21/10/2010
Vie pastorale
V i e P a s t o r a l e en arrière pays de Taza En haute montagne, aux environs de Bou - Iblân, en arrière pays de Taza, le paysage respire l'agréable fraîcheur de petits sites alpestres. Le montagnard ne parle jamais sans émotion involontaire des opulentes prairies de Meskeddâl, qu'embaume le parfum subtil et puissant d'innombrables fleurs champêtre. En langue berbère de haute montagne, « Meskeddâl » signifie « répartir les pâturages », il s'applique à l'ensemble des prairies ainsi réparties entre diverses fractions de tribus Bni Waraïn.La montagne, c'est le domaine de la transhumance d'été, qui commence au mois de mai et s'achève avec la tombée des premières neiges, qui oblige les transhumants à descendre vers la plaine. C'est au mois de mai que les bergers avaient commencé de s'installer sur ses plantureux pâturages au vert sombre encore frangé de neige éblouissante.
Ô mon cœur n'espère plus la revoir !
Ô mon cœur, épargnes - moi autant de souffrances !
J'ai peur que tu me jettes dans un puits sans fond !
Il erre ainsi perdu par sa douleur... »
Cheïkh Mohamed Jerrar
Les transhumants quittent la montagne dés les premières neiges
Le chant du pays se rythme au tambourin
Le rythme de Bou Iblân scintille au firmament
La danse pastorale est une ondulation de la montagne
Hautes sont les cimes, limpides sont les sources
Drues, les vallées de la montagne à Meskaddal
Où chaque année, on célèbre les pâturages d'été...
Vertes, les prairies de la plaine d'Azaghar
Où chaque année, On célèbre les pâturages d'hiver...
Par petits groupes les transhumants gagnent lentement l'aval et vont planter les piquets de leurs tentes,les uns sur les bords du Melloulou, les autres sur les rives de la Moulouya, ou encore - sur le haut plateau de la Gada de Debdou.Dans cette migration périodique dont l'amplitude n'excède jamais soixante quinze kilomètres, ils sont suivi peu de temps après par la tribu presque toute entière, qui vient hiverner sur ces pâturages de plaine.
Dés les premières chutes de neige au début d'octobre, on commence de voir les transhumants se répandre dans les steppes de Taïzirt dans la plaine de Tafrata et sur les plateaux de la Gada, que les pluies d'automne ont fait timidement verdoyer. Nous en avons rencontre l'un d'entre eux en train de descendre des cimes enneigees de Bou Iblan avec son troupeau :
« Je suis de Tamjilt fraction Bni Smint. Nous descendons maintenant vers Taïzirt. Nous fuyons pluies et neiges. Nous passons cinq mois à Taïzîrt, et à partir de mars on monte vers les pâturages de montagne. Mais maintenant que l'hiver est là, nous descendons vers les pâturages de plaine : cinq mois Là - haut, cinq autres en bas. »
Le mouvement de la transhumance d'éte et d'hiver
En hiver, le froid très vif et la neige qui couvre tous les sommets ne permettent plus au transhumant de continuer à vivre en montagne : chassé par les intempéries autant que par les disettes des pâturages, moutons et chèvres doivent descendre en plaine sous la conduite des bergers, à la recherche de l'herbe et d'une température plus clémente. Dés que l'on constate l'appauvrissement du terrain de pacage ou l'assèchement des points d'eau, ou qu'on estime les conditions météorologiques préjudiciables aux troupeaux,
« En tant qu'éleveur, j'ai conclu un pacte pastoral avec un pâtre. Au terme de la saison pastorale de six mois, je lui accorde trente six agneaux, en plus de sa provision mensuelle et d'une tente pour la garde du troupeau. Il ne prélève sa part que sur les nouvelles naissances : ce pacte pastoral court du mois de juin de l'année en cours au mois de juin de l'année suivante. Le berger bénéficie en plus du lait, du beurre et des fromages.En raison du manque de troupeau le pacte pastoral n'est plus conclu à 10%, mais seulement à 5% voir à 3%. C'est en cela que consiste le salaire du berger dans la région de Bou Iblân, où la transhumance d'été dure du mois de juin au mois d'octobre, et où la transhumance d'hiver dure du mois de novembre au mois de mars. En ce moment elle se déroule soit dans la région de Guercif soit dans celle de Tahla : ce sont là nos principaux pâturages d'hiver ; nous autres pasteurs - éleveurs de Bou Iblân. »
les propriétaires se mettent en quête d'autres pâturages où se situera l'emplacement d'un nouveau bivouac. Le 15 novembre, le 20 au plus tard, on se met en route. A mesure que chaque tente est prête, bêtes et gens partent sans ordre et sans autrement tarder. Le convoi s'échelonne dans la montagne.
La Gaâda de Debdou
La Gada de Debdou domine en falaise la plaine de Tafrata. Cette zone est située dans le prolongement du haut atlas qu'elle raccorde à l'Atlas Saharien d'Algérie, de sorte que par inadvertance, les transhumants marocains se retrouvent parfois de l'autre côté de la frontière, dans la partie de la « meseta Oranaise ».
Le transhumant doit fuir la neige et s'abriter du froid de l'hiver, se rapprocher des ses terres, les fumer les ensemencer de maïs, procéder aux emblavures d'automne. Les hommes achèvent à la hâte les labours d'automne, tandis que par petites étapes les Iâzzaben se sont rapprocher des grandes tentes ramenant du Jbel les moutons ayant brouter l'herbe fine et recherchée de la montagne.
Ce sont les bédouins arabes qui ont jadis introduit l'usage de la tente chez les transhumants berbères. L'établissement des grandes tentes dans un bivac nouveau s'accompagne d'un ensemble de pratiques magiques à l'observance desquelles le transhumant attache un grand prix. Une vie nouvelle semble renaître à chaque fois pour lui.
L'éleveur Ben Omar Qaddour nous décrit ainsi la tente de ces transhumants Zénètes : "La tente de la transhumance est faite de quoi ? Elle est faite de la laine , que les femmes tissent après la tante des moutons. Elle est aussi faite en partie d'alfa. De l'intérieur elle est soulevée par deux poutres faîtières, qui soutiennent la Triga. C'est celle - ci qui est au fondement de la khaïma(la tente du transhumant) . Au milieu un pan appelé Rhal sépare la partie de la tente où vivent les femmes de celle où se trouvent les hommes. Le lieu où se trouve le foyer est appelé Al Handour. A l'extérieur, les bandelettes sont en alfa et la toiture en laine. »
Des rites président au renouvellement du foyer. Chacun ravive son propre feu et en garde jalousement la flamme. Le souper sera plus abandon que de coutume, et l'hospitalité somptueuse pour ceux qui peuvent égorger un mouton.
La toiture de la tente est généralement agrémentée sur sa face interne de caractères tifinagh. La première nuit qu'on passe au nouveau bivac, les femmes, avant toute chose, jettent du sel sur le terrain réservé à la tente et à ses dépendances. Elles fumigent avec du charbon à glu (Addad), l'emplacement destiné aux jarres de lait.Ce travail fini, l'une d'elles dit :
« Que Dieu fasse du nouveau bivac un emplacement de paix ! »
Une autre répond :
« Que Dieu vous le procure ! »
Les pasteurs de tous les pays observent des usages identiques.
Mazza Ben Youssef :"Jadis la forêt couvrait toute cette région, d'essences forestières diverses, tel le thuya, le genévrier, le chêne vert, le pistachier que vous voyez autour de moi. A partir de son fruit on prépare localement une concoction administrée pour les maux de l'estomac. C'est une essence dont les clercs tirent l'ancre dont ils écrivent leurs hagiographies et leurs talismans. »
La fleur de pistachier dont on se sert pour raviver la mémoire
Cheïkh Abdellah Yahya :
« Quand la France a commencé par occuper le Maroc du côté Est, ils se sont d'abord établis à Mahiridja, d'après ce que nous ont raconté nos anciens. Les montagnards de Tamjilt, Bni Smint, Bni Abdellah, Bni Bou Raïs, transhumaient vers cette direction. De la montagne, ils partaient vers la plaine avec leurs tentes et leurs troupeaux. Les deux premières années ils descendaient vers la plaine sans qu'ils soient inquiétés. Mais au bout de la deuxième année de leur établissement à Mahiridja, les troupes françaises les ont appréhendé ainsi que leurs troupeaux[1]. On a emprisonné les gens. On les a enchaîné. Ce qui est resté de la chaîne, on l'a mis au capuchon du burnous de l'un des prisonniers, puis on les a conduit au lieu où se rencontrent les oueds, près de Taourirt. Ils sont restés emprisonnés là pendant deux ans. Parmi ceux qui ont été emprisonnés à Mahiridja, il y avait mon grand père ; on l'appelait Mohamed Ou Ali Yahya et son frère Ali Yahya. De notre douar, il y avait aussi Moummouh Ou Rahhou.Mon grand père est arrivé à s'enfuir en creusant un trou dans le mur de la prison. Il avait laissé derrière lui, son frère et son compagnon : tous deux sont morts en captivité, et ont été ensevelis au cimetière de Mahiridja. Deux autres , également originaires du douar Bni Smint, ont été exécuté sur place : l'un s'appelait Benali Ou Rahhou, et son frère qui s'appelait M'hand Ou Rahhou. Ils ne les ont pas fusillé ; ils les ont exécuté aux sabres. Morts enchaînés.Ils sont restés enterrés la -bas pendant deux ans.
Deux villageoises Bni Smint
Leurs sœurs se sont rendues à la plaine , les ont déterré et ont ramené leurs dépouilles à la montagne. L'une des sœurs s'appelait Rqia Ali, et l'autre Zahra Ali. Elles ont ramené leurs dépouilles encore intactes où elles ont été enterrées à Bni Smint."
M A H I R I D J A
Vers la fin de 1913, le commandement décide d'installer un poste provisoire à Mahiridja, qui sera achevé, comme l'indique la plaque commémorative, deux ans plus tard, en 1915. Cette mesure a pour but d'interdire les pâturages d'automne du Maârouf des Bni Waraïn. C'est de la Gada de Debdou que les troupes françaises sont arrivées à la plaine de Tafrata, où ils bâtirent une forteresse à Mahiridja, bloquant ainsi l'accès aux pâturages d'hiver, que les transhumants ont de tout temps effectué vers la plaine.Les Aït Maqbal , et les Aït Bou Illoul ont ainsi perdu plus du tiers de leurs troupeaux du fait du blocus systématique inauguré à leur encontre en 1923 par les avants postes français.
Dans le programme de l'année 1918, le général Lyautey prévoit des actions des troupes de Taza contre les Bni Waraïn, en particulier contre la très remuante tribu des Bni Bou N'çor.
L'entrée principale du poste de Mahiridja, achevé en 1915
Au début du printemps 1912, les Bni Waraïn de l'Est se sont installés entre la Moulouya et Debdou, pour interdire aux français la plaine de Tafrata. Un goum est attaqué au cours de la reconnaissance sur la Gada. Les Français concentrent toutes les unités disponibles à Fritissa, en Tafrata.
Avant de regagner Guercif, le groupe mobile laisse à Mahiridja un détachement auquel incombe le soins d'organiser le nouveau poste desservi par une ligne de chemin de fer pour l'approvisionnement des militaires.
Malgré un brouillard épais, le capitaine Labordette croit pouvoir descendre avec sa compagnie l'étroite vallée d'Alouana ; il tombe dans une embuscade. Les marocains fusillent les légionnaires à bout portant, en peu de temps, ceux-ci ont 28 tués dont un capitaine et sept blessés dont un lieutenant. Les survivants se replient sur le col avec beaucoup de peine. Dés que la nouvelle parvint au général Gerardot, il expédie en toute hâte les renforts. Les unités de secours escaladent la montagne ; elles recueillent les débris de la compagnie et vont ramasser les morts.
Les opérations militaires françaises étaient prévus dans les premiers jours d'avril 1923 de façon à précéder la transhumance en montagne des fractions qui sont venus passer l'hier dans la vallée de la Moulouya. De cette façon on empêche tout renforcement des dissidents par des ralliés. Le lieutenant Kasdir note : « Les populations montagnardes auxquelles nous nous sommes heurtés en 1923 sont toujours restes insoumises. Habitués à une vie rude, elles sont résolues farouchement à conserver leur indépendance. Rejetés dans le pays de la neige et du froid, privés de pâturages d'hiver indispensables à leurs troupeaux, éloignés des terrains de culture de la plaine ; ils sont acculés à se soumettre. »
Les Français parcourent la région avec un groupe de 2300 hommes. Pourtant cela n'intimide pas les Bni Waraïn : le 9 avril 1912, à la pointe du jour, environ 2500 guerriers foncent sur la reconnaissance de Mahiridja. Dés le début le combat prend une allure très violente, l'action s'étend peu à peu sur un fond de huit kilomètres : 200 morts côté marocain et 28 tués côté français. Les Bni Waraïn restent déterminés et très hostiles, et ne songent nullement à dissoudre leur rassemblement à Bou Yaâcoubat. D'ailleurs une Harka des Ghiata et Houwara, formée dans la région Taza - Msoun, vient les appuyer ; en fin avril 1912 ; elle s'installe à Safsafat sur le Melloulou , puis vers le 10 mai 1912, elle atteint la Moulouya à Sidi Bou Jaâfar. Les forces des dissidents s'élèvent alors à environ 4500 combattants.
Bajghit Qasso : « Un certain Ou Hammou vivait dans une grotte. Quand le colonialisme est arrivé, ils ont voulu négocier sa reddition. Sa réponse fut un niet catégorique à l'occupation. Il est resté retranché obstinément jusqu'à ce que les chrétiens ont fini par le tuer au fond de sa grotte à Bou Iblân »
Maâzouz Mohamed : « Le pont que vous voyez derrière moi a été édifié par le protectorat. Il était traversé par le train à charbon, qui ne fonctionnait ni au mazout , ni à l'essence, ni à l'électricité. Il reliait Guercif à Midelt. Il n'y avait pas de wagons pour les voyageurs comme aujourd'hui : voyageurs et marchandises étaient à découvert.Mon père, que Dieu ait son âme conduisait la locomotive de ce train. Je me souviens encore quand je l'avais accompagné à Guercif à maintes reprises, à l'allée comme au retour. Les rails ont été enlevés vers les années quarante ; aux environs de 1938 - 1939.Je m'en souviens comme si c'était aujourd'hui.Au quartier militaire, il y avait la légion française, les Sénégalais et les goumiers. Ils étaient quatre à cinq compagnies. Je me souviens qu'ils étaient restés longtemps par ici. Ils ont quitté les lieux au début des années quarante sans que je sache où ils sont partis. »
Finalement le relief complexe et fortement acceidenté a joué le rôle de la cinquième colonne dans la lutte de ces montagnards aguerris contre la pénétration coloniale .
Semi-nomades, semi-sédentaires, certains Bni Wuaraïn de l'Est étaient obligés de composer avec les troupes Françaises pendant l'hiver pour permettre à leurs troupeaux de pâturer dans la plaine du Melloulou et de la Moulouya. Vaguement ralliés pendant l'hiver, ils deviennent de véritables ennemis pendant l'été et les Djiouch Bni Jellidacène pillaient les populations soumises. La première guerre mondiale, et la guerre du Rif ralentissent l'activité militaire dans la région.
Abdelkader MANA
02:37 Écrit par elhajthami dans Le couloir de Taza | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : le couloir de taza, histoire, vie pastorale | | del.icio.us | | Digg | Facebook