03/01/2010
Le pointillisme d'Oulamine
Abdellah Oulamine
Le peintre du sable

Par Andelkader Mana
Au début des années 1980, à Essaouira, Oulamine faisait partie du « groupe Kawki », un groupe informel, de réflexion sur les arts plastiques, qui ne tarda pas à se disperser, faute de cadre institutionnel approprié. Cette première initiation à la peinture, Oulamine la compléta par de nombreux voyages, qui lui permirent de découvrir de nouvelles façons de peindre.
Il pratiqua d'abord, un pointillisme figuratif, inspiré de scènes insolites du bord de mer d'Essaouira et de l'architecture ocre des « kasbahs » du Sud. Le sablier du peintre immobilise des moments uniques - le saut d'un poisson en dehors de l'eau, la rumination d'une vache sur le sable, un plat de noyer magique sous un astre noir - et dépeint des situations à la fois étranges et poétiques, grains de sable, grains de peau, corpuscule de lumière cendrée, molécule d'air et d'eau. Le paysage est reconstitué à partir de ses composantes élémentaires ; plus on ajoute de nouvelles couches de petits points, plus il y a possibilité de combiner lumière et ombre, et de ce jeu se dégagent de nouvelles formes. Oulamine passe parfois des heures à remplir un petit espace de points et de formes minuscules. Avec une pareille technique, il ne peut pas réaliser de grands formats. Ses toiles, sont à l'image d'Essaouira, qui est elle - même une jolie miniature.

Ces dernières années, Oulamine pratique un art plutôt symbolique. Sur fond d'harmonie géométrique, il combine aux points des signes et des symboles magiques, des bijoux et des tapis berbères. Le contenu cosmologique s'y combine aux formes cosmiques. Oulamine commence par un point et termine par un autre, parce que la vie elle - même commence par la poussière et finit dans la poussière. Il a donc voulu juste nous montrer qu'il n'y a pas de différence entre l'infiniment petit, ici un point, et l'infiniment grand, qu'il représente par une forme sphérique : l'atome est aussi complexe que la galaxie.

Cinq années après la parution de cet article dans « Artistes d'Essaouira », notre regretté maître, Georges Lapassade, lui consacrait un autre article (dans « Traces du présent », numéro 2/3 paru en 1994). Il s'agissait là aussi de « poussières », mais comme symbole de la mort. Georges dont l'activité vitale et spirituelle se réduisait presque exclusivement à l'écriture, avait une conscience aigue de la mort qui peut à tout moment mettre fin à son activité d'écriture :
« Occupés par nos activités de tous les jours, écrivait - il, nous vivons dans l'oubli des origines et nous restons ainsi endormis. Oulamine nous réveille de ce sommeil en nous rappelant à sa manière combien ce monde où nous vivons est précaire et fait de poussière. Il peut à chaque instant retourner au néant d'où il est issu. C'est en tout cas, ainsi que j'ai interprété la succession de quelques unes de ses toiles, en les regardant comme les moments successifs d'une cosmologie, le jour où, pénétrant dans son atelier, j'en ai fait le tour.

Il y avait d'abord un ovale blanc qui m'a semblé représenter la vie encore enveloppée d'où - 2ème toile - s'envolaient des mouettes : une première messagère de la vie sur la terre. Venait ensuite une gerbe de lumière jaillissant sur une toile comme l'écume d'une vague vient exploser dans la lumière du soleil. La répétition joyeuse de cet hymne à la vie était soudain interrompue par un cataclysme. Cette nouvelle explosion de feu n'était plus celle de la vie , mais, au contraire, sa conflagration.
Les âmes mortes des mouettes courant vers le néant d'une apocalypse. Cette fin d'un monde était figurée par une boule de feu, bientôt transformée en une fumée d'un noir intense. Puis c'était le gris des cendres juste avant l'émergence d'un grand soleil mort, un bloc blanc et glacé errant dans la nuit du cosmos.

Il m'a semblé, ce jour - là que le pointillisme d'Oulamine trouvait ici sa pleine justification. Loin de consister en une simple technique d'école, il convenait au rappel angoissé de ce que nous avons oublié, que ce monde n'est qu'un fragile agrégat de poussière et de sable dont la consistance reste précaire. Un conflagration possible à chaque instant, peut le désintégrer et détruire à jamais la vie.

Cette lecture « apocalyptique » d'une œuvre dont la disposition, dans cet atelier , qui n'était peut - être pas due au hasard, était probablement subjective. Mais comment faire autrement ? Notre rapport visuel au monde qui nous entoure et nous fait signe est toujours dialogue avec ce monde. D'autres, très certainement, trouveront dans l'œuvre d'Oulamine des enseignements différents ».

"Non loin du rêve, les sujets prennent vie du côté intérieur de l'être tandis que la réalité s'y reflète, dissimulée derrière les voiles de l'imaginaire...Non loin de la théâtralité, le dialogue entre l'imaginaire et le réel se pare d'une réflexion sur notre perception de l'existence humaine et de la réalité"

L'artiste plasticien dont il s'agit est l'ex prisonnier politique, Saïd Hajji qui faisait partie avec Oulamine entre autres, du groupe "Kawki" auquel Georges avait alors apporté un appui très actif, par des écrits sur leurs œuvres, lors du premier festival d'Essaouira "la musique d'abord"(1980-81). Ce fut un moment essentiel qui marque la naissance de tout un mouvement culturel où s'inscrit ce groupe de peintres mais aussi les recherches ethnographiques sur Essaouira et sa région. Pour Georges Lapassade, le mouvement pictural des artistes singuliers d'Essaouira n'était en fait, qu'une « bombe à retardement » née de la peinture psychédélique qu'a connu la ville avec le mouvement hippie dix ans plus tôt au début des années soixante dix.
Maintenant Oulamine met davantage en avant son activité d'antiquaire du côté de la place de l'horloge, dont il nous dit que « si ce village est bleu et ses remparts ocres , les chiffres romains de son horloge en panne sont noirs ». Mais il n'en continue pas moins d'être l'artiste qu'il a toujours été. Il nous surprend en ce tout début de l'année 2010, en nous tendant un cahier d'écolier où il a griffonné au grès du temps qui passe des poésies méditatives qu'il a composé pour meubler les silences par les mots comme il se plaisait à faire surgir du néant un monde imaginaire en procédant par pointillisme. Une poésie qui évoque en pointillé sa propre peinture, dont elle est en quelques sortes le miroir :

Terrasses
La médina a poussé de quelques mètres verticalement.
Les mouettes y ont trouvé refuge et y pondent leurs œufs.
Jadis elles le faisaient uniquement au large sur l'île
Ou sur les rochers inaccessibles aux ramasseurs de crabes
Et aux enfants qui pêchent les petits poissons
Appelés bouri ou gaougaou.
La médina a poussé aussi horizontalement
Mais c'est comme si elle ne l'avait pas fait
Puisque les mouettes la fuient
Et les chattes n'y font pas leurs petits.
Seuls ceux qui n'ont rien compris y aménagent
Et la prennent comme foyer.

Massacre
L'homme de ce pays , quel pêché lui reste - t - il à commettre ?
Quelle vie lui reste - t - il à anéantir ?
Où est la faune d'autrefois ? Où est le putois ?
Où est le lion de l'Atlas ?
A part l'âne, les rats, les chiens et les chats, je ne vois pas.
Le scorpion est enfermé dans la résine,
La femme est devenue gazelle.
La tortue qui rythmait les notes dans son espace
Aujourd'hui participe à la fausse note, devenue carcasse.
D'autres animaux, au lieu de courir dans la nature,
Ornent les murs des palaces.
Seuls quelques migrateurs échappent au massacre
Et le chacal tire encore le fiacre.

M'STAFA
Salut à toi, sage parmi les personnages !
Que tu sois là-haut dans les cieux
Ou là-bas dans le cimetière au fond de la terre, chante
Et fait danser kharboucha tout au long de la kasbah.
Distribue ton sourire et ta sagesse
A tous ceux qui séjournent
Ainsi qu'aux fidèles noctambules.
Où que tu sois, prince de Mogador,
Je te souhaite le paradis ainsi qu'à tous tes semblables.
Aujourd'hui que tout t'es égal,
C'est à mon tour de te demander :
« Entre la lune et les étoiles combien y-a-t-il d'intervalles ? »

Le vert
La couleur verte n'est pas morte, elle ne mourra jamais,
Je l'ai vu ressurgir après chaque pluie.
La terre est verte, l'émeraude, le jade le sont aussi.
Tout le monde se laisse emporté par sabeauté,
La verdure n'est autre que la vie.
Toi aux cheveux noirs tu resteras exclu

De toutes les sensibilités, tu mourras
Sans avoir goûter au brai sens de la vie.
Pour nous tous, chaque feuille verte est trésor renouvelé.
Tous les textes sacrés on en parlé,
Qu'elle soit ici sur la Terre ou dans le paradis.

Le berger
Comme la pluie est le lien entre le ciel et la terre,
L'eau des lacs est le miroir des étoiles (y compris Jupiter).
Les montagnes s'élèvent pour accueillir les gouttes messagères
Chaque goûte qui tombe porte en elle une vie particulière
Le berger a bien compris le message depuis des millénaires :
Il joue sa musique tout le long des rivières
Pour maintenir en harmonie ce dialogue entre le ciel et la terre
Gardant l'œil sur la chèvre qui danse sur les branches
Avec une joie singulière.
Un autre jour
Que je sois la montagne et toi le volcan
Que je sois le feu et toi la flamme
Que je sois l'eau et toi son âme
Que je sois le père et toi l'enfant
Que je sois la parole et toi le son
Que je sois le sourd et toi le muet
Que je sois la musique et toi le rythme
Je sais que demain ne sera jamais le même.

Le voyage
Chaque naissance est un nouveau départ
Pour un nouveau long voyage
Les sentiers se croisent et se recroisent
Tout le long de la ruée vers je ne sais quels rivages
En plein vacarme les cris de joie et de détresse
Se mélangent avec le bruit des orages
Toute chose vivante empreinte le chemin quelle aura choisi
Avec ou sans bagage .
Quelque soit son âge l'homme ne maîtrise en réalité
Que trop de bavardages
Bien sûr le voyage continue après la mort
En silence terrible et discrètement sage.
Abdellah Oulamine, et son chat dans son magazin d'antiquaire place de l'horloge
Muré dans un silence « terrible et sage », Oulamine n'en continue pas moins d'observer les contradictions qui minent une ville où « les choses ne tournent pas comme on souhaite » :
« Le vent souffle du nord, mais les gens l'attribuent au sud »
Et de conclure avec le Mejdoub qu' « il faut se rappeler que cette cité, si belle, si bleue et noire, sera noyée tôt ou tard comme l'a prédit un lucide vieillard »

Entouré de vieux tapis, de mobiliers du haut Atlas et de bijoux berbères, il compare l'inconstance de l'homme au comportement trempe l'œil du caméléon et observe méditatif que « seul l'or se montre toujours tel qu'il est : il n'a rien à cacher à personne quel qu'il soit le lieu. C'est ce qui fait attirer sur lui tous les regards ». Il a parfois envie de fuir loin de cette ville où tous les rêves se brisent violemment au pied des murailles , symbole par excellence de l'embargo eternel. » Ce qui lui donne parfois l'envie de sauter par-dessus ces murailles de l'enfermement pour s'en aller ailleurs, « en haut des cimes de l'Atlas ».
Abdelkader Mana
17:14 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts, poèsie | |
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31/12/2009
La printanière
La procession printanière
Qasida du genre Malhûne de Mohamed Ben Sghir

L'arrivée des Regraga à Essaouira, Roman Lazarev
Nous nous empressons par petits groupes à accueillir les Regraga
Leur procession printanière arrive déjà à Essaouira
Les larmes de joie scintillent les regards,
Une nouvelle aube éblouissante traverse de part en part.les horizons
Vois scintiller au firmament,le divin soleil
Il a jeté son filet de lumière sur chaque pétale de fleur
Vois perler à l'ombre, la rosée sur chaque fleur et chaque feuillage
Vois la nature se pavanant, saupoudrée d'or
De perles de diamants, d'émeraude et d'or
On dirait des guirlandes suspendues aux feuillages des arbres
La danse colorée, équarquille les regards
La danse colorée chavire la raison de stupéfactions
Feuillage doré, perlé des dernières gouttelettes de pluie
Qui aurait vu ainsi le soleil mêlé de pluie au milieu des jardins en fleurs
En averse comme en éclaircie, l'eau transparente illumine l'univers

Le revoilà le beau seigneur sur sa jument blanche,
Jetant sur la ville,du haut du promontoire d'Azelf ,son regard et ses prières
Parmi tant de récitants du dhikr et de danseurs de l'extase
C'est sur moi qu'il a jeté finalement son dévolu
Il m'a pris sur sa monture et ensemble
Nous frayâmes la foule des pèlerins tourneurs du printemps
De sa propre main, il m'accorda offrande de dattes et de lait
Il m'asseya sur son tapis de prière et me recouvrit de son haïk de lumière.
Cependant qu'autour de nous les gens ne cessent de tomber en transe
Cependant que je ne cesse de sangloter d'extase, de regret et de repentir.

Roman Lazarev
Voici que se dissipe l'ondée dont s'abreuvent d'innombrables créatures
Voici l'éclaircie du soleil jaunissant qui a du mal à nous quitter
Mon compagnon me dit :
« Pauvre astre, qui nous adresse ses adieux, par sa chevelure dorée
Ses amours sont pure perte, en ceux qui ne les méritent pas. »

Les fantassins faisant exploser leur baroud lors de l'arrivée des Regraga. R. LAZAREV
La terre est maintenant une trame de couleurs étonnantes
Eblouissement des sens où errent les poètes
Comment l'eau incolore donne -t- elle des fleurs multicolores ?
Le bleu, le blanc, le jaune, le rouge et tant d'autres indicibles colorations
L'eau incolore, donne pourtant des fleurs de toues les couleurs :
Comment reverdit - elle les plantations ?
Comment alourdit - t - elle de fruits les branchages ?
De grappes d'abricots et de raisins gorgées d'eau,
De poires et de pommes déjà mûres,
De grenades perlées, de juteuses oranges...
Peut-on me dire d'où viennent tous ces éblouissants fruits de la terre ?

L'arrivée des Regraga à Essaouira
Traduction: Abdelkader Mana
00:32 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèsie, pèlerinages circulaires en méditerranée | |
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28/12/2009
La bataille d'Isly
La bataille d'Isly

La conquête de l’Algérie par les Français, à partir de 1830, mettait le Maroc en présence d’une situation nouvelle. Sollicité par l’émir Abd el-Qâder, le sultan Moulay Abd er-Rahmane (1822 – 1859) lui avait accordé un asile, puis une armée. La garde royale (mehalla marocaine) soutenait l’émir Abd el-Qâder et menaçait les opérations de Bugeaud. Aprè de longues hésitations devant l’attitude menaçante de l’Angleterre, la France se décida à une double expédition : par terre sur Oujda et l’oued Isly (d’où le nom de « la bataille d’Isly »), par mer, sur Tanger et Mogador. On trouve dans kitâb al-Istiqçâ fi Akhbâr al-Maghrib al-Aqçâ de Ennâçiri Esslaoui, une description vivante de cet évènement dramatique du point de vue marocain :
« En 1259/1844, les Français étaient maîtres de tout le territoire du Maghrib Moyen , tandis que Elhâdj Abdelqâder ben Mahi Eddin allait et venait sur les confins, tantôt dans le Sahara, tantôt chez les Béni Yznâsen, tantôt à Oujda et dans le Rif . Peut-être dans ses allées et venues, y avait-il autour de lui un grand nombre de sujets ou de soldats du Sultan ? Les Français, envahissant alors l’Empire du Sultan (que Dieu lui fasse miséricorde !) dirigèrent plusieurs incursions contre les Béni Yznâsen et contre Oujda et les environs. Ils prirent Oujda par surprise et livrèrent cette ville au pillage. Leur brigondage désolait la frontière. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) leur ayant adressé des représentations sur cette violation de son territoire, ils répondirent que le fait d’avoir fourni à plusieurs reprises à Elhâdj Abdelqâder des chevaux, des armes et de l’argent, la guerre qui leur avait été faite par les troupes régulières du sultan massées sur la frontière, et la présence des Béni Yznâsen dans les rangs de l’armée d’Elhâdj Abdelqâder, constituait une violation de la trêve, sans compter d’autres arguments qu’ils mettaient en avant.

Les affaires s’aggravant, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) résolut de déclarer la guerre aux Français. Il invita les habitants des ports à se tenir prêts,à faire bonne garde et à se préparer à toute éventualité. Il donna à son cousin le commandement d’un détachement de réguliers et l’envoya dans la direction d’Oujda. Voici à ce sujet, ce qu’écrivait le Vizir Ben Driss pour appeler au combat la population du Maghrib, les exciter à la guerre sainte et réveiller leur aspiration dans ce sens :
« O habitants de notre Maghrib, il est juste de vous appeler à la guerre sainte : le droit ne se trompe pas.
Le polythéisme est à votre porte du côté de l’Est : il a déjà imposé l’injustice aux gens de votre religion.
Ne vous laissez pas séduire par la douceur trompeuse qui déjà s’est transformée en colère contre l’Islam.
Car il possède toutes sortes de stratagèmes qui défient toute l’intelligence des jeunes et des vieux. Les principes de la trahison commencent à ses bagues : la trahison et le mal abhorré sont sa règle de conduite. C’est vous qu’il vise. Ne restez pas en paix : le repos devant les ennemis est une déchéance. Celui qui reste dans le voisinage du mal sera frappé par le malheur.
Comment vivre quand on a des serpents dans son panier ? L’homme noble désire la gloire qui le rend eternel, et celui qui vit dans l’avilissement n’est pas heureux. »
Le commandement des troupes fut confié au fils et khalif du Sultan, Sidi Mohamed ben Abderrahman, qui se mit en route et établit son camp au bord de la rivière d’Isly, dans l’obédience d’Oujda. Elhâdj Abdelqâder parcourait toujours le pays, n’ayant plus avec lui qu’environ 500 cavaliers du Maghrib Moyen..Quand le khalif Sidi Mohamed, arrive à l’oued Isly, y eut établi son camp Elhadj Abdelqâder vint lui demander une entrevue. Le khalif le reçut à cheval et eut un entretien avec lui. Entre autres choses Elhadj Abdelqâder lui dit :
"Vous avez été mal inspiré d’apporter avec vous ces tapis, ces effets et tout cet appareil que vous avez placé ici devant le front de l’armée de cet ennemi. N’oubliez pas que vous ne devez jamais vous trouver en face de l’ennemi sans avoir tout plié, et sans laisser une seule tente plantée sur le terrain. Sinon, dés que l’ennemi apercevra les tentes, c’est sur elles qu’il se dirigera, et il n’hésitera pas à perdre pour elles tous ses soldats."
Driss Oumami
Il expliqua aussi la façon dont il combattait les Français et certes il avait raison de tenir ce langage, mais il ne produisit aucun effet, parce que les cœurs étaient déjà gâtés. Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu.
Dans la nuit qui précéda le combat, deux arabes du pays arrivèrent au camp et demandèrent à être introduits auprès du hâjib (chambellan). Arrivés auprès de lui, ils lui dirent :
- L’ennemi se dispose à surprendre demain matin : préparez vous à le recevoir et préparez votre général.
On prétend que le hâjib leur répondit :
- Le général dort à ce moment : ce n’est pas moi qui le réveillerai.

Après eux, quatre autres hommes vinrent donner des informations sur l’ennemi : ils furent reçus comme les premiers. A l’aube, le khalîfa venait de terminer sa prière quand une dizaine de cavaliers, arabes selon les uns, gardiens du khalîfa selon les autres, arrivèrent pour lui annoncer que l’ennemi était en route et qu’ils l’avaient quitté au moment où il commençait à lever le camp. Le khalîfa (Dieu lui fasse miséricorde !) donna l’ordre de monter à cheval et de se tenir prêts : personne ne devait rester à la mehella, sauf les fantassins qui étaient moins d’un millier. Il envoya l’ordre de se mettre en selle aux Béni Yznâsen qui arrivèrent par milliers, et qui étaient presque aussi nombreux que les troupes du khalîfa. Les cavaliers marchèrent contre l’ennemi, rangés en bataille à perte de vue, leurs étendards flottant au – dessus d’eux. Ils offraient un spectacle surprenant et présentaient un ordre magnifique. Au milieu d’eux marchait le khalîfa, avec le parasol ouvert au – dessus de sa tête, monté sur un cheval blanc et vêtu d’un manteau rouge, se distinguant des autres par son extérieur et son appareil. Quand les deux armées se rapprochèrent, des lignes de cavaliers se mirent à se porter en avant, comme pour hâter le combat. Mais le khalîfa ordonna aussitôt le calme, la dignité et une marche prudente. Puis, les deux troupes se trouvant face à face, le combat s’engagea. L’ennemi observait surtout le khalîfa et dirigea plusieurs fois le tir sur lui ; une bombe vint même tomber devant le porte – parasol, son cheval s’emporta et faillit le désarçonner. Voyant cela, le khalîfa changea son aspect extérieur. Il fit replier le parasol, monta un cheval baie qu’il se fit amener, et mit un autre monteau. De cette façon, il disparaissait dans la foule. Les musulmans avaient jusque – là , brillament repoussé l’ennemi et lui avaient infligé des pertes sérieuses, leurs chevaux s’effrayaient, des bruits des canons, mais ils les éperonnaient vigoureusement et ils tenaient ferme contre l’ennemi. Mais quand se tournant du côté du khalîfa, ils ne le virent plus, à cause de son changement d’aspect, ils furent pris de peur, car des alarmistes disaient qu’il était mort. Aussitôt le désordre se mit dans leurs rangs. Les chrarda se hatèrent vers la mehalla et, se rendant maîtres des tentes où était l’argent, s’en emparèrent, s’entretuèrent pour se l’arracher. Ceux qui étaient dominés par l’effroi les suivirent, les autres s’esquivèrent peu à peu, de sorte que l’armée fut battue sur tous les points. Un des personnages de son entourage vint annoncer au khalîfa que l’armée était défaite et que les hommes se tuaient et se volaient dans la mehalla. « Gloire à Dieu ! » s’écria-t-il, et, se retournant, il constata la conduite effrayante des troupes, et battit en retraite, les gens qui étaient restés avec lui furent mis en déroute jusqu’au dernier. L’ennemi les poursuivait et lançait sans discontinuer des boullets et des obus. Heureusement, quelques artilleurs tinrent solidement à la mehalla, mais la rivière se mit à couler et submergea ses rives habituelles. Les ordres de Dieu reçurent leur exécution, et se furent les Musulmans seuls qui battirent les Musulmans, ainsi que vous avez pu le voir.

L’ennemi s’empara de la mehalla, et, les pillards s’étant enfuis devant lui, il en resta maître avec tout ce qu’elle contenait. Ce fut une calamité cruelle, un désastre considérable, tel que n’en avait pas encore subi la dynastie chérifienne. Ce triste évènement eu lieu le 15 chaâban 1260, à 10 heures du matin.
Les troupes défaites battirent en retraite et se dispersèrent de tous côtés. Mourant de soif,de faim et de fatigue, les gens se laissaient dépouiller sans resistance par les femmes des arabes Angâd. Le khalîfa parvint jusqu’à Taza, où il resta quatre jours, pour attendre les fantassins et les faibles débris du gueïch, puis rentrer à Fès. »
Les chroniqueurs rapportent que le sultan, qui venait de Marrakech et se trouvait à Rabat, apprit la nouvelle et repartit à marche forcée pour Fès. Pendant son voyage, il fut informé successivement du bombardement de Tanger par la flotte de Joinville (6 août 1844) et de celui d’Essaouira par les mêmes unités, avec débarquement de 500 hommes sur l’îlot sis à l’entrée du port (15 août 1844). Cela accrut la fureur du sultan, qui fit raser la barbe à un groupe de caïds de l’armée.
Abdelkader MANA
00:38 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, isly, oujda, tanger | |
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