14/10/2010
La danse du baroud
La danse du baroud
Carnaval masqué chez les Ghiata Ba Cheikh :"Ce carnaval a lieu chez nous à la fête du sacrifice. Au dixième jour après le sacrifice. Je dormais - seul Dieu ne dort jamais !- et je me voyais en rêve masqué dans une mascarade comme celle-ci!"
Tous les villageois participent à ce pré théâtre populaire dont les dialogues et les musiques sont entièrement improvisées avec leurs personnages burlesques dotés de baraka. Des offrandes sont recueillis par ces personnages burlesques et masquées au cours des tournées aumônières devant les hameaux. Par Abdelkader Mana
Chez les Ghiata, le printemps revêt une exubérance certaine. Avec cette végétation luxuriante, ces chants d'oiseaux au creux des boccages et aux cimes des arbres, on comprend l'enthousiasme des anciens voyageurs andalous qui sont passés par là. C'est une fraîche oasis qui fait un agréable contraste avec les paysages dénudés de l'Est, donnant à la campagne de Taza une dimension méditerranéenne particulièrement riante.
Les jardins et les vergers Ghiata entourent presque entièrement l'éperon et la ville de Taza. La végétation arborescente comprend surtout des oliviers : Taza produit une assez grande quantité d'huile et il y a de nombreux pressoirs au creux des vallons autour de la vieille cité. Une des caractéristiques des Ghiata est qu'ils mettent leurs maisons à l'abris des regards au fond des vallées, et non pas au sommet des montagnes comme font les berbères du sud pour faire face à l'ennemi venu de la plaine.
On retrouve chez les pasteurs Ghiata de la montagne, la même fête carnavalesque qui s'observe à l'Aïd El Kébir, sous le nom de Bilmaun au Haut Atlas, de Boujloud, à Fès, et qu'on appelle Ba Cheïkh, chez les Ghiata, les Tsoul et les Branès dans la région de Taza. Le personnage essentiel s'y montre revêtu de peau de mouton ou de chèvre.Le sacrifice suivi de la mascarade constitue deux épisodes d'une même cérémonie. La peau dont le personnage est revêtu provient des victimes sacrifiées le premier jour de l'Aïd El Kébir.
« Ba cheïkh »,« Souna », la « fiancée » et le « mari de Souna »
Le carnaval comporte trois principaux personnages :
« Souna », la « fiancée », « Ba cheïkh » le « mari de Souna », convoitée par un troisième personnage masqué mais plus jeune :il dispute Souna à son aîné. Le quatrième personnage est celui du « juif » qui ravit « Sona », l'enlève et la fait disparaître pour exiger l'équivalent de la dote à sa restitution.
A Bachiyne , fraction Ghiata , le personnage masqué de Ba Cheïkhm , nous fit cette déclaration :
« Qu'Allah nous préserve des écarts du langage ! Amis ! Ce carnaval légué par nos ancêtres et parents, continuons à le fêter ! Nous l'avions fêté avec feu Ali Zeroual, et avec Mohamed Bougrine, que Dieu ait son âme, et avec Ba Chiboub qui a soixante dix ou quatre vingt ans. J'ai joué avec Mestari Driss qui était presque centenaire, et je continue à apprendre aux jeunes.
On lui demande :
- l'amèneras tu avec ses cornes ?
Oncle Ba Cheïkh :
- Il sera avec ses cornes !
Passion des Dionysos
" Chacun sait comment le théâtre est sorti chez nous des mystères de la Passion qui se sont peu à peu mondanisés, écrit E.Doutté: or nous savons pareillement que les carnavals du Maghreb ont engendré, , une sorte de théâtre rudimentaire, qui ne se borne plus au thème primitif, mais comporte, au Maroc par exemple, des représentations burlesques très variées. De semblables petites représentations sont rares en dehors de la fête de l'achoura et de la fête que nous avons seulement mentionné, du Roi des tolba, très analogue au carnaval et vraisemblablement d'origine semblable. Même la fête de l'achoura n'a pas , chez nos indigènes produit de véritable art dramatique : c'est à peine si on signale en dialecte zénatie les dialogues récités lors de la fête de l'achoura, du Ramadan etc. , par les membres du chaïb achoura, sorte de confrérie théâtrale et satirique qui a beaucoup de ressemblance avec les frères de la Passion et les Enfants sans soucis de la littérature française à la fin du Moyen - Âge."
Nous avons filmé ce carnaval en 2006 à Bachiyne, fraction Ghiata située à la lisière de la montagne et la grande confédération des tribus Bni Waraïn : Un personnage identique à Ba Cheikh existe chez les Bni Waraïn voisins qui célèbrent également leur carnaval à l'Aïd El Kébir. En effet, parmi les types carnavalesques figure la soi-disant « fiancée de Bou jloud », Taslit ou Bou Jloud représentée par un homme déguisée en femme vêtue d'une magnifique handira. De semblables petites représentations sont rares en dehors de la fête de l'achoura et de la fête que nous avons seulement mentionné, du Roi des tolba, très analogue au carnaval et vraisemblablement d'origine semblable. Dans le nord du Maroc, le carnaval paraît également très répondu : nous savons qu'il existe à Tanger ; on l'a signalé à Fès, enfin il a été décrit en détail pour le Rif, pour les Djbala et pour la tribu des Zkâra. Dans le Rif on représente le Ba Cheïkh (mot qui veut dire, un chef et en même temps vieillard) : c'est un personnage âgé, avec une citrouille sur la tête, une peau de hérisson, en guise de barbe, deux défenses de sanglier de chaque côté de la bouche etc. à côté de lui sa femme est figurée par un individu déguisé, avec des fers à cheval en guise de pendants d'oreilles, un collier d'escargots au cou, un autre personnage représente l'âne, monture de Ba Cheïkh , derrière marche le juif, sordide caricature d'un fils d'Israël.
Ce spectateur a l'allure du vrai Ba Cheikh dissimulé parmi le public Le personnage du soldat : ce quatrième personnage ravit « Sona », l'enlève et la fait disparaître pour exiger l'équivalent de la dote à sa restitution.
Boulebtaïn, en arabe et ilmen en berbère dont le pluriel est Bilmawn. Les deux termes signifient « homme vêtu de peaux ». Boujloud ou Bilmawn, ou encore Ba Cheïkh au nord du Maroc ; ce sont successivement les noms des personnages masqués du carnaval de l'Achoura et de la fête du sacrifice : personnage central de la procession masquée répondant selon les lieux aux noms de Boulebtaïn, Boujloud,Herma, en ville arabophone ou encore de Bilmawn et Bou-Islikhen au Haut-Atlas berbérophone. Ces processions et mascarades s'intercalent entre le sacrifice et le Nouvel An. Ils sont liés à la fête du sacrifice dans la campagne et à celle de l'Achoura dans les villes. Pour Emile Laoust ces mascarades masquées constituent les débris de fêtes antiques célébrant le renouveau de la nature, capturée par le calendrier musulman :« Au Maroc, des fêtes carnavalesques d'un genre spécial s'observent partout à l'Aïd el Kébir ; le personnage essentiel s'y montre revêtu de peaux de moutons ou de chèvres. Le Berbère n'aurait - il pas établi un rapport si étroit entre le sacrifice du mouton, ordonné par l'Islam, et la procession carnavalesque d'un personnage vêtu de peaux qu'il aurait vu en ces deux rites, deux épisodes d'une même cérémonie...L'Aïd El Kébir s'est substitué, en Berbérie à une fête similaire qui existait déjà et au cours de laquelle les indigènes sacrifiaient un bélier et se revêtaient de sa dépouille. Si l'on y rappelle que le bélier fut autrefois l'objet d'un culte dont le souvenir s'est conservé tard dans le pays, on voudra peut - être voir dans les mascarades actuellement célébrées à l'Aïd El Kébir, la survivance de pratiques zoolâtriques dont l'origine se perd dans les âges obscures de la préhistoire. »
Masques et mascarades
Chez les Aït Mizan du Haut Atla, ces peaux sont plaquées à même sur le corps nu du personnage masqué. Celle qui lui couvre les bras est disposée de manière à laisser les sabots pendant au bout des mains. Sa figure noircie à la suie ou avec de la poudre disparaît sous une vieille outre à battre le beurre qui lui sert de masque. Sa tête est agrémentée de cornes de vache ou coiffée d'une tête de mouton dont les mâchoires écartées par un bout de roseau lui font faire la plus horrible grimace. Une orange garnie d'un bouquet de plumes est souvent piquée à l'extrémité de chaque corne ; des branches de verdure lui couvrent parfois la tête ou les épaules. Enfin deux ou trois colliers, un immense chapelet aux grains fait de coquilles d'escargots, et de puissants attributs de mâle complète l'accoutrement du personnage hideux.
Chez les Jbala on parle plutôt de Ba Cheikh, un vieillard lubrique à la barbe blanche, habillé de « haillons sordides », portant « une peau de bouc en guise de bonnet » et égrenant un chapelet de coquilles d'escargots. Ses organes génitaux sont bien mis en évidence : « une lanière de peau de mouton avec sa laine et deux aubergines entre les jambes, simulant les organes de reproduction ». Telles était les observations qu'avait noté Mouliéras au début du 20ème siècle, à propos de ce qu'il appelle le carnaval djebalien.
On peut se demander aussi si le nom des Ghiata ne provient pas de "Ghiata" (les hautboistes), parce que le hautbois est omniprésent dans leur musique...
Dans sa « Reconnaissance au Maroc » le Vicomte Charles de Foucauld, raconte ces évènements en ces termes : « La fabrication des balles et celle de la poudre sont la principale industrie de la tribu : il y a 80 maisons où l'on s'y livre. Les Ghiata peuvent, je crois, mettre en ligne environ 3000 fantassins et 200 chevaux. C'est une tribu belliqueuse et jalouse de son indépendance. Ses six fractions sont journellement en guerre entre elles, mais elles s'unissent toujours contre les ennemis communs. Il y a environ sept ans,Moulay El Hassan voulut la soumettre ; il marcha contre elle, à la tête d'une armée : ses troupes furent mises en déroute, lui-même eut son cheval tué dans la mêlée. Le combat eut lieu dans la montagne, sur les rebords de l'oued Bou Guerba. Ils ne marchent jamais qu'armés, et ont sabre et fusil : ici, chacun pour soi avec son fusil. »
La fraction des Bni Snan, est située à l'Est de Taza. « La danse du baroud », nous l'avons hérité de nos ancêtres. Toutes les fractions Ghiata se distinguent par cette danse . Même si chaque douar a son propre style.Les Ghiata - Ouest ne pratiquent pas cette danse , par contre ils chantent, en rythmant leurs chants de percussions. Mais quand ils ont un mariage, c'est à nos fantassins et à nos musiciens qu'ils font appel. Car, ce sont, nous autres , les Ghiata - Est qui pratiquent cette danse du baroud.Chaque année, nous portons un sacrifice aux chorfa d'Ouazzane et à Moulay Idriss Zerhoun. On passe deux à trois jours à ce moussem et jusqu'à nos jours, la fraction M'tarkat, reste fidèle à ce pèlerinage de Moulay Idriss Zerhoun.La danse du baroud se pratiquait après chaque victoire et au retour de chaque expédition guerrière contre les infidèles. C'est le leader du combat, sa tête de lance qui menait cette danse guerrière qui se déroulait au hameau jusqu'à l'aube. »
Les Ghiata sont essentiellement montagnards. La partie de leur territoire située en plaine est très fertile, mais peu étendue comparée à l'épais massif montagneux : là sont leurs villages et leurs cultures, sur de hauts plateaux, dans de profondes vallées presque inaccessibles ; ces vallées sont d'une fécondité extrême, ombragées d'amandiers, et produisant de l'orge en abondance.
D'après Az-Zaïani, qui fut gouverneur de Taza en 1787 et qui est l'auteur du Torjouman les Ghiata appartiendraient aux berbères Botr, ils seraient de la même famille que les Meknassa et les Mtalssa. Il est certain que les diverses fractions des Ghiata n'ont pas une origine commune. Les Riata ne parlent plus la langue berbère. Ils sont en réalité bilingues. Sauf la fraction montagnarde des Ahel Doula, qui sont en contact direct avec les Bni Ouarayen. Les Ghiata et les Bni Ouarayen représentent les vieilles populations stables de ces montagnes. Etant les premiers à être en contact avec les migrations en provenance d'Orient, les Ghiata, de même que les autres tribus de la trouée de Taza, ont été plus précocement touchés par l'arabisation que les autres tribus berbères du Maroc.
Depuis les versants nord de la montagne Ghiata , où existent des sources importantes, et d'où les oueds dévalent les pentes, l'eau de la montagne est amenée, par une canalisation, au sommet de l'éperon sur lequel est construit Taza. L'eau était acheminée vers la ville par des canalisations à ciel ouvert. Le tiers de cette eau était accordé en main morte à la grande mosquée de Taza ainsi qu'à ses bains maures. Cette seguia se trouvait sous le contrôle des Ghiata qui n'hésitaient pas à la couper tenant toute la ville à leur merci. De la Martinière qui est passé près de cette ville en 1891, a constaté que les Ghata exerçaient une domination absolue dans la vallée de l'innaouen, à cette époque. Le vicomte Charles de Foucauld de passage à Taza en 1883, a aussi signalé l'état misérable des citadins cruellement opprimés par les Ghiata. Aujourd'hui encore, le cavalier Bécharine que nous avons rencontré lors de notre tournage se souvient :
«Toute la production agricole locale est destinée à Taza. Elle n'est pas commercialisée ailleurs. Elle est destinée à l'autosuffisance de la médina de Taza. Que cette production agricole soit maraîchère, céréalière, ou d'huile d'olive, c'est ici que résidait à l'époque la source d'alimentation de la ville.
La fraction Bni Bou Qitoun entoure Taza de toute part.
Selon un cavalier du nom de Bécharine :« L'avènement de Moulay Idriss fut troublé par des guerres. Pour lui marquer leur soutient, la fraction Bni Bou Qitoun accompagnée de ss esclaves avaient planté ses tentes auprès de la sienne à Fès .
Les Ghiata se disent les « aides par excellence de la dynastie Idrisside » . Encore de nos jours,on peut recueillir chez eux, cette tradition selon laquelle, Idris 1er leur aurait donné ce surnom qui signifie « le secours de la religion. »
Lorsqu' en effet, Idris 1er, fuyant les Omeyyades, s'est réfugié au Maroc pour se fixer à Volubilis, parmi les tribus berbères gagnées à sa cause à la fin de l'année 788, on cite les Ghiata et les Miknassa , parmi les premières tribus ralliées à sa cause. C'est probablement sous son règne que les Miknassa commencèrent à construire Taza.
Le cavalier Krirech nous dit : « On raconte qu'Idriss 1er a appelé les « Ghiata » à son secours , c'est le sens et l'origine de leur nom qui signifie « secours » en arabe. Il y a les Ghiata- Est et les Ghiata- Ouest. Le territoire de ces derniers s'étend de oued Bouhlou au col Touaher. Et celui des Ghiata - Est , de col Touaher à Ahl Doula. Les Ghiata - Est se composent des fractions suivantes : Bni Bou Qitoun, qui entourent Taza de toutes parts, Bni Ouajjan, Bni Bou Ahmed, Bni Snan, Galdaman, Ahl Doula. »
Région de passage et de contact à travers les siècles, le couloir de Taza abrite des tribus arabisées tels les Ghiata, qui sont cités dans ces régions depuis au moins l'arrivée de l'Islam au 7ème siècle. L'histoire montre d'ailleurs, que les grandes migrations et les conquérants ont souvent emprunté cette route. Le couloir de Taza, constitue de tout temps une voie de communication importante entre les steppes désolées des hauts plateaux de l'Oriental marocain et les riches plaines du Gharb. Sur le chemin du pèlerinage à la Mecque, « Triq Sultan » était ponctuée de Kasbah, à la fois étapes de caravanes et forteresses défensives face à l'ennemi héréditaire en provenance de l'Est que ce soit les Abdelwadides de Tlemcen ou plus tard, les Turcs.
En 1680, Moulay Ismaïl, plaça en différents points de la route d'Oujda à Fès, des garnisons chargées d'assurer la sécurité des communications, dont celle de M'soun. Ces kasbah -garnisons avaient pour mission de faire face au péril turc établi en Algérie.
La kasbah de M'soun occupe une position stratégique importante reliant l'Est et l'Ouest du Maroc à l'entrée de la trouée de Taza. Historiquement, elle reliait Tlemcen à Fès à travers Taza. On dit qu'elle fut construite du temps de Moulay Ismaïl. On dit aussi que Jilali Bouhmara fut blessé dans une bataille ici - même. C'est à partir de là que sa trace fut perdue et qu'on n'entendit plus parler de lui.
La kasbah de M'soun est occupée le 11 mai 1912par l'armée Française en provenance d'Algérie. Avec l'occupation de la kasbah de M'soun, une réaction se produit chez les Mtalsa ; des feux apparaissent dans la montagne, et le soir - même les français subissent une attaque. A la fin du mois d'avril 1912, les émeutes de Fès provoquent l'effervescence sur la rive gauche de la Moulouya ; les tribus sont rassemblées à M'soun. Le 26 juin 1912, les troupes françaises s'installent à Guercif. C'est dans ces conditions, qu'il était devenu possible aux troupes coloniales de réaliser la jonction tant souhaitée entre le Maroc Oriental et le Maroc Occidental.
Lyautey et Moulay Hafid d'après Roman Lazarev
Pour M'hamed Chlioueh, moqadem de la cavalerie Ghiata :
« A partir de 1912, la France a occupé la kasbah de M'soun aux environs de Taza. Ils sont restés là quelques jours avant d'entamer leur marche en direction de Taza à travers oued Boulejraf situé dans la commune de Galdaman. A partir de là les Ghiata les ont attaqué ainsi qu'à Galdaman, jusqu'au lieu dit « Lamtiq » situé dans la commune de Bab Boudir. C'est là qu'ils ont entamé leur guerre contre le colonialisme, à Galdaman et chez les Branès, et ce jusqu'à l'avènement de l'indépendance du Maroc en 1956. »
C'est en effet , à l'oued Boulajraf que les troupes françaises, en provenance d'Algérie ont rencontré les premières résistances marocaines, comme le soulignait, le 8 mai 1914, le capitaine Caussin, dans son journal de route « vers Taza » : « Des hauteurs de Jbala part un feu nourri. Le convoi se rassemble et fait une courte halte en avant de l'oued Boulajraf. Notre marche rapide et inattendue réveille les douars voisins de la piste. Il est décidé un mouvement simultané des troupes en provenance du Maroc Oriental et du Maroc Occidental pour alléger l'effort réciproque. »
Les Français parcourent la région avec un groupe de 2300 hommes. Pourtant cela n'intimide pas les Bni Waraïn : le 9 avril 1912, à la pointe du jour, environ 2500 guerriers foncent sur la reconnaissance de Mahiridja. Dés le début le combat prend une allure très violente, l'action s'étend peu à peu sur un fond de huit kilomètres : 200 morts côté marocain et 28 tués côté français. Les Bni Waraïn restent déterminés et très hostiles, et ne songent nullement à dissoudre leur rassemblement à Bou Yaâcoubat. D'ailleurs une Harka des Ghiata et Houwara, formée dans la région Taza - Msoun, vient les appuyer ; en fin avril 1912 ; elle s'installe à Safsafat sur le Melloulou , puis vers le 10 mai 1912, elle atteint la Moulouya à Sidi Bou Jaâfar. Les forces des dissidents s'élèvent alors à environ 4500 combattants. Vers la fin de 1913, le commandement décide d'installer un poste provisoire à Mahiridja, qui sera achevé, comme l'indique la plaque commémorative, deux ans plus tard, en 1915. Cette mesure a pour but d'interdire les pâturages d'automne du Maârouf des Bni Waraïn.
« Ce jour du 10 mai 1914 va marquer une date mémorable dans l'histoire de notre conquête marocaine. La grande voie de pénétration, l'antique « Triq Sultan » va s'ouvrir devant nous. Les Rhiatas de l'Est cherchent à sauver la face :une ère nouvelle commence pour le Maroc. A travers les champs et les jardins où les oliviers répondent une ombre bienfaisante, le convoie s'achemine vers la ville. Des montagnes qui semblent l'encercler, une vaste kasbah profile au sommet d'une crête ses murs rougeâtres. Une immense clameur salue cette vision encore lointaine :Taza !Taza ! Tout un chacun se sent puissamment attiré vers ces hautes murailles encore estompées par la brume matinale. Ce soir nous camperons dans Taza la mystérieuse. »
Par le passé, les Ghiata assiégeaient la ville et lui coupaient eau et nourritures. Les citadins ne pouvaient sortir sans l'accord des Ghiata. Alors, ils portèrent plainte auprès de Hassan 1er qui attaqua avec sa Mehella, les Ghiata dans ces montagnes. Il y avait beaucoup de brouillard, ce jour là, de sorte que l'expédition s'arrêta à « Bouguerbane » sans parvenir aux hauteurs de « Ras el Ma ». L'attaque eut lieu un vendredi. »
Au milieu du mois de septembre 1874, Hassan 1er entra à Taza. Les tribus de la province lui envoyèrent aussitôt des députations. Le souverain se montra bienveillant, sauf envers les Ghiata auxquels il reprochait d'opprimer constamment les citadins ; il infligea aux fractions les plus compromises d'entre eux, une forte amende, qu'ils payèrent sans résistance. L'année suivante, Hassan 1er sorti de Fès, pour se rendre à Oujda. Il atteint Taza au mois de juillet et fit camper son armée vers Draâ Louz,(le bras des amandiers) au pied des montagnes Ghiata. La tribu ne consentit à verser qu'une faible partie des vivres qui lui étaient demandés. Le jeudi 20 juillet 1876 Hassan 1er lança ses troupes contre une fraction Ghiata. Le lendemain le Sultan tenta de pénétrer au cœur de la montagne. Les Ghiata avaient établi des barricades en travers de tous les passages. A un certain moment l'armée assaillante se trouva acculée à un profond ravin ; les Ghiata firent alors une violente contre - attaque. Le porte étendard tomba.
Aveuglés par la poussière que soulevaient les chevaux et par la fumée de la poudre, les soldats se précipitèrent pêle-mêle dans le ravin et s'y écrasèrent. Il y eut bientôt dans toutes les crevasses un amoncellement de bagages et de cadavres d'hommes et de chevaux. Hassan 1er dut mettre pieds à terre pour sortir du terrain affreusement coupé, dans lequel avait péri la plus grande partie de sa cavalerie. Il laissa aux mains des Ghiata de nombreux trophées et avaient failli perdre ses femmes. Le Sultan parvint enfin à rallier ses troupes et les Ghiata se retirent au sommet des montagnes en abandonnant leurs villages et leurs vergers. Ayant reformer son armée, Hassan 1er, retourna dans la montagne sans rencontrer âme qui vive, puis il se porta à Oujda. A son retour les Ghiata se soumirent.
Tabjia (canoniers) d'après Roman Lazarev
Après la mort de Hassan 1er le7 juin 1894, un agitateur se mit à parcourir la vallée de l'Innaouen, au courant de l'été 1902, en prêchant l'insurrection. Il était monté sur une ânesse, ce qui lui valu le surnom de Bouhmara. Ce personnage se faisait passer pour Moulay Mohamed, le frère du Sultan, et l'on ignora longtemps sa véritable origine. C'était en réalité un nommé Jilali Ben Driss Zerhouni. Il s'attribuait le nom de Moulay Mohamed afin de justifier sa position de prétendant au trône. Beaucoup de Ghiata, Hyaïna, Béni Wuaraïn , Tsoul et Branès proclamèrent Sultan le Rogui Bouhmara. Un caïd Mia et une vingtaine de cavaliers, envoyés dans la vallée de l'Innaouen pour arrêter le prétendant, durent prendre la fuite. Enhardit par ce premier succès Bouhmara, marcha sur Taza, à la tête de contingents Ghiata. Il dresse son camp sous le mur de la ville où il entra le 25 octobre 1902, après deux jours de pourparlers avec les notables. Le prétendant nomma un Ghiati caïd de Taza Plus tard, partisans de la première heure , ces mêmes Ghiata se soumirent à Moulay Hafid, et répondirent aux lettres de supplication de Bouhmara en pillant son Dar El Makhzen à Taza.
Au plat pays (« Azaghar »en berbère) de Galdaman, nous avons visté le douar de Aïn Lahjal, (litéralement « l'œil de la perdrix »)qui se compose de quinze à vingt Canounes et qui fait partie de la fraction Ahl Doula(« ceux de l'Etat », probablement surnommés ainsi parce que jadis ils était des guerriers au service du Guich d'une dynastie) . Le mont enneigé de Bou Iblan est la frontière palpable entre les Ghiata et leurs voisins Bni Wuarayen. Et c'est au niveau de ce hameau surnommé « œil de perdreau », que les Ghiata se trouvent en contact direct avec leurs voisins les montagnards berbères Bni Warayen. Un habitant de ce hameau nous dit avoir assisté à des mariages mixtes entre les Ghiata et les Bni wuarayen, où ces derniers chantent en berbère alors que les premiers chantant en arabe.
Abdelkader Mana
05:04 Écrit par elhajthami dans Achoura, Le couloir de Taza | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : le couloir de taza | | del.icio.us | | Digg | Facebook
06/10/2010
La deuxieme guerre du Rif
BOURED le 2 octobre 1955
On peut lire dans « la Vigie » du dimanche 9 octobre 1955 :« Ce matin une offensive de grande envergure à laquelle participent plus de 10 000 hommes, a été déclenchée. L'opération consiste en des mouvements d'encerclement de la tribu rebelle des Gzenaya. ». Dix bataillons français participaient à l'opération de prise en tenaille de la tribu rebelle des Gzenaya : des convois massifs remontaient vers le Nord à partir de Fès et de Taza.
Par Abdelkader Mana
« Le Rif est connu pour sa résistance nationaliste : depuis la lutte du chérif Mohamed Ameziane, mort en 1912, en passant par celle d'Abd - el krim- el- khatabi en 1921. Nos parents ont persisté dans cette voie de la résistance jusqu'à l'insurrection de 1955. Moi-même j'ai participé en 1955 à plusieurs attaques de l'Armée de Libération : à Bouskour, Aknoul, Mzizoui, et Tizi N'Taïda à Had Jbarna. Nous avons poursuivi la lutte, en nous rendant à pieds aux quarante quatre saints de Taourirt. Nous avons lutté jusqu'au retour de Mohamed V. Une missive nous est parvenue du défunt Roi nous disant qu'un accord a été signé entre le Maroc et la France, et qu'il faut maintenant déposer les armes. C'est ainsi que nous nous sommes dispersés en rejoignant Rabat : certains pour les Forces Armées Royales, d'autre pour l'intérieur ou encore la police. Et jusqu'au jour d'aujourd'hui, nous sommes restés fidèles au serment. » Résistant rifain de Boured.
Abdellah Qariyouh, ancien résistant Metalsa
L'Armée de Libération marocaine attaque le 2 octobre 1955 à partir de minuit, les postes avancés de l'armée française à Aknoul, Tizi Ousli et Boured. Les opérations sont commandées par Abbas Messaâdi, Abdellah Senhaji, et Belhaj. Beaucoup de combattants viennent de la farouche tribu des Gzenaya. Et dans cette région accidentée au cœur du Rif, que la grande presse avait surnommé « le triangle de la mort », les combats sont d'une extrême violence. Ni l'aviation, ni les tanks français ne peuvent intervenir efficacement contre les 2000 maquisards marocains.
Boured et le piton de Bouzineb,lieux des opérations militaires se situent à la limite des zones occupées par la France et l'Espagne
Le 15 juillet 1955 fut constitué un comité de coordination de l'Armée de Libération du Maghreb, comprenant quatre membres : Boudiaf, Ben M'hidi, Abdellah Sanhaji et Abbas El Messadi. Le même jour fut arrêtée la date du premier soulèvement : le dimanche 2 octobre « à partir de 0 heure et pas avant ».Le choix de cette date, qui intéressait également les partisans d'Oranie, ne fut nullement influencé par le départ de Ben Arafa ce qui réduit à néant les conséquences politique qu'en tira Boyer de Latour qui affirma que « le départ de Ben Arafa devait être le signal d'une rébellion généralisée » et qu'il ne fallait « constituer un conseil de trône que quand les esprits seront calmés... »
Mohamed Yaâgoubi, témoins Metalsa
« A la veille de l'indépendance un jurisconsulte de Kebdana, me confia 100 tickets - semblables à ceux des autocars- pour que je les distribue aux habitants en contre partie d'un « Doro » par mois. Pourquoi ? Il m'expliqua que ces fonds, sont destinés à Si Abd el krim, pour qu'il nous achète les armes. »
Voici maintenant ce que confie à l'auteur en 2008 ce même rifain issu de la tribu des Metalsa :
"D'après ce qu'on raconte, c'est Abd el krim qui avait envoyé les armes : on avait convoqué les négociants de Casablanca pour qu'ils les transportent - comme on fait avec la contrebande en provenance de Mellila et d'Espagne - afin de les distribuer ensuite, aux tribus, en vue de leur soulèvement. Mais les négociants ont refusé de convoyer les armes. Ils ont refusé de décharger les armes qu' Abd el krim avait demandé de convoyer jusqu'à Casablanca. Ils avaient peur ! Ils s'apprêtaient à renvoyer la cargaison en Egypte. Abd el krim leur dit alors :« Ecoutez, si les rifains ne réceptionnent pas les armes, personne ne les recevra à leur place ! Les rifains sont cupides ; donnez leur de l'argent et ils lèveront les armes ! ».
Ils déchargèrent alors les armes au rocher de Kebdani. De là, ils les sortirent en contrebande et les convoyèrent à dos d'hommes et à dos de mulets jusqu'aux aux centres des Béni Waraïn et de Taza. Mais aussi à ceux des Metalsa et des Gzenaya. Les responsables de chaque centre tenaient des réunions pour réceptionner ces armes. Progressivement une date s'est dégagée pour l'attaque. Ils s'étaient dit : à telle nuit, chaque tribu attaquera son bureau des Affaires Indigènes. Ils s'étaient mis d'accord sur la nuit du samedi à dimanche 2 octobre 1955. Chez les Gzenaya, un mouchard est allé en avertir le capitaine : il avait assisté à leur réunion clandestine, et est allé immédiatement les dénoncer ! Il dit au capitaine : « Il t'attaqueront cette nuit ! ». Ce dernier réunit alors ses soldats et auxiliaires et les dissimula dans une grotte à Taourirt près de Tizi Ousli. La grotte contenait armes et munitions . De sorte que quand les attaquants sont arrivés ils n'ont rien trouvé au bureau. Les Mokhanis n'étaient plus là. Il ne restait plus que des femmes. Plus personne à qui s'attaquer. Rien. Ils se mirent alors à dévaliser les lieux, emportant marmites et théières sur leur passage. Qui avait agi ainsi ? Les gens de Mezguitam et Driouch. Chacun avait sa propre section, qui se composait de 60 à 80 membres de l'Armée de Libération. Les attaques étaient prévues au même moment : à 0 heure et pas avant . Elles devaient se produire simultanément à Aknoul, Tizi Ousli et Boured. Mais ils n'ont pu s'attaquer effectivement qu'à Boured et Tizi Ousli, et pour des raisons particulières, il n'y eut pas d'attaque à Aknoul.Quand aux Gzenaya, du côté de Boured, ils n'étaient au courant de rien. Ils sont allés s'attaquer au capitaine et à ses soldats. Ils ont tout saisi. "
Le prestige d'Abd-el -krim est demeuré tellement intacte qu'on continue de lui attribuer à tord ou à raison tous les combats que le Rif a mené contre le colonisateur au 20 ème siècle..
Pour comprendre ces évènements, il faut remonter au mois de février 1947, lorsqu'au Caire, était fondé la première structure de coordination entre les mouvements nationalistes de la région : le « Bureau du Maghreb » chargé de préparer la propagande indépendantiste des pays d'Afrique du Nord. Le 31 mai suivant, le leader de la guerre du Rif, Abd - El - Krim El Khattabi, se réfugie en Egypte, après 21 ans d'exile à la Réunion et une évasion réussie. Il devient aussitôt la figure emblématique qui manquait aux émigrés maghrébins du Caire. Président d'un « Comité de Libération du Maghreb Arabe », proclamé le 9 décembre 1947, il publie le 5 janvier 1948 un manifeste soulignant la volonté inébranlable des partis nationalistes maghrébins de se consacrer à la lutte indépendantiste. On peut y lire ce qui suit :
« A une époque où les peuples s'efforcent d'assurer leur avenir, où les pays du Maghreb arabe tendent à recouvrir leur indépendance extorquée, et leur liberté perdue, il devient d'une nécessité impérieuse, pour les leaders politiques du Maghreb, de s'unir, et pour tous les partis de libération de faire bloc et de se soutenir réciproquement, puisque c'est là une voie qui nous conduira à la réalisation de nos buts et de nos espérances. Je me suis en effet mis d'accord avec les chefs et les délégués des partis auxquels j'avais fait part de l'idée de créer un Comité de libération du Maghreb arabe, composé de tous les partis de l'indépendance dans chacun des trois pays : Algérie, Tunisie, Maroc...Désormais, notre cause entre dans une phase décisive de son histoire. Constitués en un bloc puissant, nous sommes tous unanimes et aspirant au même but, qui est l'indépendance totale du Maghreb arabe, nous ferons face aux usurpateurs. »
La notion de « Maghreb Uni » se révèle à ce moment, très ancrée dans l'imaginaire collectif. La guerre du Rif des années vingt(encore prégnante dans les esprits), la débâcle Française de 1940, le mouvement de décolonisation post seconde - guerre mondiale, la création de la Ligue Arabe en 1945, fabriquent une chaîne mémorielle, des points nodaux de référence, des représentations unanimement partagées. Un même élan se dessine dans les partis nationalistes du Maghreb.
A la fin d'octobre 1955, un front fluide reprenait l'action non plus sur 30 mais sur 150 kilomètres. A la fin de 1955, la menace s'était aggravée, au point qu'il avait fallu abandonner pratiquement une zone de 30 kilomètres de large sur 20 de profondeur au Sud - Est de Tizi Ousli. Les partisans qui se comptaient désormais par milliers étaient mal armés mais bénéficiaient de l'appui de la population et pouvaient porter la guerre chez les Béni Snassen, en liaison avec les combattants algériens.
En haut en pointillés les postes de contrôle Français, délimitant la zone Espagnole. En bas un fac simili de la presse coloniale de l'époque indiquant sommairement l'emplacement de Boured, de Tizi Ouzli et d'Aknoul...
D'apres Ialatten , qui a participé à l'attaque du bureau des Affaires Indigenes de Boured: " Un responsable est arrivé de Nador pour nous informer que les armes allaient être envoyées d'Egypte par Abd el krim, et qu'elles seront convoyées par bateau jusqu'à Nador. Nous saurons par la suite que ces armes étaient déchargées au rocher de Kebdana. De là la cargaison a été acheminée à Aïn Zorah, d'où on a procédé à sa répartition : une première livraison alla aux Marmoucha, une seconde à Berkine, une troisième à Mzguitam, et une quatrième à Tizi Ousli.Après une période de mise en sommeil, l'attaque a débuté par Tizi Ousli. D'autres batailles eurent lieu du côté de Taza, à Berkine et chez les Marmoucha." La déposition de Mohamed V était à l'origine de l'insurection:
Iâllaten, résistant Gzenaya, ayant participer à l'attaque du poste de Boured
«Le jour où nous avons appris la déposition de Mohamed V, tout le monde s'est mis à pleurer : hommes, femmes, enfants, adultes. Et qu'avons - nous fait ? Nous avons rejoint les nationalistes. Nous avons prêté serment à leurs chefs. Ceux-ci sont allés chercher les armes, qu'ils introduisent à Nador. Abbas Messaâdi et les autres résistants : tels Abdelaziz Aqodad, Hassan Zekriti, Allal Amqri, El Ghabouchi, Aqjouj, Bouqoullan , et le sergent Abdessalam.Tous avaient prêté serment de lutter pour la bonne cause.Abbas Messaâdi avait introduit les armes à Nador. Chaque chef de section a emporté deux armes, pour entraîner sa cellule à leur maniement. Chacun avait rejoint son douar avec un fusil et un revolver. Les éléments qui devaient participer aux entraînements militaires étaient triés sur le volet. Ils s'étaient engager à garder jalousement le secret. Les entraînements se faisaient de nuit aux environs de nos douars. »
Un bilan établi par les partisans, le 6 octobre 1955, insista sur l'effet de surprise et surtout sur la saisie de 380 armes. Il estimait à 71 le nombre de victimes de l'offensive, en majeure partie européennes.
Plus grave pour l'occupant français la rébellion des montagnards sédentaires des Aït Seghrouchen et des Marmoucha , occupant le versant Sud du Moyen Atlas dans la massif du Jbel Bou Iblane. L'attaque d'Imouzzer des Marmoucha fut l'épisode le plus sanglant de l'insurrection. Le chef de circonspection des Affaires Indigènes commandant le poste avait été prévenu par un Marocain de l'imminence d'un coup de force...mais il ne crut pas au renseignement qui lui a été donné.Les rebelles tuèrent dix européens et cinq goumiers. Ils purent emporter une grande quantité d'armes. On craignait que le mouvement gagna la haute Moulouya.
Les troupes françaises qui opèrent dans « le triangle de la mort » - Aknoul - Boured - Tizi Ousli - ne trouvèrent pas de groupements ennemis à affronter. Si elles purent occuper les trois points du triangle, la principale tâche revint au génie pour réparer, chaque matin, les sabotages nocturnes. Billote put tenir à Boured une conférence d'état - major. On n'en était encore qu'à une guerre de buissons.
Boured-TiziOuzli-Aknoul: le triangle de la mort
Dans la nuit du 28 au 29 décembre 1955, une nouvelle offensive des rebelles dans le Rif révélait l'extension de la dissidence de plus de 40 kilomètres vers l'Ouest. Le général Agoustini, qui disposait de 15 000 hommes, dut entreprendre « une puissante opération de nettoyage » qui lui permit, de reprendre les positions abandonnées et de mettre fin aux attaques. Aux prises avec une guérilla insidieuse, les troupes d'occupation se sentaient impuissantes et découragées. Les désertions en masse des Marocains montraient aux Français vers qui allaient leur fidélité. On devait évacuer les goumiers en camions et sans armes. L'Oriental restait en état d'anarchie, le Amel d'Oujda se déclarait impuissant et les impôts ne rentraient plus. L'affaire du Rif exaspérait la tension entre la France et l'Espagne.
D'après Waterbury : le gros des combattants n'excéda jamais 600 ou 700 hommes provenant des tribus Gzenaya, Bni Bou Yahi , et Bni Snassen. La plus batailleuse, celle des Bni Ouariaghel dont est originaire Abd-el-krim el khattabi, se tint à l'écart. Plusieurs des chefs furent acceptés par les tribus rifaines pour leurs capacités non pour leur origine : Dr.Khatib était né à El Jadida, Abbas Messaadi des Aït Ishaq, au Sud - Ouest de Khénifra, et Abdelkader Bouzar était un algérien interprète au Maroc.
C'est ici - même qu'on avait élu Abbas Messaâdi, en tant que leader. . L'un des premiers leaders à Bouskour fut le caïd Hassan, qui était auparavant militaire dans l'armée française et qu'on avait choisi pour son expérience des armes. Après avoir été nommé chef de l'Armée de Libération ; il était venu s'établir à Bouskour. Les patrouilles se composaient de cinq à dix membres qui harcelaient les postes français, jusqu'au cœur même de Taza. »L'opinion française s'émut et dénonça la complicité de l'Espagne. Valino, qui n'avait pas oublié le silence de Guillaume, répondit sèchement qu'il n'en était rien. En réplique à Boyer de Latour, qui fait état de l'accord conclu, le 10 juillet 1926, lors de la guerre du Rif, qui prévoyait une concertation sur la situation des confins, il dénia la possibilité aux français « d'en appeler à un accord qui a été violé tant de fois par la France, qu'il peut être aujourd'hui considéré comme périmé ». Les européens redoutaient une insurrection généralisée.
Les services de renseignements de l'armée française au Maroc espagnol ne soupçonnaient pas que l'insurrection avait été préparée de longue date par des militants marocains et algériens associés pour une action commune dans la lutte pour la libération du Maghreb Arabe. Un colonel fut envoyé à Nador pour apprécier si la situation était sérieuse. Un tract a pour en - tête : « Vive l'Armée de Libération, vive le Maghreb Arabe, vive Mohamed V ».
Bataille rangée ,"Bin Sfouf"(d'entre les rangées" d'arbres)
Témoignages recueillis par l'auteur à Boured en 2007
Voici les témoignages des résistants Gzenaya que nous avons receuillis l'été 2007 a Boured , ce village des hauteurs rifaines , non loin des ruines du bureau des affaires indigenes attaqué le 2 octobre 1955 a 0 heure. Apres ce coup de force de la resistance eurent lieu plusieurs escarmouches dont la principale est la bataille dite de "Bin Sfouf" (d'entre les rangées d'arbres) sur les hauteurs strategique de Taineste qui surplombent en pays Branes le couloir de Taza :
« Nous étions des nationalistes. A l'époque, il y avait la France. C'est Si Abbas Messaâdi, un des compagnons du Dr. Khattib, qui le premier a introduit les armes à Nador, où il a fait prêté serment aux leaders qu'il a désigné pour l'Armée de Libération Marocaine chez les Gzenaya : deux sont originaires de Tighezratine, Massaoud Bouqalla(aux environs de Malal), El Haj Mohamed Abeqri d'Ajdir, Ouqodad Si Abdlaziz(Oulad Ali Ben Aïssa), Si Abdelkader Ouqodad(Oulad Ali Ben Aïssa).
Si Abbas leur a dit :
- - Chacun de vous doit amener deux personnes, pour qu'ils s'entraînent aux armes à Nador.
Ceci était arrivé le jour où la France avait déporté Mohamed V, qu'Allah l'ait en sa sainte miséricorde. Femmes et enfants pleuraient la déportation de Mohamed V par les Français. C'est à partir de là que l'Armée de Libération Marocaine a commencé à recruter aux douars où elle avait confiance. Ils ont fixé le rendez vous de l'attaque à zéro heures. Il y avait plus de cent militaires français au poste de Boured. Le poste qui surplombait l'oued Boured comprenait un capitaine et un adjudant français ainsi que des forces auxiliaires. Vers minuit trente on s'est retrouvé au poste munis de haches. Nous avions entre treize et quinze fusils. Nous nous sommes emparé de 35 fusils du poste ainsi que de deux autres de la douane .Trois mokhazni sont morts lors de cette attaque ainsi que deux douaniers : l'un européen, l'autre marocain. Il y eut aussi des blessés : Boujabli de Boured ainsi que l'adjudant européen. L'adjudant, le capitaine et les forces auxiliaires ont pris la fuite, soit à cheval soit à pieds. Pour notre part, nous avons capturé deux chevaux du poste des affaires indigènes. Ceci a eu lieu le 2 octobre 1955, et nous avons obtenu l'indépendance en 1956.L'Espagne nous a aidé, puisque les combattants se réfugiaient dans la zone qu'elle occupait. La France ne pouvait pas franchir cette frontière.Après cette attaque la France a envoyé de grands renforts de Mernissa et d'Aknoul. La légion, les goums, les chars bombardaient et les fantassins avançaient. Ils se dirigeaient vers le mont Bou Zineb qui constituait la frontière entre zone espagnole et zone française. Ils ont pris le poste de l'Armée de Libération Marocaine au mont Bouzineb. Sous pression les éléments de celle -ci se retirèrent en zone espagnole, et certains d'entre eux se sont cachés ici même à Boured. A ce moment là, 250 à 300 éléments de l'Armée de Libération, se sont dirigés vers Taïnest. A notre arrivée à Taïnest 40 déserteurs nous ont rejoint avec armes et bagages. C'était le cabrant Moulay Ali qui les avait amené de Taza. Avec ses soldats, il nous a amené des mitrailleuses et soixante mortiers. Il pleuvait. On errait dans la forêt. Quelqu'un a bousculé une grosse pierre : en roulant vers le bas, celle - ci réveilla le poste Français de Bin Sfouf. Ils se mirent alors à tirer sur nous de nuit, à l'aide de bombes éclairantes et de mortiers. Le cabrant Moulay Ali s'écria :
- - C'est une dénonciation; reculez! que chacun retrouve son poste!
Mr.Ahmed Fellah, originaire de Boured ayant participé aux combats de "Bin -Sfouf"
Quand nous avons reculé, quelqu'un est venu nous avertir que trois patrouilles ont quitté Taïnest et Mernissa. Effectivement, vers dix heures du matin, l'officier de Marnissa rencontre celui de Taïnest qui était accompagné de Mokhazni. Les militaires mettent leurs armes en garde à vous, et c'est à ce moment où ils ont commencé à prendre leur casse - croûte, qu'un dénommé Kharbouch, originaire de Kahf El Ghar, leur tira dessus à la mitrailleuse ,tuant ainsi six d'entre eux. Au cours de cet accrochage deux des nôtres sont morts. Je suis resté vivant. Ceci est arrivé à Bin Sfouf. A Taïnest, on a tué au moins treize légionnaires. J'en ai enjambé moi - même les dépouilles de quelques uns en fuyant vers l'oued. Une femme est sortie poussant des you - you, un légionnaire la tua sur le coup , son pauvre corps s'est mis à rouler jusqu'en bas. L'officier venu de Mernissa était bloqué avec le mokhazni qui l'accompagnait. Celui-ci sortit son revolver et tua l'européen, pour qu'il ne soit pas lui- même tué par l'armée de libération. On l'emmena avec nous à la cache où on préparait le pain au douar Timskan du côté de Malal chez les Gzenaya. Après cet incident, les avions sont arrivés. C'est à mon arrivée à l'oued Bin Sfouf que j'étais blessé à mon bras gauche.
Oued Ouergha en contrebas: au loin le piton de Bouzineb
J'ai vu un soldat qui se dirigeait au bord de l'oued, le long d'un champ de vigne. L'européen qui m'a tiré dessus était lui-même blessé au pied. Notre infirmier l'acheva à coup de pistolet. Puis il vint me rejoindre avec les déserteurs qui sont venus de Taza avec Moulay Ali. L'infirmier me soigna d'abord, puis alla enlever à l'européen sa carabine, ses cartouches et son sac. En remontant, j'ai trouvé la jument de l'européen, fuyant vers Taïnest, portant munitions et mortiers, ainsi qu'une grande radio qui leur servait à communiquer du sol avec l'avion. L'Armée de Libération Marocaine a ainsi récupéré les caisses de munitions et la radio de liaison. C'est à ce moment là que j'ai rejoint le sergent Abdessalam d'Aknoul, qui commandait l'Armée de Libération. Il y avait là un autre blessé, parmi les déserteurs qui nous ont rejoint. On a mis les blessés, sur dos de mulet. Quand nous sommes arrivés en haut de la colline de Timskane, où se situait un poste de l'Armée de Libération, deux avions nous ont survolé. L'un des blessés me dit :
- - Ils vont nous tirer dessus! Moi, je suis mort, toi, tu dois te dissimuler!
On s'est laissé tomber tous les deux de notre mulet, l'avion nous a tiré dessus, mais personne n'a été blessé. J'ai continué le reste du trajet à pieds. Lui fut transporté sur un brancard par l'Armée de Libération . Quatre avions nous attaquaient ainsi que des tanks venus de Mernissa et de Taïnest : ils bombardaient de tous côtés dans la forêt et à l'oued Bin Sfouf. Aux membres de l'Armée de Libération qui voulaient prendre la fuite, Moulay Ali disait :
- - Par Allah, vous devez revenir délivrer les vôtres; qui sont encore bloqués à l'oued Bin Sfouf.
Ils y sont revenus de nuit, ils ont ramené les blessés, laissant les morts sur place. On est resté là bas deux jours. Quelqu'un nous a averti que les goums ont l'habitude d'aller chercher du bois à la montagne de Bin Sfouf. Il y avait parmi nous Bouqoulla de Gzenaya, le sergent Abdessalam d'Aknoul et Allal de Tizi Ousli : chacun commandait à 50 ou 100 combattants. La plupart d'entre eux étaient des militaires qui ont déserté l'armée française pour rejoindre l'Armée de Libération Marocaine. Un légionnaire s'est enfui de Taza et vint nous rejoindre à Aknoul. C'est un européen que nous avons surnommé « El Yazid ».C'était à la proclamation de l'indépendance en 1956. On nous a ordonné de rentrer à Rabat, où on nous a amené en train. J'étais à Âkkari. C'est là que j'avais décidé de m'engager dans les Forces Armée Royales.
- Quant à moi, je suis revenu à la maison pour m'occuper d'agriculture.»
Survolant le théâtre des opérations en avion le correspondant de la « Vigie Marocaine » écrit dans le numéro du jeudi 20 octobre 1955 :
« J'ai survolé hier la zone des opérations, où les rebelles camouflés sont parfaitement invisibles. Au bout de l'aile, à le toucher, le poste de Bou Zineb, tout blanc, dans un mince berceau de verdure, dominait la crête. L'avion n'a pu survolé Bou Zineb, car le poste est aux mains des rebelles, et pour atteindre la petite enclave, il faudrait traverser le territoire espagnol. Allez donc trouver les rebelles dans ce paysage jaunâtre quand ils se sont couchés contre le sol, le visage recouvert par le capuchon de leur djellaba.... »
« Le jour du soulèvement, j'étais en compagnie d'Aqjouj . On s'est réparti les taches : toi, Bouqoullane, tu attaqueras Aknoul. Et toi El Ghabouchi, tu attaqueras Tizi Ousli. Quant à vous, Abdelaziz Aqodad, Hassan Zekriti, et Allal Amqri, vous vous attaquerez à Boured. Ils se sont donnés rendez-vous le 2 octobre. Chacun était accompagné de deux personnes. On a fait appel aux gens de toutes parts. Puis, on s'est attaqué au bureau. Notre commando s'est dirigé vers Boured, où nous avons rencontré des gens venus de toutes parts. On disposait de peu d'armes. Les armes envoyées de Nador étaient insuffisantes. Nous avons attaqué Boured en le brûlant. Le capitaine s'est enfui en direction de Mernissa en traversant l'oued. Trois Mokhaznis des forces auxiliaires sont morts, ainsi que le gardien de la prison que nous avons tué après avoir défoncer sa porte. Boujbal reçu un coup du français dénommé « Boyer ». L'attaque a durée jusqu'à l'aube.Le lendemain des renforts militaires français arrivaient par Mezguitam et par Tizi Ousli forçant les gens à s'enfuir. Des bataillons sont arrivés de Mernissa et de Taza. Celui en provenance de Taza, nous l'avons affronté au lieu -dit « Ballouta ». Nous eûmes un accrochage avec lui, d'où nous avons ramené un soldat avec nous. Deux d'entre nous sont morts. Eux, ils ont eu trois morts parmi les forces auxiliaires . En effet, au lieu-dit « Ballouta », deux de nos Moujahidines sont morts : il s'agit de Si Ahmed Taherras et de Mohamed Hammadi originaire d' Inahnahen. Voyant que les gens s'enfuyaient vers « Ma Ali », les bataillons français se mirent à bombarder « Ma Ali » et Bou Zineb. En effet, après que Boured soit brûlé, des renforts sont arrivés de Mernissa , avec tanks et avions . C'est à ce moment qu'eut lieu la bataille. Les gens fuyaient vers la zone espagnole toute proche, en particulier ceux de Tamjilt et de « Ma Ali ».Les tanks bombardaient, les canons tonnaient. Nous nous réfugiâmes au sommet de Bou Zineb, avec les bataillons de légionnaires français à nos trousses, épaulés de leurs goumiers, et de leur Makhzen. Trois bataillons nous pourchassaient. Les gens s'enfuyaient, tandis que les tanks les bombardaient. Il s'agit de terroriser le pays, mais sans parvenir à leur objectif ce jour là. Ils ont dû reprendre une seconde fois, en vain. Ce n'est qu'au troisième jour qu'ils parvinrent à occuper Bou Zineb. »
Bouzineb vu depuis Boured
On était quelques 300 maquisards à se retrouver au lieu - dit « Imskane ». On nous demande :
- Savez vous, ce qu'on va faire cette nuit ? On va s'attaquer à Taïneste !
Des éclaireurs , nous avertirent que des patrouilles française font leur tour de garde par ici, et qu'il fallait se préparer à les affronter. Un originaire du pays insiste :
- Il faut absolument rentrer à Taïnest.
Enjeu militaires de taille : Taïnest qui domine le couloir de Taza
Des indicateurs dénoncèrent notre présence aux français, qui tenaient le poste avec leurs mortiers. Une petite averse tomba cette nuit. Nous avons pris l'initiative d'attaquer. Je n'avais qu'une carabine et quelques grenades. J'avais aussi de la munition, qui m'avait été offerte par un déserteur de l'armée française. Auparavant, je n'avais que des grenades. Franchement.
A la veille donc de l'attaque du poste de Taïnest, une petite averse était tombée au cours de la nuit. Les soldats ne connaissaient pas les lieux. Nous avons traversé une forêt plus dense que celle - ci, où il faisait sombre. Au cours de notre progression un soldat a buté sur une pierre qui s'est mise à rouler par la pente jusqu'au lit de la riière, réveillant les français qui se mirent à envoyer des signaux lumineux et à nous bombarder de mortiers.
Notre chef nous ordonna alors de reculer.
Nous reculâmes. J'accompagnais mon oncle Aïssa Ali, qui est mort que Dieu ait son âme. En fait, j'avais trois compagnons : mon oncle Aïssa et deux personnes originaires de Mallal. Tous deux sont morts au cours de ces combats. Nous étions inséparables.
Je me cachais derrière une pierre. Quand ils nous ont tiré dessus. Bougoullan tomba sur le coup après avoir été atteint de plein fouet. Abdessalam Ben Zahra , également originaire de Mallal m'ordonna alors :
- Lèves-toi et diriges - toi vers l'oued!
On a couru tous les deux en direction de l'oued, en enjambant les cadavres de légionnaires. Brusquement, du fond de la vallée, quelqu'un s'est mis à nous crier que les légionnaires en provenance de Mernissa venaient de rencontrer, une section en provenance de Taïnest, et qu'ils ont fermé le fuseau près du panneau de brique .
Celui - ci indique trois directions : celles d' Aknoul, Taïnest, et Marnissa. C'est là où les officiers français se sont rencontrés et où ils ont fermé le fuseau..
Tandis que les officiers prenaient leur casse croûte, les soldats veillaient aux armes. Je les voyais de mes propres yeux, je ne fabule pas. De l'autre côté, une femme sortait de sa maison. Elle est morte que Dieu ait son âme, mais après le début des accrochages. Celui qui avait ordonné la fermeture des fuseaux est le premier à commencer à tirer. Nous avions avec nous un déserteur de la 4ème armée, qui avait déserté avec Moulay Ali. Avec sa batterie fusil mitrailleuse, il tirait sur quiconque bougeait de sa place, et l' abattait sur le champ ! Eux ils étaient au fond de la vallée et lui les narguait depuis le haut de la colline !
Il tirait aussi d'un fusil à neuf balles. C'est l'une des armes qu'on avait apportées de Nador. Dés les premiers tirs, chacun s'est précipité dans le désordre le plus complet, sur la première arme à portée de la main, sans que ce soit nécessairement la sienne. Et ils se sont enfuis vers l'oued.
Celui qui avait le fusil mitrailleuse, sais - tu combien de gens, il avait abattu à partir de sa ligne de tir qui surplombait l'oued et qui était encadrée de part et d'autre par un roseau ? Sais - tu combien, il en a abattu, de ceux qui s'enfuyaient à travers une ruelle ? Quiconque la traversait était abattu sur le champ. Certains roulaient jusqu'à l'oued.
En enjambant les cadavres de légionnaires, j'ai tenté de rejoindre le haut de la colline avec mon compagnon blessé au pied. Mais alors que je lui ouvrais la voie, me voilà face à un français blessé au pied de sorte que du sang ruisselait de son brodequin. J'ai dis à mon compagnon :
- - Voici un légionnaire blessé!
- - Où est - il?! Où est - il?!
Sachant que nous allons le suivre, le légionnaire se dissimula derrière un roseau, d'où il nous tira dessus. Atteint, mon compagnon s'éfondra sur le champ. Je fus blessé à la main pour ma part.
- Ne bouges pas d'ici! M'ordonne mon compagnon.
Puis il s'en fut le long de la rivière, jusqu' à retrouver le légionnaire qui nous a blessé et l'acheva d'un simple révolver. J'étais au milieu du guet.
- Restes là où tu es! M'ordonna à nouveau mon compagnon.
Une fois assuré de la mort du légionnaire, il lui retira sa carabine, sa ceinture à munitions, sa musette, et son capuchon. Il me remet ceinture et musette, et se mit à soigner ma blessure. Après avoir panser ma main, il m'ordonne d'escalader la pente en direction du centre qui se trouvait là haut où on rassemblait les morts et les blessés.
En raison de ma blessure, l'adjoint du capitaine Abdessalam me dit :
- On va te transporter sur la jument avec cet autre blessé de part et d'autre de l'étrier. Et on va vous accordé quelqu'un pour conduire la jument jusqu'au centre où vous pouvez vous restaurer et dormir.
Il s'agit du centre de TimsKane. A peine étions - nous parvenus au sommet de la colline que voilà qu'arrivent les avions. Tandis que des tanks nous bombardaient du côté de Mernissa et du côté de Taïnest. Il n'y avait plus que canonnades sur canonnades !
Le soldat blessé me dit :
- - Que vas-tu faire maintenant? Moi, je ne peux échapper à la mort. Les avions qui arrivent vont te bombarder! Après un tour d'horizon, ils vont piquer et te bombarder! Cherche à te défendre en se jetant sous les racines d'un chêne liège! Ne t'occupes pas de moi, je suis déjà mort!
Effectivement, c'est en rase motte que les avions se mirent à nous tirer dessus. Affolée la jument s'est emballée. Le soldat lâcha la bride et se jeta sous le parapet de briques, en faisant le mort. Pour ma part, je me suis laisser rouler sur une pente, et me suis dissimulé finalement sous un buisson touffu.
Témoignage d'Iâllaten Abdessalam, né en 1929 au douar Aferzaz(résistant) :
« Quand les Français, qui avaient déposé le Mohamed V, ont vu cet acharnement de la résistance, ils sont revenus sur leur décision inique, en permettant son retour au pays. C'était la fin du Ramadan, avec la fête de l'Aïd Essaghir. On était convié à une grande fête à Mzizou. Un avion venait de tomber à Saka avec trois aviateurs à bord. L'un est français, les deux autres sont allemands - prisonniers chez les français depuis la seconde guerre mondiale ! Nous les avons pris, et nous sommes partis à la grande fête de Mzizou. Les militaires étaient venus, les chevaux étaient venus. Quant aux ovins de la tribu, égorges et ne te gêne pas ! Plantes ta tente , manges ton méchoui, et boit à ta guise ! Après le grand méchoui, la fantasia !
Cavaliers Metalsa de Aïn Zohra
Les gens nous ont rejoint à l'Armée de Libération. Ils sont restés dans le maquis, où ils ont lutté jusqu'au jour où nous avons reçu un message de Mohamed V disant en substance :
« La lutte armée est terminée; notre indépendance est acquise.»
Nous rendîmes alors nos armes, pour nous diriger vers Rabat.
Mohamed V était venu chez nous par la suite à Boured, où il avait prié sur nos martyres. Après quoi, il s'est rendu à Tizi Ousli et à Aknoul. »
L'Armé de Libération du Maghreb
Fantassin Bni Waraïne:L'Armée de Libération est restée à Bouskour, Tizi Ousli et Boured. Les Béni Waraïn avaient attaqué eux aussi leur bureau de Tahla, d'où ils avaient ramener tout un arsenal, qu'ils avaient conservé jusqu'à ce que cette armée se soit constituée et renforcée.
Vestiges du poste avancé en montagne de Boured
Le 20 août 1953, le Sultan Mohamed V est destitué par les autorités Françaises. La résistance commence aussitôt à s'organiser. Mais les armes manquent. Pour en chercher dés le 27 août un responsable de l'Istiqlal, Abdelkébir El Fassi, prend contact à Madrid avec le Dr Hafid Ibrahim. A Rabat, lors de la prière du vendredi, un militant héroïque, Allal Ben Abdellah, a attaqué au poignard le Sultan fantoche Ben Arafa , installé par le général Juin. L'attentat a échoué, son auteur y laissa la vie. Mais son geste a renforcé la croyance en la résistance marocaine et inciter les sceptiques à la soutenir. Des émeutes ont eu lieu le 20 août 1955 à Kasbat Tadla, Boujad, Oued Zem et Khouribga. Le mercredi 28 septembre 1955, M.July ministre des affaires marocaines et tunisiennes évoque pour la première fois le départ de Ben Arafa. Mais ni le Conseil du Trône, ni le gouvernement ne répondaient plus à une situation qui les dépassait. La population marocaine, ne se contentait plus du transfert trop tardif de Mohamed V en France. Pour arracher la restauration immédiate du Sultan, les attentats individuels ou les manipulations collectives gardaient leur efficacité mais ne suffisaient plus. Des insurgés engageaient la guerre de reconquête du Trône par une armée de Libération dans le Rif et le Moyen Atlas. Et comme pour prouver l'inanité des demi-mesures le hasard voulu que l'insurrection coïncidât exactement avec le départ de Ben Arafa.
Boured
Il faut attendre quasiment la conférence d'Aix-les-Bains (été 1955), où s'ouvrent des négociations sur l'indépendance du royaume, pour qu'apparaissent les contours d'une armée marocaine de libération nationale. Un « comité de coordination » de l'Armée de Libération du Maghreb(ALM) est constitué le 15 juillet 1955, à Nador, avec quatre membres : Ali Draïdi(Boudiaf), Ahmed Ben Mohamed ben Abdelkader(el-Mhidi), Abdellah(Sanhaji), et Abbas Ben Omar(el-Messadi). La date du premier soulèvement est fixée au dimanche 2 octobre « à partir de 0 heure et pas avant. » Un premier bilan, dressé le 6 octobre 1955, insiste sur l'effet de surprise et la saisie de 380 armes. Il évalue le nombre de victimes de l'offensive à 71, en majeur partie européennes.
Vue de Bouzineb depuis Bourd
Marocains et Algériens établissent à Nador, un centre d'entraînement d'où partent les émissaires qui implantent des commandos dans les tribus situées entre Oujda et Fès. L'ALM entend combattre tant pour l'indépendance du Maroc, dont la première étape est la restauration de Mohamed V, que pour l'indépendance de l'Algérie en assistant les insurgés de l'Oranie. Elle se pose , de la sorte, en armée maghrébine. En faisant appel au patriotisme et à la religion, elle débauche des militaires marocains des unités françaises pour se grossir de combattants endurcis et se fournir en armes. Beaucoup répondent à cet appel.
Ruines du poste de Boured
Poste de Boured
L'ALM proclama dés le 30 juin 1955, qu'elle « ne déposera les armes qu'après la reconnaissance par la France officiellement et internationalement de l'indépendance du Maroc sous l'autorité du roi et de son leader Mohamed Ben Youssef ». Le choix n'existait plus qu'entre le retour immédiat de Mohamed V ou le chaos. Ainsi s'affirmait une divergence, lourde de conséquences, qui devait subsister même après la restauration du Sultan.
Les organisations de résistance, jouissaient d'une certaine liberté de mouvement et d'action dans la zone nord du protectorat espagnol. « On se trouve en présence d'une action dirigée contre le Maroc depuis le Caire. » titre la « Vigie » de l'époque. Deux circonstances permirent en effet, l'essor de l'Armée de Libération Maghrébine : d'abord l'adhésion des égyptiens après l'avènement de Nasser qui leur a promis aide, et surtout le concours des chefs de l'insurrection algérienne... Enfin s'ajoute le changement d'attitude des autorités espagnoles qui, après avoir durement accueilli les réfugiés, admirent de les traiter en politique puis leur donnèrent toutes facilités pour organiser des commandos. Les armes et munitions qui permirent les premières opérations de l'Armé de Libération du Maghreb , provenaient en partie des achats effectués en Suisse, en Belgique, en Allemagne, ou en Espagne, par Abdelkébir El Fassi,Abderrahman el Youssoufi et d'autres militants. L'autre partie de l'armement, qui semblait être la plus importante, provenait des actions conjuguées des dirigeants algériens du F.L.N. et des dirigeants marocains de' l'A.L.N. C' était la première fois que la solidarité Maghrébine cessait d'être un slogan pour se concrétiser dans le combat contre l'occupation coloniale. Le rôle du docteur Hafid Ibrahim, installé à Madrid depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, avait été déterminant. Très souvent, et cela dés 1953, il avait contribué de ses propres deniers pour fournir aux résistants et maquisards les armes qui leur faisaient défaut. En 1954, cinq mois avant le déclenchement de l'action, Ben Bella est à Berne. Une réunion a lieu à laquelle participaient avec lui, Ben Boulaïd, et Abdelkébir El Fassi. Ben Bella est chargé d'assurer la coordination avec la résistance marocaine. Abdelkébir El Fassi retourne aussitôt à Madrid pour informer le Dr Hafid Ibrahim que l'Union des trois mouvements maghrébins est en bonne voie. Quelques temps plus tard, Abdelkébir El Fassi présente au Dr Hafid Ibrahim des « gens gonflés à bloc ». Il s'agit de Ben Bella et Boudiaf. On se répartit les tâches : à l'Ouest du Maghreb, Boudiaf, à l'Est, Ben Bella.Boudiaf prend immédiatement la direction des affaires du F.L.N. au Maroc et s'installe à Tétouan, 15 rue Mandri. Il met également en place un P.C. à Nador et noue des rapports étroits avec les responsables marocains, notamment Laraki Ghani, Abbès Messaâdi, Belhaj Latabi, et Abdellah Senhaji. Son premier souci bien entendu, est de trouver des armes. Il en achète d'abord à des espagnols. Le général Garcia Valino, haut commissaire du Maroc dit espagnol, n'ignore pas les opérations mais les tolère. Abdelkébir El Fassi, au retour de Berne, a pu avoir un premier entretien avec Gamal Abdel Nasser. L'entretien a permis au président égyptien de prendre une vue précise de l'ensemble de la situation au Maghreb : ce qui le décide en août 1954 à amplifier considérablement son aide aux mouvements de résistance. Ben Bella gagne le Caire où se trouve Allal el Fassi,le leader de l'Istiqlal. Les évènements, dès lors, vont se précipiter. Nasser décide d'aider à fond. Reste à expédier les armes. En rade d'Alexandrie est ancré le yacht DINA, propriété de la reine Dina de Jordanie. Sans demander l'avis de l'intéressée, Ben Bella, aidé d'un commando algérien, s'en empare, recrute un équipage grec et embarque un important stock d'armes : fusils mitrailleurs, mitraillettes, fusils, grenades et munitions. Deux responsables sont désignés pour les convoyer : le Soudanais Brahim Nyal et l'Algérien Mohamed Boukharrouba qui deviendra plus tard colonel et célèbre sous le nom de Houari Boumedienne. Destination : Nador, au Maroc, encore dit « espagnol », où Boudiaf, on le sait, a installé une base. Le yacht est déjà en plein mer quand Ben Bella reçoit un télégramme d'Abdelkébir El Fassi : « surseoir à l'envoi du bateau ».Motif : il n'a pu obtenir l'accord des autorités espagnols au déchargement des marchandises. Mais il est trop tard pour reculer, et surtout les maquisards ont trop besoin de ces armes pour tenir compte de considérations diplomatiques. Ben Bella décide d'aller de l'avant. Boudiaf avertit s'est rendu à Nador avec Larbi Ben M'hidi et des responsables marocains (notamment Mohamed Ben Saïd, Saïd Bou N'aïlat, Abbès Messaâdi). Pour suivre de près l'opération, Boudiaf, gagne Tétouan en compagnie du Docteur Abdelkrim Khatib. Celui-ci qui deviendra un de ses plus fidèles amis personnels, arrivait de France pour prendre la présidence du Comité Marocain de la Résistance et le commandement de l'Armée de Libération Nationale marocaine, qui se constituait alors dans le Rif, avec Abbas Messaâdi, Abderrahman El Youssoufi, Abdellah Senhaji...
Baie de Nador
L'agonie du Maroc Français
" La déposition de Mohamed V était à l'origine de l'insurection
Dans la nuit du 1er au 2 octobre 1955 les postes français de Tizi Ouzli et de Boured situés en bordure de la zone espagnole furent attaqués par des commandos venus de cette zone ; celui de Boured, bureau des affaires indigènes, sans défense extérieures, fut enlevé, l'autre résista. De plus, l'observatoire de Bou Zineb situé en pleine zone espagnole et occupé seulement par quelques Goumiers commandés par un sous-officier français fut attaqué dans la nuit du 3 et enlevé lui aussi ; quelques hommes et le chef du poste parvinrent à s'enfuir ; ils racontèrent l'attaque. Un poste espagnol, voisin de moins de deux kilomètres du poste français n'intervint pas. Or la police dans sa zone appartenait bien à l'Espagne. Je laisse au lecteur le soin de conclure. Dans la même nuit du 1er au 2 octobre et dans la journée du 2, le poste de Berkine, au sud de Taza fut aussi assailli. Mais il résista jusqu'à l'arrivée des renforts venus de Guercif. Les agresseurs prirent la fuite. Le poste des Immouzar des Marmoucha, dans le Moyen Atlas, avait lui aussi été attaqué et l'affaire était plus grave. Le chef de circonscription des Affaires Indigènes commandant du poste avait été prévenu par un Marocain de l'imminence d'un coup de main, car une bande d'étrangers armés circulait dans le pays ; malheureusement il ne crut pas au renseignement qui lui avait été donné. Il ne prit pas de précautions sérieuses et les dispositions prescrites dans son poste allaient amener un désastre. La garnison était composée du 22ème Goum marocain, soit environ 180 hommes mais tous désarmés. L'officier avait fait conserver armes et munitions enchaînés au magasin, ne laissant de fusils qu'au poste de police. Attaqué par le commando ce dernier se défendit ; mais il n'était composé que d'une dizaine d'hommes ; des assaillants parvinrent à se glisser jusqu'au magasin, y pénétrèrent et emportèrent armes et munitions. Le lendemain été jour de souk, de nombreux Marmouchas s'y rendirent. Une quarantaine d'hommes du commando avec les armes volés se trouvèrent au milieu d'eux ; chacun se précipita pour prendre une arme ; il faudrait ne pas connaître les Berbères pour croire qu'il en aurait pu en être autrement. Plus de 300 fusils, un mortier de 60, 10 fusils-mitrailleurs et 48 pistolets-mitrailleurs furent enlevés. D'autre part les villas des officiers furent attaquées et brûlées, un contrôleur civil venu passer le week-end chez un officier fut tué et une voiture civile attaquée. Dix civils dont une femme d'officier et deux enfants furent tués.
J'avais alerté toute l'aviation disponible, elle intervint et sauva le poste jusqu'à l'arrivée d'une colonne de secours qui dispersa les assaillants. La tribu des Marmoucha n'avait pas participé dans son immense majorité à ce coup de main. La colonne de secours composée d'un bataillon de la légion étrangère et du 1er Tabor marocain entreprit immédiatement une vaste opération de nettoyage. Dés le premier jour une quarantaine d'armes furent rendus. Je donnai l'ordre de constituer avec d'autres tribus des commandos armés pour donner la chasse aux dissidents. Les résultats au bout d'une quinzaine de jours furent excellents. J'envoyai sur place des officiers des affaires indigènes connaissant Bien les tribus, les Marmoucha rendirent une grande partie de l'armement dérobé et le commando qui était venu de la zone espagnole par les étendues désertiques de la vallée de la Moulouya, regagna le protectorat voisin où il renforça les éléments qui harcelaient nos troupes. L'enquête prouva que le coup venait de la zone espagnole de connivence avec quelques individualités locales. La chose était normale car dans toute tribu marocaine il y a au moins deux clans, et si l'un est au pouvoir, l'autre désir le déposséder, tous les moyens sont bons pour y parvenir. Les haines particulières jouent sur le plan général. Sans aucun doute, un commando dont les chefs étaient Mimoun Ou Akka et Ahmed Ou Lhassen, Marmouchas réfugiés en zone espagnole, s'était dirigé vers Immouzer et avaient procéder à l'attaque du poste. L'armement du commando était anglais et avait été débarqué sur la côte dans le protectorat voisin. Une certitude se dégageait, largement confirmée depuis par les interrogatoires de prisonniers : tout ce mouvement avait été conçu et préparé par des agitateurs et des étrangers réfugiés dans la zone voisine. Les Espagnols ont hébergé les réfugiés, les ont munis de cartes d'identité, ont fermé les yeux sur la contrebande d'armes et ont laissé monter sans intervenir toute une organisation qui n'avait pour but que de préparer un mouvement insurrectionnel en zone française. J'avais dégarni les autres régions du Maroc et fait affluer vers la zone nord de Taza d'importants effectifs. Nos troupes bordaient toutes les hauteurs à proximité de la zone espagnole. Les tribus, comme on aurait pu le craindre, n'avaient pas bougé à part une fraction de Gzenaya qui avaient été forcé de suivre le commando en zone espagnole.
Immouzer des Marmoucha était calme, les armes volées rentraient ; sur le plan militaire je n'avais plus pour souci que la menace sérieuse que faisaient peser les bandes qui se situaient à la limite et à l'intérieur de la zone espagnole.
Pendant ce temps la presse arabe et espagnole de Tétouan se déchaînait contre la France. En gros titres les communiqués de l'armée de libération étaient publiés ; tel celui - ci paru le 3 octobre dans le journal AlOummah.
L'Armée de Libération du Maghreb arabe annonce l'insurrection nationale bénie dans toutes les régions du Maghreb.
La guerre contre le colonialisme français s'étend de l'océan Atlantique jusqu'à l'intérieur des frontières de Tunisie.
Les premières batailles avec les forces françaises ont occasionnés la mort d'un grand nombre de soldats du colonialisme.
Les postes français demeurent encercler malgré l'intervention de l'aviation dans le combat. Les voies de communication sont totalement coupées.
Au nom de Dieu le Tout Puissant, le haut commandement au Maroc publie son premier communiqué sur la lutte sacrée.
Le but est : l'indépendance totale du Maroc et de l'Algérie et le retour de Mohamed Ben Youssef sur son Trône à Rabat.
Le général Boyer De Latour publie un communiqué où il accuse l'Espagne par des termes à peine voilées, de passivité voire de complicité avec les menés de l'Armée de Libération dans le no man's land de la zone frontière. En somme l'Armée de Libération a bénéficié de rivalité entre l'Espagne et la France !
Le récit s'achève ainsi : « un jour je reçus une lettre d'un ami du Maroc qui se terminait ainsi : le Maroc Français est mort le 11 novembre à 16h.30.
C'était l'heure où mon avion décollait de l'aérodrome de Salé ! »
« En ce mois d'octobre 1955 écrit pour sa part Ahmed Balafrej, le début des opérations militaires de l'Armée de Libération, basée dans la zone Nord, sous occupation espagnole,précipite les évènements. Le gouvernement Français prend la menace au sérieux et décide précipitamment le retour de l'exil de Mohamed V et l'ouverture de négociation de Saint-Germain-en-Laye avec le Souverain marocain. Au début de 1956, un conseil restreint de la résistance se réunit à Madrid en présence de Allal El Fassi. D'une part, il a été décidé de déposer les armes dans la partie libérée, et ce conformément à l'appel de Mohamed V. Et d'autre part de poursuivre la lutte dans les territoires encore occupés au Sahara et l'aide aux combattants algériens. »
Le retour de Mohamed V
"Le jour où ils ont déposé Mohamed V, nous étions dans une fête de mariage. On est venu nous en informé vers le coup de minuit. Le mariage se déroulait dans un douar par ici. Je faisais partie des convives. On nous dit :
« Levez - vous ! Mohamed V vient d'être déposé ! Cette nuit, Boured sera brûlé ! Allant - s' y ! »
Ce fut effectivement l'étincelle qui mit le feu aux poudres en ce jour du 20 août 1953, lorsque le Sultan Mohamed V est destitué par les autorités françaises. La résistance commence aussitôt à s'organiser. Mais les armes manquent. Pour en chercher, dès le 27 août, un responsable de l'Istiqlal, Abdelkébir El Fassi, prend contact à Madrid, avec le Dr. Hafid Ibrahim.A Rabat, lors de la prière du vendredi, un militant héroïque, Allal Ben Abdellah, a attaqué au poignard le Sultan fantoche Ben Arafa, installé par le Général Juin. L'attentat a échoué et son auteur y a laissé la vie. Mais son geste a renforcé la croyance en la résistance marocaine et incité les sceptiques à la soutenir.
Le Maroc se dressait unanime dans ses villes et dans ses campagnes pour réclamer le retour de celui qu'il considérait comme son roi. Le souffle populaire balayait comme un ouragan les ultimes tentatives de conjuration. L'opposition au sultan perdait pied. Désormais pour la France, il ne s'agit plus d'écarter Mohamed V mais de précipiter son retour à Rabat. Après un séjour de Beauvallon, réduit par la hâte du gouvernement à une escale d'une journée, le sultan put mesurer l'étendue de son triomphe à Saint-Germain-en-LLay, le 1er novembre 1955. Il était désormais le maître du jeu. Ben -El-Arbi -El Alaoui, qui n'avait jamais quitté le Maroc, prit l'avion pour rendre hommage à son Souverain. Le Glaoui après avoir fait anti-chambre pendant plus d'une heure, obtint une audience de trois minutes et demi, au cours de laquelle il baisa, à genoux, la babouche du sultan, sous les feux des photographes. Mohamed V qui gardait la tête froide, pardonna en souriant. Le renoncement du Glaoui à la vie politique(12 janvier 1956), suivi bientôt de sa mort(23 janvier) marqua la fin du régime des grands caïds que Lyautey avait maintenu.
Tsoul
Branès
Bni Bou Yahi
A Boured, un témoins nous signale cet évènement mystérieux , glaçant et incompréhensible : En 1958, le souk d'Imzouren, chez les Bni Ouariaghel la tribu d'origine d'Abd-el-krim dans le Rif fut transformé en terre brûlée par les Forces Armée Royale. Les causes de cet évènement restent encore obscures à ce jour. Si la tradition orale l'évoque dans le Rif ; il relève encore de ces zones d'ombre dont les écrits historiques restent parcimonieux....
Abdelkader MANA
11:28 Écrit par elhajthami dans Le couloir de Taza, Témoignage | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : le couloir de taza, gzenaya, la guerre du rif | | del.icio.us | | Digg | Facebook
La deuxieme guerre du Rif
Immouzar - des - Marmoucha
Dimanche 2 octobre 1955
Il y a trois ans de cela, au mois d'octobre 2007, nous avons rencontré Ilyas Mimoun Ou Aqqa alors âgé de 97 ans. Il nous a reçu chez lui, sur chaise roulante, non loin de la cascade d'Imouzzar des Marmoucha pour nous entretenir de ses souvenirs du soulèvement armé du 2 octobre 1955 dont il était l'instigateur à l'âge de 45 ans. Né à Marmoucha en 1910, il est aujourd'hui centenaire en 2010. Le documentaire que nous lui avons consacré alors n'est toujours pas diffusé par la deuxieme chaine marocaine. Pourquoi?
Au lendemain de l'attaque - surprise , le dimanche 2 octobre 1955, d'Immouzar des Marmoucha au Sud du couloir de Taza et de Boured au Nord de ce même couloir, « la Vigie Marocaine », annonce en première page les graves incidents qui se sont produits au cours de la nuit de samedi à dimanche dans la région située au Nord et au Sud de Taza sous le titre : « 2000 rebelles des tribus tenus en échec à Immouzer - des - Marmoucha et à Berkine ».L'attaque d'Imouzzer des Marmoucha fut l'épisode le plus sanglant de l'insurrection du 2octobre 1955 : Les rebelles tuèrent dix européens et cinq goumiers. Ils purent emporter une grande quantité d'armes.
Le contexte Maghrébin était favorable à la revendication d'indépendance. C'était l'impasse en Tunisie avec la répression contre le néo-déstour, l'assassinat en 1953 du dirigeant syndicaliste Farhat Hachad, et au Maroc avec la déposition du Sultan Mohamed V et les émeutes sanglantes de Casablanca. L'option en faveur de la lutte armée se faisait sous le signe de la coopération Maghrébine. Plusieurs réunions, en 1953 et 1954, aboutirent à la reconstitution d'un Comité de la libération du Maghreb arabe siégeant au Caire.
Abd-el-krim et Mohamed V au Caire
Abbas Messaâdi
De Nador, la voiture allouée à Abbas Messaâdi servait à déplacer les armes jusqu'à une distance hors de la ville. L'armement était caché par la suite à Drius(45 kms au sud-ouest de Nador). Une quantité fut transportée à Immouzar Marmoucha par Mimoun Ou Aqqa, Ahmed Dkhissi et Lhoucine Marmouchi. Tout acheminement se faisait de nuit, soit à dos de mulet, soit à dos d'hommes.Dans la foulée de ces dramatiques évènement, la presse de l'époque annonce le départ du Roi fantoche Ben Arafa vers Tanger, ainsi que la constitution d'un conseil du trône composé du Grand - Vizir Mohamed El Moqri, de Si Bekkaï, ancien Pacha de Sefrou, de Si Sbihi pacha de Salé, et de Si Tahar Ou Assou caïd des Alaham ,(ce dernier est le fils de Ali Ou Assou le caïd des Alaham, qui était venu avec sa harka dans le sillage du colonisateur pour mater la rébellion Marmoucha en 1926). C'est son fils qui est nommé par le résident général, le 16 octobre 1955, comme membre du Conseil du Trône. Juste après l'indépendance, on retrouvera ce même Tahar Ou Assou, gouverneur de « Marrakech-Safi-Essaouira » : allez comprendre quelque chose à l'histoire politique du Maroc...Ceux qui ont véritablement contribué par leur lutte à l'avènement de l'indépendance sont restés à l'ombre jusqu'à la mort. C'est le cas d'Ilyas Mimoun Ou Aqqa que nous avons rencontré presque centenaire près de la cascade d'Imouzzar des Marmoucha, là même où ,un demi siècle plutôt, il avait dirigé le commando qui mena l'attaque contre le poste des goums , le 2 octobre 1955 à 0 heure. Mission dont l'avait chargé personnellement Abbas Messaâdi, membre fondateur de l'Armée de Libération du Maghreb.
Ce dernier qui était alors chargé avec Sanhaji, de la résistance de la zone Nord et du Maroc Oriental, avait alors adressé aux hauts responsables de l'A.LM., une lettre en date du 11 août 1955, où il affirmait qu'il était en train de former 15 personnes au maniement des armes, au bord de la Moulouya, et dans les parages de Nador.Il était écrivait-il obligé de « porter la djellaba, de s'enrouler la tête d'un turban et de voyager dans un autocar « dégoûtant » roulant sur une piste épouvantable, ne pouvant dépasser vingt kilomètre à l'heure, pour contacter des personnes ressources et former des paysans ! » .
Larbi Ben Mhidi le 23 janvier 1957
Abbas Messaâdi était chargé avec l'algérien Larbi Ben M'hidi d'entraîner et de former militairement ces frustes montagnards, au bord de la Moulouya, d'en faire les premiers éléments de l'Armée de Libération du Maghreb naissante. C'est d'ailleurs ce noyau primitif de la résistance Maghrébine qui formera à son tour les commandos qui seront éparpillés dans les montagnes rifaines et du Moyen-Atlas . Lesquels entrainements servaient aussi à preparer la fameuse Bataille d'Alger : Ben M'hidi finira par y laisser la vie....
Le témoignage d'Ilyas Mimoun Ou Aqqa
Ce simple Mokhazni du protectorat à Tagnift de 1937 à 1955, soit 18 ans de bons et loyaux services,Ilyas Mimoun Ou Aqqa va progressivement se convertir au nationalisme par ceux-là mêmes dont il était le géolier du temps du protectorat. C'est une « apparition surnaturelle » de Moulay Idriss qui était à l'origine de sa conversion au nationalisme en le convaincant de choisir définitivement son camp ; celui des damnés de la terre :
« Le début de mon engagement dans la résistance a commencé du temps où j'étais Mokhazni du côté de Béni Mellal. J'ai vécu 16 à 18 ans là-bas. Des gens de Wawizeght venaient d'être emprisonnés. Ils étaient six condamnés aux travaux forcés à Tagnift. Le Makhzen d'alors nous a chargé de les surveiller de près et de les mater sévèrement au besoin pour qu'ils reprennent le droit chemin. J'ai dit : « D'accord ». Au moment de toucher ma paie, un de mes amis qui était au bureau, m'invita à déjeuner :« J'ai des secrets à te confier... » Me glissa-t-il.
Et au cours du repas, il m'a demandé si j'étais au courant, que des nationalistes parcouraient ces contrées en allant au devant des tribus ? « Mais qui va m'en informé, lui- répondis-je, puisque je suis considéré du mauvais côté , celui des colonisateurs français. De quoi s'agit - il ?»
« Nous autres les nationalistes, me rétorqua-t-il, on te considéré comme des nôtres. Même si tu n'avais pas assisté à la réunion clandestine, on t'a compté parmi les nôtres. Il va bientôt arriver par ici un chérif à qui tu dois prêter serment. ». Le soir le dit chérif est arrivé et je lui ai prêté serment. Il m'a recommandé bouche cousue, après quoi je suis parti au bureau. En s'en approchant, je l'ai trouvé entouré de tentes. J'ai alors demandé au gardien :
« Pourquoi tant de surveillances ? »
Il m'a répondu :
« Nous avons reçu l'ordre de nous rendre aux Skhounate.
« Où se trouve cette localité ? »
« Chez les Marmoucha. » Me répondit - t -il.
« Ma maison se trouve à 2 ou 3 kilomètres de ce lieu - dit. Je vais donc vous accompagner ! » lui dis-je.
Le lendemain, je me suis retrouvé dans cette montagne. J'étais accompagné de quelqu'un. Nous étions en conciliabule à la lisière de la forêt, quand des gens surgirent de nulle part. Certains portaient des turbans, d'autres non.
A leur approche, nous nous sommes enfuis vers le plat pays, là où partout des fleures surgissent du sol : des rouges, des mauves, des jaunes. Je demande à mon compagnon : « D'où vient tant de fleurs ? »,« De Moulay Idriss. »Me répondit -t-il.J'ai alors commencé à errer. Les échos du nationalisme tournoyant dans ma tête. J'ai dis à un ami :« Nous autres qui travaillons pour le Makhzen, les Français nous considèrent comme leurs enfants, pourtant l'appel du nationalisme m'interpelle. » Il me rétorqua : « Tais-toi ! N'évoque pas cela ! Les Français parviennent à dénicher ce qui est souterrain, alors n'en parlons pas de ce qui est visible sur la surface de la terre ! »
Un peu plus tard, j'ai eu la visite de l'un des prisonniers que j'ai connu à Beni Mellal. Dés sa descente du bus, il m'a dit :« On m'a envoyé de Casablanca. »
« Pourquoi vous continuez à me poursuivre ?! Lui dis je. C'est à cause de vous que j'ai perdu mon emploi au Makhzen !
« Nous avons déjà travaillé avec toi en prison, me rétorqua -t- il.. On a vu comment tu nous traitais, en nous disant :« Si vous voyez le capitaine ; au travail ! Mais si vous ne le voyez pas, dodo ! » Il faut que tu nous dise, quant es ce que tu vas nous rejoindre à Beni Mellal ?
« Nous avons ici une boutique et les Français veillent au grain... » Leur -dis-je.
« À telle date, on se reverra à Moulay Yaâkoub, me dit le mystérieux visiteur. Tu porteras une écharpe jaune et notre émissaire des lunettes rouges. C'est par ces signes que vous allez vous reconnaître mutuellement. »
En quittant Immouzar-des Marmoucha, j'ai dis à mon frère :
« Si quelqu'un demande après moi, dit lui que tu ne sais pas si je suis mort ou vivant ! »
C'est à Safsafat que nous avons rencontré notre contact. On l'appelait Haj Ben Qaddour. Il état accompagné d'un résistant des Doukkala dont j'ai oublié le nom. Ils ont téléphoné à Abbas en lui disant :
« Le Monsieur est avec nous. » Abbas nous rejoignit par la suite à Tétouan :
« Maintenant que tu es arrivé saint et sauf, me dit - il, rendant grâce au Seigneur, car tu étais menacé d'arrestation à tout moment ! »
Abbas Messaâdi est arrivé avec l' un de ses amis qui poursuit ses études à Bab el Khoukha à Fès :« On t'a dénoncé à la police, lui dit ce dernier. Ils viendront te chercher ce soir. »Un mouchard est allé nous dénoncer à la police.
L'inconnu venu d'Egypte se lève alors en disant à Abbas :
« Je m'en vais, les armes qui arrivent au Maroc passeront par tes mains. Tu auras une somme d'argent, et je t'indiquerais les centres de l'armée de libération. Vous pouvez constituer les premiers noyaux de cette armée. »
L'égyptien était un émissaire de Nasser qui soutenait les mouvements de libération nationale maghrébin. C'est au Caire, en effet que naquit le 9 décembre 1947 le comité de libération du Maghreb Arabe. C'est là, que l'émir Abd-el-krim, publia le 5 janvier 1948,un manifeste signé par les représentants des principaux partis nord-africains, où tous s'engagent à lutter pour l'indépendance et rien que pour elle et à n'accepter aucune négociation préalable.
Les armes expédiées d'Egypte par Nasser et Abd el Krim étaient destinés aux armées de libération du Maghreb. Une fois réceptionnées à Nador, ils ont étaient répartis entre Algériens et Marocains. La plus grosse partie des armes servira à la bataille d'Alger, le reste a été destiné principalement à Boured, Tizi Ousli et Aknoul chez les Gzenaya, à Berkine chez les Bni Waraïn, et à Immouzar - des - Marmoucha.
« Avez-vous des résistants ? », Me demande Abbas Messaâdi.
« Nous en avons. » Lui dis je.
« Combien ? »
« 400. Essentiellement des déserteurs de l'armée Française. »
Nous sommes resté à Nador jusqu'à la livraison des armes en provenance d'Egypte. Nous étions cinq personnes à réceptionner le yacht pour récupérer les armes. Voyant que je suis taciturne, Abbas me dit :
« Pourquoi ce silence ? »
« Devons nous, nous attaquer aux colons ou aux Cheikhs ? Lui dis-je. Car tuer les Cheikhs serait une erreur qui risque de nous mettre à dos leurs tribus d'origine, avant même que ne commence la bataille contre les colons.On risque de réveiller les vieux démonts du tribalisme!. »
« Donnes - moi ta photo, me dit-il finalement. C'est toi qui es désigné pour l'attaque d' Immouzer des Marmoucha, Ben Qaddour s'occupera de celle de Berkine. »
Vue de Berkine
Les armes furent transportées jusqu'à Aïn Zorah. Mais une fois arrivés à Tlat Boubker, des gardes espagnols ont arrêté les convoyeurs d'armes et les ont conduits au commandant pour vérification d'identité. Ils ont prétendu qu'ils se rendaient en visite à leurs familles. Le commandant espagnol leur a répondu qu'il n'était pas dupe, qu'il comprenait leur lutte, et les laissa continuer leur chemin. Ils ont parcouru de grandes distances jusqu'à ce que le soleil se lève sur la kasbah de Msoun. De là ils ont continué vers Safsafat, où à la tombée de la nuit, on les a muni de mulets pour transporter les armes vers Berkine d'une part, et vers Imouzar des Marmoucha d'autre part. A l'approche de celle ci, en passant devant un hameau où des gens étaient en palabre, Ilyas a pu entendre l'un d'eux dire :
« Je soupçonne ces mulets d'être des convoyeurs d'armes, car je peux d'ici sentir la poudre! »Tout le monde se mit à rire de sa remarque sans trop lui accorder l'importance qu'elle mérite !
Les armes à la manière dont les bergers transportent à dos de mulets les tentes de la transhumance. Je suis arrivé à Immouzar - des - Marmoucha, en longeant l'oued. Une fois à la maison mon frère qui y recevait des gens me dit : « Où as-tu disparu ? Les Français te cherchent partout ! ». Avec l'aide de mes trois frères, nous avons caché les armes dans la montagne.
Une fois chez lui, Ilyas Mimoun Ou Aqqa organise une réunion clandestine pour la répartition des tâches. Il y avait là des membres originaires de différentes fractions Marmoucha : Aït Mama, Aït Messad, Aït Bazza, Aït Samh, Aït Lahcen, Aït Youb, et Aït Benaïssa. Tous les fractions Marmoucha étaient là. C'est au cours de cette réunion qu' Ilyas fait part de la décision d'Abbas Messaâdi de mener des attaques simultanées contre tous les postes ennemis, le 2 octobre 1955 à zéro heures. Le plan d'attaque d'Immouzar - des -Marmoucha, visait les points névralgiques suivants :
§ La résidence du commandant « Baud »
§ La caserne militaire, située au centre d'Immouzer- des -Marmoucha.
§ La caserne des Forces Auxiliaires, aux environs de la cascade.
§ Le domicile du garde forestier.
Immouzer-des -Marmoucha allait connaitre l'attaque la plus violente au Moyen Atlas. Le plan consistait à attaquer simultanément tous les points névralgiques, puis de se retirer au mont Bou Iblane, où la résistance peut se réorganiser avant d'attaquer à nouveau les forces coloniales, à la manière de la guérilla rifaine. Ils étaient 120 résistants.
Une fois qu' Ilyas les a informé que le moment d'en découdre est arrivé, les participants à la réunion clandestine se dispersèrent Chacun pris la direction du lieu d'attaque qui lui est assigné. Ilyas se dirigea avec un groupe armé vers les cascades, objet d'une surveillance sévère:
" Un détachement militaire se dirigeait vers la forêt. Ceux qui s'y cachaient s'enfuirent. C'est à ce moment là que nous avons attaqué le bureau des affaires indigènes. Dkhissi Ahmed était le chef de la cellule qui s'est attaquée à la caserne des forces auxiliaires. Cinq résistants parmi lesquels Maghis Mohamed Ou Aqqa - qui a défoncé la porte du dépôt d'arme - ont attaqué l'armurerie, qui était sous la garde de quelques soldats, qui se sont enfuis par la fenêtre et se mirent à tirer sur les résistants, tuant sur le coup mon frère Maghis Mohamed Ou Aqqa."
Les assaillants s'emparèrent du poste d'Immouzar-des-Marmoucha : le magasin d'armes permit aux résistants de récupérer 300 fusils mortiers 60, plusieurs fusils mitrailleurs et plusieurs dizaines de pistolets mitrailleurs. Cependant la plupart de ces armes étaient inutilisables parce qu'on avait pris la précaution de leur retirer les culasses.
"Dés le début de l'attaque, le gardien a tiré en direction des Moujahidines. Mais une des balles de ces derniers le tua sur le coup. Les Moujahidines ont occupé la caserne jusqu'au matin. Quant à l'attaque du garde forestier, elle a aboutit à la mort de ce dernier ainsi qu'à celle de sa femme. Chevauchant leurs bêtes de somme, deux indicateurs - il s'agit du suppléant du Cheikh et du directeur de la coopérative agricole - quittèrent la localité et se dirigèrent vers le village de Serghina, de là ils se rendirent à Boulman où ils informèrent le commandant de l'attaque infligée au bureau des Affaires Indigènes d'Immouzar. Informée, l'état major de Fès envoya immédiatement un avion de reconnaissance, suivi de bataillons de tanks et d'artillerie."
"Notre occupation du bureau des Affaires Indigènes dura jusqu'au matin du 2 octobre 1955. C'est alors qu'au ciel les avions firent leur apparition. Nous nous sommes empressés de libérer les prisonniers,leur disant :
« Aujourd'hui, il y aura un soulèvement général dans tout le Maroc ! »
Nous leur avons ordonné de rejoindre leurs hameaux, pour y inciter leurs familles à rallier la résistance. Dés le levé du soleil, des dizaines d'individus, hommes et femmes, affluèrent de partout vers le centre d'Immouzer."
Il était 8 heures du matin, le 2 octobre 1955, quand apparut au ciel un avion français en provenance du Sud-Ouest. La fumée s'élevait encore au dessus du village. L'avion a tournoyé plusieurs fois au dessus des villageois avant de repartir vers sa base arrière. Quinze minutes plus tard, cinq avions se mirent à bombarder les positions où se sont regrouper les habitants. La résistance a combattu avec courage jusqu'à 14 heures, où sont apparu les forces terrestres avec tanks et colonnes en provenance des bases militaires de Fès et de Meknès.
« La Vigie Marocaine » du mardi 4 octobre 1955, titre ainsi « le calme est revenu à Immouzer-des- Marmoucha, où de nouveaux morts ont été identifiés » et l'auteur de l'article de poursuivre :« Le calme est revenu ce matin entièrement à Immouzer-des- Marmoucha après la tragédie de la nuit de samedi à dimanche. Quelques rares journalistes ont pu atteindre la petite cité martyre grâce à des convois militaires qui assurent les liaisons entre Boulmane et Immouzer d'où aujourd'hui tous les blessés et tous les morts ont été évacués. D'après les témoins qui ont pu être interrogés, c'est à la faveur d'une nuit claire que les assaillants ont rampé lentement vers les maisons dans lesquelles en toute confiance, reposaient les familles. Ce fut alors brusquement en plein sommeil, un épouvantable cauchemar pour les victimes de scènes atroces dont certaines ont tenté d'échapper en se dissimulant dans les pièces retirées des appartements, où finalement, elles succombèrent.Des meubles ont été éventrés, calcinés, les fils téléphoniques ont été coupés et les machines à écrire du bureau des affaires indigènes, lui-même incendié, ont été brisé contre les rochers. Décor de tragédie également dans la villa du capitaine Chaussier dont la femme et les deux enfants ont été massacré.Il semble que les assaillants dont certains se trouvent encore dissimulés non loin d'Immouzer et tiraillent parfois, aient été armés minutieusement par les soins d'approvisionneurs auxquels s'intéressent particulièrement les enquêteurs. Interrogé à Fès par un journaliste américain, le général Bertron a déclaré que vendredi dernier, lui avait été signalé la présence d'un commando venant de la zone espagnole qui se trouvait au sud de Mezguiten, mais dont la trace a été perdue. Le général Bertron a précisé que le commandos était armé de carabines espagnoles. Le général Bertron a encore déclaré qu'à la suite des évènements qui se sont produit en tribu le 2 octobre, une certaine nervosité s'est manifestée au sein de la population européenne de la ville de Fès. »
Chez lui, le commandant d'Imouzzar fit face à trois maquisards Marmoucha . L'un était de la fraction Benaïssa, les deux autres étaient des Aït Makhlouf, la fraction d'où est issu Mimoune Ou Aqa. Le commandant en faucha deux à la mitrailleuse. Ils moururent sur le coup. Les combats se poursuivirent ainsi, jusqu'à la fin de l'après midi. Les tanks arrivaient. Les militaires arrivaient. Ils étaient accompagnés des tribus qui encerclent les maquisards. Ceux-ci prennent le maquis en escaladant les montagnes environnantes et en suivant leurs crêtes jusqu'à Nador. En première page,« La Vigie Marocaine » du mardi 4 octobre 1955, sous le titre « Nos troupes traquent les groupes rebelles », écrivait :
« Chassés des postes qu'ils avaient occupés et incendiés les hors - la - loi se sont engagés dans la montagne où sont maintenant engagés des opérations de nettoyage. La révélation que fit hier, à sa conférence de presse le général Bertron, frappa tout le monde de stupeur. Ce furent trois commandos de la zone espagnole qui, à 400 kilomètres du sud du Rif, menèrent la première attaque surprise de nuit sur le poste d'Immouzer-des-Marmoucha et massacrèrent les européens de ce centre. Qu'une telle infiltration soit possible, c'est certain, mais on juge par là même de l'audace d'un plan qui fit infiltrer si loin de son centre de départ une telle troupe et son armement, vraisemblablement par Mezguiten, Guercif et Berkine. »
Un autre article de ce même journal en date du lundi 10 octobre 1955, écrit sous le titre « des bandes rebelles des Marmoucha tenteraient de rejoindre les groupes du Nord » : « Dans le secteur sud en pays Marmoucha et Berkine, on signale de ce dernier centre, la soumission d'une fraction des Aït Makbel, comportant un millier d'habitants. Cette reddition a eu lieu hier, vers treize heures trente.
Un fusil - mitrailleur et deux fusils anglais ont été rendu par les Aït Smint à Berkine hier après midi »
En réalité les Aït Makbel et les Aït Smint sont des transhumants montagnards Bni Waraïn. Ce qui veut dire que de son côté Ben Qaddour chargé par l'Armée de Libération de l'attaque de Berkine, a finalement réussi à rallier à sa cause, ces tribus Bni Waraïn.
« La Vigie Marocaine » du vendredi 7 octobre 1955 annonce que « les rebelles Marmoucha rendent leurs armes ». Selon cette publication :
« Le bilan des armes rendues par la fraction Marmoucha ayant fait leur soumission est la suivante : armement français( qui avait été volé pendant l'attaque du poste) 110 fusils et mousquetons ; 6 fusils mitrailleurs ; 7 pistolets mitrailleurs ; 7 pistolets automatiques ; une mitrailleuse ; 2 bazooka ; un pistolet signaleur et un mortier.Armement étranger : 4 fusils anglais ; 2 fusils mitrailleurs anglais ; 4 pistolets automatique Allemand. »
Les fuyards prirent la direction de l'oued Melellou, dans une région entièrement couverte d'alfa, où ne pousse aucun arbre. De peur d'être repérés par les avions , Ilyas Mimoune Ou Aqqa ordonne à ses camarades de se terrer, en creusant des trous et en se recouvrant d'alfa de manière à demeurer invisibles aux militaires Français qui les poursuivaient. Vers 8 heures, Saïd Ou Qasso, qui était chargé de la surveillance, vint les avertir, que les Tanks ennemis arrivaient du côté de Taza, de là même où ils comptaient traverser en direction de Nador dans le Rif. Ils comprirent alors qu'ils étaient dénoncé par un certain Mzroud ,qui avait déserté leurs rangs. Après l'éloignement des tanks ennemis et à la faveur de la nuit et du brouillard accompagné d'averses ; une galette de seigle est remise à chaque groupe de cinq combattants. Ils passèrent ainsi la nuit dans la forêt et au levé du jour, ils poursuivirent leur marche vers Nador où un commandant espagnol les convoqua pour leur dire :
- Maintenant vous pouvez rentrer chez vous. Vous avez notre garantie. »
- Nous ne reviendrons chez nous, qu'après le retour du Roi, lui répondit Mimoune Ou Aqqa. Car nous avons un grave litige avec les Français. Si vous, espagnols vous respectez vos engagements, nous devons rester ici jusqu'à ce que notre retour soit assuré.
- D'accord. » Leur répondit le militaire Espagnol.
" La déposition de Mohamed V était à l'origine de l'insurection
« Si je savais que vous alliez faire tout cela, je serais venu avec vous. Maintenant, soyez en paix par la grâce de Dieu, vous qui n'avez pas trahi. »
« Il n'y a pas de traîtres parmi nous, lui rétorqua Mimoune Ou Aqqa. Les Marmoucha sont tous fidèles au Roi. Ils sont tous des nationalistes. A l'indépendance du Maroc, on m'a désigné caïd à Beni Mellal, et mon ami caïd à Missour. Les autres ont rejoint soit les Forces Armées royales, soit les Forces Auxiliaires. Depuis lors, nous sommes restés là, sans que plus personne ne demande de nos nouvelles." Des cocus de l'histoire? Is ont risqué leurs vies et celle de leurs familles, Ilyas y avait laissé celle de son frère Maghis qui aurait pu vivre centenaire comme lui, pourtant "depuis lors" plus personne n'a demandé de leur nouvelle, plus personne ne sait où se trouve Immouzer des Marmoucha qui continue à ronronner au milieu des ruines des vieilles bâtisses de la colonisation....
En 1956, Abbas Messaâdi et Sanhaji s'occupaient des commandos comme avant. Bien que certains éléments abandonnèrent le front pour rejoindre les villes les plus proches, le gros de l'Armée de Libération demeurait à ses postes et obéissait à leurs anciens chefs de Nador. Sanhaji fut convoqué au Cabinet Royal à Rabat le 9 juin 1956 à 9 heures. Avant de quitter Nador, il fixa un rendez-vous à Abbas à Taza pour le 8 juin 1956. Sanhaji l'attendit au domicile du gouverneur comme prévu jusqu'à 11 heures. Les deux responsables se rencontreront non loin de Taza où Sanhaji fit savoir à Abbas Messaâdi son départ pour Rabat. Mohamed V lui proposa alors d'aller en pèlerinage à la Mecque. Sanhaji fit savoir au Souverain que : « les circonstances actuelles ne me permettent pas d'effectuer le pèlerinage. L'armée de libération est convoitée par les partis politiques qui cherchent à l'exploiter à des fins personnelles. »
Pendant que Sanhaji se trouvait à Rabat, Abbas Messaâdi souffrant, se rendit à Fès pour consulter un médecin. Il se dirigea chez Belcadi à Bab El Khokha. A peine installé, il fut invité par Hajjaj qui était un ancien résistant à Casablanca et avait rejoint Tétouan comme réfugié politique. Après la déclaration de l'indépendance, il devint chef d'un commando qui opérait dans la région de Fès et obéissait au parti de l'Istiqlal. Abbas fut donc invité par Hajjaj au domicile de El Haj Ben Allal, membre très influent du parti à Fès. C'est dans cette maison qu'il fut arrêté par un groupe de personnes qui le transportèrent à Aïn Aïcha. Abbas Messaâdi dut succomber en cours de route : sa dépouille fut retrouvée inhumée dans un champs à Aïn Aïcha, dans la région de Taounate au Nord de Fès. Selon Mellal Qaddi, qui fut envoyé par Abbas Messaâdi à Casablanca, le 25 juin 1956 pour faire des achats au profit de l'Armée de Libération Nationale :
« Abbas fut enlevé à Fès et les kidnappeurs prirent la direction de Taounate. Aussitôt j'ai téléphoné à Nador à Sanhaji que j'ai trouvé dans une colère extrême. Il me fixa un rendez vous à Taza le lendemain matin., soit le 28 juin, chez M'hamed khyari, gouverneur de Taza, qui était leur ami. »
A Taza, Sanhaji pria le gouverneur de contacter le gouvernement ou directement le Roi, pour que l'affaire Abbas Messaâdi soit considérée dans les quarante huit heures. Autrement, ce serait à l'Armée de Libération de régler le problème à sa façon. Surprise ! L'arrivée du Prince Moulay Hassan fut annoncée. Il fallait se dépêcher pour l'accueillir à la base de Taza. Effectivement, SAR débarqua en secret et sans escorte de l'avion, accompagné de Driss M'hamdi ministre de l'intérieur. Il portait la tenue kaki et la casquette de Général. Le gouverneur lui présenta alors Sanhaji et Mellal. Tous les cinq prirent la direction de la préfecture de Taza. Dans une salle de la préfecture, le Prince s'adressa aux quatre hommes en ces termes : « Messieurs, Sa Majesté le Roi Mohamed V désire que le calme et la paix règnent dans la région et que l'Armée de Libération intègre les fonctions publiques et les rangs des Forces Armées Royales du Maroc indépendant. Quant à l'affaire Abbas, elle sera réglée par moi-même. »
Selon le témoignage de Mellal Qaddi :
« Au cours de l'interrogatoire des suspects arrêtés du commandos de Mohamed Hajjaj, deux éléments qui avaient participé au meurtre, passèrent aux aveux.. Il s'agissait d'un certain M'barek Marzouki et d'Ahmed Mounir qui indiquèrent l'endroit où feu Abbas Messaâdi était enseveli. C'était à Aïn Aïcha, neuf kilomètres au Sud de Taounate, dans un champ fraîchement labouré où on trouva le corps de la victime couvert de mottes de terre. On le déterra, déjà en décomposition avancée, et on le mit dans une couverture. On trouva la voiture du martyre au fond d'un ravin, elle était balancée certainement du haut d'une pente raide. Abbas Messaâdi sera finalement enterré à Fès. En signe de reconnaissance, le Prince attribua au martyre Abbas Messaâdi, le grade de commandant à titre posthume. »
Compagnon de route à Nador et au bord de la Moulouya, le chef de la zone Oranaise, l'Algérien Larbi Ben M'hidi fut lui aussi capturé et assassiné le 23 janvier 1957, dans « la bataille d'Alger » confiée à la dixième division parachutiste du général Massu. Avec la disparition de Abbas Messaâdi et de Larbi Ben M'hidi, ce sont deux des plus hautes figures historiques de la résistance Maghrébine qui disparaissent ainsi mystérieusement à l'aube de l'indépendance, en pleine lutte des clans pour la prise du pouvoir.
Abdelkader MANA
11:27 Écrit par elhajthami dans Histoire, Le couloir de Taza, Témoignage | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : le couloir de taza, la guerre du rif, marmoucha | | del.icio.us | | Digg | Facebook