12/10/2011
Rachid est parti et nous a laissé les pleurs!
Ce matin le jeune Rachid est parti et nous a laissé les pleurs!
Cher Rachid,
Ne voyant pas le bout du tunnel, tu as pris ton dernier café en disant : Aujourd'hui sera mon dernier jour ! Tu es monté au ciel à la fleur de l'âge! Tu t'es dit : "Si votre Maroc peut s'offrir le TGV, en m'interdisant le droit de travailler et de vivre, alors je vous laisse votre Maroc!Ce Maroc où les enfants de familles démunies comme la mienne, n'ont pas leur place!" La mort te semblait plus salutaire qu'une entrée dans la vie différée indéfiniment, plus supportable que l'humiliation d'être considéré moins que rien.La mort plutôt qu'une vie indigne.Il y a longtemps déjà qu'on avait prédit que les enfants né comme toi dans les années 1980 auront du mal à trouver un emploi, une place digne d'un être humain vivant en société...Ta disparition noircit le présent et insulte l'avenir.
Que signifie pour nous tous la disparition brutale d'un jeune comme toi, si non qu'ici, la vie ne vaut plus la peine d'être vécue. Qu'un jeune s'immole au feu en Tunisie ou se mette une corde au cou à Casablanca, voilà l'intolérable scandale. Un retantissant échec des modèles clientélistes de développement d'après les indépendances maghrébines, une retentissante protestation contre l'indifférence, la mort lente? L'echec flagrant de ceux des classes dirigeantes qui n'ont de compte à rendre à aucun électorat et qui ne concoctent l'avenir que pour leur propre progéniture en oubliant tous les autres..Leurs enfants à eux sont promis ministre et directeurs de ceci et de cela alors qu'ils ont à peine le bac en poche et les notre doivent végéter dans les marges de l'exclusion leur vie durant. Et nous devons faire semblant de ne rien voir , de ne rien comprendre, "pratiquer l'oeil de Mika"(de plastique) comme dit le peuple.
A qui appartient le Maroc? Certainement pas à nos enfants qui se font tuer ainsi. Mais certainement aux leurs qui sont nommés ministre de génération en génération depuis plusieurs siècles déjà, certaines familles dominent le pays sans discontinuer depuis l'expulsion des morisques et la fondation de Fès...L'absence flagrante de l'esprit civic et de l'intérêt général: les dotations de fiefs féodales qu'on est en train de partager en catimini entre la nomenclatura du makhzen en invitant le peuple à la dernière minute de la sanctionner par un amen des béni oui-oui pour que les mêmes privillèges perdurent pour la même classe des privillègiés et les mêmes familles...Le drame qui se joue tout autour indiffère à ceux qui roulent sur de l'or...
Rachid, j’ai appris ce matin que tu t’es donné la mort sans prévenir personne parce que tu as fini par comprendre que dans notre pays les jeux sont pipés, faussés d'avance.Que les institutions sont faites d'une telle manière qu'un fils de berbère comme toi n'y a pas sa place. Le match est vendu comme on dit: l'affaire et cuite et recuite, c'est entendu...Le butin est déjà partagé entre corsaires de haut vol.C'est entendu.On ne nous laisse qu'un choix: se taire ou applaudir.Mais après ta mort "jamais plus!" comme dirait le poète.
Levez vous, aveugle!Levez vous paralytiques! S'était écrié Jésus au milieu de la plage déserte de Bhay Bah. Atendrez vous qu'on vous tue ainsi de mort lente les uns après les autres?.Ton drame n'est ni isolé, ni d'ordre purement privé : c'est le drame de toute une génération de tout un pays qui vit dans le mensonge et la complicité du silence depuis des lustres.C'est le mépris de la nomenclatura dominante pour le bon sens et l'intelligence de ce peuple - qui s'abstient à 80% et dont on confisque à chaque fois la volanté en proclamant qu'il approuve à 100%. Une classe dominante héritière du protectorat qui considère les marocains comme un peuple de moutons écervelé qui ne mérite ni égard pour sa dignité ni respect pour ses droits et ses aspirations, un peuple incapable d'apporter la moindre contradiction à ses seigneurs...et dont l'opinion compte pour du beurre.Se taire maintenant serait te trahir mon cher Rachid.Ce serait mentir à ce beau pays que nous aimons tellement moi et toi mon cher Rachid.Ta mort est en fait la vérité profonde de notre pays, c'est pourquoi il convient de la proclamer face au monde comme ultime libération de la parole contenu jusqu'ici dans le mensonge et le silence.Le silence des morts vivants."Jamais plus!" comme dirait le poète.
Ta mère, ton père t’ont laissé seul à Casablanca et sont parti à Agadir sans toi. Ils sont en train de remonter vers Casablanca mais quand ils seront à la maison, ils la trouveront sans toi : ce matin la police a constaté ton décès par pondaison et les pompiers ont évacué ton jeune corps sans vie vers la morgue. Cela fait longtemps que la société te rejette mais cette fois ci c’en était trop : tu n’a pu supporter le dédain d'amour.. Très tôt, tu as quitté l’école et vainement tu as cherché du travail. Le seul travail que tu as pu trouvé est celui de chauffeur d’autobus comme ton père. Mais guère pour longtemps. Ta propre famille a fini par te rejeter pare qu’elle pressentait que tu sera un chômeur à charge pour la vie.Et tu réclamait ta part d'amour en vain.Et tu réclamait ta part de dignité humaine dans un monde cruel qui n'a d'égard que pour le succès et l'argent.Or tu as fini par symboliser l'échec ce qui a d'abord conduit à ta mort social avant d'aboutir à la mort tout court.Devrais-je me taire après celà? Jamais plus! comme dirait le poète.
Au début du Ramadan tu m’a abordé pou me dire qu’on t’a abondonné tout seul et sans moyens de subsistance pour partir sans toi à Agadir. Je n’avais pas mesuré l’étendu du drame humain qui se jouait - là : je n’avais pas compris ta détresse, ton appel au secours parce que j’avais la tête ailleurs. Et maintenant tu nous quitte à la fleur de l’âge sans préavis…La corde au cou, tu nous laisse un corps sans vie qu’on amène anonymement à une morgue de la grande métropole : tu pars sans adieu, sans tendresse, sans être compris et accompagné dans la mort comme dans la vie . Mais qu’est ce que nous sommes en train de faire de notre jeunesse. ? Jamais plus je ne t'oublierais Rachid comme dirait le poète.
Personne ne s’est jamais occupé de toi Rachid : rejeté par tout le monde tu a fini par te donner la mort. Nous sommes tous responsable de ta mort Rachid. Une société où n’existe plus les solidarités d'antan et où les laissés pour compte – chômeurs, vieillards, malades – ne trouvent aucune structure d’accueil et surtout d’écoute . La détresse des démunis finit malheureusement par la mort comme le jeune Rachid ce matin. Et j’entends l’appel à la prière et je sanglote de chagrin et de remord : qu’est ce que j’aurai pu faire pour toi Rachidla ? Ton départ nous accuse tous : c'est une terrible protestation contre l’indifférence d’un pays qui n’offre aucun avenir à sa jeunesse.Peut-on se taire après celà? Jamais plus! comme dirait le poète.
Ton dernier mot Rachid avant de commettre l'irreparable : " Dites à maman de me pardonner infiniment..." Un mère éplorée, meurtrie, impuissante.Après t'avoir ensevelli au glaçant cimetière de la miséricorde, là -même où reposent pour l'eternité mon père et ma mère, on a accompli le cérémoniel du deuil,on a offert le repas du pardon, on a prié pour apaiser l'âme des vivants et des morts.Te voir partir ainsi si prématurément avant même d'avoir accompli le moindre de tes rêves juvénils et écouter les vivants attribuer ta mort brutale à la seule fatalité plutôt qu'à un système social profondément injuste et inégalitaire, me meurtri, me désole .Après la nouvelle foudroyante, cruelle et injuste de ta mort, "Jamais plus" notre pays ne sera le même comme dirait le poète..Abdelkader Mana
12:42 Écrit par elhajthami | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook