08/04/2012
Souvenirs de Mogador
Mon père, maalem Tahar Mana, jaugeant un madrier de bois de thuya(gayza) à la coopérative des marqueteurs d'Essaouira(les années 1950)
Au tout début des années 1980, mon père avait accordé à la radio une interview où il relatait l'histoire de la marqueterie à Essaouira. Son ami maitre Abdessadek qui a conservé l'enregistrement audio m'en avait remi copie lors d'un repas communiel commémorant le quarantième jour de son décès le 13 décembre 2002.Aujourd'hui en recherchant un document qui atteste de la présence des Al Mohad au pays Haha, je suis tombé sur la transcription des propos de mon père, que je pubie ici parce qu'ils me semblent les plus appropriés pour "légender" les vieilles photos en noir et blanc du Mogador du début de ce XXème siècle où il était né vers 1912;;;
L'atelier de mon père était jadis l'un des entrepots des canoniers(tabjia) de la Scala
Dans son entretien radiophonique mon père racontait comment des éléments d'architecture de la ville l'avait influencé lui-meme ainsi qu'un de ses prédécessaurs:
"La porte de dar laachar(là où on entreposait le 1/10ème des marchandises qui transitaient par le port) a été imitée par maalam Omar El Eulj que Dieu ait son ame: il avait confectionné une table dont les pieds imitaient parfaitement cette porte monumentale avec toute sa décoration.Comme il s'agissait d'une table hexagonale, il fallait reproduire six fois la meme façade.On appela alors cette table "Du Chayla": le nom de la frégatte qui avait effectué la prise d'Essaouira par les Français en 1913 La table dite "du Chayla" de maitre Omar remonte à 1932 : on l'avait retrouvé brisée et jetée négligemment au parc municipal de la ville.Elle comportait une transcription calligraphié au feu, semblable à l'ancre de chine, mais cette brulure, cette épreuve du feu avait la particularité d'etre inscrite pour l'eternité.A l'époque on lustrait les objet avec l'huile de noix : aucun specimen n'a été malheureusement conservé, de sorte que lorsqu'on avait ouvert le Musée en 1980, l'artiste et conservateur Boujamaa Lakhdar avait trouvé la plus grande difficulté à réunir des modèles représentatifs de l'artisanat local(bijoux, tapis, marqueterie etc.). La ville a connu pourtant de grands artistes-artisans, dont il ne reste que peu de traces pour témoigner de leurs oeuvres ...
Mogador- Caserne du Chayla
L'ancien magasin du Makhzen, qui fut une prison à la veille du protectorat et qui a été transformé en caserne par les français qui le surnommèrent "Du Chayla", du nom de la frégatte qui avait opérer la prise de la ville en 1913.
"Les français ont donné le nom de "du Chayla" à toute cette place "
Mogador-Prisonniers berbères amenés à la prison sur ordre de Moulay Abdelaziz
A la veille du Protectorat, le dar laachar, était devenue une prison où on enfermait les rebelles du bled siba.Et juste à coté, il y avait l'ancienne medersa qui dépendait de la mosquée de la kasbah.
Les troupes du nouveau sultan Moulay Hafid se préparent à marcher sur Casablanca
La marqueterie s'est développée pour répondre aux commandes des premiers habitants de l'ancienne kasbah qu'étaient le Makhzen, les négociants juifs et les consuls raconte mon père: "Maâlem Omar fabriquait de petites boites décorées de nacre ainsi que des crosse de fusils pour la fantasia à partir du bois de noyer.Dans les années 1930, le pacha Ben maalem m'avait donné à imiter un boitier à sucre en bois de noyer en me disant qu'il faisait partie du mobilier de Moulay Abdelaziz.C'était une technique souirie ancienne: de petits objets simples quant à leur décoration.Vivaient alors à Essaouira, les Amines du port, les consuls des nations européennes et les représentants du Makhzen.Ils ont commencé à faire des commandes aux artisans comme ça sera le cas avec les touristes européens par la suite: c'est la commande qui a permi à la marqueterie de se développer peu à peu.."
Défilé du "Makhzen" sur la place de la grande mosquée à la veille du Protectorat
Le maitre artisan de Omar el Eulj qui s'était inspiré de la fameuse porte de l'ancienne kasbah pour fabriquer sa table dite la "Mida du Chayla", avait pour maitre el haj Jilali el Eulj: ces Alouj dont l'un des quartiers de la ville porte le nom, sont d'anciens chrétiens issus de prises de mer au temps de la course: ainsi la porte de la Marine, on la doit à Ahmed EL EULJ, dit également Ahmed el Inglisi(l'ANGLAIS), et lors du bombardement de la ville par l'escadre de Joinville, les canoniers de la Scala de la mer était dirigés par Omar el Eulj, à la meme époque ceux de la grande ile étaient dirigé par Torrès le renégat d'origine andalouse.Et on doit la finition des travaux de la Scala de la mer à un Génois: la ville revetait donc un caractère international dés sa fondation du fait de son ouverture sur les lointaine rivages de la Méditérranée et sur les lointains confins du désert...
Le temps des caravanes dans les dunes de Mogador
"Le bois de thuya,poursuit mon père, on l'amenait qu'on travaillait d'abord au tour, pour les estrades et les balcons des maisons en construction, était amené à dos de chameaux des hrarta, au sud d'Essaouira.Auparavant on utilisait d'autre bois: le palais ensablée à l'embouchure de l'oued ksob, qui servait de résidence à Mohamed Ben Abderrahmane au milieu du XIXème siècle ou la mosquée de la kasbah, leur boiserie n'était pas en thuya..."
La boiserie de dar sultan ensablée, n'était pas en thuya
"Le Sultan avait chargé Concler ,le consul des Pays Bas, de lui construire une maison à deux étages sur le plan de celle d’Amsterdam, mais avec un patio ; il avait indiqué le nombre de pièces, leurs dimensions,etc.., le toit devait être en plomb, les cheminées en marbre, les vitres en cristal, et non en verre ordinaire.Il était bien entendu que les bois et les fers ouvrés devaient venir des Pays-Bas.Le consul se rembourserait avec des franchises de sortie sur les blés." Lettre de Sumbel à Concler , 28 août 1767.(Rijksarchief, Stat.-Gen., 7.121 ;Llias Barbarije, 1767-1770)
A Mogador, les caravanes de Tombouctou relayaient les caravelles de la lointaine Europe
L'un des grands fondateurs de la marqueterie locale, fut le cheikh Brik; un noire qui exécutait les commandes de "dar Makhzen"(la Maison Royale).Une fois, alors qu'il était encore jeune, Haj Mad(le maitre artisan de mon père) a aperçu le cheikh Brik en train d'administrer une fessée à l'un de ses apprentis sur un madrier.De sorte que lorsque son propre père l'a amené pour apprendre le métier à son tour, il s'en est souvenu et a tout fait pour éviter toute punission.D'ailleurs le maitre ne l'a jamais puni parce qu'il l'aidait à déchiffrer les messives qu'il recevait de dar Makhzen.
El haj Mad était étudiant dans une école coranique: une fois de retour d'une partie de chasse avec un copain, en passant l'allée des forgerons(haddada), accompagnés de sloughi et portant une tenue de chasse, son père Belaid el kouchnane s'adressa en ces terme à l'un de ses amis:
- Le voilà devenu voyou, et moi qui voulait faire de mon fils un étudiant en religion?!
Et c'est ainsi qu'il avait décidé de le faire sortir de l'école coranique pour le confier à son maitre - artisan en marqueterie.
Haddada l'allée des forgerons en 1912, où aboutissaient les caravanes
C'est dans cette artère de haddada que se trouvait l'atelier de l'un des premiers marqueteurs d'Essaouira, ainsi que la zaouia d'où partait en procession "la chamelle de Moulay Brahim" à chaque fete du Mouloud vers son sanctuaire dans l'Atlas au Sud de Marrakech: laquelle chamelle était conduite par notre voisin le boiteux Moulay Omar. Le local de cette zaouia existe encore à Haddada mais il semble fermé pour toujours...La chamelle était offerte àMoulay Brahim le saint qui favorise l'amour et qui fonctionne comme une agence matrimoniale auquelle s'adressent surtout les jeunes filles en mal de mariage...
La parade du vendredi: un moment fort où le makhzen impose son pouvoir symbolique
Le pouvoir tire sa légitimité de sa descendance du Prophète : en pays musulman une partie de la population écrase l'autre au nom de la religion...
Place Laachour avant la démolition de la cloison qui l'isolait de Dar Makhzen: sur les deux images précédantes on reconnait les trois portes de l'ancien tribunal qui existe toujours
L'entrée de Dar Makhzen que le Protectorat a démolit
La meme entrée de Dar Makhzen où sont réunis les négociants juifs
L'ancienne "Dar Makhzen" avant sa démolition à l'avènement du Protectorat
L'emplacement de "Dar Makhen" était aussi un lieu de campement
Sur le front de mer, un grand rempart reliait l'ancienne kasbah au port
Campement au pied du Mechouar comme centre politique
Le Mechouar est au coeur des transaction économiques et politiques
Face au pouvoir central qui avait son siège dans la ville, il y avait le caidalisme qui dominait dans la campagne.
Le protectorat a joué les "caids soumis" du bled makhzen contre les "caids rebels" du bled siba.
Le caid Tigzirine des Ida Ou Tanane était l'allié du Protectorat contrairement au caid Anflous des Neknafa
La parade du caid et sa suite en ville
Le défilé des soldats français de la frégate du Chayla sur la place qui allait porter le nom de "Place de Chayla" et qui s'appelait jadis "Place de la grande mosquée" ou "Place Laachar".
Mogador - Place Laachour
La désormais "Place du café de France" apès le décloisonnement de l'ancienne "Place laachour"
Place du Chayla où on venait de planter les caouatchou du genre numphéa
Mogador, avenue "du Chayla" avec "café de france"...
Et l'hotel "Roussillon"...
Place de "Café de France"
Le syndicat d'initiative rasée dans les années 1980 ainsi que les cabines de la plage
Jusqu'aux années 1970, était exposé à la vitrine du syndicat d'initiative une miniature de la Scala de la mer en bois de thuya fabriquée par mon père dans les années trente.On la retrouvé plus tard au parc municipale brisée et désarticulée en plusieurs morceaux.Mon père racontait en ces termes cette création de sa jeunesse dont il était fier: "La marqueterie avait connu une réelle expansion dans les années trente du fait qu'il fallait répondre aux nombreuses commandes de la communauté française de la ville.La plupart des marqueteurs travaillaient alors pour le compte du bazariste Bungal.Un jour celui - ci est venu me voire pour me commander d'exécuter une miniature en bois de thuya de la Scala de la mer me disant:
- Prends une équerre et une planche et trace un arc.
Une fois que je l'ai exécuté, il me demande:
- Qu'est ce que c'est?
C'est ainsi que j'ai commencé à exécuter la miniature de la Scala sans échelles. De ce fait le premier essai n'était pas concluant.
C'était le temps du Protectorat français sur le Maroc:les agens du controleurs civil étaient venus voir la mignature de la Scala accompagnés du minotier Sandillon.Celui-ci dit à Bungal:
-Vous ne réussirez à reproduire la Scala qu'en travaillant à l'echelle.
Bungal me rejoint avec un rouleau de ficelle et me dit:
-Allons-y!
On s'est rendu à la Scala tôt le matin et nous avons commencer à prendre les mesures en faisant correspondre à chaque metre de la Scala réelle à deux centimère pour sa miniature.Pour ne pas etre l'objet de risée des gens, j'ai commencé à venir à la Scala dés la prière de l'aube, bien avant le levé du soleil pour mesurer les dimensions de la place forte dont j'avais établi le plan.La transformation du metre en centimètre a pris plusueurs jours avant que je ne commence à voir un peu de lueur.Je me rapelle que c'était en 1935, lorsque j'avais commencer à prendre les mesures de la tour ronde de "Borj el Barmil"...
Le décor de la Scala joue un rôle essentiel dans la mise en scène de la tragédie d'Othello. Ceux de Mogador avec sa forteresse dans les brumes avec une telle découpe sur le ciel qu'elle convient le mieux au complot Shakespearien de Lago. Au début des années cinquante, le souvenir était encore vivace du tournage d’Othello par Orson Welles à Mogador. Le soir on le voyait souvent méditer sur la grande place du syndicat d’initiative. Dans le film, on reconnaît surtout « Tik-Tik » avec son luth au pied des remparts de la Scala de la mer. « Tik-Tik » est mort récemment en ivrogne à la vieille impasse d’Adouar qu’évoque en ces termes le rzoun, vieux chant de la ville :
Ô toi qui s’en vas vers Adouar
Emporte avec toi le Nouar
La rime est un jeu de mot entre « Adouar » (le nom de la sombre impasse supposée cacher les belles filles de la ville) et le « Nouar » (le bouquet de géranium et de basilic).
Mon père me racontait qu’un jour Orson Welles se présenta à son atelier alors qu’il était en train de terminer une magnifique table en bois d’arar, décoré de dessins géométriques complexes et de rinceaux d’inspiration andalouse. Quand mon père dit à Orson Welles le prix de la table en question, le cinéaste américain en fut offusqué :
- À ce prix-là, lui dit-il, je briserais cette table sur ma tête plutôt que de la vendre !
La meme allée des forgerons où on avait planté des arbres sous le protectorat(1912-1956)
Maalem Tahar Mana(1912-2002)
16:18 Écrit par elhajthami dans Histoire, Mogador | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, mogador | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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