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19/05/2012

Rivages de pourpre

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Coquillages "purpura haemastoma"par Roman Lazarev

Le manuscrit grec du "périple d'Hannon"– datant de 300 à 350 avant J.C. - commence ainsi : « Il a paru bon aux Carthaginois qu’Hannon naviguât en dehors des colonnes d’Herculès et fondât des villes de Libye – phéniciens. Il naviguât donc, emmenant 60 vaisseaux à 50 rames, une multitude d’hommes et de femmes, au nombre d’environ 30 000, des vivres et autres objets nécessaires. » La deuxième colonie fondée par Hannon dénommée dans le manuscrit grec Karikon Teihos ,c'est-à-dire le « Mur Carien » se trouvait à une journée de navigation de la lagune visitée par Hannon, identifiée avec l’ancienne zone d’épandage aux hautes eaux du bas Tensift. La concordance des chiffres oblige à situer Karikon Teihos sur l’emplacement de Mogador actuel : « Après avoir dépasser cette lagune et naviguer pendant une journée, nous fondâmes sur la mer des colonnes appelées « Mur Carien ».

Le mouillage d’Amogdoul

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La ville frémit comme un être vivant sous les fracas des houles. La prière des minarets se répand dans la lumière froide du crépuscule, en échos à la prière cosmique du firmament. Le chien noir qui aboit en bas de la citadelle, effraie les oiseaux de nuit et les fenêtres closes. Une étoile polaire scintille au dessus du rayon vert. Des ombres, tous les soirs, viennent sur les remparts contempler les îles. Frêle humanité qui semble surgir des temps antiques, accentuant l’aspect fontomatique de la ville.

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Autour de l’île, les eaux sont si poissonneuses qu’on y pêche avec les algues, par nuit sombre, comme au clair de lune. Sans cesse un vent impitoyable balaie tout sur son passage. Quand souffle le vent du nord, il faut pêcher sur l’îlot de « firaoune », mais quand souffle le vent du Sud, il faut aller jusqu’à la grande île. Les goélands y forment une véritable voie lactée aux milliers d’ailes qui vibrent avec douceur, comme des prières bercées par les vagues. Le faucon Eléonore niche ici du mois d’avril au mois d’octobre, loin des bruits et des fauves, au sommet des montagnes...L’hiver, les étourneaux , ces oiseaux solaires qu’on appelle zerzour, forment un immense « boa volant », qui orne le ciel et se confond avec lui. Calligraphie céleste, noria tournoyante au crépuscule. Ces oiseaux sont les gardiens de l’île, ou peut être la réincarnation des âmes qui la hantent encore.

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La rade d’Essaouira est un port naturel pour les bateaux à voiles. Elle a toujours été un mouillage idéal où hivernaient les bateaux ronds de l’Antiquité et du Moyen Age. Non seulement les îles – en particulier celle qui ferme la baie comme une baleine qui flotte, énorme sur la mer – la protégeaient de la houle, mais un banc de sable faisait obstacle aux courants marins, en reliant l’île principale à l’embouchure de l’oued Ksob. Il est indiqué sur une ancienne carte que ce banc de sable « se couvrait et se recouvrait », ce qui laisse supposer qu’on pouvait rejoindre l’île à marée basse. Une tradition orale rapporte que les troupeaux de « Diabet » (le village des loups) allaient y paître au milieu d’une nuée de pique-bœufs. Les marins y sacrifiaient taureaux noirs et coqs bleus à leur saint patron Sidi Mogdoul.

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Par ailleurs, sur la plage de Safi, à deux kilomètres au nord d’Essaouira, les explorateurs ont découvert des amoncellements considérables de coquillages de Murex et de Purpura Haemastoma – le vent ne cesse d’en découvrir pour les recouvrir ensuite lorsqu’il remodèle les dunes –, confirmant que c’est bien ici que se situaient les îles purpuraires, où Juba II avait établi au 1er siècle av. J.C. ses fabriques de pourpre.

D’après Pline, Juba II organisa une expédition sur l’archipel des Canaries à partir des îles purpuraires :

« L’expédition organisée par le roi Juba II partit des îles purpuraires, c'est-à-dire de Mogador, et suivit une route qui atteste une réelle connaissance des courants et du régime du vent dans cette partie de l’océan : « les îles fortunées, écrit Pline d’après Juba, sont situées au midi un peu vers l’ouest des Purpurariae... »

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Si l’on voulait aller de Mogador aux Canaries en droite ligne, on était pris dans un courant qui portait du large vers l’Est, donc vers la côte. Il valait mieux s’y soustraire, ce qu’on faisait en se dirigeant vers l’Ouest, une fois cet espace traversé les navires se trouvaient dans la zone des forts courants du Nord au Sud, produits par les vents alizés, certains de dériver assez sensiblement au Sud pour atteindre les Canaries. Le long du continent les vaisseaux de Juba II, ne semblaient guère avoir dépasser Mogador. La carte qu’Agrippa fit dresser à l’époque de Juba, n’indiquait pas de ports après portus Rhysadments, qui pourrait devoir être identifié à Mogador...Au second siècle de notre ère, les renseignements précis de Ptolémée s’arrêtent également à la région de Mogador. Dans son « libyca », l’ouvrage que JubaII consacre au pays natal, où il faisait usage du Périple d’Hannon...C’est sans doute dans ce traité qu’il mensionnait les teintureries crées par son ordre aux îles purpuraires. »

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Pour Vidal de la Blache, il ne fait pas de doute que nous avons à Mogador « le site où, d’après nous, Juba – après avoir entrepris des recherches dit Pline -, se décida à installer des ateliers de pourpre. »

 Selon le texte de Pline l’ancien : « les renseignements sur les îles de la Mauritanie ne sont pas plus certains. On sait seulement qu’il y en a quelques unes en face des Autololes, découverte par Juba, qui y avait établi des fabriques de pourpre de Gétulie. »

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  La pourpre était extraite de la glande du Murex. C’est une glande grosse comme le bout du petit doigt, un peu jaune soufre, jaune pâle, qui produit la pourpre. Exposée au soleil, elle devient d’abord verdâtre avant de virer au bleu, puis au violet et enfin au pourpre.

 Le Murex était recueilli à l’aide de nasses à une trentaine de mètres de profondeur, sur les fonds rocheux où ces molusques se fixent par leur pied ventral. Selon Pline l’Ancien, la pêche du coquillage purpura se pratiquait uniquement à ces deux périodes de l’année, « celle qui suit le lever de la canicule ou celle qui précède les saisons printannières. »

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 En 1950 Desjacques et Koeberlé enseignants à Mogador, consacraient leurs loisirs à la recherche des silex taillés de l’époque préhistorique. Cette recherche les conduisit dans l’île d’Essaouira où ils trouvèrent dans le sable des fragments de poterie, des pièces de monnaie. Des fouilles plus systématiques furent entreprises aussitôt. En creusant assez profondément du côté de la plage de l’île, sur le « tertre » on a mis à jour une couche phénicienne, la plus profonde, et des couches plus récentes en particulier celle des Romains du temps de JubaII. La petite histoire de cette recherche nous était jusque là inconnue. Desjacques nous l’a racontée, la voici :

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 " Comme il était interdit, raconte Desjacques, de chasser sur le continent en période de fermeture, la société de chasse locale Saint Hubert élevait des lapins dans l’île. Les lapins avaient brouté l’herbe et mis à nu le sol. Par le vent qui emportait le sable, par érosion, les pièces antiques étaient visibles à la surface du sol."

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 C’est ainsi que nos deux explorateurs ont découvert à côté de vestiges préhistoriques épars, tels que des silex taillés, des monnaies romaines et une pièce d’argent à l’effegie de Juba II, ainsi que des tessons de poterie sigillés et des fragments d’amphores. C’est la première fois que des vestiges romains sont découverts à une telle distance du Limes de la Mauritanie Tingitane.

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Les vestiges préhistoriques et antiques incitent à penser que la région est habitée depuis des millénaires. Sur l’île on a découvert un bétyle phénicien du nom de «Migdol ». C’est une grande pierre jadis dressée dans le ciel. Pourquoi ne pas imaginer un ancien lieu de culte, là où se trouve maintenant le sanctuaire de Sidi Mogdoul ? Ce toponyme a donné au moyen âge, « Amogdoul », transformé en « Mogador » qui est une très ancienne transcription portugaise, d’un vieux toponyme berbère, attesté dés le XIè siècle par le géographe El Bekri :

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 « Les navires mettent trois jours à se rendre des parages de Noul jusqu’à Ouadi Souss (la rivière Souss). Ensuite, ils font route vers Amogdoul, mouillage trés sûr, qui offre un bon hivernage et qui sert de port à toutes les provinces de Souss. De là, ils se dirigent vers ce qui est le port d’Aghmat... »

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 Au XIIIè siècle, un autre géographe, Ibn Saïd el Maghrabi, nous dit lui aussi que le mouillage d’Amogdoul se trouve en pays Haha : « Là se trouve une petite île séparée du fleuve d’un mille. C’est un mouillage d’hiver pour les navires. Comme Tinmel est connue dans tout le Maroc pour la qualité de son huile, le pays haha est connu pour son miel blanc, ses taureaux puissants et son arbre à l’huile parfumée. A l’Ouest du pays haha se trouvent les Regraga où l’on tisse des couvertures fines et soyeuses que portent les femmes de la ville. C’est un pays au contact de l’Océan où coule la rivière ourlée des beaux grenadiers de Chiachaoua... »

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Le mouillage d’Amogdoul servait donc à l’exportation des produits agricoles du pays haha, fraction des Masmoda qui sont, d’après Ibn Khaldoun, « les habitants du deren », qui vivent au voisinage de la mer. « Deren » est une déformation du mot berbère « adrar » qui signifie montagne.Cette montagne, a un nom berbère qu’elle porte sans interruption depuis l’époque romaine. C’est l’adrar n’idraren, la montagne des montagnes. A moins que ce ne soit la montagne du tonnerre de « nder », gronder, rugir :

Mer, gronde encore plus fort pour faire peur aux trembleurs !

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 Une région qui dépend énormément des aléas climatiques, comme nous l’indique Andam Ou Adrar, le compositeur de la montagne, qui représente la conscience collective du monde berbère : « Le poète et la hotte sont semblables, peronne n’en veut s’il n’y a pas de pluie et donc de récolte. ».

Dans les vieilles photos en noir et blanc, on voit le déchargement des paquebots au large par les barcasses. Jusqu’à la fin des années 1960 par beau temps chacune pouvait faire de 4 à 5 voyages, avec un rendement journalier, de 300 à 350 tonnes. Depuis les fenêtres grandes ouvertes de nos classes de l’alliance israilite, on pouvait entendre les sirènes de ces paquebots, comme autant d’appels nostalgiques, nous convions à l’évasion et à l’aventure. Le dernier des courtiers juifs de Mogador, fut le Sieur Hatouile, décédé vers 1989 : il était représentant de la compagnie Paquet et avait le monopole sur le savon de Marseille.

Les barcasses employées à Mogador, étaient propriété du Makhzen. D’un type long et étroit, n’offrant pas beaucoup de résistance au vent, leur stabilité transversale, probablement assez faible, suffisait parcequ’elles n’avaient à circuler qu’en rade, assez abritées en somme. Ce petit type, qui portait de 8 à 10 tonnes, était plus facilement maniable dans les rochers qui fermaient l’entrée du port. Elles étaient limitées à 8, dont deux étaient toujours en réserve à terre, prêtes à fonctionner en cas de besoin. Voici les marchandises que transportaient ces barcasses en 1906 :

Du bord à quais : balles de cotonnades, sacs de sucre, barils de sucre, thé, café, riz, semoule, épices, bougie, fer, peaux du buffles, acier, fer-blanc, bière, confiserie, madriers, balles de papier, faïence. Et du quai à bord : amandes, gommes, huiles, laine, cuirs de bœufs, graines en sacs, peaux de chèvres et de moutons.

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Quand la forte houle venait à les surprendre, me dit ma mère, les barcassiers se réfugiaient en haute mer. Loin des récifs côtiers où se fracassent les vagues. Ils restaient là, le temps que la tempête s’apaise. En attendant, la ville retenait son souffle."

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Au sortir de la prière du crépuscule, un vieux Mogadorien me tend un jeton dont se servaient les barcassiers pour charger et décharger les marchandises entre la porte de la marine et les paquebots qui attendaient au large : côté face « Essaouira » en arabe, côté pile, l’étoile de David. Comme le soulignait si bien le peintre Adrien Matham, qui accompagnait en 1641, un navire hollandais :

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« Il est à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir celui des Maures : le vendredi ; celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche ».

 La ville d’Essaouira est construite sur une île qui s’est vue relier il y a quelques siècles au littoral par les alluvionnements de l’oued Ksob. Au large, une autre île ferme la baie. La houle l’a sectionnée en deux, isolant l’îlot de « firaoun » (Pharaon), qu’on appelle probablement ainsi à cause de sa résistance aux coups de béliers séculaires de l’océan : par une brèche béante, les vagues, déferlant du large, y pénètrent avec rage. L’un des îlots qui entourent la grande île porte le nom de  Taffa Ou Gharrabou (l’abri de la pirogue en berbère).

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 L’embarcation berbère  Agherrabou, se prêtait remarquablement à l’accostage des plages parmi les rouleaux. L’avant de la pirogue se termine par une longue pointe effilée (toukcht) qui donne aux formes de l’avant beaucoup d’élégance. Appuyé sur cette pointe et penché en avant, le pilote cherche à découvrir le frétillement des bandes de tasargal (sorte de bonite) qu’on encercle sur les plages avec les filets.L’Agherrabo est le véritable bateau de pêche chleuh. Le mot est connu sous cette forme du cap Juby à Safi. Le mot a pu être rapporté au grec et au latin Carabus. L’emprunt est intéressant : le mot et la chose qu’il désigne existait avant l’arrivée des conquérants arabes.

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 Il nous est impossible de fixer la date de l’installation des pêcheurs berbères à Mogador, mais tout porte à croire qu’elle est récente et postérieure à la création de la ville au XVIIIe siècle. Dans les années vingt, toutes les embarcations berbères de la région, entre Sidi Ifni et l’oued Tensift, étaient construites par un unique charpentier, le maâlam Ahmed ou Bihi El Aferni, dont le père était lui-même un charpentier réputé, il habitait chez les Aït Ameur, à vingt kilomètres au nord du cap Guir. Il se rendait dans les différents centres de pêche et construit en un mois son embarcation pour la somme de mille francs. Mais si la commande vient de très loin, de Sidi Ifni par exemple, et l’embarcation terminée, l’équipage, venu à pied en suivant la côte, l’emmène par mer. De Mogador est parti un curieux mouvement de colonisation berbère vers le nord. Le reis Mohamed Estemo, venu d’Agadir à Mogador, organisa progressivement la pêche berbère à Moulay Bouzerktoun, Sidi Abdellah El Battach, et Souira Qdima.

Les pêcheurs berbères de ces rivages invoquaient Sidi Ishaq, perché sur une falaise rocheuse abrupte qui surplombe une plage déserte où les reqqas échangeaient jadis le courrier d’Essaouira d’avec celui de Safi :

« Lorsque les pêcheurs passent à travers les vagues, il leur arrive de l’appeler à leur secours, ils lui promettent d’immoler une victime et de visiter son sanctuaire. Sidi Ishâq avait un cheval blanc que son frère Sidi Bouzerktoun lui avait donné. Lorsque les Regraga se réunissent, ils vont à cheval visiter ce saint ; les marabouts – hommes et femmes assemblés – prient Dieu de délivrer le monde de ses maux. Lorsque les pêcheurs vont vers Sidi Ishâq, ils entrent dans son sanctuaire et après avoir fait leurs dévotions, il te prenne, ô huile de la lampe, et te la verse au milieu des flots pour les calmer. » histoire

Et jusqu’à une époque récente, avec procession, étendards et taureau noir en tête, les marins se rendaient à Sidi Mogdoul pour qu’il facilite leur entreprise, comme en témoigne cette vieille légende berbères :

« Sidi Mogdoul fixe les limites de l’océan et en chasse les chrétiens. Il secourt quiconque l’invoque. Fût-il dans une chambre de fer aux fermetures d’acier, le saint peut le délivrer. Il délivre le prisonnier entre les mains des chrétiens et le pêcheur qui l’appelle au milieu des flots ; il secourt le voilier si on l’invoque, ô saint va au secours de celui qui t’appelle (fût-il) chrétien ou musulman. Sidi Mogdoul se tient debout près de celui qui l’appelle. Il chevauche un cheval blanc et voile son visage de rouge. Il secourt l’ami dans le danger, le prend et, sur son cheval, traverse les océans jusqu’à l’île. »

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 Et sur ces mêmes rivages, au Sud de cap Sim, les pêcheurs se rendaient en pèlerinage à Sidi Kawki où les berbères Haha procèdent à la première coupe de cheveux de leurs enfants : « s’ils sont surpris par la tempête, ou si le vent se lève alors qu’ils sont en mer, les marins se recommandent à lui. Avant de s’embarquer pour la pêche, ils fixent la part de Sidi Kawki, dont les vertus sont très renommées. On raconte qu’un individu y avait volé la nuit une bête de somme et bien qu’il eut marché tout le temps, quand le matin se leva, il se retrouva là où il l’avait prise. »

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 Ces seigneurs des ports, ces saints protecteurs des rivages et des marins dont les coupoles, telle des vigies de mer, jalonnent les rivages, les marins leur rendent hommage à l’ouverture de chaque saison de pêche.

Abdelkader MANA

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11:17 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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