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22/09/2011

Les saisons printanières

Les saisons printanières.Au pays de l'arganierhistoire,photographie

 L'heureuse vallée de Tlit en pays Haha 

Nos gîtes de campagne,

Sont dressés là - même où sont nos racines

Sur cette étendue  frappée d'éclaires.

Doux rêve d'hiver, sous  la fine pluie et sous la tente

Parfum d'herbes sèches, s'évaporant du milieu des oueds.

Lointaines rumeur des bêtes sauvages.

Cérémonial de thé, entre complices de l'aube.

Crépitement de flammes consumant des brindilles desséchées

Et avec le jour d'hiver qui point

Chaque amant rejoint la tente des siens. 

histoire,photographie

Au loin le mont Tama autre lieu de notre enfance

On est ici « Au pays de l’arganier »,l’arbre fétiche qui caractérise tout le  Sud-Ouest marocain. L’arganier serait le dernier survivant de la famille des Spotacé répondu au Maroc à l’ère tertiaire à la faveur d’un climat chaud et tempéré. Ce qui en fait un véritable arbre fossile. C’est le seul arbre qui pousse tout seul !Décrit pour la première fois en 1219, l’arganier porte le nom latin d’argania spinosa (l’arbre aux épines). Son nom vernaculaire est argan, appellation qui s’applique au fruit et à l’arbre. Arbre de très grande taille à tronc court et tourmenté, écorce en « peau de serpent », ramification dense, rameaux souvent épineux, feuilles subpersistantes. Ses racines peuvent être très profondes, ce qui lui confère des qualités de résistance à la sécheresse. On ne lui connait pas de maladie, et il pourrait vivre jusqu’à 250 ans. 

histoire,photographie

Le fruit de l'arganier

La  touiza , c'est cette entraide que connaissent les travaux agricoles;moissons,récoltes des olives et de l’arganier :  A la touiza des moissons, on sacrifiait un bouc. Tout le monde se réunit pour moissonner. Tandis que les femmes préparent le repas, les musiciens – poètes devancent les moissonneurs. Et à mi – journée, pendant la pose du repas, les moissonneurs écoutent les troubadours et les flûtistes jouer pour eux. C’était la même chose pour la tuiza de la récolte du fruit d’argan. C’est dans les dits d’Andam Ou Adrar, le compositeur de la montagne, ces amerg, porteurs de la nostalgie  berbère, que puise aussi bien le chansonnier à la recherche du beau que le fellah à la recherche d’une sagesse. Si vous parlez  tachelhit, écoutez les conversations parfois animées qui se déroulent dans ces cafés maures du souk – où l’on boit le thé à même la natte de jonc – vous ne pouvez éviter de noter que l’un des interlocuteurs, pour appuyer ses affirmations, ou pour trancher une question ; recourt souvent à cette formule : « Ainsi parlait Andam Ou Adrar ». Il est le Zarathoustra berbère habitant les hauteurs de l’Atlas. Cette forêt magique où l’on trouve aussi bien des grottes que des amas de pierres sacrés. Cette forêt immense n’est point anonyme pour le berger qui en connait tous les recoins à qui il donne des noms. Pour compléter son repas frugal, il connait toutes les plantes comestibles et les nomme de métaphores à la frontière de l’animisme et de la poésie : amzough n’tili(oreilles de brebis), irgal(cils des yeux), ibawn n’taghzount (fèves d’ogresse), oudi imksawn (beurre des bergers), etc 

Le compositeur de la montagne

histoire,photographie

   On est un peu surpris de découvrir des poètes de tradition orale en grand nombre dans tout le Haut-Atlas- ma montagne fétiche est l'Amsiten du hut Atlas Occidental en pays Haha, au sud d'Essaouira. D’autant que la croyance en un mythique créateur populaire anonyme et collectif est profondément enracinée. Andam Ou Adrar,c’est-à-dire le « compositeur de la montagne » est le parolier des chants accompagnant les danses collectives du Haut-Atlas et les troubadours errants de l’Anti-Atlas. Ainsi parlait Andam Ou Adrar, l’aède de la montagne, conscience vivante du monde berbère : 

Ö soleil, si tu te lèves, ouvre tes rayons,

Pour que celui qui est perdu retrouve le chemin de la raison.

Immense est la forêt avec ses montagnes et ses falaises

Obscures sont les ténèbres de la nuit

Qui enserrent la demi-lune sous leurs voiles.

Que vivent les rivières !

Que poussent les plaisirs du bélier sur les collines verdissantes.

Car quand mars recouvre de sa belle parure la mort hivernale

C’est l’espoir qui renaît, ce sont les vierges qui se marient. 

Les chants des troubadours conservent la mémoire de l’émigration. Le travailleur émigré, voyageur professionnel par excellence, est hanté par la nostalgie ; sa poésie est le cri de l’arbre sans racines. En quête de cette mémoire, nous avons suivi l’itinéraire de Mokhtar Soussi qui, jadis, sillonnait sa région natale à la recherche de vieux manuscrits. Surtout nous avons marché dans les pas du Raïs el Hâjj Belaïd, le poète sublime des vallées et des montagnes, l’Andam Adrar qui composa en 1936 l’un des plus vieux poèmes de tradition orale sur la migration vers le Nord:

J’ai erré dans le Souss, au pays hahî, 

Et dans les hameaux les plus reculés, 

Je peux en témoigner : 

Même les cimetières, 

Ce sont les émigrés de France, 

Qui les ont aménagés. 

Par leur argent, 

Ils ont réparé les coupoles des marabouts. 

Par leur argent, 

Ils ont entretenu les mosquées. 

Beaucoup d’endroits n’ont été sauvés, 

Que grâce aux mandats qui viennent de Paris.. 

Dans  Je ne te pardonne pas Paris, feu le Raïs Mohamed Damsiri (décédé en novembre 1989) lance ce cris du coeur:  

Je ne te pardonne pas, Paris 

Je ne te pardonne pas, Nord 

Je ne te pardonne pas, Belgique 

Vous nous avez pris les nôtres. 

Ô téléphone, réponds-moi ! 

Je n’ai pas besoin de cadeaux, 

La présence du bien-aimé est plus précieuse. 

Je ne te pardonne pas, avion 

Semblable au cercueil, 

Tu emportes sans retour. 

Que Dieu bénisse les Chleuhs 

Qui travaillent dans les mines et les usines. 

J’implore Dieu de nous les faire revenir. 

Car les blessures de la séparation, 

Rendent notre langue muette. 

À l’aube de l’indépendance, Mokhtar Soussi publie les quatre tomes d’À travers Jazoula. Ce récit de voyage dans son pays natal, le Souss, s’inscrit dans la longue tradition littéraire de la Rihla, genre très prisé par les écrivains nomades arabes depuis le Voyage en Turquie d’Ibn Fadlane, en l’an 921, Ibn Joubaïr, le savant andalou (1114-1217) et surtout Ibn Battouta, type même du globe-trotter passé maître dans l’art de tenir un journal de route. Parti de Tanger un 13 juin 1325, Ibn Battouta alla jusqu’à la vallée de l’Indus et aux confins de la Russie et de la Chine. Au cours de sa Rihla du Souss, Mokhtar Soussi consigne dans son carnet de voyage tout ce qu’il voyait :" J’ai ouvert mes yeux sur les lieux, et mes oreilles sur ce qui se dit. J’ai décidé de visiter Tiznit, Agadir, puis Taroudant et les environs de ces trois villes du Souss." Trois villes qu’il traversa souvent à dos de mulet, en quête d’anciens manuscrits. Le voyage comme pré - texte, Hâjj Belaïd, le vieux troubadour du Souss, qui errait dans tout le Sud avec son ribab, le savait aussi indispensable pour la poésie :

 Dites, honnête homme 

Quel sol mes pieds n’ont pas encore foulé ? 

Tindouf, Tata, Tiznit, Agadir 

Ou le grand marché des chevaux 

Des plumes d’autruches 

Et des chameaux à  Goulimine ?                          

 

Ainsi parlait Andam Ou Adrar
 
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Prémices du printemps

Qu’elle soit la bienvenue

Celle qui apporte le bien à nos maisons

Celle dont les épousailles sont célébrées

Par la danse de toute une montagne !

                  Chant nuptial du pays Haha

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A toi ma mère bien aimée et inoubliable

Le samedi 13 février 2010, en une journée pluvieuse, je suis parti à l'aube au hameau de l'heureuse vallée de Tlit d'où est originaire ma mère, née Zahra Yahya. Mon intention était de photographier les amandiers en fleurs, mais le sol était jancher de pétales: ce matin - là, la pluie a fait perdre aux amandiers beaucoup de leur couronnes florales. A notre hameau d'enfance, il n'y a plus mes oncles maternels, et lalla notre maraine à tous a disparue à son tour, il y a une année, une eternité déjà. Alors j'ai quitté aussitôt notre hameau, après avoir photographier l'immense olivier sous lequel se reposait mon père, pour me rendre au mont Amsiten de notre enfance où j'ai pris ces photos sous la lumière et la pluie.Maintenant que ceux que nous aimons ont disparus, qu'est ce qui nous retient encore à ce beau pays où les amandiers perdent déjà leurs fleurs sous la pluie? Mon corps est mouillé mais mes yeux sont déséchées d'avoir perdu tous ceux que nous avons aimé. Maintenant qu'ils sont tous partis, qu'est ce qui nous retient encore à ce beau pays où les amandiers commencent déjà à perdre leurs pétales mauves et blanches sous la pluie?

 

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En quittant Essaouira à l'aube, je rencontre Abderrazaq, un ami d'enfance en campagnie de mon frère Si Mohamed, et je leur prend cette photo

Qu’elle soit la bienvenue

Celle qui apporte le bien à nos maisons

Celle dont les épousailles sont célébrées

Par la danse de toute une montagne !

                  Chant nuptial du pays Haha

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Ce jour -là j'ai parcouru les sentiers rocailleux et lumineux du mont Amsiten

Selon une vieille légende, la flûte du berger serait née au pays Haha. Pour le Raïs Belaïd, l’aède des troubadours de Sous, l’esprit de la musique et du chant qu’on appelle hawa au pays Chleuh serait né de la flûte enchantée du pays Haha. C’est l’air du pays de l’arganier, du vent et de la mer. De cette terre austère et fauve, déjà les voyageurs des temps antiques, pouvaient entendre flûtes et tambours, en traversant ses parages habités par de vieilles tribus sédentaires dont le territoire s’étendait de l’Océan au pied de l’Atlas. Pline l’ancien notait au passage qu’« entre le littoral et l’Atlas, vivaient les Gétule Autolole. Quant à l’Atlas lui-même, sous des reines arrosées où poussent des fruits merveilleux, il ne semble pas pendant le jour receler d’habitants mais la nuit au contraire, il se couvrait de feux, les Agipans et les Satyres s’y livraient à leur danse tandis que les flûtes, les bruits des tambours et des cymbales remplissaient mystérieusement l’air de leurs accords et de leurs fracas. »  

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Là où le minéral se mêle au végètal
Au plus haut sommet du mont Amsiten se déroulait donc un rituel de renouveau pastoral, en tout semblable à celui de la zaouia de Sidi Belkacem au flanc du mont Toubkal. Il est intéressant de relever que cela se passait au lieu dit timzguida (la mosquée en berbère) qui a donné Tamuziga, l’antique toponyme de Mogador.Au mois de mars une fête saisonnière a lieu à la timzguida du mont Amsiten. Les hommes s’y livraient aux danses d’ahouach tandis que les femmes extrayaient de l’outre des barattées de beurre des premières prémices du printemps. Ils festoyaient ainsi jusqu’à tard le soir et à l’aube redescendaient vers leur vallée et leurs hameaux.
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Ma promenade solitaire au mont Amsiten

Le plus grand flûtiste du pays Haha, le Raïs Mia, avait commencé lui aussi , comme simple berger. En effet, sur le marché de la cassette, le meilleurs flûtiste du moment est un berger qui vit sur la colline de Taourirt,à la lisière du mont Amsiten et non loin d’Imin Tlit : « C’est en 1956 que j’ai commencé à jouer de la flûte. C’est dans cette montagne, en tant que berger, que j’ai appris à jouer de la flûte et ce jusqu’aux années 1960. Je jouais souvent de la flûte avec mes amis en emmenant le troupeau sur la montagne. A force d’y souffler nous avons fini par en maîtriser l’air musical. C’est la flûte qui me tenait compagnie une fois que tous mes amis étaient partis, Mon maître était originaire des Neknafa. Je l’accompagnais aux fêtes de mariage. Il était mon initiateur. Il m’avait même confectionné ma flûte. Je percevais un petit pécule en l’accompagnant musicalement. Et quand il a vieilli, il m’a légué cet art en me disant :

-         Tu seras meilleurs flûtiste que moi !

Depuis lors, je me suis mis à animer les fêtes de mariage. Par la suite, à Agadir, j’ai enregistré une cassette. Je ne suis pas seulement musicien, je travaille aussi l’agriculture, l’élevage. Je vis de la récolte de l’amandier, de l’arganier et d’autres ressources. » 

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Cette photo m'a été prise par F.Damgaard en 1989
l'année du décès de Boujamaâ Lakhdar

 

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Le taxi me dépose et je prends cette photo de l'entrée de notre hameau

 


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J’ai voulu maintenant rendre visite à Fatima, la fille de mon oncle maternel qui a un peu près mon âge. Mais je me suis perdu en suivant le sentier qui mène à son hameau à la lisière du mont Amsiten. Pas âme qui vive pour m’aider à trouver mon chemin, et sous une chaleur accablante, je n’ose me mettre à l’ombre des arganiers de peur d’être victime de la morsure d’une vipère : comme au pays Seksawa, là aussi les médecins ont été obligés d’amputer un jeune homme de tout son bras, pour sauver le reste du corps, suite à une morsure d’une vipère qui s’est introduite de nuit dans l’amphore où l’on met le sel.

La belle bergère que j’ai connue est maintenant une femme ridée par le travail pénible en haute montagne, et son mari est complètement desséché à force d’aller chercher au mont Amsiten les ruches sauvages qui se cachent au creux des troncs de thuya et d’arganier. À la maison ils n’ont plus qu’une jeune fille de quinze ans. Je dis à Fatima que j’aurai aimé me marier avec une paysanne à condition qu’elle ait au moins la trentaine. Elle me répond qu’ici, les filles se marient très jeunes entre dix-sept et vingt ans : à trente ans elles ont déjà épuisé leur charme à force de labeur et d’enfantement. 

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. Le hameau d'où est originaire ma mère et où l’on passait les vacances entre mont Tama et mont Amsiten, est maintenant électrifié : on y reçoit même les chaînes satellitaires... Mais il n’a plus le charme d’antan, quand mon père s’installait à l’ombre d’un gigantesque olivier et quand, non loin des moissonneurs, j’étais profondément bouleversé par la lecture d’Enfance et adolescence de Tolstoï ou  De grandes espérances de Dickens. Les villageois nous invitaient à tour de rôle, à commencer par le vieux Bazguerra qu’on surnommait alors « l’homme qui voulait être roi », en raison de sa barbiche blanche, sa bouche édentée et ses drôles de grivoiseries qui provoquaient notre fou rire par leur naïveté.
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Dans les sociétés paysannes, on n'avait pas besoin de l'horloge des villes parce qu'on n'était pas « pressé par le temps ». On ne produisait pas cette abstraction nommée « argent » mais les fruits de la terre-mère, au gré des saisons. Même l'argent est un « don » du ciel, une « offrande » Le temps, c'est-à-dire la vie, n'était pas nécessairement de l'argent, mais ce plaisir convivial que prenait mon père à faire sa sieste à l'ombre d'un olivier, pour régler son horloge biologique sur l'horloge cosmique. 
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L'olivier sous lequel se reposait mon père
Maintenant à Casablanca, nous avons déménagé, moi, ma sœur et ma fille, dans un nouvel appartement, et j'ai dû me rendre tout à l'heure dans l'ancien pour récupérer tous mes  documents : une fois dedans, je n'ai pu m'empêcher de sangloter comme un enfant : mon père et ma mère que je n'ose visiter au cimetière de Casablanca  parce que j'aurai aimé qu'ils soient enterrés sous l'olivier sauvage de Lalla Toufella Hsein, la sainte de la vallée heureuse de Tlit au pays hahî, entre le mont Amsiten et le mont Tama, où j'ai passé toutes les vacances de mon enfance et mon adolescence, au hameau de Tassila, aujourd'hui tombé en ruine et où ma grand-mère maternelle nous offrait le Balghou , à base de blé tendre, d'huile d'argan et de lait de chèvre...  semblent toujours présents dans ce lieu. Le musulman, me dit-on, ne choisit pas sa terre d'élection : il doit être enterré là où la mort l'a surpris. Car la terre entière est temple de Dieu.

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Ma mère était née en 1928, en pleine période de famine, et aurait quitté son pays natal au pays hahî à l'âge de cinq ans pour se rendre en compagnie de sa mère à Essaouira, en 1933. Sa grand-mère, originaire de la tribu des Semlala dans le Sous, était elle-même venue au pays hahî, lors d'une précédente famine qui avait frappé le Maroc à la fin du XIXe siècle. Dans un rapport rédigé à l'été 1878, le consul des Etats-Unis à Tanger  Felix Mathews, decrit de manière saisissante cette famine survenue en 1877 après trois années de mauvaises récoltes :

« Des centaines de femmes, d'enfants et d'hommes affamés se deversent à Mogador et à Safi. Bon nombre de campagnards meurent en chemin. Des squelettes vivants, des formes émaciées apparaissent dans les rues. La famine et la maladie, déjà terribles chez les pauvres, s'étendent. Avec l'automne et l'hiver, la detresse des gens va encore empirer.Le gouvernement ne fait absolument rien pour eux...alors que les silots regorgent de céréales. Les juifs sont un peu soulagés par leurs coreligionnaires. »

Il est vraiment paradoxal de voir ce pays agricole à la merci de la disette par suite de la moindre sécheresse, souffrir de la faim devant une mer qui compte parmi les plus riches de l'Atlantique...

C'est  Lalla, l'aînée des filles de Yahya qui partit la première avec sa mère  rejoindre, au début de la famine de 1926, son oncle maternel qui était policier à Essaouira au début du Protectorat français sur le Maroc. Affaiblies par la famine, elles ont effectué le trajet en vingt-quatre heures  plus exactement de deux heures du matin, pour éviter l'insolation et la soif, à vingt-trois heures,  au lieu d'une demi-journée en temps normal. Pour avancer,  Lalla s'accrochait à la queue de l'âne qui transportait sa grand-mère, se nourrissant en cours de route, des racines d'une plante grasse dénommée  Guernina , et croisant de nombreuses caravanes, transportant vers Essaouira du charbon de bois d'arganier, cette coupe est l'une des causes de la diminution de cette espèce d'arbre unique au monde , des amendes et de la gomme de sardanaque.

C'étaient les dernières caravanes qui reliaient Mogador à son arrière-pays et à Tombouctou, avant qu'Agadir au Sud et Casablanca au Nord ne supplantent la ville des Gnaoua en tant que principal port du Maroc. Avec la découverte de la machine à vapeur, l'Europe était désormais directement reliée par voix maritime au Sahara et à la boucle du Niger sans avoir à passer par l'ancien « port de Tombouctou », qu'était Mogador.

En cours de route, la jeune fille et sa grand-mère, croisaient aussi, mais plus rarement les « boutefeux » (ces autocars qui fonctionnaient au charbon, et qui transportaient les voyageurs sur leur toit). Une fois la ville en vue, elle devait leur paraître « comme un panier d'œufs au bord d'un lac bleu » comme disait la chanson berbère :

Veux-tu bien que nous ajustions

Son axe au moulin,

Pour moudre en commun

Ton grain et le mien ?

Veux-tu bien qu'en un seul troupeau

Nous mêlions nos ouailles aux tiennes ?

Mais gardes-toi bien

D'y mettre un chacal !

Comment donc, de la plaine,

Surgirait Mogador,

Comment pourrait-on

Haïr qui l'on aime ?

Notre grand-mère Tahemoute, décédée à Essaouira l'été de 1978, était restée très attachée à Sidi Hmad Ou Moussa, le saint patron des acrobates et des troubadours chleuhs, près duquel elle se rendait annuellement en pèlerinage après la rentrée des moissons. L'un des derniers moments les plus poignants que j'ai vécu auprès d'elle, concerne le décès de son frère Hmad : un homme paisible à l'imposante barbe blanche, qui vivait dans l'un des hameaux surplombant l'heureuse vallée de Tlit, depuis les escarpements rocailleux du mont Tama. Il n'avait pas d'enfants et vivait avec ceux de son frère Lahcen : une famille profondément religieuse, également issue de la tribu des Semlala, aux environs de la Maison d'Illigh dans le Sous.

Il avait les jambes enflées, au point d'avoir des difficultés à se mouvoir et était venu avec grand-mère, pour se soigner à Essaouira . À l'hôpital, on fit comprendre à grand-mère que la médecine ne pouvait plus rien pour son frère. On décida alors de le ramener chez lui au pays hahî. On se réveilla aux premières lueurs de l'aube. Mon père fit venir un taxi collectif, juste à côté de chez nous, à l'artère principale des  khoddara, les marchands des fruits et légumes, d'où sort le lancinant grésillement des grillons, à cette heure matinale. Les grillons nous ont toujours accompagnés dans nos voyages de l'aube, et nous retrouvons leur grésillement dans les arganiers au plus fort de la canicule.

Nous épaulâmes mon père et moi « Khali Hmad » (qui est en réalité l'oncle maternel de ma mère), et l'accompagnâmes à petits pas jusqu'au taxi où il s'engouffra auprès de sa sœur sur la banquette arrière. Je pris place auprès du chauffeur, et nous partîmes. À peine le taxi avait-il quitté la médina, au moment de s'approvisionner en carburant à la sortie de la ville, que  grand-mère éplorée se met à m'adresser de grands signes désespérés : en me retournant, je voyais  Khali Hmad, déversant sur ses genoux un long filet de sang qui lui coulait de la bouche. Le brave homme que j'ai tant aimé et respecté était en train de rendre son dernier soupir sur les genoux de sa sœur au sortir de l'aube et de la ville ! Affolé, le chauffeur, voulait rebrousser chemin. Mais Je lui ai intimé l'ordre de continuer vers notre destinée, car c'est là où il était né qu'il devait reposer pour toujours. Il nous dit d'abord que la loi lui interdisait de transporter les morts, mais ayant pitié de moi et de ma grand-mère, il consentit finalement à nous conduire à notre vallée, où khali Hmad fut finalement inhumé parmi les siens, entre le mont Tama et le mont Amsiten, là où les constellations semblent si proches, qu'on peut adresser ses prières, sans intercesseurs, au Seigneur des Mondes.

Alors que sous un ciel gris, les paysans enterraient khali Hmad au milieu des broussailles, de l'heureuse vallée qui l'avait vu naître, j'adressais des suppliques au mont Tama où les amandiers en fleurs ont l'air d'être couverts de flacons de neige. Mes larmes sont d'autant plus amères, qu'il me faisait penser par sa longue barbe blanche à la mort de Léon Tolstoï dans une simple gare. J'étais alors profondément bouleversé par la lecture de  La sonate à Kreutzer relatant, le destin tragique de l'homme, face à la vieillesse et sa profonde solitude face à la mort. Pour moi, le vieux paysan ayant rendu l'âme dans les bras de sa sœur mystique, personnifiait le brave  moujik d'Isnaïa - Poliana. Alors que les paysans retrouvaient leurs charrues, je continuais à adresser mes suppliques aux montagnes sacrées, en me disant, non pas qu'est-ce que la mort ? Mais pourquoi cette mort en particulier, me faisait tellement penser à celle de l'auteur de  Résurrection ?

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L'amandier sous lequuel nous attendions à l'aube d'un vendredile transport qui nous conduirait moi , mon père et mon oncle maternel à Aït Daoud, le souk du miel;sous la voie lacté, ils ont parlé de métaphysique: c'était la dernière fois que je les verrais ensemble

Après la mort de ma mère, je me suis rendu en pèlerinage à Sidi Brahim Ou Aïssa, pour apaiser mon deuil. À peine ai-je franchi le seuil de son sanctuaire, où je fus reçu par une descendante des anciens esclaves de la sucrerie saâdienne, que je fus brusquement plongé dans l’univers de ma petite enfance : je me voyais ici même jouant en petite culotte avec l’agneau destiné au sacrifice, et j’entendis ma mère disant à la tenancière des lieux, qu’il fallait me flageller aux gerbes de genet, pour me communiquer leur énergie vitale, et surtout pour me délivrer de la  jaâra, cette manie de bagarreur communiquée par les esprits malfaisants, et qui me poussait à fuir l’école coranique, pour aller écouter mon conteur préféré, entre les deux vieux cimetières de Bab – Marrakech. En un éclair, le saint protecteur m’a rendu ma mère du temps de sa jeunesse, du temps où elle pouvait voir le monde de ses propres yeux : comme si Sidi Brahim Ou Aïssa, lui avait brusquement restitué l’énergie vitale et la lumière des yeux qu’elle avait perdus à la fin de sa vie. J’ai cru même l’entendre dire, avec la voix qu’elle avait, il y a quarante ans : « Il faut communiquer à mon fils, les énergies bénéfiques des genets fleuris ! ».

Chez les Regraga aussi, j'avais rencontré sur la plage sauvage de Bhay - Bah, la légende selon laquelle, après avoir ordonné de faire descendre la table servie, Jésus aurait ordonné aux aveugles de voir à nouveau, et aux paralytiques de marcher à nouveau. J'ai alors pleuré face au ciel au sein de ce sanctuaire, parce que brusquement j'avais la certitude que ma mère pouvait à nouveau voir et se mouvoir par elle-même !À propos de ces prosélytes Regraga, hommes de Dieu, faiseurs de pluie Jacques Berque note : « Dans le Sud marocain, les Regraga font « la soudure », si j’ose dire, entre deux cycles prophétiques : celui de Jésus et celui de Mahomet. Disciples du premier, Hawâriyyûn, ils sont comme les baptistes du second, qu’ils annoncent, et qu’ils vont trouver dés le début de sa mission. Leur personnalité oscille entre une qualification confrérique et une qualification ethnique. »  

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Après la fine pluie du matin, voici le chant du coq, le gazouillement des oiseaux, la lumière du jour et les champs verdoyants. Des milliers de gouttelettes de rosée perlent dans les enclos. Deux huppes sautillent au bord du chemin. Au milieu des arganiers mauves, un amandier en fleurs. Un très bel arganier au tronc noueux et à la forme de champignon. C'est l'arganier sacré des Ida Ou Isarn visité chaque jeudi par les femmes, qui y plantent des clous et y nouent des tissus. Elles disent que l'arganier les guérit des maladies de la peau. Et un jeune paysan de me faire remarquer qu'il y a par ici un caroubier sacré qu'on appelle  taregraguet» (la Regraguia en berbère). Après l'arganier mauve, l'amandier couvert de « flocons de neige ».
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Vestiges du Maroc préislamique, beaucoup de saints sont dénommés soit Aïssa (Jésus) – comme Sidi Brahim Ou Aïssa (Abraham et Jésus) de l’oued Ksob vénéré par ma mère – soit Yahya (saint jean- Baptiste), probablement en souvenir du passé chrétien du Maroc : la tribu des Haha dont est issue ma mère s’appelle justement  Ida Ou Isarne , c’est-à-dire, les  descendants des Nazaréens, c’est-à-dire les adeptes des apôtres de Jésus, exactement comme leurs voisins du Nord de l’oued Ksob, la tribu berbère des Regraga qui crurent d’abord au Paraclet qui leur annonça au bord de la saline de Zima l’avènement du sceau des Prophètes : Mohammed.;

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Je me souviens d'un jour d'été où khali H'mad mon oncle maternel, en marge de l'aire à battre, nous démontrait l'heure qu'il est en mesurant sa propre ombre par le nombre de ses pieds mis bous à bout. On retrouve là le principe du cadran solaire, qui servait aussi à fixer les heures de prière, le seul moment de la vie sociale où la ponctualité est requise : partout ailleurs, on trouve mille et une excuses, pour battre en brèche la ponctualité.
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Le mont Tama sous le brouillard

À propos de ces prosélytes Regraga, hommes de Dieu, faiseurs de pluie Jacques Berque note : « Dans le Sud marocain, les Regraga font « la soudure », si j’ose dire, entre deux cycles prophétiques : celui de Jésus et celui de Mahomet. Disciples du premier, Hawâriyyûn, ils sont comme les baptistes du second, qu’ils annoncent, et qu’ils vont trouver dés le début de sa mission. Leur personnalité oscille entre une qualification confrérique et une qualification ethnique. »

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L'un des rares arganiers d'Amsiten, montagne couverte essentiellement de thuya

 

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Le thuya est le principal arbre du mont Amsiten
Jadis la gomme de sardanaque ("lagracha" en arabe, "tifizza" en berbère) était prélevée sur le thuya de l'arrière-pays, un arbre au bois précieux pour les marqueteurs d'Essaouira, qui est malheureusement décimé par la coupe au charbon avant qu'il ne donne des madriers de taille utilisable par la marqueterie locale.

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Depuis les basses terrasses on jetait alors des poignées d’amandes et de friandises sur la promise. Portée derrière un parent, sur un mulet, « empaquetée », tel un pain de sucre, dans un haïk blans, le front ceint de basilic, elle quittait définitivement le hameau où elle était née pour celui de son épous.. Les larmes de la séparation, se mêlaient toujours à la joie de la fête, le deuil d’une mort symbolique était toujours suivi de re-naissance.

 

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Malgré ses rides et sa peau tannée par le soleil et les travaux des champs, Fatima garde encore des traces de son charme d’antan. De cet hiver déjà si lointain où j’étais allé la chercher avec mon frère au mont Amsiten où elle gardait son troupeau, lorsque brusquement une pluie diluvienne nous surprit. Son père qui coupait le bois de l’autre côté de la montagne nous cria de rentrer immédiatement dans la vallée. C’était le temps où elle m’apprenait le nom que donnaient les bergers aux plantes sauvages de la montagne : Amzough n’tili(oreille de brebi), ou encore oudi ouchen(beurre ronce du loup). Le temps où le bruit courait encore à propos d’égorgement de brebis égarées par les loups.

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Nous arrivâmes trempés jusqu’à l’os au hameau des Broud (les rafraîchis) à la sortie de la forêt où nous fûmes accueillis au coin du feu par Lalla Baytouchaqui me rappelait, par son nom comme par son allure, la vieille ogresse des contes de mon enfance. Quand on caressait les boucs, leur colonne vertébrale se pliait tellement ils étaient transis de froids.Beaucoup plus tard, mon frère m’apprendra qu’en ce lointain jour d’hiver, où le soir est vite tombé, avec le crépitement des flammes, l’odeur du troupeau et de la terre, une poésie à jamais perdue, il avait surpris Lalla Baytoucha faisant une drôle de prière païenne : faute de connaître les sourates du Coran, elle adressait bruyamment ses prières aux arbres et aux pierres !


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à mi-parcours de la montagne, le point d'eau("tifart" en berbère, "daya" en arabe) où les bergers viennent abreuver leur troupeau mais où viennent se désaltérer aussi perdraux et  sangliers

Assis sur la margelle d’une citerne, un gamin refuse de laisser les gens y puiser. C’est le signe que cette région a été l’une des plus éprouvées par la sécheresse. « Cette année la moisson est mauvaise ! », s’écrie un fellah. En effet, la moisson s’annoce maigre et des hameaux délaissés tombent en ruine : leurs occupants ont fui vers les villes. Qui peut témoigner de la souffrance des fellah durant les dernières années de sécheresse ? Bien sûr, il y a les statestiques, mais aucun témoignage vivant sur ce qu’ils ont enduré dans le silence et la solitude

l'heureuse valée de Tlit vue d'en haut du mont Amsiten

 

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Abdelkader MANA

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CIMG0915.JPGL'auteur à la veille de son équipée solitaire au mont Amsiten (février 2010)

 

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Tasila, la colline des désolations

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« C’est la terre que je chanterai, mère Universelle aux solides assises, aïeule vénérable qui nourrit sur son sol tout ce qui existe » Hymne Homérique

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Dans notre enfance, on passait souvent les vacances d’été, dans la colline de Tassila en pays hahî où résidait grand-mère. La maison appartenait au mari de sa sœur  morte sans avoir laissé d’enfants. Après chaque trituration d’huile d’argan, dont les odeurs m’enivraient, grand – mère nous servait un peu de  lafsis : un mélange d’huile d’argan et de farine de blé tendre, qui devient  belghou, une fois mélangé avec du lait caillé. On l’accompagnait souvent à ses corvées d’eau à la citerne de Boujmada alimentée par les sources souterraines du mont Amsiten. On y rencontrait les jeunes filles aux caftans bariolés et aux bracelets d’argent, et cela suscitait en nous une tendresse indéfinissable qu’on ne savait pas encore appeler du nom d’amour. 

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Grand-mère chargeait sur son maigre dos voûté, l’outre de chèvre remplie de l’eau glaciale et fraîche de Boujmada, et remontait péniblement la haute colline vers le hameau de Tassila. Pour souffler un peu, elle s’arrêtait à mi-chemin à l’ombre d’un vieux caroubier. Il me plaisait de frotter les feuilles d’une espèce de lentisques au fruit couleur de coccinelle, dont l’odeur représente encore aujourd’hui pour moi le paradis perdu de mon enfance.

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En arrivant là-haut à Tassila, nous trouvâmes sa sœur Zahra pétrifiée de peur sur son lit de bois (tissi en berbère). Elle nous expliqua qu’elle venait d’échapper à une mort certaine : au fond de la pièce où elle était en prière se dressa brusquement face à elle, un cobra royal, et la fixa droit dans les yeux. Elle lui dit alors : « Paix sur toi et sur moi, passe ton chemin et laisse-moi continuer le mien ». On dirait que le cobra royal a pleinement compris le message qu’elle lui adressa, puisqu’il se remit à rompre et au lieu de se diriger vers sa victime, se contenta de glisser dehors dans la lumière éblouissante du jour. 

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Timazguida Tanout avec au fond le mont Tama, images d'Abdelmajid Mana

Le hameau où l’on passait les vacances entre mont Tama et mont Amsiten, est maintenant électrifié : on y reçoit même les chaînes satellitaires... Mais il n’a plus le charme d’antan, quand mon père s’installait à l’ombre d’un gigantesque olivier et quand, non loin des moissonneurs, j’étais profondément bouleversé par la lecture d’Enfance et adolescence de Tolstoï ou  De grandes espérances de Dickens. Les villageois nous invitaient à tour de rôle, à commencer par le vieux Bazguerra qu’on surnommait alors « lhomme qui voulait être roi », en raison de sa barbiche blanche, sa bouche édentée et ses drôles de grivoiseries qui provoquaient notre fou rire par leur naïveté. La tige du blé, les oiseaux et l’hyène sont souvent utilisés comme métaphore poétiques dans les chants des moissonneurs : 

Le jour de la moisson, la tige était sans graine 

Et la jeune fille sans hymen 

Les oiseaux n’ont laissé que la paille 

Et au grand jour la jeune fille était proie de le hyène.  

Un bradiî (bâtier) juif, nous rendait alors visite sur son petit âne,et mon oncle l’installait sur unehssira (natte de jonc), à l’ombre de notre figuier préféré, lui offrait du thé et il se mettait à rafistoler les bâts éventrés d’où sortaient les touffes de pailles dorées.La récolte de l’arganier se faisait alors au prorata des ayants droit avec sacrifice de bouc et festin. Et le soir on assistait à de magnifiques fêtes de mariage avec chants de femmes aux caftans bariolés et fantasia : 

 Le voilà lebeau poulain, Awa  

Il est blanc, il est comme la lune, Awa 

Il a sa selle et sa lanière,Awa   

Mon regard est ravi par sa crinière, Awa 

Le coup de foudre s’est emparé de moi, Awa 

Si seulement je pouvais l’avoir, awa 

Je le couvrirai de beaux bijoux, Awa 

A l’aube, quand il sort, Awa 

La brise le frappe et l’univers l’enchante, Awa 

Celui qui l’aperçoit il faut qu’il pleure Awa 

(« Awa », veut dire « ô toi » en berbère)

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Le mont Amsiten lieu de notre enfance

Malgré ses rides et sa peau tannée par le soleil et les travaux des champs,  Fatima garde encore des traces de son charme d’antan. De cet hiver déjà si lointain où j’étais allé la chercher avec mon frère au mont Amsiten où elle gardait son troupeau, lorsque brusquement une pluie diluvienne nous surprit. Son père qui coupait le bois de l’autre côté de la montagne nous cria de rentrer immédiatement dans la vallée. C’était le temps où elle m’apprenait le nom que donnaient les bergers aux plantes sauvages de la montagne : Amzough n’tili(oreille de brebi), ou encore oudi ouchen(beurre ronce du loup). Le temps où le bruit courait encore à propos d’égorgement de brebis égarées par les loups.Nous arrivâmes trempés jusqu’à l’os au hameau des Broud (les rafraîchis) à la sortie de la forêt où nous fûmes accueillis au coin du feu par Lalla Baytouchaqui me rappelait, par son nom comme par son allure, la vieille ogresse des contes de mon enfance. Quand on caressait les boucs, leur colonne vertébrale se pliait tellement ils étaient transis de froids.

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 Beaucoup plus tard, mon frère m’apprendra qu’en ce lointain jour d’hiver, où le soir est vite tombé, avec le crépitement des flammes, l’odeur du troupeau et de la terre, une poésie à jamais perdue, il avait surpris Lalla Baytoucha faisant une drôle de prière païenne : faute de connaître les sourates du Coran, elle adressait bruyamment ses prières aux arbres et aux pierres !

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 Le pays hahî comprend en de nombreux endroits des arganiers sacrés gigantesques parce qu’ils ont toujours été épargnés par les coupes successives, ainsi que des tas de pierres sacrées dénommés  Karkour. Cela pouvait être le lieu où un saint ou une sainte  telle Lalla Aziza  s’est arrêté  au cours de son errance légendaire. 

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 Le chemin est long qui mène à la grande tente du fiancé

O taslit, que Dieu fasse ton destin pareil à la prairie

Où abondent avec les fleurs les brebis et les bœufs

Soit pour ton mari une campagne douce

Comme le mélange du sucre et de thé dans le verre de cristal

Ton matin, qu’il soit bon ô reine !

Toi pareille au palmier qui surplombe la source

O dame, tu es l’étendard doré dont l’eau est acheminée par des séguia

Jusqu’aux parcelles clairsemées le long des flancs de montagnes

O dame ! Tu es l’étendard doré

Que le cavalier porte sur son cheval blanc…(Chant nuptial berbère)

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L’un des plus beaux cadeaux que j’avais fait à grand-mère Tahemout et à tante Zahra, ce fut le jour du souk de samedi de Smimou du temps où ce souk était entièrement en pisé, il n’y avait pas encore cette mode uniformisante d’arcades et de tuiles vertes qui gomme toute spécificité architecturale locale. Je leur avais acheté un miroir, un peigne, du henné et du souak : « Mais c’est un cadeau pour jeune mariée ! » s’ésclafa grand-mère. Et elles se mirent toutes les deux à rire aux larmes, de ma naïveté. À tante Zahra, cela lui rappela un vieux chant de noces berbères : 

Tafoukt irdi Tougguit maradim imoun ?

Al Hanna Dazenbouâ Karadim imoun!

Quand tu paraîtras soleil, qui va t’accompagner ?

C’est le henné et le bigaradier qui vont t’accompagner !

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Les hameaux semblent déserts à première vue à cause de l’exode rural massif : après leur mariage, tous les garçons de Fatima sont partis travailler à Agadir . Avec leurs enfants, ils font déjà de ma cousine, une grand-mère ! Et brusquement j’ai eu l’impression de ne plus être le jeune homme que je crois ; puisque ma cousine qui a mon âge est déjà grand-mère ! La fraction de tribu Tlit, ne se reproduit plus, ma prémonition d’il y a vingt ans lorsque j’écrivais un mémoire de sociologie rurale intitulé « la fraction de tribu Tlit est-elle une communauté en dissolution ? » - s’est enfin réalisée.La maison de mon oncle maternel,  est actuellement vide et pour cause : tout le monde est parti vivre à Casablanca : dans les bidonvilles d’où sont issus les jeunes camicases du 16 mai 2003. 

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Les déracinés qui s’exilent dans les périphéries de la métropole sont maintenant Livrés à eux-mêmes, sans les solidarités de jadis et sans les repères de leur tribu d’origine. « Les cadres sociaux de la mémoire » (Halbwachs) sont déboussolés par l’anomie. Déréglée par la misère du monde, l’horloge cosmique, ne scande plus la saison des fêtes.  Les nouveaux déracinés ne vivent plus dans ce cadre enchanteur où, lors d’un mariage Haha, je relevais jadis cet échange entre deux lignages : histoire,photographie

Le lignage qui reçoit la fille chante : 

Nous prenons le chemin qui nous mène

A la maison de nos hôtes

Comme la vie sera facile

Si les gens sont généreux !

Ô gens de bien, accordez-nous votre fille

Car nos petits enfants sont restés seuls

Et nous avons encore un long chemin à refaire.

Et toi, tailleur, confectionne l’habit de la mariée

Et que Dieu lui accorde une vie heureuse ! 

       Le lignage qui offre la fille répond : 

C’est notre colombe sauvage que nous vous offrons

Et c’est pour qu’elle soit libre que nous ouvrons les portes

Mais que la mort et le châtiment lui soient épargnés ! 

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         Depuis les basses terrasses on jetait alors des poignées d’amandes et de friandises sur la promise. Portée derrière un parent, sur un mulet, « empaquetée », tel un pain de sucre, dans unhaïk blans, le front ceint de basilic, elle quittait définitivement le hameau où elle était  née pour celui de son épous.. Les larmes de la séparation, se mêlaient toujours à la joie de la fête, le deuil  d’une mort symbolique était toujours suivi de re-naissance.

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Nous laissâmes à Amsitten, notre oncle maternel Mohammad. C’est là qu’il mourra d’ailleurs des années plus tard, plus exactement en 1984 : il était monté chercher son taureau noir  on laissait s’engraisser ses bovins en haute montagne dans la solitude complète avant de monter les ramener vers la vallée. Mohammad a probablement voulu forcer le taureau à suivre un raccourci en le frappant au flanc. Le taureau qui refusa, se retourna alors contre mon oncle et se mit à lui enfoncer la poitrine par ses puissantes cornes. Lorsqu’à la tombée de la nuit les paysans inquiets montèrent avec leurs lampes chercher mon oncle, c’est le taureau lui-même qui les avertit par ses beuglements du lieu du drame : il était resté à côté de son maître et  victime. On a dû porter le corps de mon oncle dans un burnous : il expira en arrivant à l’hôpital d’Essaouira. Il fut enterré sous les mimosas à l’entrée de la ville, sans que je sache à ce jour où se trouve sa tombe : les humains ont moins d’égard pour les dépouilles des morts que les taureaux noirs. Mon oncle maternel est mort au moment où j’avais pris mon bâton de pèlerin pour suivre pour la première fois, les Regraga dans leurs pérégrinations, en mars 1984. Grand-mère disait que le cours de la vie débouche aussi sûrement sur l’au-delà, que le fleuve se jette dans la mer.

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Deux ans auparavant, vers 1982, je suis parti en autocar avec Georges Lapassade jusqu’à la vallée heureuse de Tlit, entre le mont Tama et le mont Amsiten, en pays Haha, pour enquêter sur le chant des moissonneurs. Mon oncle maternel nous reçu alors avec le cérémoniel du thé, avec des amandes, et des galettes de seigle, à tremper dans l’huile d’argan et le miel de thym . Mon oncle maternel disait alors à ce Béarnais que je croyais parisien et qui a toujours gardé une âme paysanne lui venant de son enfance passée dans ces « Pyrénées-Atlantiques », comme on les appelle si joliment en France. Mon oncle donc disait à Georges   :

  « Le poète et la hotte sont semblables, personne n’en veut s’il n’y a pas de pluie et donc de récolte. ».

     Et Georges qui avait aidé jadis son père à la scierie dans la forêt béarnaise comprenait parfaitement ce langage et en avait même la nostalgie. 

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Notre grand-mère Tahemoute, décédée à Essaouira l’été de 1978, était restée très attachée à Sidi Hmad Ou Moussa, le saint patron des acrobates et des troubadours chleuhs, près duquel elle se rendait annuellement en pèlerinage après la rentrée des moissons. L’un des derniers moments les plus poignants que j’ai vécu auprès d’elle, concerne le décès de son frère Hmad : un homme paisible à l’imposante barbe blanche, qui vivait dans l’un des hameaux surplombant l’heureuse vallée de Tlit, depuis les escarpements rocailleux du mont Tama. Il n’avait pas d’enfants et vivait avec ceux de son frère Lahcen : une famille profondément religieuse, également issue de la tribu des Semlala, aux environs de la Maison d’Illigh dans le Sous. 

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Il avait les jambes enflées, au point d’avoir des difficultés à se mouvoir et était venu avec grand-mère, pour se soigner à Essaouira . À l’hôpital, on fit comprendre à grand-mère que la médecine ne pouvait plus rien pour son frère. On décida alors de le ramener chez lui au pays hahî. On se réveilla aux premières lueurs de l’aube. Mon père fit venir un taxi collectif, juste à côté de chez nous, à l’artère principale des  khoddara, les marchands des fruits et légumes, d’où sort le lancinant grésillement des grillons, à cette heure matinale. Les grillons nous ont toujours accompagnés dans nos voyages de l’aube, et nous retrouvons leur grésillement dans les arganiers au plus fort de la canicule.

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Nous épaulâmes mon père et moi « Khali Hmad » (qui est en réalité l’oncle maternel de ma mère), et l’accompagnâmes à petits pas jusqu’au taxi où il s’engouffra auprès de sa sœur sur la banquette arrière. Je pris place auprès du chauffeur, et nous partîmes. À peine le taxi avait-il quitté la médina, au moment de s’approvisionner en carburant à la sortie de la ville, que  grand-mère éplorée se met à m’adresser de grands signes désespérés : en me retournant, je voyais  Khali Hmad, déversant sur ses genoux un long filet de sang qui lui coulait de la bouche. Le brave homme que j’ai tant aimé et respecté était en train de rendre son dernier soupir sur les genoux de sa sœur au sortir de l’aube et de la ville ! Affolé, le chauffeur, voulait rebrousser chemin. Mais Je lui ai intimé l’ordre de continuer vers notre destinée, car c’est là où il était né qu’il devait reposer pour toujours. Il nous dit d’abord que la loi lui interdisait de transporter les morts, mais ayant pitié de moi et de ma grand-mère, il consentit finalement à nous conduire à notre vallée, où khali Hmad fut finalement inhumé parmi les siens, entre le mont Tama et le mont Amsiten, là où les constellations semblent si proches, qu’on peut adresser ses prières, sans intercesseurs, au Seigneur des Mondes.

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 Alors que sous un ciel gris, les paysans enterraient khali Hmad au milieu des broussailles, de l’heureuse vallée qui l’avait vu naître, j’adressais des suppliques au mont Tama où les amandiers en fleurs ont l’air d’être couverts de flacons de neige. Mes larmes sont d’autant plus amères, qu’il me faisait penser par sa longue barbe blanche à la mort de Léon Tolstoï dans une simple gare. J’étais alors profondément bouleversé par la lecture de  La sonate à Kreutzer  relatant, le destin tragique de l’homme, face à la vieillesse et sa profonde solitude face à la mort. Pour moi, le vieux paysan ayant rendu l’âme dans les bras de sa sœur mystique, personnifiait le brave  moujik d’Isnaïa – Poliana. Alors que les paysans retrouvaient leurs charrues, je continuais à adresser mes suppliques aux montagnes sacrées, en me disant, non pas qu’est-ce que la mort ? Mais pourquoi cette mort en particulier, me faisait tellement penser à celle de l’auteur de  Résurrection ? 

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Une fois, j’avais pris une fièvre terrible à Tassila, mais au soir tout le monde est sorti pour voir la Chevrolet qui vient de s’arrêter en bas de la colline, du côté de la citerne de Boujmada. C’était la luxueuse voiture d’Ahmed, le chauffeur qui promenait les touristes de marque à travers le pays. Il est le fils du policier qui accueillit à Essaouira ma mère et sa sœur, lorsque celles-ci fuyaient les famines des années 1920. J’ai eu à le rencontrer une autre fois à Agadir au début des années 1970 : avec un ami d’adolescence, féru du chanteur égyptien Abdelhalim Hafez, j’avais entrepris un voyage entre Essaouira et Agadir, à bicyclette. Au niveau de la descente de toboggan, j’avais évité à temps un poids lourd qui remontait dans le sens inverse : la descente était trop abrupte et j’ai failli perdre le contrôle de mon vélo, si l’agilité et le réflexe de la jeunesse ne m’étaient venus en secours pour éviter de justesse une collusion qui aurait mis fin à mon existence à l’âge de dix-sept ans !

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Nous arrivâmes à Agadir au milieu de la nuit, et le lendemain une énorme Chevrolet s’arrêta à notre hauteur : c’était Ahmed, le chauffeur des vieux touristes fortunés ! Il nous donna de quoi revenir chez nous, en autobus. Il me dépanna à Agadir, dans les années soixante-dix, comme son père avait dépanné ma mère dans les années trente. Depui qu’il avait quitté Essaouira, « l’année du boun » et des pénuries de la deuxième guerre, il habitait au quartier des foires de Casablanca, où il était marié avec une juive marocaine. Tant que ma mère était en vie, on leur rendait souvent visite. Avec sa mort et celle de ma mère, les rapports déjà distendus avec ses enfants, se sont rompus.

Je croyais que toute sa famille a émigré en Espagne et aux Etats –Unis et voilà que pour les besoins de ce livre, on me conduit aujourd’hui vers l’une de ces filles qui habite toujours à la même maison du côté de la foire de Casablanca, où résidaient ses parents depuis l’indépendance du Maroc, voir même avant. Elle m’apprend que sa mère Mina est décédé en 1989 et son père en 1996, après deux mois d’une opération de la prostate. Ce n’est qu’en s’approchant de leur maison que j’ai entraperçu dans un café populaire un client dans le profil me rappela étrangement le sien.

Maintenant sa fille me montre ses photos et tout me revient. Il racontait à ses enfants comment au début des années 1930 il accompagnait à l’aube, son père dans les souks de la région d’Essaouira, où il menait des chameaux chargés de marchandises.L’oncle maternel de ma mère était donc caravanier avant d’être policier du temps du protectorat, où il aurait était aussi cuisinier de Lyautey à Rabat à en croire lalla. Du temps où il vivait à Essaouira, sa maison servait également de gîte d’étape où il recevait gracieusement les hôtes d’Allah de passage dans la ville.

Dans le temps, à un moment où il n’y avait pas d’hôtels pour héberger les étrangers, chaque chef de foyer disposait de deux maisons mitoyennes : l’une pour la famille et l’autre, la douiria (maisonet), pour les célibataires, et les hôtes d’Allah de passage dans la ville. La Douiria,jouxtait la maison familiale proprement dite. Il existe encore de nombreuses maisons témoins de cette époque : généralement l’entrée de la Douiria et celle de la maison familiale ont une décoration en pierre de taille si semblables qu’elles donnent l’impression d’être des portes jumelles. Dans la vieille médina existait aussi (derb laâzara), le quartier réservé uniquement aux célibataires...

Sur les clés des portes individuelles d’Essaouira on voit les mêmes signes et symboles qui se trouvaient déjà sur les portes monumentales de la ville, particulièrement la porte de la marine avec ses coquilles Saint-Jacques et ses croissants : un croissant symbolise la première fête du calendrier lunaire ; deux croissants la deuxième fête du calendrier lunaire. Trois croissants : la troisième fête du calendrier lunaire. Une manière de signaler que l’édification de la maison a coïncidé avec un mois ou une fête sacrée.

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À Tassila, tante Zahra, n’avait que les murs, puisque du temps d’Oubella, son mari défunt, les terrains agricoles et les arbres avaient été vendus au prix d’un pain de sucre à un usurier, l’année du  boun : on appelle ainsi, la période de la deuxième guerre mondiale, où les denrées alimentaires de première nécessité étaient rationnées. C’est la dernière des périodes de disette, où les usuriers ont pu acquérir de vastes domaines fonciers au prix d’une « bouchée de pain ». Bien après la mort de notre grand-mère Tahamout et de sa sœur tante Zahra, nous eûmes, moi-même, mon frère Majidet notre cousin Ghani, le courage de remonter vers Tassila : mais le champ de ruine qui nous y accueillit, nous emplit de désolation, avec une secrète satisfaction : personne après elles n’a jamais plus habité ces lieux, où leur souvenir persiste, comme si elles venaient d’en déguerpir après un récent tremblement de terre. Tout est en place, sauf que les blessures sont béantes. C’est le seul moment où la présence des défuntes était tellement évidente qu’on s’est mis tous les trois à pleurer à chaudes larmes : on avait dans ces ruines des sépultures pour des êtres sans sépultures. 

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C’est lorsque ma mère atteint l’âge de cinq ans, que sa propre mère l’avait amené en ville à pied avec son frère.Leur mère était d’un grand courage et d’une grande endurance : on raconte que non seulement elle alimentait les maçons en eau, mais qu’elle participait également à leurs travaux. Au cours de ces corvées d’eau qu’elle effectuait de nuit, elle était souvent pistée, par des hyènes, sans pour autant qu’elle soit décontenancée le moins du monde. En cours de route vers Essaouira avec ses deux enfants ; elle transportait ma mère une centaine de mètres,la déposait à l’ombre d’un arganier, puis revenait sur ses pas pour faire de même pour son jeune frère. Leur oncle maternel venait alors de déménager au fond d’une ruelle parallèle, au cœur de la médina, là où habitaient jadis les Manga, une famille mulâtresse connue par sa voyance médiumnique chez les Gnaoua, ces adeptes de rites orgiaques et de mystère.

Ma mère était arrivée à Essaouira à l’âge de cinq ans, vers 1933, c’est-à-dire en pleine période du Dahir Berbère  décret par lequel le Protectorat visait à promouvoir deux juridictions parallèles, le droit coutumier berbère d’un côté, et le  chraâ , ou juridiction musulmane de l’autre. Ce  qui unifia par réaction le nationalisme marocain naissant : dans toutes les mosquées du pays, on répéta le  Latif (prière dite quand la communauté musulmane est gravement mise en danger) : « Seigneur, aie pitié de nous, en ne nous séparant pas de nos frères berbères ! »

Mon frère Majid vient de recueillir, auprès de notre tante maternelle – que nous appelons affectueusement  Lalla – le récit de son arrivée ainsi que de celle de ma mère Zahra Yahya à Essaouira, au cours de la grande famine, dite de l’année hégirienne de 1344, correspondant à l’année 1926, qui vit la fin de la guerre du Rif, et la reddition d’Abd el Krim face à l’offensive franco-espagnole. La-dite famine avait duré sept ans, soit de 1926 à 1933.

Ma mère était née en 1928, en pleine période de famine, et aurait quitté son pays natal à l’âge de cinq ans pour se rendre en compagnie de sa mère à Essaouira, en 1933. Sa grand-mère, originaire de la tribu des Semlala dans le Sous, était elle-même venue au pays hahî, lors d’une précédente famine qui avait frappé le Maroc à la fin du XIXe siècle. Dans un rapport rédigé à l’été 1878, le consul des Etats-Unis à Tanger  Felix Mathews, decrit de manière saisissante cette famine survenue en 1877 après trois années de mauvaises récoltes :

« Des centaines de femmes, d’enfants et d’hommes affamés se deversent à Mogador et à Safi. Bon nombre de campagnards meurent en chemin. Des squelettes vivants, des formes émaciées apparaissent dans les rues. La famine et la maladie, déjà terribles chez les pauvres, s’étendent. Avec l’automne et l’hiver, la detresse des gens va encore empirer.Le gouvernement ne fait absolument rien pour eux...alors que les silots regorgent de céréales.Les juifs sont un peu soulagés par leurs coreligionnaires. »histoire,photographie

Il est vraiment paradoxal de voir ce pays agricole à la merci de la disette par suite de la moindre sécheresse, souffrir de la faim devant une mer qui compte parmi les plus riches de l’Atlantique...C’est  Lalla, l’aînée des filles de Yahya qui partit la première avec sa mère rejoindre, au début de la famine de 1926, son oncle maternel qui était policier à Essaouira au début du Protectorat français sur le Maroc. Affaiblies par la famine, elles ont effectué le trajet en vingt-quatre heures  plus exactement de deux heures du matin, pour éviter l’insolation et la soif, à vingt-trois heures,  au lieu d’une demi-journée en temps normal. Pour avancer,  Lalla s’accrochait à la queue de l’âne qui transportait sa grand-mère, se nourrissant en cours de route, des racines d’une plante grasse dénommée  Guernina , et croisant de nombreuses caravanes, transportant vers Essaouira du charbon de bois d’arganier, cette coupe est l’une des causes de la diminution de cette espèce d’arbre unique au monde , des amendes et de la gomme de sardanaque.histoire,photographie

C’étaient les dernières caravanes qui reliaient Mogador à son arrière-pays et à Tombouctou, avant qu’Agadir au Sud et Casablanca au Nord ne supplantent la ville des Gnaoua en tant que principal port du Maroc. Avec la découverte de la machine à vapeur, l’Europe était désormais directement reliée par voix maritime au Sahara et à la boucle du Niger sans avoir à passer par l’ancien « port de Tombouctou », qu’était Mogador. 

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Mon frère Majid vient de recueillir, auprès de notre tante maternelle – que nous appelons affectueusement  Lalla– le récit de son arrivée ainsi que de celle de ma mère Zahra Yahya à Essaouira, au cours de la grande famine, dite de  l’année hégirienne de 1344, correspondant à l’année 1926, qui vit la fin de la guerre du Rif, et la reddition d’Abd el Krim face à l’offensive franco-espagnole. La-dite famine avait duré sept ans, soit de 1926 à 1933.

  Ma mère était née en 1928, en pleine période de famine, et aurait quitté son pays natal au pays hahî à l’âge de cinq ans pour se rendre en compagnie de sa mère à Essaouira, en 1933. Sa grand-mère, originaire de la tribu des Semlala dans le Sous, était elle-même venue au pays hahî, lors d’une précédente famine qui avait frappé le Maroc à la fin du XIXe siècle. Dans un rapport rédigé à l’été 1878, le consul des Etats-Unis à Tanger  Felix Mathews, decrit de manière saisissante cette famine survenue en 1877 après trois années de mauvaises récoltes :

 « Des centaines de femmes, d’enfants et d’hommes affamés se deversent à Mogador et à Safi. Bon nombre de campagnards meurent en chemin. Des squelettes vivants, des formes émaciées apparaissent dans les rues. La famine et la maladie, déjà terribles chez les pauvres, s’étendent. Avec l’automne et l’hiver, la detresse des gens va encore empirer.Le gouvernement ne fait absolument rien pour eux...alors que les silots regorgent de céréales. Les juifs sont un peu soulagés par leurs coreligionnaires. »

Il est vraiment paradoxal de voir ce pays agricole à la merci de la disette par suite de la moindre sécheresse, souffrir de la faim devant une mer qui compte parmi les plus riches de l’Atlantique...

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  C’est  Lalla, l’aînée des filles de Yahya qui partit la première avec sa mère  rejoindre, au début de la famine de 1926, son oncle maternel qui était policier à Essaouira au début du Protectorat français sur le Maroc. Affaiblies par la famine, elles ont effectué le trajet en vingt-quatre heures  plus exactement de deux heures du matin, pour éviter l’insolation et la soif, à vingt-trois heures,  au lieu d’une demi-journée en temps normal. Pour avancer,  Lallas’accrochait à la queue de l’âne qui transportait sa grand-mère, se nourrissant en cours de route, des racines d’une plante grasse dénommée  Guernina , et croisant de nombreuses caravanes, transportant vers Essaouira du charbon de bois d’arganier, cette coupe est l’une des causes de la diminution de cette espèce d’arbre unique au monde , des amendes et de la gomme de sardanaque.

 C’étaient les dernières caravanes qui reliaient Mogador à son arrière-pays et à Tombouctou, avant qu’Agadir au Sud et Casablanca au Nord ne supplantent la ville des Gnaoua en tant que principal port du Maroc. Avec la découverte de la machine à vapeur, l’Europe était désormais directement reliée par voix maritime au Sahara et à la boucle du Niger sans avoir à passer par l’ancien « port de Tombouctou », qu’était Mogador. En cours de route, la jeune fille et sa grand-mère, croisaient aussi, mais plus rarement les « boutefeux » (ces autocars qui fonctionnaient au charbon, et qui transportaient les voyageurs sur leur toit). Une fois la ville en vue, elle devait leur paraître « comme un panier d’œufs au bord d’un lac bleu »  

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En cours de route, la jeune fille et sa grand-mère, croisaient aussi, mais plus rarement les « boutefeux » (ces autocars qui fonctionnaient au charbon, et qui transportaient les voyageurs sur leur toit). Une fois la ville en vue, elle devait leur paraître « comme un panier d’œufs au bord d’un lac bleu » comme disait la chanson berbère :

Veux-tu bien que nous ajustions

Son axe au moulin,

Pour moudre en commun

Ton grain et le mien ?

Veux-tu bien qu’en un seul troupeau

Nous mêlions nos ouailles aux tiennes ?

Mais gardes-toi bien

D’y mettre un chacal !

Comment donc, de la plaine,

Surgirait Mogador,

Comment pourrait-on

Haïr qui l’on aime ?

À Essaouira, elles sont accueillies par l’oncle maternel de  Lalla, qui résidait au cœur de la médina, à l’ancien mellah, dont l’artère principale grouillait, le samedi soir, de juifs grignotant des amuse-gueules, en se rendant au cinéma Scala – consulat d’Allemagne jusqu’à la fin du XIXe siècle – tenu par le Sieur Kakon, où ils assistaient en première, aux films muets de Charlie Chaplin. Les négociants juifs tenaient encore les entrepôts de l’ancienne Kasbah (fondée en 1764) et de la nouvelle Kasbah (fondée en 1876, la première n’étant plus suffisante). On appelait ces entrepôts lahraya diyal lagracha : les entrepôts de la gomme de sardanaque (gomme prélevée sur le thuya de l’arrière-pays, mais aussi sur l’acacia du Sahara, et sur les autres essences forestières de l’Afrique subsaharienne). C’est là que  Lalla accompagnait notre grand-mère et lui servait d’interprète avec le négociant Boudad, l’un des propriétaires de ces entrepôts où les femmes traitaient la gomme en séparant le grain d’avec l’ivraie.

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 Le thuya de l'arrière pays

Le voile blanc dénommé haïk était alors l’emblème vestimentaire des femmes de la ville, mais aussi des hommes. Le haïk que portaient ces derniers était muni d’un turban, comme l’atteste cette vieille comptine, que chantaient les jeunes filles et qui fait également allusion au commerce transsaharien, d’où venaient l’or et les pierres précieuses :

Haïki, n’a pas de turban

Haïki, est allé au Soudan

Haïki en a rapporté des pierres précieuses

Haïki, je lui en ai demandé une

Haïki, me l’a offerte.

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Femmes en haïk à souk laghzel, Roman Lazarev

Le voile blanc dénommé haïk était alors l’emblème vestimentaire des femmes de la ville, mais aussi des hommes. Le haïk que portaient ces derniers était  muni d’un turban, comme l’atteste cette vieille comptine, que chantaient les jeunes filles et qui fait également allusion au commerce transsaharien, d’où venaient l’or et les pierres précieuses 

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  Haïki, n’a pas de turban 

Haïki, est allé au Soudan 

Haïki en a rapporté des pierres précieuses 

Haïki, je lui en ai demandé une 

Haïki, me l’a offerte.

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Femmes voilées au marché,Roman Lazarev

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Femmes voilées au marché, Roman Lazarev

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Femmes voilées au marché de la laine, Roman Lazarev

Les nourritureshistoire,photographie

Marchand de sel à Mogador : pas de plat sans sel à moins qu'il ne soit destiné aux djinns!

Au pied du mont Amsiten, les salines d’Azla et d’Ida Ou Azza ont toujours alimenté en sel gemme  d’immenses contrées jusqu’aux profondeurs de l’Atlas à l’Est et au Sahara à l’extrême Sud. Transporté jadis à dos de chameaux, l’exploitation du sel connaît maintenant un embryon de mécanisation. Les paysans complètent ainsi leurs maigres ressources en extrayant le minerai de sel gemme ou en jetant leurs filets aux criques désertes et sauvages qu’on appelle afettas (port en berbère) : celle de taguenza, au sud de cap Sim, de tafelney et imsouwan plus au sud. Une pêche artisanale et aléatoire où au sortir de l’aube à marée basse, le paysan - pêcheur découvre parfois dans ses filets de frétillantes crevettes grises si ce n’est de grosses pièces de loups, mêlées aux dorades et aux  turbots ! 

 

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  Une pesée de sel saharien valait deux pesées de céréales.

 Le sel chasse les mauvais esprits des champs. Les Regraga crurent d’abord au Paraclet qui leur annonça au bord de la saline de Zima l’avènement du sceau des Prophètes : Mohammed. Et leur sultan Sidi ouasmine leur ordonna de se diriger vers Zima la sainte (saline située au pied de la montagne de fer où eut lieu chaque année le sacrifice des trois taureaux pour inaugurer le périple du printemps).Et au sud d'Essaouira, la saline d'Ida Ou Azza, alimente en sel le haut Atlas et même le Sahara.Les tribus nomades au sud de l'oued Noun troquaient le sel de leurs salines en contrepartie des céréales des tribus sédentaires situées plus au nord. Au marché de Tiznit ou  à celui de Tlat Lakhssas, dans le Sous extrême, une pesée de sel saharien valait deux pesées de céréales. Outre les salines côtières, il y a les Sabkha de l'intérieur telles celles de Teghazza et de Taoudenni dont le contrôle fut l'une des causes de la célèbre expédition saâdienne d'Ahmed El Mansour Dahbi vers l'Afrique. De là ce sel est transporté à Tombouctou. Ce troc de l'or contre du sel est à l'origine même du commerce transsaharien.

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Marchand d'orge à Mogador

Du fait que mon père a des racines en pays chiadma arabophones au nord d'Essaouira et que ma mère est originaire du pays haha berbèrophone au sud de la ville, nous recevions souvent la visite de cette parentèle rurale surtout en période des moissons et au temps des raisins et des figues comme me le raconta un jour Mohamed, un neuveu de mon père:

- Du temps de Mohamed V, fin des années cinquante, début des années soixante  ton frère aîné Abdelhamid avait à peine quatorze ans- je suis arrivé dans votre ancienne maison, avec un sac de blé, et votre oncle berbère Mohammad est arrivé en même temps, avec sa grosse moustache et son gros turban, avec un autre sac de blé. Une fois les deux sacs de blé à la terrasse, votre mère consulta leur contenu. Le blé ramené par l’oncle berbère était net et propre, par contre le blé que j’ai ramené était mélangé avec de la paille et de la poussière de l’aire à battre. Votre mère me dit alors :

Où devons-nous vanner ce blé ? À la lisière de la forêt ou au bord de la mer ? Ici, en ville, on ne peut le vanner à la maison sans que la poussière parvienne chez les voisins.

Le lendemain de notre arrivée, un aigle est tombé dans le patio de votre maison. Ton cousin Ahmed l’a capturé en jetant une couverture sur lui"

.Le rapace était vraiment impressionnant et tous les enfants du quartier allaient lui chercher de la viande, pour le nourrir.Quelques jours plus tard, mon père avait remis l’aigle à Moulay Kébir, chasseur à ses heures et antiquaire distingué originaire de Fès

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 Marchand de sauterelles à Mogador

Ce simple mot, « Jrada » (sauterelle en arabe), produit en moi, comme « une déflagration du souvenir » . Il me rappelle étrangement cette vieille comptine dont jadis nos grands – mères berçaient en nous l’enfant qui rêve :

« Â Jrada Maalha !

Fiin kounti saarha ? »

O sauterelle bien salée !

Vers quelle prairie t’en es-tu allée ?

   C’était au temps des disettes et des vaches maigres, où des nuées de sauterelles décimaient les champs, et où il ne restait aux hommes affamés qu’à se gaver de grillades de sauterelles salées!histoire,photographie

Poteries à souk Laghzel

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A souk Laghzel, on vendait aussi le bois pour cuisiner et pour se chauffer l'hiver

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 Arrivée d'une caravane à Souk Jdid, le 23 déc.1912histoire,photographie

 Seven Arch, Mogador, Septembre 1912

De son vivant, ma mère se rendait en pèlerinage soit à Sidi Ahmed Sayeh, sur la route d’Agadir, soit à Sidi Brahim Ou Aïssa, le saint qui mit fin, selon la légende, à la sucrerie saâdienne : il fit s’enrouler une vipère autour du cou du fils du sultan, et ne consentit à l’en délivrer, qu’une fois obtenu le départ de la soldatesque royale du bord de l’oued Ksob, où ils avaient décimé, sur ordre du sultan doré toutes les ruches, pour que les abeilles n’empêchent plus la trituration du sucre de canne. C’est de là que vient le nom de  l’oued Ksob (la rivière de canne). La culture de cette canne fut extrêmement florissante, notamment au bord de l’oued des Seksawa (Chichaoua en arabe), et de l’oued Sous, jusqu’à la mort de Moulay Ahmed El Mansour, le 25 août 1603. Les guerres civiles qui éclatèrent, entre ses fils, pour sa succession, ruinèrent les plantations.

 Le 14 mars 2009 je me suis rendu avec mon frère majid à sidi Brahim ou Aïssa : il s’agit d’un sanctuaire sans coupole qui contient en fait deux tombeaux : celui de Brahim et celui de Aïssa. L’un démesuremment grand et l’autre de taille moyenne. Il est entouré d’un muret à l’ombre d’ un olivier sauvage. Tout autour un cimetière probablement d’esclaves qui travaillaient dans la sucrerie saâdienne. Le site est situé sur une hauteur qui surplombe l’oued ksob au bord duquel était plantée la canne à sucre. Sur les lieux nous avons rencontré un noire qui fait partie de la zaouia de sidi Brahim Ou Aïssa située en contre bas. Il nous a raconté qu’il y a trente ans de cela, tous les Ganga du sud marocain, se retrouvaient là après les moissons pour une fête annuelle. Non loin de là on remarque un curieux arganier à parasol qui évoque la forme d’un accacia : son tronc est cloué au pilori par des centaines de clous, ce qui est certainement une tradition africaine. C’est un arganier sacré dédié à Lalla Mimouna, auquelle les Ganga sacrifient un bouc noir lors de leur fête estivale. La vallée est maintenant constellée de résidences secondaires appartenant à des européens et le sanctuaire est de moins en moins visité par les locaux : les ganga n’y organisent plus leur maârouf comme jadis. Comme les Gnaoua bilaliens s’était greffés sur Moulay Abdellah Ben Hsein de Tamesloht où ils organisent une fête annuelle durant les sept jours du mouloud, les Ganga de lalla Mimouna organisaient leur fête saisonnière autour du sanctuaire de Sidi Brahim Ou Aïssa.

Vestiges du Maroc préislamique, beaucoup de saints sont dénommés soit Aïssa (Jésus) – comme Sidi Brahim Ou Aïssa (Abraham et Jésus) de l’oued Ksob vénéré par ma mère – soit Yahya (saint jean- Baptiste), probablement en souvenir du passé chrétien du Maroc : la tribu des Haha dont est issue ma mère s’appelle justement  Ida Ou Isarne , c’est-à-dire, les  descendants des Nazaréens, c’est-à-dire les adeptes des apôtres de Jésus, exactement comme leurs voisins du Nord de l’oued Ksob, la tribu berbère des Regraga qui crurent d’abord au Paraclet qui leur annonça au bord de la saline de Zimal’avènement du sceau des Prophètes : Mohammed.

Les pêcheurs berbères de ces rivages invoquaient Sidi Ishaq, perché sur une falaise rocheuse abrupte qui surplombe une plage déserte où les reqqas échangeaient jadis le courrier d’Essaouira d’avec celui de Safi : « Lorsque les pêcheurs passent à travers les vagues, il leur arrive de l’appeler à leur secours, ils lui promettent d’immoler une victime et de visiter son sanctuaire. Sidi Ishâq avait un cheval blanc que son frère Sidi Bouzerktoun lui avait donné. Lorsque les Regraga se réunissent, ils vont à cheval visiter ce saint ; les marabouts – hommes et femmes assemblés – prient Dieu de délivrer le monde de ses maux. Lorsque les pêcheurs vont vers Sidi Ishâq, ils entrent dans son sanctuaire et après avoir fait leurs dévotions, il te prenne, ô huile de la lampe, et te la verse au milieu des flots pour les calmer. » 

Se rendre au sanctuaire de Sidi Mogdoul, en quête de protection surnaturelle, avant de quitter la ville, était une pratique courante à tous ceux, voyageurs et marins, qui affrontaient les risques de noyade en haute mer, ou le voyageur, celui des coupeurs de route, qui infestaient les sillages des caravanes au pays de la Siba – par opposition au pays sous contrôle du Makhzen. Et jusqu’à une époque récente, avec procession, étendards et taureau noir en tête, les marins se rendaient à Sidi Mogdoul pour qu’il facilite leur entreprise, comme en témoigne cette vieille légende berbères :

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Sidi Mogdoul, le saint patron de la ville

« Sidi Mogdoul fixe les limites de l’océan et en chasse les chrétiens. Il secourt quiconque l’invoque. Fût-il dans une chambre de fer aux fermetures d’acier, le saint peut le délivrer. Il délivre le prisonnier entre les mains des chrétiens et le pêcheur qui l’appelle au milieu des flots ; il secourt le voilier si on l’invoque, ô saint va au secours de celui qui t’appelle (fût-il) chrétien ou musulman. Sidi Mogdoul se tient debout près de celui qui l’appelle. Il chevauche un cheval blanc et voile son visage de rouge. Il secourt l’ami dans le danger, le prend et, sur son cheval, traverse les océans jusqu’à l’île. »

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 Le phare de Sidi Mogdoul 

 Et sur ces mêmes rivages, au Sud de cap Sim, les pêcheurs se rendaient en pèlerinage à Sidi Kawki où les berbères Haha procèdent à la première coupe de cheveux de leurs enfants : « s’ils sont surpris par la tempête, ou si le vent se lève alors qu’ils sont en mer, les marins se recommandent à lui. Avant de s’embarquer pour la pêche, ils fixent la part de Sidi Kawki, dont les vertus sont très renommées. On raconte qu’un individu y avait volé la nuit une bête de somme et bien qu’il eut marché tout le temps, quand le matin se leva, il se retrouva là où il l’avait prise. » 

 Ces seigneurs du port, ces saints protecteurs des rivages et des marins dont les coupoles, telle des vigies de mer, jalonnent les rivages, les marins leur rendent hommage à l’ouverture de chaque saison de pêche.histoire,photographie

 Le pont et le village de Diabet

 Et jusqu’à une époque récente, avec procession, étendards et taureau noir en tête, les marins se rendaient à Sidi Mogdoul pour qu’il facilite leur entreprise, comme en témoigne cette vieille légende berbères :« Sidi Mogdoul fixe les limites de l’océan et en chasse les chrétiens. Il secourt quiconque l’invoque. Fût-il dans une chambre de fer aux fermetures d’acier, le saint peut le délivrer. Il délivre le prisonnier entre les mains des chrétiens et le pêcheur qui l’appelle au milieu des flots ; il secourt le voilier si on l’invoque, ô saint va au secours de celui qui t’appelle (fût-il) chrétien ou musulman. SidiMogdoul se tient debout près de celui qui l’appelle. Il chevauche un cheval blanc et voile son visage de rouge. Il secourt l’ami dans le danger, le prend et, sur son cheval, traverse les océans jusqu’à l’île. » 

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   Marée basse exceptionnelle

Et sur ces mêmes rivages, au Sud de cap Sim, les pêcheurs se rendaient en pèlerinage à SidiKawki où les berbères Haha procèdent à la première coupe de cheveux de leurs enfants : « s’ils sont surpris par la tempête, ou si le vent se lève alors qu’ils sont en mer, les marins se recommandent à lui. Avant de s’embarquer pour la pêche, ils fixent la part de Sidi Kawki, dont les vertus sont très renommées. On raconte qu’un individu y avait volé la nuit une bête de somme et bien qu’il eut marché tout le temps, quand le matin se leva, il se retrouva là où il l’avait prise. »histoire,photographie

  Ces seigneurs des ports, ces saints protecteurs des rivages et des marins dont les coupoles, telle des vigies de mer, jalonnent les rivages, les marins leur rendent hommage à l’ouverture de chaque saison de pêche

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Une fois par an, la marée est tellement basse que les chalutiers attendent la motée des eaux à l'entrée du port

 


 

...Et des amandiers en fleurs

 

O fleur, voici l’abeille !

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 Ces fleurs du mont Amsiten, ces arganiers noueux aux fruits dorés  et ces amandiers en fleurs de l'heureuse vallée de Tlit en pays Haha, ont été photographiées  par mon frère Abdelmajid Mana de janvier à février 2010

 Du bord de la rivière d’Assif El Mal, on entend monter le côassement des grenouilles. Mystérieux, le potier-poète chuchote : « La colonie d’abeilles a quitté sa ruche. Peut-être a-t-elle trouvé un verger fleuri ailleurs ? » Ce à quoi son interlocuteur répond énigmatiquement :« Qui peut l’attraper ? C’est dans le ciel que les abeilles se frayent leur chemin ».Les poètes également.L’abeille, symbole récurent de la poésie chleuh, comme le montre ce poème   intitulé  «O fleur, voici l’abeille ! » :

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               A l’herbe des prés le henné a dit :

« A quoi bon désirer de l’eau ? »

O fleur, voici l’abeille !

« Puisque les mouflons viennent te narguer ! »

O fleur, voici l’abeille !histoire,photographie

« Puisque les mouflons viennent te narguer ! »

O fleur, voici l’abeille !

Et le gerfaut en paix qui jouit de sa tranquilité,

O fleur, voici l’abeille !

Et ne craint de personne nulle atteint mortelle,

O fleur, voici l’abeille !

Vois, un instant suffit pour qu’il fuit à tire d’aile,

O fleur, voici l’abeille !

Et pourtant il était naguère tout à l’aise,

O fleur, voici l’abeille !

Amis, que le Seigneur n’accorde nul profit

O fleur, voici l’abeille !

A qui ne saurait faire chère lie !

O fleur, voici l’abeille !

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Seuls sont inébranlables le monde et l’au-delà.

O fleur, voici l’abeille !

Combien instable est la fortune humaine !

O fleur, voici l’abeille !

C’est dans les cieux que le gerfaut déploie ses ailes.

O fleur, voici l’abeille !

Le piège pour le prendre n’est pas encore tendu !

O fleur, voici l’abeille !

A l’herbe du pré le henné a dit :

« A quoi bon désirer de l’eau ? »

O fleur, voici l’abeille !

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Sans abeille pas de fleurs, sans fleurs pas de miel aux vertus curatives. Dans la poésie chleuh, il ne s’agit pas de miel, sensé contenir le remède des plantes médicinales de la haute montagne, mais plutôt de l’abeille qui soigne les blessures de l’âme comme le montre ce refrain repris d’une manière lancinante par la chorale des danseuses à chaque bout de rime scandée par le troubadour :

  

« L’amour est une maladie ! L’amour est une maladie ! »

 

Chants de trouveurs chleuhshistoire,photographie

Poésie traduite du berbère par Abdelkader Mana assisté de Raja Mohamed

CHANT PREMIER

Eloge à mon Rebab du Raïs Aïsar

violoniste noir.jpg
Le violoniste aveugle de Roman Lazarev

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

Le banjo et le luth t’ont privé de ton sel

Ta déchéance retombe finalement sur moi

A force de t’accompagner aux  fêtes champêtres:

Je n’ai pu être parmi les miens ne serais-ce qu’une semaine

Seigneur ! Sauvez la langue tachelhit de son état déplorable !

Où sont passés ceux avec qui, j’ai la parole en partage ?

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

Je suis le parieur qui ne perd jamais

Si le sommeil vient à nous manquer

On peut toujours récupérer

Et si je meurs, c’est cette parole que je vous lègue

Je la transcris dans les livres

S’il y a quelqu’un pour la lire

S’il n’existe pas aujourd’hui

Il existera demain

Celui qui la lira priera pour ma miséricorde

Il saura alors quels effrois m'ont fait périr

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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Seigneur ! Venez au secours de ma pauvre pirogue

Car nous ne saurons nager,

Au milieu de la houle qui s’avance  à vive allure

Et des eaux agitées

Si nos mains et nos pieds en viennent à geler

De quel secours pouvons-nous, nous prévaloir,

Avant que les poissons ne nous dévorent?

Dieu seul voit clairement en ces profondeurs insondables

Mon Dieu venez donc au secours de cet orphelin

Car la mère qui prodiguait consolations n’est plus

C’est désormais à toi seul qu’il s’en remet.

Je te dépose ô Ribab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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 Les biens de ce bas-monde

Je ne les emporterai pas dans ma tombe

Les livres et les érudits nous disent :

Quand le chant n’a plus de sel

Nul chemin ne mène aux biens d’autrui

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux maishistoire,photographie

 

C’est de ce passé où nous avions la parole en partage

Que je te parle

Du temps ou haine et jalousie

N’avez pas encore lieu d’être

Quant au jour d’aujourd’hui

Le monde n’est plus que louvoiement et turpitude

Personne n’aime plus personne

Celui qui a une voiture en veut deux

Et celui qui n’a rien est laissé à sa propre misère

Comment pourrait-il avoir femme et enfant

Celui qui ne possède qu’un pauvre pécule ?

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

La vie chère s'est métamorphosée en faucille qui fauche

N’ayant ni de quoi vendre ni de quoi acheter

Le jour du souk il tremble et se lamente

Mohammad réclame, Kaltoum aussi

Lui veut une djellaba, elle une toge de laine

Pauvre Mohamed qui ne fait que pleurer !

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux maishistoire,photographie

 

Mais voici donc une réjouissante trouvaille

A toutes les portes nous avons frappé

Au point d’en être lassés

En vain avons – nous labouré la terre

Le démunis finira toujours par périr de son indigeance

Or par les temps troublés qui court

Plus nombreux sont les démunis

Plus lourds les quintaux de dette qu'ils portent sur leurs frêles épaules

Plus chère est la vie .

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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Tout le monde se presse au milieu des chemins,

Mais l’au-delà n’est guère lointain

La foule accourt, qui sur un cheval  porté par le vent

Comment le pauvre trottinant peut - il l'atteindre?

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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J’implore le bon Dieu, seul digne de mes suppliques

Celui qui endure  sans gémir mérite nos égards

Celui qui dans l' adversité est encore en mesure de marcher et de parler

Mérite notre considération

Le bon Dieu m' a ravit mon père et ma mère

Moi, il n’y a qu’une souffrance qui me fasse pleurer

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

 

Voilà  un tas de gens qui se liguent tous contre moi à mon insu

A chaque fois que je croise l’un d’entre eux, il me dit :

« Frère ! Vends ta parcelle de terre ; elle ne sert plus à rien ! »

C’est qu’ils ne veulent plus que je sois propriétaire de ma propre terre !

Que je la laboure pour vivre et pour y élever mes enfants!

Ce n’est pas prendre soins de moi qui les pousse à agir ainsi :

La jalousie est leur vrai mobile !

L’un d’entre eux ne cesse de répéter à son fils :

« C'est cette parcelle qui te convient : occupes- toi s'en !

Entoures-là d’enclos d’épines avant que d’autres ne s’en emparent !»

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux maishistoire,photographie

 

 Toutefois, je vais ajouter un mot :

Louange à Dieu seul qui nous a donné tous ces biens

Que peuvent contre nous ceux qui ne nous aiment pas ?

Quand le bon Dieu vous élève, personne ne peut vous rabaisser !

Et quand le bon Dieu  vous rabaisse, personne ne peut vous élever !

Que l’orgueil vous quitte

Car celui qui est orgueilleux, rien ne peut éviter sa perte;

Ni tour fortifiée, ni tout l’argent du monde .

L’être ne peut être châtié que par Dieu ; ses semblables ne peuvent rien contre lui.

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais histoire,photographie

 


 

CHANT DEUXIEME

Ohoy ! Ohoy ! du Raïs Aïsar

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El Atrach

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

Ohoy ! Ohoy !C'est de moi-même que je vous parle

Ohoy ! Ohoy !Ô Vous qui comprenez !

Ohoy ! Ohoy !Pourquoi jeter les mots blessants qui nous séparent ?

Ohoy ! Ohoy !Je ne t'ai pas pourtant dédaigné ni dit de s'éloigner

Ohoy ! Ohoy !Ne t'avais - je pas plutôt invité mille fois à revenir ?

Ohoy ! Ohoy !Mais à chaque  fois ta réponse fut :

Ohoy ! Ohoy !« Je me sens oppressée, tu ne me reverra plus jamais ! »

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !


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El Atrach

Ohoy ! Ohoy !De ne pouvoir se passer de toi, mon cœur se brise

Ohoy ! Ohoy !C'est jusqu'à l'aube que je pleure

Ohoy ! Ohoy !Ne sachant plus où s'en aller

Ohoy ! Ohoy !Au point d'en perdre raison

Ohoy ! Ohoy !Demandant à quiconque je rencontre

Ohoy ! Ohoy !S'il ne t'avais pas vu par hasard ?

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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Mohamed Tabal

Ohoy ! Ohoy !Celui pour qui je pleure

Ohoy ! Ohoy !Est la cause de mes malheurs

Ohoy ! Ohoy !C'est jusqu'à l'aube que je pleure

Ohoy ! Ohoy !Ta séparation désolante

Ohoy ! Ohoy !Je ne t'ai pourtant jamais trahi

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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Ounagha d'El Atrach

Ohoy ! Ohoy !Que celui pour qui l'amour n'est pas trahison

Ohoy ! Ohoy !En soit possédé, décharné, désossé !

Ohoy ! Ohoy !Si vous saviez avec quelle patience

Ohoy ! Ohoy !J'ai supporté tout ce qui m'arrive !

Ohoy ! Ohoy !Quand je m'endorme Satan me dit :

Ohoy ! Ohoy !« Regarde, elle est là ta bien aimée ! »

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

Ohoy ! Ohoy !Je quittais mon gîte nu de toute couverture

Ohoy ! Ohoy !Et je m'en allais errant aux lieux inhabités

Ohoy ! Ohoy !Au point d'en perdre la boussole

Ohoy ! Ohoy !Demandant à quiconque que je rencontrais

Ohoy ! Ohoy !S'il n'aurait pas vu mon bien aimé

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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Satan d'Ali Maïmoune

Ohoy ! Ohoy !Pourquoi souhaiter ma souffrance ?

Ohoy ! Ohoy !Pourquoi souhaiter notre séparation ?

Ohoy ! Ohoy !Ce que j'ai ouïe dire en ces temps - ci !

Ohoy ! Ohoy !Ce que j'ai vu de mes propres yeux en ces temps - ci !

Ohoy ! Ohoy !Mais que faire de l'amour, s'il n'est qu'humiliation ?

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !


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Les larmes de Tabal

Ohoy ! Ohoy !S'il a fallu que tu m'abandonne

Ohoy ! Ohoy !J'errerai toujours sur tes traces

Ohoy ! Ohoy !Si tu es prête à me croire

Ohoy ! Ohoy !Je te prêterais serment par Allah

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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Couleurs négro-berbères de Tabal

Ohoy ! Ohoy !Je me consume de ton amour

Ohoy ! Ohoy !Comme si je me suis jeté au brasier

Ohoy ! Ohoy !Je m'effiloche de ton absence

Ohoy ! Ohoy !Je me noie dans tes larmes jusqu'à l'aube

Ohoy ! Ohoy !Pourrais-tu enfin me dire ce qui m'arrive ?

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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La pomme qui a sorti Eve du paradis de Tabal

Ohoy ! Ohoy !C'est en toi que j'ai labouré mes suppliques

Ohoy ! Ohoy !Sans jamais en récolter le fruit d'amour

Ohoy ! Ohoy !Dis-moi donc au nom de Dieu

Ohoy ! Ohoy !Si jamais je te suis indigne

Ohoy ! Ohoy !Pour qu'enfin je disparaîsse!

Ohoy ! Ohoy !Les gens disent que la branche que tu méprise

Ohoy ! Ohoy !Est celle-là même qui te crèvera les yeux !

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Mohamed Tabal
     Essaouira est bien la ville des gnaoua. Cette culture Africaine est partout dans la médina à l’état diffus ; elle fait partie de l’imaginaire collectif, à tel point qu’il existe plusieurs artistes pour qui la culture des gnaoua constitue une référence essentielle. Parmi les révélations  de la nouvelle génération de peintres à Essaouira il y a un gnaoui au nom prédestiné de Tabal (tambour) qui exprime dans ses toiles les notes de la nuit et la transe des fonds des âges. Il reourt à la médiation incantatoire et graphique et peint avec les sept couleurs des esprits possesseurs.
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Pour l'avoir eu sous les yeux depuis toujours; je connais cet arganier et je crois bien qu'il me connait: c'est mon arganier fétiche

Sociétés sans horloge

Abdelkader MANA

livre

Moula Dourein; Jacques Majorelle vers 1938

 

 

 Dans la circonférence d’un cercle,le commencement et la fin se confondent.Héraclite

Il faut considérer comme un propos épistémologique important,cette réflexion que m’a faite un pèlerin : « Ne te limite pas à étudierles marabouts, leurs origines,leur    histoire, regarde, l’essentiel est ailleurs ! »

 Le Daour, rite agraire accompli en vue d’obtenir une grande abondance de produits est aussi accompagné de vastes échanges intertribaux.La Kula qui se déroule dans le pacifique occidental est également une forme d’échange intertribal de grande envergure. Malinowski l’a étudié en particulier chez les Trobriandais. Les Regraga comme les Trobriands organisent un vaste circuit qui n’est au fond qu’un « potlatch intertribal », mi-cérémonial, mi-commercial. Ces deux institutions – le Daour et la Kula – se développent sur un fond de mythes et de rites magiques et unifient symboliquement une vaste étendue géographique.

C’est le rituel magique qui rend possible la synchronisation spatio-temporelle de ces vastes échanges intertribaux, comme le note Malinowski :

« La magie procure une sorte de guide tutélaire naturel en introduisant ordre et méthode dans les diverses activités. Elle contribue avec le cérémonial qui en est inséparable, à assurer le concours de tous les membres de la communauté et régler le travail d’équipe ».

Le temps n’est pas quelconque, il est agraire. Ce n’est pas le temps industriel quantifié par des « horloges » mais celui d’un calendrier solaire pour les Regraga, lunaire pour les Trobriandais. L’auteur qui a participé au Daour, en 1984, compare ici cette institution à la Kula étudiée par Malinowski au début du XXesiècle.

livre

Moula Dourein, "fête de la mer" par Jacques Majorelle 1940

 LA PÉRIODICITÉ DU DAOUR

 Au sommet de la montagne nos regards embrassent le ruban côtier, cet immense miroir plein de fraîcheur océanique. Papillons gris-jaunes, senteur de thuya et de thym, répliques multimélodiques d’oiseaux invisibles, tout contribue à rafraîchir la montagne et à nous mettre à la portée de cet enchantement sans nom qu’est la poésie. N’est-il pas vrai que la poésie est la source de toute quête sacrée ? Sans la flamme de la poésie, tout rituel est une coquille vide, une quête sans objet.

« Les onze mois de péchés sont purifiés par le mois du daour », affirme un fellah-théologien.

Le feu du soleil nous communique son ardeur. L’espace mythique parcouru à pied et à dos-d’âne est intensément vécu, arpent par arpent, jusqu’à l’épuisement du corps. La vitesse des villes engendre le stress, le déhanchement des chameaux nomme chaque arbre et chaque pierre.

Tout seul, j’aurais vite abandonné, mais entraîné par l’endurance des pèlerins-tourneurs, j’apprends dans le sillage des chameaux, ce que signifie aller au-delà des limites assignées par la vie sédentaire.

La sédentarité engourdit les os et sclérose l’esprit. Je jalouse ces nomades qui ont l’âge de la vieillesse et l’agilité des chèvres. Ce n’est pas seulement le temps qui produit la vieillesse, mais aussi la vie urbaine.

 LA SACRALITÉ DE L’ESPACE

livre

Vue actuelle de Moulay Bouzerktoun dit "Moula Dourein"(le marabout à deux tours)

 Le voyageur qui traverse la route qui relie Essaouira à Casablanca a essentiellement une perception verticale des plaines côtières dans le sens sud/nord. Les fellahs en ont une parception horizontale dans le sens est/ouest. Cette perception est imposée d’abord par le mouvement du soleil. Elle est ensuite imposée par la position centrale du Djebel Hadid, montagne sacrée et centre de rayonnement des Regraga qui coupe le territoire des Chiadma en deux parties :

À l’ouest le « Sahel » ce ruban côtier qui n’est qu’un « immense miroir », à l’est le territoire qu’on appelle la Kabla parce qu’il est orienté vers La Mecque.

Par rapport à cette disposition géographique, la répartition symétrique des sept saints Regraga est remarquable :

Au sommet de la montagne leur Sultan Sidi Ouasmine ; trois saints au sahel d’une part, trois à la Kabla, de l’autre. La baraka des Regraga diminue par transition graduelle en allant de l’ouest vers l’est, de l’univers linguistique et culturel arabophone à l’univers linguistique et culturel chleuh : chez les Oulad El Hâjj on offre un chameau, chez les Mtouga on offre un œuf. Comme par ailleurs, la côte est plus humide que le continent, on interprète l’aridité du territoire est comme la preuve de l’action négative des Regraga sur les tribus à offrandes parcimonieuses et la fécondité du territoire ouest aux offrandes généreuses, comme la preuve de leur action positive. Au pays des Regraga, les ruches sont toujours pleines de miel, les sources ne tarissent jamais et les grains sont vannés chaque année.

livre

Moussem à Mogador, Jacques Majorelle 

 LA SAFIA ET LE DAOUR

 La route est déserte, le temps magnifique. Des tracteurs transportent pêle-mêle fellah, femmes et moutons. On discute des futures moissons et des dernières pluies. Nous longeons la rive sud de l’oued Tensift. Une fraîcheur marine nous vient de l’océan. Au milieu de la simplicité paysanne, une vive sensation de liberté m’envahit. La nature d’une beauté fragile, éternelle, irréelle. Ânes, mulets, carrioles s’engagent à la queue leu – leu dans une allée ombragée d’eucalyptus qui débouche sur le daour. Terme à la fois ambivalent et à double sens :

On l’utilise tantôt pour chacune des étapes qui se déroule autour du patron de chacune des tribus Chiadma. C’est une succession de moussems printaniers. La plaine se constelle de tentes qui semblent sortir du néant ; les bouchers se mettent avec les bouchers et les vendeurs de légumes avec les vendeurs de légumes. Des flots d’hommes envahissent la nouvelle étape. Et voilà qu’en peu de temps  ô prodige !  le plat pays prend sous nos yeux l’aspect et l’ordonnance d’un souk.

À la veille de la fête religieuse animée par les Regraga, on institue, pour préparer cette fête, les offrandes et l’accueil des invités, un marché de bétail et autres produits nécessaires : la Safia. Il y a complémentarité de la Safia et du Daour. Chacun est nécessaire à l’autre comme chez les Argonautes du Pacifique occidental décrits par Malinowski qui eux aussi « tournent» entre leurs îles pour échanger des colliers et des coquillages et qui, dans le même mouvement de Kula, intensifient les échanges commerciaux.

livre

Moussem dans les Chiadma au printemps,Jacques Majorelle

 LA SACRALITÉ DU TEMPS : LES MANAZIL

  Les fellahs ont une autre perception du temps qui n’est pas celle des nouvelles lunes, qui permet de fixer les étapes du pèlerinage dans l’orthodoxie, mais du cycle solaire subdivisé en Manazil. Ce sont des étapes dans le temps comme l’indique Ibn Arif :

« Les vertus qui s’avancent dans la voie mystique, pour arriver à la connaissance parfaite, à la gnose qui couronne l’union divine, sont des Manazil ».

Il existe 27 Manazil qui scandent l’année julienne tous les 13 jours : chaque Manzla se caractérise par des particularités météorologiques, qui ont un impact direct, soit négatif, soit positif sur la faune, la flore et les activités agricoles. On évite d’entreprendre les activités agricoles dans une Manzla de mauvais augure et on les fait toujours coïncider avec une Manzla de bon augure.

Chaque année le pèlerinage circulaire des Regraga coïncide avec l’équinoxe du printemps sauf pour l’année bissextile où ventôse empiète sur le jeudi de l’équinoxe. Alors, on reporte le départ au jeudi suivant pour éviter la coïncidence avec les jours stérilisants d’Al Houssoum .

Les derniers jours de cette Manzla de mauvais augure sont marqués par l’apparition des cigognes et des aigles. La clé du périple a toujours lieu un jeudi parce que le mercredi est constamment funeste : ce jour-là Dieu noya Pharaon, ce jour-là, il extermina les peuplades de Aâd et de Thamoud. Par contre le jeudi est propice à la bonne expédition des affaires : c’est le jour où Abderrahman réussit à soustraire Sarah à la convoitise du Roi d’Égypte.

 La fiancée de l’eau portée sur sa jument blanche est du clan de l’ouest.

Chez les Regraga, au sommet de la montagne de fer, on découvre des monuments mégalithiques qu’on appelle également « la fiancée nue » (Laroussa makchoufa). Comme tout monument mégalithique de forme phallique, la fiancée de l’eau est liée au concept de terre nourricière. Enfin on appelle Laroussa une poupée de fleurs des champs que les femmes promènent pour implorer la pluie. C’est la fiancée du champ.

 La khaïma (tente rouge tressée de palmier nain) est l’emblème de la partie est. Elle part, de la zaouïa de Ben Hmida, le 27 mars, transportée sur un chameau. Ce jour-là, il y a rencontre et fécondation symbolique entre la fiancée de l’eau et les gens de la caverne, au bord de l’oued Tensift. Cette rencontre est sous le signe de la fécondation mutuelle, puis qu’elle coïncide avec une Manzla où l’on évite d’entrer dans les céréales, de sarcler ou d’arroser, parce qu’à ce moment les arbres, les plantes, et les pierres même se marient.

La khaïma préfigure la caverne des Sept Dormants mais aussi la voûte céleste. L’étai de la khaïma est l’axe du monde. On dit des sept saints qu’ils sont les Aoutades (étais) de la foi musulmane. La khaïma est porteuse des sept saints dont les âmes se libèrent avec la mue du printemps. C’est pourquoi ils doivent être apaisés par des sacrifices et des offrandes. Portée par un chameau, elle est suivie par les moqadem des Regraga, et par les tolba (lecteurs du Coran qui donnent une note d’orthodoxie au rite agraire). La suivent également les tiach (ou novices) pour leur initiation. Un raoui (conteur) est là pour bénir les fidèles par son talent d’orateur. Un homme-médecine aux traits étranges et agiles, malgré son âge avancé, offre ses services chaque fois que quelqu’un tombe malade. Un porteur d’eau vend aux pèlerins de petits bouts de khaïma de l’année précédente : chaque année, on doit tresser une nouvelle khaïma et acheter un nouveau chameau. Un dellâl (crieur public) est là pour vendre au prix de la baraka le bétail reçu en offrande.

La khaïma de l’est est rouge. Laroussa de l’ouest est blanche. Ce sont les deux grands symboles sacrés du périple. La jument et le chameau sont opposés dans le daour mais complémentaires dans le labour : on dit qu’ils forment le meilleur attelage du printemps. Ils sont aussi dans leur opposition et complémentarité l’attelage fantastique du Daour.

Laroussa arrose et la khaïma féconde. Larossa intervient contre la sécheresse et la khaïma contre la stérilité : c’est l’opposition entre la fiancée de l’eau et la grotte des sept Dormants dont le réveil féconde le printemps. Laroussa est en effet du côté de l’eau, au bord de l’océan, entre la source de pierre et la rivière verte. Elle symbolise le fayd qui est à la fois débordement de l’eau et débordement de la baraka.

 La khaïma dans les terres intérieures est le symbole itinérant de la grotte d’Éphèse où sept adolescents monothéistes s’éveillent : l’effet fécondateur de la khaïma est symbolisé par le tamarsit (caprification) que dispense le cortège des daouri (pèlerins-tourneurs), lorsqu’il se répand dans la campagne.

Le tamarsit ici, c’est le souffle de la baraka qui est à la fois énergie matérielle et spirituelle. Mais elle est aussi et en même temps lumière prophétique.

Le daour est donc un grand rite fécondateur ; j’ai découvert cette finalité en y participant : « les Regraga, me dit-on, sont le tamarsit du bled ».

Comme j’ai demandé ce qu’on entendait par là, on me répondit :

« Enfile des figues mûres aux branches du figuier stérile ; les insectes qui en sortent rendront l’arbre fécond. Sans ce tamarsit, ces fruits tomberaient avant d’être mûrs. L’endroit où les Regraga passent est fécond, l’endroit où ils ne passent pas est stérile ».

 LA CAPRIFICATION DU TEMPS COSMIQUE

livre

Crepuscule à Moula Dourein, Jacques Majorelle

 La caprification (ou tamarsit) n’est pas réelle, mais symbolique. Le pèlerinage, en tant que déplacement, est en relation analogique – la magie est fondée sur des analogies – avec les insectes caprificateurs : de même que l’insecte par son déplacement transporte le pollen nécessaire à la fécondation d’une fleur qui, fixée sur sa branche resterait stérile dans son immobilité, de même les nomades regraga fécondent les sédentaires chiadma. La caprification magique (tamarsit) en tant que concept général de la magie agraire, implique que l’élément fixe reste stérile aussi longtemps que ne vient pas du dehors la fécondation.

Nous rencontrons chez les Regraga l’idée que les plantes croissent dans le ventre de la terre, ni plus ni moins que les embryons. Les Regraga interviennent dans le déroulement de l’embryologie souterraine : ils précipitent le rythme de croissance des plantes, ils collaborent à l’œuvre de la nature, l’aidant à « accoucher plus vite ». Bref, par leur rituel ; ils remplacent l’œuvre du temps.

LES RAPPORTS SOCIAUX DE PROTECTION

livre

Marchand de soupe à Moula Dourein, Jacques Majorelle, vers 1950

Au milieu du souk, on a planté la tente sacrée (la khaïma). Des femmes offrent leur ziara aux moqadem (chefs de zaouïas) assis en demi-lune autour de l’étai de la tente sacrée. Non loin de là, des tentes en toile blanche sont disposées en rectangle de manière à former une grande place. Ce sont les tentes de l’une des tribus des Chiadma ; celle des Oulad-el-Hâjj dont c’est le tour aujourd’hui de présenter les offrandes. Ils se considèrent comme serviteurs surnaturels (khoddam) des Regraga.

Chaque fraction de tribu rivalise avec l’autre pour faire prévaloir le prestige de son nom en préparant les meilleures offrandes. Tous les plats de couscous se ressemblent sauf la gasaâ des Regraga qui se distingue par son ornementation en forme d’étoile et d’arc-en-ciel dessinée avec des fruits secs et du beurre.

L’ensemble des plats présentés sur la place sacrée, au moment où le soleil est à son zénith, symbolise le jardin de la tribu que les Regraga bénissent par des vœux qui sont généralement exaucés durant l’année agricole en cours. Ils bénissent par des fatha et maudissent par des daoua ; ils maudissent la sauterelle qui monte du désert, le sanglier qui s’attaque au maïs et le moineau qui s’enivre de raisins et de figues.

Un public admiratif se presse autour du jardin symbolique de la tribu, le chef leur crie :

« Ô tribu ! Éloigne-toi ! Laisse briller la fortune ! »

Avec un sourire exquis, un vieillard lui répond en jetant un coup d’œil aux plats multicolores :

« Nous n’avons rien à faire des choses amères ; que Dieu nous donne ce que rapporte l’abeille à sa ruche ! »

Le moqaddem des Mzilate (les maîtres de forges) circule entre les offrandes, la tête grosse et ronde, le regard passionné, la barbe régulière et la voix forte d’un homme qui mange bien, respire bien et a quatre femmes.

« La sécheresse a quitté les Regraga, ô tribu des Oulad El Hâjj qu’Allah fasse de vous ce qu’il a fait de l’ange Gabriel le jour du vendredi ! Que les billets de cent dirhams accueillent le commerçant dès l’ouverture de sa boutique ! Les absents sont parmi nous ! Ceux qui ont ajouté un plat cette année, nous voulons que la fortune ne les quitte jamais ! »

Les zaouïas regraga sont en quelque sorte, les intercesseurs de la baraka saisonnière et cosmique. Ce qui justifie et explique l’existence de rapports sociaux de protection entre les tribus-zaouïas des Regraga et les tribus-khoddam des Chiadma. On a donc ici une structure de rapports, qui séparent et même temps met en relation deux groupes :

- Le groupe dit Regraga (treize zaouïas).

- Le groupe des Chiadma (quatorze tribus) qui verse au premier un tribut selon un système connu d’achat de la baraka.

 Il y a des serviteurs uniquement pour la mouna (provision), d’autres uniquement pour la mbata (hébergement), d’autres uniquement pour le jelb (tribut sur l’élevage). Comme la baraka des sept saints regraga se transmet génétiquement à leurs descendants, le fait de « servir » chez les Chiadma est également transmissible, d’une génération à l’autre : chaque groupe de « serviteurs » (khoddam) sait exactement à quelle étape et à quel jour il doit présenter ses offrandes.

Sur le chemin des sept saints, que le rituel mime, on ne peut passer qu’une seule fois par le même endroit et au moment prescrit par la tradition : un jour avant, les offrandes ne sont pas prêtes, un jour après, les zaouïas ne sont plus accompagnées par les esprits de la baraka. Chaque année, à la même heure, au même jour et à la même étape, les Regraga bénéficient de la même hospitalité et ce, depuis des siècles !

Les Regraga sont les seigneurs, les Chiadma sont leurs serviteurs (khoddam) ; ils leur apportent leurs offrandes et leurs plats fleuris. Mais les seigneurs sont aussi les mendiants de la ziara et ils ne pourraient continuer leur périple sans le secours des « provisions » qu’on leur apporte (mouna).

Hegel a décrit dans sa  Phénoménologie de l’Esprit, ce retournement par lequel le maître devient l’esclave de son esclave. Au retour de la guerre où il fut actif et conquérant, comme les moujahidine des Regraga qui ont soumis les Chiadma par le glaive, le maître s’est installé dans le faste immobile et il a maintenant besoin de l’esclave à chaque instant de la vie quotidienne. En préparant la nourriture, en travaillant pour son maître, l’esclave est devenu le maître du maître. Ce mouvement dialectique qui unit les contraires dans des renversements successifs, qui fait et défait les oppositions, c’est le mouvement d’une histoire ouverte.

Les offrandes sont toujours distribuées lorsque le soleil est à son zénith et la distance entre deux étapes est parcourue entre deux prières (celle du Dohr et celle du crépuscule). La durée de séjour à chaque étape dépend de son importance économique ; d’une nuit à trois. Il y a aussi les simples escales. C’est pourquoi, il ne faut pas confondre une mbata, ni avec une nzala, ni avec une mzara :

La nzala est le relais caravanier d’où est sorti un soir un gros oiseau qui renversa un bédouin distrait par les flammes.

La mzara est une escale maraboutique, un cénotaphe où s’arrête la fiancée rituelle.

La mbata est le gîte des hôtes d’Allah où l’habitant vous assure une fête avec des chikhate, le temps d’une nuit, avant d’aller plus loin.

Après la distribution des ziara, les lieux se vident. Comme par enchantement l’agglomération ambulante ne laisse derrière elle que le sable et le vent. Longeant l’oued Tensift, on se dirige vers la côte à travers le petit-bois d’eucalyptus et de mimosas ; dans la lumière tamisée par les feuillages, la fiancée fait son apparition sur sa jument blanche. Son muletier qui fait figure de Sancho Pança sur son âne me dit : « La fiancée perpétue la tradition du sultan des Regraga qui chevauchait également une jument blanche ».

Dans ma mémoire erre la citation du  Miroir des limbes de Malraux :

« Et pour le supplice, Brunehaut fut attachée à la queue du cheval, par ses cheveux blancs ».

De loin, on entend les baroudeurs inaugurer la nouvelle étape comme pour signifier que c’est d’abord en guerriers que les Regraga ont rendu visite à chaque tribu. Nous quittons « cette forêt mahométane » où Jean Genet voyait « des Bouddhas debout ». Le chameau qui porte les norias de bois nous dépasse ; le jeune chamelier écoute sur cassette une aïta des tribus côtières :

« Allons voir la mer

Restons face aux vagues jusqu’au vertige ».

L’HORLOGE COSMIQUE

 Dans le sillage de leur trajectoire, les Regraga dessinent sur l’espace géographique des Chiadma deux énormes roues :

La première roue se déroule dans le Sahel, la seconde roue se déroule dans la Kabla et suit le mouvement inverse. Il est remarquable de constater qu’il y a symétrie non seulement spatiale et symbolique mais aussi temporelle : chacun des deux périples se déroule en 22 étapes et 19 jours ; la mi-temps au sommet de la montagne de fer est fêtée par une transe rurale animée par les patrons de la pluie.

Le double mouvement de ce périple à deux roues rappelle étrangement la danse effectuée par les abbeilles lorsqu’elles veulent indiquer l’emplacement du butin par rapport à la position du soleil. Les Regraga utilisent d’ailleurs eux-même cette analogie pour décrire leur baraka et justifier le tribut qu’ils prélèvent lors de leur quête circulaire :« Les Regraga sont une colonie d’abeilles, les ziara sont leur nectar et les tribus Chiadma leur jardin. Ils partagent à parts égales et dorment dans la même ruche ».

La roue du daour elle-même est en relation analogique avec la fécondation comme le note Mircea Éliade :« La roue sexuelle et la roue du temps renvoient aux symboles et à l’initiation érotique et saisonnière ; le sexe collectif est un moment essentiel de l’horloge cosmique ».

J’entends les voix des figures colossales d’Eléphanta :« Et toutes les créatures sont en moi comme dans un grand vent sans cesse en mouvement dans l’espace ».

Errance, errance pour la renaissance du printemps qui n’est pas une saison allant de soi, il faut le faire « revenir » par un rituel  ici le daour  si on ne veut pas que la sécheresse et la saison morte se perpétuent. Car « si les hommes meurent c’est parce qu’ils ne sont pas capables de joindre le commencement à la fin » nous dit le mythe orphique.

Le re-tour magique contraint l’irréversibilité du temps qui conduit à la vieillesse et à la mort. Comme me disait le porteur d’eau :« Dans la vie, il faut se méfier de trois choses : l’Exil, le Chameau et le Temps ». Mais de tous les trois le plus fort est effectivement le temps.

 LE TEMPS MYTHIQUE : L’IFRIQUIYA

 

histoire,photographie
Sidi Bouzerktoun par lequel les Regraga repassent deux fois(d'où son surnom de Moula daourein: le marabout à deux tours).
histoire,photographie

Sidi Bouzertoun, le marabout de la mer. Roman LAZAREV 

 Il y a deux temporalités qui se superposent : le temps rituel et le temps mythique. Le temps rituel du daour contribue à la renaissance de la nature et dans le même mouvement, le temps mythique mime les gestes et les paroles des morts, pour retrouver l’âge d’or où les saints pouvaient faire jaillir l’eau, lutter contre la sauterelle et la rage, rajeunir le vieux et rendre mûr le novice… En ce sens, le Daour est une caprification du temps cosmique.

Dans cette énorme roue qu’est le temps, les vies humaines ne constituent que des jalons qui se succèdent de génération en génération. Jusqu’à l’horizon des siècles qui se perdent. Les Regraga s’obstinent à tourner autour du printemps : on a du mal à percevoir chez eux, le temps qui passe, les hommes qui s’en vont dans le silence.Il y a donc plusieurs « revenir » : celui des saisons, celui du rituel, celui du mythe et celui des revenants Comme le note le romancier marocain Abdelkebir Khatibi :

« La tradition est le revenir de ce qui est oublié. Ce revenir doit être retenu et questionné pour qu’il nous indique le chemin des morts qui parlent. Que dit la tradition – toute la tradition ? Elle dit le séjour du divin dans le cœur et la raison des hommes. Ce séjour, la métaphysique l’a recueilli dès l’éveil de la pensée. La métaphysique est en quelque sorte, le ciel spirituel de la tradition ».

 La plupart des membres des zaouïas regraga ont en leur possession, telle une carte d’identité, un manuscrit intitulé l’Ifriquiya, l’ancien nom du Maghreb tunisien d’où ont déferlé les Béni Hilal et les Béni Maâqil venus d’Orient arabe.Le périple perpétue la tradition des moines-guerriers qui faisaient chaque année le tour des tribus païennes pour s’assurer qu’elles n’avaient pas apostasié. Ils étaient arrivés, dit-on, en répétant :« Le paradis est à l’ombre des glaives ! » et les rameaux d’olivier et de rtem (genêt) avec lesquels on flagelle les pèlerins symbolisent les épées par lesquelles les tribus ont été soumises. Cependant certains autochtones considèrent que leurs ancêtres ont été soumis non pas par des épées mais par des Fatha (bénédictions). Et les sept premiers saints n’étaient rien de plus que des moines qui jeûnaient le jour et priaient la nuit en se contentant de peu.L’espace, ce sont les Chiadma, mais le temps ce sont les siècles : on peut parcourir l’espace des Chiadma mais pas le temps des Regraga. C’est ce qu’a voulu dire un jour un fellah théologien en me montrant des lambeaux de l’Ifriquiya :« Pour déchiffrer l’Ifriquiya, il te faut cinq jours d’écriture et deux heures de litanie coranique, pas une minute de moins ! »

Quelle parole prémonitoire ! J’ai passé plusieurs nuits à tenter de raccorder l’horloge mythologique avec l’horloge rituelle : en vain ! Il faudrait être un chameau pour écrire sur ce cercle magique qu’est le daour ; ruminer ce rêve rural, égrener les étapes de l’immense chapelet qui traverse les tribus et leur printemps.

 Le théologien-fellah voulait dire probablement que le récit de l’Ifriquiya transcende le temps vécu du rituel tout en lui donnant sens : sans temps mythique, point de temps rituel. Les zaouïas Regraga sont des tribus comme les autres mais inscrites dans l’espace agraire en tant que chefferie religieuses grâce, entre autres, au corpus mythique de l’Ifriquiya qui fait que les morts imprègnent les pratiques sociales et rituelles des vivants. Sans lumière prophétique, point de caprification cosmique. Le mythe n’est pas rien : il rend possible le rite. Les paroles et les gestes actuelles commémorent des paroles et des gestes immémoriales : le présent s’effondre dans le passé et le passé submerge le présent.Finalement, ce sont les fruits et les activités de la terre qui permettent de synchroniser les travaux des saisons et des jours. Chez les Regraga une paysanne me dit un jour :

« Revenez nous voir au temps des raisins et des figues ! »

Cette horloge végétale a été également signalée par Malinowski :Pour fixer un rendez-vous, le chef d’une île trobriandaise, offre un cocotier couvert de bourgeons avec ce message :

« Lorsque ces feuilles se développeront, nous ferons un sagali (distribution) ».

Ces cycles végétaux sont liés au retour régulier des planètes et des saisons. D’où cette conception circulaire du temps, revenant périodiquement à ses origines, fêté par des rites également périodiques et circulaires aussi bien chez les Regraga que chez les Trobriandai. Mais déjà le centre solaire doré du mythe dérive avec ses pieds calleux et ses haillons dans la linéarité irréversible de l’histoire.Abdelkader MANA (article paru au N°4 de "Signe du Présent" 1988

 Jean François Clément qu'il en soit remercié  a eut l’amabilité de nous confier ces photos de toiles réalisées par Jacques Majorelle après son excursion de 1924 avec son cousin Henri Routhier à Moul Doureïn et dans les Chiadma. Majorelle a réalisé alors des photographies qu'il a utilisées jusque dans les années 1950. On a ainsi une collection étonnante d'oeuvres d'art sur cet événement du daour  La représentation picturale de ce rite religieux est d'une richesse étonnante.. 

 

Les étapes de Moula Dourein et Diabet

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L'arrivée des Regraga à Essaouira

La ville d’Essaouira bâtie entre l’eau et le sable en 1764 est plus récente que le village de Diabet situé au Sud, puisque vers 1630 Rasilly écrit à Richelieu pour lui signaler la baie de Mogador et lui conseiller de commercer avec les gens de Diabet. Par conséquent, Sidi Mogdoul (le Regragui)était le saint patron de Diabet avant de devenir celui d’Essaouira.Ce pèlerinage est probablement d’origine médiévale – du début de l’islamisation ou même avant – on peut donc supposer que dans la tradition, les étapes de Moula Dourein et Diabet en constituent la forme originelle. La halte que font les Regraga à Essaouira est intéressante mais elle n’est pas enracinée dans le vieux parcours agraire du daour.D’où le caractère récréatif et récent de l’escale où l’on n’offre pas de présents contrairement à ce qui se fait à Diabet, le vieux village de Sidi Mogdoul.

 La légende raconte à son propos : « Les Regraga s’étaient réunis à Bhay-Bah, là où il n’y a que du sable et de l’eau. Les saints guérisseurs étaient sur leurs chevaux et faisaient assaut de leurs prouesses miraculeuses. En ce temps-là, il y avait grand nombre de paralytiques et d’aveugles. Moula Dourein mit son cheval au galop et leur cria : « Ecartez-vous paralytiques ! Ecartez-vous aveugles ! » Sur le champ, les paralytiques retrouvèrent l’usage de leurs jambes et les aveugles virent tomber les écailles de leurs yeux. « Puisque tu as fait preuve de ton pouvoir, conclurent les Regraga, tu auras deux daours. » C’est pourquoi, on passe deux fois par son sanctuaire ; en allant à Essaouira et en revenant. Il n’a pas seulement deux daours mais aussi une bilocation : après sa mort une guerre des reliques éclata entre tribus arabes et tribus berbères. Par la divination du sommeil, il les départagea, en offrant ses reliques aux berbères et sa dépouille aux arabes qui lui édifièrent une coupole dorée au bord de l’océan. Il est le patron des marins puisqu’il rend la mer poissonneuse. Un vieux chant décrit l’étape entre Moula Dourein et Essaouira : « Brûlant de désir, vers le soleil je me dirige Puis au bord de l’océan Moula Dourein C’est une étape de trois jours. La tente sacrée reçoit les offrandes des pèlerins A l’aube les esprits s’éclairent, Ecoutons le chuchotement des vagues Belle musique, bel étendard Vers Sidi Mogdoul, je me dirige Grande est la joie d’Essaouira ; Belles filles, vénérables vieillards, Tous s’empressent au milieu des chemins... » En effet, une immense foule accueille les Regraga au quartier des Jérifates vers 10 heures du matin. Des parcs forains et des halka animent la ville ; la « fiancée » est reçue par le gouverneur et les dignitaires d’Essaouira au milieu des rythmes des Gnaoua et des Hamadcha.

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 Le printemps des Regraga à Diabet

Dans une qasida du genre Malhûne Mohamed Ben Sghir décrit ainsi l’arrivée de la procession des Regraga à Essaouira :

Nous nous empressons par petits groupes à accueillir les Regraga

Leur procession printanière arrive déjà à Essaouira

Les larmes de joie scintillent les regards,

Une nouvelle aube éblouissante traverse de part en part.les horizons

Vois scintiller  au firmament,le divin soleil

Il a jeté son filet de lumière sur chaque pétale de fleur

Vois perler à l'ombre, la rosée sur chaque fleur et chaque feuillage

Vois la nature se pavanant, saupoudrée d'or

De perles de diamants, d'émeraude et d'or

On dirait des guirlandes suspendues aux feuillages des arbres

La danse colorée, équarquille les regards

La danse colorée chavire la raison de stupéfactions

Feuillage doré, perlé des dernières gouttelettes de pluie

Qui aurait vu ainsi le soleil mêlé de pluie au milieu des jardins en fleurs

En averse comme en éclaircie, l'eau transparente illumine l'univers

Le revoilà le beau seigneur sur sa jument blanche,

Jetant sur la ville,du haut du promontoire d'Azelf ,son regard  et ses prières

Parmi tant de récitants du dhikr et de danseurs de l'extase

C'est sur moi qu'il a jeté finalement son dévolu

Il m'a pris sur sa monture et ensemble

Nous frayâmes la foule des pèlerins tourneurs du printemps

De sa propre main, il m'accorda offrande de dattes et de lait

Il m'asseya sur son tapis de prière et me recouvrit de son haïk de lumière.

Cependant qu'autour de nous les gens ne cessent de tomber en transe

Cependant que je ne cesse de sangloter d'extase, de regret et de repentir

Voici que se dissipe l'ondée dont s'abreuvent d'innombrables créatures

Voici l'éclaircie du soleil jaunissant qui a du mal à nous quitter

Mon compagnon me dit :

« Pauvre astre, qui   nous adresse ses adieux, par sa chevelure dorée

Ses amours sont pure perte, en ceux qui ne les méritent pas. »

La terre est maintenant une trame de couleurs étonnantes

Eblouissement des sens où errent  les poètes

Comment l'eau incolore donne -t- elle  des fleurs multicolores ?

Le bleu, le blanc, le jaune, le rouge et tant d'autres  indicibles colorations

L'eau incolore, donne pourtant des fleurs de toues les couleurs :

Comment reverdit - elle les plantations ?

Comment alourdit - t - elle de fruits les branchages ?

De grappes d'abricots  et de raisins gorgées d'eau,

De poires et de pommes déjà mûres,

De  grenades perlées, de juteuses  oranges...

Peut-on me dire d'où viennent tous ces éblouissants fruits de la terre ?

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Le revoilà le beau seigneur sur sa jument blanche!  R.Lazarev

 

 

Les Regraga vingt ans après...




Par Abdelkader Mana


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Dans son « Mounqîd min adhalâl », Al Ghazâlî déclarait : « En tout temps il existe des hommes qui tendent à Dieu, et que Dieu n’en sèvrera pas le monde, car ils sont les piquets de la tente terrestre ; car c’est leur bénédiction qui attire la miséricorde divine sur les peuples de la terre. Et le Prophète l’a dit : c’est grâce à eux qu’il pleut, grâce à eux que l’on récolte, eux, les saints, dont ont été les Sept Dormants ».

Une fois à Had Dra, en pays chiadmî, je décide de me rendre à pied, à Akermoud qui se trouve à 30 kilomètres de là. Une piste mène au figuier sacré qui se trouve à moins de deux kilomètres à gauche, en allant vers Akermoud. Au douar dénommé Tiguemmi- Jou , l’épicier du coin m’offre du petit-lait pour me désaltérer. Je lui fais remarquer que son village porte un nom berbère, en plein pays arabophone chiadmî.

- Beaucoup de mots berbères sont encore en usage dans ce pays, me répondit-il.
- Y a-t-il ici un arbre sacré ?
- Oui, une zebbouza (olivier sauvage).
- Où ?
- Là, près du cimetière où les gens se frottent le dos, pour alléger leurs os.

Les cimetières sont les seuls endroits où les arbres sacrés et les plantes médicinales ont la chance d’être conservés et de croître indéfiniment. Ainsi, non loin de la saline de Lalla Chafia clé du périple des Regraga sept fœtus sont enterrés à l’ombre de palmiers nains. Ils ont l’allure de vrais palmiers, sauvegardés qu’ils sont par l’enceinte sacrée du cimetière aux sept fœtus.

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À Talla, dont l’assise territoriale se prolonge jusqu’à Sidi Bouzerktoun en bordure de mer, on me montre l’olivier sauvage dans un coin du cimetière, où sont enterrés les gens du village Tiguemmi- Jou. On appelle cet olivier sauvage « la sainte protectrice du cimetière ».C’est dans cette nature magnifique et sous un arbre sacré de cette région, qu’à l’aube de ce printemps, j’aurais aimé enterrer la dépouille de mon père et non pas dans un cimetière anonyme de Casablanca… Pardonnez-nous, père ! Pardonnez-nous, père ! Et c’est maintenant que je réalise ce que signifie l’irréversibilité du temps et des événements qui s’y déroulent…
On est à vingt-quatre kilomètres d’Akermoud au tout début d’ Aïn – Lahjar (la source de pierre), avec un gros village à ma droite, au milieu duquel se trouve la coupole de Sidi Ben Rahmoun (le saint patron de la miséricorde en quelque sorte). Je ne crois pas qu’il fasse partie du circuit de pèlerinage des Regraga. Mais certains pèlerins - tourneurs y font escale juste avant d’escalader la montagne de fer. Il y a par ici, de gigantesques caroubiers et de très beaux palmiers. J’ai l’impression de me promener dans le jardin d’Eden où coule une eau douce et bénéfique. Une balade qui pourrait bien être un remède pour les blessures de l’âme. Mon père aimait beaucoup marcher de la sorte, au printemps renaissant. Il y puisait une énergie vitale, le renouveau physique et spirituel. Se réchauffer le cœur et le corps au soleil. Partout les frais feuillages luisent sous le paisible soleil d’hiver.
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C’est dans ce pays d’Aïn Lahjar, où enfant je suis monté sur une chamelle blanche avec le fils de notre voisine lalla ghzala, que s’est établi selon la légende l’un des quatre ancêtres éponymes des Regraga. , comme l’attestent les carnets d’un lieutenant d’El Mansour, qui portent la date de 988-1580 :

« Nos seigneurs les Regraga appelés Hawâriyyûn,sont des marabouts dont le plus grand nombre est chez les Haha. Nos seigneurs les Regraga – que Dieu les favorise- sont les descendants des apôtres mentionnés, dans le livre de Dieu. Ils sont venus du pays des Andalous. Ils étaient quatre hommes, et c’était au temps du paganisme. Ils s’établirent au lieu dit Kouz, au bord de l’oued Tensift. Les gens leur firent bon accueil. Ils habitèrent là longtemps et y bâtirent une mosquée qu’on appela la mosquée des apôtres (Masdjid al- Hawâriyyûn). De là ils se dispersèrent. Les quatre firent souche et c’était : Amejji, Alqama, Ardoun et Artoun. Ils habitèrent : Amijji, à Kouz. Alqama, à Tafetacht. Ardoun, à Sekiat et Mrameur. Artoun à Aïn Lahjar. Puis ils apprirent la nouvelle de la venue du Prophète – sur lui la prière et le salut –et de son message. Ils allèrent à lui et ils étaient sept hommes. Ils reçurent du Prophète une grande baraka. Et on raconte qu’il y aura toujours parmi eux sept saints jusqu’au jour du jugement... »
C’est à l’étape de Marzoug, le 15 avril 1984, que j’ai rencontré pour la première fois le réçit de cette légende en plus élaboré. Je notais alors dans mon journal de route :
« Je retrouve au crépuscule « l’homme-médecine » sur la terrasse de la mosquée. Il sort de sa choukara un exemplaire de l’Ifriquiya. Comme il refuse de me le confier, je me mets à la recopier à la lumière de sa torche. Au bout d’un instant, l’éclairage n’encadre plus la feuille blanche où j’écris : l’homme somnole déjà comme un enfant ; le dormant éclaire la feuille qui parle justement des sept dormants !
Bientôt le fquih de la zaouia de Marzoug nous rejoint. Il me donne quant à lui une version originale du mythe fondateur : « A l’origine, les Regraga sont venus d’Arabie ; ils étaient quatre : Ardoun, Artoun, Majji et Alkama, leurs tombeaux sont célèbres au pays Chiadmî. Ardoun se trouve dans la tribu Njoumes (étoiles), Artoun à Aïn Lahjar(source de pierres), Majji à Korimat et Alkama à Tafetacht.De ces quatre ancêtres sont nées les trois taïfa conquérantes du Maroc, Regraga, Sanhaja et Béni Dghough, qui ont donné naissance aux sept saints Regraga. Les quatre premiers venus d’Orient se sont mariés avec des femmes berbères. Ce sont les Hawâriyyûn (apôtre) du Prophète d’Allah, Aïssa (Jésus), la paix soit sur lui. Ils ont participé à la table servie qu’il a fait descendre sur eux. Certains lieux portent d’ailleurs leurs noms telle la mosquée des apôtres, Hawâriyyûn, près d’Akermoud. Les sept saints se trouvent dans le Sous extrême, à Marrakech, dans la région d’Asilah et à Tétouan. Ils sont tous oubliés sauf ceux des Regraga. Au temps de Moulay Ismaïl, on a failli exterminer leurs descendants.On leur a imposé la corvée de chaux et de genêt pour la construction des remparts de Meknès.Ils ont attendu avec leurs charges à l’extérieur de la ville. Mais le sultan les avait dédaignés. Au bout de huit jours, les ânes sont devenus des lions, la chaux s’est transformée en flammes et les gerbes de genêts se sont métamorphosées en vipères. Lorsque le sultan a eu vent de leur prodige, il leur a dit : « Rentrez chez vous ! »
Puis il ajoute : « Youssef Ibn Tachfine a eu également recourt à la taïfa des Regraga pour conquérir le pays Haha et ses environs. »

Le lettré qui parle ainsi est un homme cultivé ; pour lui, ceux qui font le Daour sont des « frustes et des ignorants ». Il m’introduit dans une pièce rustique ; sur un pupitre à même le sol, de vieux livres de théologie, jaunis par le temps. En guise de conclusion il me dit : « On m’a rapporté que vous avez dressé la carte du Daour avec, au centre, le sultan des Regraga : j’aimerai avoir un exemplaire de votre livre lorsqu’il sera terminé. »

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Sur la trace de la fiancee de l eau et des gens de la caverne

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Porteurs d eau des  Regraga


Pour la première fois, je dors à la belle étoile au sein même de la khaïma sacrée. La plaine lune qui tantôt disparaît, tantôt apparaît derrière les nuages mouvants, éclaire les buissons et les champs d’une poésie mystérieuse.
Le Retnani, ce solide gaillard qui a effectué le pèlerinage quarante-sept printemps de suite, dit sur le ton de la moquerie : « il faut que le Regragui compte sur son porte-monnaie lorsqu’il parviendra en pays berbère : le berbère lui donne un œuf et lui demande de bénir la vache, la poule et la grand-mère ! »
« La patience est la maîtresse des hommes, dit philosophiquement le vieux chamelier en lissant sa barbe blanche. Puis il ajoute : il y a parmi les berbères des hommes cappables de néttoyer les dents d’une vipère ! »
Le moqadam de la khaïma sort de sa reserve habituelle et commence à imiter théâtralement le bégaiement d’un personnage comique. Puis la conversation tourne à la critique de la répartition des offrandes :
« Il faut que nous soyons payés plus que les autres, car nous sommes les pilliers de la khaïma ; toi-même, moqadem, tu devrais prendre la part d’une zaouia ; tu es notre véritable moqadem, l’autre on l’ignore.
- Je ne peux pas prendre la part d’une zaouia et ceux d’Essaouira – allusion au nouveau moqadem citadin – me contrôlent sévèrement. Le moindre sou est enregistré, on partage suivant la règle. »
On fait maintenant allusion au conflit qui a éclaté entre la zaouia de Sidi Boulaâlam et celle de Sidi Hammou Hsein. Habituellement, cette dernière percevait le vingtième de la ziara, mais comme elle a réclamé une parcelle de terre, celle de Sidi Boulaâlam lui renie cette part. là-dessus l’homme-médecine donne son avis bien arrêté : « Tu manges ton blé et tu convoite mon aire à battre ? Deux personnes ne peuvent prétendre hériter d’une seule part ! »
Le moqadem de la khaïma : « J’ai discuté hier de ce litige avec le grand moqadem, qui nous a conseillé de réunir les vieux de chaque zaouia à la fin du daour. Ils sont les seuls habilités à trancher cette question. »
Après une prise de tabac, il poursuit sur un autre registre : « J’ai un fils enseignant à Casablanca ; je sais qu’il ne croit pas en Dieu parce que la tête lui a tourné à cause de la philosophie. »
Ayant fait cette remarque sur les jeunes qui ne croient plus en Dieu et encore moins en ses saints, il dit à ses compagnons : « Boulaâlam, Marzoug, et Sekyat sont trois zaouia de l’époque Almoravide ; les autres existent depuis l’époque de Jésus. »
...Je sens l’odeur de l’huile d’argan :
1 Est-ce qu’il y a de l’huile d’argan dans ce pays ?
2 Mais c’est le pays de l’arganier. » me répond-on »


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Marzoug, 6 heures du matin, le 16 avril 1984

Ciel brumeux, village encore endormi. Mais déjà, on entend de toute part chants d’oiseaux, répliques joyeuses, d’une branche à l’autre, d’un arbre à l’autre, d’un champ à l’autre.
Je me dirige vers la boutique encastrée au flanc de la montagne pour acheter de quoi laver mon turban et ma farajia déjà pleine de poussière. Le commerçant dont la rondeur est encore soulignée par sa fine barbe blanche me dit : « Avez-vous écrit qu’on a découvert hier un chameau chargé de vin ? »
Tout le monde me prend pour le scribe du daour. Je ne réponds rien, n’osant lui dire que je tiens autant à la liberté des autres qu’à la mienne ; avec son air de théologien, il m’aurait pris pour un individu dont la religion n’est pas bien arrêtée ; le commerçant ajoute :
«Quelqu’un croit que vous êtes l’instituteur de Taourirt».Curieux, Taourirt a toujours été pour moi « la colline au trésor ».
« A l’époque coloniale, poursuit le commerçant, nous n’avons jamais vu le contrôleur. Le dernier contrôleur qui nous rendit visite, dés qu’il s’est penché sur le village d’en haut de la colline, a glissé sur la pente et s’est fait une fracture ! Ici, on est complètement coupé du monde. Avant-hier, ayant l’occasion d’avoir en main un transistor, j’ai pu saisir quelques bribes d’informations : « Sa Majesté a désigné un nouveau gouvernement ». Puis silence ».


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Sur la trace des pelerins tourneurs du printemps

Les pèlerins se purifient près du puits ; que de poussière ! Malgré sa barbe blanche et sa bedaine socratique, le conteur qui fait office de « conseiller de la fiancée nue » foule allègrement au pied sa djellabah mouillée sur une dalle de pierre lisse. Près du puit ombragé de lauriers roses, tel un boa, son immense turban sèche déjà sur l’enclos d’épines grises.

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C’est un fin connaisseur de malhûn, pour avoir parcouru le pays de long en large depuis 1930. Pour lui, en matière de tradition orale : « Le crâne du disciple sans maître est vide ». Il me serre amicalement la main pour m’empêcher de prendre note en me disant : « Le voleur de rimes mérite que je lui arrache les dents ! »

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Un paysan fruste nous raconte qu’au temps du Gazouzi – l’autocar qui fonctionne au charbon de bois durant la seconde guerre mondiale – les Français astreignaient les paysans à la corvée de charbon et à fournir du bétail pour l’armée. La corvée était aussi le fait des grands caïds : « L’eau de ce puit est tellement bonne que le caïd El Hajji contraignait les fellahs à lui en rapporter des gargoulettes sur leurs chameaux. L’eau de sa tribu du Sahel est salée à cause de la proximité de la mer ».

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Allégé de mes propres poussières, je reviens au village. Deux chameaux sont cabrés devant une tente pleine de mendiants. On se lance des blagues.
« Les gens ont besoin d’une horloge pour se réveiller, quant à nous, c’est lui (en désignant un ami) notre « réveil » puisqu’il se met à tousser dés l’aube ».(éclat de rire).

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Dés que l’hilarité de l’homme est calmée je le questionne : « J’ai entendu parler d’une pratique assez curieuse : la vente aux enchères anticipées... » Du tac au tac, il me répond : « C’est la vente du vent ( les zaouia vendent leur part du tribut sur l’élevage avant de l’avoir reçue). Mais elle n’est pas unique : dans certains grands moussems du Nord, les chefs de bandes de voleurs se réunissent à l’aube sous un figuier et procèdent à la vente aux enchères du moussem. Ceux qui ont vendu le moussem ne doivent plus toucher à quoique ce soit, même si le hasard fait qu’un porte-monnaie tombe à leur portée. »

Devant un public attentif, le vieux descendant du sultan des Regraga, égrène les paroles prophétiques du Majdoub :

« Essaouira périra par le déluge
Un vendredi ou un jour de fête,
Marrakech est un tagine brûlant,
Fès, une coupe transparente.... »

En guise de commentaire quelqu’un dit : « On raconte que le Mejdoub était fou. Mais tout ce qu’il disait arrivait. L’œil verra ce que l’oreille entend. On raconte qu’il était fou, mais il voyait avec « l’œil du cœur ». l’œil – la vision du Majdoub – n’est pas simple regard ; il est « l’œil du monde », comme disait Schopenhauer : « le pur connaître »...


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Un second commentateur ajoute : « Au pays Chiadma, il y a ceux qui suivent la moisson des ancêtres et ceux qui la délaissent.... »
Non loin du puit du village, on est invité dans la demeure de l’ex-président de la commune rurale où nous attend le moqadem de la taïfa. Nous avons fini par aborder le litige qui oppose deux des zaouia. La khaïma soutient la zaouia B. alors que la taïfa soutient la zaouia H. Ce litige local révèle en fait l’opposition entre la taïfa (clan de l’Ouest) et la khaïma (clan de l’Est). Curieusement, on assiste à une opposition entre légitimité mythologique et légitimité rituelle : la khaïma, dans sa défense de sa zaouia protégée (B) se fonde sur le mythe (les membres de B sont les descendants de l’un des sept saints). Ils ont donc la priorité parcequ’ils sont antérieurs. Quant à la taïfa, dans la défense de ses protégés (les membres de la zaouia H), elle se fonde sur le rite : ils ont toujours eu une cote-part de la ziara (un vingtième).
On peut infirmer des mythes et des documents mais pas un rite : le fait que des hommes en chair et en os se soient toujours comportés ainsi depuis des générations.

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Nous avons déjà vu la position de la khaïma, voici l’interprétation des faits selon le moqadem de la taïfa :
« Ceux de Sidi Boulaâlam, par taâssoub ( sectarisme tribal), veulent exclurent leur co-héritiers, arguant qu’ils ne sont pas des Regraga d’origine. Cependant, nous avons-nous-mêmes dans notre zaouia, des éléments qui en sont devenus partie intégrante, non par filiation mais par alliance : lorsque les caïds ou les autorités coloniales exigeaient des impôts supplémentaires, la zaouia associait à cette charge d’autres fractions de la population. En contre partie de leur participation, on leur a accordé une part des ziara. C’est probablement ce qui s’est passé dans cette affaire. Il faut prendre en considération la notion juridique de tassarouf (le fait établi par la pratique courante, l’état de fait). Souvent une propriété devient tienne, non sur la base d’un document écrit mais par tassarouf : on peut témoigner que cette propriété vous appartient depuis tant d’années. »

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La taïfa se fonde sur le tassarouf (ici le rite) et la khaïma se fonde sur la sira (biographie des saints d’après l’Ifriquiya). Avec un sourir indulgent, le moqadem de la taïfa me remémore le comportement de l’homme-médecine, qui, en le voyant, a caché le manuscrit qu’il me montrait sous l’eucaliptus près de l’abreuvoir : « Je l’ai remarqué rentrant subrepticement le bout de papier qu’il vous montrait dans sa choukara. Je sais qu’il s’agit simplement d’une photocopie d’un livre qui rapporte le départ des sept saints vers l’Orient.»
C’est tout à fait juste. Comment l’a-t-il su en dépit de la méfiance de l’homme-médecine ? Je ne saurais le dire. Mais les princes ont des espions partout ! Quelle méfiance entre les gens de la khaïma et ceux de la taïfa !

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Cette histoire me rappelle l’épisode du gendarme qui m’avait ordonné : « Donnez-moi vos archives ». Je lui ai donné un calepin vide. Dans ces contrées de tradition orale, faire le passage homérique de l’oral à l’écrit serait-il un crime ?
Parmi les invités, un commerçant donne la ziara et les Regraga le bénissent : « Les opérations de vente et d’achat chez les autres commerçants, mais tout le profit pour vous ! »

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- J’ai aussi des ennemis, leur dit-il.
- Nous voulons qu’ils soient comme les pastèques sur la pente qui, une fois mûres, roulent jusqu’au lit de la rivière ! Nous voulons qu’ils soient comme la jarre fracassée, ni eau, ni débris ! Qu’ils soient dispersés comme les grains de la grenade écrasée !


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El Haj demande qu’on bénisse un parent éloigné : c’est l’envoi de la baraka par télex ! El Haj corrige les noms pour ajuster les tirs de la baraka vers sa cible invisible !
Comme à l’accoutumée, juste avant de partir, on procède à la répartition de la « table ronde », sur la place de la mosquée. La zaouia d’Akermoud reçoit deux grands plats. On m’invite à prendre un peu de barouk. La « fiancée », tel un prince d’Andalousie, observe d’en haut le spectacle. Je la rejoins sur la terrasse. En bas, le moqadem de la khaïma me remarque et ordonne qu’on me serve une offrande entière comme si j’étais à moi seul une zaouia : je soupçonne qu’on me prend pour un marabout déguisé en fquih-journaliste !

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C’est aussi un langage codé : on me reproche d’avoir rallié la taïfa : « Ingrat, est-ce qu’on t’a affamé à la khaïma pour que tu ailles vers la taïfa ! »
Les deux clans cohabitent,mais la rivalité subsiste : ils se complètent dans la rivalité comme l’homme et la femme. Faisant semblant de ne pas avoir saisi la signification du message, la reine de la taïfa me demande :

- Pour qui cette offrande ?
- Pour moi » (Je n’ai fait que chuchoter).

Je ne fais pas seulement partie du décor, je deviens un enjeu : le scribe rehausse le prestige du clan dans le sillage duquel il écrit. Dans mon ivresse, j’ai complétement perdu la notion du temps, ce qui compte ici c’est le mouvement du soleil et de la lune, c’est de savoir qu’on est dans la période des fèves et des petits pois, au seuil des moissons auxquelles succèdera la période des raisins et des figues. Le reste n’est que bavardage et vent inutile. »

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Retour à ma dérive du mois de janvier 2003 :

Des paysans courbés en train de sarcler, un champ de petits pois ou de fèves, que sais-je ? Vaches engraissées se prélassant paisiblement à l’ombre des oliviers de la vallée heureuse. Et toujours ce silence et cette lumière intemporels, baignant des scènes bibliques issues du fond des âges. Rien qu’un chant de coq et des vaches broutant de l’herbe fraîche. Rien que le chant de coq, lumière de ce silence. À ma droite, la montagne sacrée s’achève. En face une petite colline couverte de petits thuyas vert-fauve. Au-dessus, un ciel bleu. Encore un âne qui braie, puis le silence règne à nouveau sur la paisible vallée de lumière. Au bord de la route de gigantesques gerbes de carottes fraîchement cueillies. Je m’en vais plus lentement que le trottinement des ânes. Il me faudra une éternité pour atteindre cette ultime étape d’Akermoud.

À ma rencontre arrive un homme sur son âne. Il s’avère être un ami d’enfance revenu vivre dans l’un des hameaux de Talla. C’est Regragui Zerktouni, qui était notre voisin au derb Jbala. Son père était marchand de légumes à l’ancien mellah d’Essaouira :

- Je m’en vais récolter de l’herbe fraîche au bord d’Aïn – Lahjar (la source de pierre), pour ma génisse et mon taureau. Priez pour le père, prenez soin de la mère, me dit-il en m’appelant par mon prénom.

Plus loin ses parents attendent au bord de la route l’arrivée de l’autocar, qui doit les ramener à Essaouira. Sa mère est là avec son haïk immaculé si caractéristique des femmes traditionnelles d’Essaouira. Elle m’accueille par ces mots :
- Oh, ancien voisinage !

Quand j’étais gosse, et que son mari, était locataire chez nous, je me souviens du jour où il avait dit à mon père :

- Puisque je ne peux vous régler le loyer en argent, acceptez d’être payé en nature !

Il voulait payer son loyer à coup de bottes de carottes fraîches et de couffins de pommes de terre et de choux-fleurs ! À l’ancien mellah, il tenait une toute petite boutique avec trois tomates et cinq carottes rabougries ! Je lui rappelle l’anecdote du loyer payé en nature, et le vieux se met à pleurer : reviens jeunesse pour que je puisse te raconter ce qu’a fait de moi la vieillesse !
Des genêts fleuris. Un village abandonné surplombe la vallée. Est-elle vraiment heureuse ? Les toitures sont tombées, des herbes folles poussent à l’interstice des pierres. Où sont partis ceux qui habitaient ici et qui n’ont laissé derrière eux que ruines et désolation ? Un peu plus haut, la vie. Un chameau, un minaret fraîchement chaulé à la chaux et des laboureurs en contrebas de la zaouïa de Talla. Le mauve, couleur d’amour, se mêle au blanc du genet sacré dont les Regraga flagellent les pèlerins. Puis voilà un petit oisillon mort au bord du chemin. Prière pour tout ce qui vit et tout ce qui meurt. Amen. Le dieu-potier, d’abord insuffle la vie, puis la retire.

Une paysanne me montre un karkour (amas de pierres sacrées) :

- C’est la première mosquée à laquelle on se rendait le dimanche, me dit-elle. On s’y frotte le dos. C’est la mosquée des chérifs qui s’y réunissent la veille du dimanche soir pour y partager un repas communiel.
Puis elle poursuit en me montrant le nouveau minaret :
- Maintenant, voici la nouvelle mosquée !

Jacques Berque note à propos du karkour :
« Si le champ est épierré, les pierres sont groupées en menceau, karkour, non sur la périphérie, mais à l’intérieur. Or ce menceau prend assez fréquemment une fonction magico-religieuse, celle de maqâm « mansion ». Au bout de cette évolution s’entrevoit le bétyle sémitique, qui peut être opposé au Dieu-Terme latin. »
Une euphorbe et un figuier effeuillé surplombent la vallée. Et brusquement voilà l’océan : son bleu sombre dénote avec le bleu clair de l’azur. Enfin l’horizon ! C’est cela le Sahel, le pays côtier, là où la mer rejoint la terre. Et c’est beau le Sahel ; vert doré, vert sombre, bleu clair, bleu sombre. Les couleurs du Sahel.
J’assiste à la fabrication d’une amphore par le potier de Zaouit Chérif. Je lui achète une guelloucha pour le petit-lait. Ce village de potiers n’est visité par les Regraga qu’à la fin du Daour.


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De retour à Had Dra, je décide d’aller visiter les racines de mon père au pays chiadmî. J’arrive au Haîmer le pays aux mottes de terre rougeâtres. Je me rends au hameau des Oulad – Aïssa. J’y reviens pour la première fois depuis mon passage avec les tiach (novices) des Regraga, le mardi 11 avril 1984. Je notais alors dans mon journal de route :

« Je rencontre Brik, ce vigoureux fellah et habile fabriquant de nattes :

- Tu as bien fait d’accompagner les Regraga ; tourner en rond dans la médina affaiblit la vue et vieillit les os.

Brik appelle mon père khali (oncle maternel) ; malgré quelques racines rurales, mon père a grandi en ville où il travaille comme marqueteur. Je suis donc ravi de retrouver Brik qui me rappelle ces racines. A hauteur du puit Brik lance à une silhouette courbée au milieu d’un champ d’oignons :
- Hé ! Envoie-moi cinq navets !
Les enfants de Brik voient rarement leur instituteur, ils jouent à cache-cache avec les poules ; de toute manière on les destine à la terre. Peut-être, en effectuant ce pèlerinage, je ne fais qu’emprunter la voie de mes propres ancêtres ? C’est cette dimension affective du temps qui resurgit de l’oubli, cette déflagration du souvenir, qui donne sa dimension mystique à mon équipée.
Brik me dit :
- Tu as vu quel long chemin les Regraga parcouraient ? Pourtant, ils n’avaient que leur bâton, un peu de semoule et les prières…Celui qui ne bouge pas meurt : un soir qu’il faisait très froid, deux marchands de tissus et d’épices – marchandises du paradis- entraient en ville après leur tournée dans les souks de la région. Ils trouvèrent les portes fermées ; au crépuscule, on fermait les portes de la ville parce que c’était le temps de la siba, le temps où les caïds étalaient le burnous sur la djellaba et faisaient parler le baroud. Le marchand qui resta immobile jusqu’au matin fut trouvé inanimé au pieds des remparts, alors que son compagnon, qui avait passé la nuit à rouler une grosse pierre entra prendre son petit déjeuner tout trempé de sueur en répétant : « Que le lit où coule le flot de notre vie serait étroit s’il n’y avait le vaste espace de l’espérance ! »

La quête de ce printemps est à la fois mouvement et espérance…Un cycle pédagogique, un réapprentissage de la vie…

Mercredi 12 avril 1984

Hniya est clouée sur son lit de bois (tissi) par la paralysie mais sa tête est joyeuse. Elle interpelle son fils qui m’invite à prendre le thé dans l’autre pièce :
- Comment ? Laisse Abdelkader avec moi ; n’avons-nous pas partagé le sang et le sel ? Laisse-moi le voir une dernière fois...Je n’ose pas aller à l’hôpital où les paysans subissent le mépris et la dérision ; je préfère mourir parmi les miens...
Le fils de Hniya, tout jeune qu’il soit, a déjà trois garçons et une fille. Il a appelé l’un d’entre eux Regragui parce qu’il est né le jour du daour. Tout semble ici voué à la fécondité : la chamelle comme la vache, l’ânesse comme la poule ; la maison grouillait de vie et de petites bêtes pleines de douceur. Hniya s’étonne que nous autres citadins nous nous mariions si tard, si c’est à cause des études, c’est que l’école doit être stérile, à son avis. Lemari de hniya, qui confond chèvres et gazelles, la désigne d’un geste en me servant le thé et dit :
- Ella a déjà acheté son linceul…
Tante Hniya attend la mort avec résignation comme une chose naturelle.
- Si je meurs, me dit-elle, que ce ne soit pas cause de regrets ; j’aurai laissé derrière moi une telle progéniture que je ne serai pas vraiment morte.
Elle me dit en guise d’adieu :
- Dis à ton frère Majid de venir chez nous au temps des raisins et des figues…

Au temps des raisins et des figues, je suis revenu l’année suivante (1985), mais elle était déjà morte. Son mari est venu en ville pour vendre ses fébules et ses potes amulettes en argent afin de faire face aux difficultés causées par la sécheresse. Le sacrifice me parut d’autant plus pathétique qu’il s’agit là d’enterrer jusqu’au souvenird’anciennes fiançailles.

La mort est aussi naturelle que la naissance ; elle est dédramatisée. Dans un chant des Ghazaoua d’Essaouira, le défunt parle de sa propre mort :

Chant des Ghazaoua
« La mort m’a ravi…
El Hal, el hal….

Allah ! Allah notre Seigneur (Moulana)
Que ta miséricorde soit avec nous !
Je commenc au nom de Dieu le clément
Au nom du généreux qui n’a pas d’égal
C’est lui le miséricordieu :
Au jour du jugement dernier
Ne nous abondonne pas
La mort m’a ravi par ruse
Et on chauffe l’eau dans la marmite
Dieu me lavera
Ils ont apporté le linceul et le baume
Et les gens commenceront à m’ensevelir
Ils ont apporté le brancard du menuisier
Et ils m’ont déposé avec douceur
Ils se sont penchés à quatre pour me porter
Ils m’ont accompagné avec une belle oraison
En hâte, jusqu’à ma dernière demeure
Ils ont apporté les pelles et les pioches
Et ils ont creusé ma tombe
Ils ont prié avant de partir et de m’abandonner
J’ai dis : « Ô mon Dieu, quel sommeil sans fin
Et quelle terre vont m’écraser !
Le juge de l’enfer m’est apparu pour m’interroger
Avec ruse sur ce que j’ai fait ici bas
Heureusement pour moi le Prophète le Clément
Me protégera au jour de la résurrection
Allah ! Allah ! Ya moulana
Que ta miséricorde soit avec nous
Lorsque celui qui appelera les morts au jour du Jugement
En dernier m’interpellera
Oublie les confidences sur l’oreiller
Et prends bien en charge les obligations religieuses,
La foi, la certitude et la profession de foi Islamique
Le hal, le hal, Ô ceux qui connaissent le hal !
Le hal qui me fait trembler !
Celui que le hal ne fait pas trembler, je vous annonce ;
Ô homme ! Que sa tête est encore vide
Ses ailes n’ont pas de plumes
Et sa maison n’a pas d’enceinte
Son jardin n’a pas de palmier
Celui qui est parfait, la calomnie ne l’efleure pas
Sidi Ahmed Ben Ali le wali
Prends-nous en charge, Ô notre cheikh !
Sidi Ahmed et Sidi Mohamed
Ayez pitié de nous. »

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Le hameau de Hniya s’appelle les Oulad Aïssa ; en entrant dans la maison, je fus profondément bouleversé par l’attaque de leur chien qui s’était détaché de sa chaîne et m’aurait mordu si ma djellabah n’avait pas servi d’écran protecteur et sans la promptitude du mari de Hniya. Sa belle-fille m’aspergea d’eau pour dissiper ma peur et me fit lécher son bracelet d’argent pour que je retrouve mes esprits. Vivre au rythme du soleil et des étoiles, c’est aussi apprendre le courage et pas seulement la résignation.
Peut-être espère-t-on dans la maison, du passage des Regraga, l’apaisement des souffrances de Hniya avant que ne vienne l’heure du silence ? dans le hameau, on se prépare activement à la réception des tiach ; ces ouvriers de la ruche, ces novices qui ratissent au large pour recevoir la ziara des hameaux éloignés.
Le soleil est déjà bien haut, lorsqu’au tournant de la colline, entre deux enclos d’épines le chœur entonne la fameuse prière de la pluie : « Puissions-nous être arrosés de votre jardin ? Etc. » Je reconnais au premier rang « Zahra le cheval » qui prend ici des airs de théologien ; c’est un diseur de blagues qu’il ponctue par des : « Je coupe ta parole avec du miel ! », ou encore : « Il ne faut sous-estimer personne ; on ne sait jamais si derrière un mendiant ne se cache pas un saint ou un djinn ! Car il est dit que sept saints sont vivants, sept sont morts, sept ne sont pas encore nés et sept j’en ignore tout ! »

Après cette cérémonie les tiach iront dépenser leur argent aux jeux de hasard un peu à l’écart du daour au milieu des touffes de genêt. Selon Taylor : « les jeux de hasard sont venus de la divination par le sort. » Les jeux de hasard sont souvent liés au rite de passage. On espère qu’en gagnant cejour-là, on gagnera pour le restant de l’année. D’ailleurs, les jeunes ici jouent aux cartes en pariant sur l’argent de la ziara.

A Essaouira, la nuit de l’achoura, parmi les sarcasmes que se lancent les deux clans de la ville, certaines répliques se rapportent aux jeux du hasard. Le clan des Chébanat reproche à celui des Béni Antar de commettre un sacrilège (le Coran formule une interdiction vis-à-vis des jeux de hasard sous le nom de mayssir : ce qui procure un gain illégitime) parcequ’ils s’associent pour ces jeux avec les juifs durant leur fête du Pourrim :

« Lune ronde, toute grande, faites la ronde
Où êtes-vous Béni Antar, joueurs de hasard ?
Lune ronde, toute grande, faites la ronde
Où êtes-vous Béni Antar, voleurs de hasard ? »

Ce à quoi les Béni Antar répliquent :

« Qu’est-il donc arrivé aux Chébanat
Pour délaisser les chanteurs du malhûn
Et faire appel aux hayada de la campagne
Comment se fait-il que garch (piecette) d’argent
Devienne le dirham de papier ?
Voilà l’origine du profit et du vol
Commerçant spéculateur,
Artisan grâce à sa bourse mais sans métier
Et théologien dont la principale devise est de dire : « Donne ! »

Maintenant les jeunes tiach prient pour que le ciel ne demeure pas perpétuellement bleu. L’un d’entre eux porte étendard du printemps : un bouquet de marguerites et de coquelicots attaché par un brin de palmier nain à une branche aux feuillage verts : c’est la fiancée de la pluie. Il faut juste un peu de pluie pour faire pousser le maïs.

- Voilà que les Regraga sont en train de vanner, me dit Brik.

Leur chant ou souffle magique est comparable au vent qui sépare le bon grain de la paille, leur baraka est capable d’extraire du corps les maladies qui le hantent. Les tiach sont reçus à beit berra (la maison des hommes) qui comprend une citerne, une salle de prière et de conseil. C’est là qu’on reçoit également les tolba d’adwal en été : ils vont de hameau en hameau pour bénir les moissons. Je partage le repas communiel des tolba dans une petite pièce sombre dont la toiture est faite de troncs d’arbres qui respirent encore l’air de la forêt. Dehors, dans la lumière éclatante, de petits lapins sautillent et reniflent les brindilles de menthe.
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Les villageois déposent un van contenant un tagine, trois galettes et un service à thé destiné à la maison des hommes. Un vieux à la barbiche de HoChiMinh, insinue sur un ton mêlé de plaisanterie et de reproche :

-  Vous autres, gens des villes, vous êtes injustes : vous dites : « Donnez-nous nos haricots », sans connaître le travail que cela nécessite. »

Brik qui nous sert le thé et qui semble fier d’avoir un membre de sa famille en ville me dit :

- Chez nous les Regraga sont le tmarsit du bled.
- Mais qu’es-ce que le tmarsit ? Lui dis-je.
- Enfile des figues sauvages aux branches du figuier stérile, les insectes qui en sortiront le rendront fécond. Sans ce tmarsit les figues tomberaient avant d’être mûres. Là où les Regraga passent c’est la fécondité, là où ils ne passent pas, c’est la stérilité.
- C’est possible, lui répond un vieux fellah en claquant les lèvres bruyamment de satisfaction ; seulement retiens bien ceci : il y a deux types d’esprits ; ceux qui sont soit mâle, soit femelle sont stériles ; seuls ceux qui sont à la fois mâle et femelle fécondent les idées…


Après le repas communiel dans la maison des hommes, on réclamme les jarres de petit lait pour amortir les effets nocifs de la fine fleur du kif : dans le daour, seuls certains jeunes fument le kif qui a certainement un rôle d’adjuvant rituel. Au rituel du rzoun de l’achoura à Essaouira, à la cérémonie du thé, chrib atay à chaque pause, des joueurs fument le kif. Des couplets y font d’ailleurs allusion :
« Sois-donc sans réserve
Et sers-nous les coupes de cristal
Sois-donc sans réserve
Et sers-nous la fine fleur à fumer ! »

On rapporte qu’à Marrakech, la nuit qui précède le ramadan, les enfants forment un cortège et chantent la comptine suivante :

« A qui manque la pipe ?
A qui manque l’alumette ?
Le priseur comme tabatière
Trompera son doigt dans son derrière ! »


Parmi les choses illicites,on peut lire dans la sourate de la table servie :

« Ô ! Vous qui croyez !
Le vin, le jeu de hasard,
Les pierres dressées et les flèches divinatoires
Sont une abomination et une œuvre du démon,
Evitez-les….. »

Le fils de Hniya m’accompagne sur son mulet jusqu’à la khaïma où le Retnani m’accueille avec joie :

- très bien ! très bien ! Abdelkader a acheté son mulet !

Je comprends les réticences des vieux zaouia : ils ont tous un mulet, je fais le trajet à pied. Ce qui me frappe surtout, c’est la puissance du mulet qui nous porte. Il est normal qu’il soit l’objet de considérations.

Le chameau de la khaïma en tête, nous quittons le campement Sidi Yala, un jeune me rapporte mon pull-over et me dit en haletant :

- Tu l’as oublié chez Brik qui nous disait : Rendez-le à Abdelkader ou fasse qu’Allah le transformer en vipère pour son voleur !

Imaginaire des odaces et des mutations ! »…


Maintenant, en ce mois de janvier 2003, en arrivant à ce même hameau des Oulad – Aïssa , j’apprends avec surprise que Brik est mort et que Belaïd mari de Hnya, qui nous gratifiait de corbeilles de raisins et de figues à chacune de ses visites estivales en ville, est mort aussi. Il était d’une naïveté proverbiale, en prenant les chèvres du pays hahî pour des gazelles, mais foncièrement bon. Il ne reste plus que leurs jeunes frères Mohamed et Boujamaâ que je croyais en train de labourer leur terre sous le brouillard. Mais ils m’expliquèrent qu’ils étaient plutôt en train de tailler la vigne. Ah, les bons raisins charnus du pays chiadmî gorgés de soleil qu’on appelle « téton de jument » ou encore « œil-de-bœuf » :

- Brik est mort, d’une crise cardiaque, me raconte son frère Mohamed. Il était apparemment en pleine forme lorsqu’il alla chercher en carriole de quoi daller les toitures de sa maison à l’approche de l’hiver, quand brusquement, il fut pris de malaise avant d’être terrassé par la mort. Sa brouette était encore pleine d’argile quand on l’a enterré au mois d’octobre 1998.Belaïd, quant à lui, est décédé en 2001,. Je revenais du souk, quand on m’a dit qu’il y avait un mort chez nous. En arrivant au village, ils l’avaient déjà enterré. Il souffrait de son estomac au point qu’il ne parvenait plus à se nourrir.

En arrivant au Haîmer, je trouve deux oliviers déracinés récemment par un vent violent qu’un paysan n’hésite pas à comparer à un séisme. Pour moi, ces arbres déracinés symbolisent la mort de mon père et de ses neveux Brik et Belaïd. C’est Si Mohamed, le fils de ce dernier, qui tient maintenant la maison. Il avait été malade pendant quatre ans. Il ne parvenait plus à dormir et devenait agressif. Il a été une seule fois à l’hôpital. Mais cela ne servit à rien puisqu’il avait été « frappé » par les esprits du vent qu’on appelle « Lariyah ». Depuis qu’il fut flagellé par un fqih à Meskala, il se porte mieux :

- C’est la baraka d’Allah, m’explique-t-il. Le fqih de Meskala est visité par les possédés de partout, même de France.

Le dernier fils de Belaïd a maintenant dix-huit ans. Il est né en 1985, l’année même de ma dernière visite à ce hameau des Oulad Aïssa, dans le sillage des Regraga. On le surnomme Aziz Rimech. Et dans la phonétique de Rimech, il me semble déceler comme la fraîcheur des jeunes pousses du printemps.
Depuis deux ans, un château d’eau surplombe le douar, mais il n’y a toujours pas d’eau au foyer. La corvée de la fontaine continue. Et toujours pas d’électrification rurale, heureusement pour qui aime déguster les bons tagines à la chandelle ! Je me souviens de leur voisin le hameau de la louve (douar Diba), où je m’étais arrêté pour souffler en 1984 et où celui qu’on surnommait Zahra le cheval, m’abreuva de légendes en tirant sur sa longue pipe de kif.

La rosée couvre des champs de blé. Les figuiers sans feuillage commencent à peine à bourgeonner. Mohamed me raconte :
- Du temps de Mohamed V, fin des années cinquante, début des années soixante — ton frère aîné Abdelhamid avait à peine quatorze ans- je suis arrivé dans votre ancienne maison, avec un sac de blé, et votre oncle berbère Mohammad est arrivé en même temps, avec sa grosse moustache et son gros turban, avec un autre sac de blé. Une fois les deux sacs de blé à la terrasse, votre mère consulta leur contenu. Le blé ramené par l’oncle berbère était net et propre, par contre le blé que j’ai ramené était mélangé avec de la paille et de la poussière de l’aire à battre. Votre mère me dit alors :
- Où devons-nous vanner ce blé ? À la lisière de la forêt ou au bord de la mer ? Ici, en ville, on ne peut le vanner à la maison sans que la poussière parvienne chez les voisins. Le lendemain de notre arrivée, un aigle est tombé dans le patio de votre maison. Ton cousin Ahmed l’a capturé en jetant une couverture sur lui. Le rapace était vraiment impressionnant et tous les enfants du quartier allaient lui chercher de la viande, pour le nourrir.

Quelques jours plus tard, mon père avait remis l’aigle à Moulay Kebir, chasseur à ses heures et antiquaire distingué originaire de Fès. Aussi loin que remontent mes souvenirs, je ne retiens de ma première visite à ce hameau dans les années soixante que cette scène : dans une pièce de sa maison, Brik, le vigoureux paysan était en train de tresser en jonc une natte d’une main, tandis que de l’autre il retirait de temps à autre d’une marmite, un énorme épi de maïs bouilli qu’il dévorait comme s’il jouait de l’harmonica. De temps en temps, il me jetait à moi et à son fils Hamouda, un épi de maïs tendre, chaud et salé.

On est au mois de janvier, et l’on dirait que le printemps est déjà là : même le toit de la maison est fleuri. Petites fleurs jaunes et blanches. La chamelle de Si Mohamed est sur le point de mettre bas. Chaque nuit, il va l’inspecter pour qu’elle ne fasse pas de fausse-couche. Il a eu une chèvre qui a mis bas dans la forêt, au moment même de mon arrivée. En parlant de nos morts, il me dit :

- Celui que tu as perdu, tu ne le reverras plus jamais.

Le mercredi 22 janvier 2003. Il est dix heures, l’air est moins frileux : on sort le troupeau et pour la première fois ces chevreaux jumeaux, nés il y a vingt jours, pour accompagner leur mère dans les près. Je rencontre les petits-fils de Brik, ils sont mignons. Ils sont le symbole de la vie qui continue. Un joli pressoir à huile d’olive appartient au marchand de légumes du village :

- C’est beau, le pressoir, me dit Mohamed, pourvu que nous ayons suffisamment d’olives !

Au loin des oliviers sauvages en tant que bornes, un amandier en fleurs, une huppe et beaucoup de gazouillements dans la lumière matinale. Le ciel se dissipe. Le Djebel Hadid est presque entièrement couvert de brouillard. Seules des trouées dans les nuages le laisse deviner. On est sur les terres d’oncle Boujamaâ, qui surplombent la vallée du pays Haïmer, en face du Djebel Hadid. Une parcelle sur haute colline, donnant vue à l’Ouest sur le Djebel Hadid, et vue à l’Est sur le territoire d’Aghissi – l’une des treize zaouïas Regraga – don’t le moqaddem était mon compagnon de route au Daour de 1984.
Construire une maison ici, non pour l’agriculture ou pour l’élevage, mais pour une retraite de l’être ? Pour « écouter ses os ».
Mohamed me désigne des silhouettes penchées au fond de la vallée :

- Ils sont en train de tailler la vigne.
Le domaine de la vigne, c’est le plat pays qu’on désigne du non de Louta. On m’offre du petit-lait à la saveur de karkaz (fleur des champs couleur moutarde). Le fils aîné de Si Mohamed est âgé maintenant de vingt-deux ans. Il rampait à peine lorsque je suis passé par ici en 1984-1985. L’éolienne du village ne fait plus remonter l’eau du puits. Elle tourne à vide. On m’offrit un panier d’œufs en guise de vœux de fécondité en me disant :

« C’est la terre qui appelle ! C’est l’appel de la terre ! »

Un arbuste fait sortir son neuf feuillage et croît : griouar, on l’appelle. Je dis à Si Mohamed :

- Par ces pas, on a fait revivre nos vieilles racines… Je ne sais plus d’ailleurs de quoi sera fait demain, mais j’ai l’impression d’avoir retrouvé le goût de l’anis et de la nostalgie.

On descend en contrebas de la colline dénommé « Dhar » (le dos, du houdhoud de la huppe), vers le puits des incessantes corvées d’eau, et voilà qu’on bifurque vers le cimetière. Je marche sur les pas de Si Mohamed, le long d’une vigne, un terrain où poussent des plantes sauvages. J’y cueille une gerbe de romarin. Puis voilà des tombes anonymes. Si Mohamed hésite d’abord avant de me montrer celle de Hnya puis celle de Brik, sans pouvoir indiquer avec précision celle de son père. D’un côté la montagne sacrée couverte d’une couronne de nuages, de l’autre le bruit métallique de l’éolienne tournant à vide. Je prie pour mon père, en même temps que pour ses parents et pour la terre de nos ancêtres . Ici, les morts continuent à vivre parmi les vivants. Les tombes se fondent avec les plantes. Majestueux et sacré Djebel Hadid !

- J’hésitais à venir, en attendant d’avoir de quoi acheter des cadeaux.
- Tes pas sont meilleurs, me rétorque Si Mohamed.

J’aimerais bien vivre ici, mais avec quels moyens ? Pour le moment, je n’ai aucune réponse à cette question. Je n’ai pas pu poser cette question à Si Mohamed, que déjà il est parti au loin avec son troupeau. Je rentre à Essaouira avec un panier d’œufs dans une main et une bouture de vigne dans l’autre. Ici, on ne s’attarde pas trop sur la mort qu’on appelle triq laâmra » (la voie pleine), parce qu’ils vivent chaque année la mort hivernale et la renaissance printanière. En attendant le transport pour me conduire en ville, un seul bruit, le touf-touf de la minoterie, et de temps en temps un chant de coq. Il est bientôt seize heures et on est à 44 kilomètres d’Essaouira, quel symbole dans le pays des 44 étapes du pèlerinage circulaire ! Non loin de là, le lieu-dit khli jaouj (littéralement apocalypse des moineaux). Un toponyme qui m’avait frappé à l’époque et avait sonné dans mes oreilles comme l’avertissement que je suis bel et bien arrivé au pays des légendes vivantes.

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Dérive au piton rocheux d’El Jazouli

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 Coupôle blanche au sommet de la bétyle de Tazrout (Ph.A.Mana, février 2010)

 

Essaouira le jeudi 13 août 2008.

J’ai décidé de me rendre chez les Neknafa en pays Hahî, pour y enquêter sur le maqâm (mansion) d’El Jazouli, en appliquant l’enquête ethnographique à un sujet historique.A la gare routière un courtier répète inlassablement : Agadir !Agadir ! J’ai pris cette direction en s’arrêtant à Tidzi, de là j’ai empreinté une longue route serpentant au milieu de vallées fauves et déséchées jusqu’à Sebt Neknafa, souk hebdomadaire qui se tient chaque samedi et qui était vide ce jour-là. Je me suis rendu ensuite à Talaïnt, source thermale découverte récemment au bord de l’oued ksob, où les pèlerins observent une cure de plusieurs jours en s’abreuvant abondamment de son eau minérale sensée les débarrasser de leurs calculs.
 

 

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 Affluent de l'Oued Ksob en Neknafa 

Je note dans mon journal du jeudi 28 août 2008 : Lalla n’est plus. Elle est morte très tôt ce matin et sera inhumé à Marrakech vers la mi-journée. Elle rejoint ainsi mon père et ma mère que Dieu lui fasse miséricorde. Avec sa disparition, c’est la fin de toute une génération : celle qui nous rattachait encore à nos terres d’origine. 
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 La dérive del'auteur en pays Neknafa 

Une fois sur place, on me proposa à prix modique une chambrette donnant sur la source chaude et l’oued ksob. Celui-ci a sa source au lieudit Igrunzar sur les hauts plateaux Mtougga, traverse ensuite les innombrables ravins du pays Hahî avant de se jeter à la mer près d’Essaouira. C’est son eau qui jadis irrigua les plantations saâdiennes de canne à sucre situées en aval, non loin de là. Ces plantations de canne, auxquelles s’est substitué aujourd’hui l’arganier, entouraient jadis, l’ancienne sucrerie de Souira Qdima, dont on peut encore admirer, les splendides aqueducs en pisée, au cœur des Ida Ou Gord. La source thermale se situe donc au bord de l’oued ksob, à la lisière des Ida Ou Gord et des Neknafa, tous deux faisant partie des douze tribus Haha.

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L'un des paysans qui coupent la canne de roseau pour les paniers
et les toitures de leurs maison me confectionne une flûte enchantée du pays Haha 

Après avoir commandé un tagine de bouc à l’huile d’argan au cafetier, j’ai passé la nuit sur une natte. La petite chambrette ayant emmagasiné toutes les chaleurs d’août, j’ai laissé la porte grande ouverte sur les étoiles. Dehors, pleine lune, chiens errants, coassement de grenouilles, flûte enchantée du pays Hahî, trépignements de danseurs, applaudissements saccadés, youyous enthousiasmées de femmes berbères, rumeur au loin. Purification du corps, repos de l’esprit. J’espère me débarrasser ici de ce qui m’obstrue la vue de l’aube, pour être à nouveau admis à l’écriture.

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 Réveil à l’aube, marche, vers l’intérieur des terres, toujours en direction du soleil levant. Marche solitaire, par sentiers muletiers, oueds desséchés et falaises rocheuses où s’accrochent miraculeusement de squelettiques et noueuses racines d’arganiers. Paysage austère, terroir sévère, pays de moines guerriers.Après le plat pays, les premiers escarpements de l’Atlas occidental au niveau des canyons granitiques de lalla Taqandout. 

Le site de la grotte d'Imine Taqandout en images 

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La grotte d'Imine Taqandout, février 2010, Ph. A.Mana 

Je marque une pose à la grotte d’Imin Taqandout, pour voir si la troglodyte que j’y avais rencontré jadis, y réside toujours.Sa mère, la tenancière des lieux, me dit que la belle bergère aux yeux verts et au corps élancé était finalement partie avec un jeune émigré dans un pays lointain et inconnu. Je lui demande si on pratique toujours l’Istikhara, cet oracle des génies de la grotte ?
Elle me répond que tout cela n’est que légendes. Les anciennes divinités sont ainsi reléguées au rang de génies, les anciennes religions à celui de magie.
 

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L'orifice qu'on doit traverser au fond de la grotte 

Curieuse dénégation ethnographique, de la part de la tenancière même des lieux. Celle-là même que j’ai vu pratiquer, lors d’une précédente visite, le bain lustral au fond d’une pièce sombre de la grotte : après avoir chauffer à blanc deux fers à cheval, elle les étouffe dans un récipient rempli d’eau, qu’elle déverse ensuite sur le corps du pèlerin mis à nu : le feu, l’eau, purification du corps et de l’âme de ce bas monde et de ses souillures. Le fer éloigne les esprits, le fer à cheval porte bonheur, c’est pourquoi on le met sur les portes des maisons. 

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 Les pèlerins préparent un couscous au poulet qu'ils ont sacrifié 

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Vue de l'intérieur de la grotte 

Il y avait aussi au fond de la grotte, un tout petit orifice creusé dans la roche : le traverser sans encombre est signe de piété filiale, et maudit soit-il, celui qui s’y bloque ! Toujours ces satanés rites de passage, cette symbolique de la mort suivie de résurrection et de re-naissance. Mais depuis que des personnes corpulentes s’y étaient trouvées prisonnières, l’orifice a été condamné pour toujours. Plus de renaissance magique du ventre même de la terre nourricière! 

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 En quittant la grotte; les escarpements qui mènent au cénotaphe d'El Jazouli

Le pèlerinage à la grotte est sensé guérir les possédés : lalla taqandout qui l’habite Artsawal (elle parle) aux djinns. Elle leur dit : « Que vous a fait un tel pour mériter vos foudres ? » Et les djinns de délivrer la personne qu’ils possèdent. Beaucoup de ceux qui sont « atteints » guérissent de la sorte, généralement après une nuit d’incubation dans la grotte. Une entité surnaturelle masculine du nom de Sidi Abderrahman, y réside également.Elle aussi recourt au « parlé en état de transe », qu’on appelle ici Awal , qu’on retrouve chez les voyantes médiumniques des gnaoua sous le nom de « N’taq » (la voyance, le parlé en état modifié de conscience). 

 

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 C’est en traversant le mont Tama à l’aube, que je me suis rendu en pèlerinage avec ma mère, pour la première fois à la grotte d’Imine Taqandoute. J’étais encore enfant et je montais le robuste mulet de mon oncle Mohamad. J’avais l’impression que le mulet qui me transportait était en prise directe avec les énergies telluriques de la montagne, avec ses pentes abruptes, ses blocs de granits, ses arganiers noueux, et ses sentiers serpentant, tantôt vers le haut tantôt vers le bas. 

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Tas de pierres sacrées (Karkour)

Une fois parvenu à la grotte hantée d’esprits, je me souviens surtout du sacrifice d’un bouc noir, et du fait qu’on m’obligea à passer au travers d’un étroit orifice au fond de la grotte : ce qui constitua pour moi, comme une seconde naissance. Imine – Taqandout est au pays hahî, ce qu’est la grotte de Sidi – Ali – Saïeh (l’errant) au sommet de la montagne de fer est au pays chiadmî, le pays de mon père. Mon enfance a été ainsi bercée autant par le paganisme de mes ancêtres que par les grands mystiques du Sud marocain qui ont marqué mon père : le Cheikh Naçiri de Tamgroute et Sidi Slimane el Jazouli.

 

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Karkour 

Le sacré se manifeste ici de multiples manières : par le culte de la grotte, celui des amas de pierres sacrées (karkour), celui des arganiers et des oliviers sauvages, celui de la sainte source, et de la bétyle d’ogresse, et enfin par le maqâm(mansion) de celui qu’on appelle en cette montagne berbère Sidi M’hand Ou Sliman El Jazouli, l’auteur de Dalil el khayrate, qui réveilla la ferveur religieuse des marocains contre l’incursion portugaise sur les côtes. La coalition groupée autour de lui contre l’envahisseur, fut pour beaucoup dans le renversement de la dynastie mérinide, laissant ainsi toute latitude aux chérifs Saâdiens pour instaurer une nouvelle dynastie sur les débris de l’ancienne. Il mourut assassiné en 1465 à Afoughhal près de Had – Dra, en pays Chiadmî. Des historiens affirment qu’il fut empoisoné par les mérinides 

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 Bétyle et karkour 

Je continue mon ascension solitaire vers le piton rocheux de Tazroute (« rocher » en berbère) au sommet duquel scintille la blanche coupole d’El Jazouli. Je traverse d’abord Tagoulla Ou Argan (amphore d’argan), cette arganeraie sauvage qui pousse sur une cuvette sous forme d’anse , avant de prendre d’assaut le haut lieu et son sanctuaire. En cours de route, je marque une pose à Asserg N’Taghzount (le bétyle d’ogresse) ; stèle rocheuse sur laquelle, nous dit-on, se dressent les femmes stériles désirant un enfant. Sous les regards médusés des bergers et de leurs troupeaux de chèvres, elles s’écrient : « Ô, mes enfants ! ».Si jamais à ce moment précis, des oiseaux noirs les survolent ; c’est signe de bon augure. Si non les présages des cieux seraient réservés. Elles y font halte à chaque r corvée d’eau à la « sainte source », en chantant :

Asserg N’taghzount, aygan agourram
Ourat t’sar n’tou, oura ghat’anfal
Oudanna ghid nazri, atid n’aslay

Ô bétyle d’ogresse ! Tu es notre lieu saint.
Jamais, on ne t’oubliera ! Jamais, on ne te délaissera !
A chaque fois qu’on passera par ici,
On s’arrêtera à notre bétyle d’ogresse!
 

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 Asserg N'taghzount (la bétyle d'ogresse) 

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  En 1984, à mon retour du daour , je faisais état de ma découverte de « fiancées pétrifiées » laâroussa makchoufa, à lalla Beit Allah au mont Sakyat et au sommet du djebel Hadid, ce qui permettait à Géorges Lappassade de faire le lien avec le bétyle phénicien découvert sur l’île . Il écrivait alors dans un article parut au mois de décembre 1985 : 

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 Bétyle et ex-voto suspendus à l'arganier sacré 

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 Doum (dont on confectionne la tente sacrée des Regraga)au pied d'un arganier sacré

« Beaucoup d’objets qui témoignent d’une haute antiquité ont quitté l’île pour rejoindre le Musée d’Archéologie de Rabat. Mais un de ces objets est resté dans l’île. C’est une grande pierre jadis dressée dans le ciel. On trouve partout des bétyles datant d’une époque précédant les grandes religions monothéistes : il y en avait dans l’Arabie d’avant l’Islam. Le mythe de lalla Beit Allah chez les Regraga n’est pas sans rapport avec ces anciens cultes : on sait qu’il correspond, à des pierres dressées, qui furent ensuite recouvertes d’une toiture. C’est aussi le cas de « la fiancée pétrifiée », sur le djebel Hadid sur la route d’Essaouira à Safi. On ne doit pas, par conséquent suivre la tradition orale qui traduit « Beit Allah », par « Maison de Dieu », pour interpréter ce mythe hagiographique, il faut au contraire faire l’hypothèse d’un lieu de culte « mégalithique » lequel, sans remonter nécessairement à la préhistoire, ni d’ailleurs, pour ce lieu là, aux Phéniciens, a certainement précédé l’islamisation de la région des Chiadma. Pour le moment le Musée ne possède comme signe des Phéniciens que le fameux symbole de tanit que représente la fébule berbère en forme de triangle et qui figure comme armoirie de Tiznit ».

 

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 Tazrout, le piton rocheux d'El Jazouli vu de loin (Ph.A.Mana, fév.2010)

Tazrout , le gigantesque rocher qui se dresse au ciel et que surplombe le sanctuaire, est probablement un ancien bétyle. Il est entouré de deux autres rochers effilés qui se dressent à des hauteurs vertigineuses, qui donnent vaguement l’impression des formes anthropomorphiques (figures de singes et de lions sculptées dans le rocher), et dont la base est transformée en habitat troglodyte, sont probablement d’anciens bétyles également. Le maqâm d’El Jazouli couronne pour ainsi dire un ancien lieu de culte mégalithique berbère. Une sorte d’islamisation du paganisme. Sous le marabout,la mégalithe : c’est cela l’islam berbère,ou la berbérisation de l’islam si l’on préfère. 

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 Tazrout: le piton-bétyle d'El Jazouli vu de près

Les sources écrites utilisent improprement à son égard soit le terme Taghzout soit celui de Taçrout. On peut lire par exemple à ce sujet :« En vertu de sa baraka qui apporterait la victoire, Le cercueil de Jazouli fut promené dans le Sud marocain par l’agitateur Omar Sayyaf el Maghiti ach-Chiadmi. A la mort de ce dernier, la dépouille mortelle d’El Jazouli fut enterrée à Taghzout (au lieu de Tazrout), puis enlevé par les gens d’Afoughal, qui l’inhumèrent chez eux. Mohamed el-Aaraj le Saâdien le fit transférer à Marrakech où il trouva enfin le repos. »

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 Bétyle-troglodytes

L’auteur andalous Mohamed çalih, utilise quant à lui le terme de Taçrout :« L’Imam Ben Sliman Essamlali El-djazouli,est né dans l’extrême Sous dans la fraction des Semlala de la tribu de Djazoula, au commencement du IXè siècle de l’hégire ; il mourut à Tankourt dans le Sous vers 1465 et fut enterré d’abord à Taçrout (c'est-à-dire, notre Tazrout des Neknafa), puis à Afoughal. Enfin une soixantaine d’années après sa mort, son corps fut transporté à Marrakech sur l’ordre du premier sultan Saâdien Abou Âbbas Ahmed El Aâredj, où il fut inhumé à Riad Laârous. » 

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 à l'assaut du piton rocheux 

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Le sentier de verdure qui mène au sanctuaire 
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Les fondations rocheuses du sanctuaire 

La méthode ethnographique, c'est-à-dire le terrain, permet non seulement de rétablir le véritale toponyme du site de tazrout (le « rocher » en berbère),mais de découvrir qu’il s’agit en fait d’un bétyle et même de plusieurs se dressant au ciel dans un paysage fauve, attestant d’un ancien site mégalithique berbère. 

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 Des escaliers taillés dans le rocher 

On aurait enterré jadis al-Jazouli à cet endroit inaccessible de Tazrout pour préserver ses reliques du vol. Car il y a bien eu « guerre des reliques » entre Haha et Chiadma, à en croire le moqaddam de la source chaude :
- Du temps des luttes intertribales entre Neknafa, Mtougga, et Chiadma, les uns et les autres cherchaient à l’ensevelir sur leur territoire pour bénéficier de sa baraka. On croyait alors que la tribu qui en aurait pris possession aurait la prééminence sur les autres.
 

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 Une pèlerine quitte la coupole d'El Jazouli au sommet de Tazrout 

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 La maison du fquih 

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 La salle mortuaire 

Selon Ibn Âskar, « à la mort du cheikh, le cercueil fut déposé au milieu d’une raoudha (un cimetière) dans un endroit appelé ribât ; il ne fut pas mis en terre. Le caïd, par crainte d’un enlèvement le faisait garder : chaque nuit le caïd faisait brûler un moudd d’huile et la lumière, en atteignant au loin, éclairait les chemins et les voyageurs qui les suivaient. Le corps du cheikh reposa dans ce pays jusqu’au jour où il fut emporté à Marrakech. Lors du transfert du corps d’Al-Jazouli à Marrakech, soixante dix sept ans après sa mort, on constata que rien n’était changé en lui. Les Saâdiens montèrent sur le trône en l’an 930(J.C. 1523-1524). C’est Al Aâraj, le premier de cette dynastie ; qui ordonna le transfert à Marrakech de l’imam Al-Jazouli pour qu’il soit enterré à Riyâdh – Al- Ârous, à l’intérieur de la ville. Sur sa tombe on éleva un monument splendide et grandiose. » 

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La coupole d'El Jazouli vue de l'intérieur 

La mémoire d’Al-Jazouli sera revendiquée de bonne heure par la dynastie saâdienne, en la personne du fondateur Mohamed El-Qâ’îm venu depuis le Draâ et se faisant enterrer à Afoughal en 927/1517, près du corps du saint martyre, empoisonné sur ordre des mérinides. Une fois devenu souverain du Maroc, le Saâdien Moulay Ahmed Al Aâraj, ordonna le transfert des dépouilles de son père et de celle de l’imam El Jazouli, du lieu dit d’Afoughal à Marrakech où ce dernier figure parmi les sept saints de la ville.
Cette vénération particulière des Saâdiens pour El Jazouli s’explique de deux façons : c’est aux zaouia issues de ce cheikh que les Saâdiens ont dû leur élévation au trône d’une part, et d’autre part l’importance du tombeau de El Jazouli était telle que les sultans de la nouvelle dynastie croyaient sans doute préférable d’avoir dans leur capitale un sanctuaire qui était un véritable centre de ralliement.
 

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La coupole vue de l'extérieur avec les pièces où séjournent les étudiants en théologie de la médersa de Tazrout 

En remontant toujours plus haut, le défilée rocailleux de Taqandout, débouche sur la « sainte source » (l’aïn tagourramt), que surplombe un vieux arganier. Deux paysans y puisent une eau de roche, à la fois fraîche et pure. Le plus vieux me dit :
- Ben Sliman El Jazouli, le saint protecteur du pays a disparu, il y a cinq siècles et demi de cela. Il est dit « dou qabrein » (le saint aux deux tombeaux) parce qu’il a un sanctuaire ici, et un autre à Marrakech. Sa dépouille fut transférée à Marrakech , soixante quinze ans après sa mort.Il luttait contre les portugais. Il enseignait le Coran et le Jihad. Les deux armes de l’époque. Après sa mort, on s’est mis à transporter ses reliques pour vaincre grâce à leur baraka au Jihad.
 

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 L'étudiant en théologie à la médersa de Tazrout (février 1010, Ph.A.Mana) 

L’influence portugaise se heurta, devant Mogador, à une résistance don’t l’âme fut l’organisation maraboutique des regraga. Les affrontements entre Portugais et Berbères Haha devaient se poursuivre au delà de 1506.L’âme de la résistance locale à l’influence portugaise fut regraga, sous la direction du mouvement jazoulite don’t le fondateur, l’imam Al Jazouli, s’établit au lieu dit Afoughal, près de Had – Draa, où il prêcha la guerre sainte contre les chrétiens, avec une telle foi qu’il eut bientôt réuni plus de douze mille disciples de toutes les tribus du Maroc. Après avoir séjourné à Fès, Tit et Safi, El Jazouli se retira à la campagne dans les tribus Haha et Chiadma, non loin du mysticisme Regraga qui depuis 771 (1370) existe à l’embouchure de l’oued Tensift. 

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L'accès au cénotaphe d'ElJazouli, puisque sa dépouille a été transférée à Marrakech 

L’enseignement de Jazouli et de ses nombreux disciples a profité du mouvement de rénovation religieuse causé par l’invasion portugaise et y a gagné une telle notoriété et une telle autorité que la tariqa Jazouliya a fait oublier la tariqa Chadiliya don’t elle procède et l’a complètement remplacé au Maroc. 

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 Les figues de barbarie de Tazrout (Ph.A.Mana, fév.2010) 

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Chez les Neknafa, on lui consacrait jadis une frairie de trois jours à chaque mi-septembre julienne. Du temps du protectorat, le caïd M’barek y sacrifiait taureau avec Ahwach et fantasia.Maintenant, il semblerait que son affluence est beaucoup moins importante. Parmi ses disciples, on cite Abdelaziz Tabaâ, l’un des sept saints de Marrakech, qui fut le maître spirituel de Sidi Hmad Ou Moussa dans le Sous et de Sidi Saïd Ou Abdenaïm le grand saint des Aït Daoud en pays Hahî. D’après un acte recueilli chez les Mtougga, ce dernier, après avoir fonder une « principauté maraboutique » dans le Sous, convoqua à son chevet les Haha et les Mtougga à la fin de ses jours. Après une pieuse homélie, il les requit de la célébration annuelle d’un maârouf au début du mois de « mars berbère », mars’ajâmi(sic). Ils acquiescèrent dans un grand élan de contrition. Et chaque tribu de s’engager spontanément à verser aux descendants du saint, qui de l’orge, qui du beurre ou de l’huile. L’ensemble est qualifié de khidma, « service » et churût, « stipulation ». Cela se passe dans le courant du Xe siècle de l’hégire, c’est-à-dire au XVIè siècle. Le texte indique le processus habituel de ces engagements de groupe à patron. On retrouve là ces mêmes rapports sociaux de protection que nous avons découvert ailleurs entre saints Regraga et tribus-servantes Chiadma lors du pèlerinage circulaire du printemps.

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Maison - troglodyte de Tazrout, Ph.A.Mana 

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Après m’avoir offert l’hospitalité d’usage, le fqih en charge du maqâm, me lit une brève biographie de l’auteur de Dalil El Khaïrate :Jazouli était né dans la fraction des Semlala de la tribu des Jazoula de l’Extrême –Sud marocain. Il était donc de souche berbère. Il étudia à Fès, mais c’est au ribat des B. Amghar, à Tît, au Sud d’El Jadida, qu’il s’initia aux doctrines de Chadili, ramenées d’Orient par d’autres Cheikhs du Sud marocain. Sous les saâdiens, un marabout des B.Arous, descendant de Moulay Abdessalam b.Mechich, conduisit les contingents des Jbala à la Bataille des Trois Rois. Sa victoire accrut son prestige et il ramena la doctrine jazoulite dans sa montagne natale. C’est désormais de Jazouli que se réclameront tous les fondateurs de confréries, et la tariqa chadiliya au Maroc ne sera plus guère nommée que tariqa jazouliya. Les pérégrinations post mortem de Jazouli montrent de quel prestige il jouissait dans le Sud marocain. Pour cette raison on lui attribue un rôle central dans le développement des zaouia et des turuq (voies soufies), durant le 16ème et 17ème siècle.

 

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Signe de passage de pèlerins, borne de champs 

C’est au cours de son séjour studieux à Fès qu’Al-Jazouli rencontra une autre figure du mysticisme marocain. Il s’agit de Sidi Ahmed Zerrouq El Bernoussi né dans la tribu des Branès aux environs de Taza en 1442. Dans sa quête du savoir théologique et mystique, l’itinéraire de ce dernier est celui des maîtres spirituels de son temps. Après s’être imprégner de l’ordre mystique de la Chadiliya et du savoir théologique de la Qaraouiyne de Fès, il se rendit en pèlerinage au Moyen Atlas auprès du maître Soufi Sidi Yaâla, puis Sidi Bou Medienne de Tlemcen, de là à Bougie où il aura ses premiers disciples. A son retour de la Mecque , il s’établit dans l’ancienne oasis libyenne de Mestara, où il mourut dans sa retraite en 1494. Pour les amis de la légende, c’est plutôt le fils qui serait enterré en bordure de la Méditerranée en Libye, et c’est le père qui serait enterré chez les Branès, où sa dépouille aurait été amenée de Fès sur une jument. Malgré le cursus commun, de ces deux pérégrinant et maîtres spirituels, c’est finalement al-Jazouli qui aura le plus de prégnance sur le maraboutisme marocain, en particulier auprès des Regraga, qu’il entraîna dans le jihad contre les incursions portugaises sur les côtes, et auprès de la confrérie des Hamacha don’t le maître spirituel se réclamait du Jazoulisme.

 

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Sculpture


Sur cet Islam maraboutique et confrérique voici ce que nous dit Jacques Berque :
« Il arrive en effet que, par un échange très compréhensif, le confrérisme prenne appui sur des marabouts et les marabouts sur une confrérie. Dans les deux cas, le résultat sera le même sur le terrain : on aura cet établissement pieux : la zaouia. La plupart de ces zaouia procèdent de quelques grands saints du haut Moyen Âge, disons de la retombée des siècles d’or de l’Islam. Citons par exemple celle du Cheikh Abd al-Qâdir al-Jîlânî de Bagdad, d’Abou Median de Tlemcen, mort à l’extrême fin du XIIè siècle, du cheikh Abûl’Hassan al-Châdhulî qui rénova l’exercice du mysticisme populaire dans le courant du XIIIè siècle. Périodiquement ces écoles s’affaissent. Elles requièrent alors une rénovation, qui donne parfois naissance à des écoles dérivées ou dissidentes. Le fameux Mohamed al-Jazûlî, originaire des Idaw Semlal de l’Anti-Atlas (mort en 1473/4), a laissé un wird (formulaire d’oraisons), le Dalâ’il al-khayrât, que j’ai vu moi-même psalmodier par un cercle de vieillards assis sous une accaciée géante dans le lointain Darfour. Le cheikh Zerrûq (1442-1494), qui étudia à Fès, puis fixé à Bougie, et de là émigré sur la côte des Syrtes exerça une influence si profonde qu’il n’est guère aujourd’hui de congrégation qui ne le compte parmi ses références ou asnâd. Le Maroc et son extrême Sud paraissent avoir constitué le foyer le plus constant de ces mouvements...Le cheikh Ben Nâcer (mort en 1669) fonda à Tamgrout dans le Draâ, l’ordre Nâcirîya...Disons qu’à l’encontre d’une opinion trop répondue aujourd’hui, l’Islam des marabouts et des confréries a généralement assumé, pendant un demi siècle au moins après la conquête d’Alger, une résistance violente ou sournoise, don’t l’Islam citadin, par la force des choses, était généralement incapable. »

 

Les amandiers sont mauves juste avant d'éclore

 

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Amendier sacré centenaire (Ph.A.Mana)

 

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A l’issue de cette dérive au piton rocheux d’El Jazouji, comme jadis à l’issue de mon pèlerinage chez les Regraga, j’ai traversé le mont Tama pour la rejoindre à la vallée de Tlit. Elle m’accueillit comme d’habitude avec profusion de nourritures et de pastèques rafraîchissantes. Je ne savais pas encore que c’était la dernière fois que je la voyais vivante. Le lendemain, très affaiblie, on l’a transféré du pays Hahî à Marrakech, exactement comme ce fut le cas jadis pour Jazouli.

Tout un village est édifié là haut autour du maqâm que prolonge une medersa qui prodigue un enseignement religieux semblable à celui de la medersa çaffârîn (relieurs) de Fès, où l’Imam avait fait ses études au temps des mérinides et qui sera plus tard le prototype de toutes les medersa du Maroc.
D’après Ibn Âskar : « L’auteur de Dalaïl el Khaïrat qui suivit au début à Fès les cours de la Madrasa çaffârîn, occupait une chambre dans laquelle, dit-on, il ne laissait entrer personne. Apprenant la chose, son père se dit en lui-même :
- Il ferme la chambre parce qu’elle renferme quelque trésor.
Et il quitte son pays de Semlala dans le Sous, se rendit à Fès auprès de son fils et lui demanda de le laisser entrer dans la chambre. El Jazouli accéda à son désir ; sur les murs, de tous les côtés, étaient écrits ces mots :
« La mort ! La mort ! La mort ! »
Le père comprit alors les pensées qui hantaient son fils ; il se fit des reproches à lui-même :
- Considère, se dit-il, les pensées de ton fils et les tiennes !
Il prit congé de lui et revint à son pays d’origine. »
La mort hantait également Fatima, la sœur aînée de ma mère, que nous appelons affectueusement « lalla », notre marraine à tous. Comme Sidi Sliman El Jazouli, elle était également originaire, par sa mère, de la tribu des Semlala dans le Sous. Elle avait acheté il y a quelques mois déjà son propre linceul, le déposant au milieu, des tolbas qui firent festin et oraison funèbre au hameau de Tlit, où elle s’est retirée ces dernières années. Elle n’avait qu’un seul vœux : mourir dans la dignité, en finir par une mort aussi subite qu’une cruche qui se briserait d’un coup à la margelle d’un puit.
  A l’issue de cette dérive au piton rocheux d’El Jazouji, comme jadis à l’issue de mon pèlerinage chez les Regraga, j’ai traversé le mont Tama pour la rejoindre à la vallée de Tlit. Elle m’accueillit comme d’habitude avec profusion de nourritures et de pastèques rafraîchissantes. Je ne savais pas encore que c’était la dernière fois que je la voyais vivante. Le lendemain, très affaiblie, on l’a transféré du pays Hahî à Marrakech,  exactement comme ce fut le cas jadis pour Jazouli.

 

    Je note dans mon journal du jeudi 28 août 2008 : Lalla n’est plus. Elle est morte très tôt ce matin et sera inhumé à Marrakech vers la mi-journée. Elle rejoint ainsi mon père et ma mère que Dieu lui fasse miséricorde. Avec sa disparition, c’est la fin de toute une génération : celle  qui nous rattachait encore à nos terres d’origine.

  Toujours selon notre fqih, on doit la coupole originelle de Tazrout à Hassan 1er (1873-1894) :

- On raconte que quand celui-ci est arrivé au niveau des citernes, il aurait enlevé ses babouches pour marcher pieds nus jusqu’au maqâm d’El Jazouli. Il ordonna alors que le bois de la coupole soit amené de Timsouriîne.

     Laquelle  coupole fut entièrement détruite par les bombardements français de 1912, et l’huile que ramenaient les pèlerins au sanctuaire s’est déversée à flot, au point dit-on, que  l’oued ksob  l’a rejeté à son embouchure  au sud d’Essaouira. Par repentir l’allié des français qu’était le caïd M’barek  la  restaurera plus tard en faisant venir des artisans de Marrakech. Car lui disait-on :

 «Aussi longtemps que le maqâm restera sans coupole, la tribu demeurera sans protecteur ».

  La grotte d’Imine Taqandoute, comme le cénotaphe de Sidi Slimane el Jazouli, sont situés au cœur des Neknafa, non loin des ruines de Timsouriîne et de la demeure caïdale d’ Anflous transformée en champ de ruines par les bombardements de 1912 qui mirent fin non seulement au caïd Anflous, mais au caïdalisme tout court. Et maintenant islamisme et mondialisation galoppante, vont-ils mettre fin au maraboutisme et au confrérisme ? L’histoire nous le dira.Abdelkader Mana

22:06 Écrit par elhajthami dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Matière et manière

Matière et manièrehistoire,photographie

Tapis – Tableaux : L’art de l’indicible

    Des œuvres d’art, peuvent se faufiler à notre insu au milieu des objets utilitaires, jusqu’au jour où le regard exercé de l’expert vient les tirer de l’anonymat auquel ils étaient initialement destinées, pour nous révéler leur dignité d’œuvre d’art. Et c’est ce que nous propose  Frédéric Damgaard, en publiant en ce mois de novembre 2008 un très beau livre sur l’art des femmes berbères au Maroc.

arts

       Il faut, en effet, avoir le regard exercé par une longue fréquentation des formes et des couleurs pour dénicher chez la femme berbère le tapis -tableau qui renvoi à l’art contemporain. Comme jadis il avait découvert des talents d’artiste chez des autodidactes d’Essaouira et de sa région, le désormais célèbre critique d’art Danois, nous propose maintenant sa collection de tissage rurale comme autant d’œuvres d’art.. Après  Omar Khayam qui disait dans un célèbre quatrain :

« Allège le pas, car le visage de la terre est recouvert des yeux des biens aimés disparus », on a envie de dire désormais à quiconque foule un tapis : « Faites attention ! Vous êtes peut-être en train de fouler une œuvre d’art ! »

arts  En effet, au-delà de l’origine ethnographique de tel ou tel tapis ou tissage, ce qui frappe dans la collection du désormais célèbre critique d’art Danois, c’est d’abord la puissance d’expression des formes et des couleurs, qui séduit d’emblée le regard. On tombe immédiatement sous le charme magique de ces objets d’art, comme on reconnaît sans médiation la beauté d’un poème ou d’une partition musicale. Formes florales, anthropomorphiques, sinusoïdales ou géométriques, soupoudrées d’or, de rouge et de noire. Damgaard choisit volontairement de mettre en relief des détails pour souligner davantage la parenté explicite qui existe entre cet art des femmes rurales et l’art contemporains au Maroc et ailleurs. Tapis - tableaux qui se prêtent à une double lecture horizontale et verticale ou parfois même le « défaut » de fabrication ou l’usure du temps contribuent à ce caractère insolite et indicible de l’art rural, qui se caractérise par la gourmandise de ses formes et sa transgression de la sacro-sainte règle de symétrie de l’art citadin. Chaque niveau est différent du suivant et le même motif n’est jamais reproduit sous la même forme et la même couleur : variation sur la même note musicale. Et toujours cette harmonie mystérieuse qui anime la structure d’ensemble malgré les contrastes apparents et l’interpénétration de l’horizontal d’avec le vertical.

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       Des couleurs chaudes comme l’amour et la tendresse féminine. Comme les noces d’été et les fêtes saisonnières. Comme les rêves au lendemain d’une nuit nuptiale. Et toujours ce bonheur de rêvasser sur ces surfaces chatoyantes comme au bord de l’eau et au voisinage du feu. Comme une traversée de champs doré parsemé de marguerite et de coquelicot. On a l’impression de surprendre non pas une tisseuse mais une rêveuse qui tisse par ses fils d’or et de soie, son paradis imaginaire, son jardin secret. La fraîcheur de son regard à la levée des aubes resplendissantes et son éblouissement par les couleurs du crépuscule. Énigmatique plaisir dont seul l’artiste a le secret. Qui oserait piétiner de tels œuvres, que pourtant la tisseuse destinait à un usage purement utilitaire, et à qui le regard expert d’un Damgaard, donne une dignité d’œuvre d’art.

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 Comme dans une rêverie créatrice, La tisseuse passe d’une forme à l’autre, d’une couleur à l’autre, pour nous offrir en fin de parcours un tapis – tableau que ne renierait pas l’artiste d’avant-garde le plus contemporain qui soit. Musique silencieuse, émerveillement, moment de grâce. En somme une invitation à la rêverie visuelle, où rien n’est définitivement délimité à l’avance, où les formes en suspens semblent suggérer une continuité vers l’infini au-delà du cadre limité du tapis- tableau. Un espace de prière et pour la prière. Un art sacré donc. Mais aussi un art festif : jaune d’or, mauve pâle…Mais dans l’ensemble on ne sait pas de quelle poésie, de quel mystère, de quelle beauté tout cela est le signe.. On se dit : comment es-ce possible qu’avec un nombre si limité de signes, de symboles et de couleurs, on en est arrivé à ce langage de l’infini ? Chaque tapis – tableau est si différent de l’autre. Et chaque tapis – tableau transcende d’une manière si surprenante les déterminismes ethniques de son origine pour atteindre une expression esthétique universelle. Beauté intrinsèque. Esthétisme qui opère magiquement et immédiatement sur le regard. On est là aux origines de l’art contemporain marocain : mémoire tatoué, transfiguration des saisons printanières d’un pays berbère aux luminosités solaires. Voici donc l’hommage de l’homme venu du grand Nord à l’art des femmes berbères du grand Sud marocain.

   arts Le point commun entre la plupart des tapis présentés dans l’ouvrage est d’appartenir soit à des transhumants, soit à des nomades : Béni Mguild, Béni Waraïn, la région de Boujaâd, lesRehamna, les Oulad Bou Sbaâ, les Chiadma et Sidi Mokhtar qui fournit la khaïma auxRgraga pour leur pérégrinations printanières. De là à déceler dans ces tapis berbères une influence saharienne, voire africaine, il n’y a qu’un pas que l’auteur franchit allègrement y compris à juste titre pour des montagnards sédentaires tel les Glawa dont le col de Telouatétait connu pour être un lieu de passage obligé entre l’Univers saharien et africain au sud et l’univers méditerranéen au nord. C’est principalement les deux courants culturellement marquant du monde berbère proprement dit. En effet, certains tapis présentés dans l’ouvrage évoquent  ces masques africains sous forme de croix superposées, des totem ou des scènes de chasse telles qu’on peut encore les voire aujourd’hui dans la grotte d’Agdez au Sahara, du temps où celui-ci était verdoyant et attirait pachydermes, autruche et chasseurs africains qu’on voit reproduit par des peinture rupestres. 

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Mogadorien habillé en "Jabador"

       Un vêtir qui n’appartient nullement au Musée de l’histoire, et dont la fonctionnalité est loin d’être simplement folklorique. Et quand en ces hautes cimes de l’Atlas les tisseuses homériques d’Iswal en pays Glawa  se préparent aux rigueurs de l’hiver en  fredonnant de frais refrains tout en manillant l’antique quenouille – les chants des tisseuses accompagnent tout le processus du tissage – on obtient alors des objets esthétiques plutôt qu’utilitaires.Par delà les formes et les couleurs communes, les techniques du tissage au Maroc,concernent le tapis en laine du Moyen Atlas, en passant par le « Boucharouette » de la région de Boujaâd, le tissage broché Glawa , le tapis noué Aït seghrouchen, jusqu’au couvertures hanbel Zemmour. Et cela concerne des objets de la vie quotidienne aussi variés que le tapis de selle, le sac, le sacoche, le coussin,la tente des nomades et des transhumants. Cela concerne le  vestimentaire au féminin: telle la handira (cap de femme), la tadarrat (le voile de cérémonie), le tissus brodé d’Ighrem ou de Tata. Mais le vestimentaire se conjugue aussi au masculin : en commençant par la djellabah et la tunique de laine que portaient jadis les moines guerriers, en passant  par de très beau capuchons et bonnets de bergers de haute montagne.  Des vêtements en laine épaisse pour affronter les rigueurs de l’hiver qui caractérise aussi bien les cimes enneigées de Bou Iblân chez les Béni Waraïn du nord-est  que ceux des Glawaau sud –ouest. Là haut, il fait en effet très froid, de sorte que dés la tonte des moutons, les tisseuses berbères confectionnent d’épais tapis de laine pour isoler du sol, que des vêtements chauds pour protéger du vent glacial et sec qui balaie les cimes granitiques et dénudées. On fait alors des provisions de navets pour des couscous bien gras. Les berbères sont connus pour trois choses me disait mon père : le port du burnous, la consommation du couscous et les crânes rasés. D’où la nécessité de les couvrir de capuchons et de bonnets surtout quand il neige et quand il pleut. Mais que ces bonnets et ces capuchons soient hauts en couleurs !  Telle en a décidé la bergère à destination de son berger !  Abdelkader Mana

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 Les tableaux sont de Mohamed Zouzaf


 

 

 

 

 

01:37 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

17/09/2011

L'oued ksob et les îles purpuraires

Jour de pluie à l'embouchure de l'oued ksob 

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Le mercredi 3 mars 2010

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6h.Je quitte très tôt la ville alors qu'il fait encore sombre. La ville est entièrement inondée par les pluies déluviennes d'hier soir. J'ai du faire un long détour pour éviter les vastes marres qui relient maintenant le front de mer à l'ancienne lagune : entourant la ville de toute part, les eaux transforment la ville en un véritable îlot, ce qu'elle fut d'ailleurs à l'origine. J'ai du donc faire un long détour pour rejoindre la baie : le fameux « taghart » de notre enfance est entièrement jonché de branchages rejetés par la mer la nuit précédente. Entre de lourds nuages, la lune me fait signe. La rivière doit être en crue. Je dois y aller pour prendre quelques images au levé du jour. 

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 Au niveau de l'embouchure de l'oued ksob, une très violente pluie me fouette au visage. Les fines gouttelettes d'eau me font l'effet d'une tempête de sable. Un vent violent les porte d'Ouest en Est semble les arracher de la surface de la rivière en crue. Je me réfugie au milieu des dunes recouvertes de genêts : impossible de rejoindre en ligne droite le pont de Diabet qui semble pourtant si proche à vol d'oiseau. : des étangs emplissent la cuvettes, noyant le champs de genêts et de joncs noircis, brûlés, desséchés par le soleil brûlant de la saison d'été précédente.  Cela me rappelle les virées de notre enfance lorsque sous des pluies battantes nous récoltions des escargots dans ces mêmes parages...Dans notre enfance et notre adolescence, après  le vieux pont éfondré , on passait par l'allée ombragée d'eucaliptus où nous récoltions les escargots sous la pluie battante, juste en face de Diabet, là même où j'avais écrit un poème étrange et beau, inspiré du Lac de Lamartine! Puis nous traversions  sous l'autre  pont rose de Tangaro, avant de rejoindre à une encablure delà les fameux " trois palmiers", notre paradis secrêt, le lieu de nos pique-nique. Je ne sais pas pourquoi, à des années lumières de cette période heureuse de ma vie, je me suis retrouvé là en rêve, en présence de mes amis d'enfance et d'adolescence, pourtant disparus de ma vie depuis fort longtemps 

 

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Du nouveau pont de Diabet ; je découvre une image incroyable de l'île vue de l'embouchure.

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Le Ksob coule au pied du vieux village de Diabet sous la pluie

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Le nouveau pont est en plein traveaux pour relier la ville au nouveau golf : il est édifié en lieu et place du pont de Diabet qui s'est éfondré lors d'une violente crue du début des années 1920 

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 Le soir de cette même journée , je prends ces deux dernères images du coeur de la ville

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La ville semblait flotter dans l’air, nager dans l’eau.

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Sous le pont de Diabet, d'après Roman Lazarev

    De tout ce parcourt on n'allait guère plus loin que "les trois palmiers": au sud de la baie d'Essaouira on remontait l'amont de l'oued en passant par le chateau ensablé au milieu des tamaris(Dar Sultan el Mahdouma : le chateau en ruine du sultan), . Puis on allait s'amuser au Kow-boy sous le vieux pont de Diabet qui,à peine édifié en 1926  qu'il fut emporté une année plus tard par les innondations impétueuses de l'oued:.le lendemain  on retrouva l'architecte  Français qui l'avait édifié  suspendu sous le pont, une corde au cou! Il s'était donné la mort parce qu'il n'avait pas supporté que son oeuvre s'effondra si rapidement! Pourtant son bon vieux pont fut le décor de nos plus beaux souvenirs..... 

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    Les Trois Palmiers et les dunes de sablehistoire,photographie

  palais ensablé au sud de la baie avant le reboisement du début du Protectorat.Le vent et le sable ont ruiné "Dar sultan": Faute de bois protecteur ses tuiles et ses arcades ont vite fait de s'éeffriter au grè des tempêtes de sable..

 Autour de la ville, il n'y avait que du sable et du vent comme a pu le constater en 1804, un aventurier espagnole qui se faisait passer pour un turc au nom d'Ali Bey Al Abbassi :«… Le sable est d’une finesse tellement subtile, qu’il forme sur le terrain des vagues entièrement semblables à celles de la mer. Ces vagues sont si considérables qu’en peu d’heures, une colline de 20 ou 30 pieds de hauteur peut être transportée d’un endroit à l’autre. C’est une chose qui me paraissait incroyable, et à laquelle je n’ai pu ajouter foi que lorsque j’en ai été le témoin… ». Il fallait des matinées entières pour déblayer les portes de la ville du sable déposé durant la nuit pour pouvoir donner accès aux commerçants venus d‘un peu partout. Dans les années 1914, la situation décrite par les chroniqueurs de l’époque est alarmante. Rien ne paraît arrêter la progression de ce sable en mouvement continu et l’accès à la ville est devenu pratiquement impossible. La fixation des dunes et le reboisement ont commencé en 1918.

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Encore de nos jour, on procède régulièrement à la fixation des dunes par des plantations de genêts transportées à dos de chameaux : L'indispensable reboisement pour fixer les dunes de sable..

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Les dunes de sable menaçaient d'envahir la ville à chaque tempête.Il fallait attendre le début du XXème siècle pour voire fixer ces dunes par des plantations de genêt (connu sous le nom vernaculaire de "Rtem"), de mimosas et de tamaris...et de jeter par dessus l'oued ksob le pont rose de Tangaro qui permit enfin  d'éviter l'isolements que connaissait la ville à chaque crue hivernale .

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La ville était entourée de partout de dunes de sablehistoire,photographie

 En ce Sud – Ouest marocain , l’oued Noun est un terrain de pâturage particulièrement favorable aux chameaux. La légende prétend que son nom primitif était l’oued Nouq(la rivière des chamelles). L’introduction du chameau au Sahara fut un évènement majeur pour la survie de l’homme dans un milieu hostile. Sans les troupeaux, l’homme ne peut se maintenir au Sahara. Le dromadaire y joue le premier rôle. La grande histoire désertique commence avec lui. Le dromadaire a donné à l’homme la faculté d’exploiter des végétations sur des étendues de plus en plus vastes et variées.

  O troupeau de chameaux sans guide ni bride !

Presses le pas vers la bien aimée

Suit le zéphire qui souffle d’Est en Ouest

Va au devant des brumes maritimes

Et de leurs drus pâturages !

 

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L'architecte Marie, maître d'ouvrage du pont de Diabet dans sa résidence à "Aïn Lahjar"(la source de pierre): pour défendre son honneur il s'était pendu sous le pont qu'il a édifié le lendemain de son écroulement lors de la crue du 21 nov. 1927 .L'architecte Marie était le maître d'oeuvre des bâtiments importants de la ville : l'horloge inauguré par Lyautey en personne, le pont de Diabet, la poste, la C.T.M

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 La poste édifiée par l'architecte Marie , digne continuateur de l'oeuvre de Théodore Cornut qui établi le plan de la ville.

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Construction de la C.T.M. à Mogador par Marie

Les ouvriers employés étaient uniquement des femmes qui seraient payées par leur alimentation quotidienne en raison de la famine. En haut à gauche, Marie avec un chapeau supervise les travaux.histoire,photographie

Et il est bien évidamment l'auteur de l'emblèmatique horloge des deux kasbahs.... histoire,photographie

Vue de l'oued ksob et de la ville depuis Tangaro, avec le pont de Diabet enjambant l'ouedhistoire,photographie

Après la destruction du pont de Diabet en 1927,"un pont rose" fut construit près du lieu dit "Tangaro"

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 L'auberge Tangaro au sud de Mogador

  Le matin du vendredi 15 Rabiî II 1272, correspondant au 4 Janvier 1856, le ciel s'était couvert d'épais nuages noirs. Une violente tempête accompagnée d'averses s'était abattue sur la ville. La mer déchaînée, avait causé la perte du navire "le Prophète" chargé de marchandises appartenant au négociant Ahmed Bouhlal el Fassi. Le jour suivant, l'oued ksob était entré à son tour en crue. La mer devenue plus violente causa la perte de cinq autres bateaux appartenant aux négociants : Ratto dit Pepe ou Bibi, consul du Brésil à Mogador, l'anglais Akrich, les israeliens Corcos  le Marrakchi et Naftali, enfin Ben Mchich.histoire,photographie

 Les trois palmiers : The Palm Tree Hotel - Mogador 

 Pépé Ratto avait en effet entamé la construction de l’hôtellerie des « trois palmiers » vers 1890. Elle fut connue de tous les touristes qui faisaient escale à Essaouira. A la suite du siège de la colonne Massoutier à Dar ElCadi dans la localité de Smimou par les troupes du caïd Anflous et Guellouli ,les colonnes Ruef et Bellanger occupèrent successivement l’hôtellerie du 27 décembre 1912 jusqu’au matin du 20 janvier 1913, date du départ de la colonne du Général Brulard de Mogador pour délivrer les soldats français et châtier les caïds qui avaient participer au siège. L’utilisation par les français de cette hôtellerie comme fort militaire, fut interprétée par les habitants comme la collaboration de Pépé Ratto avec les troupes d’occupation. Devant la gravité de la situation, le propriétaire des lieux dut évacuer l’hôtellerie le 18 décembre 1913 pour retourner à Mogador. C’était ainsi que la Palméra ferma ses portes, et tomba dans l’oubli après avoir connu pendant plusieurs années, une grande renommée dans les annales de la presse européenne. Profondément déprimé, Pépé Ratto décéda en 1917 à Essaouira, la ville qui l’avait vu naître, grandir et s’épanouir. 

   Parente de ce Ratto, cité plus haut, Michèle Gaudon m’écrit maintenant depuis Toulouse : "Je suis très attachée à Mogador, ville qui a accueilli ma famille dès 1845 - Elle venait d'Andalousie pour certains, et de Gênes pour d'autres;Ma famille maternelle : RATTO - DAMONTE et BENITEZ et moi y compris, y avons vécu de 1845 à 1959. Mogador est dans notre cœur depuis toujours.Je suis, de loin, son évolution.son devenir...Les Souiris sont chers à mon cœur - tous, sans exception.J'ai connu l'époque où juifs, arabes et chrétiens s'entendaient -MM Desjacques et Koeberlé étaient mes professeurs... et j'étais là lors de leur découverte sur Juba II. Nostalgie.Cordialement."histoire,photographie

Landing Passengers - Mogador

Jadis , les touristes anglais débarquaient à Mogador puis  se rendaient au sanatorium à dix kilomètres au sud d'Essaouira avant de poursuivre leur chemince vers  Marrakech comme a pu en témoigner Eugène Aubin au mois de novembre 1902 : "Un Gibraltarien, très en avance sur son temps, a établi un sanatorium à dix kilomètres de la ville, sur un plateau rocheux recouvert de buissons, de genêts, de lentisques et d'arganiers qui s'étend entre la mer et les premiers contreforts de l'Atlas.Afin de se rendre à Palm Tree House, on quitte Mogador par la route du Sous pour suivre la longue plage circulaire qui entoure la rade et forme la promenade favorite des habitants. Une fois l'oued kseb passé à gué la piste longe le petit village de Diabet, tout enclos de murs qui s'élèvent sur de hautes dunes de sable pour trouver une ligne droite tracée à travers les genêts et conduisant directement au sanatorium.C'est une maison rouge sans étage, installée avec un confort précieux dans ces solitudes; les malades n'y viennent point encore mais elle reçoit de temps à autre, quelques hôtes anglais, en route pour visiter Marrakech ou en quête d'un bon terrain de chasse.Ceux qui recherchent ce sport sont servis à souhait, le plateau abonde en perdrix, lièvres, sangliers et porcs-épics."

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Une piste romaine reliait  Tangaro sur les hauteurs Sud de Diabet à « Karkora » au bord de lamer via une magnifique forêt de thuya, de mimosa grouillant de perdrix, de lièvres et de sangliers : aujourd'hui toute cette faune et toute cette flore a disparu sous le green du nouveau golfe qui occupe une superficie supérieure en hectares à celle de la ville. Cet immense espace aujourd'hui entièrement grillagé et interdit d'accès , était sauvage et servait depuis le XVIème siècle comme pâquis où venaient brouter librement les troupeaux  de Diabet et où les gens de la ville organisaient leurs « Nzaha » (pique - nique rituel) à l'ombre des ruine de Dar Sultan ensablée. Les marins de Diabet, avec leurs filets de pêche pour rejoindre le front de mer empruntaient jusqu'à une période récente cette lumineuse et sauvage piste blanche disparue sous le green. Cette ancienne piste romaine aboutissait à « Karkora », là où sont établies, sur le récif, les huttes des récolteurs d'algues. Cette piste blanche, disparue sous le green, reliait jadis l'antique puits de TANGARO aux digues de KARKORA , ces bassins de pierres dont se servaient jadis les Romains pour y piéger les poissons quand lamer se retire à marrée basse. C'est une technique qui est encore utilisée de nos jours, là où il y a de fortes marées : en se retirant , la mer laisse derrière elle les poissons, qui sont ainsi pris au piège par ces anciens bassins de pierres, dénommés ici « KARKORA », le féminin de « KARKOR », le tas de pierres sacrées en langage vernaculaire.

 

 Cet immense site des îles purpuraires abritait en effet deux fabriques romaines : l'une sur la plage de l'île au niveau du tertre produisait la pourpre à base du gland du Murex, coquillage auquel les romains donnaient le nom de Purpura Haemastom (d'où le nom des îles purpuraires que portait Mogador de Juba II). La seconde fabrique est celle du garum. Elle était située sur le continent à l'emplacement actuel du lieu - dit « KARKORA », des récolteurs d'algues, soit à mis - chemin entre la Tour de Feu Phénicienne ;le « Borj El Baroud » des Saâdiens et Cap Sim.histoire,photographie

L'éolienne de Tangaro

 

 Le garum est une sauce de poisson - pourri , dont les romains étaient friands, qui était concocté à la manière du Nyak -Nyam  Vietnamien. Une fois pris au piège au bassin de pierre de KARKORA, les romains transportaient ce poisson à dos de mulets et de chameau,à travers la piste blanche disparue sous le green, jusqu'aux hauteurs de Diabet où se trouvait le puits de « Tan - garum », devenu plus tard « TANGARO » où se situe l'auberge du même nom. Les romains puisaient là, l'eau douce dont ils avaient besoin pour se désaltérer et pour fabriquer le garum.Or en berbère le puits se dit « Tanout » : Imin - Tanout signifie la margelle du puits chez les sédentaires Masmoda dont font partie les Haha au Sud d'Essaouira et « Anou Ou Kchod » qui a donné Nouakchott, l'actuelle capital de Mauritanie, signifie le « puits du bois » en langue Sanhaja,

 

 les premiers nomades berbères du Sahara. Le toponyme de « TANGARO » dérive donc d'un mot composé du nom du puits en berbère Haha « Tan » et du poisson - pourri romain « Garum » ; ce qui donnera plus tard le toponyme de « TANGARO », lieu - dit situé à l'emplacement de l'auberge du même nom où trône d'ailleurs au milieu des cactus et autres genêt, une vieille éolienne dont les pales métalliques bruissent perpétuellement sous la fureur des vents alizés.

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DEUXIEME PARTIE

LES ÎLES 

PURPURAIRES


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 Depuis la haute antiquité le site est fréquenté, d'abord par les Phéniciens comme en témoigne la bétyle dressée au ciel qu'on a découvert sur l'île, ensuite par les Romains dont on a retrouvé, toujours sur l'île, entre autre les vestiges d'une villa, d'une mosaïque représentant un paon et d'une pièce de monnaie à l'effigie de Juba II. Et il y a encore peu de temps de cela, des marins ont remonté dans leurs filet deux amphores romaines entièrement intactes, recouvertes seulement de coquillages et d'algues. Et non loin des récifs de la Scala de la mer, où les anciens entrepôts de canons et de poudre sont actuellement occupés par les ateliers des marqueteurs, d'autres marins ont de leur barque entrevue au fond de l'eau, par temps calme et eau transparente, ce qui ressemble à une autre mosaïque romaine que celle déjà répertoriée sur l'île.

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 Tête romaine découverte en novembre 2006 à proximité d’Essaouira

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Bronze représentant Juba II trouvé à Volubilis.

Analysant cette découverte, Jean François Clément écrit :Provisoirement, nous pouvons conclure que la principale arrivée d’eau du canal d’adduction des maisons qui bordaient la plage d’Essaouira avait reçu du roi de Maurétanie, au cours du siècle qui précède notre ère ou du premier siècle de notre ère, un décor de marbre, donc un objet d’un très grand luxe. Le matériau et le modèle sont grecs. Il est possible que cet objet soit contemporain du roi hellénisé Juba II plutôt que de son père. Il pourrait aussi appartenir à l’époque de son fils Ptolémée. L’absence de ruban diadémé indique qu’on n’est pas en présence d’une figure royale. La bouche ouverte et l’absence de lèvres font donc plutôt penser à un Faune ornant une fontaine. Mais ce ne sont là que des hypothèses très provisoires que l’analyse chimique et physique de l’objet en question peut modifier.

 Le site d’Essaouira est habité depuis plus de vingt-cinq siècles. On trouve cette ville mentionnée sur la carte de Ptolémée, sans doute, sous le nom de Thamusiga (ou des îles de Cerné). Elle est située entre le cap Hercule et le cap Oussadion (sans doute en tachelhit d’aujourd’hui, cap U-Assiden ou des autruches). Ce terme de Thamusiga est un mot qui représente sans doute tama n-ousiga, c’est-à-dire « à côté du canal ». Cela peut signifier soit le canal qui, dans la mer, sépare la côte des deux îles, îles appelées tantôt Cerné, tantôt ïles puerpéraires, plus tard, île de Pharaon.

On peut signaler que ce « canal » pouvait facilement être traversé à pied jusqu’au début du XXe siècle, le chemin ayant même été relevé par des marins puisqu’il figure sur une carte. On peut donc penser qu’il y eut, comme au XIXe siècle, un canal liant l’oued Qçob à la zone où se trouvaient les anciennes villas des industriels et commerçants qui se trouvaient le long du rivage deux à trois mètres plus bas que le sol actuel recouvert depuis le XVIe siècle par des sables.

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  Le passage permettant de rejoindre à pied l’île de Mogador.

On n’a jamais retrouvé le site de cette ville antique. Les pêcheurs disent qu’il y a des mosaïques sous l’eau dans la baie, mais aucune recherche systématique n’a été faite. On peut imaginer que la ville était une agglomération tout en longueur située tout au long de la baie le long d’un canal d’amenée d’eau douce, ce qui expliquerait le nom de la ville, « celle qui est située le long du canal ». On pourrait peut-être même rapprocher les termes ancien de siga et moderne de seguia.

 

 

Rivages de pourpre 

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Coquillages par Roman Lazarev

Sur la plage de Safi, à deux kilomètres au nord d’Essaouira, les explorateurs ont découvert des amoncellements considérables de coquillages de Murex et de Purpura Haemastoma – le vent ne cesse d’en découvrir pour les recouvrir ensuite lorsqu’il remodèle les dunes –, confirmant que c’est bien ici que se situaient les îles purpuraires, où Juba II avait établi au 1ersiècle av. J.C. ses fabriques de pourpre.

D’après Pline, Juba II organisa une expédition sur l’archipel des Canaries à partir des îles purpuraires : « L’expédition organisée par le roi Juba II partit des îles purpuraires, c'est-à-dire de Mogador, et suivit une route qui atteste une réelle connaissance des courants et du régime du vent dans cette partie de l’océan : « les îles fortunées, écrit Pline d’après Juba, sont situées au midi un peu vers l’ouest des Purpurariae... »

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A propos de cette carte de Ptolémée trouvée en Égypte à la fin du XIXe siècle, Jean François Clément m'écrit:  "J'ai mis le nom d'Essaouira en face de Tamousiga (en grec pour transcrire tama-n-siga, à côté de la rigole d'alimentation en eau, à côté du canal en provenance de l'Oued Qçob qui alimentait les villas présentes en bord de côte, là où le passage vers l'île pouvait se faire à pied et là où vivaient les industriels faisant exploiter sur l'île par leurs ouvriers la pourpre) ."

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Libya interior sur la carte de Ptilémée

 Si l’on voulait aller de Mogador aux Canaries en droite ligne, on était pris dans un courant qui portait du large vers l’Est, donc vers la côte. Il valait mieux s’y soustraire, ce qu’on faisait en se dirigeant vers l’Ouest, une fois cet espace traversé les navires se trouvaient dans la zone des forts courants du Nord au Sud, produits par les vents alizés, certains de dériver assez sensiblement au Sud pour atteindre les Canaries. Le long du continent les vaisseaux de Juba II, ne semblaient guère avoir dépasser Mogador. La carte qu’Agrippa fit dresser à l’époque de Juba, n’indiquait pas de ports après portus Rhysadments, qui pourrait devoir être identifié à Mogador...Au second siècle de notre ère, les renseignements précis de Ptolémée s’arrêtent également à la région de Mogador. Dans son « libyca », l’ouvrage que JubaII consacre au pays natal, où il faisait usage du Périple d’Hannon...C’est sans doute dans ce traité qu’il mensionnait les teintureries crées par son ordre aux îles purpuraires. »

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 La pourpre était extraite de la glande du Murex. C’est une glande grosse comme le bout du petit doigt, un peu jaune soufre, jaune pâle, qui produit la pourpre. Exposée au soleil, elle devient d’abord verdâtre avant de virer au bleu, puis au violet et enfin au pourpre.

 Le Murex était recueilli à l’aide de nasses à une trentaine de mètres de profondeur, sur les fonds rocheux où ces molusques se fixent par leur pied ventral. Selon Pline l’Ancien, la pêche du coquillage purpura se pratiquait uniquement à ces deux périodes de l’année, « celle qui suit le lever de la canicule ou celle qui précède les saisons printannières. »

 C’est le long de la côte que les brouillards fréquents et les influences marines rendent le pâturage relativement abandon. Nous sommes à hauteur de l’île fortunée la plus importante des îles Canaries que certains archéologues identifient à la mythique île de Cerné. Cette île de Cerné située au large du Sahara occidental entre le cap Juby (Tafaya) et le cap Bojador. Sur ces rivages, la présence de monceaux de coquilles de purpura haemastoma  et de murex, répondant à ceux des environs de Mogador nous apportent la preuve d’une industrie très active sur toute la côte marocaine évoquée par les auteurs anciens lorsqu’ils citent « la pourpre Gétule ». On sait combien les romains recherchaient le précieux coquillage qui sécrète la pourpre et quelle teinture renommée ils fabriquaient avec ce produit. Les textes de l’époque romaine mentionnent des pêcheries et des ateliers sur divers points du littoral marocain, vraisemblablement sur l’île de Mogador et à l’embouchure de « la rivière dorée » (Oued Edahab). Horace et Ovide vantaient les vêtements somptueux teints de pourpre Gétule. On appelait « Gétules » les populations berbères nomades qui vivaient au sud  des provinces romaines d’Afrique. On peut donc admettre que la pourpre Gétule provenait de la côte atlantique du Maroc. Cette teinture dont les nuances allaient du rouge au violet et au bleu verdâtre dont on imprégnait les étoffes de laine et de soie était si estimée . Pomponius Mela nous dit à ce propos :  « Les rivages que parcourent les Négrites et les Gétules ne sont pas complètement stériles ; ils produisent le purpura et le murex qui donnent une teinte d’excellente qualité et célèbre partout où on pratique l’industrie de teinturerie »

      Le trafique transsaharien entre Gétules, les berbères du Maroc dont nous parlent les auteurs antiques et les Ethiopiens de Bilad Soudan remonte certes à l’antiquité mais il ne prit véritablement son essor qu’avec  l’avènement de la conquête arabe du Maghreb au VIIIème siècle. Il connaîtra une poussée considérable sous les Almoravides et les Almohades. Il ne fait pas de doute que c’est la quête de l’or qui faisait traverser au marocains le Sahara pour rejoindre le pays des Noirs. Cette route qui menait au Sénégal au royaume de Shanghai passait à travers les Regraga , les Gzoula et les Sanhaja

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En plein Sahara, bien au-delà du M'sied.

Peintures rupestres d'asgar filmées  en 2005, pour"la musique dans la vie",

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Peintures rupestres d'asgar

Les Berbères et les Noirs sont les premiers fondateurs d’oasis sahariens comme en témoignent les peintures rupestres découvertes récemment au-delà du Msied et du mont Tassoukt qui le surplombe. Le site préhistorique en question se situe sous un abri rocheux effondré qui surplombe l’ancien oued desséché d’Asgar. Sous le bloc effondré, l’abri principal du site recèle les peintures rupestres d’animaux de la grande faune africain . On distingue une antilope : c’est le mammifère saharien qui a le cuir le plus solide. Les Lamta se servaient jadis de la peau du mâle pour la fabrication des boucliers. Un peintre représentait des girafes. Il y a là aussi le mouflon, un bouquetin, une autruche, le plus grand oiseau africain. On peut admirer aussi la représentation d’un char à l'e(ncre rouge, représentation symbolique de la route des chars qui reliait le Maghreb à l’Afrique subsaharienne. Tout près de l’entrée de l’abri principal qui abrite les grandes arches, on a dessiné un petit éléphant brun. L’éléphant d’Afrique, le plus grand mammifère terrestre. L’éléphant fut certainement l’un des premiers animaux à occuper le Sahara dés l’établissement de conditions favorables. Il a peut-être été aussi, l’un des premiers à l’abandonner quand la tendance s’est inversée. Scène de la vie pastorale : la représentation d’un homme qui tient un arc à la main. Les animaux sauvages sont plus nombreux que les animaux domestiques. Ce sont les girafes qui apparaissent le plus souvent. Ainsi donc, le vaste désert qui est aujourd’hui le Sahara a connu il y a 8000 ans, un climat beaucoup plus propice au développement animal et à la présence anthropique. Les hommes qui vivaient à cette époque ont couvert de gravures et de peintures, les massifs rocheux depuis l’Atlas saharien jusqu’au Soudan.

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C’est que le Sahara a été non pas un obstacle mais plutôt un lieu de brassage et de métissage, entre les sédentaires Masmouda, les nomades Sanhaja, et le Soudan (le pays des noires), bien avant l’arrivée des moulattamoune ,ces porteurs de lithâm (voile), ces arabes maâqil Hassan, qui furent le fer de lance des Almoravide, et qui partirent à la conquête de l’Andalousie musulmane depuis les ribât, ces couvents – forteresses, du bord du fleuve Sénégal.

 

 

La petite histoire d’une grande découverte

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Jusqu’en 1950, on pensait que les Phéniciens et les Romains n’avaient peut-être pas dépassé le Nord du Maroc, alors que du côté de Luxus et Volubilis on avait les preuves évidentes de leur présence, il n’y avait rien de semblable au Sud jusqu’au jour où des enseignants, MM Desjacques et koeberlé allaient entreprendre des fouilles systématiques dans l’île de Mogador, qui prouvent que le monde antique allait en réalité beaucoup plus au sud que le fameux limes, plus exactement jusqu’à l’île de Mogador qu’on peut identifier à la mythique Cerné qu’évoque le périple d’Hannon .

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G.Lapassade à Essaouira, 1993 (ph.de Luigi Di Cristo, archives de Martino)

En 1985, Georges Lapassade profite du passage dans la ville de Desjacque et de sa femme pour les interroger à ce sujet, et publie le résultat de cet entretien sous le titre : « la petite histoire d’une grande découverte » :

« En 1950 Desjacques et Koeberlé enseignants à Mogador, consacraient leurs loisirs à la recherche des silex taillés de l’époque préhistorique. Cette recherche les conduisit dans l’île d’Essaouira où ils trouvèrent dans le sable des fragments de poterie, des pièces de monnaie. Des fouilles plus systématiques furent entreprises aussitôt. En creusant assez profondément du côté de la plage de l’île, sur le « tertre » on a mis à jour une couche phénicienne, la plus profonde, et des couches plus récentes en particulier celle des Romains du temps de JubaII. La petite histoire de cette recherche nous était jusque là inconnue. Desjacques nous l’a racontée, la voici :

- Comme il était interdit, raconte Desjacques, de chasser sur le continent en période de fermeture, la société de chasse locale Saint Hubert élevait des lapins dans l’île. Les lapins avaient brouté l’herbe et mis à nu le sol. Par le vent qui emportait le sable, par érosion, les pièces antiques étaient visibles à la surface du sol.

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  Mais il fallait pour éclairer la première découverte faite dans l’île une référence que Desjacques et Koeberlé connaissaient bien : le court récit dit du « périple de Hannon », sauvé de la destruction de Carthage dit-on, par un copiste grec. Ce document décrit le parcourt du navigateur chargé de retrouver et fixer les étapes d’un parcours maritime. Le contenu du texte interprété donna à Desjacques et Koeberlé la conviction d’avoir mis à jour la preuve d’une étape phénicienne dans l’Atlantique peut être Cerné « où nous fondâmes une colonie » écrit l’auteur du périple d’Hannon. Ils organisèrent alors un petit Musée pour leurs élèves et pour la ville à la Sqala :

- C’était une pièce minuscule qui abritait tout ce que nous ramenions de l’île : les débris de vases, les pièces de monnaies. Raconte Desjacques.

Les pièces sont maintenant au Musée d’archéologie de Rabat. Desjacques et sa femme vont séjourner en vacances chez des amis qui habitent à Agadir :

- Nos amis, demeuraient près du rivage de l’Océan, raconte Odette Desjacques. Un jour de grandes marées, à l’heure où la mer était retirée loin de la côte, j’ai vu des femmes ramasser des coquillages dans les rochers. Elles cassaient les coquilles, les broyaient, les lavaient à l’eau de mer et conservaient dans de grands couffins, la partie comestible. Je me suis approchée d’elles, et j’ai remarqué alors que leurs mains étaient violettes. Or nous parlions souvent, à Mogador, avec mon mari et Koeberlé de la fameuse pourpre de Gétules pour laquelle les Romains avaient installé dans l’île des « fabriques ». On ne savait pas comment la teinture était fabriquée. Et voilà que ces femmes d’Agadir nous apportaient la solution de l’énigme ! Je me souviens que nous avons mis quelques coquillages brisés dans un tissu de coton blanc qui a toujours gardé la couleur...Il y avait, dans le coquillage, une glande jaune au moment où on la recueillait en cassant la coquille. Puis la couleur changeait au soleil et devenait verdâtre, puis violette, plus précisément « pourpre »....Nous avons apporté quelques coquillages vivants à Mogador, nous les avons déposé dans les rochers à la « plage de Safi » pour essayer de les faire reproduire. Mais le sable les a recouvert. Or sur cette même plage, nous avons trouvé des coquillages pour être précis, les purpurae haemastomae, vides avec un trou dans la coquille. C’est par cet article qu’on extrait la précieuse glande. On pourrait probablement en trouver encore aujourd’hui au même endroit. Nous en avons fait identifier, à Paris au Muséum, les résultats ont été probants."

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 Le site de l’île comme lieu de fouilles a été trouvé on l’a vu, par hasard alors qu’on y cherchait des silex taillés...D’après Pline, Juba II organisa une expédition sur l’archipel des Canaries à partir des îles purpuraires :

  « L’expédition organisée par le roi Juba II partit des îles purpuraires, c'est-à-dire de Mogador, et suivit une route qui atteste une réelle connaissance des courants et du régime du vent dans cette partie de l’océan : « les îles fortunées, écrit Pline d’après Juba, sont situées au midi un peu vers l’ouest des Purpurariae... » 

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 Si l’on voulait aller de Mogador aux Canaries en droite ligne, on était pris dans un courant qui portait du large vers l’Est, donc vers la côte. Il valait mieux s’y soustraire, ce qu’on faisait en se dirigeant vers l’Ouest, une fois cet espace traversé les navires se trouvaient dans la zone des forts courants du Nord au Sud, produits par les vents alizés, certains de dériver assez sensiblement au Sud pour atteindre les Canaries. Le long du continent les vaisseaux de Juba II, ne semblaient guère avoir dépasser Mogador. La carte qu’Agrippa fit dresser à l’époque de Juba, n’indiquait pas de ports après portus Rhysadments, qui pourrait devoir être identifié à Mogador...Au second siècle de notre ère, les renseignements précis de Ptolémée s’arrêtent également à la région de Mogador. Dans son « libyca », l’ouvrage que JubaII consacre au pays natal, où il faisait usage du Périple d’Hannon...C’est sans doute dans ce traité qu’il mensionnait les teintureries crées par son ordre aux îles purpuraires. »

  Pour Vidal de la Blache, il ne fait pas de doute que nous avons à Mogador « le site où, d’après nous, Juba – après avoir entrepris des recherches dit Pline -, se décida à installer des ateliers de pourpre. »

   Selon le texte de Pline l’ancien : « les renseignements sur les îles de la Mauritanie ne sont pas plus certains. On sait seulement qu’il y en a quelques unes en face des Autololes, découverte par Juba, qui y avait établi des fabriques de pourpre de Gétulie. »

   La pourpre était extraite de la glande du Murex. C’est une glande grosse comme le bout du petit doigt, un peu jaune soufre, jaune pâle, qui produit la pourpre. Exposée au soleil, elle devient d’abord verdâtre avant de virer au bleu, puis au violet et enfin au pourpre.

   Le Murex était recueilli à l’aide de nasses à une trentaine de mètres de profondeur, sur les fonds rocheux où ces molusques se fixent par leur pied ventral. Selon Pline l’Ancien, la pêche du coquillage purpura se pratiquait uniquement à ces deux périodes de l’année, « celle qui suit le lever de la canicule ou celle qui précède les saisons printannières. »

  

TROISIEME PARTIE

Le mouillage d’Amogdoul

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La rade d'Essaouira est un port naturel pour les bateaux à voiles.Elle a toujours été un mouillage où hivernaient les bateaux ronds de l'Antiquité et du Moyen Âge. Non seulement les îles - en paticulier celle qui ferme la baie comme une baleine qui flotte, énorme sur la mer - la protégeaient de la houle, mais un banc de sable faisait obstacle aux courants marins , en reliant l'île principale à l'embouchure de l'oued ksob. Il est indiqué sur une ancienne carte que ce banc de sable " se couvrait et se recouvrait", ce qui laisse supposer qu'on pouvait rejoindre l'île à marée basse. Une tradition orale rapporte que les troupeaux de "Diabet" (le village des loups)allaient paître au milieu d'une nuée de piques-boeufs. Les marins y sacrifiaient taureaux noirs et coqs bleus à leur saint patron Sidi Mogdoul. 

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Les vestiges préhistoriques et antiques incitent à penser que la région est habitée depuis des millénaires. Sur l’île on a découvert un bétyle phénicien du nom de «Migdol ». C’est une grande pierre jadis dressée dans le ciel. Pourquoi ne pas imaginer un ancien lieu de culte, là où se trouve maintenant le sanctuaire de Sidi Mogdoul ? Ce toponyme a donné au moyen âge, « Amogdoul », transformé en « Mogador » qui est une très ancienne transcription portugaise, d’un vieux toponyme berbère, attesté dés le XIè siècle par le géographe El Bekri :

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 « Les navires mettent trois jours à se rendre des parages de Noul jusqu’à Ouadi Souss (la rivière Souss). Ensuite, ils font route vers Amogdoul, mouillage trés sûr, qui offre un bon hivernage et qui sert de port à toutes les provinces de Souss. De là, ils se dirigent vers ce qui est le port d’Aghmat... »

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Au XIIIè siècle, un autre géographe, Ibn Saïd el Maghrabi,  nous dit lui aussi que le mouillage d’Amogdoul se trouve en pays Haha : « Là se trouve une petite île séparée du fleuve d’un mille. C’est un mouillage d’hiver pour les navires. Comme Tinmel est connue dans tout le Maroc pour la qualité de son huile, le pays haha est connu pour son miel blanc, ses taureaux puissants et son arbre à l’huile parfumée. A l’Ouest du pays haha se trouvent les Regraga où l’on tisse des couvertures fines et soyeuses que portent les femmes de la ville. C’est un pays au contact de l’Océan où coule la rivière ourlée des beaux grenadiers de Chiachaoua... » 

  Le mouillage d’Amogdoul servait donc à l’exportation des produits agricoles du pays haha, fraction des Masmoda qui sont, d’après Ibn Khaldoun, « les habitants du deren », qui vivent au voisinage de la mer. « Deren » est une déformation du mot berbère « adrar » qui signifie montagne.Cette montagne, a un nom berbère qu’elle porte sans interruption depuis l’époque romaine. C’est l’adrarn’idraren, la montagne des montagnes. A moins que ce ne soit la montagne du tonnerre de « nder», gronder, rugir : 

   Mer, gronde encore plus fort pour faire peur aux trembleurs !histoire,photographie

Voilier par Roman Lazarev

Une région qui dépend énormément des aléas climatiques, comme nous l’indique Andam Ou Adrar, le compositeur de la montagne, qui représente la conscience collective du monde berbère : « Le poète et la hotte sont semblables, peronne n’en veut s’il n’y a pas de pluie et donc de récolte. ».L’un des îlots qui entourent la grande île porte le nom de  Taffa Ou Gharrabou(l’abri de la pirogue en berbère).  L’embarcation berbère  Agherrabou, se prêtait remarquablement à l’accostage des plages parmi les rouleaux. L’avant de la pirogue se termine par une longue pointe effilée (toukcht) qui donne aux formes de l’avant beaucoup d’élégance. Appuyé sur cette pointe et penché en avant, le pilote cherche à découvrir le frétillement des bandes de tasargal (sorte de bonite) qu’on encercle sur les plages avec les filets.L’Agherraboest le véritable bateau de pêche chleuh. Le mot est connu sous cette forme du cap Juby à Safi. Le mot a pu être rapporté au grec et au latin Carabus. L’emprunt est intéressant : le mot et la chose qu’il désigne existait avant l’arrivée des conquérants arabes

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Il nous est impossible de fixer la date de l’installation des pêcheurs berbères à Mogador, mais tout porte à croire qu’elle est récente et postérieure à la création de la ville au XVIIIe siècle. Dans les années vingt, toutes les embarcations berbères de la région, entre Sidi Ifni et l’oued Tensift, étaient construites par un unique charpentier, le maâlam Ahmed ou Bihi El Aferni, dont le père était lui-même un charpentier réputé, il habitait chez les Aït Ameur, à vingt kilomètres au nord du cap Guir. Il se rendait dans les différents centres de pêche et construit en un mois son embarcation pour la somme de mille francs. Mais si la commande vient de très loin, de Sidi Ifni par exemple, et l’embarcation terminée, l’équipage, venu à pied en suivant la côte, l’emmène par mer. De Mogador est parti un curieux mouvement de colonisation berbère vers le nord. Le reis Mohamed Estemo, venu d’Agadir à Mogador, organisa progressivement la pêche berbère à Moulay Bouzerktoun, Sidi Abdellah El Battach, et Souira Qdima.

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Castello Real

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Castello Réal d'après le peintre Hollandais Adrien matham (1641)

Du 8 au 23 janvier 1641, le peintre hollandais Adrien Matham, séjourna en rade de Mogador et dessina un croquis de la côte et du château.Une erreur a été souvent commise concernant l’emplacement exact du Castello Real, la forteresse portugaise. On donne actuellement à Mogador, comme ruine de l’ancien fort portugais, un bastion rond situé dans les dunes, auprès de l’ancienne embouchure de l’oued Ksob, non loin du palais ensablé bâti au XVIII ème siècle par Sidi Mohamed Ben Abdellah.

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Ce fort n’a rien de portugais. Il s’agit simplement d’une batterie utillisée par le sultan pour fermer la passe Sud de la baie par des tirs croisés avec une autre batterie située juste en face sur l'île. C'est cette vieille ruines située près de Diabet à l'embouchure de l'oued ksob qu'on appelle "fort portugais".La partie supérieure est musulmane (1432), les gros blocs qui ont servis de base à la construction musulmane peuvent être les vestiges de "Mogdoul", la tour punique qui a dû être construite par Hannon au fond de la baie de Mogador et a fourni l'ancien nom d'Amogdoul cité par le géographe El Békri. Ils sont battus par les brèches à chaque marée par les vagues.

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Borj el Barmil, la tour en forme de tonneau l'ancien emplacement du "Castello Real"

Au moment de la construction des fortifications du port, les vestiges du Castello Real étaient encore debout. Avant la destruction, le Castello Real des Portugais devait ressembler en plus grand, à la bastide construite également par eux à Souira-Qdima. Orné de canons, il commandait la passe, et par la suite, l’accès à la rade.

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ISLE DE MOGADOR Ses Mouillages et son Port : "Banc de Sable qui couvre et découvre" permettant de rejoindre l'île à marée basse. L’emplacement du Castello Real des Portugais se trouvait au port(là où est écrit "chateau") et non pas à l’embouchure de l’oued Ksob où se trouveborj el baroud.

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 Plan de l'île de Mogador - 1763

Tout près de la mer, le pilote portugais Duarté Pacheco Pereira signale en 1506, sur la terre ferme « la ville de Mogador ». De tout temps, les navigateurs venaient chercher ici cette eau douce et précieuse de l’oued Ksob, comme en témoigne Pacheco Pereira dans son Esmeraldo de situ orbi :  «  Entre la rivière des Aloso – de l’oued Ksob – et l’île de Mogador, la distance par mer est de sept lieues, ...de cette île à la terre ferme, il y aura la distance à laquelle une grande arbalète peut lancer une flèche en terre ferme. Il y a beaucoup d’eau douce tout près de la mer, dans laquelle cette eau douce vient se jeter. La meilleurs entrée du mouillage et du port de cette île, est celle qui se trouve du côté Nord-Est...Par cette bonne entrée peuvent pénétrer des navires de cent tonneaux ; ils s’amarrent avec une ancre et un câble, ledit câble étant attaché à l’île même, et l’on sera par six ou sept brasses, fond net, bon et sûr. »

    Ce texte daté de 1506, prouve qu’à cette époque, des navires de cent tonneaux fréquentaient le port et l’île de Mogador. Bien plus, lorsque Emmanuel 1er  avait donné l’ordre en août 1506, d’y construire  un « Castello Réal »(château royal), il y avait déjà une ville du nom de Mogador qui existait dans la baie , comme nous le signale Pachéco : « L’année de Notre Seigneur Jésus – Christ 1506, Votre Altesse fit élever dans la terre ferme de cette ville de Mogador, tout près de la mer, un château qui s’appelle Castello Real, et que sur votre ordre construisit et commanda Diego d’Azambuja , gentilhomme de Votre maison et commandeur de l’ordre de saint Benoît de la commanderie d’Alter Pedreso, lequel fut combattu et persécuté, autant que leur puissance le leur permettait, par la mutitude de Berbères et d’Arabes qui se réunirent pour attaquer ceux qui s’en vinrent construire cet édifice ; enfin ce château se construisit malgré eux et la gloire de la victoire resta entre les mains de Votre Majesté sacrée...Entre le Castello Réal et l’île de Mogador d’une part et le cap Sim d’autre part, la côte court suivant la direction nord-sud, avec un quart nord-est et un quart sud-ouest et la distance par mer est de cinq lieues »

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Arrivée des Regraga avec le printemps à Essaouira au début du mois d'Avril

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L'arrivée des Regraga à Essaouira par Roman Lazarev

    L’influence portugaise se heurta, devant Mogador, à une résistance dont l’âme fut l’organisation maraboutique des Regraga. Les affrontements entre Portugais et Berbères Haha devaient se poursuivre au  delà de 1506.L’âme de la résistance locale à l’influence portugaise fut regraga, sous la direction du mouvement jazoulite dont le fondateur, l’imam Al Jazouli, s’établit au lieu dit Afoughal, près de Had – Draa, où il prêcha la guerre sainte contre les chrétiens, avec une telle foi qu’il eut bientôt réuni plus de douze mille disciples de toutes les tribus du Maroc.Devant l’hostilité des tribus, le Castello Real, n’avait pu être bâti que de vive force. Il dut rester assiégé un certain temps et la situation de ses défenseurs fut un moment assez critique pour que Simâo Gonçalves de Camara, troisième gouverneur de Funchal, leur envoyât à ses frais, de l’île de Madère, un secours de 350 hommes.

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          Une barque se dirige vers le Castello Real, estompe d'Adriaen Matham(1641)

Le plus ancien document relatif au Castello Real date du 5 septembre 1506 : c’est un alvara du roi ordonnant aux almoxarifes de Madère d’exécuter tout ce dont Diego d’Azambuja les requerra pour la construction de la forteresse de Mogador.On doit signaler aussi une quittance du 7 octobre 1507 qui indique « le biscuit, la viande, le bois, la chaux, la brique et les autres choses qu’on a achetées pour la construction du Castello Real que Diego d’Azambuja a fait par notre ordre à Mogador qui est au pays de Barbarie. »

       Une quittance datée de Santarem, 24 octobre 1507, concerne les achats de blé faits en 1506, sur l’ordre du roi, au Castello Réal en Barbarie, par Pero da Costa, capitaine du navire  Sâo – Symâo . Ces achats furent faits avant la fondation du château. Le 3 septembre 1507, Diego de Azambuja écrit de Safi à l’Almoxarife de Madère, pour le prier de remettre à Joâo de Rego, porteur de sa lettre, un certain nombre de choses pour le ravitaillement du Castello Réal, en particulier de l’orge pour les chevaux qui sont dans le château. La fourniture doit être prévue pour « vingt chevaux pendant huit mois ».

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          Vue de la baie de Mogador avec au bout le Castello Real

Le 14 octobre 1507, Joâo de Rego donne décharge de tout ce qu’il a reçu, à savoir : Onze pipes de vin, deux de vinaigre, une d’huile, 15 muids de blé au lieu de l’avoine demandée pour les chevaux, qu’on n’a pas pu trouver, 20 autres muids au lieu de biscuits qu’on n’a pas eu le temps de faire, plus un bateau neuf à quatre rames et 3000 reis en argent pour les soldes de la garnison.      Nous pouvons encore citer deux documents où allusion est faite à Mogador : mention de 716 varas de toile de Brabant envoyées, en 1506, de Flandre au Castello Real en Barbarie ; et quittance du 3 janvier 1518 en faveur de Joâo Lopez de Mequa, qui fut feitor (facteur) du Castello Real pendant les quatre premiers mois de 1507 et devint plu tard, feitord’Azemmour, puis de Safi.

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       Le Castello Real se trouve à la pointe gauche de la terre ferme(document de missionnaire espagnol anonyme, 2ème moitié du XVIII è siècle)

Diego de Azambuja était à Abrantès le 27 juin 1507, et y reçut en don, d’Emmanuel 1er, le gouvernement du Catello Real de Mogador, en récompense de la peine que lui avait coûtée la construction de la forteresse « avec risque de sa personne et grande dépense de son argent ». Renvoyé par le roi à Safi, où il débarqua le 6 ou le 7 août 1507, Azambuja paraît y avoir ensuite résidé contamment jusque vers le milieu de l’année 1509. Son gendre, Francisco de Miranda, exerça par intérim, pendant ce temps, les fonctions de gouverneur du Castello Real.

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   Plano del Puerto de Mogador(Missionnaires espagnols anonymes)où on reconnait le Castello Real

   Pendant les premiers mois de 1510, le gouvernement du Castello Real reste uni à celui de Safi, entre les mains de D. Pedro de Azevedo. Puis Emmanuel 1er, par lettre du 1er  mai 1510, nomme Nicolau de Sousa capitaine et gouverneur du Castello Real, sa vie durant. Il est spécifié qu’au cas où le nouveau gouverneur obtiendrait la soumission de tribus dans un rayon de trois lieues autour de la forteresse, il percevrait à son profit les deux tiers des contributions versées par elles, un tiers étant retenu par le roi. D’ailleurs bien loin de soumettre les tribus des environs, Nicolau de Sousa, ne réussit même pa à conserver la forteresse.

Il semble que la place ait été évacuée le 4 décembre 1510, d’après une lettre de Nuno Gato Cantador écrite de Safi, le seul texte qu’on ait à ce sujet.Les ruines du château portugais de Mogador ne disparurent qu’aprè 1765, lors des travaux de construction du port. Les pierres du Castello Real servirent par la suite à la construction de la scala du port. A son emplacement s’élève maintenant la tour, ou bastion circulaire qui se trouve près du chantier naval et qu’on appelle Borj el Bermil (la tour du tonneau).

Le dessein de Mogadorhistoire,photographie

                     Plan de l'île de Mogador 1763: le Castello Real au bout de la terre ferme.

A gauche le village de Sidi Bouzerktoune

« Il faut commercer avec les gens de Diabet»           

                                                              Écrit Razilly à Richelieu vers 1630

    Le Castello Real , n’avait pas été entièrement détruit après son abandon par le Portugal, car, en 1577, l’amiral anglais Francis Drake en avait parcouru les ruines :« Ayant fait provision de bois et visité un vieux fort bâti jadis par le roi de Portugal, mais maintenant ruiné par le roi de Fès, nous partîmes... »

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  Navires européens au large de Salé au temps des corsaires,Roman Lazarev

Dans sa relation, Francis Fletcher, qui prit part comme chapelain, au voyage de circumnavigation accompli par Francis Drake de décembre 1577 à octobre 1580, note :  « La flotte mouille à Mogador. Les indigènes viennent à bord. Pour obtenir des renseignements sur la flotte et ses desseins, ils se saisissent par stratagème d’un de ses hommes descendu à terre et l’amènent en hâte devant Abd–el-Malek. La flotte fait voile vers le Sud. »

 Sir Francis Drake, fait aussi allusion à la présence du Roi saâdien Abd-el-Malek à Mogador :

 « décembre 1577. La flotte de Drake arrive à l’île de Mogador. Réception des indigènes à bord. Craignant que les navires ne fussent les avant-coureurs d’une flotte portugaise, Moulay Abd – el – Malek fait saisir pour l’interroger un homme descendu à terre. Il le renvoie vers Drake avec un présent. Dans l’intervalle, la flotte a levé l’ancre après une vaine incursion de Drake à terre pour délivrer les prisonniers. Le roi renvoit celui-ci en Angleterre. La flotte passe devant Santa-Cruz-du Cap-de-Guir. »

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Esquisse de la bataille des Trois Rois par Roman LAZAREV

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La bataille des trois Rois, d'après Roman Lazarev

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Plan de la Bataille des Trois Rois

   Une année plus tard, le 4 août 1578, le Sultan saâdien Moulay Abd-el-Malek-el-Mouâtassim – Billah (1576-1578), emporta la victoire sur le roi du Portugal Don Sébastien à Oued El Makhazine. De lui  Montaigne écrit:« De sa litière, Abd-el-Malek, essoufflé, paralysé par un mal mystérieux, surplombe le champ de bataille. Il rassemble ses dernières forces, quitte sa litière, se fait apporter de force son cheval. Cet effort acheva d’accabler ce peu de force qui lui restait. On le recoucha. Lui, se ressuscitant comme en sursaut de cette pamoison, toute autre faculté lui défaillant, pour avertir qu’on tût sa mort...expira tenant le doigt contre sa bouche, signe ordinaire de faire silence. Son dernier mot : « marcher plus avant. » Son frère Ahmed-el- Mansour- Dahbi (le doré) fut aussitôt proclamé Roi.   

   Le 26 novembre 1626, Razilly adresse un mémoire à Richelieu, où il lui parle d’un plan d’occupation de l’île de Mogador, et des avantages commerciaux que la France retirerait de cette opération : « ...Et du même voyage que l’on aura retiré les esclaves, l’on pourra laisser cent hommes à l’île de Mogador, située à poter de canon de la terre ferme,à 32° de latitude, île très aisée à fortifier.   D’autre part, il y faudrait mettre six pièces de canons et laisser du biscuit aux cent hommes, et envoyer nombre de planches de sap pour y faire des maisons, car d’autres forteresses, il n’en est jamais besoin, d’autant que l’île est naturellement toute fortfiée. Il faudrait y étblir un commerce de toile, fer, drap, et d’autres mêmes marchandises , jusqu’à la somme de cent mille écus par ans. L’on aura de la poudre d’or en payement, dattes et plumes d’autruches. Et l’on pourrait tirer quelques chevaux barbes des plus forts et meilleurs de l’Afrique. Le profit de la vente des marchandises pourrait monter à 30 p. 100 de gain, d’autant que le voyage est fort court : car, des côtes de France, ayant bon vent, l’on y peut être en huit jours. C’est avoir un pied en Afrique pour aller s’étendre plus loin. Il y a quelques français qui ont trafiqué dans la rivière de Gambye. Mais dans tous ces quartiers de Guinée, l’air est très mauvais. Et pour les habitations, il n’y a lieu en Afrique propre aux Français que l’île de Mogador et Tagrin (le cap de Tagrin, sur la côte de Guinée, près de la baie de Sierra-Leone), où les Portugais avaient en diverses années, armé des vaisseaux pour y dresser des colonies. Tagrine est onze degrés nord de la ligne. Les Portugais y ont été défaits par les Français. Le pays est fort agréable. Mais le reste de l’Afrique est très malsain et en beaucoup d’endroits stérile, dont je ne parlerais pas davantage. »

L 24 mai 1629, Le père Joseph écrit à Razilly, pour que ce dernier fasse agrée r par Moulay Zidân l’occupation de Mogador :

 « Le dessein de Mogador étant bien conduit, est celui seul qui peut avoir de la suite et donner fondement à plusieurs grandes choses, à quoi monseigneur le cardinal de Richelieu se porte constamment. Et contribuera  tout ce qui sera requis auprès de Sa Majesté pour cette généreuse entreprise....Ne vous fiez pas à ce roy barbare que sous bon gage ; c’est ce qui me fait priser le dessein de Mogador, que je tiens bien plus sûr que la parole du Maure.....Que si on s’établit à Mogador, il est utile d’y mettre le Père Pierre pour supérieur, ayant grande expérience de ce païs – là, et peut beaucoup profiter aux occasions, pour le soulagement et le salut des âmes abondonnées....La perfection de votre ouvrage serait, après avoir pris Mogador, de le faire trouver bon au roy du Maroque, et qu’il l’agréât pour la sûreté du commerce, et lui faire voir le profit qui lui en arrivera pour la richesse et sûreté de ses Etats, apaisant sa colère par le present que vous lui portez, qui fait voir  que l’on na va pas vers lui comme ennemi. Que si pour cette heure, il ne le veut pas consentir, il le pourra faire après par la force ou par amour. »

    En réponse à cette lettre le Cardinal de Richelieu autorise Razilly à s’emparer de Mogador et à y laisser garnison :                                       Alais, 18 juin 1629

                                               Suscription. A Monsieur le chevalier de Razilly.

Monsieur,

  Si vous estimez, estant sur les lieux, que l’isle de Montguedor se puisse conserver et que la prise en soit utile, je vous laisse de la part du Roy la liberté de vous en saisir et d’y laisser cent hommes.Cependant, je demeure

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                      Votre bien affectionné à vous servir.

                 Signé : Le card. De Richelieu

                 De Alais, 18 juin 1629

 

 Mogador, comme un Alger dans l'océanhistoire,photographie

Dans la baie de Mogador 2 bateaux anglais de 20 canons et 145 hommes d'équipage.Ils sont interceptés par 2 autres bateaux marocains (avec drapeau rouge) de 24 canons et 300 hommes d'éuipage. Le Castello Real au premier plan.Document d'origine anglaise.

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      Anglais, Français, Espagnoles convoitaient l’île de Mogador pour sa position sur la route des indes comme le montre une plaquette espagnole qui se trouve à la Bibliotheca Nacionale, de Madrid qui expose en 1621, la nécessité d’occuper la position de Mogador en ces termes :

« Dans la partie qui regarde l’Occident, face à la côte d’Afrique qui est battue par l’océan, près du cap de Ghir, entre celui-ci et le Cap cantin, se trouve le point et l’île de Mogador qui, bien qu’elle soit petite et peu connue (heureusement pour nous), est, au dire de tous les marins qui pratiquent cette côte et la route des Indes, un port très important pour la couronne d’Espagne, parce que, par sa situation, il commande ces rivages. Ce port est vaste, facile à défendre, d’une entrée et d’une sortie sûres pour les gros vaisseaux. On pourrait sortir, lors du passage ordinaire de nos flottes, et, s’il en est qui ne connaissent pas encore ce passage, il leur suffira une sortie dans ces parages pour le relever avec précision. Et si le Turc ou un autre ennemi avait cette place et cette sûre retraite, il tiendrait, comme on dit, le couteau sur la gorge à toutes nos entreprises pour les égorger ; et si cette position est importante pour eux, c’est une raison pour nous de l’occuper afin qu’ils ne l’acquièrent pas. Les ordre militaires pourraient très bien se charger de cette opération, avec le concours des navires qui croisent ordinairement  devant les autres ports de la côte d’Afrique ; et même on pourrait confier la garde de cette place à l’un de ces ordres, de même que celui de Saint Jean à celle de Malte, qui lui a été donnée de nos temps par l’empereur Charles Quint . Car, à bien éxaminer, comme il est nécessaire de le faire, une chose si importante, si une autre nation occupe cette île, que l’on dit être par elle-même très désirable, outre la place et le port qu’elle contient, il y aura dans l’Océan, près de la route ordinaire d’ici aux îles Canaries, et non loin d’elles, un obstacle fort dangereux pour la sécurité de la navigation, sur lequel repose l’existence et la richesse de l’Espagne, et qui doit principalement maintenir cette monarchie pour sa conservation.

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En effet, au dire de capitaines et marins expérimentés, Mogador occupée, c’est un Alger dans l’Océan, par sa situation, son port et sa retraite assurée, pour toutes les entreprises que l’ennemi turc ou hollandais tenterait contre nous, avec une sortie sûre et commode pour faire delà toutes ses courses et arrêter et inquiéter les flottes des Indes Orientales et Occidentales, qu’il rencontrerait forcément non loin de ce parage, quand elles passeront pour prendre hauteur ; et une fois que les ennemis auront occupé ce point, ils sont à même de détruire ou conquérir les Canaries, en coupant les communications de ces îles.

   Si le Turc tient Mogador, il peut  tenter d’étendre sa domination sur le Maroc, ainsi qu’il est devenu par Alger maître de Tunis, car celui qui est maître de la mer qui baigne un pays est fort à portée d’en conquérir l’intérieur en empêchant le peuple conquis d’être secouru par mer ; et tout ce qui établit les avantages que le Turc retirerait de ce point fait ressortir combien notre situation serait critique, s’il venait à l’acquérir...Dieu, moteur universel des choses, par la providence duquel elles se gouvernent, nous a fait la grâce que jusqu’à présent l’ennemi n’ait pas connu cette position. Autrefois les Maures n’usaient pas de vaisseaux de haut bord ; aujourd’hui, les prises qu’ils ont faites leur ont donné des forces et de la cupidité, car le gain et l’intérêt donnent de la vaillance,et c’est le profit qui nourrit les sciences. Ils voudront ne plus avoir besoin, pour opérer dans l’Océan de passer par le détroit, et voudront d’autant plus avoir un établissement sûr de ce côté-ci, d’où pourront sortir pour faire leurs prises ces corsaires Turcs si nombreux qui opèrent aujourd’hui, réunis aux Irlandais et aux Hollandais, dont nous devons nous méfier davantage. Ils se trouveront dans Mogador comme dans une tour ou un observatoir d’où ils sortiront pour fondre sur ceux qu’ils auront remarqué s’avançant sans précaution ; et maîtres de ce point, ils attaqueront tout.

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     Aussi pour éviter la longueur de la route et s’assurer gratuitement une meilleure position, en ayant sous la main un port à garder et vendre ses prises, caréner ses vaisseaux, et reposer et approvisionner ses équipages et flottes. Et cette maison se trouve au milieu du bois où il chasse, qu’y aurait-il d’étonnant à ce qu’il la dispose pour y passer la nuit en sécurité, sans payer le logement, y trouvant une place d’armes pour son ravitaillement et un dépôt pour ses marchandises, avec une entrée et une sortie large et sûre, causant à l’Espagne une crainte horrible et inquiétant delà toute la chrétienté ; car, si ce qu’aujourd’hui nous pouvons posséder avec sécurité est occupé par eux, il sera nécessaire de vendre les calices des églises pour les en déloger, et nous ne sommes pas certain du succès.

     Et quand on considère tout ce qui vient d’être dit, il est très certain qu’il n’est pas besoin de la force ni du secours du Grand Turc pour prendre ce que personne ne défend, et que si les Hollandais s’établissaient en permanence à Mogador, y descendraient à terre, s’y installaient comme dans une tente ou une baraque, entrant et sortant sur leurs navires, ils créeraient là en peu de temps une place sûre et fortifiée, et c’est une miséricorde et un miracle exprès de Dieu qu’ils ne le fassent pas. Plus on fermera le détroit et l’on en fortifiera la sortie, plus il importe aux Hollandais d’avoir là-bas un point d’appui sur l’Océan et un port où ils puissent se réunir et, après s’être rassemblés de conserve en grosse et forte compagnie, sortir pour rompre notre défense, sans qu’il y ait pour l’empêcher d’autre que Jésus-Christ. Qu’il daigne, par les mérites de son sang, faire en sorte que cette gloire revienne à la noblesse d’Espagne et à ses ordres militaires, pour l’exaltation de sa foi et l’honneur de sa bienheureuse mère qui soit louée à jamais ! Amen. »

 

                                      Mogador du temps des saâdiens

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     La silhouette du château portugais de Mogador devait, se trouver modifiée par des réfections, dont certaines dataient du règne de Moulay  Abd-el-Malek ben Zîdân, qui y séjourna au mois d’août 1628 : « Voulant voir Mogador, petite isle sur la mer Athlantique, entourée de rochers excessivement hauts, qui font des precipices espouvantables, y faisant séjour de quinze jours, son exercice fut de courir à la chasse des hommes, et, lorsqu’il en avait rencontré, les monter en haut de ces rochers et les précipiter dans la mer, en riant à gorge déployée. Et un jour se promenant en bateau autour de cette petite isle, le vent s’étant si fort eslevé qu’il estoit en danger de périr, ses alcaïds l’ayant mis à bord comme les plus experimentez de ses pilotes, pour salaire il les fit bien bastonner puis fouetter. Et après, les ayant fait boire avec luy, les prit pour compagnons, pour luy ayder au massacre de vingt deux pauvres barbares, qu’il tenoit enchaisnez auprès de luy. Sortant de ce lieu pour aller en chedma, où son frère Moulay el-Oualid lui fut livré entre les mains par un traistre, après en avoir fait les feux de joye, il luy feit mettre les fers aux pieds, le conduisant luy – mesme jusques à Marroque pour l’executer en temps convenable : celuy de la Pasque du mouton. Revenu qu’il fut en chedma, ayant envoyé au supplice plusieurs esclaves françois qui servoient à son écurie...De chedma, tournant vers Safy pour y faire quelque demeure, pour estre l’un de ses plus beaux chasteaux, en quatre mois qu’il demeura, il n’y eut jour qu’il n’y fist quelque massacre... »

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  Ce passage figure dans une biographie caricaturale, de Moulay Abd el-Malek ben Zîdan, écrite l’année de sa mort le 10 mars 1631. Elle semble avoir été composée, sinon par le père François d’Angers, du moins par quelque capucin de la mission du Maroc. On noircissait le tableau à souhait pour justifier les collectes d’argent, en vue de racheter les captifs européens retenus comme esclaves au Maroc, et pour occuper l’île de Mogador qui leur semblait situer sur une position stratégique le long du litoral africain. A cette époque des Anglais étaient retenus en esclavage à Mogador par Moulay – Abd-el-Malek, comme le rapporte dans son mémoire du 8 octobre 1630 John Harisson : « Si le Sultan Moulay Abd– el–Malek refuse encore de mettre en liberté, les Anglais qu’il retient en esclavage, Charles 1erdevrait s’emparer de l’île de Mogador et y fonder un établissement dans les mêmes conditions qu’à la Mamora. Ces deux places attirent tout le commerce du Maroc et permettraient de constituer des approvisionnements en vue d’attaques contre des possessions espagnoles. »

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 Des nombreux oiseaux qui peuplent l'endroit, Adrien Mathan pouvait déjà témoigner en 1641.Il faisait état de l’existence d’une Kasbah, abritée derrière les rochers où vivaient les corsaires Béni – Antar :« Le 8 janvier, au matin, nous nous sommes trouvés en vue de l’île de Mogador, et nous avons mis notre cheloupe à la mer pour voir si la rade était bonne pour nous. Nous y avons trouvé quatre toises d’eau, entre l’île aux pigeons et l’île de Mogador. Dans l’après midi, nous avons jeté l’ancre et tiré une salve de trois coups de canon, auxquels les gens de la kasbah ont répondu par un coup.Le 9 au matin, notre cheloupe est allée à terre, par un vent nord-est, pour voir s’il y avait moyen de se procurer de l’eau fraîche, et aussi si nous pouvions trafiquer avec les Maures de la Kasbah. Ceux-ci ont accueilli amicalement nos gens et ils nous ont envoyé à bord leur interprète, un juif, en échange duquel, suivant leur coutume, un des nôtres devait rester à terre, comme otage, tant que durerait, des deux côtés, les visites de leurs gens à bord et des nôtres à terre.

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 La kasbah est munie de onze ou douze canons en fer, et, vue d’une certaine distance, elle a l’apparence d’un four à chaud hollandais ; mais l’île aux pigeons est inhabitée, sauf qu’on y trouve d’innombrables pigeons sauvages qui se nichent par milliers dans les rochers et qui sont si familiers qu’ils se laissent prendre avec la main. Il y avait dans un petit bosquet, à terre, un faucon qu’un de nos gens aurait pu prendre, s’il l’avait vu, car il faillit mettre le pied dessus, et c’est alors seulement que le faucon prit son vol. Pour parcourir cette île aux pigeons dans sa longueur, il faut une bonne demi-heure de marche environ : sa largeur ne dépasse pas dix fois la longueur de notre vaisseau ; mais elle est très élevée et sans eau fraîche. On trouve seulement entre les rochers de l’eau de pluie en très petite quantité.Pour en revenir à l’île de Mogador, toujours est-il que nous avons pu y faire de l’eau. Le juif susdit nous fournit aussi du pain frais, des amandes, des raisins et des gâteaux d’olives qui avaient un goût excellent. Le costume des habitants est singulier : ils portent habituellement un long vêtement blanc – le haïk– qu’ils enroulent de diverses manières autour du corps. Le juif susdit nous a donné des renseignements sur leur mariage, etc.

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 Le 12 janvier 1641, c’était pour les Maures leur fête de Pâques – l’aïd es-seghir qui marque la cessation du jeûne du Ramadan- qu’ils célèbrent avec une grande dévotion. Dans l’île on trouve une espèce rare de grands oies. Nous en avons acheté à la kasbah de fort belles et fort grasses, à deux stuivers pièce. Quant à l’approvisionnement d’eau, il comporte ici de grands dangers, à cause des brisants, au point que notre petite chaloupe et les gens qui la montaient pour apporter de l’eau à bord ont chaviré deux fois, le 15 et le 16 de ce mois. Nos gens se sont sauvés à grand’peine, non sans courir de grands périls. Pour chaque tonneau d’eau on devait payer au caïd de la kasbah la valeur environ d’un écu de Hollande.Il est aussi à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir, celui des Maures : le vendredi, celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche.Le 23, nous avons fait tous nos préparatifs pour faire voile, avec l’aide de Dieu, vers Ste Croix, si le vent nous est favorable. Nous sommes sortis heureusement du port de Mogador par un vent est-nord-est et nous avons gagné la haute mer. »

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  Courant  juillet et août 1688, des corsaires algériens, sous domination turque, avaient capturé des bâtiments français qui croisent depuis la Mamora jusqu’aux Canaries et fait deux cent prisonniers. Bostangi et quatre autres corsaires turcs qui les avaient faites prisonniers étaient de retour en septembre sur la côte du Maroc. Bostangi alla se ravitailler à Agadir et ses compagnons se rendirent pour caréner à Mogador, où ils débarquèrent les 60 français. Les corsaires craignant une attaque de l’escadre française, se retranchèrent dans l’île de Mogador, où ils construisirent des redoutes armées de canons, attendant un vent favorable pour franchir le détroit. En attendant ils  ont relaché à Mogador soixante français, d’où ils les ont envoyé à Alger par voie de terre. A leur passage à Meknés, Moulay Ismaïl a racheté de force ces soixante hommes, comme le relate Pierre Catalan à tavers la note qu’il avait envoyée à Seignelay, depuis Cadix, le 8 novembre 1688 :

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   « Une tartanne française qui sortait de Safi en Barbarie le 28 du mois d’octobre est arrivée en cette baie le 4 de novembre. Le patron d’icelle a rapporté qu’il y avait quatre navires d’Alger à Mogador, deux de 40 pièces, un de 36 et l’autre de 24, avec une caravelle de 18 pièces ; que ces corsaires ont pris 13 bâtiments français sur le grand banc de Terre  Neuve, qui sont de La Rochelle, Bordeaux, Havre-de-Grâce, Honfleur et un de Saint-Malo, et que sur la hauteur des Açores ont coulé à fonds un navire de Marseille, duquel les corsaires sauvèrent seulement dix hommes, qu’ils ont pris aussi à l’ambouchure de la Manche un navire de Dunkerque chargé de sucre, qu’ils ont amené et vendu à Mogador ; que de tous ces navires pris ; ils ont 200 hommes esclaves à leur bord. Desquels débarquèrent 60 hommes pour les envoyer par terre à Alger, leur faisant traîner deux charettes pour porter leurs vivres, qui, passant à Miquenès(Meknés), le roy du Maroc leur prit d’autorité ces 60 hommes esclaves, leur payant 45 écus pour chacun, et il fit une rude reprimande aux soldats d’Alger qui les conduisaient, de traiter si inhumainement les chrétiens. Ce patron m’a délivré le rosle inclus des noms de ces 60 hommes. Les 140 restants, les ont retenu à bord de leurs navires, dont ce patron a dit encore qu’ils croisent depuis la Mamora jusqu’aux Canaries. »

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    La prise de Santa-Cruz-du-Cap-de-Guir (Agadir), enlevée aux Portugais, le 12 mars 1541, par le chérif Mohamed ech-Cheikh, affermit l’autorité de la dynastie saâdienne. Tout le Maroc du Sud fut la contrée par excellence de la domination saâdienne, et la ville de Marrakech fut presque exclusivement leur capitale. C’est à Santa-Cruz, le port du Souss, c’est à Safi, le port de Marrakech, que les trafiquants anglais débarquent le plus souvent. Ce choix s’explique en outre, pour les trafiquants, par l’importance des opérations sur le sucre, car la culture de la canne ne dépassait guère au Nord le cours de l’oued Tensift. Au bord de l’oued Ksob, les Saâdiens avaient établi une ancienne Essaouira , « Souira Qdima », autour d’un pressoir de canne à sucre. Cette sucrerie qui a fonctionné régulièrement de 1576  à 1603, aurait élaboré du sucre roux (sukkar ahmar), qu’Ahmed El Mansour Dahbi expédiait en Italie en contre partie du marbre de Toscane, comme nous l’apprend « Nozhat el Hadi » d’El Ouafrani : « Le marbre apporté d’Italie était payé en sucre, poids pour poids. »

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La sucrerie saâdienne de l'oued ksob histoire,photographie 

On remontant en amont de l'oued ksob, on voit bien qu'à Essaouira se rencontrent l'olivier Méditérranéen et le palmier - dattier saharien: ce que souligne d'ailleurs l'histoire de cet antique mouillage où se rencontraient caravannes de Tombouctou et caravelles de la lointaine Europe..

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A l'embouchoure de l'oued ksob, les Saâdiens ont édifié leur "fort de poudre"( Borj et Baroud), sur les ruines   du sémaphore Phéniciens établi là pour orienter  les bateaux ronds de l'antiquité qui jetaient l'ancre à ce mouillage d'Amogdoul (mot qui dérive de « Migdol » qui signifie « petite rempart » en phénicien, mais aussi en hébreux et en arabe avec le toponyme de « Souira »), par les flammes qu'on y attisait par nuit sombre au fond de la baie.

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  Au XVI èmesiècle, avant la découverte des Amériques, au Maroc, les Saâdiens avaient le monopole du sucre en Méditerranée Occidentale. Et c'est essentiellement pour acquérir ce produit précieux et rare à l'époque que les Européens mouillaient  en rade de Mogador et au large de Santa - Cruz (Agadir) : ces deux port étaient le débouché naturel des sucreries Saâdiennes situées dans l'hinterland en amont de l'oued ksob de l'oued Sous et de Chichaoua. Au Maroc le sucre est lié au cérémonial du thé :

 - Viens que je te prépare le thé !

 - Laisse-moi, je ne veux pas de thé.

 - Viens ! L’eau est bouillante et les amandes sont grillées.

 - Laisses-moi, je ne veux pas de thé !

 - Combien de reproches nous avons supporté pour toi ?

 - Viens que je te prépare le thé ; je suis l’aigle qui fond sur le rocher !

                                                               (Chant du Raïs Aïsar des Haha)

 

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 On découvre les ruines de la sucrerie, près de Larbaâ des Ida Ou Gourd, au milieu des arganeraies où des dromadaires – qui semblent attendre depuis une eternité de nouvelles charges de sucre – broutent la cîme rutilante des arbres : l’arganier s’est substitué à la canne à sucre. Nulle route ne mène plus à cette ancienne fabrique saâdienne ; la voie du sucre est devenue terrain de labour et la forêt enserre les vieilles murailles en pisé.

    On voit encore l’emplacement de la chute d’eau et les traces de frottement laissées par la roue hydraulique. Sur de grandes distances, de splendides aqueducs (Targa) en pisé – actuellement desséchés – acheminaientt l’eau depuis la source chaude d’Irghane jusqu’à la sucrerie. L’eau qui faisait tourner la roue hydraulique était ensuite amené à grand frais vers « l’Oulja » du bas et distribuée aux planteurs suivant la règle des tours d’eau.

 Le broyeur principal se trouvait dans l’axe même de la roue hydraulique. Les deux broyeurs secondaires occupaient une position latérale. A la base de chaque broyeur prenaient naissance un canal d’écoulemnt destiné à recueillir les produits de trituration et à les acheminer vers la citerne en vue de la cuisson. On dénombre six fours à sucre qui servaient à la fabrication des moules en terre cuite d’une contenance de cinq kilos. Les débris de ces moules à sucre jonchent encore l’emplacement des anciens fours.

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La culture de la canne à sucre autour d’un système hydraulique complexe et étendu avait  réclamé l’utilisation d’esclaves, mains d’œuvre peu coûteuse : aux environs de la fabrique, il existe un cimetière d’esclaves (Roudat Laâbid) plusieurs hameaux d’Isemganes(« Les Noirs » en berbère) et on peut encore rencontrer les descendants des potiers noirs qui fabriquaient les moules à sucre en terre cuite.

Le souvenir de cette fabrique de sucre se perpétue encore de nos jours chez les riverains de « l’oued ksob » (la rivière de canne) sous la forme d’un mythe :

 « Parceque les abeilles vivaient de la fleur de canne à sucre, le Sultan Ahmed El Mansour Dahbi (le Victorieux et le Doré) ordonna la destruction de toutes les ruches de la région. Les soldats ont tout détruit, mais quelques essaims restèrent au milieu des plantations. L’emissaire du Sultan poursuivit à cheval une abeille jusqu’à une ruche cachée dans le silo de Sidi Brahim Ou Aïssa. Lorsque les soldats brulèrent cette dernière ruche, le saint se mit en prière dans les broussailles. Une vipère vint alors s’enrouler autour du cou du fils du Sultan doré qui fit appel aux Gnaoua, aux Aïssaoua et autres gens de transe, en vain. Terrorisé, le Sultan alla trouver Sidi Brahim Ou Aïssa et le supplia de sauver son fils. Le saint y consentit, à condition que le Sultan renonçât aux plantations de cannes et quittât le pays. » 

  Ce mythe met en évidence la contradiction entre Ahmed El Mansour Dahbi qui avait une option économique à caractère spéculatif – la production du sucre – et la production du miel qui constituait la nourriture ordinaire des gens du pays.Les Saâdiens avaient établi de nombreuses autres  sucreries au Maroc, notamment à Chichaoua  dans le Haouz de Marrakech, et le grand Sous. Des esclaves ramenés du Soudan y travaillaient, utilisés en particulier par les Saâdiens pour la construction à Marrakech du Palais El Badî.

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   Depuis la prise de Santa-Cruz-du Cap de Guir (1541), les esclaves chrétiens avaient introduit dans le Sous et le provinces méridionales du Maroc(Haha, Chiadma), les procédés de raffinage. Les chérifs saâdiens possédaient de nombreuses sucreries qu’ils affermaient aux juifs.

  La rénovation de l’industrie sucrière dans le Sous commence après la prise d’Agadir (1541), lorsque El Ghozzi Moussa - juif convertit à l’Islam - dresse des moulins à sucre à Tiout (vingt kilomètre au sud - est de Taroudant) avec l’aide de captifs faits par le cherif d’Agadir. Dés lors les marchands accourent de toute part, de Fès, de Marrakech, et du pays des nègres parce que le sucre de Sous est particulièrement fin (Marmol, II, 30). Selon une relation de James Thoma, datée des mois de mai / octobre 1552, les trafiquants anglais embarquaient du sucre depuis Agadir :

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 « Départ des trois navires commandés par Thomas Windham au mois de mai 1552. Arrivée à Safi après quinze jours de traversée, ils débarquent une partie de leur marchandise à destination de Marrakech. Ils se rendent ensuite à Santa-Cruz-du-Cap-de-Guir pour y décharger le reste : toiles, draps, corail, ambre, jais etc. Un navire français redoutant de leur part des hostilités, va se mettre sous la protection de la place, qui tire sur eux un coup de canon. Les Anglais ayant déclaré qu’ils sont déjà venus l’année précédante et qu’ils se présentent en trafiquants, avec l’agrément du chérif, on les laisse débarquer leur marchandise ; ils reçoivent la visite du caïd. Ils repartent après un séjour de près de trois mois, ayant embarqué du sucre, des dattes, des amandes, des melasses et du sirop de sucre. Leur nouveau commerce avec le Maroc mécontante les Portugais. Arrivée à Londre à la fin d’octobre 1552. » 

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Le fameux palais saâdien "El Badiâ"(le merveilleux) où le marbre de Toscane a été importé d'Italie à Marrakech en contre partie du sucre "poids pour poids" nous dit el ifrâni dans sa "nouzhat el hadi"

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Le sucre sous ses différentes formes (pannelles, mélasse, moscouades) était vers 1574-1576, et depuis les relations commerciales entre l’Angleterre et le Maroc, le principal produit importé de ce dernier pays. Les plantations de canne, les pressoirs, les raffineries (ingenewes, maseraws) étaient si nombreux sous Moulay Mohamed ech-Cheikh que le sucre se vendait à vil prix au Maroc(El Ouafrâni p.226). Les prix se relevèrent par suite des taxes mises sur les pressoirs (ibidem p.302). Mais le renchérissement du sucre sous Moulay Ahmed el-Mansour eut encore pour cause les spéculations du chérif et des juifs qui affermaient les sucreries. Ceux-ci profitaient de la concurrence que se faisaient les marchands anglais. On sait que les Maures avaient introduit en Espagne la culture de la canne à sucre et qu’il existait de nombreuses raffineries sur toute la côte, de Malaga à Valence. Les amandes furent, comme le sucre, l’un des produits le plus anciennement importé du Maroc en Angleterre» 

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  Le 6 juillet 1577, un édit de Moulay Abd-el-Malek est promulgué à Marrakech en faveur des marchands anglais. Edmund Hogan ayant exposé à Moulay Abd-el-Malek les plaintes des marchands anglais contre les juifs qui ont affermé ces sucreries, le chérif ordonna que lesdits marchands, jouiront des mêmes libertés de trafic qu’autrefois, que les trois qualités de sucre leur seront rendues au prix des années passées, pesées avec le poid de la dîme royale de Marrakech.Un mois plus tard le 7 juillet 1577, Moulay Abd-el- Malek promulgue un nouveau édit en faveur des marchands anglais. Les marchands anglais s’étant plaints d’avoir été lésés dans les marchés passés au Maroc pour les achats de sucre, le chérif ordonne aux juifs et autres personnes avec qui ces marchés ont été passés, de livrer dans le délai de trois ans ces commandes de sucre, à défaut de quoi, ils restitueront l’argent.

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  « Otland, 2 septembre 1577, dans sa lettre la reine Elisabeth remercie Moulay Abd-el-Malek du bon accueil qu’il a fait à Hogan et des mesures qu’il a prises en faveur des marchands anglais. Grâce à ces mesures, le commerce du sucre est libéré de toute entrave et le remboursement des sommes dues par les juifs fermiers des sucreries royales est assuré aux dits marchands dans un délai de trois ans. »

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 A chaque crue l'oued ksob grinotte sur ses rivages en emportant de la terre arables qui en se jetant dans l'océan donne ce rouge brique si caractéristique de la rade d'Essaouira chaque hiver  Les sucreries, qui étaient la base du commerce au Maroc une grosse source de revenu pour le roi, ont été détruites à la mort de Mouay Ahmed el Mansour en 1603. Une relation d’époque nous le confirme :histoire,photographie

 « On trouve au Maroc en abondance de l’or, du cuivre d’excellente qualité, du sucre, des dattes, de la gomme arabique, de l’ambre, de la cire, des peaux et des chevaux. Les articles étrangers qu’on y cherche le plus sont l’étain, les lames de sabre, les piques, les rames, le fer, le gros drap. La poudre d’or est importée du Soudan ; elle arrive en grande quantité après la conquête de ce pays par Moulay Ahmed el  Mansour en 1591.La culture de la canne à sucre fut extrêmement florissante au Maroc, notamment dans la région du Sous, jusqu’à la mort de Moulay Ahmed el Mansour en 1603, après laquelle les guerres civiles qui éclatèrent entre ses fils ruinèrent les plantations. » Effectivement à la mort de ce sultan saâdien, toutes les sucreries furent détruites probablement à la suite de révoltes d’esclaves.

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 En amont d'IGROUNZAR, à environ 60 kilomètres au sud d'Essaouira, on découvre, Ajegderj, un îlot de trois hameaux originaire du Dra, au milieu des Aït Adil (ceux de la vigne), antique tribu du pays Haha. 

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Ce que nous avons pris l'habitude d'appeler "l'oued Ksob", les géographes lui donnent le nom d'IGROUNZAR (toponyme berbère qui signifie "la source de la pluie"). Il prend sa source sur les hauteurs du plateau de Bouabout, en plein pays Mtougga avant de dévaler vers la mer, en traversant les multiples cuvettes au fond rocailleux du pays Haha, pour finir par se jeter à l'océan au sud de la baie d'Essaouira. Chaque trançon du fleuve porte le nom du lieu qu'il traverse pour finir par porter le nom de l'oued Ksob du fait que les saâdiens y avaient planté jadis de la canne à sucre.Tout le long d'Igrounzar, on découvre tout un chapelet d'oasis : là où il y a des sources l'habitant a établi tout un système d'irrigation pour les primeurs et les maraîchages: étant loin de toute route, les habitants en tendance à développer une culture d'autosubsistance. Si le lit de l'oued se déseche rapidement après les innondations d'hiver; le chapelet d'oasis quile borde ne manque jamais d'eau: c'est que sous le lit de surface, coule une rivière souterraine qui remonte de temps en temps à l'air libre sous forme de sources. 

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 Si ces anciens ksouriens du Dra, établis dans ces rivages depuis le temps du commerce caravanier au milieu du 19ème siècle, on adopté le dialecte dominant qu'est le tachelhit, ils ont par contre conserver leur allégeance confrérique et le mode de vie de leurs ancêtres de Tamgrout: élevage de camelins, culture de palmier-dattier, filiation à l'ordre confrérique de la Naçiriya, dont la zaouia - mère se trouve à Tamgrout au coeur du Dra.Leur habitat dénote d'ailleurs avec son environnement berbère par l'utilisation de l'ocre  saharien... De même la coupole de leur sanctuaire a des allures saharienne:s  elle a d'ailleurs pour charpente  des branches de palmier.

23:41 Écrit par elhajthami dans Histoire, Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, reportage photographique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook