03/01/2012
Des caravanes au tramway
L'axe des marchés
Couope transversale de l'artère principale
En quittant le méchouar; les trois portes qui donnent accès àla médina et à ses marchés
Les caravanes de Tombouctou arrivaient jusqu'au coeur de la médina
"Haddada"(le quartier des forgerons) en 1912
Il est claire que les jardins datent du Protectorat et ont disparus avec lui
Haddada du temps des caravanes au tramway!.
En 1910, on avait commencé les travaux du tramway qui devait relier à travers l'axe central de la médina, le port à l'embryon de la zone industriel au nord de la ville avec la tannerie Carel
Travaux du tramway à Souk Jdid en 1910
Rails du tramway traversant le marché
Khobbaza : le souk au pain
Les marchés
Au croisement des deux principeaux axes de la Médina
De part et d'autre de l'axe principal au niveau de souk Jdid, quatre petites places parfaitement symétrique: le marché au grain(la Rahba) et le marché de la criée(la Joutia) d'un côté et le marché de la laine (souk laghzel) et le marché au poisson de l'autre. Le marché au poisson se subdivisait en marchands de poissons et en marchands de fruits de mer(moules et oursins en particulier).Tout autour, il y avait les marchands de poteries et les écrivains publics pour la rédaction des actes notariés, les actes de mariage et de divorce.
De part et d'autre de l'axe vertical, les deux axes horizontaux débouchant à l'Est sur Bab Marrakech et à l'Ouest sur Bab Labhar donnant accès à la mer
Non loin des arcades de Souk Jdid, à l’entrée de la Joutia (le marché à la criée) vivait le tailleur traditionnel dénommé Abdellah Majjout (le chauve) célèbre dans tout le pays par son humour : il serait né à Essaouira à la fin du XIXesiècle, et mort assez vieux au milieu des années soixante. Il élevait deux rossignols déplumés qu’il chérissait tant et auxquels il ouvrait la cage pour qu’ils puissent bénéficier du soleil : les oisillons sortaient et rentraient à leur guise. Et voilà qu’un chat déroba l’un d’eux. Furieux Abdellah le chauve attira par des morceaux de viande le félin fautif et l’assomma d’un violent coup de bâton sur la tête. On lui dit alors selon la croyance qui accorde aux chats sept vies :
- Vous venez de tuer sept âmes !
Ce à quoi il répondit :
- Je n’ai tué qu’une seule âme : dites lui alors de vivre grâce aux six autres âmes que vous lui accordez!
Souk Laghzel : le marché de la laine
Une autre fois un client se présente à lui avec un magnifique tissu pour lui demander de confectionner une djellaba à nulle autre pareille. Il confectionna ladite djellaba avec un manche trop court et un manche trop long. Le client alla se plaindre au pacha borgne, et quand celui-ci le convoqua, Abdellah le chauve se justifia en ces termes :
- J’ai confectionné cette djellaba de la sorte parce que le vœu de ce client était d’avoir une djellaba qui n’a jamais existé…
L’un des apprentis d’Abdellah le chauve, dénommé « Kih », qui a fini sa vie ses dernières années à l’alimentation des goélands — dès qu’il paraît à l’horizon, une nuée d’« Aylal » comme on les appelle en berbère (c’est-à-dire ceux qui volent de leurs ailes) vient à sa rencontre — était un amateur de beaux garçons, notoire dans les années soixante. C’est à cause de lui que je tiens à raconter cette blague salace et significative, qu’on rapporte à propos d’Abdellah le chauve et que j’ai omis de rapporter par autocensure :
« Une fois, vers le coup de dix heures du matin un blédard est venu lui demander dans sa boutique de la Joutia :
- Combien coûte cette chemise ?
- 400, lui répond Abdellah le chauve.
- Et ce pantalon ?
- 1 000 réaux.
Le blédard fit le tour de la Joutia et revint à la charge :
- Combien coûte ce pantalon ?
- 400, répond Abdellah le chauve.
- Et la chemise ?
- 1 000 réaux
Le campagnard lui dit alors :
- Comment se fait-il qu’entre deux tours, vous avez fait monter la chemise et baisser le pantalon ?
- C’est pour t’enculer ! Lui rétorqua Abdellah le chauve.
Blessé dans sa virilité, le blédard alla se plaindre au pacha borgne, qui gouvernait la municipalité de Mogador à l’aube des années 1950 et à la veille de l’indépendance. Le coursier du pacha fit venir Abdellah au Pachalik sis à Derb- Laâlouj, dans l’actuel Musée d’Essaouira.
- Je sais pourquoi vous m’avez convoqué, dit Abdellah le chauve au Pacha borgne : s’il mérite d’être enculé, enculez-le vous-même !
La Joutia (le marché de la criée): l'une des quatre places qui ornent de part et d'autre Souk Jdid
Abdellah le chauve qui vivait en célibataire dans sa boutique de la Joutia est venu un jour demander au pacha borgne le droit de s’abriter dans l’ancien logis du canonnier au-dessus de Bab – Doukkala. Une requête auquel le pacha borgne répondit favorablement. Mais voilà qu’à l’approche du Ramadan, une délégation de notables se présenta au pachalik, réclamant l’expulsion d’Abdellah le chauve de l’ancien logis de canonnier, sous prétexte qu’il y reçoit des personnes à la moralité douteuse, et qu’à l’approche du Ramadan on doit préparer le canon qui annonce la rupture du jeûne.Abdellah le chauve qui voyait venir le complot et les comploteurs, s’empressa de se photographier sur les lieux : il avait la taille trapue, les jambes arquées, et les bras ballants et démesurés comme ceux d’un gorille. Impression renforcée par son teint foncé et ses petits yeux pétillant de malice.En voyant venir à lui, le Chaouch démesurément grand du pacha borgne précédé de son propre apprenti, à la fois chétif et de petite taille, Abdellah le chauve s’exclama :
- Voici venir le chameau guidé par une allumette ! (Ouqida)
C’est de là que vient le surnom d’« allumette » qu’on donnera à son apprenti, sa vie durant.
Quand le pacha fit part à Abdellah des recommandations des notables le concernant, il retira sa propre photo qu’il avait en poche et la remit au pacha en lui disant :
- Je sais que c’est mon célibat qui fait problème, mais si jamais vous trouvez une femme qui accepterait de se marier avec un tel individu, faites-moi signe !
Rahba : marché aux grain
Il était convaincu que ses disgrâces physiques lui interdisaient le mariage. En fait la plupart des hommes de sa génération, non seulement n’avaient pas accès à la maison close deJraïfiya, en raison de leur statut social et de leur pauvreté, mais avaient peu de chance de séduire une beauté locale en raison de la règle d’exogamie qui avait cours dans la ville. Les habitants se considéraient comme une même famille, si bien que les mariages intra-muros étaient considérés comme de l’endogamie : à Mogador, le mari idéal doit nécessairement venir de loin. Le mariage avec le voisin immédiat fait si peu rêver les jeunes filles, comme j’en ai fait moi-même l’expérience au début des années quatre-vingts. Je venais de terminer mes études en France, et j’enseignais la littérature au lycée de la ville. Un médecin interne de l’hôpital me pria alors de rédiger sa thèse sur les maladies vénériennes de la région. Un samedi après – midi je me rendis chez ce médecin interne pour lui rendre un chapitre. Une fois à l’internat, je dus traverser un immense couloir jonché de bouteilles de bières vides, où les internes qui se sentent exilés trompaient leur ennui. Il y avait là quatre ou cinq médecins, et surtout quatre jeunes filles dans la fleur de l’âge, avec des corps dorés de nymphe. L’une d’entre elles entraîna dans la cuisine le médecin qui m’accompagnait. Au bout d’un moment il vint vers moi et m’entraîna dehors en m’expliquant que la jeune fille m’ayant reconnu comme enfant du pays lui avait dit :
- Si jamais tu ramènes encore une fois parmi nous un type d’ici, c’est la dernière fois que tu nous verras parmi vous !
Tous les médecins étaient en effet des étrangers : or pour préserver leur réputation du qu’en-dira-t-on, l’amant doit être nécessairement un étranger ! Encore aujourd’hui, les plus belles filles de la ville partent maintenant à l’étranger avec le prince qu’elles ont choisi et qui est venu de loin. Comme pour les oranges ; les plus beaux fruits sont destinés à l’exportation !
« Le Marrakchi qui n’a pas d’amant n’est pas de Marrakech, et le Souiri qui n’a pas de maîtresse n’est pas d’Essaouira », me disait récemment un ami. La formule me rappelle le début d’Anna Karenine, mais elle n’est pas juste. Le point commun entre les deux médinas traditionnelles était le phénomène de « Liwate » : les artisans efféminaient les beaux garçons, selon la tradition du poète Abou Nuwâs, parce que la femme était recluse et voilée, et ne pouvait donc être accessible que dans le cadre légal du mariage. Conséquence ceux qui ne pouvaient pas se marier n’avaient de choix qu’entre la transe rituelle et le transfert sur les beaux « ghoulam », pour décharger leur bioénergie. C’était une société de mystification absolue refusant de nommer l’innommable, en dehors de cadre strictement codifié par la tradition. Une société de souffrance silencieuse instituée.
Rahba : marché au grain
Un Souiri invita un jour à Adellah le chauve à Casablanca et lui confia les clés de son appartement situé au quatrième étage d’un immeuble. Alors qu’il était seul dans l’appartement tout d’un coup la sonnette retentit. De la fenêtre il vit quelqu’un qui lui fit signe de descendre. Une fois en bas, le personnage s’avèra être un mendiant demandant l’aumône au nom de Dieu. Pour toute réponse Abdellah le chauve l’invita à monter : une fois là-haut il lui dit en lui claquant la porte au nez : « Que Dieu facilite les choses ! » (la formule rituelle qu’on adresse aux mendiants quand on n’a rien à leur offrir). Mais comme le disait Bergson le rire est difficilement traduisible.
Gravée sur pierre de taille, « Baraka de Mohamed », qui appelle la bénédiction du Prophète sur la cité, qu’on trouve sur les donjons de la Scala du port et de la mer, que les artisans utilisèrent comme devise d’Essaouira en l’ incrustant sur de petites plaques de thuya.
Souk Jdid au début du Protectorat : on venait d'y planter les premiers arbres
On voit clairement que les arcades étaient d'un seul côté.Mon père me disait que les arcades de Souk Jdid ont été édifiée en deux étapes comme en témoignent les gravures en pierre de taille : la partie Ouest d’abord, édifiée en 1858 a servi de modèle pour les arcades de la façade Est, édifiées en 1945 par Abdellah Ben Tahar, alias « Jmal » (le chameau). Soit à 87 ans d’intervalle.Ce qui veut dire qu’une fois le cadre général mis en place, à savoir les quatre portes et les remparts qui structurent l’ensemble autour d’un axe sous forme de croix, l’espace a été progressivement occupé par les nouveaux arrivants : arrivée des « Ahl Agadir », en 1773, construction de la nouvelle Kasbah en 1876, mise en place de Souk Jdid en 1858, etc
Année 1364 hégire, soit 1945 J.C.par Abdellah Ben Tahar
Juifs en noir et femmes en blanc à souk Jdid
Poteries, rue du marché avant qu'il ne soit planté d'arbres en 1913
Les jardins de Mogador
Sous le protectorat(1912-1956), Mogador était une ville-jardin : les plantations allaient tout le long de l'axe principal depuis le port jusqu'à Bab Doukkala! Ces jardins et plantations seront pour l'essentiel rasés à l'indépendance!...
L'axe principal qui relie le port au Sud à Bab Doukkala au Nord
Les jardins étaient fort bien entretenus et celui -ci comprenait même un aquarium!
Le même jardin entouré maintenant de marchands de grillades de poisson, et de parc automobiles : plus d'aquarium ni du joli édifice du syndicat d'initiative en pierre de taille rasé ...
Jardins du Mechouar et mosquée Ben Youssef
Deux axes traversent la ville et permettent ainsi de déplacer rapidement des forces militaires. Ces axes ont trois autres fonctions. l'une politique, la seconde économique et la troisième hygiènique /
- économique : à l'endroit où se croisent les deux axes majeurs, les souks se greffent de part et d'autre.
- politique : sur l'axe politique se trouve le méchouar et la mosquée; le pouvoir étant à la fois politique et religieux.
- hygiènique : La direction de l'axe est celle du vent dominant. Les vents soufflent durant la période d'été et peuvent ainsi pénétrer dans la ville pour la néttoyer et la rafraîchir. Depuis la fixation des dunes par les mimosas , genêts et tamaris, le climat s'est rafraîchi et l'action bienfaisante du vent s'est minimisée. Cependant aux XVIII è et XIX ème siècles , il avait limité les dégâts des épidémies qui sévissaient alors.
Des images qui accusent : Le méchouar contenait de très beaux jardins rasés depuis...
S'il y a un mérite à reconnaître à la gestion urbaine du temps du protectorat, c'est bien son grand intérêt pour les espaces verts : toute une armada de jardiniers proffessionnels s'affairaient jour et nuit et sept jours sur sept à l'entretien des espaces verts. Le derniers des jardiniers professionnels est Monssieur JOUAY, qu'enfants nous voyons sur sa byciclette courir du jardin ombragée de Bab Marrakech - aujourd'hui disparu - aux jardins du Méchouar et de la kasbah qui contenait un aquarium. Après l'indépendance tous les jardins de la ville ont péréclité d'une manière irrémédiable et n'ont plus retrouvé leur éclat d'antan, faute de soins, d'entretiens et surtout de goût pour l'esthétique: les équipes d'illétrés qui se sont succéder au conseil municipale ont favorisé l'anarchie urbain, le mauvais goût patent et l'incompétence criarde enfonçant la ville dans la ruraliusation et la laideur, détruisant le patrimoine bâti par les grands maâlem comme en témoigne la situation lamentables des marchés du centre ville actuelles qui n'ont plus rien à voir avec ce qu'ils étaient jadis tous plantés d'arbres: ce qui traduit une baisse de niveau catastrophique de la gestion urbaine d'après l'indépendance....
Mogador - Jardin du Mechouar
Depuis le départ des Français, jamais plus aucun jardin public n'a retrouvé une telle variété, une telle richesse et une telle densité de plantations: quand je me promenais en ville avec Georges Lapassade celui-ci me disait souvent: "Nous autres Français nous avons planté de beaux jardins et vous autres marocains, vous n'êtes même pas foutu de les arroser!"
Lyautey accordait le plus grand intérêt aux jardins publics: c'est lui qui avait imprté d'Amérique Latine les fameux arrocarias en les plantant dans toutes les villes côtières du Maroc. Malheureusement à chaque fois qu'un arbre de cette époque meurt on ne le remplace jamais par un autre et quand ces arbres sont malades; personne ne les soigne : on les laisse mourir dans l'abondon comme si les "responsables" municipaux n'avaient aucune conscience de la beauté d'un arbre dans la cité....
Le temps est passé et la ville s'est enlaidie : c'est triste de constater combien ces mêmes artères sont moins beaux à voire...L'esthétique urbaine est fondamentalement une affaire de démocratie locale et malheureusement ce n'est pas pour demain...
Ce n'était pas beau celà?! Malheureusement, depuis l'indépendance du Maroc, en matière de gestion urbaine, la "chaâwada"(le charlatanisme) l'a emporté sur les vrais compétences: il y avait pourtant de grand maâleme artisans à Essaouira qui souffraient en silence parce qu'on les a jamais associé aux affaires de leur cité. Pourtant Dieu sait qu'ils étaient un milliard de fois plus cultivés et plus civilisés que les soi-disant interlocuteurs des autorités de "tutelles" comme ils disent...Au Maroc l'urbanisme a souffert de l'arrivée aux affaires d'élus sans projet, sans vision, sans la moindre once de connaissances esthétique: résultat, des villes comme Csablanca avec son architecture Art Déco ou Essaouira avec ses beaux jardins se sont clochardisés depuis, offrant le visage dégligué de bourgades rurales dont on ne peut plus dissimuler la laideur et la saleté à coup de propagande : Lyautey associait les meilleurs savants pour mieux connaitre la civilisation marocaine en la respectant et en tirant le meilleurs d'elle-même et non comme maintenant en offrant les meilleurs poste de responsabilité à une horde de pillards hilaliens...
Le souk et la mosquée Sidi Hmad ou Mohamad
Souk Jdid était tout planté d'arbres !
On pouvait s'abriter du soleil au souk Jdid-photo de 1924
Quelle qualité de vie! Quelle clareté urbaine! Rien avoir avec la catastrophe urbaine sans tête ni queue qui s'est développée à partir des années années 1960, dans ces quartiers de la périphérie qui ont supplantés les anciens jardins potagers, ni avec cet habitat produit à "l'industriel" dans ce qui était le village de Ghazoua....
Maintenant, non seulement aucun arbre ne pousse plus à souk Jdid, mais on a défiguré ses arcades en les affublant de tuiles vertes unifornisantes et surtout en détruisant l'harmonie et la symétrie des quatre places qui faisaient le charme du centre ville(le marché au poissons, le marché de la laine d'un côté, le marché aux grains et le marché de la criée de l'autre): au début des années 1980, le buldozer est entrée en action pour mélanger laine et poissons avec une architecture en béton d'une laideur indescriptible et dire qu'on ne pouvait même pas lever le petit doigt pour dénoncer une atteinte évidante au patrimoine urbain : les destructeurs prenaient le silence pour de l'aprobation à leur forfait et à leur ignorance.On a été non seulement réduits au silence, mais ce qui est plus grave on s'est retiré de toute vie concernant la cité: les plus brillants d'entre nous se fondaient dans la masse silencieuse et anonyme : quel progrés que l'indépendance du Maroc...Les gestionnaires de la chose public n'ont de compte à rendre à personne...
On pouvait s'abriter du soleil au souk Jdid - photo de 1924
Arbres plantés en 1913, rasés en 1956
Traversée de l'axe principal de la médina en images: le méchouar, haddada, souk Jdid et khoddara; Sous le Protectorat, les arbres étaient plantés tout le long de l'axe principal de la médina.Ils ont tous été rasé à l'indépendance et malheureusement jusqu'à aujourd'hui encore, on continue de raser cette horloge biologique, ce témoins de l'écoulement des saisons que sont les plantes et les arbres..Le temps est passé et du coeur de la ville les arbres ont disparu
Même "khoddara"(le marché aux légumes) était ombragé d'arbres! Au premier plan les pilliers en pierre de taille qui abritaient la rangée des bouchers d'un côté et celle des marchands d'abats de l'autre: on les a détruit au début des années 1980 pour les remplacer par de lugubres arcades en béton armé surmontées de tuiles vertes uniformisantes, qui gomment et les spécificités locales en matière d'architecture et son ésthétique et cachent surtout les arrivages des quatre saisons! A l'origine le marché était ordonné par profession: les fleuristes avec les fleuristes, les bouchers avec les bouchers et les maraichers avec les maraichers: maintenant c'est du n'importe quoi: un marchand de pacotille vient élire domicile au milieu des bouchers et une téléboutique ouvre au milieu des marchands de volailles!. C'est tout simplement révoltant à force de ridicule et de mauvais goût! Non seulement les jardins allaient jusqu'à Bab Doukkala, mais donnaient en plus sur d'autres jardins : les fameux jardins potagers rasés à l'indépendance!
Arrivée de la procession des Hamadcha à Bab Doukkala, Roman LAZAREV
Bab Doukkala
Forteresses à Mogador et vieux cimetière marin
Les tombes qu'on voit au premier plan sont celles du vieux cimetières marin où on vient d'ênterrer l'écrivain marocain Edmond Amran El Maleh à sa demande (il avait réclamé aussi que son épitaphe soit rédigée en Hébreu, en Arabe, en Amazigh et en Français, les quatre idiomes utilisés au niveau national).David Bouhaddana m'écrit à propos de ce vieux cimetière marin : "c'est l'ancien cimetiere de mogador, qui est maintenant entouré d'un mur et qui est à ce jour bien mieux entretenu. C'est dans ce cimetiere que repose notre Rabbin Rabbi Haim pinto qui recois chaque annee par avion des centaines d'anciens mogadoriens.........ils viennent de France , des Etats Unis et d'Israel.....sous la reponsabilité de Rabbi david pinto "arriere petit fils du saint" pour quelques jours juste avant le debut de l'annee juive "roch hachana" (tête de l'annee ). Ce saint etait mort 3 jours avant la nouvelle annee."
Les Rabbins de Mogador au tout début du 20 ème siècle
David Bouhaddana m'apprend maintenant que ce cimetière marin a plus de 900 ans et qu'il était déjà complet après 400 ans.Il y a deux couches de tombes. C'est ce que m'a raconté Lahcen, le gardien mort il y a 15 ans. Cette histoire, il la tient de son grand père, qui la tient de son grand père...C'est une histoire de gardiens de cimetière de père en fils....
C'est dans ce cimetière que Rabbi Haïm Pinto est enterré sous la coupole
Le cimetière « rasé » de Bab Marrakech
Potiers à l'entrée du vieux cimetière de Bab Marrakech le nuit du destin
Hier,en passant devant le cimetière « rasé » de Bab Marrakech — il paraît que les musulmans ont le droit de raser les cimetières au bout de soixante-dix ans — et en particulier devant les trois palmiers où mon père disait qu’Abdessalam, son tuteur, était enterré ; j’ai passé plus d’un quart d’heure à lutter contre le trou de mémoire, pour retrouver le nom d’Abdessalam : trou de mémoire pour sépulture disparue. Devoir de mémoire envers mon père et ma mère. Le jour où je m’attaquerais à cette amnésie, ce jour-là, je pourrais peut-être m’autoproclamer « écrivain ».
La "Machina" : la minoterie Sandillon
Abdesslam l’homme à la sépulture disparue qui a élevé mon père vendait de la farine près de la minoterie Sandillon. Le nom de ce dernier figure dans la toute première alliance israelite de Mogador : les élèves de cette école étaient, en juillet 1905, au nombre de 206, dont un Français, le jeune Sandillon. Le local de l’école était au premier étage d’une maison de la nouvelle kasbah – l’actuel commissariat de police. La présence d’une seule école anglaise de filles créait une situation particulière aux enfants des autres nationalités qui étaient obligés de suivre ses cours, c’était le cas des filles de Mr Sandillon, le minotier français de la ville.
Au fond, Henri Sandillon, fils ainé de Ferdinand Sandillon avec maâlem Abdellah
Ce Sandillon, dont je me sens si proche parce qu’il avait fondé au début du XXe siècle, le premier journal que Mogador ait jamais connu. À la fin des années 1980, quand je menais des recherches sur l’histoire de la ville, j’avais retrouvé dans un fichier de la bibliothèque de Rabat, la collection complète de ce journal ! Malheureusement, à chaque demande, le bibliothécaire revenait les mains désespérément vides, me disant que le journal avait disparu. C’était au moment même où la minoterie vacillait sous la violence des vents avant de disparaître à son tour.
Dix ans auparavant la veuve de Sandillon est revenue dans le sillage des nostalgiques français de Mogador.Ils étaient conviés à un somptueux dîner aux langoustes, dans l’ancienne résidence du contrôleur civil qui avait été confisquée par le protectorat au caïds Anflous après sa reddition en 1912, et qui appartient désormais à ce président du conseil municipal qui a pour coloration politique, les oranges. J’ai alors servi de traducteur à ce président araophone dans le style du vieux Makhzen, qui disait comprendre l’émotion de ces revenants, pour qui les rivages de Mogador symbolisaient les temps à jamais révolus de leur jeunesse. Madame Sandillon m’a prise alors à part pour me dire :
« Quand nous sommes arrivés en haut du promontoire d’Azelf, à la vue d’Essaouira au bord de l’eau, je ne pus m’empêcher de pleurer de désespoir ».
Et combien je comprends sa douleur. Je lui disais alors que selon mon père, à l’instar de son mari, il y avait un homme qui tenait boutique de chimères au quartier des Boukhara — où résida la garde noire de Moulay Ismaïl — et qui tenait un journal quotidien de tout ce qui se passait dans la ville : intempéries, hausses de prix, arrivée de caravanes, naufrage de marins …
Les moulins de l'époque
Veux-tu bien que nous ajustions
Son axe au moulin,
Pour moudre en commun
Ton grain et le mien ?
Veux-tu bien qu’en un seul troupeau
Nous mêlions nos ouailles aux tiennes ?
Mais gardes-toi bien
D’y mettre un chacal !
Comment donc, de la plaine,
Surgirait Mogador,
Comment pourrait-on
Haïr qui l’on aime ?
Le vieux cimetière de part et d'autre de Baba Marrakech
À l’époque les quatre portes de la ville se fermaient la nuit, et en dehors des remparts, il n’existait que des jardins potagers et des cimetières. Pour se prémunir contre les caïds de la région qui la convoitaient, la ville tendait à développer une certaine autonomie, en disposant d’une citerne collective en son enceinte plus précisément dans l’actuel marché aux poissons. Au crépuscule un berger faisait rentrer les vaches laitières, que chaque maison possédait avant que les portails de la cité ne se referment.
Des vaches à l'entrée de Bab Marrakech
Un soir qu’il faisait très froid, deux colporteurs qui sillonnaient la région pour y vendre du tissu de melf importé d’Allemagne et des épices – au paradis le Prophète aurait aimé être marchand de tissu et d’épices – entraient en ville après leur tournée dans les souks de la région. Ils trouvèrent les portes fermées au crépuscule parce que c’était le temps de la Siba, le temps où les caïds étalaient le burnous sur la jellaba et faisaient parler le baroud. Le marchand qui resta immobile jusqu’au matin fut trouvé inanimé au pied des remparts, alors que son compagnon qui avait passé la nuit à rouler une grosse pierre, à la manière de Sisyphe, entra prendre son petit-déjeuner tout trempé de sueur en répétant : « Que le lit où coule le flot de notre vie serait étroit, s’il n’y avait le vaste espace de l’espérance ».
Des vaches à l'entrée de Bab Sbaâ
Le mogadorien David Iflah, le chantre du Malhun judéo-arabe qu'Alexis de Chottin cite dans son "Tableau de la musique marocaine", évoque les jardins potagers qui entouraient la ville en ces termes : La betterave provient du potager de Messan,de Bunnif le jardinier et son associé Dda Hammani, ainsi que les aubergines..Leur produits sont vendus sans être pesé et les jeunes de la ville s'y servaient gracieusement pour apaiser leur faim après chaque match de football se souvient maintenant Mr.Abdelkhaleq Louzani, gloire du football national: "Carottes , navets, choux, chou-fleur (bourass) poussaient aux jardins potagers qui étaient exploités aussi bien par les juifs que par les musulmans. On jouait des matchs de foot au « hangar » et au retour tout le monde a faim. On passait par ces jardins pour manger les carottes.
D'entre les jardins potagers (Bin Laârassi)
Mogador - Vue prise en avion au tout début des années 1900 : on reconnait les deux cimetières de Bab Marrakech et les jardins maraîchers qui entouraient la ville.Tout cet espace vert allait disparaître sous les constructions anarchique à partir des années 1960.
.Mogador - Vue général: au premier plan "Bin laârassi", d'entre les jardins(potagers)
Par Bab Doukkala arrivait aussi la fameuse menthe de "Chicht"
Mogador avant la construction de la jetée du port
C'est cette ville qu'avait quitté Eugêne Aubin, pour se rendre à Safi, le 15 novembre 1902 :
« Vers midi notre convoi commençant à s’ébranler par groupes successifs traverse la rue principale de Mogador et sort de la ville par la porte du Nord, qui donne sur la lagune entre des jardins maraîchers et des cimetières. La plage , bordée de dunes sablonneuses, s’étend tout droite et la vapeur d’eau qui vient des vagues noie les contours du paysage. Dix kilomètres plus loin, à la nzalade Chicht , toute la caravane se trouve réunie. Dans le lointain, Mogador forme une apparition très fantastique, s’élevant des sables et de la mer, avec ses grandes murailles crénelées, ses maisons blanches et les tours carrées de ses minarets. »
Jardins maraîchers longeaint les remparts du côté de Bab Doukkala
Les dits jardins se situaient sur la lagune qui entourait la ville et qui était connue sous le nom vernaculaire de "loughrad"(le terreux) .Le jonc y poussait avec abondance faisant ombre dense où nichaient les pics-boeufs: dans cette lagune qui entourait l'îlot sur lequel est bâtie la ville ; on enduisait ces joncs de suie fondue des chombre à aire des becyclettes et on attendait patiemment que vienne s'y prendre l'un de ces tendres oisillons convoités....
C’était au temps, où à la veille de la fête du sacrifice, les enfants chantaient encore la fameuse comptine dénommée Qûbaâ ( la pie ), qui fait partie de ce que Halbwachs appelait « les cadres sociaux de la mémoire »:
Pie, ahah !
Carrelée, ahah !
Viande fraîche, ahah !
Et n’égorge, ahah !
Et ne dépèce, ahah !
Jusqu’à ce que vienne, ahah !
Moulay Ali, le doré !
Il a bu une sangsue,
Aussi grande que l’astre !
Pour guérir ? Ahah !
Sueur d’ensens, ahah !
Où est l’ensens ?
Chez l’herboriste !
Où est l’herboriste ?
Dans la cithar !
Patronne de la maison
Par-dessus l’olivier !
Cette maison est la maison de Dieu !
Et les disciples, esclaves d’Allah !
Donne moi quelque chose,
Si non, je pars,
En rampant,
Comme le serpent
Providentielle ! Haw ! Haw !
Sur l’olivier! Haw! Haw!
Cette maison est la maison de Dieu !
Libérez-nous ! Providencielle ! Haw ! Haw !
La maîtresse de maison leur donnait alors un mélange de henné, de sel et d’orge, que le bélier devait avaler avant d’être sacrifier par Moulay Ali le doré. Actuellement ces comptines oubliées ne sont plus évoquées que par de vieux souiris, lorsqu’ils parlent des années folles de leur enfance. Après l’école coranique, les enfants étaient principalement déstinés à un travail manuel, la marqueterie, en particulier.
Pêche à la ligne au pied des remparts du côté du Mellah :" les enfants de Mogador se rendaient chaque vendredi aux jardins maraîchers qui cernaient la ville pour apaiser leur faim en croquant des carottes fraîches après un match de football puis à jarf lihoudi (le rocher du juif) au pied des remparts du mellah, pour la pêche aux crabes.Il y avait beaucoup de sarres qui arrivaient avec la marée montante et qu'on pêchait là-bas.Les juifs aussi pêchaient près de cet îlot qui porte leur nom» se souvient aujourd'hui M. Abdelkhaleq Louzani, gloire du football national.
Les produits des jardins maraîchers arrivaient chaque matin au marché par Bab Doukkala.
Dans l'un des fours d'Abibou, situé au coeur de l'ancienne kasbah offiçiait kadouche dont David Bouhaddanam'envoie la photo accompagnée de ce commentaire: "Abibou a fait le pain mais c'est kadouche qui s'occupait de la cuisson. En plus c'etait lui qui as cuit les dafinas de la pluspart des juifs.Meme messaouda de l'hotel atlantic et mira de l'hotel centrale etaient clientes chez lui."Le jeune David Bouhaddana (enhaut en campagnie de l'acteur Michel Piccoli lors du tournage au port dans les années 1970 de scènes de "La poudre d'escompettes"et Mustapha Khalili(en bas), le chantre du malhûn souiri et le digne successeur d'Abdellah Abibou qui s'occupait de la cuisson du repas du shabbat, dénommé skhina (de la racine "skhou"chaud); dont le professeur Joseph Chetrit m'envoie une qasida du genre malhun en arabe udéo - arabe, intitulée әl-qṣἱḍɑ d-әs-sxinä qu'avait consacré le chantre mogadorien, David Iflah à ce plat traditionnel.
Le chant du plat chaud du shabbat
de David Iflah (Mogador/Essaouira 1867-1943)
Le repas chaud du shabbat procure une jouissance suprême; parfaitement préparé. il offre tous les délices, dont se délectent les amis et les frères réunis.
Voici la description explicite de la marmite: elle est resplendissante, blanche et brillante, de taille largement suffisante, fabriquée à l’ancienne
Elle porte les gros pois chiches, qui baignent dans leur huile, formant une sauce alléchante, de couleur dorée.
Les grosses boules de viande, le pied et la langue, avec des poulets farcis et d’autres sans farce; ajoutez-y les pommes de terre du Yémen
Des œufs blancs comme un tissu de lin, achetés après avoir été choisis et sélectionnés par un européen averti, et payés bien plus cher.
Mettez-y des morceaux de viande bien gras, du faux filet, de la poitrine et de l’épaule, provenant d’un bœuf clément, et la base découverte ou voilée des côtes.
Les grains de blé couleur d’ambre, reposent bien cuits au milieu de graisses ruisselantes, provenant de la moelle des os.
Je l’ai vue passer en direction du four, sur les mains d’une servante décorée de henné, originaire du pays des Noirs.
Regardez ˤAkiku avec ses verres, affaissé et tout couvert de suie, de torchons sales, se vautrant tout nu dans la cendre.
Regardez Ben u-Hatta roulant son ivresse, se cachant exprès entre la fosse du four et les planches rondes à pains, surveillant les voleurs.
Les plats chauds des différentes communautés comportent des oignons, des coings et des fayots couleur de raisins secs, ainsi que des lentilles pareilles à des coraux.
Regardez les amis et les proches parents, qui se réunissent tous affamés pour [le repas du shabbat], accourant bien perspicaces au festin
Les fourchettes à l’ancienne, des serviettes et des nappes de soie fine, brillant de leurs fils d’or.
Son odeur réveille les souffrants, par ses épices et le fin safran, et par son apparence couleur d’or.
Dans le salon étincelant et joyeux, couvert de tapis, de matelas et de coussins en soie fine, nous avons réjoui tous ceux qui ont bu et ont resplendi de bonheur
Faites revigorer les esprits par des bouteilles, de maħya blanche et de maħya rouge couleur de perles, distillée par des fins connaisseurs.
Le vin coulant à flots, l’absinthe, le brandy et le gin purifient mes chants, avec l’anisette blanche de couleur
Le cognac calme les ardeurs, mais ne négligez pas le célèbre rhum des Bermudes flamboyant dans les verres, étincelant comme des éclairs.
Des conserves au citron remplissez des pots: cornichons, moutarde, ainsi que les alléchants piments au vinaigre, avec la salade aux tomates et au piment fort.
La betterave provient du potager de Messan, de Bunnif le jardinier et son associé Dda Hammani, ainsi que les aubergines.
Les câpres valent leur prix cher; ne manquez pas les olives cassées à la manière de Taroudant, ainsi que les citrons couchés à l’huile d’olive.
Les radis couleur d’or sont acompagnés d’une salade de gros concombres à l’oignon blanc, de carottes, de citrons confits et de figues jeunes.
Quand le plat est arrivé à la maison, le logis a resplendi; c’est le maître mets dont l’odeur m’enivre. Notre joie est complète et notre fortune a embelli.
Mon nom est livré ici explicitement: le maître Dawid Iflah, qui s‘y plaît bien; je l'ai composée contre les [mauvais] yeux des ennemis.
әd-dritkä
Le plateau de thé offre de la jouissance, avec les deux théières et les verres dont la couleur m’enchante, on dirait un parterre de coquelicots.
Voici le détail des verres: le bleu violacé, le jaune du genêt ainsi que le vert me ravissent; ceux qui ont la couleur du coucher du soleil raniment les esprits.
Ajoutez-y le rouge vif éclatant, ainsi que le violet vert et doré du cou de pigeon indien, avec le bleu ciel teinté d’or.
N’oubliez pas les verres couleur de poils de chameau et de corail, ainsi que ceux qui sont d’un jaune rosé des jujubes, avec en dernier ceux à la couleur beige de pois chiches tout comme ceux qui sont du beau jaune verdâtre des roseaux.
Installe ensuite la bouilloire en beau métal jaune sur son réchaud, dont les braises se consument d’amour et de passion pour le plateau et les verres
Mettez à la tâche deux petites servantes noires du même âge, portant carafes, serviettes et tasses, celles dont l’ancêtre était gouverneur du pays des Noirs.
Texte extrait d’une étude culturelle et linguistique, sous presse,que le Prof. Joseph Chetrit a consacré à ce poème intitulée: Délices et fastes sabbatiques.( Edition et analyse d'uneqaṣi:dajudéo-arabe d'Essaouira/Mogador sur le repas festif du sabbat)
Avant de commencer la journée, j'ai pris des baignées croustillons au « Sefnaj » - un mot arabe qui dérive du persan «isfanj » probablement parce que ces baignées sont originaires d'Ispahan - puis une soupe de fèves (bissara) à khobbaza, marchants de pain de seigle bien chaud en cette heure matinale, où d'habitude se retrouvent, à chaque aube naissante, les marins du vieux port, pour partager un bon thé d'absinthe (chiba) qui a la réputation de réchauffer le corps et les cœurs juste avant d'affronter les embruns et les frimas de haute mer. Mais aujourd'hui, aux cafés maures de khobbaza, rares sont les marins parmi la clientèle de l'aube : là aussi c'est signe qu'il n'y a pas de sortie en mer.
En sortant de la maison, je passais d'abord par le marché aux grains où j'étais ébloui par le ballet des pigeons autur des marchands de blé et de maïs:
Enfant, j’ai jeté tous mes cahiers à la mer
Et je suis revenu avec des coquillages et des îles
On me donnait zéro
Et mes yeux d’enfant me donnaient
Le point lointain de l’univers.
A l'aube je prends ma première image de l'artère de Souk Akka, où enfant j'achetais des baignées en me rendant à l'école;Au bout de cette artère de Souk Akka, à la sortie de Bab Marrakech, se trouvaient les deux plus vieux cimetières de la ville que Tahar Afifi, alors président du conseil municipal de la ville avait ordonné de raser dans les années 1980. J'ai appris plus tard que mon père s'accoudait au muret de ce vieux cimetière pour prier pour le repos de l'âme de ma grand mère Mina , pour notre aïeul Hajoub Nass Talaâ (surnommé "mi-pente" parcequ'il avait dit au caïd Rha qui inspectait les caisses d'amandes du port vers 3h du matin: "Ma gachette est à mi-pente"; que je suis éveillé; c'est lui qui aurait édifié le toit peint (Barchla) de Sidi Mogdoul en tant que maâlam Brachlya).
Le vieux cimetière de Baba Marrakech
Au fond les palmiers où mon père disait qu’Abdessalam, son tuteur, était enterré. L'espace entre les deux vieux cimetières était très animé surtout lors de la fête de âchoura Hier, en passant devant le cimetière « rasé » de Bab Marrakech — il paraît que les musulmans ont le droit de raser les cimetières au bout de soixante-dix ans — et en particulier devant les trois palmiers où mon père disait qu’Abdessalam, son tuteur, était enterré ; j’ai passé plus d’un quart d’heure à lutter contre le trou de mémoire, pour retrouver le nom d’Abdessalam : trou de mémoire pour sépulture disparue. Devoir de mémoire envers mon père et ma mère. Le jour où je m’attaquerais à cette amnésie, ce jour-là, je pourrais peut-être m’autoproclamer « écrivain »Abdesslam, l’homme à la sépulture disparue qui a élevé mon père vendait de la farine près de la minoterie Sandillon. Le nom de ce dernier figure dans la toute première alliance israelite de Mogador.À l’époque, il y avait encore des consuls européens dans la ville.Lambrojo, le consul d’Italie avait une minoterie en face de la maison où je suis né
Les vieux cimetières de Bab Marrakech
« Nous sommes nés d'une poussière d'atome etnous redeviendrons poussière. ». Cette formule usuelle indique que pour les musulmans, la dépouille mortelle n'est pas si importante ; et que ce qui importe est l'âme qui monte au ciel : « Ils t'interrogent au sujet de l'âme, dis : l'âme relève de l'ordre de mon Seigneur. Et on ne vous a donné que peu de connaissance. » (Sourate 17, verset 85). L'Islam fait ainsi le distinguo entre « Rûh » (l'esprit) que Dieu rappelle auprès de lui, qui est d'essence éternelle et la « Nafs » (le souffle vital), objet des désirs, qui est périssable avec le corps. Dans l'un de ses quatrains mémorables, Omar Khayyâm disait : « Allèges le pas car le visage de la terre est recouvert des dépouilles des morts. ». Ce qui importe ainsi pour l'Islam, c'est l'âme qui monte au ciel, attitude diamétralement opposée au Judaïsme qui accorde une grande importance à l'intégrité du corps après la mort et surnomme le cimetière « Beit Haïm» (la maison des vivants)
Mogador - Porte de Marrakech
Le commerce caravanier a continuer d'affluer vers Mogador bien après le déclin de la ville à la fin du 19è siècle comme on le voit sur ce clichet pris le 4 juillet 1927
Adossée au rempart, la chambre où on lavait les morts était juste à droite en sortant de Bab Marrakech.Pour apaiser le mort et réconforter la conscience endeuillie des vivants, l'oraison funèbre disait:
Sobhâna di lmoulki wal malakout
Sobhâna di lîzzati wal jabarout!
Sobhâna l'hay alladi la yamout!
Asabbouh, al qoddous, Rab al malaîkati wa ruh!
Jah n'bi qaddamnak, ya moulay tarhamna!
Grâce soit rendue à celui qui a la royauté de tous les royaumes!
Grâce soit rendue à celui qui a le pouvoir sur tous les pouvoirs!
Grâce soit rendue au vivant qui ne meurt jamais!
Le primordial, le sacré, le Dieu des anges et de l'âme!
Nous t'implorons au nom de ton Prophète, que ta clémence soit sur nous!
Cette oraison funèbre était déclamée sur le mode musical andalou dit "laghriba"(l'exilée au royaume de l'ombre), dite aussi "ghribt lahcen". Ce mode musical on le trouve également dans le malhûn chez les Hamadcha et les Aïssaoua.
Au bout de la nuit du destin Laylat El Qadr, les habitants se rendent au cimetière pour y déposer ces poteries sur les tombes de leurs proches. Et à la veille du 1er Moharram, jour de l’an musulman – annoncé par la nouvelle lune — le rythme de la Dakka envahit les rues de la ville. C’est le rythme à l’état pur. Au dixième jour de ce mois sacré, on chante le rzoun. Dans le carnaval de l’achoura, il y a enchevêtrement de pratiques sacrées et profanes.Le lendemain de la nuit chaude de achoura, au levé du soleil, on s’asperge d’eau de zem - zem et on se dirige vers les vieux cimetières de la ville pour les asperger à grande eau. Dans les cimetières, avec baba achour, on enterre pour ainsi dire l’année écoulée. On couvre les tombes d’eau de rose et de basilic sauvage (rihan). Un marchand qui vend cette plante du paradis aux abords du cimetière nous dit : « Hier, a eu lieu la nuit de la Dakka. Tout le monde y participe avec joie jusqu’à l’aube. Les gens se rendent au cimetière pour visiter les morts. Ils trouvent les figues sèches, le basilic sauvage, les palmes de palmiers, l’eau de rose, les poteries qu’ils mettent sur les tombes et les jouets qu’ils achètent pour leurs enfants. Après avoir visiter leurs morts, ils rentrent tout contents chez eux. » Durant la séquence de la Dakka, le clan Ouest de la ville, celui des Béni Antar se retrouvait à la porte de la mer (Bab Labhar), alors que leurs adversaires du clan Est des Chebanate se retrouvaient au seuil de Bab Marrakech. La première porte était dite hantée par Aïcha Qandicha, (la démente de la mer). La seconde porte se situait entre les deux vieux cimetières de Bab Marrakech (rasés au court des années quatre-vingt). Le tapage nocturne des uns vise à exorciser les génies, et celui des autres à réveiller les morts.
Ceux qui n'ont pas de respect pour les morts ne peuvent pas en avoir pour les vivants.Dans le monde entier, le rasage d'un cimetière est considéré comme une profanation, sauf chez nous où les morts doivent doublement disparaître pour laisser place aux speculations immobilières. On dit de la mort qu'elle est un scandale mais le véritable scandale est de ne pas tenir compte de la mémoire des vivants qui sont en fait des morts-vivants puisqu'ils n'ont aucun droit au chapitre quant aux affaires de leur cité : de facto "les élus" eux-mêmes sont considérés comme de simples représentants du Makhzen, c'est à dire de la volanté de Dieu sur terre.Ainsi donc le manque de démocratie nous prive du droit de nous recueillir sur nos morts en soustrayant leurs dépouilles à nos prières et à nos souvenirs....Le type reponsable de ce forfait en tant que président du conseil municipal, on le disait lui-même ancien gardien de cimetière du temps du Glaoui, avant de finir sa carrière de politicien comme ministre chargé des relations avec le parlement au nom de "l'Union Constitutionnel"! Ceux qui désapprouvaient sa profanation et sa politique municipale (c'est encore lui qui rasa les magnifiques cabines de la plage de notre enfance, qui s'ouvraient sur la mer comme des arrêts de poissons) se contentaient de l'appeler sous cape tantôt "le Boss" tantôt "le Cobra".... Le Conseil Municipal d'alors justifiait ce rasage de nos tombes en disant que l'Islam autorise la disparition d'un cimetière - soit une double disparition des disparus - après soixante dix ans de son existence. Ce qui n'est pas le cas des cimetières marins juifs qui existent là depuis les Romains et les Phéniciens. Pourquoi avoir touché à la tombe de Mina ma grand mère ? Une question douleureuse et lancinante qui me tarrode encore et toujours...C'est aussi, parce que nous autres les locaux, nous n'avons jamais eu de pouvoir de décision au niveau local. On est dans les petits métiers, d'artisans, de marins, d'instituteurs,dans une espèce de marge réduite de facto au silence; celui des morts-vivants, celui des marges indiscibles : c'est ce qui en moi attira la sympathie d'un autre illustre marginal, d'un marginal professionnel dénommé Georges Lapassade. Marge des marges : Je viens de découvrir que la pluspart des marchands de fruits et légume de la ville sont originaires des Ida Ou Gord, la tribu riveraine de l'oued Ksob qui, chaque hiver, déverse ses allovionnement sur ces rivages
The children holiday , the Aashourah swings
L’hiver, les étourneaux , ces oiseaux solaires qu’on appelle zerzour, forment un immense « boa volant », qui orne le ciel et se confond avec lui. Calligraphie céleste, noria tournoyante au crépuscule. Ces oiseaux sont les gardiens de l’île, ou peut être la réincarnation des âmes qui la hantent encore.
Y hasra ! Hélas! Les naoras de notre enfance!
Ces balançoires en bois qui étaient de toutes les fêtes jusqu'aux tout début des années soixantes en ville, étaient encore en usage en milieu rural jusqu'à une période récente comme j'ai pu les observer en participant au printemp des Regraga en 1984: De loin, on entend les baroudeurs inaugurer la nouvelle étape comme pour signifier que c’est d’abord en guerriers que les Regraga ont rendu visite à chaque tribu. Nous quittons « cette forêt mahométane » où Jean Genet voyait « des Bouddhas debout ». Le chameau qui porte les norias de bois nous dépasse ; le jeune chamelier écoute sur cassette une aïta des tribus côtières :
« Allons voir la mer
Restons face aux vagues jusqu’au vertige »..
Abdelkader Mana
06:34 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire | | del.icio.us | | Digg | Facebook