11/04/2012
Le temps des caïds et du protectorat
Le caid Anflous faisant sa soumission au Colonel Mangin en 1913
« Le temps de la Siba, le temps où les caïds étalaient le burnous sur la djellaba et faisaient parler le baroud. » Fellah marocain
Vers 1840, un seul grand caïd, El Haj Abdellah Ou Bihi commandait une grande partie de la confédération des Haha, et dominait la plaine du Sous au nom du Makhzen, grâce à l’influence dont il jouissait auprès de Moulay Abderrahmane, a une grande énergie et surtout a une justice intransigeante.Il fit construire la Kasbahd’Azaghar avec ses deux tours rondes et son magasin voûté. Il avait le contrôle de tout le commerce transsaharien qui transitait par le pays Haha. C’était un seigneur tout puissant. Même les Zaouias lui versaient la dîme. En plus, il levait des Toufrît (impôt extraordinaire) de 30 à 40 ouqiya par feu. Il installait partout des Chioukhs et des Oumana. Son commandemant unifia les tribus pendant 20 ans. Mais à sa mort survenue à Marrakech, discordes et déchirements se réveillèrent. Des vers du reis Belaïd, qui vivait aux Ida Ou Bâkil, près de Tiznit, rappellent sa domination sur les Haha et le Sous :
Les Haha ont fait du mal aux Soussis
Ils s’en sont fait entre eux aussi
Aghennaj est mort et passé.
On nous a compté sa puissance
On n’habite jamais les châteaux qu’il a démolis
Et Moulay Idriss où es – t – il ? On l’a remplacé, lui aussi.
El Haj Abdellah Ou Bihi, on nous a dit
Que nul ne fut semblable à lui
Puis est venu Guellouli
Il commanda jusqu’à Oussa, en s’en allant, il emporta
Esclaves, chevaux et chameaux, les chioukhs qu’ils nous ont imposé
Ont mangé ce qu’il a laissé, personne n’y a échappé...
Vers 1814, Aghnnaj, caïd des Haha, rayonnait au nom du Makhzen dans le Sous et tenait la Maisond’Illigh sous la menace de son expédition. Le caïd Aghnnaj, était khalifa du Sous pour Moulay Sliman entre 1802 et 1816. Voici encore deux vers qui le concernent :
Aghennaj, nous a tordu la laine et la peau
Aghnnaj en ce temps là, mangeait les Chtouka
Plus tard, on voit, dans le Sous une autre famille de gouverneurs Haha, originaire des Aït Zelten. Le plus connu, El Haj Abdellah Ou Bihi, et son khalifa Moulay Idriss, sont nommés dans la chanson :
El haj Abdellah Ou Bihi, on nous a dit
Que nul ne fut semblable à lui.
Et Moulay Idriss, où est-il ? On l’a remplacé, lui aussi.
Abdellah Ou Bihi, fils de négresse, eut l’autorité sur les douze tribus Haha et sur tout le Sous, jusqu’à l’oued Oulghas. Au sud du fleuve, c’était à Illigh, le royaume de Sidi Lhoucin Ou Hachem, le contemporain et l’ami d’Abdellah Ou Bihi. Les relations du caïd Haha avec le chérif de Tazerwalt étaient à la fois politiques et commerciales. Mogador était le port de Sous, Illigh l’entrepôt du Soudan. Les trois moussems annuels de Sidi Ahmad Ou Moussa, étaient très fréquentés par les caravanes des Haha. Elles apportaient à Illigh des produits d’Europe avec du blé, des chevaux. Elles remportaient l’ambre, l’encens, des étoffes du Soudan, des plumes d’autruche, des esclaves. Tous ces produits du Soudan arrivaient à Illigh, par Tindouf et Tizounin.
Le maqâm d'El Jazouli, sur le piton rocheux de tazrout chez les Neknafa
Un échange entre deux poétesses du pays Hahî atteste que ce grand caïd était un noir. Elles se sont rencontrées au moussem des femmes au maqâm d’El Jazouli, qui a lieu le 21 mars julien. Il s’agit de Rqiya N’barek, des Aït Zelten qui fait l’éloge du caïd en tant que noir et d’Aïcha N’taleb des Neknafa qui en fait la satire :
Rqiya M’barek a dit :
Femme blanche, tu as donné naissance à la laideur et tu l’as porté
Femme noire, tu as donné naissance au seigneur de tous les Haha
Sidi El Haj Abdellah Ou Bihit ô mes frères:
Il est l’homme le plus courageux de tous les Haha
Ce à quoi Aïcha N’taleb a répondu :
On n’a jamais vu chez les noirs de taleb, de sidi, ou de Moulay El Haj
Ils ne sont connus que des noms de Boujamaâ, Salem et Barka
Abella, prends ta tunique d’esclave et rentre dans la paille !
Prends ton tambour et reviens à tes origines !
On rapporta cet échange à El Haj Abdellah, qui convoqua aussitôt Aïcha N’taleb. Celle-ci le trouvant au seuil de sa demeure, lui demande :
- Isamguinou (mon noiraud), le caïd est-il là ?
- Où vas-tu ? Qui t’a envoyé ma vieille ? L’interroge-t-il à son tour.
- C’est ma mauvaise langue qui m’a condamné à venir jusqu’ici.
- Qu’est ce qu’elle t’a fait ?
- On s’est rencontrées au moussem des femmes moi et Rqiya M’barek, la poétesse des Aït Zelten. Elle faisait l’éloge des noirs, et moi leur satire Elle mit son mari dans la confidence, qui rapporta tout au caïd d’Azaghar qui m’a convoqué.
Elle ne savait pas qu’elle s’adressait au caïd en personne. Celui-ci s’est mis alors à rire sous cape, surtout quand elle l’a affublé du sobriquet d’« Isamguinou » (mon noiraud). Il était en effet métis, de mère noire et de père blanc, Oumoulid qu’il s’appelait, proclamé caïd lui aussi un vendredi, au moussem du miel de thym à Sidi Abdenaïm d’ Aït Daoud.C'est Moulay Abderrahman qui avait fait présent d'une esclave au puissant caid des Haha, A'bdelmalek Ould Bihi Oumoulid, l'esclave ayant eu un enfant en arrivant dans sa maison , le caid écrivit spirituellement au sultan: " Le fusil que Sidna m'a envoyé est chargé." - "Sa charge servira où je l'ai envoyé" répondit le Sultan."Le fusil était chargé".Ceci est une allusion à une aventure princière plus ancienne selon Al Istiqsa: "Bou D'mi'a , de Tazerwalt, s'empara du sultan Moulay Cherif et le tint prisonnier à Illigh, dans un Agadir(Agadir n'Bou Dmi'a), un piton sur une montagne escarpée.Pour égayer les loisirs du prisonnier - on pense à Charles d'Orléans prisonnier à Londres pendant des années- le chérif lui fournit de belles esclaves.Il va sans dire que le chérif connaissait les lois de l'hospitalité princière.Mais, une de ces esclaves devint mère - le fusil était chargé - et devint la mère du grand sultan alaouite Moulay Ismael Ben Cherif Ben Ali
En l’an de grâce 2003, nous avons assisté à une fête donnée par Bouhaddoun (littéralement « le porteur de burnous »), le grand notable des Aït Zelten, qui y possède quelques mille hectares, domaine appartenant jadis au caïd El Haj Abdellah ou Bihi, mort pour avoir nouer au 19ème siècle des alliances douteuses avec la Maison d’Illigh dans le Sous. Bouhaddoun est centenaire mais toujours bien portant se réveillant avant que le soleil ne se lève sur la vieille citadelle qu’il avait héritée du grand caïd des douze tribus Haha :
« Le jardin que vous voyez derrière moi appartenait jadis au caïd el haj Abdellah Ou Bihi. Il l’avait entouré d’un rempart en pisée . Dans ce jardin pousse un oranger vieux de cent cinquante ans qui continue pourtant à donner des fruits. Dieu a voulu que j’hérite de ce jardin où coule des sources et de cette Maison de ce grand caïd. Au départ les parents de ce dernier étaient des bédouins venus du Sahara. Ils nomadisaient avec leur tente. Leur arrivée à Azaghar avait coïncidé avec lemaârouf d’un agourram (saint berbère) dénommé Sidi Lahcen Bouchta. Ils ont demandé l’hospitalité de Dieu et on les a conduit au lieu dit Bifaren. C’est là qu’ils se sont établis. L’une de leurs femmes, en allant puiser de l’eau, en ramena plutôt de l’or. Son mari, le fqih Moulid a connu à partir de là une grande notoriété au pays Haha, en tant que mage capable de transformer les grains de maïs et de blé en louis d’or. On a alors voulu mettre à l’épreuve ses pouvoirs surnaturels et son courage d’homme de guerre avant de lui confier le pouvoir suprême sur toutes les tribus . A l’époque, le pays connaissait les troubles de la siba . Les tribus qui se disputaient depuis fort longtempd se rencontrérent à Aït Daoud au moussem annuel de Sidi Saïd Ou Abdennaïm. Celui – ci leur avait dit que c’est celui qui domptera la jument rebelle qui deviendra le chef de toutes les tribus. Il l’enfourcha aussitôt et parvint effectivement à la maîtriser. En voyant qu’il était parvenu à ses fin on ordonna auBerrah (crieur public) d’annoncer sa proclamation en tant que caïd de toutes les tribus, mettant ainsi fin à leurs dissensions incessantes . C’est ainsi que le choix du fqih Moulid, le mage des tribus, fut arrêté puis consacré par la suite par décret Royal . Son fils Abdellah Ou Bihi qui lui succéda a pu commandé aux douze tribus Haha et aux trente six tribus de Sous. »
La légende du caïd Haj Abdellah Ou Bihi a débordé le 19ème siècle, où il a vécu. Tout ce pays des Haha et du Sous où il faisait régner une paix qu’on savait apprécier, malgré la dureté de sa poigne. Voici ce que m’en disait Mohammad mon oncle maternel un lundi des années 1970 au retour du souk hebdomadaire d’Imin Tlit :
« Caïd El Haj Abdellah Ou Bihi était un devin qui métamorphosait des sacs de blé, en louis or. Il était tellement craint qu’il vint rapidement à bout des voleurs et autres pillards, de sorte qu’on pouvait laisser sa vache ou sa brebis au milieu des chemins, sans que personne n’ose y toucher. En ce temps là, deux hommes passant en un lieu désert, dans la forêt d’arganiers, rencontrèrent deux bœufs paissant en liberté et en toute sécurité. L’un de ces hommes leur fit la révérence en disant : Que Dieu donne longue vie à El Haj Abdellah. Sa domination ayant débordé le pays Hahî au Sous extrême, il fut convoqué par le sultan au palais où on lui tendit un breuvage empoisonné, don’t il mourut lentement à Marrakech. »
Navires au large d'Essaouira
Deux ans après la défaite retentissante de la bataille d’Isly et des bombardements de Tanger et de Mogador, ce grand caïd aurait obtenu du sultan Moulay Abderrahman, l’autorisation d’effectuer le pèlerinage àla Mecque : « Le 25 chaâbane 1271 de l’hégire (1846), El Haj Abdellah Ou Bihi embarqua dans un babbor (vaisseau) qui lui était propre. Il y transporta, à ses propres frais, toute une compagnie de gens d’Essaouira et de Haha. Après le pèlerinage, il effectua une tournée auHidjaz, y achetant des propriétés, don’t il fit couler les eaux, avant de les léguer toutes en main morte aux deux Lieux Saints. Dépensant des sommes considérables, il fit aumône aux pauvres et aux handicapés. Après une absence de près de trois années, il accosta à Essaouira, le lundi 14rajeb1274/1849, avec sa nombreuse suite,. Le pèlerinage à la Mecque ayant agrandi son prestige et sa réputation. »
Il mourut vers 1868, empoisonné dit-on, par le Makhzen inquiet de sa puissance Voici maintenant dans quelles circonstances, d’après la version recueillie par Justinard vers 1930 :
« Le chérif Sidi Lhaoussin Ou Hachem s’en vint un jour, à la tête de tout son lef des Guezoula, faire « tarzift » à son ami haj Abdellah Ou Bihi, sans doute quand celui-ci revint du pèlerinage. A partir de oued Oulghas, on trouve partout la mouna préparée par les soins d’Ould Bhi. On s’arrêta chez les Guellouli à l’assif Ighezoulen, puis dans l’azaghar n’Aït Zelten. El Haj Abdellah Ou Bih vint recevoir Sidi Lhaoussin et l’emmena chez lui. Après quelques jours de réjouissances, il lui dit :
- Je ne suis qu’un esclave, dans la main du sultan. Que pourrais-je faire s’il arrivait ici mille cavaliers du sultan, m’ordonnant de t’envoyer à Marrakech ? Mieux vaut que tu partes sans plus tarder.
Sidi Lhaoussin Ou Hachem s’en fut d’abord à Mogador, où il reçut la hdia de tous : Musulmans, Chrétiens, et Juifs. Puis, il reprit le chemin de Sous. Beaucoup de ses gens avaient fait des achats à Mogador sans les payer. La note arriva à Tazerwalt au moussem suivant, et le chérif paya tout.
El Haj Abdellah Ou Bihi écrit une lettre compromettante à Sidi Lhaoussin, lui demandant aide éventuelle contre le Makhzen. Le reqqas aurait perdu cette lettre en passant chez les Chtouka. Un juif aurait trouvé cette lettre et l’aurait portée à un ami des Mtougga, qui aurait été heureux de perdre le chef des Haha et aurait envoyé la lettre au sultan. Sidi Mohamed fit venir à Marrakech le caïd Abdellah Ou Bihi :
- Es-tu un Roi pour recevoir telles visites ? Choisis. Entre le siaf qui va te couper la tête ou ce verre de thé qui va te faire mourir.
Le caïd s’en alla après avoir bu le thé et mourut en rentrant dans sa maison du quartier de Mouassin, à Marrakech. A sa mort Abdellah Ou Bihi fut enterré (vers 1870-71) au hurmde Sidi Abdeaziz Tabaâ, l’un des sept saints de Marrakech. Plusieurs caïds se disputèrent alors les diverses fractions des Haha et en dernier lieu le caïd Hadj Saïd el-Guellouli qui les réunit en les jetant contre le Sous, dont il fit la soumission, quand il mourut lui-même
. Le manuscrit de Timsouriîne
Et voici la version que donne de ces évènements le manuscrit que nous venons de découvrir en ce mois d’août 2008,lors de notre récente dérive chez les Neknafa. Il est gauchement écrit par le dernier des Anflous, qui vit toujours au milieu des ruines de ses ancêtres à Timsouriîne :
« Notre histoire se déroula au pays Haha connu pour ses hautes montagnes, ses puits, ses sources intarissables, ses cours d’eau et ses nombreux arbres.Son territoire est sanctifié par le maqâm (mansion) d’El Jazouli ainsi que par d’autres zaouia telle celle de Sidi Saïd Ou Abdenaïm qui se trouve à Aït Daoud. Dans les temps anciens, un homme de pouvoir gouvernait ce pays. Il s’agit du caïd El Haj Abdellah Ou Bihi Ou Moulid d’Azaghar, qui reçut ses pouvoirs de Sidi Mohamed ben Abderrahman (1859-1873). Il lui a délégué tous les pouvoirs sur les douze tribus Haha, dont celle des Naknafa, connus par leurs Oulémas (docteurs de la lois) et leurs fuqahas (docteurs de la foi).Mais aussi par le courage et la bravoure de leurs guerriers, héros de ces temps, qui n’admettaient ni affront à leur honneur, ni humiliation.
Le caïd El Haj Abdellah Ou Bihi avait comme cheikh (auxiliaire, adjoint), un homme sage et expérimenté, le dénommé cheikh Mohamed Anflous, un originaire de la tribu des Aït Oussa au Sahara. »
Selon l’auteur du manuscrit les Anflous seraient originaire du Sahara et plus précisément de Zag :
- La plupart des hameaux de Timsouriîne où se trouve Dar Anflous chez les Neknafa sont originaires du Sahara : Aït Oussa, Assa-Zag, Aguelmim. Ils sont venus s’établir en pays Haha au 19ème siècle, du temps de Moulay Abderrahman, de Mohamed Ben Abderrahman et de Hassan 1er .L’ancêtre des Anflous était pasteur nomade venu jadis avec ses troupeaux de camelins et de caprins à la recherche de pâturages à Timsouriîne.Tous les hameaux que vous voyez ici sont originaires soit du Sous soit du Sahara. Ils s’étaient établis avec leurs troupeaux dans ces arganeraies en période de sécheresse.
Poursuivons la lecture de notre manuscrit :
« Si M’barek et son frère Ahmed Anflous étaient des subordonnés du grand caïd El Haj Abdellah Ou Bihi : M’barek faisait office de secrétaire particulier et Ahmed de garde .Par ordre du sultan Mohamed Ben Abderrahman, le caïd gouvernait tout ce pays avec justice et équité. Il a mi fin aux causes du mal et aux fauteurs de troubles. Un jour, Ahmed Anflous démissionna de sa fonction de garde. Craignant qu’il n’attise la sédition au sein de sa tribu, le caïd lui envoya une « bague d’aman » (gage de vie sauve) par l’entremise de son propre frère. Celui-ci en avertit aussitôt leur mère qui eut peur pour ses fils, mais consentit néomoins à ce qu’ils se rendent à Azaghar auprès du caïd. Les esclaves et la garde noire avertirent ce dernier de l’arrivée du cheikh Ahmed Anflous. Et le caïd de se lever pour l’accueillir, le plaçant à ses côtés, avec tous les égards et l’hospitalité d’usage. Mais une fois mis en confiance, il le désarma illico presto et lui assenât un coup de poignard mortel.
La citadelle du caïd el haj Abdellah Ou Bihi chez les Aït Zelten
« El Haj Abdellah Ou Bihi continua encore pour longtemps à gouverner les tribus Haha jusqu’à en extirper les causes du mal et les fauteurs de troubles de son temps. Il mourut à son tour en l’an 1293 de l’hégire, et son fils Mohamed lui succéda comme caïd des Haha.Il prit à son tour pour secrétaire particulier, M’barek Anflous. Ce dernier, pour se venger de l’assassinat de son frère Ahmed, ne tarda pas à discréditer le nouveau caïd auprès des tribus Haha, en lui conseillant de les mater les unes après les autres, sous prétexte d’insubordination, suscitant l’opprobre de tous, en particulier celui des Neknafa. Il l’affubla en plus du sobriquet d’ Amaâdour (le loufoque en berbère). Ne se doutant pas des manipulations dont il faisait l’objet Amaâdourfinit par céder tous ses pouvoirs à M’barek Anflous proclamé caïd des Haha en l’an 1295 de l’hégire. »
Le nom d’Anflous, est donc celui d’une famille des Neknafa qui, après avoir contribué à la chute de la famille Abdellah Ou Bihi des Aït Zelten, conquit à sa place, non sans lutte et grâce à l’appui des Mtougga, la prédominance chez les Haha au temps du sultan Moulay Lhassan. Foucauld dit :
« Anflous, serviteur d’Ould Bihi usurpa le pouvoir après que ce dernier eût été empoisonné par le sultan. »
Le manuscrit de Timsouriîne relate la suite des évènements en ces termes :
« Après avoir destituer Amaâdour, M’barek Anflous se met à soumettre les tribus qui se refusèrent à son pouvoir jusqu’à ce qu’il se heurta chez les Ida Ou Isarne en bord de mer,à la forte résistance d’El Haj Ali L’Qadi, qui aspirait lui aussi à devenir caïd des Haha. Les feux de la discorde s’allumèrent entre les deux prétendants, et leur guerre se poursuivit sans relâche avec son lot de destructions et de malheurs, au point que les tribus se plaignirent au sultan des massacres don’t étaient victimes des musulmans innocents. Ayant appris la destruction de la citadelle d’El Haj Abdellah Ou Bihi à Azaghar, Hassan 1erenvoya son émissaire à M’barek Anflous lui demandant de se rendre à la cour. Mais ce dernier craignant pour sa vie refusa d’obtempérer aux injonctions royales. »
Les ruines de la citadelle du caïd Ould Bihi à Azaghar
Les Mtougga ne laissèrent pas passer l’occasion de prendre leur revanche des luttes antérieures et de deux pillages de la kasbah du caïd des Mtougga à Bouaboud. Ils mirent la division chez les Haha, s’appuyèrent sur Anflous, tombèrent sur Ould Bihi et pillèrent sa maison. Une mehella makhzen se rendit alors sur place pour faire rendre gorge aux Haha et aux Mtougga, auteur du pillage. A la colère du sultan reprochant au Mtouggui d’avoir piller la maison du Makhzen, le caïd Abdel Malek des Mtougga aurait répondu :
- Et la mienne, étais-ce celle du forgeron ? « Outinou, tin oumzîl ? »
Le chef de l’expédition punitive n’était autre que le jeune Moulay Hassan, fils du sultan Sidi Mohamed. Il campa à Bouriki, où un karkour marque l’emplacement de sa mehella, quand il apprit la nouvelle de la mort de son père et reçut la bay’â qui l’élevait au trône chérifien (1873). Il rentra de suite à Marrakech.
Le manuscrit de Timsouriîne nous dit à ce propos :
« Lors de son expédition au sud du Maroc et dans le Sous, qui eut lieu en 1299 de l’hégire (1874-75), le sultan est venu inspecter en personne le pays Hahî. Il s’est arrêté au lieudit Bouriki où il édifia un rempart. De là, il s’est rendu au maqâm de Sidi M’hand Ou Sliman El Jazouli, où l’accueillirent le caïd M’barek Anflous et son neveu. Se présenta également devant le sultan leur adversaire El Haj Ali L’Qadi. Tout ce beau monde fut conduit à Marrakech où Hassan 1erdéchargea M’barek Anflous de sa fonction de caïd pour la confier à Addi Ben Ali M’barek. Mais ce dernier s’avéra incapable de mettre fin au désordre et de gouverner les douze tribus Haha. Après leur reddition, M’barek Anflous, son neveux et El Haj Ali L’Qadi furent jeté en prison, et leurs descendants condamnés à verser annuellement un kharaj (redevance annuelle) en compensation des pillages auxquels il s’étaient livrés contre la citadelle d’ Azaghar. » Sibâ’î note ainsi dans son Boustân :les Haha, ayant assiéger leur gouverneur, le pouvoir « doit réparer ce qu’ils ont disloqué, rassembler ce qu’ils ont divisé, recoudre ce qu’ils ont déchiré ».
Ce qui reste des silots de la citadelle d'Azaghae
Dans tous les cas, l’objectif affiché est de ramener les populations au respect du système, et, si elle persévère dans le refus, de les écraser pour la saine doctrine et la commune édification, nous dit Jacques Berque, analysant ces tournées qu’effectuait Hassan 1er à travers le pays :
« Se porter dans le Sous extrême pour y rétablir l’infrastructure du pouvoir central, c’est décourager l’insoumission tribale par un système répressif, lequel comporte pédagogiquement dirait-on plusieurs degrés. Le pur et simple passage de la meh’alla, qui exige son « ravitaillement »,mûna, éponge les ressources du groupe récalcitrant. Si ce dernier résiste, s’il a mis à mal le gouverneur makhzénien, comme c’est souvent le cas, il perdra quelques têtes et acquittera une contribution. En cas de récidive, ou d’insolence marquée, on détruira ses campements, on mangera ses troupeaux, on pillera ses silos, on lui fera des prisonniers qui partiront enchaînés vers l’une ou l’autre des geôles de l’Empire. »
À la mort de Hassan 1er le pays connaîtra partout éclatement et dispersion :
« Rébellion au nord avec le rogui Bouhmara, au nord-ouest avec Raïssouli, le « brigand », pénétration française par Oujda et les Beni Snassen d’une part, Casablanca etla Chaouia d’autre part, grossissement des grands caïds, et pour finir invasion du pays par le sud, avec les « Hommes Bleus » de Ma’el-Aynin puis d’El Hiba. Corrélativement, la réserve hiératique de Moulay Hassan aura fait place aux psychologies cruellement anecdotiques de Moulay Abdel Aziz et de Moulay Hafid, juste avant que la monarchie, dés lors assujettie à l’étranger, ne sombre, pour plusieurs décennies, dans l’impotence ».
Les troupes du nouveau sultan Moulay Hafid se préparent à marcher sur Casablancales
Chez Haha, la nouvelle de la mort de Hassan 1er en 1894, plongea à nouveau le pays dans le désordre et la siba d’après la relation du manuscrit de Timsouriîne : « La confiance entre gouvernants et gouvernés en fut profondément ébranlée. Les Neknafa se divisèrent sur le postulant au pouvoir.Chaque fraction choisit son propre chef et veut étendre sa domination sur les autres. Il s’en suivit désordre et siba. Les Neknafa s’opposèrent aux Mtougga, aux Chiadma et aux Ida Guilloul. Le caïd des Mtougga tua d’une balle d’argent le caïd M’barek Anflous qui avait pourtant la réputation d’être immunisé contre l’impact des balles. Lui succède alors Ahmed Anflous qui doit faire face au caïd Abdel-Malek des Mtougga au nord, au caïd Khobbane à l’Est, et au caïd Guellouli au sud.
« Aidés du caïd Guellouli, les Mtougga s’attaquèrent aux Neknafa, au lieu dit tamjjout Chez les Aït Zelten. Parmi les victimes de cette embuscade, Si Mohamed M’barek Anflous qui succomba à ses blessures. Les hommes sont venus de toutes part à Timsouriîne pour présenter leurs condoléances au caïd Ahmed Anflous pour la mort de son frère.
« A la mort de Hassan 1er, son ministre, le célèbre Ba Hmad avait envoyé Mohamed Anflous comme représentant du Makhzen à Melilla. Puis à la demande des siens, Moulay Abdel Aziz le nomma par Dahir comme caïd sur quatre tribus Haha : Neknafa, Ida Ou Gord, Ida Ou Bouzia, et Aït Aïssi. Ceci est arrivé en l’an 1318 de l’hégire. Il se rendit chez les Neknafa accompagné d’un détachement armé que lui avait accordé le jeune sultan. En 1904, il reçut à Timsouriîne le cheikh Ma’el-Aynine et l’accompagna dans ses expéditions guerrière dans le Sous..»
El Hiba et son père le Cheikh Ma el-Aïnine fréquentaient Essaouira au tout début du 20èmesiècle et formaient avec le caïd Anflous, le parti de l’indépendance face àla France. Mon père me disait que la maison à la tourelle conique qui surplombe les remparts du côté de la mer et qu’on remarque nettement depuis le port, appartenait à El Hiba et à son père le Cheikh Ma el-Aïnine . Et je viens de découvrir, grâce au sculpteur Alam que les Ma el-Aïnine disposaient également d’un très beau Riad au quartier des Bouakher. Chaque année, au mois d’août, leurs descendants y séjournent encore aujourd’hui, lors du moussem de Tidrarine qui à lieu à Tafetacht à soixante dix kilomètres d’Essaouira sur la route de Marrakech.
C’est du port de Mogador que Ma el-Aynine s’est embarqué, le 17 novembre 1906 pour Cap Juby, avec une partie de sa suite, un chargement de madriers de thuya destiné à la toiture de sa mosquée de Smara, ainsi que ses bagages entiers, ses meilleurs mulets, chevaux, chameaux etc. Une véritable arch de Noé ! Un paquebot espagnol a amené les hommes bleus, au Cap Juby, où il les a débarqué. Ils ont regagné par mer Terfaya, puis delà à dos de chameau, la ville de Smara.
« Le fils de Ma el-Aynine est resté à Mogador avec 50 hommes, soulignent les renseignements coloniaux de 1906. Il attend le complément d’une somme de 85 000 francs que son père devait recevoir à Marrakech. On assure que le sorcier-marabout veut construire un fort à Smara pour se protéger contre une incursion possible des troupes sahariennes françaises... »
En 1906, les renseignements coloniaux rapportent que « les nègres de la suite de Ma el-Aïnin, ont molesté un certain nombre de boutiquiers marocains avant de quitter Mogador. Le passage du grand marabout saharien a ruiné Mogador, qui s’était astreinte, suivant les instructions formelles du sultan, à dépenser chaque jour 1500 pesetas pour subvenir à l’entretien des « hommes bleus ». Il est de plus en plus admis que les voyages annuels de Ma-el-Aïnine aux provinces du Nord ont un caractère purement commercial, auquel les tendances religieuses ne s’adjoignent que comme accessoire. Le vrai motif de ces déplacements réside dans un rôle de pourvoyeur de negresses à la cour du sultan et chez les grands du Makhzen. En fait Ma el-Aïnine remonte toutes les maisons des gros notables marocains, sans oublier la maison de Moulay Abd el-Aziz. »
. Les troubles qu’avait connus la région commencèrent en 1904. Le caïd el-Guellouli et Abdelmalek el – Mtougui, s’allièrent contre Ahmed Anflous, mais ils furent battus ; le premier fut obligé de demander la paix pour sauver une centaine de cavaliers de sa tribu cernés dans la maison d’Azaghar, ancienne demeurre du caïd Hadj Abdellah Ou Bihi à Aït Zelten. Le second fut presque bloqué chez lui et les Haha ayant refusé d’assiéger la maison d’un caïd du Sultan de crainte de représailles, la paix fut conclue, paix qui confirmait à Ahmed Anflous la possession des Ida Ou Isarne et des Ida Ou Gord et par conséquent enclavait Mogador dans son territoire
. Mogador à l'aurée du XXème siècle
Le 31 mars 1891 , L Hugonnet, consul de France à Essaouira, écrit à son ministre un long discours sur l’organisation du travail à Essaouira, où il inclut le passage suivant à propos des oumana du port : « Les oumana , administrateurs de la douane, sont au nombre de 2ou 3 , dans chaque port.Nommés pour deux ans, il payent leur place fort cher.Il est vrai qu’on leur alloue un traitement de 450 francs par mois, mais il est loin de leur suffire.Il s’agit pour eux, de gagner, en deux ans, plusieurs centaines de milliers francs et ils s’approprient les deux tiers des produits des douanes, afin de tromper le sultan, ils lui envoient des manifestes ne mentionnant pas le poids exacte des marchandises et que les agents de compagnies de navigation sont obligés de leur fournir en blanc, sans quoi ils risqueraient de ne pouvoir faire aucune opération : les oumana remplissent eux-mêmes la colonne restée vide sur ces manifestes et ils gagnent ainsi environ 500.000 en deux ans , après quoi, ils se retirent des affaires. »
Les Amines du port, Roman Lazarev
Ces faits se passaient en 1906. Le caïd Mohamed Anflous des Neknafa et protégé de Menebhi fut désigner pour remplacer dans le commandement du Sous, le caïd Guellouli tombé en disgrâce, mais il ne jouit pas longtemps de cette faveur, surpris par une mort subite. Son frère Ahmed Anflous et caïd des Neknafa fut chargé de recueillir sa fortune pour la verser, selon la coutume, au trésor chérifien : mais loin d’exécuter ces ordres, il trouva qu’elle serait aussi bien entre ses mains, commença à fortifier sa maison de Timsouriine et fit l’acquisition de quantité de fusils Gras, qui lui furent fournis, dit-on, par un Européen de Mogador et qui le rendaient terrible pour ses voisins.
Quelques temps après, le caïd Ahmed Anflous, ayant su que les oumanas de Mogador avaient à livrer, par ordre chérifien, au caïd Abdel Malek el-Mtougui des armes et des munitions, vint à Mogador même, en pleine douane et força les oumana à lui remettre lesdits armes et cartouches. Deux mois après, les oumanas reçurent l’ordre de faire une nouvelle livraison à Abdel Malek ; ils devaient cette fois, opérer aussi secrètement que possible. Cette recommandation n’était pas inutile, car Anflous, en ayant eu vent, fit attaquer le convoi aux portes – même de la ville et l’enleva. Ce convoi était de 16 chameaux chargés de cartouches.
Pour affirmer sa domination sur les Ida Ou Gord et les Ida Ou Isarn, Ahmed Anflous multiplie lesnzala et fit payer des droits exorbitants : 5 pesetas par chameau de passage. Il en établi une aux portes même de la ville, sur la route de Safi, malgré les protestations du caïd de Mogador, comme le soulignaient les renseignements coloniaux de 1906 :
« Mogador est complètement dégarnie des ses troupes. Un des deux tabors a été embarqué pour Casablanca, à la suite de troubles fomentés, par un chérif qui cherche à jouer le rôle d’un nouveau prétendant. L’autre Tabor a été renvoyé à Tanger. Dés maintenant, les conséquences de ces différents départs se font sentir. Les nzala d’Anflous paralysent tout commerce en exigeant des caravanes une série de contributions arbitraires. L’insécurité des routes recommence de plus belle, et on ne peut même pas circuler aux environs de la ville, à ses risques et périls, sans avoir obtenu l’assentiment des gens du caïd. »
Ces faits ayant provoqué des plaintes de la part des oumanas, du caïd de Mogador et du caïd el-Guellouli, le Makhzen, sous la pression du caïd Abde el-Malek el-Mtougui, ordonna à tous les caïds de la région : Haha, Mtougga, Chiadma, Oulad Be-Sbaâ, Hmar, de marcher contre AhmedAnflous. Après un premier combat où fut tué son frère, le caïd Ahmed Anflous se retira dans la partie montagneuse de son territoire et là, il fut cerné.
Le caïd Ahmed Anflous disposait, outre ses Neknafa, de contingents venus des Aït Zelten, Ida Ou Bouzia et Ida Ou Tanane, c’est-à-dire des montagnards, qui penchaient par sentiment pour Ahmed Anflous qui représentait l’indépendance. Durant un mois les caïds réunis le cernaient, sans oser l’attaquer, dans ces montagnes inexpugnables avec les troupes don’t il disposait. AhmedAnflous n’avait pas cessé de harceler ces caïds par de nombreuses attaques de nuit. Finalement la paix a été conclue entre les deux parties dans les conditions suivantes :
Campement du caïd Anflous à l'éxtérieur de la ville
Le caïd Ahmed Anflous ajoute à ses Neknafa les Ida Ou Gord, abandonnant les Ida Ou Isarne à El-Guellouli. Le caïd Gourma blessé grièvement, disparaît de la scène et ses deux fractions, les Ida Ou zemzem et Aït Ouadil sont données à Iguidir, protégé d’Anflous. De plus, Ahmed Anflouss’engage à ne percevoir que 50 pesetas dans les nzala ; il doit également supprimer la nzala qu’il avait créée à la porte de Mogador sur la route de Safi. C’est la Makhzen qui a ordonné lui-même à ses contingents de traiter de la paix afin de pouvoir s’emparer d’Ahmed Anflous, par surprise et sans effusion de sang.
Porteur d'eau, Roman Lazarev
Et c’est ce qui allait arriver effectivement grâce à un tueur à gage : le caid Guellouli chargea un de ses esclaves de liquider Ahmed Anflous en se mettant à son service. Durant de nombreux mois l’esclave a fait montre d’une telle abnégation et savoir faire qu’il finit par obtenir la confiance de son nouveau maître. Celui-ci était constamment armé et sur ses gardes et ne vivait parmi les siens qu’au cours de la journée, le soir venu il s’isolait dans un pavillon à part. L’esclave noir avait l’habitude de le masser, pour l’aider à s’endormir. Mais quand l’heure de passer à l’acte est arrivée, à peine le caid s’est-il endormi que l’esclave le poignarda à mort. Il se faufila discrètement dehors et s’enfuit au milieu de l’arganeraie, pour rejoindre ses maîtres et leurs alliés qui ont commandité le meurtre. Après avoir couru toute la nuit, l’aube le surprit à Imgrad. Pour éviter de mauvaises rencontres, à un moment où la forêt commence à grouiller de bûcherons et de bergers, il se cacha dans un cimetière.
Le mont Amsiten en pays Haha
Le lendemain comme le caïd ne se présenta pas comme d’habitude à la prière de l’aube, on accouru vers sa loge. Un filet de sang filtrait du bas de sa porte. En ouvrant celle-ci on le découvrit déjà mort gisant au milieu d’une marre de son propre sang. Ne voyant plus de traces de l’esclave, tout le monde avait compris que la coalition qui s’est liguée contre Ahmed Anflous avait finalement réussi son coup, malgré le retranchement de ce dernier à Timsouriîne et malgré les milles précautions qu’il prenait pour se protéger contre d’éventuel tueur à gage.
Au levé du jour, celui-ci ayant faim et soif, décida de sortir du cimetière pour demander à boire et à manger à une paysanne qui passait par là :
- Suis-je toujours au commandement d’Anflous ?
La paysanne le rassura en lui disant qu’il est désormais hors de portée des Anflous. Mais la question souleva ses soupçons que renforçait son regard hagard de bête traquée, avec son fusil au dos. Elle en avertit aussitôt son mari, qui invita le fugitif à la maison. Tout en faisant semblant de lui préparer à manger on envoya un éclaireur à Timsouriine pour vérifier ce qui s’était vraiment passé là-bas. Une fois sur les lieux, celui-ci découvre tout un hallali en entendant s’élever au loin les lamentations et les pleurs.Connaissant la menace qui pesait de partout sur le caïd Ahmed Anflous, il comprit ce qui s’est passé et revint alerter les siens aux pas de course. Les soupçons confirmés, les habitants du hameau d’Imgrad se mirent à faire semblant de poser des questions au meurtier sur le fonctionnement de son fusil. Une fois désarmé, ils l’attachèrent à la queue du cheval par ses mains liées, et le conduisirent à Timsouriîn, où le fils du disparu est déjà proclamé caïd à l’âge de 23 ans. Contre l’avis même des Oulémas, il ordonna le châtiment du bûcher pour le tueur à gage de son père :
- Il doit brûler exactement comme il a brûlé mon cœur. Leur dit-il
On raconte que le bûcher avait éclairé plusieurs nuits de suite, tellement le corps du noir était rempli de graisse ! Et c’est finalement ce jeune caïd qui va devoir mener le parti de l’indépendance à la confrontation avec la France. Mais sans avoir ni les moyens ni les hommes pour se faire .Le clan des Neknafa étant déjà divisé, se fissurera davantage . Il n’y aura pas de bloc Haha autour d’Anflous, comme il y eut un bloc rifain autour d’Abd el krim.
Aymé d'Aquin , agent consulaire de l'époque, dénonce dés 1868 "la protection exclusive et injuste" qu'on offrait aux israélites au détriment de l'intérêt des musulmans. Les plus exploités dans ce système étaient les ruraux, comme le soulignait Letourneaux : "Le berbère est un perpetuel emprunteur, l'argent est à la ville." La ville , par le système de crédit abusif et l'échange inégal, "pompait" en quelque sorte les richesses de la campagne; d'où l'hostilité latente des caïds de la région. En particulier celle du caïd Anflous. A la veille du protectorat, Ahmed Anflous aurait en effet investi la ville en exigeant manu militari à ce que tous les juifs réintègrent le Mellah. Ces exactions n’étaient pas étrangères au soulagement de la communauté juive de Mogador, lors de la prise de la ville par l’armée française.IL faut dire qu’Ahmed Anflousen voulait aux négociants juifs de la ville, don’t les entrepôts regorgeaient de marchandises, quand la compagne environnante souffrait de famine et de spéculations usuraires.
Sur cette famille d'anciens mogadoriens Mr.Omar Lakhdar nous apporte les précisions suivantes (in : Mogador, mémoire d’une ville, éd. Géographique 2009): Nicolas Damonté, Vice Consul d’Angleterre et du Portugal, avait construit en 1923 à ghazoua, à une dizaine de kilomètres au sud d’Essaouira, sur la route d’Agadir, une belle villa aux arcades en pierres de taille qui prit le nom de « villa Damonté ». D’origine de Gênes, les Damonté étaient une riche famille de Mogador. Elle serait arrivée en même temps que les Ratto. Le grand père Jean Damonté fut assassiné par un fanatique, dans une ruelle de Mogador, dite derb Cotor. Son fils Nicolas, prit la relève et continua à gérer la fortune de la famille et le négoce de son père.Les Damonté étaient unies par les affaires et les liens de mariage au Gibraltarien Pépé Ratto , ou tajer Bibi,pour les berbères, qui tenait l’hôtellerie dite des « trois palmiers », située sur une colline à 8 kilomètres au Sud de Mogador, sur la piste qu’empreint aient jadis les caravanes allant ou venant du grand Sud. Il est né à Mogador en 1853. Naturalisé Anglais après un voyage en Angleterre au mois de mars 1879. Une lettre du Sultan Hassan 1er en date du 29 mai 1892 envoyé au chargé des biens publics de Mogador et sa région parle de cette hôtellerie des « trois palmiers » , comme étant « la maison du makhzen » et désigne Pépé Ratto sous l’appellation de « cet Anglais » :
« Nous avons reçu ta lettre concernant la maison du Makhzen, sis à Tagouidirt dans la tribu des Ida ou Gord et qui avait été hypothéquée par les familles Machouch à l’Anglais que tu as mentionné, et ce au temps du caïd Anflous. Lorsque ce dernier a appris cette transaction, il récupéra le bien et le garda pour lui, jusqu’à son arrestation. L’Anglais tenta de récupérer le bien mais le caïd Addi Neknafi, s’y opposa. En proposant d’utiliser ce terrain, comme un sanatorium, un accord fut signé à cet effet au consulat de son pays. En remplaçant son père, son fils Lahucine, conserva les choses telles qu’elles étaient jusqu’à son arrestation. Les gens de l’autorité de la tribu étaient venus pour évaluer les biens du caïd déchu et l’un d’eux, Bihi Ben Ali, s’empara de l’acte concernant le terrain susmentionné et le céda à l’Anglais qui ne perdit pas un instant pour y construire, de jour comme de nuit, une maison qui acquis une grande renommée. Nous avons donné nos directives à notre gouverneur pour faire une enquête et remettre les choses telles qu’elles étaient ».
La veille du protectorat
On peut lire sur ce cliché: "Fête du Mouloud, le caïd en 1912 à Mogador
A la veille du protectorat, Ahmed Anflous aurait en effet investi la ville en exigeant manu militari à ce que tous les juifs réintègrent le Mellah. Ces exactions n’étaient pas étrangères au soulagement de la communauté juive de Mogador, lors de la prise de la ville par l’armée française.IL faut dire qu’Ahmed Anflous en voulait aux négociants juifs de la ville, don’t les entrepôts regorgeaient de marchandises, quand la compagne environnante souffrait de famine et de spéculations usuraires.
Mon père me disait que les juifs du Maroc n’ont jamais accepté au fond leur statut de minorité dominée politiquement par la majorité musulmane : cela explique pourquoi en 1912, lorsque les Français ont débarqué à Essaouira avec le navire Du Chayla, et que les soldats se sont rendu au nord de la ville, où ils ont fermé le fuseau à Bab – Doukkala, l’un des juifs qui sortaient du mellah pour observer la prise de la ville demanda surpris à un congénère :
- Que se passe-t-il ?
Et l’autre de lui répondre :
- Ce que le bon Dieu fasse durer pour nous !
Il émettait ainsi le vœu que la domination française se perpétue au Maroc. D’ailleurs, bien avant l’arrivée des Français, de pauvres juifs du mellah étaient protégés français tandis que de riches négociants dela Kasbahétaient protégés anglais. Ils jouaient de leur statut d’intermédiaires entre le Makhzen et les puissances étrangères.
A la fin de l’année 1912, une petite colonne française, sous les ordres du commandant Massoutier, avait été assaillie, à une journée de marche de Mogador, par les contingents du caïd Anflous, l’obligeant à s’enfermer dans le Dar el Cadi en attendant l’arrivée d’un secours. Quelques jours plus tard le général Brulard, vint délivrer les assiégés. L’évènement avait fait grand bruit dans toute la région.Voici la version qu’en donne le manuscrit de Timsouriine :
« C’est le caïd Mohamed Anflous qui fut le premier à attiser les hostilités contre le colonialisme, en s’attaquant à une colonne française l’obligeant à se réfugier à la maison d’El Haj Ali El Qadi qui se trouve dans la tribu des Ida ou Isarn. Anflous et ses hommes encerclèrent les militaires français durant quarante jours les obligeant à se désaltérer aux urines de leurs propres chevaux.Les français ont voulu négocier mais Anflous refusa. Il demanda à sa tribu de choisir entre la paix ou la guerre. Celle-ci opta pour la guerre. Après mûre réflexion Anflous s’est dit :
- Si je choisi la paix avec les colonisateurs, j’aurai trahi mon pays.
Et il finit lui aussi par choisir la guerre. Face au colonialisme et pour l’indépendance du pays Anflous avait pris tous les risques pour lui-même, sa famille et ses biens.
La terre brûlée
Il y eut un premier accrochage avec le général Brulard qui venait d’Essaouira, au lieudit Boutazartdans la tribu des Ida Ou Gord. C’est là que le caid Anflous et ses hommes ouvrirent le feu. La violence de la confrontation obligea le général français à ordonner le repli momentané sur Essaouira, en attendant l’assaut final.
Pour diviser le clan Anflous, le général français décide de recourir à la corruption en distribuant abondamment d’argent aux différentes fractions. Ainsi nombreuses furent les fractions Neknafa qui choisirent la désertion et l’argent à la confrontation et au sacrifice. De sorte, qu’avant même que ne commence la guerre, le caïd Mohamed Anflous s’est trouvé complètement isolé avec son dernier carré d’irréductibles, quelques fidèles et proches de sa propre famille et amis. »
- Seulement 150 à 200 cavaliers étaient restés fidèles à Anflous, les autres ont été conrompu par M’barek N’Id Addi et ont déserté avant même que n’éclate la bataille en 1912. Raconte le dernier des Anflous qui vit toujours à Timsouriîne.
Le général Brulard quitte Mogador avec une colonne de 5000 hommes et prend pour objectif la destruction de la kasbah d’Anflous, nid d’aigle qui était le centre de la résistance et que les habitants considéraient comme imprenable. IL s’agissait de prendre à rebours les farouches Neknafa à partir du territoire limitrophe des Meskala qui étaient alors sous domination du caïd Khobbane, un adversaire d’Anflous. Les troupes françaises, me racontait mon père, étaient guidées par le future caïd M’barek, un cousin d’Anflous, qui s’était réfugié quelques années auparavant chez les Mtougga..Les canons étaient péniblement traînés dans un terrain chaotique viaBouriki jusqu’au sommet de la colline où se trouve zaouite Ou Hassan qui fait face à la citadelle du caïd rebelle, et d’où on pouvait facilement la viser : « Une fois l’argent distribué, le général français s’avança avec ses troupes vers Neknafa au lieu dit Zaouite Ou Hassan. De là ils commencèrent à bombarder Dar Anflous, durant 36 heures d’affilée : commencés le jeudi les bombardements n’ont pris fin que le samedi. » précise le manuscrit .
Arrivée des cerceuils de l'armée coloniale à Mogador
L’armée française a dû traverser le défilée montagneux de Taqandout où elle était prise sous les feux nourris et croisés des guerriers d’Anflous :
- La situation était si périlleuse, me racontait mon père, qu’une fois parvenu la haut, la main que tendait le général français pour descendre de son cheval, tremblotait de peur.
Dépouilles de soldats français arrivant à Mogador sur dos de chameau
La kasbah fut enlevée le 23 janvier 1913. Mohamed Anflous s’enfuit précipitamment pour aller se réfugier chez les Aït Aïssi, lassant à l’ennemi de gros approvisionnements en vivres, en armes, en munitions Mauser et Martini. Un vieillard qui avait participé au baroud d’honneur d’Anflous raconte :
- Le samedi, dernier jour de la bataille, j’avais encore 12 000 balles stockées au fond de la grotte d’Imin Taqandout. Je m’en suis servi moi et les derniers soldats d’Anflous, de sorte qu’en arrivant à Tagoulla Ou Argan, je n’avais plus une seule balle...
Et voici maintenant l’épilogue de la bataille selon le manuscrit de Timsouriîne :
« Voyant que la situation empirait, que ses troupes diminuaient, le caïd Anflous qui avait obstrué le défilé de Taqandout, ordonna le repli sur les hauteurs de Timsouriîne où se trouve sa maison.Il s’enfuit alors vers la tribu des Aït Aïssi avec sa famille et ses derniers fidèles. Les français avec les traîtres à la nation qui les accompagnaient remontèrent vers la maison d’Anflous et la transformèrent en champ de ruines où on n’entend plus que le sinistre ululement des hiboux et des corbeaux. Ils rasèrent les oliviers, brûlèrent les magasins, et portèrent même atteinte au maqâm de Sidi Mohamed Ben Sliman El Jazouli.Ceci était arrivé en l’an 1330 de l’hégire correspondant à l’année 1913. »
Le bien nommé général brulard pratiqua alors la terre brûlée ; rasant et brûlant, des centaines d’oliviers qui entouraient la demeure caïdale.Depuis lors la résidence de ce dernier n’est plus habitée que par les pigeons, les chouettes et les chacals, attestant que le temps du caïdalisme appartenait désormais aux oubliettes de l’histoire.Cependant qu’au sud de Mogador, le caïd el Haj Lahcen, successeur de Guellouli avait levé une Harka et s’était dirigé sur Agadir. IL s’empare d’une partie de la ville et, devant un retour offensif des gens d’El Hiba, doit se replier à 12 kilomètresau Nord, sur la côte. Mais le croiseur français Du Chayla, envoyé de Mogador, vient le ravitailler en cartouches et accompagne sa marche le long de la côte : le 31 mai 1913 el Hadj Lahcen enlevait la citadelle d’Agadir. Ben Dahan, pacha de Tiznit, et Haïda Ou Mouiz, pacha de Taroudant, continuaient à mener contre les derniers dissidents d’El Hiba. Les différentes factions se neutralisant, les français se contentaient d’aider les uns contre les autres.La soumission du caïdAnflous, dés le début de l’année1913, a porté un rude coup à ce qu’El Hiba pouvait conserver de prestige et de force. A Essaouira, on confisqua les belles demeures d’ Anflous : l’actuelle « Dar Souiri », transformée en « Cercle » (administration des affaires indigènes), et leur belle demeure de derb Ahl Agadir donnant sur les jardins de l’hôtel des îles, transformée en résidence du contrôleur civil du protectorat.
Les caïds de la région avaient tous une maison à Essaouira : celles du caïd M’barek, du caïd Khoubban et du Caïd Tigzirine, se trouvaient au clan Est des Chébanates, du côté de la terre. Alors que les seigneurs de guerre et du désert, avaient leurs demeures et leurs entrepôts commerciaux au clan Ouest des Béni Antar, du côté de la mer.Expression d’une société segmentaire, cette opposition entre clan Est des Chebanates et clan Ouest des Béni Antar, se manifestait symboliquement chaque année lors du rituel de l’Achoura par une compétition chantée entre les deux clans de la ville.
Maintenant les oliveraies rasées par les français ont repoussé de plus belle autour des ruine de Timsouriîne comme l’avait prédit en son temps Tabagfat, la poétesse des Ait M’hand lors d’une compétition chantée qui l’opposa à Aïcha Ali, la poétesse des Ida Ou Khalf: toutes deux appartenaient à deux fractions rivales Neknafa. Leur compétition chantée eut lieu au moussem de Sidi Boulanouar (littéralement le marabout des lumières).
Tabagfat a dit :
Les feux attisés par Anflous enflammèrent la paille
Brûlant les grenouilles au milieu des broussailles
Mais il n’a pu éteindre l’incendie qui consuma les siens
Aïcha Ali lui répondit :
Ô gens de bien, reprenez vos biens !
Et vous, gens du âar, reprenez votre âar !
Anflous et Id Addi sont issus du même citronnier
Du même bigaradier et des mêmes racines
C’est sur leurs citadelles ruinées et leur sang versé qu’il faut pleurer
Non sur les oliviers brûlés, quis resurgiront aussitôt après l’ondée !
Elle fait allusion au caïd M’barek Id Addi, le cousin du caïd Anflous qui s’était réfugié chez les Mtouga avant de revenir dans le sillage de l’armée française comme nouveau caïd des Neknafa. La colonisation les a irrémédiablement séparée : Mohamed Anflous représentait le parti de l’indépendance qui s’opposa farouchement aux français, tandis que M’barek Id Addi était du côté français. Leur rivalité explique à elle seule tout le processus de colonisation du Maroc : fractionnement à l’infini d’une société segmentaire où les lefs opposés s’annulent mutuellement jusqu’au niveau du lignage. Les militaires français parlaient de la conquête du Maroc comme d’une grenade qu’il s’agissait de consommer graine après l’autre. Aujourd’hui, le château de l’un et de l’autre est une ruine dans les montagnes Haha.
La grotte d’Imine Taqandoute, comme le cénotaphe de Sidi Slimane el Jazouli, sont situés au cœur des Neknafa, non loin des ruines de Timsouriîne et de la demeure caïdale d’ Anflous transformée en champ de ruines par les bombardements de 1912 qui mirent fin non seulement au caïd Anflous, mais au caïdalisme tout court. Et maintenant islamisme et mondialisation galoppante, vont-ils mettre fin au maraboutisme et au confrérisme ? L’histoire nous le dira.
En réaction à ce texte, je viens de recevoir cette réaction interessante de Mr David Bensoussan concernant le caïd Oubihi des Haha :"J'ai trouvé l'info sur Bihi fort intéressante.Dans mon ouvrage "Il était une fois le Maroc", je le mentionne dans le contexte suivant:En 1844, deux tribus vinrent piller le Mellah dans l'intention de profiter du désordre général qui suivit les bombardements français. Ces deux tribus s'entre-tuèrent pour se réserver la part du lion du pillage. Celui-ci atteignit la partie Est et non juive de la ville et l'on rapporte que les dommages dus au pillage de la ville furent supérieurs à ceux causés par les bombardements des Français. L’on dénombra plus de 200 morts. Un grand nombre de juives furent enlevées et la famine régna un certain temps. Le Cheikh Abdallah Bihi de la tribu des Hahas prit l’initiative d’aller chercher des Juifs de Mogador et de les disperser dans les villages alentour, leur offrant ainsi protection jusqu’à ce que les troubles cessent."
Le juif de Mogador, peint en 1958 par Boujamaâ Lakhdar(1941-1989),
Collection maître ABDESLAM Raïs.
C'est troublant ce que vous me rapportez là, lui répondis-je : d'habitude, on ne rapporte que les exactions contre les juifs comme celui où on aurait obligé l'ancêtre des Afriat et ses compagnons dans le Sous à la conversion forcée à l'Islam...Alors que là, vous nous rapportez un fait à l'honneur du grand caid Oubihi des Haha, qui aurait été le protecteur des juifs lors du pillage de la ville après le bombardement de 1844.Moi-même, je me souviens comment mes oncles maternels du pays Haha recevaient le bâtier et autres colporteurs juifs avec le rite d'hospitalité de la société berbère qui dénote d'une cohabitation millénaire sans le moindre indice d'une quelconque intolérance religieuse : Un bradiî (bâtier) juif, nous rendait alors visite sur son petit âne,et mon oncle l’installait sur une hssira (natte de jonc), à l’ombre de notre figuier préféré, lui offrait du thé et il se mettait à rafistoler les bâts éventrés d’où sortaient les touffes de pailles dorées.La récolte de l’arganier se faisait alors au prorata des ayants droit avec sacrifice de bouc et festin. Et le soir on assistait à de magnifiques fêtes de mariage avec chants de femmes aux caftans bariolés et fantasia
Un subtile mélange
« Il est des villes secrètes auxquelles conviennent les banales arrivées, ménagères de lentes découvertes. D’autres réclament la soudaine révélation : Florence des collines de Fiesole ou des jardins de Boboli. Tanger du détroit. Ainsi de Mogador. En manquer le premier contact, c’est s’interdire, sans doute à jamais, d’en déceler certaines harmoniques. Aussi faut-il la saisir aux matins de printemps, lorsque, des bois de mimosas plaqués au sol par le vent et qui étendent à hauteur d’yeux leur masse jaune, une déchirure la révèle brusquement à la vue. Elle apparaît d’un coup, blanche au bord de l’eau, mirage suspendu entre ciel et grève. Midi l’écrase d’une lumière sans ombre et ses murs blanchoient dans un ciel pâli, dévoré par l’erg éblouissant. Comme les matins roses , le crépuscule lui sied. Et sans doute faudrait – il ainsi, aux saisons et aux heures, venir à la rencontre de la ville, se laisser imprégner de ses images opposées, avant que d’aller, franchissant ses murailles, chercher au long de ses rues ses visages plus secrets. Car Mogador – née de l’alliance la plus rare, celle des génies contraires unis aux lieux où l’histoire se ait légende- s’est gonflée de suc humain plus riche. Berbères et Juifs, Arabes et Européens. L e Maroc a conflué ici en subtils mélanges. »
Ce beau texte m'avait été remi par Jean Louis Miège lorsque je rédigeais à la fin des années 1980 ce qui deviendra mon beau livre "le Temps d’une ville," .Jean Louis Miège avait reçu en 1952 un prix pour cet article sur Mogador
L'eau douce
Photo du pont de Diabet prise par l'artiste Hucein Miloudi en 1990
Mogador : femmes chleuh à la fontaine
Pour alimenter la ville en eau potable et irriguer les jardins potagers qui l'entouraient,des aqueducs acheminaient l’eau de l’oued ksob depuis le niveau du village de Diabet .Outre les citernes à l'intérieur des maisons, il y avait les fontaines publics et la ville tendait à développer une certaine autonomie, en disposant d’une citerne collective en son enceinte plus précisément sous l’actuel marché aux poissons.La seguia arrivait de Diabet, traversait les artères de la médina pour ensuite alimenter les citernes à l’intérieur des maisons comme ce fut le cas pour la médina de Fès..
On voit sur cette image prise à Mellah Qdim(ancien Mellah) un porteur d'eau avec sur l’épaule un tonneau en bois d’une contenance de 15 à 20 litres d’eau . En contre partie de menus pécules, les porteurs d’eau remplissaient les gargoulettes des ménages : de cette profession il y en avait d'excentriques personnages aussi bien parmi les juifs que parmi les musulmans; tel ce porteur d’eau de confession juive devenu moqadam à l'indépendance se livrant à des beuveries pour ne rentrer chez lui que tard la nuit, ou encore ce porteur d'eau aveugle qui s'orientait au bruits de la ville autour de lui.Quand l’eau courante est arrivée, on avait obligé les gens à condamner leurs puits, parce que c’était une source de maladies et de microbes.Dans un rapport écrit en 1932, le docteur Bouveret, disait que Mogador est une ville réputée pour l’abondance de son alimentation en eau potable. Mais cette eau est exposée à plusieurs facteurs de pollution qui représente un danger pour la santé de la population avec les risques d’épidémies qu’elle peut engendrer. .
La Peste
Les caravanes passaient à côté de l'aqueduc(séguia) qui alimentait en eau les jardins potagers qui entouraient Mogador: on les appelait "Bin Laârassi"(d'entre les jardins).Je me souviens qu'enfant je m'y suis rendu avec la bande de notre quartier pour chasser "Mouqnin", oiseau des champs aux plumages tachetées jaune,rouge, maron et noire.Mon père me disait que lorsqu’on a voulu creuser des aqueducs pour acheminer l’eau de l’oued ksob du niveau du village de Diabet pour irriguer les jardins potagers qui entouraaient la ville, on avait découvert des fosses communes où étaient enterrées collectivement les dépouilles mortelles qui remontent à l'épidémie de peste de1799.
Avec le début du XIXème siècle, les négociants juifs prennent une place prépondérante à cause de la peste comme le relate David Corcos : « l’épidémie de peste de 1799 qui fit tant de ravages au Maroc, frappa durement Mogador, où, d’après Jacksen, 4500 personnes moururent. Par la force des choses, les chrétiens partaient. Le commerce passa alors entre les mains des « Toujar Sultan »...Les juifs jouissaient d’une liberté exceptionnelle pour l’époque et dans le pays. »
Le 29 juin 1799, Broussonet, premier vice-consul français à Mogador, annonce que la peste a fait son apparition à Safi où, le premier jour, on a compté vingt huit décès. Il faut attendre, écrit-il, à ce qu’elle apparaisse incessamment à Mogador. Dans ces conditions, il avise le ministre des Relations extérieures qu’il se propose de quitter le Maroc, où d’ailleurs sa présence n’a plus de raison d’être car les relations commerciales avec l’Europe ont pratiquement cessé. Un petit navire des îles Canaries vient précisemment de mouiller dans le port ; il va en profiter et partir avec sa femme et sa fille, en même temps que le consul d’Espagne, dés que le Sultan lui en aura donné l’autorisation. En conséquence, il charge le marchand La Barraque, que ces affaires commerciales retiennent à Mogador, de tenir le rôle de vice-consulat et lui recommande surtout, si des bâtiments français se présentent en rade, de veiller à ce que personne ne descende à terre. Quelques jours plus tard, le 8 juillet 1799, Broussart s’embarque avec sa famille. Il avait raison de fuir Mogador ; en effet, la peste s’y manifesta dans le courant du mois et fit près de 5000 victimes avant la fin de l’année. Médecin – Major, le Dr. Renaud écrit au sujet de cette épidémie : « A Mogador, où s’étaient réfugiées des familles musulmanes errantes fuyant l’épédémie, la peste a fait 5000 victimes. Des familles juives à qui l’entrée fut interdite, moururent de misère dans les sables. Jackson rapporte les ravages du fléau dans le petit village de Diabet, voisin de Mogador qui, pendant plus d’un mois, alors que l’épédémie faisait rage en ville resta indemne, puis perdit dans la durée du mois suivant 100 habitants sur les 133 qu’il contenait, après quoi la maladie continua mais personne ne mourut « ceux qui furent infectés se rétablirent, quelques uns perdant l’usage d’un membre ou d’un œil. ».De nombreux cas semblables furent observés dans les villages dispersés dans toute l’étendue de la province de Haha. Certains qui comptaient 500 habitants n’en n’avaient plus que 7 ou 8. Un cas singulier de reviviscence de l’épedimie est celui d’un corps de troupe qui, au moment où à Mogador la mortalité était tombée à rien, arriva de Taroudant où la peste avait sévi puis diminuée. Au bout de trois jours de séjour à Mogador, ces troupes furent atteintes de la peste, qui, en un mois, en empota les 2/3, c’est à dre 100 hommes, alors que les citadins demeuraient indemnes, et bien que ces troupes n’eussent pas été confinées dans un quartier spécial mais logés pour la plupart chez l’habitant. On remarqua d’ailleurs que lorsque les familles s’étaient retirées à la campagne pour éviter l’infection, et une fois celle-ci terminée, selon toute apparence étaient retournés à la ville, elles furent généralement atteintes par le fléau et moururent. ».En 1799, le vice-consul de France, à Essaouira, Auguste Broussonet était en poste aussi comme médecin.Le docteur Thévenin est arrivé à Mogador en 1862 à l’époque où plusieurs épidémies sévissaient au Maroc : l’épidémie de la peste qui exista surtout à la fin du XVIIIe siècle, l’épidémie de choléra en 1868, l’épidémie de typhus et de variole en 1878 et 1879. Il s’était investi totalement dans la lutte contre le choléra. Il créa un centre d’isolement, le « lazaret » sur l’île d’Essaouira pour la mise en quarantaine des malades contagieux.
Le lazaret de la petite île
Le lazaret de la grande île
L'arrivée en 1913, du Dr.Charles Bouveret constitue un tournant pour la santé public à Mogador : durant le Protectorat, il allait devenir le patron du fameux hôpital de Derb El Laâlouj où étaient soignés les habitants de la ville et de sa région.
La consultation quotidienne du Docteur Henri Routhier à l’hôpital de Mogador.L’hôpital civil mixte de Derb Laâlouj, construit à l’emplacement de la maison du Caïd Abdallah ou Bihi et de maisons mitoyennes expropriées pour l’occasion,
Les docteurs Routhier et Bouveret.Dispensaire de Mogador.
Pour Lyautey le médecin autant que le soldat avait un rôle "pacificateur" :
« Si l’expansion coloniale n’est ni sans reproche ni sans tares, c’est l’action du médecin qui l’ennoblit et la justifie ». Ce qui revient à dire que la violence de la conquête, cachée sous le terme de « pacification », ne se justifie que si elle est un moyen pour assurer un progrès civilisateur accepté finalement par tous. Sans cet idéal, s’il n’est que simple rapport de forces, le Protectorat n’a aucun sens. Le docteur Gaud, à l’occasion de l’inauguration de l’Institut d’Hygiène du Maroc, rappelle ce que furent les principes de la politique sanitaire du général Lyautey : « Cette population hostile témoignait à l'étranger une méfiance difficile à vaincre. Aussi le premier rôle de nos médecins fut-il un rôle d'attirance, d'apprivoisement.J'ai eu le privilège de vivre cette époque où le médecin de colonne pansait, le lendemain du combat, les ennemis blessés qui, d'abord inquiets et fermés, se laissaient peu à peu vaincre par la confiance. Ce n'est pas sans émotion que je me souviens des longues tournées dans les régions dissidentes la veille, où avec une escorte bien faible, nous parcourions les tribus, donnant des consultations, distribuant des médicaments, vaccinant les enfants. Et au cours des longues soirées, assis au foyer de ces gens qui nous combattaient quelques jours auparavant, c'était notre joie de sentir s'atténuer l'hostilité, se dissiper la méfiance."
Le docteur Routhier lors d’un repas dans la campagne.
Le docteur Routhier raconte sa participation à la pacification des Idi Ou Tanan :
« - Docteur, êtes-vous prêt à partir dans deux jours pour Doumelt, vous savez, la kasbah du cheik Said Tigzirin ? Nous y rencontrerons, je crois, quelques-uns des fameux Ida-ou-Tanan qui font mine de vouloir entrer en conversation sérieuse avec nous. Venez, vous m'aiderez à dégeler des gens et à les persuader que nous n'avons pas de très mauvaises intentions à leur égard » J'acceptai avec plaisir l'offre du capitaine V… que me valait mon titre de médecin-chef du groupe sanitaire mobile de la région. C’est en ces termes que commence les récit du docteur Routhier concernant sa participation à ce u’on appelait alors l’entreprise de « pacification » du Protectorat. Chez les Ida Ou Tanan il rencontra le cheikh Saîd Tigzirin ( pluriel de Tagzirt, l’île . Il s’agit donc du nom « Des îles » - le français connaît ce nom sous la forme « Desiles ») Ce Tigzirin sera connu sous le Protectorat comme caïd à Tamanar( il était marié à une française et disposait d’une résidence à Essaouira, à souk Akka, non loin de celle de caïd M’barek des Neknafa à Derb Ahl Agadir . C’est à la complicité de ce dernier que les français ont obtenu la reddition du caïd Anflous qui était son rival et son propre cousin..
Le capitaine Rousselle au centre, le cheikh Tigzirin (celui qui ne porte pas une simple rezza) et les notables des Ida ou Tanan lors de la deuxième visite du capitaine (cette fois en uniforme). On constate que le groupe des négociateurs comportait 16 personnes(Archives familiales : Nine Routhier). cette photo,est accompagnée de ce commentaire manuscrit d’un parent d’Henri Routhier : « Le groupe des Ida ou Tanan venus pour la 2e fois chez le cheick Tigzirine rencontrer le Capitaine Rousselle en tenue cette fois et Henri pour fixer la date où ils doivent signer leur soumission à Marrakech chez le Général ».
Charles Bouveret, son épouse et son fils dans son appartement dela Casbahde Mogador (cette maison située dans l’actuelle rue Ibn Rochd, ex-Charles Bouveret, est devenue l’Hôtel des Remparts).
Il habitait donc dans cette "European Street" de Mogador ou "derb kotoul"
Le docteur Charles Bouveret décrit en ces termes, les effets du microclimat de Mogador sur la santé : « L’été 1920 a déjà amené à Mogador de nombreuses familles fuyant la chaleur, attirées par la fraîcheur de notre climat. Il est probable que l’influence serait considérable encore si l’industrie hôtelière offrait aux étrangers de passage le confort indispensable à la vie moderne. La réputation du climat de Mogador parmi les Européens vivant au Maroc n’est plus à faire. Tous connaissent la douceur exceptionnelle de température hivernale et la fraîcheur si agréable de ses étés.
À Mogador, le thermomètre ne s’élève qu’exceptionnellement de 8 heures du matin à 10 heures du soir au-dessus de plus de 28° et ne descend guère au-dessous de 14. Les observations de M. Beaumier, consul de France durant 14 ans dans cette ville, ainsi que celles de Von Maur, consul d’Allemagne, observateur non moins attentif, font foi à ce sujet.
L’hiver est caractérisé par des pluies abondantes, mais de courte durée, tombant sous forme d’averses et durant parfois six à huit jours. Elles se produisent sous l’influence des vents d’O. et S.-O. de la fin novembre au début d’avril. Il est très rare de voir la pluie pendant le reste de l’année.
Durant l’été, les vents alizés soufflent avec régularité et même parfois avec violence de 9 heures du matin à 7 heures du soir. Les soirées et les nuits sont généralement calmes, mais très fraîches. Le sirocco ne se fait sentir que de façon tout à fait exceptionnelle et durant peu de temps. Nous n’avons eu à le supporter que 4 fois en 8 années, et durant une demi-journée. Les caractéristiques de notre climat sont donc les suivantes :
1) Température exceptionnellement douce pendant l’hiver et fraîche durant l’été.
2) Vents alizés violents pendant la saison d’été.
3) Pression barométrique maxima à variations comme celles de la chaleur, les unes et les autres états solidaires.
4) Grande isolation parce que s’ajoutent aux rayons solaires directs, ceux qui sont réfléchis par la surface du sable et par celle de la mer. Une plage de sable magnifique est située à proximité de la ville.
5) Richesse de l’air en oxygène, surabondance d’ozone, présence dans l’air de substances minérales dues au « sel marin ».
6) Pureté atmosphérique.
7) État hygrométrique élevé.
De ces caractéristiques climatiques, il nous est possible de déduire leur effet sur l’organisme.
1° Effet excitant et tonique dû aux vents, à la luminosité intense, à la pureté de l’air, effet se traduisant par une augmentation notable des échanges respiratoires et des oxydations du taux de l’hémoglobine et des globules rouges du sang.
2° Effet antiseptique, attribuable à l’intensité de la lumière, en particulier aux rayons solaires chimiques, à la richesse de l’air en oxygène, à la surabondance d’ozone.
3° Effet congestif dû aux vents violents saturés d’émanations salines.
Indications et contre-indications
Indications
A) Rachitisme
« Pour le rachitisme, écrit Galot, plus encore peut-être que pour la tuberculose osseuse, le grand guérisseur c’est l’océan ». Dans cette affection, le séjour dans notre plage joint à une bonne alimentation et au repos vaudra mieux que tout autre traitement, le jeune âge étant évidemment considéré comme une condition indispensable au succès.
B) Lymphatisme
Les lymphatiques, surtout les enfants éprouveront une amélioration notable après un séjour dans un climat aussi excitant et tonique.
C) Tuberculose locale et prétuberculose.
Qu’il s’agisse de tuberculoses osseuses, ganglionnaires, cutanées, de scrofulo, de tuberculose, de prétuberculose, la vie sur notre plage, sera le traitement de choix.
D) Tous les déprimés
Les surmenés nerveux, les convalescents de maladies aiguës trouveront ici le stimulant nécessaire au rétablissement de leur santé. Dans ce rapide schéma, nous n’avons nullement songé à faire l’étude complète de cette question qui nécessiterait de longs développements, nous n’avons voulu qu’en esquisser le plan. Nous avons pensé être ainsi utile à notre Direction en lui donnant quelques indications qu’il lui serait possible de diffuser parmi les médecins du Maroc. Ceux-ci sont consultés souvent sur l’opportunité d’un « changement d’air ». Toutes ces familles surtout par ces temps de vie chère, ne pouvant se rendre en France, ils pourront également envisager la possibilité de créer, ici, un Centre de convalescence à l’exclusion des paludéens.
Contre-indications
A) Tuberculose pulmonaire
Les professeurs A. Robin et E. Sergent dont l’autorité fait foi en la matière, recommandent avant tout, dans cette affection qui tend à diminuer les échanges respiratoires et les oxydations organiques déjà exagérées.
Le premier effet de séjour sur notre plage étant de les augmenter, il en résulte que les bacillaires pulmonaires doivent être soigneusement écartés.
B) Les asthmatiques.
On leur déconseillera le séjour dans notre ville puisqu’ils doivent être mis à l’abri de toute cause de congestion et de refroidissement « choc ».
C) Les catarrheux.
Pour les mêmes raisons que précédents.
D) Les cardiopathies.
À la rigueur les cardiopathies valvulaires bien compensées ne seraient pas une contre-indication absolue, mais les cardiaques asystoliques ou préasystoliques doivent être écartés de même que toutes les cardiopathies artérielles, en raison des à-coups circulaires, des changements brusques de tension et de l’éréthisme cardiaque qui se produisent.
E) Les neurasthéniques.
Le séjour à Mogador aura en général une influence dynamogénique sur le système nerveux en raison de la stimulation même qu’il détermine, il ne saurait être conseillé qu’aux nerveux, affaissés, asthéniques, et formellement contre-indiqué aux neurasthéniques excités, qui s’en trouveraient fort mal. À écarter également toutes les neurasthénies séniles ou présénilités en raison des troubles circulatoires du cerveau auxquelles elles sont souvent associées.
F) les arthritiques et les rhumatisants.
En raison de l’humidité et du refroidissement possible.
G) les paludéens
Pendant la saison estivale qui aurait à souffrir des variations brusques de la température et de la fraîcheur des soirées et de la nuit ». .
Vue générale
Au fond à droite, le Chalet de la Plage entre remparts et vagues
Il y a des souvenirs qui marquent d’une manière indélébile, comme des fers à cheval ardent sur le pelage d’un chameau, du fait de leur forte charge émotionnelle et parce qu’ils sont liés à des évènements tragiques qui nous rappellent la fragilité de la vie et le tragique de la mort. Au tout début des années 1960, le bruit couru dans toute la ville que Joseph Hoisnard, le corpulent propriétaire du Chalet de la Plage, aurait écrasé sous les roues de sa grosse cylindrée, le crâne même du petit Biza, un copain de classe ! À la sortie des classes de l’Alliance Israélite, en pleine allée des araucarias ! Télescopage des évènements dans la mémoire : sans discontinuer, toute la ville s’est mise à bruire à nouveau de la disparition brutale du même corpulent propriétaire du Chalet de la Plage : il se serait ouvert une veine dans la cuisse en tentant de forcer l’entrée de son restaurant à coups de pieds vers trois heures du matin ! Sa disparition survenait ainsi prématurément à l’âge d’une cinquantaine d’année, alors que Bizat continue toujours d’officier à la pharmacie de la kasbah, avec une balafre qui rapelle toujours cet accident survenu à l’allée des araucarias que traversaient les autocars il y a déjà si longtemps de cela!...
Le Chalet du temps de "Babbaz"(le gros Hoisnard)
Dans une ville où la rumeur tenait lieu de journaux, tout le monde s'est ému en apprenant un jour que "Babaz"(le sobriquet qu'on donnait à Hoisnard et qui signifie "obèse"), ayant perdu le contrôle de sa fameuse machine, se serait précipité corps et âme dans le bassin du port: heureusement, qu'il savait nager et qu'il s'en est sorti cette fois ci indemne quoique mouillé jusqu'aux os! On a du faire appel à une vieille grue pour repêcher sa vieille moto du milieux des flots. ....
Juste à côté de la porte de la marine, il y avait en effet une grue aujourd’hui disparue qui servait à remettre à flot les barcasses. C’est du haut de cette grue qu’Ali Warsas serait tombé en se brisant irrémédiablement une jambe. Depuis lors, il ne se déplaça plus que sur son âne au point de devenir l’objet d’un fameux couplet du Rzoun le chant disparu de la ville. Le clan des Chebanate, le quartier Est de la ville chantait :
Qui est votre chef ô les Béni- Antar ?
Ali Warsas, toujours sur son âne suivi de son chien !
Ce à quoi le clan Ouest des Béni- Antar répond :
Et qui est votre chef, ô les Chebanate ?
Osman à la tête bossue et qui avait en guise de ceinture, une cordelette !
Ali Warsas qui avait émigré en Angleterre, en était revenu marié avec une Anglaise. À sa mort cette dernière l’avait enterré au cimetière chrétien de Bab Doukkala. Si bien qu’il est le seul musulman enterré parmi les chrétiens ! À l’époque, l’Eglise anglicane était très active à Essaouira, au point que les juifs de la ville avaient organisé une manifestation au quartier des forgerons — manifestation immortalisée par une vieille photo en noir et blanc — pour exiger le départ du chef de l’Eglise anglicane accusé de vouloir convertir les juifs au protestantisme.
Du temps de "Babbaz", le Chalet donnait directement sur la plage
Quand au retour d’une partie de foot – les équipes s’affrontaient par quartiers jusqu’à ne plus distinguer le ballon ni les silhouettes furtives dans la nuit qui tombe sur la plage – nos narines se dilataient en humant l’odeur d’algues et de fruits de mer qui émanait des mets raffinés du Chalet de la Plage. On enviait les privilégiés qui étaient les hôtes du gros bonhomme circulant toujours sur sa grosse cylindrée, comme s’il aurait perdu l’usage de ses jambes!. Le seuil infranchissable de son prestigieux restaurant est ce qui distinguait la communauté européenne de la population musulmane…D’après une note qui lui est consacré, il semble que sa cuisine à la française était internationalement reconnue :
Le parapet ceinturait la ville en fer à cheval d'un seul tenant depuis le port jusqu'à la séguia de l'oued ksob à la sortie d'Agadir
L'Aconage,établissement douanier qui se transformait parfois en salle de bal-photo de 1910
Lorsque hôtel Beaux Rivage qui surplombe café de France s'appelait ROUSSILLON
Hoisnard dit "Babbaz"(le gros)sur sa moto dans les années 1950
Mogador (Maroc)-place du Chayla- 15/12/20
Sous le protectorat la place centrale de la kasbah portait le nom de "du Chayla", le navire de guerre français qui a bombardé Casablanca en 1907 et qui a pris Essaouira en 1913.Café de France allait devenir le lieu où se déroulaient les bals dansés du réveillon, où se retrouvait la jeunesse européenne et juive occidentalisée pour partager des libations interdites en principe aux musulmans. Ce qui n'empêchait pas ces derniers d'être de fougeux amateurs de "Ma hya"(eau de vie), en particulier celle qu'on appelait "arche de Noé" émanant du dépot de vin du Mellah. À force de boire de cette "arche de Noé," pour faire face au froid glacial du Gulf stream et des vents alizés, les marins étaient toujours ivres en montant à bord!
Magasin Brami : Nouveautés Bonneterie
Non loin de Café de France, se trouvait la bonneterie des Brami : le magasin huppé par excellence où s'habillaient tous les enfants de Mogador, le jour des fêtes! Brami est le père de katya, auteur de "Mogador, parfum d'enfance", et le beau père d'André Azoulay, qui reviendra au début des années 1990 à "Essaouira-Mogador", sa ville natale, en tant que conseiller royal d'abord sous Hassan II et maintenant sous Mohamed VI.
16:52 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : histoire | | del.icio.us | | Digg | Facebook