbères.
On sert une soupe d’orge aux participants :
c’est la fin de la lila.
Le maître dépose le guenbri, et l’azoukay ramasse tout le matériel.
Laârifa reprend son panier de cauris, de pierres du delta du Nil
et d’ébène des profondeurs du Soudan.
Après leur transe, les adeptes se sentent mieux et sollicitent pour les absents
leur partde barouk.A l’horizon, l’aube se met à poindre.
La transe et les génies qui la provoquent se dissipent
avec la lumière du nouveau jour qui nait.
Abdelkader MANA
[1] Au milieu des années 1980, j’ai participé à une lila des Gnaoua à Essaouira dont je relate ici le déroulement ainsi que la succession des devises musicales et les couleurs de la transe telles que je les ai observés alors.
[2] Essaouira est la seule ville au Maroc où les Gnaoua disposent d’une zaouïa : partout ailleurs leur culte a un caractère domiciliaire. L’édifice de la zaouïa dédiée à Sidna Bilal, premier muézin noir du Prophète, semble dater du XVIIIè siècle. Il servait de lieu de rassemblement aux esclaves qui y célébraient leur fête. Ceux-ci vivaient alors hors des murs, au nord de la kasbah, dans des casemates bâties au milieu des dunes. On raconte que là vivait un maître du guenbri, maâllem Salem, qui appartenait à un négociant, Allal Jouâ, dont une rue de la médina porte encore le nom. Celui-ci vendait la cire et possédait au moins sept esclaves qu’il traitait comme ses propres enfants. Allal Jouâ n’était pas comme les autres commerçants qui obligeaient leurs esclaves à décharger les barcasses au port. Lui, il leur apprenait à travailler comme maçons et comme graveurs sur pierres. C’est ainsi que maâllem Salem était devenu une sorte d’ingénieur, un sourcier. S’il disait aux ouvriers de creuser à l’endroit qu’il leur indiquait, immanquablement ils tombaient sur de l’eau. On le nomma moqadem des Gnaoua. Il entoura le lieu de culte, alors une simple mzara, de quatre murs. C’est ainsi qu’est née la zaouïa de Sidna Bilal, au cœur même de la médina d’Essaouira, du côté de la mer.
[3] Hal : La transe ; état de celui qui est possédé par la transe. La confrérie des Ghazaoua chante le hal en ces termes :
Le hal, le hal, Ô ceux qui connaissent le hal !
Le hal qui me fait trembler !
Celui que le hal ne fait pas trembler, je vous annonce ;
Ô homme ! Que sa tête est encore vide
Ses ailes n’ont pas de plumes
Et sa maison n’a pas d’enceinte
Son jardin n’a pas de palmier
Celui qui est parfait, la calomnie ne l’effleure pas
Sidi Ahmed Ben Ali le wali
Prends-nous en charge, Ô notre cheikh !
Sidi Ahmed et Sidi Mohamed
Ayez pitié de nous. »
[4] Khol : pour noircir les cils et les sourcils. Les femmes utilisent aussi l’ écorce de noyer pour la denture, le rouge à lèvre de Fès et le hargouss (extrait d’une mixture à base de vapeur de benjoin blanc et de bois de santal, donnant un parfum aux vertus aphrodisiaques particulièrement puissantes qui enrobait le corps de la femme pendant une semaine entière, dit-on.
[5] la mer en se retirant laissait derrière elle, dans les interstices des rochers, de petits poissons couleur d’algues dénommés bouris probablement par la population d’origine africaine de la ville parce qu’il existe effectivement une divinité africaine du nom de « Bouri » : au cours du rituel de la Lila, il existe un esprit possesseur (melk) où le possédé danse avec un bol d’eau de mer contenant ce petit poisson des rochers .
12:30 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : psychothérapie | |
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