03/01/2012
Le port de Tombouctou
La frontière nord de l'oum rbia était franchie par des caravanes chargées de marchandises à destination d'Essaouira. A son rôle maritime important, s'ajoutait son rôle de relais du Soudan. Le littoral que longaient les caravanes se prolongeait jusqu'à la porte de la marine et les navires restaient au large.Essaouira avait un rôle de transit entre l'Afrique et l'Europe, c'est pour cela qu'on l'a surnommait "le port de Tombouctou". Ici, les caravanes de Tombouctout prolongeaient les caravelles de la lointaine Europe, ici le vent alizé enflait de son souffle puissant les voiles des navires marchands et des bateaux corsaires.
Le négoce fournissait au Makhzen des ressources notables, et les puissance européennes appréciaient le Maroc non seulement pour ses richesses propres, mais encore sous le rapport du transit.Visitant Mogador à l’aube du 20èmesiècle, Eugène Aubin écrit le 2 novembre 1902 : « A l’heure actuelle la place de Mogador n’exporte plus que les peaux de chèvres venues de Marrakech et du Sous, les amandes du Sous et de Haha, les huiles et la cire, enfin la gomme du Sous(gomme arabique et sandaraque, utilisée en Europe dans les industries chimiques et pharmaceutiques ; gomme ammoniaque, expédiée en Egypte, Algérie, Tunisie, et employée pour l’épilage, selon les usages musulmans) ; les caravanes du Sous et de Marrakech aboutissent journellement au port…De puissantes maisons juives sont établies à Mogador. Comme elles importent surtout des bougies, des cotonnades et du thé, elles font la plupart de leurs affaires avec l’Angleterre, et quelques unes possèdent même des comptoirs à Manchester. » . Arrivée d'une caravane à souk haddada - Cliché Garaud :
Ici les caravanes de Tombouctou prolangeaient les caravelles de la lointaine Europe.
La rade d'Essaouira
Arrivée de la caravane de Tombouctou à Mogador
C’étaient les dernières caravanes qui reliaient Mogador à son arrière-pays et à Tombouctou, avant qu’Agadir au Sud et Casablanca au Nord ne supplantent la ville des Gnaoua en tant que principal port du Maroc. Avec la découverte de la machine à vapeur, l’Europe était désormais directement reliée par voix maritime au Sahara et à la boucle du Niger sans avoir à passer par l’ancien « port de Tombouctou », qu’était Mogador.
Marché au seuil de Bab Sbaâ
Au grand souk situé hors la ville aboutissent les caravanes de Marrakech et du Sous ; elles doivent y demeurer , sans franchir les portes , jusqu’à ce que leurs marchandises aient trouver acheteur ; chameaux et chameliers y campent sur le rivage dans la saleté et le désordre ; à côté d’eux sont étalées sur le sol les peaux de chèvres , amenées de l’intérieur dans la fiente et le sel, que les exportateurs font sécher avant leur embarquement.
Haddada, quartier des forgerons où aboutissaient les caravane en 1912
Les caravanes en provenance de Tombouctou et qui longeaient la côte pour rejoindre Agadir puis Essaouira passaient soit par Guelmim à l’oued Noun, fief de la famille Bayrouk, soit par la Maison d’Illigh à Tazerwalt, fief des descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa. D’ailleurs à la fin du XIXe siècle, Huçein Ou Hachemi de la Maison d’Illigh, comme le Cheïkh Bayrouk, disposaient d’une maison commerciale à la nouvelle kasbah d’Essaouira. C’était le négociant juif Afriat qui s’occupait des intérêts des Bayrouk au port de Mogador. Le cheykh Bayrouk de Goulimine disposait en effet d’un entrepôt où il déposait les marchandises en provenance de Tombouctou, et c’était le négociant Afriat, lui-même originaire de Goulimine qui s’occupait de ses affaires à Essaouira. Ces juifs de Goulimine avaient fini par aboutir dans cette ville saharienne, après leur expulsion d’Espagne, comme le prouvent les motifs des bijoux qu’ils produisaient et qui étaient à bien des égards similaires à ceux des orfèvres d’Andalousie. On se souvient encore aujourd’hui de la famille Bayrouk qui habitait au début du siècle au quartier des gens d’Agadir (quartier d’Essaouira qui porte ce nom parce que ses premiers habitants étaient originaires d’Agadir) : les hommes travaillaient au port, tandis que leur marraine, une mulâtresse, était célèbre voyante médiumnique (talaâ) qui officiait lors des nuits rituelles des Gnaoua.
Sur sa route vers Mogador Léopold Panet, le premier explorateur du Sahara, rencontre le cheïkh Bayrouk pendant son séjour à Noun, et assiste à une fête d’accueil d’une caravane en provenance de Tombouctou :
« Pendant mon séjour à Noun, j’y fut témoins d’une fête magnifique. C’était le 12 mai ; la veille, on savait qu’une grande caravane revenant de Tombouctou devait arriver le lendemain, parce qu’elle avait envoyé faire louer des tam-tams pour fêter sa rentrée. Dés sept heure du matin, les femmes des marchands arabes, qui composaient cette caravane, étaient parées de tout ce qu’elles avaient de beau en habis et en bijoux, et le tam-tam, dont le bruit assourdissant se répétait au loin, avait attiré autour d’elles une foule des deux sexes...Ceux au-devant de qui elles allaient, paraissaient à l’autre extrêmité de la plaine, laissant derrière eux leurs chameaux chargés et deux cent esclaves appartenant aux deux sexes. Le tam-tam résonna avec fracas, les drapeaux voltigèrent en l’air, les chevaux se cabrèrent de part et d’autre...La troupe forme deux haies qui reçoivent entre elles les chameaux chargés et les esclaves déguenillés, souvent nus. Les hommes continuent leur évolution guerrière avec le même enthousiasme, mais il y a moins de charme, moins de mélodie dans les chants naguère si harmonieux des femmes : elles ont tourné leur attention vers les esclaves et déjà chacune d’elles y a fait son choix. »
Les maîtres de ces lieux de rassemblement de convois caravaniers, disposaient dans leurs citadelles de nombreux esclaves issus du commerce transsaharien. Les Noirs qui vivent aujourd’hui autour de ces vestiges du passé y célèbrent encore leur fête annuelle.S’ils vénèrent tous Lalla Mimouna, et sont issus de la même origine l’ancien Soudan, le pays des Noirs des géographes arabes, qui correspond à la boucle du Niger , il n’en demeure pas moins que sur le plan culturel, chaque communauté ganga s’est adaptée à sa manière au contexte, dans lequel, elle fut intégrée.
Le souvenir de la traite des esclaves reste vivace chez leurs descendants marocains. Voici le témoignage d’un maréchal-ferrant noir, également grand connaisseur de l’amerg, chant poétique berbère :
" Les esclaves provenaient de la tribu Sharg du Sahara. Des marchands les amenaient de là-bas pour les vendre dans le Sous. Par la suite, leurs enfants étaient expédiés dans le pays Haha. On leur mettait la corde au cou pour les conduire sur la place où on les vendait comme des bêtes, en examinant leur denture pour distinguer le jeune du vieux. C’est ainsi que mon père fut offert au caïd des Ida ou Guilloul. En revanche chez les Neknafa, les esclaves noirs appartenaient à Israren, un caravanier qui échangeait les céréales de la région contre le thé, le sucre, et les esclaves de Sous. C’était le trabando (la contrebande). Cette traite des esclaves a cessé quand il a plu à Dieu de venir en aide aux Noirs. Une fois affranchis, comme ils ne possédaient pas de terres, ils ont dû devenir métayers pour subsister. Un jour, j’ai décidé de troquer le tambour contre le ribab et j’ai fait le tour des villages pour animer les fêtes de mariage. J’ai chanté l’amerg en tant que maître du ribaba pendant quatorze ans, mais quand mon père est mort, j’ai pris sa relève à la forge. »
Au temps où les caravanes afluaient vers Mogador
Avant de traverser le désert des déserts, les caravanes faisaient halte au pays des moulatamoun, ces hommes voilés du désert, pour y faire provision d’eau. Quand les vents chauds tarissaient l’eau dans les outres, les caravaniers pour apaiser leur soif recouraient au stratagème suivant : ils prenaient avec eux des chameaux sans charge et les assoiffaient pour les faire boire une première fois puis une deuxième fois, jusqu’à ce que leur panse soit pleine. Quand le besoin d’eau devenait impérieux, les chameliers égorgeaient le chameau et se désaltéraient avec l’eau de sa panse jusqu’au point d’eau suivant. C’est ainsi que, recrus de fatigue, les caravaniers avançaient dans leur voyage jusqu’au lieu de rencontre avec les propriétaires de l’or.
Le grand méchouar avant l'élevasion de l'horloge au début des années 1920
"Marocains apprenant l'arrivée d'un navire se dirigent vers le port"
Vue prise de la plage,au fond Essaouira
On imagine à peine maintenant les grandes distances que ces hommes pouvaient parcourir
Mogador - Sous la porte de la Marine
Dans les vieilles photos en noir et blanc, on voit le déchargement des paquebots au large par les barcasses. Jusqu’à la fin des années 1960 par beau temps chacune pouvait faire de 4 à 5 voyages, avec un rendement journalier, de 300 à 350 tonnes. Depuis les fenêtres grandes ouvertes de nos classes de l’alliance israilite, on pouvait entendre les sirènes de ces paquebots, comme autant d’appels nostalgiques, nous convions à l’évasion et à l’aventure. Le dernier des courtiers juifs de Mogador, fut le Sieur Hatouile, décédé vers 1989 : il était représentant de la compagnie Paquet et avait le monopole sur le savon de Marseille.
Mogador - Le port
" Quand la forte houle venait à les surprendre, me dit ma mère, les barcassiers se réfugiaient en haute mer. Loin des récifs côtiers où se fracassent les vagues. Ils restaient là, le temps que la tempête s’apaise. En attendant, la ville retenait son souffle."
Embarquement de marchandises: en arrière plan, "Borj el Barmil", l'ancien emplacement du Castello Real",avant la construction de la jetée du port au début des années 1920
Les barcasses employées à Mogador, étaient propriété du Makhzen. D’un type long et étroit, n’offrant pas beaucoup de résistance au vent, leur stabilité transversale, probablement assez faible, suffisait parcequ’elles n’avaient à circuler qu’en rade, assez abritées en somme. Ce petit type, qui portait de 8 à 10 tonnes, était plus facilement maniable dans les rochers qui fermaient l’entrée du port. Elles étaient limitées à 8, dont deux étaient toujours en réserve à terre, prêtes à fonctionner en cas de besoin. Voici les marchandises que transportaient ces barcasses en 1906 :
Caravanier dans les dunes et sur la plage
« On ramenait du Sahara l’ambre des baleines, du bois de santal, des boules d’or, des œufs de mhar ; parfois on ramenait, semblables à des perles, des œufs de lbia, des porcs-épics. On ramenait des autruches qu’on montait comme des chevaux de fantasia ; tu voyais certains mettre la selle sur le dos de l’autruche et la chevaucher ! (éclat de rire). Il y avait tout dans le Sahara ! Wahli ! (Ô les miens !) ce qu’on ramenait de là-bas ! Il y avait le lion, il y avait le tigre, il y avait l’hyène. On n’appelait pas le dromadaire méhari, on l’appelait « hab-rih » (souffle le vent). Pour parvenir à l’oued Draâ, les caravanes mettaient cinq jours pour les mulets, six jours pour les chameaux.
On partait d’Essaouira et on passait la première nuit à Ida Guilloul, la deuxième nzala (étape de caravane) était à Tamraght, de-là à Houara et Taroudant enfin à Goulimine. Un jour qu’on allait dans le Souss, on rencontra une vipère au milieu du chemin : elle soufflait la mort sur quiconque voulait passer. Vingt cinq fantassins déchargèrent leurs fusils sur elle. Elle se souleva jusqu’au ciel et tomba devant la porte du lion. En vérité, chez les Houara, dans le Souss, « l’année du rat » (l’année de la peste) tout était couvert de rats ; l’année de la sécheresse et de la famine faisait penser à l’histoire de Joseph, lorsque le Pharaon rêva que sept vaches maigres dévoraient sept vaches grasses et que sept épis grêles engloutissaient sept beaux épis. »
Mogador, Bab Sbaâ, nouvelle kasbah
Bab Doukkala
Abdelkader Mana
07:14 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Je vous vante pour votre critique. c'est un vrai état d'écriture. Poursuivez .
Écrit par : cliquez ici | 11/08/2014
Les commentaires sont fermés.