28/12/2009
La bataille d'Isly
La bataille d'Isly
La conquête de l’Algérie par les Français, à partir de 1830, mettait le Maroc en présence d’une situation nouvelle. Sollicité par l’émir Abd el-Qâder, le sultan Moulay Abd er-Rahmane (1822 – 1859) lui avait accordé un asile, puis une armée. La garde royale (mehalla marocaine) soutenait l’émir Abd el-Qâder et menaçait les opérations de Bugeaud. Aprè de longues hésitations devant l’attitude menaçante de l’Angleterre, la France se décida à une double expédition : par terre sur Oujda et l’oued Isly (d’où le nom de « la bataille d’Isly »), par mer, sur Tanger et Mogador. On trouve dans kitâb al-Istiqçâ fi Akhbâr al-Maghrib al-Aqçâ de Ennâçiri Esslaoui, une description vivante de cet évènement dramatique du point de vue marocain :
« En 1259/1844, les Français étaient maîtres de tout le territoire du Maghrib Moyen , tandis que Elhâdj Abdelqâder ben Mahi Eddin allait et venait sur les confins, tantôt dans le Sahara, tantôt chez les Béni Yznâsen, tantôt à Oujda et dans le Rif . Peut-être dans ses allées et venues, y avait-il autour de lui un grand nombre de sujets ou de soldats du Sultan ? Les Français, envahissant alors l’Empire du Sultan (que Dieu lui fasse miséricorde !) dirigèrent plusieurs incursions contre les Béni Yznâsen et contre Oujda et les environs. Ils prirent Oujda par surprise et livrèrent cette ville au pillage. Leur brigondage désolait la frontière. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) leur ayant adressé des représentations sur cette violation de son territoire, ils répondirent que le fait d’avoir fourni à plusieurs reprises à Elhâdj Abdelqâder des chevaux, des armes et de l’argent, la guerre qui leur avait été faite par les troupes régulières du sultan massées sur la frontière, et la présence des Béni Yznâsen dans les rangs de l’armée d’Elhâdj Abdelqâder, constituait une violation de la trêve, sans compter d’autres arguments qu’ils mettaient en avant.
Les affaires s’aggravant, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) résolut de déclarer la guerre aux Français. Il invita les habitants des ports à se tenir prêts,à faire bonne garde et à se préparer à toute éventualité. Il donna à son cousin le commandement d’un détachement de réguliers et l’envoya dans la direction d’Oujda. Voici à ce sujet, ce qu’écrivait le Vizir Ben Driss pour appeler au combat la population du Maghrib, les exciter à la guerre sainte et réveiller leur aspiration dans ce sens :
« O habitants de notre Maghrib, il est juste de vous appeler à la guerre sainte : le droit ne se trompe pas.
Le polythéisme est à votre porte du côté de l’Est : il a déjà imposé l’injustice aux gens de votre religion.
Ne vous laissez pas séduire par la douceur trompeuse qui déjà s’est transformée en colère contre l’Islam.
Car il possède toutes sortes de stratagèmes qui défient toute l’intelligence des jeunes et des vieux. Les principes de la trahison commencent à ses bagues : la trahison et le mal abhorré sont sa règle de conduite. C’est vous qu’il vise. Ne restez pas en paix : le repos devant les ennemis est une déchéance. Celui qui reste dans le voisinage du mal sera frappé par le malheur.
Comment vivre quand on a des serpents dans son panier ? L’homme noble désire la gloire qui le rend eternel, et celui qui vit dans l’avilissement n’est pas heureux. »
Le commandement des troupes fut confié au fils et khalif du Sultan, Sidi Mohamed ben Abderrahman, qui se mit en route et établit son camp au bord de la rivière d’Isly, dans l’obédience d’Oujda. Elhâdj Abdelqâder parcourait toujours le pays, n’ayant plus avec lui qu’environ 500 cavaliers du Maghrib Moyen..Quand le khalif Sidi Mohamed, arrive à l’oued Isly, y eut établi son camp Elhadj Abdelqâder vint lui demander une entrevue. Le khalif le reçut à cheval et eut un entretien avec lui. Entre autres choses Elhadj Abdelqâder lui dit :
"Vous avez été mal inspiré d’apporter avec vous ces tapis, ces effets et tout cet appareil que vous avez placé ici devant le front de l’armée de cet ennemi. N’oubliez pas que vous ne devez jamais vous trouver en face de l’ennemi sans avoir tout plié, et sans laisser une seule tente plantée sur le terrain. Sinon, dés que l’ennemi apercevra les tentes, c’est sur elles qu’il se dirigera, et il n’hésitera pas à perdre pour elles tous ses soldats."
Driss Oumami
Il expliqua aussi la façon dont il combattait les Français et certes il avait raison de tenir ce langage, mais il ne produisit aucun effet, parce que les cœurs étaient déjà gâtés. Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu.
Dans la nuit qui précéda le combat, deux arabes du pays arrivèrent au camp et demandèrent à être introduits auprès du hâjib (chambellan). Arrivés auprès de lui, ils lui dirent :
- L’ennemi se dispose à surprendre demain matin : préparez vous à le recevoir et préparez votre général.
On prétend que le hâjib leur répondit :
- Le général dort à ce moment : ce n’est pas moi qui le réveillerai.
Après eux, quatre autres hommes vinrent donner des informations sur l’ennemi : ils furent reçus comme les premiers. A l’aube, le khalîfa venait de terminer sa prière quand une dizaine de cavaliers, arabes selon les uns, gardiens du khalîfa selon les autres, arrivèrent pour lui annoncer que l’ennemi était en route et qu’ils l’avaient quitté au moment où il commençait à lever le camp. Le khalîfa (Dieu lui fasse miséricorde !) donna l’ordre de monter à cheval et de se tenir prêts : personne ne devait rester à la mehella, sauf les fantassins qui étaient moins d’un millier. Il envoya l’ordre de se mettre en selle aux Béni Yznâsen qui arrivèrent par milliers, et qui étaient presque aussi nombreux que les troupes du khalîfa. Les cavaliers marchèrent contre l’ennemi, rangés en bataille à perte de vue, leurs étendards flottant au – dessus d’eux. Ils offraient un spectacle surprenant et présentaient un ordre magnifique. Au milieu d’eux marchait le khalîfa, avec le parasol ouvert au – dessus de sa tête, monté sur un cheval blanc et vêtu d’un manteau rouge, se distinguant des autres par son extérieur et son appareil. Quand les deux armées se rapprochèrent, des lignes de cavaliers se mirent à se porter en avant, comme pour hâter le combat. Mais le khalîfa ordonna aussitôt le calme, la dignité et une marche prudente. Puis, les deux troupes se trouvant face à face, le combat s’engagea. L’ennemi observait surtout le khalîfa et dirigea plusieurs fois le tir sur lui ; une bombe vint même tomber devant le porte – parasol, son cheval s’emporta et faillit le désarçonner. Voyant cela, le khalîfa changea son aspect extérieur. Il fit replier le parasol, monta un cheval baie qu’il se fit amener, et mit un autre monteau. De cette façon, il disparaissait dans la foule. Les musulmans avaient jusque – là , brillament repoussé l’ennemi et lui avaient infligé des pertes sérieuses, leurs chevaux s’effrayaient, des bruits des canons, mais ils les éperonnaient vigoureusement et ils tenaient ferme contre l’ennemi. Mais quand se tournant du côté du khalîfa, ils ne le virent plus, à cause de son changement d’aspect, ils furent pris de peur, car des alarmistes disaient qu’il était mort. Aussitôt le désordre se mit dans leurs rangs. Les chrarda se hatèrent vers la mehalla et, se rendant maîtres des tentes où était l’argent, s’en emparèrent, s’entretuèrent pour se l’arracher. Ceux qui étaient dominés par l’effroi les suivirent, les autres s’esquivèrent peu à peu, de sorte que l’armée fut battue sur tous les points. Un des personnages de son entourage vint annoncer au khalîfa que l’armée était défaite et que les hommes se tuaient et se volaient dans la mehalla. « Gloire à Dieu ! » s’écria-t-il, et, se retournant, il constata la conduite effrayante des troupes, et battit en retraite, les gens qui étaient restés avec lui furent mis en déroute jusqu’au dernier. L’ennemi les poursuivait et lançait sans discontinuer des boullets et des obus. Heureusement, quelques artilleurs tinrent solidement à la mehalla, mais la rivière se mit à couler et submergea ses rives habituelles. Les ordres de Dieu reçurent leur exécution, et se furent les Musulmans seuls qui battirent les Musulmans, ainsi que vous avez pu le voir.
L’ennemi s’empara de la mehalla, et, les pillards s’étant enfuis devant lui, il en resta maître avec tout ce qu’elle contenait. Ce fut une calamité cruelle, un désastre considérable, tel que n’en avait pas encore subi la dynastie chérifienne. Ce triste évènement eu lieu le 15 chaâban 1260, à 10 heures du matin.
Les troupes défaites battirent en retraite et se dispersèrent de tous côtés. Mourant de soif,de faim et de fatigue, les gens se laissaient dépouiller sans resistance par les femmes des arabes Angâd. Le khalîfa parvint jusqu’à Taza, où il resta quatre jours, pour attendre les fantassins et les faibles débris du gueïch, puis rentrer à Fès. »
Les chroniqueurs rapportent que le sultan, qui venait de Marrakech et se trouvait à Rabat, apprit la nouvelle et repartit à marche forcée pour Fès. Pendant son voyage, il fut informé successivement du bombardement de Tanger par la flotte de Joinville (6 août 1844) et de celui d’Essaouira par les mêmes unités, avec débarquement de 500 hommes sur l’îlot sis à l’entrée du port (15 août 1844). Cela accrut la fureur du sultan, qui fit raser la barbe à un groupe de caïds de l’armée.
Abdelkader MANA
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27/12/2009
Le bombardement de Mogador
Le bombardement de Mogador
Essaouira allait être mêlée au confli franco-marocain de 1844. On sait la lutte que soutint contre la France en Algérie l'émir Abd el-Qader, qui trouva un important appui, matériel et moral, auprès du sultan Moulay Abd er-Rahman(1822-1859). Celui-ci, en sa qualité de "Commandeur des Croyants", ne pouvait guère refuser son concours à l'émir, qui se faisait le champion de la guerre sainte. D'ailleurs, il n'exerçait qu'une autorité nominale sur les populations du Maroc Oriental qui soutenaient l'émir Abd el-Qader. En outre, un certain parti militait à la cour chérifienne en faveur de la guerre contre la France.
le conflit éclata en 1844, à la suite d'incidents de frontière et devant le refus du Sultan d'obtempérer aux demandes de la France concernant la non assistance par les populations marocaines aux luttes d'Abd el-Qader contre l'occupation Française en Algérie. En guise de represailles, le 6 août , l'escadre du prince de Joinville, bombarda la ville de Tanger. Le 14 août, sur les bords de l'oued Isly, à quelques kilomètres d'Oujda, le maréchal Bugeaud mit en fuite l'armée marocaine(voir la note "La bataille d'Isly" dans ce blog) et, le 15 août, les navirs du prince de Joinville vinrent attaquer Mogador.
L'ESCADRE française envoyée sur les côtes du Maroc partis de Toulon vers le milieu du mois de juin 1844. Elle se composait seulement, à l'origine, de trois vaisseaux, d'une frégate et de quelques bateaux à vapeur. Un corps expéditionnaire de 1200 hommes avait été embarqué sur les différents navires. Par la suite, un certain nombre d'autres bâtiments furent envoyés pour augmenter la puissance de la flotte française.
François-Ferdinand, prince de Joinville, troisième fils du roi Louis - Philippe, alors âgé de vingt-six ans, avait reçu le commandemant de l'escadre. Après avoir fait escale dans le port d'Oran pour prendre contact avec le maréchal Bugeaud, gouverneur général de l'Algérie, il alla mouiller, d'abord à Algésiras, puis à Cadis.
Au début du mois de juillet, l'Aviso à vapeur le Phare partit de Cadix pour Mogador. Après avoir bombarder Tanger, le 6 août, l'escadre revint dans la baie de Cadix, d'où elle repartit à nouveau le 8 août, à destination de Mogador. Elle se composait d'une quinzaine de bâtiments, tant à voile qu'à vapeur, dont trois vaisseaux de ligne, le Suffren , le Jummapes,armé de cent trois canons et le Triton.En faisaient également partie : trois frégates, la Belle Poule , l'Asmodée, le Groenland, quatre bricks, l'Argus , le Volage , le Rubis , le Cassard ; trois corvettes, le Pluton, le Cassendi, la Vedette, deux avisos, le Phare et le Pandour.
Les navires fraçais arrivèrent devant Mogador le 11 août par une fraîche brise du Nord, qui souffla trés fortement durant plusieurs jours.Dés l'apparition de l'escadre, le consul d'Angleterre à Mogador, Wilchir, avait pu faire informer le commandant en chef que tous les Français avaient quitté la ville, mais que les autorités locales s'étaient opposées à son départ et àcelui d'un autre Anglais, Richardson, avant qu'ils eussent payé leur dette. A eux deux, en effet, ils devaient au Sultan environ trois millions de francs. Le 13 août, une frégatte britannique, le Warspite, arriva sur les lieux pour observer les évènements. Le gouvernement de Londres, qui se posait en protecteur du Maroc, ne pouvait se désinteresser des opérations de la flotte française.Le bombardement commença sans que les Anglais eussent trouver la liberté.
Mogador était défendue par de nombreuses pièces d'artillerie, installées tant sur les remparts de la ville et notamment sur la skala de la kasbah et dans l'île. La défense de celle-ci consistait en trois fortes batteries; en outre un réduit était aménagé au centre , autour d'une mosquée. La garnison de l'île, commandée par El Haj Larbi Torrès, comprenaient 320 hommes, choisis parmi les meilleurs soldat du Sultan et les canons étaient servis par des renégats - la plupart espagnols- qui se montrèrent tous bons pointeurs. En effet, la plupart des canonniers (tobjia) étaient des Alouj(des convertis). Le chef des canonniers, Omar El Eulj, était le plus illustre de ces convertis : « Qu’attendez-vous pour commencer les hostilités ? » lui avait-on lancé. « Mais avec ou sans munition ? » leur avait-il répondu. (bliqama aoulla bla iqama ?).Des années plus tard, lorsqu’on rapporta cette anecdote au contrôleur civil du Protectorat, il fit appel à David Iflah, le chantre mogadorien du malhûn juif, et lui demanda de composer une qasida sur ce thème en y insérant la fameuse réplique : « Avec ou sans munition ? ».
En 1844, Mogador avait une populaton de 14000 âmes. Elle était complètement entourée d’un mur d’enceinte haut de dix mètres et courroné de crénneaux dans toute sa longueur. Le système de fortfcatons dressés devant le quarter de la Marine comprenat un rempart en lignes brisées, qui se reliait à la kasbah et était flanqué, au N-O et au S-E, de tours et de batteries casematées.Voici comment s’est déroulée la bataille d’Isly à Mogador d’après les récits militaires d’Achille Filias, publié à Alger en 1881 :
« La flotte était arrivée devant Mogador, après une traversée des plus pénibles : pendant les trois jours qui suivirent ; les vaisseaux restèrent mouillés au large sans pouvoir communiquer entre eux, tant la mer était mauvaise. Enfin, le 15, le temps s’embellit et, vers les deux heures, au signal donné par l’amiral, tous les bâtiments se mirent en marche.
Le Triton laissa tomber son ancre à 700 mètres à l’Ouest de la ville et en face des batteres de la Marine ; le Suffren et le Jemmapes venaient ensuite. Dés qu’ils furent embossés, les trois vaisseaux commencèrent le feu ; aussitôt après, ordre fut donné à la frégatte la Belle Poule et au Bricks le Cassard, le Volage et l’Argus d’entrer dans le port. La frégatte devait combattre les batteries de la Marine,et le Bricks celle de l’île."
Selon la relation de Jacques Caillé (intitulée:"Les Français de Mogador en 1844-1845) :
La brise molit dans la matinée du 15 août, le prince de Joinville décida de commencer les opérattions.
Le bombardement dura deux heures, sans que le feu discontinua de part ni d’autre. Les navires tiraient à plein fouet sur le front des fortificatons et sur les ouvrages détachés ; les Marocains ripostaient de toutes leurs pièces. C’était une véritable grêle de boulets et d’obus. Peu à peu, cependant, l’artillerie de la ville ralentit ses coups : à cinq heures, ses formidables batteries étaient pour la plupart démontées et leur canonniers battaient en retraite.
L’île seule tenait encore : le bateau à vapeur le Pluton, le Gassendi et le Phare, portant ensemble un détachement de 500 hommes s’avancèrent, sous une vive fusillade, vers le débarcadère : à cinq heures et demie, la troupe débarquait avec une partie des équipages et, gravissant à la course une pente assez raide, enlevait la première battere sous les yeux de l’amiral, qui avait voulu prendre sa part du danger.
L’île était défendue par 320 soldats, detachés de la garnison de Mogador et choisis parmi les plus résolus : attaqués avec furie, chassés à la baïonnette des positions qu’ils occupaient et poursuivis de broussaille à broussaille, ces hommes se défendaient en désespérés : 180 d’entre eux furent tués ; les autres se réfugièrent dans la mosquée et en barricadèrent l’issue. C’était un siège à faire. Les marins de l’Argus et du Pluton enfoncèrent la porte à coups de canon et pénétrèrent dans les couloirs : la lutte continua jusqu’au moment où l’amiral, voulant éviter un massacre inutile, fit sonner la retraite. On cerna la mosquée et les troupes bivaquèrent. Les vaisseaux retournèrent au mouillage à l’exception de la Belle Poule qui resta dans la passe et, durant toute la nuit, tira à intervalles inégaux sur les batteries de la Marine pour empêcher qu’on vint les réparer.Les pertes Françaises, dans cette seule journée, s’élevèrent à 14 tués et 64 blessés. Parmi les bâtiments qui prirent part à l’acton, le Jemmapes, le Triton, le Volage et le Suffren, furent particulièrement maltraités.
Le 16, aux premières lueures du jour, le détachement qui cernait la mosquée reprit les armes, mais il n’eut point à en fare usage. Les assiégés se rendirent à merci. On compta 140, dont 35 blessés. Tous s’étaient bravement battus, l’amiral leur en tint compte. Au lieu d’en faire des prisonniers de guerre, il les rendit à la liberté et donna l’ordre à Mr. Warnier de les ramener à terre. Les chefs marocains se montrèrent touchés de cet acte de miséricorde : en témoignage de reconnaissance, le Gouverneur de Mogador fit aussitôt conduire à bord du Rubis une vingtaine de sujets anglais au nombre desquels se trouvait avec sa famlle, le vice – consul Sir Wilshire, qu’il avait gardé comme ôtage malgré les pressantes réclamations des officiers du Vésivius.
Le prince de Jouinville eût pu s’en tenir aux succès de la veille : il lui parut cependant indispensable de ruiner de fond en comble ceux des ouvrages qui n’étaient qu’entamés, et décida qu’une pointe serait faite sur la ville : une colonne de 600 hommes, dont il prit la direction, débarqua sous la protection des feux du Pandour et de l’Asmodée et gagna rapidement le quartier de la marine. Elle y pénétra sans coup férir : tous les postes étaient désert.
- Aussitôt, dit un témoin, les troupes se mettent à l’œuvre : les magasns à poudre sont noyés, les remparts abattus, les canons encloués et roulés à mer. C’était des pièces de bronze magnifique, moitié anglais, moitié espagnol. L’une d’elles était un chef d’œuvre de l’art ; son affût , également en métal, représentait un lion en pleine course : les quatre pattes de l’animal formaient les quatre roues ; sa tête portait la pièce.
Le magasins de la Douane étaient encombrés de marchandises de toutes sortes : on les y laissa dans la crainte que le feu ne gagna trop vite d’immenses approvisionnements de poudre et de bombes répartis dans les casemates des forts. Le prince de Joinville vint lui-même assister à l'opération.On dénombra 120 canons, tous de fabrication anglaise ou espagnole et dont la plupart étaient de magnifiques pièces de bronze. Quelques - uns seulement furent emportés, et les autres encloués et jetés à la mer. L'affût de l'un d'eux, également en métal, représentait un lion en pleine course; les quatre pattes de l'animal formaient les quatre roues et la tête portait la pièce. Les soldats français trouvaient en outre à "la marine" d'immenses magasins, remplis de marchandises de toutes sortes - notamment des cuirs, des laines, des fruits - appartenant au Sultan.
Quand tout le quarter ne présenta plus qu’un amas de décombre, la colonne regagna ses vaisseaux. Le soir-même les troupes revinrent dans l'île. A peine avaient-elles quitter le rivage que plusieurs tribus berbères se jetèrent dans la ville et la mirent à sac, après en avoir expulser la garnison.
Roman Lazareve
En effet, dès le début du bombardement, les habitants de Mogador avaient pris la fuite et les tribus des environs, Haha et Chiadma,s'empressèrent d'envahir, de piller et d'incendier la ville. Les consulats européens ne furent pas épargnés et, des navires français on voyait des pillards qui s'éloignaient en portant sur le dos de belles glaces dont le soleil projetait au loin l'éclat. Les canonniers français prirent ces glaces pour cibles et réussirent,semble-t-il, à culbuter les voleurs.
La tradition orale rapporte que l’un des canonniers d’Essaouira, en ce jour néfaste du 15 août, s’était étonnée : « Où étions – nous quand l’adversaire s’armait pour nous conquérir ?! » Dans la ville un chant anonyme d’époque nous en fait un récit vivace :
Ceci s’est pasé un jeudi
Le monde se voila d’obscurité
C’était avant le Dohr
Les gens étaient assis
Préparant leur déjeuner
Les canons les prirent
Pour cibles de leurs boulets,
Les hommes et les femmes vinrent
Sur les remparts.
C’était un coup venu du ciel.
La négresse se leva en criant :
« Où est mon maître ?! »
Bientôt est venu le soir
Tout le monde était terrifié
Le destin nous a frappé à l’instant
Où Omar El Eulj se baissa et où sa tête vola.
Le prince de Joinville consigna également dans ses notes le souvenir de cette bataille : « les navires Français arrivèrent devant Mogador...La mer était si houleuse qu’ils durent rester mouiller en face de la ville, sans même pouvoir communiquer entre eux. Malgré des bouées de deux cents brasses de chaînes, les ancres se cassaient comme du verre...Les combats étaient des plus violents... »
Joinville lui-même n’échappa que par miracle à la grêle de balles qui s’abattaient sur les assaillants. Accablés par le nombre, les Marocains finirent par se rendre après avoir résisté jusqu’à la dernière limite.
On raconte que ce sont les Chiadma qui ont mis à sac la ville, et que depuis l’îles les soldats français visaient ceux des pillards que trahissaient les miroires qu’ils emportaient le long de la plage. Avant de fuir la ville dévastée, le négociant Touf El Âzz avait dissimulé sa fortune en louis d’or sous du gravier de construction, dans le patio de sa maison. Il a pu ainsi retrouver intacte sa fortune une fois revenu à la ville livrée au pillage.
De la coquette Souira, dont Moulay Abderrahman avit fait sa résidence favorite, il ne restait plus que des murailles criblées de boulets et noircies par la fumée : l’escadre n’ayant plus rien à détruire appareilla le 22 août, partie pour Cadix et partie pour Tanger, où le prince de Jouinville devait attendre le résultat des négociations ouvertes entre les deux gouvernements au lendemain-même de la bataille d’Isly.
Quelques vapeurs restèrent pour fermer l’entrée du port, et un bataillon de 500 hommes fit commis à la garde de l’île. Celle- ci fut évacuée le 17 septembre 1844, après la signature du traité de paix. L’équipage de la Belle Poule encloua les canons pris aux marocains et brisa leurs affûts. Tout ce qui ne pouvait être enlevé fut livré aux flammes. »
Le prince de Joinville ne voulait pas s'embarasser des prisonniers blessés. Il proposa de les échanger contre les Anglais restés à Mogador et son offre fut acceptée par les tribus maîtresses de la ville. Le 17 août, dans la matinée, Wilchir, Robertson et leur familles furent recueillis par une embarcation du Cassard .Puis le Rubis les conduisit à bord du Warspite. Le 17 août également, le prince de Joinville envoya le Véloce conduire au Maréchal Bugeaud, en Algérie, les prisonniers valides.
en même temps, le commandant en chef organisait l'occupation de l'île de Mogador, qui n'était qu'un rocher stérile: pas d'eau, pas de bois, quelques abristout à fait isuffisants, des citernes vides, à moitié comblées de ruines, des défenses hors de service. en outre il fallait prévoir la mauvaise saison qui approchait, les difficultés de ravitaillement. on tira des navires tout ce qu'ils purent fournir de vivres, de canon, de poudre, de projectiles et d'ustensiles de toutes sortes. il fallut aussi se procurer des ancres et des chaînes pour la division navale, composée de quelques bricks et canonnières, qui allaient rester devant Mogador. en outre on fit venir des vivres et du charbon, de Cadix, de Gibraltar et même de Lisbonne. La garnison comprit 500 soldats, avec 150 pièces de canon. les hommes furent choisis avec soin, car la perspective d'un long séjour dans l'île manquait d'agrément. Un officier écrivait avec philosophie que "le plaisir de la pêche lui serait d'un grand secours et divertissement, ainsi que les travaux à faire pour installer à l'européenne les bâtiments qu'on allait occuper."
Le matin du 24 août le Groenland, quitte Mogador, par un temps brumeux. Le 26 août, les brouillards devinrent même si épais que, de l'arrière du navire, on ne distinguait plus l'avant. Si bien, qu'à 10 heures du matin la frégatte s'échoua sur une plage, à trois lieues au sud de Larache. Quand la brume se fut dissipée, une heure plus tard, les habitants du pays vinrent en nombre sur la côte et commencèrent, sur le bâtiment, une fusillade qui dura plusieurs heures. La corvette à vapeur la Vedette vint alors à l'aide du Groenland et ses canons dispersèrent les assaillants. Le Pluton à bord duquel se trouvait le prince de Joinville, se rendit également sur les lieux. L'amiral reconnu l'impossibilité de relever le navir échoué, dont on évacua l'équipage et qui fut incendié pour que les Marocains ne puissent s'en emparert.
Le 10 septembre 1844, fut conclu à Tanger une "convention pour régler et terminer les différends survenus entre la France et le Maroc". Le jour même le prince de Joinville écrivait: "L'ordre dec esser toute hostilité et d'évacuer l'île de Mogador partira ce soir.". Un an plus tard, les deux gouvernements procédèrent alors à l’échange des prisonniers, comme le relate Jacques Caillé dans la petite histoire du Maroc :« Le 4 juillet 1845, le Véloce parut devant Mogador, ramenant 123 prisonniers. Quelques uns des plus marquants, dont El Haj Larbi Torrès, se réunirent en cercle entre deux canons de la corvette. Après avoir essuyé leurs larmes, ils entonnèrent un chant d’action de grâce. Les officiers et les matelots français furent impressionnés par la joie calme et profonde avec laquelle ces hommes rendaient hommage à Dieu de leur délivrance. »
Dans l'après-midi , les officiers du Véloce débarquèrent en tête, avec leurs interprète, suivis dans plusieurs embarcations, des 23 Marocains. Quand les prisonniers de ceux-ci mirent pied à terre, ce fut un enthousiasme délirant, "un infernal tumulte de joie et tout fut entraîné, le caïd sa garde et même les Français". Les habitants poussaient des hurlements dej oie, avec des larmes dans les yeux. Un des officiers français écrivait: " il fut impossible de savoir ce que nous devenions; je me trouvai enlevé dans une foule, qui déborda comme une avalanche, vers un hangar,où je fut preservé par une douzaine de Maures, qui prirent d'extrêmes précautions pour que je ne fusse pas écrasé."
Alors que la dernière embarcation était encore à deux cent mètres du rivage, elle fut entourée par une multitude de nageurs, qui s'y accrochèrent si vigoureusement qu'elle chavira.
Roman Lazareve
Quand l'ordre fut rétabli, la cérémonie se déroula ainsi : assis au pied de la grande tour carrée des fortifications, le caïd était assisté du cadi et les hommes de sa garde l'entouraient. Le commandant du Véloce et trois de ses officiers se présentèrent les premiers et, derrière eux, virent les prisonniers, El Haj Larbi Torrès en tête. des enfants s'étaient faufilés dans les batteries voisines tandis que les soldats du gouverneur avaient peine à maintenir la foule sur la place. le commandant fit un bref discours au caïd qui le remercia chaleureusement. Puis les
français se retirèrent, tandis que les captifs libérés retrouvaient leurs parents et leurs amis.La remise des prisonniers de Mogador terminait le plus grave conflit qui ait jamais existé entre la France et le Maroc.
Le lendemain,les officiers du Véloce se promenèrent dans la ville, où ils escitèrent la curiosité des habitants. ils y rencontrèrent le capitaine du port "enroué depuis la veille,mais beaucoup plus tranquille". celui-ci s'aprètait à faire porter à bord de la corvette une abondante mouna offerte par le gouverneur: trois boeufs, des moutons, des poules, des fruits, du pain, etc. il s'excusa pourtant de n'avoir pu faire mieux, bien qu'il eût placé une garde de cavaliers à chaque porte de la ville, pour réquisitionner tous les vivres: "Mais, dit-il avec chagrin, ce n'était pas le jour du marché."
Cinq années après ce bombardement, l’explorateur métis Léopold Panet , qui partit de Saint Louis du Sénégal en passant par l’immense Sahara, la kasbah du Chaykh Bayrouk de Goulimine avec sa traîte négrière et enfin Mogador , signale de nombreux boullets de canon jonchant les pieds des remparts. Et Jusqu’ aux années 1960 je pouvais voir encore ma mère en train de moudre les épices dans l’un de ces boullets, que les habitants de la ville avaient recuilli au pied des remparts...
L'entrée de la casene de l'île où bivouaquaient à ciel ouvert les soldats de moulay Abd er-Rahmane sous la direction de Larbi Torrès, avant le bombardement de 1844. Elle sera transformée ultérieurement en prison où seront jetés par le Makhzen les rebelleRehamna et où séjourna un certain temps le célèbre Raïssouni des Jbala
Abdelkader MANA
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