13/06/2012
Café - Théâtre Mogador
"Au Ramadan tous les musulmans sont jeunes".Tayeb Saddiki
L'exclusion des potentialités locales
Affiche réalisée par Hussein Miloudi
Ce vendredi 29 octobre 2010, au moment - même où se déroule à Essaouira le festival des Andalousies Atlantiques, où je ne suis convié ni moi ni Tayeb Saddiki, je me rends à Casablanca au café théâtre Mogador pour y assister à l’hommage au comédien Salamat, compagnon de route de Taîb Saddiki depuis près de quarante ans. J’y arrive en début de soirée, une demi heure à l’avance. Le jeune fils du dramaturge, me dit que son père ne tardera pas d’arriver. Tout autour des montages photos qui retracent la carrière théâtrale de l’artiste ainsi que de vieux costumes dont il s’est servi pour ses pièces successives. Comme la revue Horizon Maghrébin m’a interrogée sur le premier festival d’Essaouira « la musique d’abord », j’ai pensé interroger son instigateur au début des années 1980. Il arrive enfin , habillé d’une djellaba du vendredi, entouré d’une nuée de journalistes et d’admirateur. Je me porte au devant de lui en lui disant :
- Je prépare un article sur toi pour Horizons Maghrébins.
- C’est ce qu’on appelle une menace ! Twahachtak, (tu me manques). Il y a un âge où on connaît plus de morts que de vivants…
- C’est terrible !
- Quoi ? C’est normal. C’est la vie.
Une fois installé à table à gauche de la scène, il me demande :
- D’où vient le mot tableau ? C’est le mari de la table !
Je l’interroge alors sur ses souvenirs du premier festival d’Essaouira en 1980 :
- C’est à cette occasion que vous avez présenté pour la première fois iqad sarira fi tarikh saouira (lumière sur l’histoire d’Essaouira), en tant que pièce de théâtre à souk laghzel (le marché de la laine, plus précisément « le souk des quenouilles ») ?
-D’abord, il fallait faire ce festival me dit-il. Natif d’Essaouira, je me dois de rendre hommage à ma ville natale.Comme nous sommes une famille d'artistes mogadoriens : mon père a écrit sur l’histoire d’Essaouira, Azizi mon frère l’a adapté, Saddik et Maria se sont occupés des décors et des costumes. Un jour quelqu’un est venu demander à Azizi de lui traduire un texte qu’il a trouvé mauvais : « Ce texte, lui dit-il, on ne peut le traduire qu’en justice ! »
- Vous étiez né à Essaouira en 1938…
- J’ai quitté Essaouira à l’âge de sept ans. La moitié de la population était juive. On parlait hébreux sans faire de différence avec l’arabe. J’ai eu la chance d’apprendre le Grec et le Latin. C’est pourquoi, j’en suis devenu un obsédé textuel ! Quelle est la capitale la plus virile du monde ? Dakar ! Le mot « photographie » vient de « Photo » qui signifie lumière et « graphie » , « écriture » : c’est écrire avec la lumière…
- En 1980, vous êtes donc revenu à Essaouira pour y organiser son premier festival que vous avez intitulé « La musique d’abord »…
- Car la vie sans musique serait d’une grande tristesse. J’ai ouvert tout le théâtre en pleine aire. La ville se prête merveilleusement à la mise en scène théâtrale avec ses différentes places qui constituent autant d’endroits de spectacles : « La musique d’abord », le théâtre vient après même si je suis moi-même un homme de théâtre.
Les comédiens Mustafa Salamat et Aziz Fadili. La soirée rend hommage à Salamat, compagnon de route du dramaturge depuis près de quarante ans
Le tableau que Tayeb Saddiki a offert à Salamat
Ville - spectacle , Essaouira se prête, en effet, merveilleusement à la mise en scène avec ses différentes places intra muros : marché au grains, marché de la laine, Joutia (place de la criée), place de l’horloge, chemin de ronde de la Scala de la mer, son immense baie dévolue à la fantasia régionale….Contrairement à une ville éclatée comme Safi où il fallait toute une logistique de transport pour les musiciens où tout était éloigné du cœur palpitant du festival au château de Mer, à Sidi Boudhab et à la colline des potiers.
Nuit bleue des Hamadcha à Souk Laghzel (festival "la musique d'Abord", 1980-1981)
Couverture réalisée par Boujamaa Lakhdar
"Aylal"(la mouette),le journal du premier festival d'essaouira "la musique d'abord", que diririgeait Georges Lapassade où étaient publiées les communications du colloque de musicomogie et où j'avais publié ma traduction du Rzoun, le vieux chant de la ville que j'avais recueilli auprès de mon père et d'Abdeljalil Qasri, qui nous pretait la machine à écrire de la chambre de commerce qu' il dirigeait alors (le président du conseil municipal de l'époque l'enverra en pèlerinage à la Mecque dont il ne reviendra jamais..).Il aurait aimé etre inhumé à la colline du bon Dieu de Sidi Mogdoul dont il me racontait la légende de sa domption du lion, laquelle légende serait à l'origine du nom de la porte de la ville dite "la porte du lion"..."La mouette" était tiré sur stencil au locaux de la division économique et social de la province d'Essaouira que dirigeait alors le caid Bassou, le commanditaire de la publication des actes du colloque de musicologie que Georges Lapassade fera paraitre plus tard en deux tomes à la revue "Transit" de Paris8: "Paroles d'Essaouira" pour le chant profane(j'avais recueilli à cette occasion, les chants des marins, les chants des moissonneurs au pays Haha et l'aita des Chiadma....).Le tome II portait sur "Le chant sacré",consacré au Dhikr des Hamadcha et des Aissaoua et au rituel des Gnaoua entre autre...C'était mon baptème du feu en tant qu'ethnomusicologue formé sur le tas à partir de ce colloque de musicologie d'Essaouira...
A Essaouira les différentes manifestations du festival étaient réunies pour ainsi dire dans un mouchoir par la structure même de la ville : c’est au cœur de la médina que se déroulaient l’essentielle des manifestations : nuits bleues des Gnaoua à la Joutia, celles des Hamadcha , au marché aux grains, Ahouach d’Imine Tanoute et du pays Haha sur la Scala de la mer, le folklore portugais, celui de Bretagne ainsi que les derviches tourneurs de Turquie, à la place de l’horloge….C'est au cours de ce premier festival qu'eut lieu le premier colloque de musicologie que dirigeait Georges Lapassade, à l'origine de l'enquête ethnographique intitulée "Paroles d'Essaouira" et plus tard de la série documentaire "la musique dans la vie", que l'auteur de ces lignes supervisa pour le compte de la deuxième chaîne marocaine durant pratiquement onze années(de 1997 à 2008).
Mais ce qui distingue incontestablement ce premiers festival, c’est la participation de tous, ce qui explique tout le mouvement culturel et artistique qu’il avait induit durant les années 1980. Les festivals qui viendront ensuite auront un caractère plus officiel et seront surtout entièrement extravertis : les boites de communications de Casablanca, de Rabat et d’ailleurs se chargeront désormais à livrer des festivals clés en main, qui se déroulent le week end. Mais une fois les lampions éteints ils ne laissent aucun effet d’entraînement culturel au niveau local. A force d’être exclus les acteurs culturels ont fini par quitter la scène locale…C'est une politique qui a fini par momifier culturellement la ville, en la maintenant dans un rôle passif de simple receptacle de spectacles...Abdelkader Mana
08:12 Écrit par elhajthami dans Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
09/05/2010
Le théâtre des "remparts"
En hommage à El Haj Mahmoud Mana
Fondateur du théâtre les remparts en 1979
Les premiers pas de Mahmoud Mana au théâtre: souvenirs, souvenirs...Interprétation de l'avare de Molière en arabe dialectal en 1964.
Il y a plus de trente ans El Haj Mahmoud Mana, créait la première compagnie théâtrale d'Essaouira du nom du "Théâtre des remparts". C'est un fervent amoureux du théâtre qu'il pratiquait depuis l'âge de 12 ans au tout début des années 1960.
On reconnais au milieu Mahmoud Mana; il y a déjà de cela si longtemps; du temps du noir et blanc: nostalgie quand tu nous tient...En colonie de vacances à Ifran en 1969.
On reconnait à gauche, le comédien Boussen du temps de sa jeunesse: ce fonctionnaire municipale qui délivre les extraits d'actes de naissance et de décès est le fils du célèbre herboriste du même nom qui avait vendu sa belle demeure de la kasbah au prix de clopinettes, devenue depuis le Tharos qui vaut maintenant son pesant d'or depuis que les festivaliers y organisent leurs dîners de gala. Boussen est également un fervent adepte de la confrérie des hamadcha où il a toujours joué un rôle important en tant que percussioniste du Herraz lors de la Hadhra...
On peut lire sur cette affiche: tout en haut Masrah Al Asouar (le théâtre des remparts)avec Mahmoud Mana présente: "Cris du fond des gorges enrouées". Prix d'entrée: 25 DHS, spectacle théâtral exceptionnel: deux heures de plaisir et de rire...
Entre tradition et modernité: on recourait littéralement à cette notion d'enfermement dans des remparts, ces derniers , en carton-patte, étaient omniprésents sur le plateau comme pour signifier le fort enracinement de ce théâtre dans la ville...Un enjeu culturel mais aussi urbain en quelque sorte...
La dimension ihtifaliste, festive, de ce théâtre participant à un dséfilé officiel probablement lors de la fête du trône qui avait eu lieu chaque 3 mars à l'époque du Roi défunt.Epopée dont Mahmoud Mana en tant que directeur artistique du festival a réalisé la mise en scène au pays Haha de la pièce "Haha, jeunesse et fêtes": c'était au premier festival de Tamanar en 1986
Théâtre d'émanation municipale très influencé à ses début par le vaudeville égyptien et le feuilleton télévisuel...C'est la pièce "choumouâ wa doumouâ" (Larmes et chandelles): Mahmoud a participé avec cette pièce a une rencontre nationalez à Fès sur le planning familial où cette pièce a obtenu le deuxième prix
Une scène où on reconnait à gauche le comédien kalaza, compagnon de route de Mahmoud Mana depuis toujours. Scène de la pièce "cri du fond des gorges enrouées" joué l'an 2007 et 2008 où la troupe a donné quatre spectacles à Essaouira. Kalaza y a joué le rôle d'un petit fonctionnaire faisant face à de nombreux problèmes familiaux et noyant sa mélazncolie en buvant comme un trou force alcool
Kalaza excellait surtout dans le rôle de "l'ivrognee", provoquant à chaque fois l'hilarité universelle ...
Le théâtre less "remparts", symbole d'Essaouira par excellence puisque le nom de la ville signifie jusqtement "petites remparts", a toujours était le lieu d'épanouissement des talents féminins malgrés des traditions étouffantes au sein des remparts.
Trio féminin sur scène: l'art naïf et poétique au service de la cause des femmes.....
Parti de l'expérience des maisons des jeunes dans les années 1960, ce théâtre de quartiers tourne en dérision les scènes de la vie quotidienne: en arrière plan on peut lire en arabe: "Interdit de jeter les détritus sur la place public"....Bien avant l'heure ce théâtre se voulait comme un moyen de mobilisation en faveur de l'environnement, il s'agissait en quelque sorte de réveiller l'esprit civique chez le spectateur.
Cette pièce remonte probablement à l'après attentat terroriste de mai 2003 qui a fait plus de quarante victimes à Casablanca puisqu'on peut lire sur l'une des affiches: non à la violence, non à l'incitation à la haine contre les enfants de mon pays...
Le rabbin, le prêtre et l'imam: tout un symbole : un message de coéxistence et de tolérance entre les trois religions monothéistes: on reconnait là aussi l'influence du dramathurge Tayeb Saddiki avec lequel Mahmoud Mana a collaboré au temps de maqamat Badiî zaman al hamadaniu et durant le premier festival d'Essaouira de 1980-1982, intitulé "la musique d'abord" que dirigeait alors tayeb Saddiki et au colloque de musicologie, il y avait alors Georges Lapassade, Edmond Amran el Maleh, Ahmed Aydouin, Abdelkader Mana, Hussein Miloudi; Mohamed Bouadda, Abdelghani Maghnia, Boujamaâ Lakhdar, Hussein Toulali, et j'en oublie...Un moment culturel-clé pour Essaouira et son histoire: c'est le moment de l'explosion des arts plastique comme bombe à retardement de la peinture psychédélique qu'a connu la ville avec l'afflu du mouvement hippie vers la ville à la fin des années 1960 - début des années 1970. Ce festival de la musique d'abord qui n'a connu que deux éditions, celle de 1980 et celle de 1982, sera en quelque sorte le precurseur et l'annonceur de tous les autres festivals qu'a connu la ville depuis...
Mahmoud Mana peintre devant l'une de ses oeuvres dans les années 1970
A travers ces costumes et cette mise en scène, on voit bien que Fontômas et Drakula sont passés par là...
Consécration : du bonheur d'être reconnu par son public..
La dernère pièce réalisée par Mahmoud Mana est celle des Al achbah (les fantômes) présentée à Essaouira et à Safi à l'occasion de la journée mondiale du théâtre le 27 mars 2010. Notre auteur faute de soutiens pense cette pièce sera son ultime baroud dans ce domaine...
Abdelkader Mana
16:05 Écrit par elhajthami dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : hommage | | del.icio.us | | Digg | Facebook