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07/12/2011

Mohamed Tabal et les voyantes médiumniques

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Pour symboliser les deux grandes fêtes du calendier lunaire, Mohamed Tabal a peint cette fiancée au tatouage berbère avec un croissant de lune à un oeil et un béllier en dessous pour signifier la fête du sacrifice, et un croissant de lune pour l'autre oeil pour symboliser la fête du mouloud où les voyantes médiumniques des gnaoua se rendent en pèlerinage à leurs lieux saints.

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 A l’occasion des fêtes du mouloud, toutes les moqadma des Gnaoua se doivent d’organiser une lila. Une nuit de transe. Elles effectuent  aussi le pèlerinage à leurs saints protecteurs. Leurs esprits et leurs djinns. A chacune ses esprits protecteurs. Il y a celles qui sont les protégées de Sidi Ali Ben Hamdouch et de Lalla Aïcha avec toutes ces variantes : Aïcha la Dghoughi, Aïcha la bleu ciel, Aïcha Kandicha. Elles effectuent le pèlerinage à tous ces lieux dés le premier jour de la de la nativité d Prophète. En ce moment, on trouve les pèlerins sur les routes du pèlerinage à Sidi Ali . Ceux qui sont les protégés de Moulay Brahim, y conduisent leurs sacrifice. Il s’agit des moqadmas qui doivent se rendre à Moulay Brahim. Et il y a celles qui se rendent à Tamsloht. Ce sont les trois lieux saints auxquels elles doivent se rendre en pèlerinage.Bien avant de rencontrer maâlem Mahmoud, Malika vivait à Marrakech où elle participait à des lila au mois lunaire de chaâbane et à la fête du mouloud.

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 «  La moqadma n’est pas en charge de son seul état,nous explique-t-elle : elle se rend en pèlerinage accompagnée de ses malades. C’est ce que j’accomplis moi-même, depuis 1985 , année où j’ai intégré cet ordre des voyantes médiumniques alors que je n’étais encore qu’une jeune fille. Je soigne les malades psychiques qu’ils soient hommes ou femmes. J’ai soigné des femmes qui étaient folles et des femmes stériles. Des filles qui n’avaient pas de chance dans leur travail. Des hommes qui ne connaissaient rien au mariage. Ils avaient peur rien qu’à entendre parler du mariage !"

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A la nativité du Prophète, elle prend son balluchon de tissus de couleurs, ses autres accessoires, benjoins et encens et prend la direction de Marrakech , pour y rencontrer ses possédés. Pour que ces derniers se portent bien, il faut qu’ils viennent accorder les offrandes promises aux divinités. Ces offrandes qu’ils présentent chaque année :

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« Il y a celui qui offre un sacrifice de bouc, il y a celui qui sacrifie un bélier, il y a celui qui sacrifie de la volaille. Il y a celui qui offre l’habillement : tunique noire, tunique blanche, tunique verte. Selon. Il y a celui qui a pour offrande le sucre, les bougies et tous les accessoires de la lila. Il m’est indispensable d’organiser une lila à Moulay Brahim. Mes malades m’y apportent leurs offrandes ainsi que les dons en argent que j’offre au marabout. Je  rends visite à Moulay Brahim accompagnée de mes malades. Il y a des personnes qui sont empêchées de se rendre à ce pèlerinage, parce que la femme travaille, parce qu’elle est mariée et n’a pas le temps ; elle accorde son offrande à la moqadma qui se charge de la porter au sanctuaire. Tel le sacrifice et autres dons en monnaie ou en semoule. En tant que moqadma je réuni toutes ces offrandes tout en demandant aux malades comment elles se sentent ? Comment elles se portent ? »

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Pour les filles novices qui viennent d’intégrer l’autel des esprits ; il leur est indispensable d’accompagner leur voyante médiumnique à Moulay Brahim.  Là haut elles louent leur logis et font leur fête. Elles y réunissent leurs dons qu’elles vont offrir au lieu saint. Tel les sacrifices. Elles effectuent une circumambulation autour de Moulay Brahim et accordent leurs dons aux descendants du saint :

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« Après le sacrifice, les descendants du saint nous accordent uniquement la tête du bouc ou du bélier. Le soir on prépare le couscous avec cette tête et on accorde ainsi la baraka aux esprits. On prépare aussi le repas sans sel à base d’encens et de viandes fade. On prépare un autre plat de couscous autour duquel se réunissent les hôtes de Dieu de passage en ces lieux saints/ Chacun a droit à sa part de baraka. »

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"Les descendants de Moulay Brahim nous accordent leur baraka , que nous distribuons à toutes les filles qui nous accompagnent ainsi qu’aux autres possédés et on garde même leur part à celles qui ne sont pas venues. Cela consiste en henné, en sel, en levure, et en encens. Après quoi nous descendons vers la plaine en direction de Moulay Abdellah Ben Hceine."

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- Tout à l’heure, tu m’avais parlé de cette femme qui accorde le bouc rouge….

- Cette femme est « frappée » par Sidi Hammou : il désire qu’elle soit voyante et moqadma. Mais ses enfants en ont honte. Chaque année ils accordent un sacrifice au mois lunaire de Chaâban et un autre au mouloud.  Au mois de Chaâbane on organise la lila  chez moi : elle tombe en transe et tout le reste. Et au mouloud je l’emmène avec moi à Moulay Brahim. Elle y tombe en transe et doit y sacrifier et y boire du sang de son bouc. Elle reste avec moi à Moulay Brahim jusqu’à ce qu’on descend ensemble vers Tamesloht.

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-Pourquoi doit-elle s’abreuver de sang ?

-Parce que l’esprit Sidi Hammou aime le sang. Comment a-t-elle été frappée pour la première fois ? Elle a était « atteinte » de nuit, en lavant du sang menstruel à l’égout. En y versant de l’eau chaude sans demander la permission des esprits des lieux. Sans verser du lait. Elle fut « frappée » au moment où elle pressait ses mollets au dessus de l’égout. Elle perd conscience sur le champ. Depuis lors et durant trois années, elle vomit du sang. Chaque fois qu’elle tombe en transe, elle ressent une envie irrésistible de se mordre la peau. Elle ne s’apaise qu’à la vue du sang jusqu’au jour où on me l’a amené : en faisant « monter » les esprits, ceux –ci lui dirent : c’est Sidi Hammouqui t’a frappé et voilà ce que tu dois faire pour te faire pardonner. Elle organisa une lila et s’est sentie mieux. Mais l’esprit demandait davantage : il voulait qu’elle soit sa servante. Elle n’était pas encore soumise à sa volonté. Nous continuons à négocier sa reddition. Chaque il lui faut danser en état de transe. C’est indispensable. Elle ne doit pas se contenter de faire ses offrandes et partir. Il lui est indispensable d’offrir ses faveurs et de danser en transe. Que ce soit au mois lunaire de Chaâban ou au mouloud. Et qu’elle achète le sacrifice, et qu’elle achète le benjoin rouge, et qu’elle achète les bougies rouges qu’elle allumera au cœur du sanctuaire.

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 "A Tamsloht on est rejointes par le maâlem. Selon dépend des moqadma. Nous autres les moqadma novices on va à Tamsloht uniquement avec nos accessoires. Au cours de nos « manipulations », les gens se mettent à tomber en transe. Une fois que nous avons terminé une lila, ils se mettent à nous réclamer une autre. Si bien qu’au lieu de rester une journée à Tamsloht, on y reste une semaine entière. Et au lieu d’y organiser une lila, on y organise trois à quatre, c’est selon."

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 - J’aimerai que tu nous entretiennes des symboles de la lila. Il y a le lait,le feu…

- Il y a le fer. Il y a le bol d’eau de mer.

- Explique nous la signification de ces symboles? Que signifient le lait, les dattes ?

-  Pour ce qui est des dattes et du lait, ils sont les symboles de la paix : c’est par eux qu’on accueille les esprits. On leur souhaite ainsi la bien venue. Il y a les esprits mécréants et il y a les esprits croyants. Cela signifie qu’on les accueille par la fête , pour qu’ils soient heureux. La fête dont il s’agit, c’est la lila. Une rencontre propice au dévoilement de vos cœurs. Ceci pour le lait et les dattes. Après vient le bol des esprits marins : il est le symbole de la pureté. Car le bol des esprits marins est le symbole de la mer : quand quelqu’un est malade et se sent serré dans sa tête, il se sent soulagé en voyant la mer. Comme tu sais la mer contient beaucoup de vertus. Dans le bol on met de la menthe : cela veux dire qu’il ne faut pas que tu fermes tes yeux, le monde est vaste et ne se limite pas seulement ici. Vois combien l’univers est vaste, et combien l’espérance est grander renaît. L’océan est symbole d’espoir et la mer ne nous vient que du bien.

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Double lecture : recto, fiancée de l'eau, verso, aigle des cîmes

En pratiquant le zoom-out, on s'aperçoit que nous avons affaire à "une femme - oiseau".Le tableau se prête en effet à une double lecture : oiseau d'un côté, femme de l'autre.Tabal se livre souvent à cette acrobatie, puisque certaines de ses oeuvres se prête même à une quadruple lecture : où qu'on tourne le tableau, on obtient une nouvelle lecture, un nouveau sens.Chaque détail du tableau est une oeuvre en soit.Une polyphonie de sens, une symphonie de formes et de couleurs : il y a le crocodille et il y a l'instrument à corde aux yaux grandes ouvertes qui constitue en même temps une amphore pleine des essences fortifiantes et vitales...Et je tais d'autres sensations encore...Plus on scrute le tableau, plus on en découvre de nouveaux détails et de nouvelle signications : le béllier du sacrifice, la calligraphie faite chose, l'oiseau étrange, les hommes vaquant à leur vie quotidienne en milieu rural....

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Mohamed Tabal

On offre du miel à Sidi Hammou, en lieu et place du sang qui est quelque chose d’impure : si le sang était bon on l’aurait pas rincé de nos vêtements. Au lieu du sang, on te met du miel à la bouche. Au cours de la devise des rouge, il y a celui qui n’a qu’une envie : étrangler , mordre, manger de la viande crue. On lui substitue le sang par le miel : le mal par le bien. Ce qui est quelque chose de sucré et bon.

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Vers la fin de la lila, on allume le feu pour éclairer les esprits sauvages. Quand on arrive à l’étape des esprits noires ; on opte pour le blanc, pour signifier que nous sommes encore sous la protection des esprits saints. Même si nous nous sommes possédés par les esprits noirs, nous expulsons ces mécréants par le feu et nous appelons les croyants en se couvrant des draps blancs. On distribue les bombons et les confiseries aux filles : cela veux dire que nous avons expulsé les esprits mécréants par le feu et nous accueillants les esprits croyant par les sucreries.

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Y-a-t-il un lien entre la lila et l’univers ? Entre la lila et les manifestations de vie et de mort ?

-  Le lien réside en ce que Dien le plus haut a crée le monde, il a crée en même temps le djinn et l’humain. Ils ont leur vie et nous avons la nôtre. Pou la femme chaque enfantement est un traumatisme , après lequel elle n’a plus envie d’accoucher durant deux à trois ans. Mais le jour où elle tombe enceinte, son espoir renaît en ce monde. Psychiquement, elle n’accepte pas d’avoir un mort-né. C’est là qu’intervient le rôle des djinns. Elle pleure de jour comme de nuit. Au point que sa foi en Dieu faiblit. Elle en vient à se demander si les djinns ne lui avaient pas dérobé son bébé?  S’il n’a pas été frappé par le mauvais œil ? Elle se sent possédée ; s’éveillant de nuit et dormant de jour. Et qui y-at-il dans la nuit ? La nuit est peuplée de djinns. Ce sont eux qui ont possédé cette dame. Elle commence à tomber en transe : elle crie. Elle ne trouve plus guère d’apaisements que dans la transe. Quand le maâlem joue les devises  de « hadya », d’il n’y a de seigneur qu’allah ou encore celle de « ô koubayli, ils ont emporté les miens »…Le maâlem chante à ce moment précis la souffrance qui la taraude : elle se met à crier quand lui chante, parce qu’il atteint ses pulsations vitales. Son éros en souffrance. C’est le lien qui unit la danseuse au musicien.

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 Combien de femmes espèrent se marier mais à l’heure où le destin allait sceller la liaison tout se désintègre : le mari s’enfuit, le mari meurt, il s’est peut-être marié avec sa propre amie. Comme si le diable l’a « enveloppé » (katelbass). Son plus ardent désir est de quitter au plus vite sa situation de recluse à l’intérieur du foyer. C’est en le quittant qu’elle trouve l’apaisement. En se réfugiant dans une enceinte sacré tel Sidi Rahal ou bien Bouya Omar où résident les fiancée folles. Les  sevrées d’amour. A Sidi Rahal elle trouve les Jilala, les maîtres de la transe : pour retrouver l’apaisement elle doit danser aux rythmes des Jilala.

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L’homme qui paraît n’accorder aucun intérêt aux femmes est souvent possédé par Aïcha. Quand sa maman l’accompagne en consultation chez nous en nous disant : je désire le marier. Nous découvrons que son « problème » s’appelle Aïcha. C’est elle qui le ligote en créant des nœuds dans sa vie : mtaqfah. Il te dit lui-même qu’il désire se marier , mais en réalité, il ne passera jamais à l’acte. Il faut qu’il accomplisse les rituels nécessaires pour qu’Aïcha le délivre. L’homme doit toujours se frotter à la femme. Il doit toujours s’égailler de la féminité, ne jamais rester seul. Quand il reste seul, Aïcha le ligote. C’est elle la castratrice de beaucoup d’hommes. Le rôle de Sidi Ali est de les en libérer. Si nous avions un peu de temps, on se serait rendu à Sidi Ali. Les problèmes qu’on y rencontre sont ceux des hommes plus que des femmes. Des hommes castrés par Aïcha. Ils lui sacrifient dans sa grotte pour qu’elle les libère pour qu’ils puissent se marier et retrouver leur virilité et leur masculinité. C’est le genre d’hommes qui n’aiment pas se réunir avec les autres hommes. Ils préfèrent le boudoir des femmes et les jupes de femmes, où ils chantent et rient. Cela veut dire qu’ils sont possédés par Aïcha.

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« Combien d’hommes j’ai reçu ici accompagné de sa mère, me disant qu’il veut se marier. Mais au moment où la porte est bien dressée sur sa poutre (expression qui veut dire : au moment où tout est prêt), il te dit : Non ! Il n’y a pas de fille qui me mérite ou que je mérite. En consultant l’autel des esprit je découvre qu’il est possédé par Aïcha !

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En négociant avec elle, nous lui disant :

- Est – ce lui l’objet de ton désire ?

Elle nous répond :

- Cet homme, je le veux ! Je désire me marier avec lui ! Il mourra s’il désire une autre femme !

Nous lui demandons :

- Que veux – tu au juste ?

Elle nous répond :

- une vache à chaque moussem.

C’est son exigence pour le libérer. A condition que la femme avec laquelle il se mariera ne doit jamais lui interdire de rendre hommage à Aïcha. D’un samedi, l’autre, il doit s’encenser. D’un moussem, l’autre, il doit se rendre en pèlerinage. Il doit sacrifier. Quand une lila a lieu ; il doit y assister et y offrir ce qui est nécessaire à son déroulement. Aïcha peut lui rendre visite de nuit. Elle gâtera ses désires d’elle. Ce sont là ses conditions. Maintenant il a donné naissance à trois enfants et se porte à merveille.

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 -Il a trouvé la femme…

- Oui, une femme qui l’a accepté.

- Parce qu’auparavant les femmes n’en voulaient pas ?

- Il y a celles qui hésitent

- Il y a ceux que les femmes ne désirent pas

- Oui.

- Cela veut dire qu’Aïcha l’empêche et à chaque fois qu’il s’approche d’une femme..

- Elle s’empresse de le fuir. Quand il l’aborde pour la première fois, elle lui dit : « Oui ». Mais le lendemain elle lui dit : Non ! Je ne veux pas de toi. C’est un nœud, un tqaf. C’est comme si Aïcha effarouchait les autres femmes de s’en approcher.

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-  Y-t-il des lila particulières que les gnaoua et leurs possédés doivent organiser à des moments favorables, telles les nuits de pleine lune ou de demi lune. Y-t-il un lien..

-  Avec les planètes ? Il y en a. Il y en a qui concernent Aïcha et il y en a qui concernent Malika. Ils ont une relation avec les planètes. Ils présentent leurs vœux en période de pleine lune. C’est du domaine de l’astrologie. Il y a celui dont le signe est de feu et il y a celui dont le signe astrologique est de nature terrienne. Le remède de chacune dépend de la nature de son signe astrologique. Voici ce qu’il faut faire et voilà le moment propice où il faut faire. Par exemple pour ce qui concerne l’homme, il doit s’abstenir de se raser les cheveux à certaines périodes particulières.

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« Il faut compter les lettres qui composent ton nom. Savoir avec précision quand tu es né. Ton esprit libre. Des procédés magiques qui nous permette de te « lire » entièrement. C’est de cette manière qu’on arrive à identifier le djinn qui te possède. S’agit-il d’un mâle ou d’une femelle ? Que veulent de toi, ces esprits possesseurs ? Que te réclament-ils ? Te veulent-ils du bien ou du mal ? Nous on se contente de dire : je suis possédée par Aïcha, je suis possédée par Mira. Mais qu’est ce que tu as réellement ? Est-ce que cet homme te veut du bien ? Êtes vous d’humeur compatibles ? » 

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Mohamed Tabal

Les Gnaoua, les vrais, ne travaillent pas le samedi. La nuit du vendredi au samedi est celle des esprits sauvages. Les Sabtaouiyne (ceux du samedi) sont mauvais. As – tu  jamais assisté à une lila (nuit rituelle) des sabtaouiyne (ceux du samedi) ? Ils réclament des choses mauvaises. Ils peuvent par exemple te demander quelques choses des latrines, ils peuvent te demander du sang, ils peuvent te demander un cadavre. Tant qu’ils le peuvent les gnaouas qui prient pour le Prophète, comme tu sais,  évitent cette nuit du vendredi au samedi. Ils lui préfèrent les jours du lundi et du vendredi, et évitent le mercredi porte malheur.

 

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- Ce point concernant les esprits juifs du samedi, nous amène à parler de la religion des esprits possesseurs :il y a ceux qui sont musulmans, ceux qui sont juifs et ceux qui sont chrétiens. Et on dit que les esprits possesseurs juifs sont les plus difficiles à déloger ?

- Ce sont des êtres semblables à toi. Vous avez votre religion et j’ai la mienne. Et nous n’avons crée Adam que par la foi. Nous répond Mahmoud Guinéa.

- On raconte qu’au nord d’Essaouira, existait un figuier hanté par un serpent auquel les femmes des gnaoua présentaient des offrandes. Elles organisaient une fête saisonnière sous cet arbre.

- C’est Sidi Abderrahman. Depuis l’âge de douze ans, je m’y rendais en pèlerinage avec tous les gnaoua d’Essaouira. Chaque année on y festoie durant sept jours à partir du septième jour de la fête du sacrifice. De leur vivant nous y  accompagnaient  les serviteurs, lakhdam, ainsi que la troupe des gnaoua . Il y avait un lieu où on dansait en transe, où on organisaient cette fête annuelle,  immolant sous cet arbre hanté par un grand serpent qu’on appelait Sid –El- Hussein. On l’encensait et on tombait en transe. Lors du rituel cette créature sortait mais sans faire de mal à personne. J’ai accompagné les Gnaoua  près d’une vingtaine d’années à ce sanctuaire de Sidi Abderrahman Bou Chaddada.

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 « Parler de ce figuier, poursuit Mahmoud Guinéa, nous amène tout naturellement à évoquer le gunbri . Ton père, que Dieu ait son âme, m’a appris deux choses à ce propos ; que les Gnaoua ont deux instruments à cordes :  aouicha – qu’il fabriquait devant moi- et le gunbri. Et que celui qui n’a pas pratiqué aouicha, ne devait pas toucher au gunbri. Et votre père, que Dieu ait son âme, d’ajouter que les premiers Gnaoua confectionnait leur gunbra à base d’une grande courge évidée et desséchée. Mais quand ils ont découvert que le figuier donnait de meilleures résonances ; ils ont commencé dés lors à en fabriquer leur gunbri. »

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Dans le temps les premiers gnaoua étaient venus avec un gunbri  à base de courge comme tu as dit, confectionné d’une manière africaine. Après quoi ils ont adopté le figuier pour sa belle résonance, sauf que sont instrument est habité, hanté, maskoun. Son maniement nécessite purification. On ne doit pas y toucher en état d’ivresse. Car le figuier s’est sanctifié par les nombreuses années qu’il est resté sur cette terre avant d’être coupé pour en faire le gunbri. Donc, elle est déjà habitée, hantée, maskouna. Le maâlem lui accorde toute son attention en l’encensant. Le gunbri vieillit aussi : passé quarante ans, il se met à résonner tout seul quand tu le suspend au mur. Il parle tout seul la nuit.

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- Tu sens comme si quelqu’un raclait ses cordes, me dit Guinéa. Le tambour, bouge lui aussi. Tu entends sa résonance.Pendant longtemps les instruments des maîtres disparus sont restés dans la zaouïa comme des antiquités sacrées auxquelles personne n’osait toucher. On se contenter de les visiter pour en recueillir la baraka.

-Lorsque j’écrivais mon livre sur les Gnaoua,lui dis-je, l’un des  maâlem , Paka que Dieu le guérisse ou Guiroug, m’a raconté qu’enfants ils se rendaient à la zaouia de Sidna Boulal, où ils rejoignaient Mahmoud Guinéa et ils allaient ensuite confectionner aouicha, la petite guitare à table d’harmonie en zinc qui leur servait à s’exercer avant de jouer au gunbri.

- On était alors en période d’apprentissage : dés notre prime enfance, on était des amateurs de Gnaoua. On confectionnait notre instrument en se servant du zinc en guise de table d’harmonie et du nylon en guise de cordes. Et on se servait des boîtes de conserve de sardines pour confectionner les crotales. Et on allait s’amuser ainsi au village de Diabet. Une fois, alors que nous étions encore tous jeunes, la tombée du jour nous a surpris dans la forêt de Diabet où nous nous sommes mis à scander Charka Bellaydou, une devise des gens de la forêt. Très sérieusement, dés que nous avons entamé ce chant, nous apparu alors, surgissant de nulle part, une sorte de Kinko A l’apparition de cette énorme créature, nous prîmes la poudre des escampettes. Fil blanc, fil sombre était la lumière dans les jardins de Diabet, près de l’oued.

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- Au début tu accompagnais ton père , que Dieu ait son âme, en simple qraqbi (joueur de crotales) . Ton père jouait du gunbri et tu as commencé tout jeune en tant que qraqbi et en tant que jeddab (danseur rituel). Tu jouait Kouyou, la partie ludique du rituel. Un jour ils t’ont préparé une gasaâ(plat de couscous) pour te reconnaître en tant que maître de la nuit et du gunbri.

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- A la zaouïa, ils m’avaient préparé une grande gasaâ, de couscous, semblable à celle des Regraga décorée de bonbons, d’amandes et de noix. Les Gnaoua étaient encore tous vivants. Ils m’ont béni et j’ai commencé à jouer. Mon jeu leur a plu. C’est de cette manière qu’ils m’avaient reconnu en tant que maâlem. Ce n’est pas le premier venu qu’on recrutait ainsi. N’importe quel profane, apprenant sur cassette, se prétend maintenant maâlem. Pour le devenir vraiment, il faut l’avoir mériter à force de peines. Maâlem , cela veut dire beaucoup de choses. Il faut être vraiment initié à tout ce qui touche aux Gnaoua : apprendre à danser Kouyou,à jouer du tambour, à chanter les Oulad Bambara , a bien exécuter les claquettes de la noukcha . Il faut savoir tout jouer avant de toucher au gunbri, qu’on doit recevoir progressivement de son maître. Maintenant, le tout venant porte le gunbri et le tout venant veut devenir maâlem.

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D’Afrique ils avaient amené avec eux la danse su sabre et des aiguilles. Ils dansaient également  avec un bol rempli d’eau de mer contenant un petit poisson des rochers couleur d’algues dénommé BOURI. Cette danse s’effectuait quand on invoque la cohorte des mossaouiyne, les esprits de la mer…

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Abdelkader Mana

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14:02 Écrit par elhajthami dans Arts, Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts, psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

26/05/2011

Lapassade au 1er festival des Gnaoua

Ce texte est un inédit de Georges Lapassade que vient de me transmettre notre ami commun Jean françois Robinet. Il s'agit de la communication que Georges avait adressée au colloque du premier festival des Gnaoua depuis Paris, puisqu'il a quitté définitivement Essaouira en 1996 pour raison de santé. Mais il en a gardé la nostalgie jusqu'à sa mort au mois de juillet 2008 (voir dans ce blog les autres textes consacrés à notre regretté maître).On trouvera à la fin de ce texte "une dédicace à Georges Lapassade": un ensemble de liens internet vers des sites qui lui rendent hommage

Le médiumnisme chez les Gnaoua

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Par Georges Lapassade

A l’occasion du colloque d’Essaouira (5 juin 1998) je propose,dans les lignes qui suivent, quelques réflexions sur le médiumnisme chez les Gnaoua marocains. J’entends ici par médiumnisme, comme le veut le sens courant de ce terme, la pratique essentiellement divinatoire consistant à incarner, en état de transe, une entité surnaturelle dans une situation, souvent, de consultation, ou de prophétie, etc. (je ne prends pas en compte ici le fait que le même terme a un sens un peu différent dans le spiritisme occidental) .

Mon travail sur le médiumnisme chez les Gnaoua, et plus précisément ceux d’Essaouira, a été particulièrement tardif. Dans les premiers temps en effet, à partir de 1969, je cherchais plutôt à décrire le rite des Gnaoua dans sa liturgie avec la partie spectaculaire des Kouyou et des Ouled Bambara suivie de la partie impliquant les transes dites de «possession » avec invocation et incarnation des saints et des mlouk C’est seulement plus tard que j’ai commencé à m’intéresser à l’autre dimension de ce culte, a savoir la présence d’un médium (ou plusieurs) dans le rite de possession et aussi, et surtout dans la séance de divination (au cours de la consultation au domicile du médium, surtout).

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J’ai d’abord interrogé longuement sur ce point, le maâlem Boubeker d’Essaouira. Et de ces entretiens, effectués avec l’aide de B.Lakhdar et d’A. Maghnia au musée d’Essaouira pendant l’été 1985,j’ai rendu compte dans un article intitulé « La voix de son melk»,article publié par la revue Quel corps ? en 1986. Cet article constitue l’une des bases de ce qui suit.

Puis, au cours de l’été 1996, toujours à Essaouira, j’ai pu finalement rencontrer Zeida, la fille de Boubeker, qui a succédé à sa mère Aicha dans le métier de voyante médiumnique, ainsi qu’une autre voyante, Jmia, qui entre elle aussi en transe médiumnique au cours de ses consultations.

Enfin, j’ai suivi avec profit le travail d’A. Chlyeh (en cours de publication)sur les Gnaoua d’Essaouira (et de Marrakech) et leurs pratiques thérapeutiques comme on pourra le constater par les quelques emprunts que je fais ici à ce travail.

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 1 La talaâ

On appelle talaâ, au Maroc, une prêtresse qui fait partie de la confrérie des Gnaoua de Sidna Bilal ; elle joue un rôle essentiel dans l’organisation et l’animation de la derdeba.Elle est spécialisée dans une forme de voyance fondée sur la transe de possession médiumnique : les mlouk – ses mlouk– parlent par sa bouche. Sa capacité médiumnique est souvent héréditaire mais dans certains cas, cette vocation est apparue au cours d’une maladie initiatique.Pendant cette crise, elle était possédée par les mlouk qui la tourmentaient : ils exigeaient d’elle qu’elle obéisse à leur appel.La thérapie, pour elle, a pris la forme d’un adorcisme: elle a fait alliance avec les esprits possesseurs, les mlouk, qui l’aident maintenant dans son activité. Elle les fait monter (tlaâ) en elle, ils sont àsa disposition.Au cours de nos entretiens, déjà évoqués ci-dessus, de l’été 1985,le maâlem Boubeker présentait la talaâ comme suit (je résume l’article La voix de son melk) :

– elle est liée aux Gnaoua, elle leur adresse les gens qui la consultent et particulièrement les « possédés ». Les gnaoua font de même, ils travaillent ensemble ;– elle organise régulièrement, chaque année, son moussem (fête rituelle) avec les Gnaoua. Au cours de ce moussem, au deuxième jour, elle dispose sur l’autel de son melk (mida) ou les autels de ses mlouk sept bols contenant du miel, de la farine mélangée à de l’huile... Elle en offre aux assistants qui lui donnent quelque chose en retour, pour le prix de la substance magique appelée ici barouk,terme qui implique la baraka ;– elle danse ou se trouve en état de transe pendant le rituel des Gnaoua ;– pour entrer dans l’état de transe médiumnique, pour faire monter(tlaâ) les mlouk(en elle), elle recouvre sa tête d’un voile et procède,sous le voile, à des fumigations avec les encens qu’utilisentégalement les gnaoua au cours de leur rituel. Ensuite elle rote, et le melk monte. Il va alors s’exprimer par sa bouche. La voix de la talaâ change et devient la voix de son melk;– elle est « entrée » au sens de « pénétrée », possédée par son melk. Les Grecs disaient entheos (« endieué »), dans un contexte similaire, pour désigner celui qui est « entré par le dieu » (theos),« enthousiaste ».Je vais maintenant reprendre et développer ces points en les complétant par quelques observations plus récentes.

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1.1 La talaâ est une « gnaouia »

La talaâ fait partie de la confrérie marocaine des Gnaoua ; elle travaille avec eux et elle a la même conception du rapport au monde des « esprits » et de la structure de ce monde. Mais on constate des variations dans la manière dont les talaâte d’Essaouira conçoivent et vivent leurs relations avec ces entités surnaturelles .Fatima, voyante d’Essaouira affiliée aux Gnaoua, établit une nettedistinction entre les esprits musulmans – « les gens de Dieu »(rijal Allah) – d’une part, et d’autre part les « esprits africains », –les « noirs ». Elle a chez elle deux petits sanctuaires : dans celui qui est habité par les « gens de Dieu », la couleur verte domine (avec une place pour le rouge de Baba Hammou), tandis que le noir caractérise le sanctuaire des esprits africains. Chez Fatima, les « verts » et les« noirs » ne s’entendent pas bien : les premiers lui interdisent de travailler avec les autres, qui la tourmentent : Sidi Mimoun le noir la brûle, dit-elle, avec ses bougies.Pour Zeida, par contre, tous les esprits de la derdeba sont des gens de Dieu.

1.2 Vocation

Zeida est la fille du maâlem Boubeker. Elle appartient à une famille de Noirs venus du sud du Sahara, elle a hérité de sa mère le métier de voyante-thérapeute et tout le matériel qui va avec, notamment les autels des mlouk. Fatima, par contre, n’est pas l’héritière d’une tradition africaine. Elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui à partir d’un ensemble de troubles dans lesquels un ethnologue reconnaîtra un « recrutement par la maladie ». La même distinction quant au recrutement se retrouve d’ ailleurs chez les chamans dont certains le deviennent à partir d’une maladie initiatique, alors que d’autres ont hérité de la charge (Eliade, 1951).

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1.3 Obligations rituelles

La talaâ doit accomplir régulièrement un certain nombre de rituels et si elle ne le fait pas, elle risque, dit-on, de perdre ses capacités professionnelles et de retomber dans la maladie si sa carrière à commencé par « maladie ». Pendant le mois de chaâbane qui précède celui du ramadan, elle organise, généralement à son domicile, une fête religieuse étalée sur trois jours et trois nuits au cours desquelles les Gnaoua qui travaillent avec elle animent le rite de possession de la confrérie.Elle participe elle-même à ce rite de possession organisé pour elle en même temps que pour sa clientèle et d’autres invités. Ce moussem annuel est l’occasion pour elle d’exhiber publiquement les signes de sa réussite professionnelle.

A l’occasion des fêtes du mouloud qui commémorent la naissance du Prophète elle se rend en pèlerinage en deux lieux complémentaires: celui où se trouve le sanctuaire de Moulay Ibrahim, dans la montagne au sud de Marrakech, et ensuite à Tamesloht où elle organise des derdeba et procède à des sacrifices. Elle est accompagnée en ces lieux de « ses » Gnaoua. Cette situationmet ainsi en évidence le fait que l’activité religieuse des gnaoua est essentiellement gérée par les femmes, même si le maître musicien – le maâlem – assume certaines fonctions liturgiques et thérapeutiques complémentaires de celles de la talaâ : dans la tradition religieuse des gnaoua, ce sont les talaâte qui instituent les situations dans lesquelles les musiciens vont intervenir.

1.4 Les autels

Les autels de la talaâ prennent avant tout la forme d’une table basse, la mida, qui supporte les « nourritures » de son melk . Toutefois, Viviana Pâques (1991) classe dans la catégorie des autels non seulement cette table mais encore le plateau de fumigation (tbiga)et celui de la divination (tbag).Mais là encore les usages particuliers sont différents.

Zeida ne laisse pas voir sa mida. Elle la dissimule au regard des visiteurs par un voile dont elle recouvre également sa tête au moment de la consultation ; je ne peux donc décrire le contenu de cet autel.Sa mère, Aicha Cabral, était médium et fille elle-même d’un médium

qui avait rapporté du Soudan, dit-on, un bol magique. Il avait perdu sa vertu le jour où une autre épouse du grand-père maternel l’avait laissé voir. Ce récit de Zeida fait allusion à l’obligation de garder cachée la mida . Elle n’est visible qu’une fois l’an lorsque, pendant le moussem de chaâbane, elle est présente sur le lieu du sacrifice.Mais Fatima ne cache pas sa mida. J’ai pu la voir dans son alcôve et j’aurais pu la toucher : c’est une très petite table basse qui supporte un plateau de métal contenant des oeufs, des coquillages,des foulards, des bougies et autres accessoires. Lorsque j’ai interrogé Fatima sur les nourritures des esprits qui devraient se trouver en principe sur sa mida, elle m’a présenté un petit sac de plastique noir contenant des amandes, me disant :

– ce sont les amandes pour Lalla Malika, je les mets sur la mida quand c’est elle que je fais monter.

Il y avait aussi dans l’alcôve verte de Fatima un étendard de la même couleur, celui des saints qu’elle incarne lors de sa consultation.J’y ai vu également une quantité ressionnante de petits cadenas dont certains étaient ouverts, d’autres fermés. Chacun, m’a dit Fatima, appartient à un client. Le cadenas reste ouvert lorsque le client est encore en thérapie, il est fermé lorsque cette thérapie est terminée.Si Fatima a finalement accepté de m’accueillir dans son sanctuaire la négociation n’a pas été facile.Lorsque je suis allé à sa consultation, elle a d’abord refusé de merecevoir ; puis elle a accepté de répondre seulement à mes questions.Au cours de notre entretien elle a constaté que j’avais quelques connaissances sur le système gnaoui dans son ensemble, que je connaissais bien les gnaoua d’Essaouira. Elle en a conclu que j’avais effectué une sorte d’initiation. Elle est alors retournée soudain dans sa transe mais sans inhalation cette fois et son melk m’a parlé. Je n’ai pas eu cette chance avec une autre voyante, la dénommée ?Habiba, que je connaissais pourtant depuis déjà longtemps.Elle avait dans un premier temps accepté de répondre à mes questions, mais ne m’avait pas reçu en consultation, me disant qu’elle ne travaillait plus avec sa mida parce que c’était trop fatiguant pour elle vu son âge, que d’ailleurs elle n’en avait plus besoin pour l’exercice de son métier. Puis je suis retourné chez elle avec des étudiants qui souhaitaient pousser plus loin la recherche auprès d’elle. Elle a fini par se lasser et par me dire, sans doute pour se débarrasser de moi finitivement, qu’elle avait « rendu la mida à Moulay ».

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Elle rentrait du pèlerinage auprès de ce saint, nous étions dans le temps du mouloud, et ce n’était peut être pas une dérobade.Je n’ai pas eu le temps de procéder à l’inventaire complet des objets réunis dans la « chambre des esprits » (beit lajouad) de Fatima.Mais on peut trouver dans le mémoire de doctorat d’ Abdelhafid Chlyeh (1994) – qui a, lui aussi, mené une enquête chez les voyantes d’Essaouira – une présentation des habits et accessoires de la liturgie d’une autre voyante d’Essaouira dénommée Zahra.On y trouve notamment des tuniques (qachaba) et des voiles (foutah)en tissu de diverses couleurs qu’on utilise lorsque, pendant les danses de possession, les adeptes sont possédés par tel ou tel melk selon l’ordre liturgique. On y trouve également « trois bâtons (aâkakez)enveloppés de tissus et décorés de cauris : un rouge, un noiret le dernier de plusieurs couleurs, sans cauris, avec une besace de plusieurs couleurs également ». Le dernier des trois bâtons est probablement celui qui fait office de canne pour la danse de Bouderbala.

1.5 La transe médiumnique

La transe médiumnique de Zeida est probablement la plus « classique » dans le système africain des Gnaoua : lorsqu’elle sort de sa transe au cours de laquelle elle a incarné un melk qui parlait par sa bouche elle demande au consultant de lui dire ce qu’a dit ce melk:

elle est censée, en effet, ne rien savoir, ne se souvenir de rien. Fatima, par contre, « s’écoute parler », si l’on peut dire, lorsque son melkparle, de sorte qu’après la transe elle commentera ses dires sans avoir besoin que quelqu’un lui rapporte ce que ce melk a dit.

Ce que j’ai vu chez elle me paraît très proche de ce que Vincent Crapanzano (1973) a pu observer à Meknès chez les talaâte associées à la confrérie des Hamadcha à propos desquelles il écrit :

« Quand elle pratique la divination médiumnique, la talaâ brûle un encens et inhale la fumée. Elle entre alors dans un état de dissociation partielle et commence par bredouiller des mots et des phrases souvent incompréhensibles entremêlés de noms de jinns et de saints.Puis elle s’arrête et elle dit à son patient qu’il est possédé par tel ou tel jinn et qu’il doit satisfaire à ses exigences : visiter tel sanctuaire, brûler tel encens, organiser une cérémonie des Gnaoua, des Jilala ou des Hamadcha... »

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Reprenant à ce propos les catégories d’OEsterreich (1921), on pourrait dire que la transe médiumnique de Zeida est de type somnambulique,tandis que celle de Fatima serait à classer dans la catégorie de la possession lucide en admettant, bien sûr, qu’il s’agit de transes.J’ai raconté à un maâlem des Gnaoua qu’au cours d’une transe, Fatima avait quitté son alcôve de consultation pour venir rouler pendant de longues minutes à travers la cour intérieure de sa maison.On m’a ensuite expliqué que la voyante s’était trouvé en manque,ce qui expliquait ce comportement inattendu. Mais le maâlem, à semble-t-il vu la chose autrement :

- Il faut, m’a-t-il dit, lui laisser faire son théâtre !

Admettons cependant que j’aie assisté ce jour-là à une vraie transe dans laquelle on pouvait distinguer trois temps forts :

– dans un premier temps, qui a duré cinq minutes environ, Fatima est entrée dans sa transe de manière bruyante, parfois avec des éclats de rire très sonores et qui paraissent interminables, entrecoupés de hoquets et autres bruits divers ; – puis elle a commencé à parler, ou plutôt le melk a parlé pendant dix minutes environ avec une voix stridente (alors que lorsqu’elle retrouve son état normal la voix de Fatima est celle d’une femme

d’allure fragile et réservée) ;– elle a retrouvé enfin sa voix normale pour commenter, et prescrire(et, dans la situation particulière d’enquête ethnographique,pour répondre à nos questions).

1.6 Les techniques du diagnostic

Qui consulte les voyantes ?

Dans les cultures de la possession ritualisée, on ne s’occupe pas seulement des possédés qu’un être surnaturel tourmente. A côté de ceux qui souffrent de troubles attribués à l’intervention maligne d’êtres surnaturels qu’il va falloir identifier, on rencontre dans les

cabinets des voyantes d’Essaouira des gens qui viennent pour des problèmes très différents : une femme consulte parce qu’elle est stérile, une autre parce que son mari est infidèle, une autre encore pour les problèmes scolaires de son fils... A chaque fois, les diagnostics et les interventions qui suivront seront spécifiques tout en relevant d’un

ensemble de procédures et de recettes plus ou moins stéréotypées.Crapanzano rapporte que les talaâte de Meknès utilisent, pour identifier les jinns responsables de certains troubles, soit des techniques mécaniques relevant de la divination par manipulation d’objets,soit des techniques médiumniques. S’agissant des troubles attribués à une atteinte par une entité surnaturelle, une question préalable,selon Fatima, va se poser : soit, dit-elle, la personne possédée désire le rester et on va mettre en route une initiation à la possession ritualisée, soit elle ne le souhaite pas et l’intervention sera différente.

Mais quoiqu’il en soit, la première démarche va consister à identifier l’agent surnaturel du trouble.Il ne m’a pas été possible d’établir si certaines des techniques de diagnostic que j’ai pu recenser au cours des entretiens étaient spécifiques à une tradition médiumnique ou si elles étaient empruntées, plus ou moins, à d’autres traditions.

Reste spécifique aux médiums le fait d’incarner des entités qui, parlant par leur bouche, se prononcent, le plus souvent, sur une situation présente, comme le note par ailleurs Erika Bourguignon (1968 b), plutôt qu’elles ne prédisent l’avenir.C’est ainsi que j’ai entendu le melk de Fatima annoncer à une cliente que son mari, travailleur immigré en France, avait une maîtresse dans l’immigration, laquelle avait usé de la sorcellerie pour s’attacher le mari ; il convenait de défaire le mal qui avait été fait et Fatima, bien sûr, proposait ses services à cet effet.A propos de Zahra, Chlyeh nous apprend qu’au cours de sa transe médiumnique, « elle entre en relation avec le melk ce qui lui permet de proposer à son patient un rituel à visée thérapeutique. Mais la même aura recours aussi à d’autres “tests ” pour établir son diagnostic: les fumigations effectuées selon l’ordre liturgique d’une lila. Zahra recouvre en même temps la tête de son patient avec un foulardde la couleur correspondant au melk invoqué... »

1.7 Procédures thérapeutiques

Chlyeh nous présente comme suit les pratiques thérapeutiques de Zahra :

a) « elle allonge le patient par terre et le frappe avec un foulard de couleur (foutah) tout en projetant son souffle et sa salive sur la partie atteinte de son corps et en procédant à des fumigations ininterrompues ». C’est la technique dite du tastawate, – ce terme désignant l’action de frapper : « si l’atteinte est attribuée à Sidi Mimoun le noir on utilisera un foulard noir et du benjoin de la même couleur. Si l’atteinte est attribuée à Sidi Hammou on utilisera un foulard rouge et on procédera à des fumigations de benjoin rouge »,etc.

b) Zahra procède aussi, si besoin est, à des onctions à base d’huile, la même que celle utilisée dans le rite de possession des gnaoua lorsqu’ils invoquent Lalla Hawa.

c) Elle peut faire cuire avec une recette spécifique (sans sel, et avec du sucre) une poule ou un coq (hlou) : « la volaille est immolée par le moqadem de la confrérie qui procède à un marquage avec le couteau enduit de sang sur le corps du patient. Les plumes et les

entrailles seront rassemblées dans un tissu auquel Zahra ajoutera une bougie et du benjoin avant de le nouer. Ce paquetage sera jeté à la mer face au rocher de Sidi Bouricha par le sacrificateur. Le jus de cuisson servira à des onctions corporelles du malade, il consommera également la chair du poulet en évitant de rogner les os. Les restes du jus et les os seront rassemblés dans un tissu auquel on ajoutera une bougie et du benjoin et ce second paquet sera lui aussi jeté à la mer, face à Sidi Bouricha, par Zahra qui, à ce moment-là, invoquera les “esprits ” pour qu’ils délivrent son patient ».

d) Zahra peut préconiser « le port autour du cou d’un tissu avec du benjoin et autres ingrédients, l’usage d’un fil de laine déposé dans la tiba avant d’être porté par la future mère, ou d’un fil noirpréparé pour être porté autour du cou s’il s’agit d’une atteinte par

Sidi Mimoun qui se traduit par des étouffements ».

Si, par contre, l’atteinte « est due aux mlouk blancs tel Moulay Abdelkader, on utilisera de l’eau de fleur d’oranger pour des applications sur le corps et du bois d’aloès pour les fumigations. Et on appliquera la technique du tastawate avec un foulard blanc », etc.

2 Histoire d’un médium

Jusqu’ici, la source essentielle de mes informations sur les Gnaoua se trouvait, on l’a vu, à Essaouira. Je vais maintenant emprunter, pour donner à voir un des possibles processus par lequel on peut devenir médium, un compte-rendu ethnographique dont le contexte se

situe dans le nord du Maroc. Dans un ouvrage publié en langue alle-mande, non traduit, et consacré au culte de possession des Gnaoua marocains, Frank-Maurice Welte rapporte l’histoire d’un jeune Marocain,Si Mohammed, né en 1941, qui tient un petit restaurant à Azrou, dans le moyen Atlas, non loin de Meknès. Mohammed a perdu son père il y longtemps et vit avec sa mère.A 18 ans, il commence à participer à des séances de transes religieuses(hadras) dans un contexte de soufisme populaire.Il a 28 ans le jour où le toit de sa maison s’effondre, et un coffre contenant des vêtements rituels, des cauris et un chapelet tombent en même temps : ces instruments et accessoires font partie des outils des voyantes de la confrérie des Gnaoua.Intrigué, Si Mohammed va consulter un fqih, personnage de formation eligieuse, spécialisé dans l’exorcisme et la confection de talismans.Ce fqih conseille à Si Mohammed de consulter une voyante affiliée aux Gnaoua, – une talaâ: c’est visiblement la personne qualifiée pour tenter d’interpréter la situation.A l’issue de la consultation, sur les recommandations de la voyante,Si Mohammed organise à son domicile une nuit (lila) de transes de possession. Cette première nuit se passe sans événement notable. Le lendemain, il se repose et dans son sommeil, il fait un rêve : LallaMalika était dans son lit et elle lui parlait... Il retourne alors voir le fqih. Ce dernier lui demande s’il a déjà dansé sur le rythme et la devise de Lalla Malika :

- Mais non ! répond Si Mohammed, c’est un rythme pour les femmes, pas pour les hommes !

Le fqih lui dit alors que le message de Lalla Malika était clair : elle l’a « élu » pour la servir : il sera son médium et il devra désormais, au cours des cérémonies publiques des Gnaoua, incarner Lalla Malika. Si Mohammed organise une nouvelle lila au cours de laquelle va être publiquement possédé par Lalla Malika ; alors, comme l’exige le

« théâtre » de la possession, il va revêtir sa tunique, se maquiller, car l’un des traits de caractère de Malika est la coquetterie. Il va se comporter en public comme une jolie femme et il va « parler », ou plutôt, Lalla Malika va parler par sa bouche, s’adressant de préférence aux femmes de l’assistance pour leur dire quelques mots sur leurs problèmes quotidiens.Si Mohammed devient alors rapidement un voyant-thérapeute très sollicité, reconnu de tous et respecté. Il pratique la divination médiumnique et la thérapie soit au cours de la lilades Gnaoua, soit à l’occasion de consultations à domicile. Sa clientèle est composée de femmes dont il peut d’autant mieux comprendre les problèmes, toujours selon Welte, qu’il vit seul avec sa mère et que, par elle, il aaccès aux problèmes habituels des femmes, à leur univers spécifique, sans doute aussi à leurs secrets. L’un des informateurs de Welte lui révèle que Si Mohammed, avant de découvrir sa vocation – son « élection » par Lalla Malika,dont il est maintenant le médium – avait coutume de se travestir chez lui secrètement et de se maquiller. La dénégation, par Si Mohammed, de son homosexualité et de son transvestisme, jointe à sa fréquentation, dès l’adolescence, des cultes de transe ont été, selon Welte, les prémisses de son entrée dans le système de la possessionliturgique et médiumnique des Gnaoua. Mais il a fallu un choc, le toit qui s’est effondré, associé à d’autres circonstances biographiques favorables, pour qu’il se décide à consulter un fqih Ce dernier, on l’a vu, a eu l’intelligence de comprendre le « problème» de Si Mohammed et de le traduire dans un système de croyances, celui des Gnaoua.Ce système gnaoui, avec son panthéon, a fonctionné comme un dispositif de légitimation sociale en offrant à Si Mohammed la possibilité de transformer un désir réprouvé en un comportement accepté: il est maintenant réconcilié avec lui-même et avec son entourage.

Il peut désormais apparaître publiquement dans des vêtements,de femme – la tenue exigée par Lalla Malika –, se maquiller, etc. Il peut désormais le faire parce qu’un culte théâtral de possession, et lui seul, le lui permet.Il est un peu comme le berdache – l’homme-femme, travesti –des Amérindiens, désigné par le terme nadle chez les Navajos où« le nadle sait tout puisqu’il est à la fois homme et femme. C’est donc un signe de bon augure d’en avoir un chez soi... » (Desy, 1977).

3 Le travail de la thérapie

Revenons à Essaouira, où le maâlem Boubeker, que j’interrogeais sur la dimension thérapeutique de la derdeba , m’en donna une version qui m’a paru se situer plutôt du côté de l’exorcisme :

– le melk qui commande le jinn du possédé, me disait-il, doit en principe le faire sortir ; mais en cas de défaillance de sa part, on va appeler à l’aide Abdelkader Jilali qui est un Saint, et non un melk ; Abdelkader va alors intervenir auprès du melk concerné pour exiger de lui qu’il fasse son travail. Naturellement, cette intervention surnaturelle sollicitée se paye en hommages et en nature : il faut organiser une fête – une derdeba – pour plaire aux mlouk si l’on veut obtenir leurs faveurs.On le voit : on est bien ici dans une perspective plus proche de l’exorcisme que de la réconciliation avec l’esprit possesseur, ce qui est cohérent dans la mesure où les jnoun sont vus comme des êtres négatifs dont la présence n’est pas négociable.Ce point de vue, toutefois, va à l’encontre de la théorie adorciste pour laquelle le système thérapeutique des gnaoua est fondé sur une alliance finale avec un melk qui constitue un retournement complet de la situation initiale de souffrance.Cette apparente contradiction est sans doute le résultat du mélange de deux cultures de la possession – la culture africaine et la culture maghrébine – dans le système des Gnaoua. Et la contradiction que semble produire ce mixage pourrait être surmontée en prenant en compte une réponse de Fatima, la voyante d’Essaouira, à l’une des questions que je lui posais.Concernant le traitement de la possession, elle séparait en effet deux possibilités : soit, me disait-elle, la personne possédée désire le rester et on organise alors pour elle une derdeba ; soit elle souhaiteau contraire en finir avec cet état et on fait tout ce qu’il faut pour la libérer.Le premier cas de figure serait celui de la talaâ au moment où sa vocation se manifeste par certains troubles qui sont vus comme le signe de son élection : on va organiser pour elle une initiation dans laquelle l’institution d’une derdeba aura un rôle essentiel.Mais si, par contre, la personne possédée ne souhaite pas en faire un métier, on va procéder autrement et mettre en route une démarche de type exorciste. C’est cette démarche que Boubeker décrit tout en sachant parfaitement, mais il ne le dit pas dans cette phase de nos entretiens, qu’on ne procédera pas de la même manière s’ils’agit de la carrière d’une talaâ

.4 Le vocabulaire de la possession

Le tableau ci-après présente les termes utilisés localement, en particulier à Essaouira, pour décrire les transes de possession et les transes médiumniques. Verbes prenant Etat de posses- Transe de pos- Transe de posun sens parti sion permanente session rituelle session médiuculier dans le (passive et géné- (transitoire et mnique ou divicontexte reli- ralement morbide) ne dure que le natoiregieux moment du rite) (elle implique la maîtrise des Esprits : possession volontaire)

Jabada Mejdoub Jdeb(tirer à soi) (mystique illuminé) (danseur en état de transes) malaka mamlouk temlek

La talaâ est à(posséder un (esclave possédé) (il vient d’être la fois :

bien) possédé) -memlouka(possédée par ses mlouk)-malaka(elle possède ses mlouk)

sakana maskoun tasken(habiter) (habité, possédé en (il vient d’êtrepermanence) habité)

Commentons brièvement ces termes et leurs variations :

a) à partir de jadaba, on a produit les termes majdoub qui signifie l’illuminé, l’errant mystique, d’une part, et d’autre part le terme jdeb pour désigner celui qui exécute, en transe, une danse rituelle (soit dans un rite de transe instituée par une confrérie du soufisme populaire, soit dans un rite de possession) ;

b) à partir de malaka, nous trouvons les termes memlouk(esclave)qui désigne une possession durable, d’une part, et d’autre part temlek,qui désigne celui qui est en train d’être pris (ou possédé) dans le contexte rituel et pour la durée de l’invocation du melk. Nous avons en outre,memlouka, terme qui caractérise la talaâ en état de possession rituelle ou médiumnique etmallaka en tant que ses mlouk sont à sa disposition ;

c) à partir de sakana nous avons meskoun (durablement habité)d’une part, et d’autre part

tasken (habité par le melk pour la durée rituelle de son invocation). Ce tableau montre comment, à partir de trois verbes empruntés au langage courant, on décrit l’opposition entre des états permanents et subis et d’autres qui sont au contraire temporaires et transitoires, tout en appartenant à la même racine d’expériences vécues. Les termes employés entrent dans la composition d’une théorie populaire des troubles mentaux et de leur traitement. Ce système est celui d’une ethnopsychologie où le réel est déjà décrit par les membres et où l’enquêteur a toujours à travailler à partir de leurs descriptions.

Georges Lapassade

psychothérapie

Georges Lapassade

et maâlem Hayat en 1978 à Essaouira

 

 

http://www.google.com/search?ie=UTF-8&oe=UTF-&sou...

http://www.youtube.com/watch?v=OvFcBUrg03c

http://www.youtube.com/watch?v=FCl69M5qiWs

http://www.youtube.com/watch?v=Rp73LKTzRuc

http://www.poolpi.com/0/video/Lapassade/p0SGnl9FXOU.html

 

 


13:38 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

04/05/2010

Les Gnaoua : ceux qui travaillent avec l'invisible

Ceux qui travaillent avec linvisible

 

 

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Maalem Bossou

 

« Nous sommes des esclaves à la peau fraîchement marquée.

Soyez témoins de ces marques, elles ne s’effaceront jamais »

Chant Gnaoui

 

 

Le linguiste Kenneth Pike oppose le discours émique qui est le commentaire des gens ordinaires au discours étique ou savant qui tend à remplacer la théorie populaire de la chose. Pour donner un exemple directement appliqué à notre propos ; l’observation d’un possédé rituel en état de transe peut donner lieu à ces deux discours :

 

Dans le discours émique les gens disent que la transe est produite par la présence d’un être surnaturel. Le même comportement sera interprété de manière « étique » par un psychologue comme l’effet du rythme des tambours ou encore comme l’expression d’un tempérament hystérique, etc.

 

Dans une société où l’individu s’efface devant le groupe, on peut se demander si le transfert des concepts psychologiques des sociétés occidentales atomisées est légitime. A ce sujet une ethnopsychiatrie maghrébine aurait beaucoup à nous apprendre. Pour Géorges Lapassade : « La transe rituelle n’est pas une hystérie, c’est l’hystérie qui est une transe. Mais c’est une transe refoulée et oubliée dans les sociétés occidentales depuis le temps de l’inquisition ». C’est pourquoi cet auteur fait la distinction entre les sociétés à transe et les sociétés sans transe.

 

Nous sommes donc en présence de deux modes d’interprétation savant et populaire : Pour la psychanalyse l’origine de la maladie est endogène : « Ce sont les processus psychiques inconscients ». Pour le thérapeute traditionnel : l’origine du « mal » est exogène ; l’individu est « frappé » par une entité surnaturelle malfaisante ; la possession n’est donc pas le symptôme d’un état morbide. Ces deux modes d’interprétations impliquent deux attitudes : l’Occident rejette le « malade », le Maghreb accepte le « possédé ». Ces deux modes d’interprétations impliquent également deux modes de traitement : l’un vise à « expulser l’intrus », l’autre à mettre en évidence le traumatisme responsable mais oublié.

 

§ Visite à maâlam Bosso

 

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Dans le marché de la psychothérapie de Casablanca, le psychiatre s’entourant de la légitimité du savoir positiviste et du pouvoir institutionnel se trouve confronté  à la « concurrence » de la légitimité charismatique (Baraka) des zaouia et des marabouts. : la plupart des malades préfèrent encore, les nuits bleues de la transe, les khaloua au sein des grottes et au sommet des montagnes ; au divan du psychanalyste et à l’enfermement psychiatrique.

Les Gnaoua célèbrent deux fêtes principales, l’une obligatoire pour tous, le 15 du mois lunaire de Chaâbane, qui se déroule dans la maison à laquelle, ils sont affiliés, l’autre est un acte de soumission envers Sidi Abdellah de Tamesloht, auquel ils procèdent à l’occasion d’un pèlerinage, lors de la fête du Mouloud. Les Gnaoua célèbrent cet événement durant sept jours : ils iront d’abord à Moulay Abdellah Ben Hsein enterré à Tamesloht, puis à Moulay Brahim, enfin jusqu’au Sultan des génies, Sidi Chamharouch dans l’Atlas.

 

Le mercredi 20 août 1986, je publie un compte-rendu de ma visite à Maâlem Bosso, décédé récemment, sous le titre : « Ceux qui travaillent avec l’invisible, Maroc-Soir leur rend visite et fait parler le Maâlem Bosso ». Dans cet article, j’écrivais :

Lorsqu’on aime la culture populaire  un imaginaire autre que ce qu’offrent les cinémas et les vendeurs de rêve, on peut se demander : où est ce qu’elle réside dans ce Casablanca qui semble emporté par le courant universel des sociétés de consommation ? Pour tous ceux qui refusent l’hégémonie de l’industrie culturelle, il suffit de se diriger du côté de la vieille médina. Au-delà de son étalage d’objets sans prix ni vitrine où l’antique marchandage domine encore, au-delà de cette économie informelle ; il y a ceux qui travaillent avec l’invisible.

J’ai demandé, où sont les Gnaoua ? On m’indiqua par des ruelles tortueuses la demeure de Maâlam Bosso. J’y  pénètre : sous l’ombrage d’un figuier, des rossignoles et des tambours. Deux symboles qui ne trompent pas : On est chez un musicien, mais pas n’importe lequel. C’est un musicien qui a commerce avec l’invisible et c’est une musique qui a une fonction thérapeutique.

Le maâlam est un initié qui connaît les devises musicales, leur ordre de succession et leur efficacité selon le tempérament des malades qui tombent en transe. À ce sujet, voilà ce que dit maâlam Bosso :

- La plupart des Maâlam Gnaoui de Casablanca sont originaires de Marrakech. Certains étaient d’anciens esclaves de Caïds. D’autres viennent de Rabat. Parallèlement au « Gnaouisme », la plupart d’entre eux, pratiquent des petits métiers d’artisans .

- Mais vous-même Bosso, comment êtes-vous devenu maâlam ?

- J’étais encore tout jeune, lorsque je me suis rendu en pèlerinage à notre saint qui se trouve au sommet d’une montagne au sud de Marrakech. Je l’ai vu en rêve me tendre un guembri en me disant : « Prends la source de ta vie ». Le lendemain, j’ai joué au hasard un air musical, une femme tomba en transe, et refusa qu’un autre que moi puisse l’accompagner. Depuis, j’ai quitté mon métier de tanneur pour celui de musicien professionnel.

- Que pensez-vous de ceux des musiciens gnaoua qui sont devenus vedettes du mouvement folk ?

- Vous voulez dire Pako qui fait partie du groupe Nass el Ghiwane, et Baqbou qui a rejoint le groupe Jil Jilala ?

- Oui. Que signifie pour vous ce passage du sacré au profane ?

- Celui qui travaille dans le domaine des Gnaoua doit suivre la voie de la droiture et de la purification. Sinon, il risque d’être paralysé : on est parfois paralysé en travaillant avec des gens qu’on voit, alors que dire de celui qui travaille avec ceux qu’on ne voit pas ? », Conclut maître Bosso.

Avec plusieurs années de distances, ces propos prennent des accents prémonitoires : Pako, qui est le premier à sortir l’autel sacré de la zaouïa des Gnaoua d’Essaouira, pour le présenter avec sacrifice de bouc, au Living Theater, en 1968 ; Paco, le premier grand maâlam gnaoui à partir jouer sur scène avec son guembri, au sein du mythique groupe folk de Nass el Ghiwan, a fait récemment l’objet d’une attaque cérébrale avec perte partielle de l’usage de la parole ; a–t-il été frappé par l’invisible ? Pour les Gnaoua, la paralysie de Paco est certainement due à une faute rituelle commise à l’endroit des esprits dont il était le fidèle serviteur du temps où il était uniquement maâlam gnaoui, bien avant de devenir la célébrissime vedette du mythique groupe folk de Nass el Ghiouan. Pour les Gnaoua, l’attaque cérébrale et la paralysie partielle de Paco ont avoir avec l’invisible.

 

§ Le lila des Gnaoua

 

La lila est un rite de passage qui permet la transition de l’état d’angoisse à l’état de détente. Cette angoisse peut résulter de raisons diverses : c’est pourquoi la demande de la clientèle n’est pas motivée par une même raison comme nous l’explique Maâlam Bosso :

 

« Une femme m’a demandé d’organiser une lila chez elle, parce qu’elle veut déménager de la médina pour aller habiter Bourgogne. Une autre femme à El Jadida a organisé une lila pour commémorer le décès de son mari. Des travailleurs immigrés l’organisent avant leur départ en France. On fait aussi appel aux Gnaoua si quelqu’un est « touché » ou « atteint » par les djinns. Les lila ne sont pas limitées à la vieille médina : il existe une demande dans les autres quartiers populaires de Casablanca tels que Derb Sultan, Sidi Maârouf, Hay Mohammadi, etc ».

 

Le maâlam Hmida Bosso, porte le nom d’un melk marin qui le possédait lorsqu’il était jeune. Les Gnaoua chantent ainsi cette devise :

« Me voilà, ô Bosso !

Bosso au filet de pêche,

Bosso le pêcheur,

Bosso le poisson ».

 

Ce chant rituel a lieu au milieu de la  lila des Gnaoua, celle-ci  se compose de trois phases :

a) Une phase préliminaire qu’on appelle  Âada, ou la procession crépusculaire dans la ville avec tambours et crotales. Elle a pour fonction d’annoncer à la communauté tout entière qu’une nuit thérapeutique va se dérouler dans telle maison de tel patient ou patiente. L’événement prend donc une dimension publique et sociale. Ceci est très important dans le processus qui conduit à la guérison : généralement, l’entourage familial et social change d’attitude vis-à-vis du malade, le lendemain de la lila : désormais, on le considère comme normal, ce qui facilite sa réinsertion sociale.

Si le malade est guéri, il ne devient pas nécessairement un Gnaoui, c’est-à-dire un pratiquant de la musique rituelle. Mais un serviteur surnaturel des Gnaoua. Chaque année au mois lunaire de Chaâbane qui précède le  Ramadan où les djinns sont enchaînés, et  où se déroule le grand moussem, le serviteur doit sacrifier soit un coq bleu, s’il est pauvre, soit un taureau noir, s’il est riche.

 

b) Une phase liminaire qu’on appelle kouyou où l’on amuse l’assistance au début de lila (nuit rituelle). On se livre à des jeux énigmatiques, où le guembri guidant le chercheur d’anneau d’or – qu’on a soigneusement dissimulé parmi l’assistance – sur la voie des mystères ou « quête du chamelier ».

 

c) Ce n’est qu’au milieu de la nuit, moment des rêves, que commence le rite de possession qu’on appelle Lila, où la musique induit la transe chez les possédés rituels. Par exemple lorsqu’on arrive à la devise musicale d’Aïcha Kandicha ; celui qu’elle possède entre en état de transe et se couvre la tête d’une serviette couleur océan, tel cet unijambiste  qui me raconta un jour :

 

« Au milieu de la nuit, sous la voûte de l’herboriste, j’ai cru voir une prostituée sacrée. Mais lorsqu’elle se retourna, j’ai reconnu celle dont on parle dans tous les vieux ports marocains. J’ai perdu conscience et, plusieurs jours, l’usage de ma langue et de mes jambes. Une autre fois, elle m’a paru en rêve, et m’a ordonné comme condition à ma délivrance d’organiser une lila avec sacrifice[1] d’un bouc noir ».

En effet, seule une nuit rituelle un samedi soir, a pu sauver l’esprit boiteux de notre unijambiste, grâce à la remise en place et en ordre des sept couleurs de l’arc en ciel ! Le succès de la thérapie dépend de la nya du malade, c’est-à-dire sa bonne foi. Il faut que l’entourage soit préparé à recevoir le rite comme une délivrance providentielle.

Le bon déroulement de la lila exige, dépend de la bonne maîtrise du guenbri, le principal inducteur de transe chez les Gnaoua bilaliens de la ville. C’est un luth à trois cordes, en boyau de bouc ; celles-ci sont nouées par des lacets à l’extrémité du manche. La table d’harmonie est faite de peau de dromadaire, habituellement couverte de dessins au henné. Un guenbri mal accordé ne peut induire la transe : ce sont, dit-on, ses vibrations qui investissent le subconscient et, à force de répétitions, font naître une tension si forte qu’elle finit par toucher le centre vital du système nerveux, provoquant ainsi la transe.

Selon maâllem Goubani, le guenbri était à l’origine, c'est-à-dire à l’époque où il fut inventé au Soudan, fabriqué avec une courge géante séchée dont on vidait la coquille pour en faire une calebasse. N’ayant pas trouvé au Maroc une courge de dimensions semblables, les Noirs lui substituèrent le bois de figuier qui, une fois creusé, a la même tonalité musicale. Généralement le maître de la lila porte l’instrument au four pour que peau et cordes acquièrent une « résonance cosmique » suffisante pour atteindre l’invisible. Maâllem Boubker Guinéa précise que le guenbri taillé dans le bois de figuier est souvent dit meskoun (habité) et qu’il est donc nécessaire que celui qui s’en sert soit sûr de son art et sache le respect qu’il doit à son instrument. De nos jours, pour les soirées profanes on utilise un luth, nommé aouicha, sur lequel s’exercent les jeunes musiciens qui ont l’ambition de devenir maâllem du guenbri dans les nuits sacrées. Ce luth est taillé dans le bois blanc ou l’acajou ; la peau de mouton ou de bouc est tendue à l’aide de clous. Cela le différencie du guenbri ancien qui ne contenait aucun clou, la peau étant tendue par ses propres ligaments. Il ne s’agit pas de maîtriser une technique musicale, explique maâllem Guiroug, mais rien de moins que d’induire la transe, chose qui n’est pas à la portée du premier venu. Il y a la lila où le hal est présent et celle où il est absent, en raison d’une impureté, de mauvaises intentions ou tout simplement parce que le seuil n’est pas bon. Ces mauvaises vibrations font que le guenbri refuse de s’accorder. On a beau faire, c’est comme si on frappait dans un mur. Et il y a des fois, et des seuils, où le guenbri n’a même pas besoin d’être accordé. Il suffit de le frôler pour qu’il fasse vibrer l’assistance.

L’ouïe entend et le destin parle. Ce vertige de l’ouïe, qui conduit à l’étourdissement de l’âme, vient du tambour, la voix des dieux africains, et du guenbri, vibrations cosmiques de trois boyaux de bouc sur une écorce de figuier sacré. Ils font appel aux sept esprits surnaturels pour illuminer la nuit :

 

Les esprits illuminent la nuit

Les esprits soufflent dans le vent

Les esprits marchent dans les forêts et les déserts

Les esprits font trembler les montagnes

Les esprits marchent au devant de la tempête

Un cheval de vent règne sur la mer

Sur les crêtes écumantes de l’océan

 

Le rythme du tambour et les vibrations du guenbri accompagnent – à la charnière de l’amour, de la mort et du hal- la horde multicolore des possédés en transe vers la lumière éclatante du jour. Au début le hal est un art, on y va de son propre gré. A la fin, on succombe à sa possession, comme le taureau va au devant du sacrifice et de la mort.

 

 

 

§ Les voyantes médiumniques de Taesloht

 

 

Selon le témoignage de Procope au VI è siècle :

« Chez les Berbères, les hommes n’ont pas le droit de prophétiser ; et se sont au contraire les femmes qui le font : certains rites religieux provoquent en elles des transes qui, au même titre que les anciens oracles, leur permettent de prédire l’avenir. »

 

A l’occasion des fêtes du Mouloud qui commémorent la naissance du Prophète la talaâ se rend en pèlerinage au sanctuaire de Moulay Brahim, dans la montagne au sud de Marrakech, puis à Tamesloht, au sanctuaire de Moulay Abdellah Ben Hsein où elle organise des lila et procède à des sacrifices. Ses Gnaoua l’accompagnent en ces lieux. Dans la tradition religieuse des Gnaoua, ce sont les talaâ (ou voyantes médiumniques) qui instituent les situations dans lesquelles les musiciens vont intervenir.

Sous le patronage de Baba Tourougui et de Baba Mekki, ces voyantes font le pèlerinage à Tamesloht pour obtenir la baraka du Cheïkh. Chaque voyante offre un sacrifice et laisse sa tbiga à la belle étoile jusqu’à l’aube. Dès lors, elle est reconnue comme talaâ, dépositaire de la baraka du Cheïkh.

Le don de prédire l’avenir en état de transe, et de servir le maître de la nuit, suppose de la part de la néophyte une longue période d’incubation, au cours de laquelle elle passe d’une mort symbolique à une renaissance.

« Avant d’être reconnue en tant que telle, explique maître Guinéa, la talaâ est allée en pèlerinage à Sidi Chamharouch le sultan des djinns, dont la grotte se situe au sud de Marrakech-, à Moulay-Brahim, à Tamesloht, et à beaucoup d’autres lieux saints ».

Là, elle s’est imprégnée de leurs effluves sacrés et s’est isolée pendant un certain temps dans leurs khaloua, lieu de prière et de retrait, généralement une grotte qui préfigure le ventre maternel où s’accomplissent la mort et la résurrection symbolique de la néophyte. Généralement, elle se retire en prière pendant un mois, jusqu’au moment où le rêve divinatoire apparaît dans la dormition. C’est la raison pour laquelle la postulante a accompli son pèlerinage.

Si le rêve divinatoire n’est pas apparu cette semaine, il apparaîtra la semaine prochaine. Au cours de ce rêve, elle se voit devant un tribunal de génies présidé par leur sultan Chamharouch. C’est là qu’on lui ordonne d’accomplir tel ou tel autre rite : elle doit sacrifier telle victime, à tel endroit, et y organiser une lila. On lui demande d’accomplir beaucoup de rites, avant de lui accorder des dons particuliers, soit l’immunité contre le fer  ce qui lui permettra de danser en état de transe avec les couteaux sans se couper, la capacité de danser avec le feu sans se brûler, ou encore celle de danser sur les débris de verre sans se blesser.

 

 

Dans ce dernier cas, elle égorge un pigeon et fait couler le sang sacrificiel sur les débris, puis jette la dépouille dans un endroit totalement isolé, par exemple à la mer. Dès lors, elle peut danser sur les débris de verre sans danger pour sa peau. Grâce à son plateau de cauris, elle détermine l’origine du mal et prescrit le remède qui guérira : soit un pèlerinage à tel ou tel autre marabout, soit l’organisation d’une nuit rituelle. Si elle prescrit une lila, c’est elle qui avisera le groupe de Gnaoua avec lequel elle a l’habitude de pratiquer la thérapie traditionnelle.

 

§ Les voyantes médiumniques

 

Sous la thérapie des femmes se dissimule une religion. En effet, à Tamesloht, le moussem met en scène l’opposition entre deux groupes de pèlerins : les Chorfa et les Gnaoua. Pour les Chorfa descendants de Moulay Abdellah Ben Hsein, cette manifestation du Mouloud est celles des tribus liées à leur ancêtre ; les Gnaoua y viennent par l’effet d’une greffe tardive. Ils sont tolérés à condition de rester dans les maisons et de ne visiter les lieux saints que pour apporter leurs offrandes.

Les Gnaoua ont une tout autre définition de la situation. Pour bien comprendre ce qu’ils font ici, il faut d’abord constater, que ce sont les femmes qui organisent les manifestations de leur confrérie à Tamesloht. Les musiciens Gnaoua qui les accompagnent sont là à titre d’assistants qui louent leurs « services » à ces talaâ. C’est là, d’ailleurs, la véritable structure de leurs pratiques pour autant qu’elles restent fidèles à la tradition africaine.

Cela, certes, n’apparaît pas au premier abord. Le spectateur de leur rite nocturne de possession, fasciné par ce « spectacle » de la transe « habitée », est avant tout sensible au jeu musical de ses animateurs. Il est tenté alors, de conclure que chez les Gnaoua, ce sont les musiciens qui sont les maîtres du jeu. En réalité, ici, comme dans tous les rites de possession, la gestion de la situation est assurée par les prêtresses du culte. Et ici comme ailleurs, les femmes, parce qu’elles sont tenues en marge de la religion des hommes, se sont donné secrètement une autre « religion » : la religion des femmes.

 

Qui consulte les voyantes ? Des gens souffrant de troubles attribués à l’intervention maligne d’êtres surnaturels qu’il va falloir identifier. La première démarche consiste à identifier l’agent surnaturel du trouble. C’est en état de transe que la voyante médiumnique est elle-même possédée par son Melk, qu’elle est en mesure d’indiquer au « possédé », l’entité qui le possède. Pour se faire elle a besoin de tout un « bricolage » rituel. Outre la présence des instruments de musique, il y a celle des deux accessoires sacrés : la tbiga et le hmal.

La tbiga est une corbeille d’osier contenant des étoffes ornées de cauris ainsi que sept encens : le benjoin noir, le benjoin rouge, le benjoin blanc, du bois de santal, du persil séché, des clous de girofle et, enfin, une prise de tabac dont la finalité est de faire éternuer les danseurs qui font semblant d’être en transe, ceux qui n’ont pas le hal.

 

Le hmal est constitué de deux baluchons de foulards aux couleurs des esprits qui seront évoqués durant la nuit rituelle. Il comprend également des tuniques aux mêmes couleurs dont se revêtiront les danseurs et les musiciens animant la nuit rituelle. Il comporte aussi des cannes de cérémonie, des poignards, des aiguilles et des bols traditionnellement dessinés à recevoir un mélange à base de farine de blé tendre qui sera consommé pendant la lila. Parmi ces bols figure celui de Sidi Moussa le marin. On note enfin la présence d’une gargoulette dont on se sert pour la danse des pèlerins.

C’est une voyante, la talaâ, qui a la charge de préparer ses accessoires. Le Gnaoui est, en général, au service d’une talaâ, qui prend en main l’organisation pratique du rituel, s’occupe des préparatifs pour le sacrifice et des accessoires que l’on vient de décrire. C’est à elle qu’on fait appel si quelqu’un tombe malade.

 

Aïcha Karbal, la femme de maâlam Guinéa, était une grande talaâ. Elle a légué son pouvoir de divination à deux de ses filles. L’une d’entre elles, Zeïda, nous parle, assise devant son alcôve où se trouve l’autel des mlouk, caché par un rideau de mousseline. Il supporte sept bols contenant les nourritures du melk.

 

Zeïda utilise aussi des cauris pour la divination car ils indiquent de quel génie le patient est possédé. Je sais s’il est possédé par Lalla Mira ou Sidi Mimoun. Chacun a sa couleur, son encens, son jour de la semaine et sa planète. Il y a la femme stérile a qui l’on demande de se ceinturer d’un fil de laine, et il y a celle à qui on recommande un coq sans sel cuit avec de l’huile d’olive et juste ce qu’il faut d’eau.

« Au moment de la consultation, raconte Zeïda, je suis moi-même possédée par mon melk, Bouderbala, le saint à la tunique multicolore, je me couvre d’une serviette rapiécée, je prends sa canne de mendiant céleste et son couffin. Ma sœur, elle, travaille avec les maîtres de la mer, les moussaouiyines.

Pendant la lila, ma mère avalait sept aiguilles et buvait un litre d’eau parfumée de rose. Puis, elle éjectait les aiguilles, l’une après l’autre, chaque fois qu’elle prédisait son sort à quelqu’un dans l’assistance de la lila. Moi, j’ai à peine la maîtrise du feu. Les flammes de quatorze bougies me lèchent les bras et les mollets, et je ne sens rien ».

Zeida appartient à une famille de Noirs venus du sud du Sahara, elle a hérité de sa mère, Aïcha Karbal, le métier de voyante-thérapeute et tout le matériel qui va avec, notamment les autels des mlouk.

 

Fatima, par contre, n’est pas l’héritière d’une tradition africaine. Elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui à partir d’un ensemble de troubles dans lesquels un ethnologue reconnaîtra un « recrutement par la maladie ».

La même distinction quant au recrutement se retrouve d’ailleurs chez les chamans dont certains le deviennent à partir d’une maladie initiatique alors que d’autres ont hérité de la charge.

La talaâ doit accomplir régulièrement un certain nombre de rituels et si elle ne le fait pas, elle risque, dit-on, de perdre ses capacités professionnelles et de retomber dans la maladie si sa carrière a commencé par une « maladie ».

Ces voyantes médiumniques, ces talaâ sont les héritières d’une vieille tradition, comme le constatait  Édmond Doutté, au début du XXe siècle :

« J’ai retrouvé aux environs de Mogador, les devineresses qui prédisent l’avenir avec des coquillages, et que Diego de Torrès observait déjà en 1550. Ce sont des femmes berbères qui prétendent faire parler des térébratules fossiles ».

Léon l’Africain nous parle pour sa part de femmes qui « font entendre au populaire qu’elles ont grande familiarité avec les démons, et lorsqu’elles veulent deviner, se parfument avec quelques odeurs, puis (comme elles disent) l’esprit entre dans leur corps, feignant par le changement de leur voix que c’est l’esprit qui répond par leur gorge ». La fumigation de parfums, aux dires d’Ibn Khaldoun, met certains individus dans un état d’enthousiasme tel qu’ils prévoyaient l’avenir.


Abdelkader MANA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Le sacrifice d’une victime a pour objet de mettre en relation le sacrifiant avec le sacré. Entre profane et sacré, homme et Dieu. C’est ce qu’exprime le terme arabe de « Qurbân » (sacrifice), qui signifie l’action de s’approcher de Dieu.

 

12:45 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique, psychothérapie, gnaoua | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook