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28/06/2010

Les Marqueteurs d'Essaouira

Les marqueteurs d’Essouira

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maâlam Tahar Mana, doyen des marqueteurs d'Essaouira (1910 - 2002)

« La forme du bois est changée si l’on en fait une table.

Néonmoins,la table reste bois, une chose ordinaire

et qui tombe sous les sens.Mais dés qu’elle se présente

comme marchandise, c’est une tout autre affaire.

A la fois saisissable et insaisissable,

il ne lui suffit pas de poser ses pieds sur le sol,elle se dresse

pour ainsi dire sur sa tête de bois, en face

des autres marchandises et se livre à des caprices plus bizarres

que si elle se mettait à danser ».Karl Marx

 

Ma grand-mère paternelle Mina serait morte en 1919 de la diphtérie, affection qu’on appelait « Hnicha » (serpentine), qui tue par étouffement au niveau de la gorge. Mon père n’avait alors que dix ans, quand sur son lit de mort elle le confia à Abdessalam, le fils aîné de sa sœur, en ces termes :

- Tahar, mon fils est orphelin du père et bientôt il le sera de mère : il n’a que faire du cléricalisme, il faut lui trouver un travail manuel pour vivre.

 

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maâlem Tahar Mana dans son atelier de la Scala début des années 1980

C’est ainsi qu’Abdessalam allait confier mon père à l’un des premiers marqueteurs d’Essaouira : c’était juste à la fin de la première guerre mondiale. Ce maître confectionnait service de thé et cross de fusils en bois de noyer incrustés d’ivoire, pour la Maison royale et les consuls de la ville, comme en témoigne mon père dans un enregistrement de 1980 :

 

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Traces de mon père: dessins géométriques et rinceaux floraux

« L’un des pionniers de la marqueterie fut le cheikh Brik. Il était le maître de Hâjj Mad, mon initiateur à ce métier. Le père de ce dernier le voyant un jour traverser l’artère des forgerons, au retour d’une partie de chasse, en compagnie d’un autre chasseur, avec leur tenue de chasse et leurs sloughis, s’exclama :


- Et dire que je voulais en faire un clerc ! Le voilà qui traîne maintenant des sloughis derrière lui ! Que faire ?


Quelques jours plus tard, il le retira de l’école coranique, et le confia à cheikh Brik, pour qu’il apprenne le métier. Le jeune apprenti qui avait vu auparavant, en passant devant l’atelier, cheikh Brik, en train d’administrer une fessée à un apprenti, sur le madrier, fit tout pour ne pas mériter le même châtiment. Mais il ne fut jamais puni, pour la simple raison, qu’en tant qu’ancien étudiant d’école coranique ; il s’était rendu indispensable, en déchiffrant les missives que son maître recevait de la Maison royale. Ce dernier confectionnait des coffrets ornés de nacre, des services de thé, et des crosses à fusils en bois de noyer, aussi bien pour la Maison royale que pour les consuls qui vivaient alors à Essaouira. Je me souviens d’une réception que m’avait accordée le pacha de la ville, dans les années 1930, pour me demander de reproduire en thuya, ces anciens modèles en noyer. Il me disait alors que ces ustensiles appartenaient au sultan Moulay Abdelaziz. Au début la marqueterie se faisait au feu qui laisse des traces noires — semblables à l’encre de Chine — qui restent pour toujours. »


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Maâlam Tahar Mana avec ses amis artisans en pic-nique rituel (nzaha) dans la vallée de l'Ourbika


Des traces qui restent pour toujours : épreuve du feu, traces indélébiles, tel est le désir d’éternité, qui habite tout créateur.C’est pour nous les vivants que cette mémoire est importante, si tant soit peu que le deuil soit possible… Je ne sais plus, pour ma part, quel penseur grec avait donné cette définition de la mort : quand je suis là, elle n’est pas là, et quand elle est là, je ne suis pas là. Une consolation ? Peut-être. Mais les blessures de l’âme, l’absence de l’aimé, qui peut les soigner ? Cette éternelle quête du sens ?

Bien avant l’apparition de la marqueterie, ses fondateurs étaient ceux-là même qui ornaient les toits des mosquées et ceux des demeures caïdales, et qu’on appelait les Brachlia. Mon arrière-grand-père paternel était de ceux-là. Il avait effectué à au moins deux reprises le pèlerinage à La Mecque à pied. À son retour au pays Chiadmi, trouvant sa maison dévastée, il était allé se réfugier dans la tribu voisine où on lui accorda femme, bergerie et terre à labourer. C’est là que naquit mon grand – père paternel, qui sera cordonnier de son état et qui mourra assassiné sur une plage déserte entre Essaouira et Safi, attaqué probablement par des coupeurs de route, qui lui enviaient sa charge de babouches. Mais sa disparition demeure toujours un mystère. Son père  Hâjj Thami le Marrakchi, aurait été non seulement un paysan et un pèlerin, mais aussi un  Brachlia de Marrakech, c’est-à-dire un décorateur des toitures en bois peint ; il aurait été le décorateur de la toiture de Sidi Mogdoul, le saint patron d’Essaouira.

La peinture avait donc précèdé l’incrustation du bois. Alors que les dessins géométriques sont incontestablement d’inspiration islamique, le recours aux rinceaux (ou Tasjir) est d’inspration occidentale comme l’indique son autre nom Ârq Aâjam (racine chrétienne). Ce dernier modèle s’inspire de la nature dont l’Islam prohibe l’imitation. Quant aux motifs ornementeaux, ils résultent d’une créativité locale : la marqueterie est donc la synthèse obtenue par des générations d’artisans, à partir de la combinaison de modèle d’emprunts et de créativité locale.

 

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Peinture sur bois du Mokhazni Bentajer

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Peinture sur bois du ferrailleur, Asman Mustapha

Sur la table circulaire du marqueteur, comme dans la voûte intérieur d’une coupôle peinte par un Barchliya, tous les dessins sont organisés autour d’un noyau central et se basent essentiellement sur le principe de la symétrie. Une khotta (dessin géométrique) , rayonne à partir du centre et se caractérise par le nombre de rayons dits Isftown dans le jargon de la corporation des marquéteurs d’Essaouira, et l’espace entre deux rayons est dit Kandil (lanterne). On peut définir la Khotta – peinte par mon arrière grand père le Brachliya, puis incrustée par mon père le doyen des marquéteurs – comme étant un cercle formé de deux ou plusieurs carrés en rotation autour d’un même centre, dont chaque angle est traversé par deux rayons parallèles. Nous avons au total quatorze Khotta possible de la plus simple (l’hexagonale) à la plus complexe ( la Stinia) qui donne son nom au château du Glaoui à Marrakech. On retrouve là tous les chiffres magique rencontrés chez les Regraga : les quatre point cardinaux du carré magique, la forme circulaire du cycle temporel, comme me le disait souvent mon père :


Le temps tourne pour ceux qui obéissent comme pour ceux qui se révoltent

A lui, seuls les ignorants se fienti,

Combien de peuples y ont vécu dans le bonheur et l’insouciance

Et un jour, il les a sabré sans poignard !


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Maâlam Tahar Mana avec médaille de mérite de l'artisan

C’était un véritable rite d’initiation que le passage du statut de compagnon à celui de maître. A cette occasion se réunissait un conseil : l’Amine avec ses deux conseillers, le compagnon candidat et son ex-maître. On ne se cotentait pas des jugements qu’émettait ce dernier à l’égard de son disciple, on procédait à un examen municieux des ouvrages fabriqués par le candidat. On se renseignait sur sa moralité, le fameux Maâkoul. Ce n’est que lorsque ces conditions étaient requises que le titre de MAÎTRE, qui confère en même temps le droit d’ouvrir un atelier autonaume, lui fût atribué. On pourrait penser que ce système rigoureux était lié à l’intérêt qu’avait la corporation de limiter les candidatures possibles. Il était plutôt choisi pour une grande part par la qualité des ouvrages qui se faisaient naguère. La conception mentale est toujours plus rapide que la maîtrise gestuelle et le maître est justement celui qui est parvenu à transmettre de l’intelligence à ses gestes. L’apprentissage avec ses rites d’initiation qui ponctuaient le passage du statut d’apprenti à celui de compagnon et, enfin, de maître, visait cette pleinitude du geste où la main devient « pensée ».

Le premier maître de mon père fut Abdelkader El Eulj, un originaire d’Andalousie : il aurait sauvegardé la clé de la maison de ses ancêtres de Cordoue. Celle-ci était transmise de génération en génération dans l’improbable espoir de retrouver un jour le paradis perdu de l’Andalousie musulmane ! Et l’on dit que si la progéniture d’Abdelkader El Eulj, était mulâtre, c’est parce que lui, l’Andalou au blanc immaculé, s’était marié avec une esclave du fait que sa femme blanche était stérile.


Abdessalam, le tuteur de mon père disait à son maître en marquetterie :


-- Vous avez droit de vie et de mort sur ce garçon : si vous le tuez, nous sommes là pour fournir le linceul !

Un jour qu’il était aller chercher de l’eau à la fontaine publique pour son maître, celui-ci lui fracassa la cruche remplie d’eau sur la tête pour cause de retard.


Après cet incident, mon père a dû rejoindre un autre maître du nom de Hâjj Mad, enterré à la zaouïa de Moulay Abdelkader Jilali, où avait eu lieu la cérémonie funéraire au quarantième jour du décès de mon père, et où le fils d’Allam -le nachâr (scieur de madriers à la coopérative des marqueteurs)- avait distribué en guise d’hommage à l’assistance, la fiche artisanale de mon père.

 

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L'allée des marqueteurs

Hâjj Mad était à la fois marqueteur et marchand d’esclaves : sur les terrasses de la ville, on enduisait au henné le corps d’ébène des jeunes esclaves, pour les rendre « luisants » et « attrayants », afin de les vendre à un prix avantageux dans l’actuel marché aux grains (Rahba). Un jour Hâjj Mad voulu ausculter la dentition de l’un d’entre eux, et sans crier gare, celui-ci lui mordit la main jusqu’à l’os ! Maâlam Mahmoud Akherraz, le sacrificateur des Gnaoua qui vient de disparaître presque centenaire me confirmait ces faits :


« Un jour, je devais avoir entre huit et dix ans, je vis un esclave mordre le doigt d’un marchand qui l’avait introduit dans sa bouche pour examiner sa denture.Cela se passait vers 1920. Mon oncle maternel fut acheté au prix de soixante rials, à l’époque du caïd khobbane. Toutes les familles aisées de la ville avaient des servantes noires, les khdem, et des esclaves mâles, les abid. Dans ma jeunesse, les Noirs autour de moi parlaient un dialect africain que je ne comprenais pas. D’ailleurs, je ne comprends pas non plus certaines paroles des chants gnaoua. »


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L'atelier de mon père: le numéro 11 de l'allée des marqueteurs
Mon père accompagnait son maître Hâjj Mad aux veillées religieuses, en tenant d’une main l’ampleur de son burnous et de l’autre une lampe à huile d’olive, pour éclairer les sombres et tortueuses ruelles d’Essaouira d’alors. Il l’escorta ainsi à un mariage qui se tenait au Riad du négociant Hâjj Fayri ; où des musiciennes femmes étaient accompagnées d’un luthiste aveugle : Le musicien devait être toujours aveugle pour ne pas être ébloui par le charme satanique des femmes !


C’était au temps, où à la veille de la fête du sacrifice, les enfants chantaient encore la fameuse comptine dénommée Qûbaâ ( la pie ), qui fait partie de ce que Halbwachs appelait « les cadres sociaux de la mémoire »  :


Pie, ahah !

Carrelée, ahah !

Viande fraîche, ahah !

Et n’égorge, ahah !

Et ne dépèce, ahah !

Jusqu’à ce que vienne, ahah !

Moulay Ali, le doré !

Il a bu une sangsue,

Aussi grande que l’astre !

Pour guérir ? Ahah !

Sueur d’ensens, ahah !

Où est l’ensens ?

Chez l’herboriste !

Où est l’herboriste ?

Dans la cithar !

Patronne de la maison

Par-dessus l’olivier !

Cette maison est la maison de Dieu !

Et les disciples, esclaves d’Allah !

Donne moi quelque chose,

Si non, je pars,

En rampant,

Comme le serpent

Providentielle ! Haw ! Haw !

Sur l’olivier! Haw! Haw!

Cette maison est la maison de Dieu !

Libérez-nous ! Providencielle ! Haw ! Haw !


La maîtresse de la maison leur donnait alors un mélange de henné, de sel et d’orge, que le bélier devait avaler avant d’être sacrifier par Moulay Ali le doré. Actuellement ces comptines oubliées ne sont plus évoquées que par de vieux souiris, lorsqu’ils parlent des années folles de leur enfance. Après l’école coranique, les enfants étaient principalement déstinés à un travail manuel, la marqueterie, en particulier.

Tout à l’heure le peintre Zouzaf m’a convié à rejoindre Abdessadeq, ami de mon père et l’un des derniers marqueteurs d’Essaouira. Au quarantième jour de la mort de mon père, il m’avait fait écouter des enregistrements radio de mon père effectués au début des années quatre-vingts,c’est-à-dire à un moment où il fréquentait encore son atelier de la Scala, juste en face du vieux cinéma de la ville, actuellement fermé. Quand je quittais à l’entracte la salle obscure, la première silhouette que je voyais, les yeux encore éblouis, était celle de mon père sciant inlassablement le bois. Et combien de fois ne lui arrivait-il pas de revenir travailler jusqu’à tard la nuit juste pour que nous ne puissions manquer de rien. L’atelier où travaillait mon père respire à la fois la forêt du mont Amsiten que nous avons aimé ensemble par d’innombrables balades philosophiques, où l’adolescent que j’étais assaillait de questions le maître à penser qu’il fut pour moi : un artisan capable d’évoquer à la fois Al Maârri, le poète aveugle, mais ô combien clairvoyant, Al Ghazali surnommé « preuve de lIslam », et Socrate faisant face avec courage et dignité au breuvage à la ciguë… On avait aménagé les ateliers des marqueteurs dans ce qui tenait lieu de dépôt de canons et de munitions : devant chaque atelier, un anneau de fer où était attaché le cheval qui tirait le vieux canon jusqu’en haut de la rampe qui fait face à l’ennemi venu de l’océan des ténèbre.

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Maâlam Tahar Mana jaugeant un madrier de thuya (gaïza) à la coopérative des marqueteurs d'Essaouira

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Des madriers de thuya de cette taille n'existent plus dans les forêts de la région d'Essaouira: on va les chercher très loin dans la province de Taroudant. La région dispose pourtant d'une riche forêt de thuya notamment au mont Amsiten en pays Haha, au Sud d'Essaouira, mais depuis le début du XXème siècle à nos jours, cette forêt de thuya a été décimée par la coupe éffrénée, pour le charbon vendu à vil palors même que cette source d'énergie est devenue obsolète. Le précieux bois de thguya dont a besoin la marqueterie local est devenu rarissime - les arbres de thuya utilisés par les marqueteurs d'Essaouira constituent seulement 1% de la forêt existante- et les artisans douivent maintenant chercher leur précieuse matière première très loin ce qui hypothèque leur avenir concernant la disponibilité de cette précieuse et rarissime matière première!

Images de la coupe de la forêt de thuya au mont Amsiten en pays Haha

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De la coopérative des marqueteurs me revient surtout le souvenir de la fête de mars, qu'organisait la corporation, avec comme vedette Abibou le chantre du Malhûn local, boulanger de son état, célèbre surtout par sa petite taille et son humour caustique : il ne pouvait pas ouvrir la bouche sans provoquer l'hilarité universelle.Je vois encore « BaghiTagine » (désir- de - tagine), décédé récemment, interpeller de l'estrade maâlam Tahar Mana, en le surnommant le « rossignol de la corporation », probablement pour l'habileté de son art puisqu'il n'avait pas une voix de ténor.

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Le légendaire maâlem Abdellah Abibou, grand ami de mon père devant l'éternel.Ce dessin a été réalisé à Casablanca, par un certain Albert(déssinateur de rue).le 25 décembre 1966, d'après une photo d'identité de l'interréssé, décédé à l'âge de 86 ans, en 1962, puisqu'il était né en 1876.
C'était l'un des plus grands connaisseurs du Malhun de la ville et du Maroc.Il était aussi connu par son humour costique. Son trésor de qasida demalhun (khazna), se trouvait caché dans une vieille valise, qui contenait 47 manuscrits de Malhun, ainsi que trois parchemins en cuire contenant chacun une qasida du genre malhun composé de son propre crû: l'une d'entre elle était dédiée à sa campgne Saâdia, la deuxième s'intitulait Sidi Yacine, le saint patron situé au bord de l'oued Ksob, non loin de Ghazoua. Et la troiième qasida , il l'avait composé en l'honneur du fils du tanneur Carel, à l'occasion de son anniversaire. Il avait tout le temps sur lui une taârija(tambourin) enduite de henné, dont il se servait pour déclamer les qasida du malhun. C'était un buveur impénitent, un bon vivant qui appréciait, la fine fleur du kif (on a sauvegarder sa pipe de kif jusqu'à une période récente), mais quand la "Sjia"(l'inspiration) était là, il n'écrivait pas lui-même la qasida, mais la dictait à son élève le bazariste et antiquaire Miloud Ben Ahmed Ben Miloud, dit "Ben Miloud " tout simplement
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Le 15 janvier 2003 je notait cette anecdote sur la cohabitation des religions  à propos du grand père de Ben Miloud : Le soir Ben Miloud m'a parlé du récit que me racontait mon père sur son grand -  père l'imam de la Zaouia des Regraga : « Le prêtre de l'église locale avait l'habitude de se rendre tôt à la plage de Safi, au nord d'Essaouira. Un jour il perdit un gousset plein de louis d'or, non loin de Bab Doukkala. Le grand- père de Ben Miloud, qui était imam à la Grande Mosquée, et qui avait lui aussi l'habitude de faire sa promenade matinale au bord de la mer, découvrit le gousset de louis d'or. Le jour même, il fit appel au crieur public pour annoncer au travers les artères de la ville, que « quiconque avait perdu un gousset ; doit se présenter devant l'imam de la Grande Mosquée pour donner son signalement et son contenu, afin qu'elle lui soit restituée. Le prêtre se présenta devant l'imam et retrouva effectivement son gousset  de Louis d'or intact ».

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Dimanche 27 juin 2010: Ben Miloud et Jean Claude Gans, curé d'Essaouira depuis 30 ans.Celui - ci m'apprend que l'ancienne église qui est située au coeurs de l'ancienne kasbah est d'origine Espagnole. Elle date de la fandation de la ville en 1765 et aurait été remplacée par l'actuel église où officie le père Jean Claude vers 1936.
J'ai déjà raconté cette anecdote concernant Ben Miloud et Georges Lapassade qui enquêtait alors sur le poète du Malhune d'Essaouira, Mohamed Ben Sghir: Un jour, au tout début des années 1980, le proviseur du lycée m'invita à une réunion prévue vers 16 heures à la Chambre du commerce, entre Georges Lapassade, et les connaisseurs du Malhoun de la ville. La réunion était provoquée par Georges qui enquêtait alors sur Ben Sghir, le chantre du malhoun souiri. A l'origine de cette enquête, un article où Hachmaoui et Lakhdar, résumaient la qasida de Lafjar (l'aube) de Ben Sghir sans donner le texte. Après cette réunion à la chambre du commerce, Georges m'embarqua dans l'enquête sur les traditions musicales d'Essaouira et de la région qu'il menait à l'issue du festival d'Essaouira (1981). Une fois à Paris il me faxa ce qui suit à propos de l'article controversé sur le malhoun :

« Ce qui choquait mon esprit de cartésien, y écrivait-il, c'est que nous avons découvert que le cahier d'un certain Saddiki (grand'père du prof. d'histoire du même nom) qu'il avait exposé au Musée et « commenté » était daté en réalité de 1920, et non de 1870 comme ils prétendaient, tirant argument de cela et du contenu du cahier, pour inventer une sorte de pléiade poétique souirie qui aurait eu pour mécène vers 1870, à Essaouira, Moulay Abderrahman ! C'est cela que je contestais beaucoup plus que l'origine souirie de B.Sghir. En effet, ce cahier contenait des qasida diverses, recueillies (peut-être) par le grand'père Saddiki au cours de ses voyages à Marrakech qui du coup devenait souiri ! Etant donné l'impossibilité d'avancer à Essaouira, j'ai fini par me décider d'aller consulter à Marrakech Maître Chlyeh, animateur d'une sorte d'Académie du malhoun. Il m'a fort bien reçu, bien informé et je crois (sans en être sûr) que la version de Lafjar que j'ai ensuite diffusé à Essaouira venait de lui »

Toute la démarche de l'enquête ethnographique de Georges Lapassade réside dans ce texte : alors qu'il demandait des informations sur Ben Sghir, au bazariste Ben Miloud, celui-ci était assis sur un vieux coffre qui contenait plein de qasida, dont celles de Ben Sghir ! C'est pour contourner cette rétention d'informations, ces réticences locales qu'il se voyait obligé de se rendre à Marrakech pour obtenir la fameuse qasida de Lafjar (l'aube) ! L'enquête pourrait durer des années, chaque été il revenait à la charge avec son obsession de chercheur et son doute cartésien pour reposer encore et toujours l'énigme Ben Sghir.

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Ben Miloud dont le bazar se trouve au coeur de la Kasbah, réside à la fameuse impasse de Derb Adouar, qu'évoquait le "Rzoun", le chant de la ville et où habitait l'artiste peintre Regraguia BENHILA et le luthiste "Tik-Tik" qui a été parmi les figurant du tournage d'Othello par Orsen Welles en 1949. Au début des années cinquante, le souvenir était encore vivace du tournage d'Othello par Orson Welles à Mogador. Le soir on le voyait souvent méditer sur la grande place du syndicat d'initiative. Dans le film, on reconnaît surtout « Tik-Tik » avec son luth au pied des remparts de la Scala de la mer. « Tik-Tik » est mort récemment en ivrogne à la vieille impasse d'Adouar qu'évoque en ces termes le rzoun, vieux chant de la ville :

Ô toi qui s'en vas vers Adouar

Emporte avec toi le Nouar

La rime est un jeu de mot entre « Adouar » (le nom de la sombre impasse supposée cacher les belles filles de la ville) et le « Nouar » (le bouquet de géranium et de basilic). Mon père me racontait qu'un jour Orson Welles se présenta à son atelier alors qu'il était en train de terminer une magnifique table en bois d'arar, décoré de dessins géométriques complexes et de rinceaux d'inspiration andalouse. Quand mon père dit à Orson Welles le prix de la table en question, le cinéaste américain en fut offusqué :

- À ce prix-là, lui dit-il, je briserais cette table sur ma tête plutôt que de la vendre !

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Dans mes souvenirs d'enfance, lorsque j'accompagnais mon père à la coopérative des marqueteurs, c'était toujours le père du sculpteur Allam, qui l'accueillait pour scier ses madriers de thuya sous les arcades et les bananiers. La coopérative est située au noyau primitif de la ville, là où résidaient les amines (contrôleurs) de la douane : à son entrée, on pouvait encore voir, il y a quelques années, les mangeoires où les amines du port attachaient leurs chevaux au retour de la porte de la marine, par où transitaient les marchandises de la terre à la mer et de la mer à la terre.

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Une des dernières traces du travail de mon père

Et maintenant le fils d’Allam me soumet une fiche technique sur mon père du temps du Protectorat. Cette fiche artisanale est établie par le directeur français de la coopérative le 15 juin 1951. Mon père avait alors 41 ans, ce qui veut dire qu’il était né, non pas en 1912, comme nous croyons jusqu’ici, mais en 1910. Il serait rentré à la corporation en 1920, à l’âge de 10 ans.Mon père fut d’abord apprenti, puis compagnon, avant de devenir lui-même maître artisan en 1936 avec son propre atelier — 24 m² . Il y disposait d’une caisse à gabaris (les Bratels) qu’il ressortait à l’occasion ; ce sont ses aides – mémoires techniques en quelque sorte.

 

 

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Affiche réalisée par Hussein Miloudi, pour le prix Tahar Mana du meilleurs produit en bois de thuya 2008, organisé à Essaouira, par le Sécrétariat d'Etat auprès du Ministère du tourisme et de l'artisanat. La remise des prix eut lieu dans la salle des fêtes au siège de la province d'Essaouira. On remit aussi le prix Nessim Loeub, pour le meilleur bijoutier de Mogador.

Les encouragement materiels et moreaux, le prestige dont jouissait maâlam Tahar, faisaient de lui un artiste. Sachant que son travail était apprécié à sa juste valeur il le faisait avec patience et amour. Il travaillait même la nuit, non pas comme aujourd’hui sous la pression du besoin, mais afin de retrouver l’isolement propice à l’inspiration. Il était, disait-il, à la recherche de sa Gana, l’état où l’esprit est possesseur de toutes ses facultés.Perfectionniste il l’était pour mériter de plein droit le titre de maâlam (maître) dont on l’affublait. Pour lui, la beauté n’était rien d’autre que l’équilibre parfait. Il s’opposait à l’artisan de la campagne qui n’était pas comme lui à la recherche de la finesse des formes, mais à celle de sa gourmandise et de sa vitalité naturelle.

 

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Quand je me rendais, enfant, à l’atelier de mon père, j’étais surtout fasciné par l’odeur des bois que décrit avec minutie cette fiche artisanale de 1951 : il avait 40 kg de loupe (racine de thuya) à 15 fr.le kg, 30 madriers de bois de thuya, à 150 F le madrier, trois morceaux de 5 kg de citronnier en provenance de Chichaoua, cinq rondins d’ébène (Taddoute) à 200 F le rondin, 1 litre venant du pays haha ; 40 boites de colle forte, et 2 litres d’alcool.

Telle est la matière première avec laquelle travaillait mon père. La fiche artisanale établie par Mr.Bouyou directeur de la coopérative des marqueteurs alors, précise aussi son outillage — avec la mention « insuffisant » : 4 établis, 2 varlopes, 4 marteaux, 4 ciseaux, 2 tenailles, 3 rabots, 3 serre-joints, 1 drille, 3 scies, 2 rabots à dents.

À partir de 1938 mon père était considéré comme maâlam (maître artisan), puisqu’il avait pour exécuter ses créations un « sanaâ » (compagnon) et un apprenti « matâllam » : son salaire hebdomadaire passait de 20 F en 1938 à 500 F en 1951. La fiche artisanale mentionne que le loyer de son atelier était de 210 F le trimestre et qu’il payait annuellement une patente de 570 F.

 

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Louzani, l’entraîneur national souiri né en 1942, me dit aujourd’hui que pour évaluer le véritable revenu de ton père alors, il faut savoir qu’au début des années 1950 le prix d’un kilo de mouton valait un dirham, et la consommation du poisson était quasiment gratuite pour les habitants de la ville. Mon père pouvait alors non seulement prendre en charge ses enfants — en 1951, notre aîné Abdelhamid venait de naître, et nous autres ses frères et sœurs nous n’étions pas encore de ce monde — mais aussi ceux de son demi-frère aîné Omar le poissonnier coléreux. Dans les ruelles étroites de la ville, on pouvait alors entendre les enfants chanter :


S’il n’y a pas de koumira ? Al- sardila !

S’il n’y a pas de sardila ? Al-koumira !


Autrement dit ; s’il n’y a pas de koumira,(baguette de pain), il y aura toujours la sardila (sardine), et vise versa.


Et certains soirs d’hiver, quand il rentrait à la maison sans le sou, mon père nous regroupait, nous, ses enfants, autour de lui, et nous conviait à lire en sa compagnie la Naçiria où le maître de Tamgroute incitait, les Marocains à résister à l’envahisseur portugais :


Faibles, nous sommes, mais par la grâce de Dieu, nous serons innombrables et puissants


Je me souviens d’une journée noire des années 1970, où l’on m’apprit que la police avait conduit mon père au commissariat pour le contraindre à payer ses impôts. Heureusement qu’on finit par le relâcher en fin de journée : c’est la seule fois de toute sa vie où il eut affaire au Makhzen. Omar son demi-frère, était aussi allergique au Makhzen. On raconte qu’il s’était installé un jour à Souk –Jdid en plein centre-ville, en désignant aux passants la notice d’impôt qu’il venait de recevoir :


- Ayez pitié, disait-il du Makhzen ; donnez-lui un peu de cet argent qu’il me réclame : ce n’est pas moi qui mendie, mais le Makhzen !

Les Marocains ont toujours été réticents à payer l’impôt au pouvoir central : on ne voyait pas en quoi cela était justifié. La fameuse coupure entre le pays du Makhzen et le pays de la Siba (l’anarchie), était due aux jacqueries paysannes contre le  tertib, cet impôt que le Makhzen prélevait sur le bétail et les moissons sans offrir quoi que ce soit en contrepartie à part ses expéditions punitives et ses petits despotes de caïds qu’il désignait à la tête des tribus.

 

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L’intérêt des artisans était lié à la bonne réputation de leur marchandise, d’où la nécessité d’une réglementation décidée plutôt par le corps de métier, qu’imposée de l’extérieur. Entouré de deux conseillés, l’AMINE intervenait selon la coutume pour résoudre trois sortes de conflits :

-Le conflit entre les artisans (un artisan n’avait pas le droit de séduire par l’attrait du gain, les compagnons de ses confrères, bénéficiant ainsi d’une formation à laquelle il n’avait nullement contribué).

- Entre artisans et bazaristes (la contrefaçon de modèles était prohibée si bien que chaque atlier se distinguait par la nature de ses ouvrages).

- Entre artisans et clients (chaque artisan avait son garant : son ex-maître, au cas où il n’honorait pas un contrat).

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Maintenant, la relève est assurée par des artistes-artisans, tel maâlem Hayat, Jazzman des Hamadcha et des Gnaoua. Ou encore des peintres-sculpteurs tel Saïd Ouarzaz:

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L'atelier Bungal où travaillait mon père dans les années 1930, renaît à nouveau de ses cendre après s'être transformé un certain temps, en café à billards.
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Le témoignage de maâlem Mtirek sur le samaâ judéo - musulman d'Essaouira

Aujourd'hui, le mercredi 13 janvier 2010, vers la mi-journée (journée brumeuse mais lumineuse) alors que je prenais un thé à la menthe à la terrasse du café Bachir qui donne sur la mer, je vois venir sur une chaise roulante, maâlem Mtirek, ami à mon père. Il est presque centenaire maintenant, mais sa mémoire reste vivace. Il se souvient de la veillée funèbre du 13 janvier 2003, organisée à la Zaouia de Moulay Abdelkader Jilali pour le quarantième jour du décès de mon père : « C'est là, me dit-il, qu'est enterré maâlem Mad, le maître artisan de ton père. Après avoir accompli son apprentissage auprès de lui, ton père était venu travailler chez Bungal dans les années 1930. Mon établi  ( manjra), le sien et celui de Ba Antar étaient mitoyens. Un jour, je me suis mis à déclamer des mawal (oratorios) . Une fois apaisé de mon extase, ton père qui écoutait à l'entrée de l'atelier est venu vers moi pour me dire sur le ton de la plaisanterie :

-         Maâlem ! Laisse les gens travailler au lieu de les extasier par ton mawal ! le chantier s'est  arrêté à cause de tes mawal  !

C'est ce mawal que je déclamais alors sur le mode de la Sika andalouse :

Ya Mawlay koun li wahdi,Li annani laka wahdaka

Wa biqalbika îndi,Min Jamâlikoum

la yandourou illa siwaakoum

Seigneur, soit pour moi tout seul

Parce que c'est à toi seul que je me suis dévoué !

Et mon cœur n'a plus de regards que pour ta splendeur !

A l'époque , poursuit maâlem Mtirek, tout le monde était mordu de mawal à Essaouira : le vendredi on allait animer des séances de samaâ, d'une zaouia, l'autre : la kettaniya, la darkaouiya, celle des Ghazaoua et celle de Moulay Abdelkader Jilali. Les Aïssaoua et les Hamadcha faisaient de même avec leur dhikr et leur hadhra à base de hautbois et d'instruments de percussion. On allait aussi chez les Gnaoua dont la zaouia était dirigée par El Kabrane (le caporal), un ancien militaire noir, qui parlait sénégalais et qui gardait l'hôpital du temps du docteur Bouvret. C'était un type très physique qui servait en même temps de videur lors des lila des Gnaoua : si quelqu'un sentait  l'alcool en arrivant à la zaouia de Sidna Boulal ; il le prenait à bras le corps comme un simple poulet et le jetait au loin, hors de l'enceinte sacrée. Les gens étaient véritablement « Ahl Allah » (des hommes ivres de Dieu). Nous avions notre propre orchestre de la musique andalouse, dont faisait partie Si Boujamaâ Aït Chelh, El Mahi, El Mamoune et un barbier . Les juifs avaient leur propre orchestre de musique andalouse: Chez eux un dénommé Solika faisait office de joueur de trier, il y avait aussi un rabbin qui jouait de la kamanja  et un autre du luth.  On allait aussi écouter les mawal chez la communauté israélite de la ville. Une fois alors que j'étais au mellah, au vestibule d'une maison juive où se déroulait un mariage, je me suis mis à déclamer un mawal à haute vois - j'avais alors une voix très forte qui porte au loin - et tout le monde s'est mis à courir dans tous les sens en disant : « Venez écouter cette belle voix d'un musulman ! ». A l'époque il y avait un tailleur parmi les musulmans dont j'ai oublié le nom, qui avait une voix tellement attendrissante, qu'elle paralysait quiconque venait à l'entendre. »

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L'apparition de la galerie Frederic Damgaard, au début des années 1980, a favorisé, l'éclosion de nouveaux talents qui font éclater les formes traditionnelles de l'esthétique, tout en s'en inspirant comme on le voit dans ce tableau.

L’apparition du BAZARISTE, intermédiaire nécessaire à l’artisan en période de crise et en saison morte, est la cause indirecte de la dispartion du système corporatif.Sa main mise sur le circuit commercial et sa concurrence déloyale sont générateurs de déséquilibres rendant caduque la discipline corporative. Pour survivre l’artisan est contraint de prendre des « avances » auprès du bazariste, alors que le produit n’est pas encore fini, et donc de le vendre à vil prix, puisqu’il ne peut pas attendre l’arrivée du client potentiel. En effet, avec la crise et le tarissement de la clientèle touristique nombre d’artisans ont été contraints, durant les années 1930, de subir la tutelle des bazaristes. Pour la première fois, ils furent assemblés par dizaine, pour produire dans une même manufacture, celle de Bungal. Ce « bailleur de fonds » (chkâ’yrî), prenait les commandes auprès des européens et les faisait exécuter par les artisans réunis dans sa manufacture. C’est ainsi qu’il fit éxécuter à mon père une scala miniature, qui fut exposée des années durant au syndicat d’initiative, avant de finir en morceaux, aux fourrières de la ville.

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Le numéro 11 : l'atelier de mon père, juste en face de l'ancien cinéma Scala
ex-consulat d'Allamagne au 19 ème siècle


Mais, dés que la crise cessa, cette manufacture s’évanouit aussi promptement qu’elle était apparue, et chaque artisan retrouva son autonomie. Ainsi, si le bazariste peut contrôler durablement le circuit commercial, il ne peut en faire autant pour la production, puisque l’artisan tend à être soudé à ses moyens de production comme l’escargot à sa coquille. Lorsque l’artisan vendait lui-même son propre ouvrage, il savait que sa réputation tenait à la qualité de ce qu’il produisait. Mais lorsqu’il fut obligé de passer par le bazariste, sa créativité s’émoussa, car ce dernier pouvait transmettre son modèle à d’autres artisans qui alors en faisaient des contre-façons. Par ailleurs la transmission intergénérationnelle du savoir artisanal devient de plus en plus défaillante : la pression des besoins fait que l’appreti se détache le plutôt possible de son maître alors qu’il n’a pas encore accompli tout le cycle d’apprentissage. C’est ainsi qu’on trouve actuellement des ateliers qui produisent exclusivement un seul article. Le jeune artisan complètement dépendant du bazariste est souvent condamné à vivre dans la marginalité et le célibat, comme le vieil artisan est condamné à mourir sur son outil de travail, à moin que sa descendance ne lui assure sa retraite.


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L'intérieur de l'atelier de mon père: au 18 ème siècle ,ces ateliers servaient  aux canoniers (tabjia) à y entreposer leurs boulets et canonsEn face de chaque atelier, existait un anneau de fer où on attachait les chevaux qui tiraient ces canons en haut de la rampe de la Scala de la mer.

Les corporations d’artisans constituait une très forte communauté unie dans le travail, la fête et, plus encore, l’épreuve. Ces membres se retouvaient dans le cadre de confréries religieuses et cette communion spirituelle renforçait la cohésion professionnelle. Pour leurs loisirs ils organisaient des Nzaha, sorte de piques – niques rituels, à l’ombre des mimosas de Diabet, aux environs immédiats d’Essaouira. C’est dire que la société traditionnelle maintenait l’équilibre entre les lieux du Maâkoul (honnêteté, sérieux) qu’étaient l’Atelier et la Mosquée et les lieux du Mzah (ludique), qu’était par exemple à Essaouira, Derb Laâzara (le quartier des célibataires). Avant l’avènement des moyens de transport moderne, ils se tenaient campagnie pour se rendre à Marrakech, souvent leur ville d’origine, comme le montre cette qasida du malhun de Ben Sghir intitulée « Bent el Ârâar » (la sculpture de thuya).

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Abdelkader MANA

10:36 Écrit par elhajthami dans Histoire, Mogador | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : mogador, histoire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

09/05/2010

Lettre de Casablanca

t3.JPGLettre de Casablanca

Chère Marta,

Je prends immédiatement le bus pour aller voir ma fille à Casablanca. La sincérité, est ce qu''il y a de plus beau: c'est le seul style qui me sied et qui siéra à notre relation. Considère que je suis seul dans le cosmos et vient à ma rencontre..... Aujourd'hui comme un fou, j'appelle toutes les femmes de mon portable et je les surprends en leur disant combien j'ai envie d'elles toutes avec jubilation... Oui il est venu pour moi le temps de raconter une histoire.Je n'ai pas de scénario pour une "histoire", la mienne et celle de mon pays: il faut juste écrire au jour le jour en espérant trouver un fil conducteur. En partant de mon impasse et de celle de mon pays. A Casablanca j'ai l'impression étrange de me retrouver dans un monde inconnu. De me sentir comme un "revenant": Il n'y a plus personne à qui s'adresser. Oui j'ai l'impression de me réveiller dans un autre Maroc... Un pays amnésique qui ne sait plus d'où il vient ni où il va...

Pour ce qui est de mon ex-je lui ai demandé hier de me prêter son appareille photo numérique Elle m' a répondu : " Je te le donnerai dès mon retour de Fès ce dimanche » . Il est vrai que mes pulsions deviennent particulièrement virulentes à chaque fois que je prends le train: c'est là que je me suis rendu compte un jour brutalement de son départ irrémédiable et que je me suis mis à pleurer comme un enfant abandonné par sa maman...Dans un train en  partance vers le Sud. Depuis lors, à chaque fois que je monte dans un train je n'arrive pas à me tenir en place: je me mets à errer dans les couloirs et les compartiments comme si j'allais la retrouver à nouveau pour m'y blottir. C'est pourquoi j'ai terriblement peur des pulsions incontrôlables qui me saisissent à chaque fois que je monte dans un train...En ce printemps renaissant, le désir est pour moi un signe de bonne santé physique mais je sens que je n'en n'ai plus pour longtemps. C'est une manière d'exprimer la panne d'écriture. Ni Casa ni Rabat ne me sont d'aucun secours: je dois revenir à Essaouira et tenter d'être admis à nouveau à l'écriture: ici le vide est effrayant...Tenter de retrouver cette brûlure, cette flamme intérieur si précieuse à mon écriture.

Je suis content que vous ayez trouvé belles mes images....C'est extrêmement beau et gratifiant. J'en tire deux conclusions essentielles: ce qui me sied le plus c'est le style 'journal de route' où je m'implique émotionnellement et non le style prétendument 'objectif', genre rapport ou documentaire (ce qui suppose une documentation qui n'est pas mienne et qui n'appartient déjà plus au monde des vivants, figeant ainsi ma respiration dans le marbre, me privant de ma propre libre expression...La seconde observation est vitale : tous les textes que vous venez de choisir ont été rejetés, censurés par la presse officielle au point que le pauvre Jbiel n'a pu trouve nul part où publier notre réçit sur son bidonville! Mon blog était une simple consolation. Ça nous rassure tous les deux: ce n'est pas nous qui sont des enfoirés mais le système. On n'est pas des officiels; c'est rassurant y compris pour la série documentaire suspendue que j'animais a la deuxième chaine marocaine. Dernière observation d'importance   : mon blog a fait un bon significatif en terme de visiteurs (il est passé de 153  avant hier a 184 visiteurs hier et 225 aujourd'hui) :  Est- ce a cause de la guerre du Rif ou de la naissance de mon nouveau blog ? http://abdelkadermana.wordpress.com/

Vous m'avez écrit entre autre :

« Je pense que je sais de quoi tu parles : je suis restée un an et demi au Maroc, et c'est assez récent pour que je ressente encore cette oppression, cette terreur, ce vide, j'étais à Moulay Bousselham, un village de pêcheurs sur la côte entre Kénitra et Larache. Cette inculture, cette saleté, et leur détresse : à qui peuvent-ils s'adresser ? Cette corruption à tous les étages, ce manque de solidarité. La grande misère dans le douar, pas d'eau courante. Les femmes qui passent de l'enfance à l'état de grand-mère sans avoir eu l'idée d'apprendre à sourire, cheminant pliées à l'équerre sous leur charge de fagots de bois.Je viens de feuilleter compulsivement mon cahier, celui où on écrit à la main, pour retrouver le mot que Saïd m'avait dit. Vous auriez compris. Paranoïa, Loi du Silence, Omerta. Un peuple dans une détresse extrême, tenu dans l'ignorance et la crainte. Je ne pourrai jamais m'habituer à ce marché de dupes. J'ai pris la fuite, j'ai compris mon bonheur d'être française ; ce réseau d'aide sociale fonctionne plus ou moins bien, c'est admis, mais il existe tout de même. Cette prise en charge médicale quand des soins urgents doivent être administrés. Mais le Maroc que j'ai vu, ce n'est même pas le Moyen Âge, c'est l'aube de l'humanité ! Momo Erectus ! Je dis ça pour vous faire rire. Une autre devinette que vous connaissez peut être : quelle est la différence entre la dictature et la démocratie ? La dictature c'est "ferme ta gueule" et la démocratie c'est "cause toujours". Bon. Il faut rire pour se remuscler les abdos... »
Votre message est très fort et émouvant. Il m a  convaincu de mettre en ligne les documentaires suspendus. Je reporte mon voyage a Essaouira à la semaine prochaine. Il faut que mon blog serve la mémoire de ce pays. Ton très beau message arrive à un moment très difficile de ma vie: depuis le mois de mars 2008, la deuxième chaîne marocaine - le colloque que je préparais ce printemps a  probablement été annulé pour les mêmes raisons - a suspendu la série documentaire "La musique dans la vie"  que j'y anime depuis 1997: en 11 années de laborieuses recherches  j'ai supervisé, en tant qu'ethnomusicologue  pour le compte de 2M, 81 documentaires  sur le Maroc profond et méconnu, du Rif au Sahara, de l'Atlantique à l'Oriental, dont 21 prêts à diffuser depuis 2008 et qui ne le sont toujours pas a ce jour, alors que 'La musique dans la vie' a purement et simplement disparue de la grille des programmes. Il s'agit entre autre de deux documentaires sur la guerre du Rif(1921-1926), de plusieurs autres sur le soufisme: Nuit Soufie, Spiritualité vécue, fête du Mouloud chez les Seksawa du Haut Atlas...On a suspendu brutalement mon émission sans me rembourser un reliquat de 37500 DHS et sans donner suite à mes réclamations concernant le non respect du contrat par la chaine: non diffusion des documentaires tournés au mépris des population de Bou Iblan, de Nador, de Gzenaya, du Moyen Atlas Oriental etc. Ils ne m'ont pas non plus remis copie des 81 documentaires réalisées sur une durée de 11 ans et qui peuvent constituer la base de mon livre "le Maroc musical du Rif au Sahara".J'ai effectué des repérages au Maroc Oriental mais a ce jour pas de tournage comme stipulé par le contrat. J'en ai également effectué au Haut Atlas...J'ai adressé mille et un courriels aux "responsables" de la chaine mais à ce jour aucune réponse n'a été donnée  à mes requêtes et réclamations. Silence radio propice a toutes les interprétations pour donner l'illusion qu'un jour l'émission reverra le jour alors qu'en réalité elle a été enterrée une fois pour toute, sans que le propre intéressé en soit avisé d'une manière ou d'une autre. Ainsi va le Maroc : mise à l' écart, mise en placard en catimini.  J'ai adressé les mêmes requêtes au ministre de la communication, au ministre des Affaires religieuses mais sans réponse à ce jour. J'ai même voulu adressé une requête en ce sens au premier ministre mais un Istiqlalien m'en a dissuadé me disant qu'il avait lui-meme des comptes a régler avec la deuxième chaine. Pour un ancien dirigeant de cette chaine : 'A mon avis ils ne feront rien tant qu'ils n'auront pas d'instructions d'en haut'. Mais ce qui est grave et inquiétant c'est qu'aucune institution ne se croit tenue par le contrat moral engagé : il y a un an le maire de Casablanca a donné son accord verbal pour un beau livre que je devais écrire sur les peintres de Casablanca. Puis, plus rien. Un an après le maire d'Essaouira a donné son accord pour la préparation d'un colloque international sur les pèlerinages en Méditerranée. Puis plus rien. On m'a laissé préparer le colloque pendant des mois et des mois à mes propres frais pour se dérober à la dernière minute sous des prétextes fallacieux. Plus personne n'a de crédibilité et personne ne semble s'en soucier. Aucun engagement n'est jamais respecté, aucun contrat n'est mis en œuvre, aucune institution à qui s'adresser :le vide mortel.

En attendant il faut vivre et mourir à crédit. Depuis mars 2008, je survis sans ressources , depuis déjà une éternité .On vous laisse dans l'attente angoissée, les faux espoirs, les interprétations polysémiques.  Cela me rappelle ce qui s'est passe en 1999  quand j'ai travaillé comme sociologue consultant pour l'Office National d'Électricité (ONE). Comme la tonalité du rapport commandé sur le programme d'électrification rurale n'avait  pas plu - c'est mon interprétation, eux ils n'en n'ont donné aucune, se contentant de me fermer la porte au nez - ils ont suspendu  là aussi le contrat sans me remettre un reliquat de 100 000 Dhs; et sans donner suite à mes réclamation; suite à quoi ma beauté de femme m'avait immédiatement quitté pour un plus riche que  moi avec toutes les blessures de l'âme que vous pouvez imaginer. Entre temps mon Beau Livre "Essaouira, le temps d'une ville" a été co - réédité sous le titre "Essaouira, perle de l'Atlantique" à Casablanca et à Genève, distribué en Europe par Vilo, mais sans droits d'auteur en pleins tourments pour ma famille. Toqueville disait: "Pour reconnaître une démocratie, il faut voir le traîtementqui y est administré aux gens d'esprit....".

C'est la raison de la naissance au mois de mars 2009 de ce blog : gratuité pour  gratuité autant mettre toute ma littérature gracieusement sur Internet. Mes démarches auprès des éditeurs Français n'ayant pas été fructueuses non plus que ce soit pour la réédition du printemps des Regraga épuisé depuis 1992 ou pour "l'aurore me fait signe", ouvrage que je comptais illustrer par mes propres soins. Mais l'aurore commence peut - être à poindre à  nouveau pour moi  et c'est l'Europe qui me fait signe grâce à l'Université Européenne qui m'invite cet été....Mon regretté amiAbdelkébir Khatibi, après la fermeture de l'institut de sociologie qu'il dirigeait à Rabat dans les années soixante dix a fini par trouver une issue en France avec son amitié avec Jean Genet, Roland Barth et Derrida...

En tant qu'ethnologue, journaliste, intellectuel, je suis effectivement menacé d'asphyxie et je pense m'exiler ailleurs pour survivre. Rompre l'isolement est devenu un impératif de survie. Il est vital d'ouvrir une fenêtre sur l extérieur, se faire entendre au - delà du désert,  desserrer l'étau qui m'enserre. En regardant la deuxième chaine hier soir j'étais horrifié par le vide absolu qu'on  y a installé et je me suis dis: ma place n'est plus là, ma place n'est plus dans cette télévision des spots publicitaires. Il faut faire quelque chose avant qu'on m'enterre  vivant ...Ce soir ou demain je commencerai a mettre en ligne la guerre du Rif et les  documentaires suspendus sans préavis, et non diffusés a ce jour. En attendant, je vais faire un tour a Rabat pour voir un peu du pays... à Rabat où je viens de manger de la tête de chameau, je n'ai déjà qu'une seule envie: revenir à nouveau à Essaouira. Le cœur du pays est vide. Pour mon âge l'Europe n'est pas non plus une solution. Il faut vivre de peu mais écrire: il ne sert de rien de ressortir les vieux documentaires. Il faut passer à autre chose. Se donner la peine d'accoucher d'autres chose...S'efforcer ....

Le mercredi 21 avril 2010, je reçois ce message : « Ce soir dîner spectacle à 20h  avec Mamoun au café-théâtre Azizi 515 bd Ghandi devant le Pacha ». Le chauffeur de taxi qui m'y conduit me dit que Radio FM en a parlé à la mi journée. C'est un théâtre privé ou plutôt « privé de moyens » comme se plait à l'appeler son promoteur le dramaturge Tayeb Saddiki.

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Une fois sur place, je m'empresse d'aller le saluer. Il m'accueille avec les jeux de mots qu'il affectionne : « On ne fait pas du théâtre contemporain , me dit-il ; on fait du théâtre, quand on pourra !... »

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Il avait là un groupe folk jouant le répertoire de Nass elGhiouane :

-         Comment tu traduis « Nass el Ghiouan » ? Me demande Tayeb Saddiki.

Je reste pantois et lui de poursuivre :

-         El Ghiouan, c'est la perdition. Ceux de la perdition...Maintenant qu'est ce que tu veux boire ?

-         Rien. Lui répondis-je

-         Donnez-lui un verre vide ! Ordonna - t -il.

-         Que Dieu lui donne sa baraka, lui dit quelqu'un.

-         Es-ce qu'il n'aimerai pas avoir une baraque ? Lui rétorque le dramaturge. Puis s'adressant à moi, il ajoute, va faire un tour ; le vrai théâtre se trouve à l'étage. Mon fils Baker Saddiki te donnera tout un dossier de presse concernant ce théâtre de Mogador.

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Au théâtre de Tayeb Saddiki, deux symboles: le groupe de musique folk de Nass El Ghiane dont il a été l'initiateur au tout début des années soixante dix et Molière son modèle en art dramatique.
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Dans un coin de la buvette trône cette statuette de Molière en marbre
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Juste en face un autre portrait de Molière sur scène que cache ce groupe folk, excellent imitateur des mythiques Nass El Ghiouane qui se produisent sous le projecteurs pour faire patienter les premier spectateurs du "dîner de Gala", le titre d'une pièce de théâtre que Tayeb avait publié du vivant de son frère Azizi dont cette salle de spectacle porte le nom en guise d'hommage. Azizi était un humoriste fabuleux et un chroniqueur de talent.
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Le théâtreâtre Mogador est une passion, une affaire de famille: Amina la fidèle campagne du grand dramaturge y est omniprésente; pleine de soins pour tous les invitées de la soirée: prodiguant un mot gentil par ci, un autre par-là. Je lui prends ce portrait, mais elle ne le trouve pas génial, je le trouve pour ma part sympathique et pour lui faire plaisir, elle qui me présente à tout le monde comme étant "écrivain", je lui prends une photo plus large avec pour fond les  calligraphie de son géniale mari.
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Sur le fronton du théâtre Mogador une magnifique calligraphie de Tayeb Saddiki en guise d'emblème
Car pour ceux qui ne le savent pas Tayeb Saddiki est un artiste total, son talent est multiple et va de l'art dramatique à la mise en scène et à l'criture théâtrale sans oublier son humour omniprésente qui dédramatise les choses de la vie aussi douleureuses soient - elles. C'est un homme qui aime son pays, qui aime Mogador, sa ville natal dont ce théâtre porte le même nom que celui de Paris. Mais ce n'est pas le Marocain qui imite ici Paris mais plutôt le contraire: après son bombardement de Mogador en 1844, le Prince de Joinville avait édifié à Paris un théâtre en hommage à sa bien aimée et lui avait donné le nom de la bataille dont il était le maître d'oeuvre au Maroc d'alors: celle de Mogador...
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Quand j'ai fini de prendre cette photo à Amina,je lui demande:
- Es -ce que nous sommes en train d'assister à la soirée inaugurale?
- Non, me répondit-elle, c'est la quinsième soirée de Gala. A la soirée inaugurale il y avait tous les officiels du grand Casablanca.
Normal la ville se devait de rendre hommage au directeur du théâtre municipal de Casablanca disparu, lui qui veut rendre au théâtre tout son éclat au prix de possibles déboires financiers: il n'est pas aisé de faire fructifier un théâtre privé dans une ville qui n'aime pas sa culture, dans un pays où la télévision nationale bannit les émissions consacrées au patrimoine culturel national, dans un environnement pas tellement favorable à la fréquentation des salles de théâtre et de cinéma ( la plupart des salles de cinéma ont fermé leur porte à Casablanca et à travers le pays). Mais quand on aime le théâtre comme Tayeb ; on ne compte pas...
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Quand Mamoune monte sur scène , la soirée peut enfin commencer, un pur plaisir plein d'émotions et de dérision:s  à la fois du Jacques Brel et du devos.
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La modernité qui sied à une grande ville comme Casablanca. En arrière plan; un portrait de Molière: tout un symbole. Saddiki traine partout sa famille en campagnie théâtrale comme le faisait jadis Molière. Car le théâtre est un plaisir qui se partage en famille...
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Ce magnifique portrait de Molière exprime a lui tout seul toute la poésie du théâtre en tant qu'art total: cette ambiance claire-obscure si caracteristique des mises en scene Sadikiennes et de ses oeuvres de jeunesse: les quatrains de Sidi Abderrahman El majdoub, en particulier, qui est le plus grand poète marocain de tous les temps. Certains s'offusquaient alors de voir tayeb recourir au pré_théâtre populaire de la halka: ils ne savaient peut-être pas alors que les plus grands musiciens comme Chopin et Bartock et les plus grands hommes de théâtre comme Molière s'inspiraient justement de la culture populaire dont tayeb Saddiki était le magnifique promoteur et modernisateur en étant à l'origine du mouvement folk marocain avec le succès que l'on connait...
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L'un des moments forts de la soirée fut incontestablement la montée en scène du magnifique chanteur et du virtuose pianiste Fettah N'gadi.
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Jazz-man savoureux, mêlant sa voix langoureuse et belle au crotales des Gnaoua, il dira plus tard avec une certaine amertume en réponse à l'hommage que lui rend la salle unanime: "Et dire qu'on fait appelle aux artistes libanais en oubliant ceux d'ici au festival Mawazine...". Tayeb Saddiki , lui - même , fondateur du premier festival d'Essaouira, n'a pas été Prophète en son propre pays comme il aurait du l'être. Mais d'ores et déjà l'histoire de la culture au Maroc, au Maghreb et bien au-dela dans tout le monde arabo-islamique reconnait son apport de leadert incontestable dans le domaine culturel et a été reçu en tant que tel par les grands de ce monde,, du Shah d'Iran, en passant par Saddam Hussein jusqu'à feu Yasser Arafat...Son étoile brillait si haut qu'il était coutisé par des hommes politique de niveau mondial dans leur relationnel publique...

Abdelkader Mana

16:04 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : casablanca, lettre, mogador, la musique dans la vie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

28/02/2010

La Tour de Feu (Borj el Baroud)

Castello Real

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Un château en Afrique

« Il n’y a qu’un château que je connais où il fait bon d’être enfermé...Il faut plutôt mourir que d’en rendre les clefs,C’est Mogador en Afrique. »Paul Claudel:Les souliers de satin

 

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Par Abdelkader Mana

Une erreur a été souvent commise concernant l’emplacement exact du Castello Real, la forteresse portugaise. On donne actuellement à Mogador, comme ruine de l’ancien fort portugais, un bastion rond situé dans les dunes, auprès de l’ancienne embouchure de l’oued Ksob, non loin du palais ensablé bâti au XVIII ème siècle par Sidi Mohamed Ben Abdellah.


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Au loin "Borj el Baroud" (la tour de feu)
Ce fort n’a rien de portugais. Il s’agit simplement d’une batterie utillisée par le sultan pour fermer la passe Sud de la baie par des tir croisées avec une autre batterie située juste en face sur l'île. C'est cette vieille ruines situées près de Diabet à l'embouchure de l'oued ksobqu'on appelle "fort portugais".
La partie supérieure est musulmane (1432), les gros blocs qui ont servis de base à la construction musulmane peuvent être les vestiges de "Mogdoul", la tour punique qui a dû être construite par Hannon au fond de la baie de Mogador et a fourni l'ancien nom d'Amogdoul cité par le géographe El Békri. ils sont battus par les brèches à chaque marée par les vagues.

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La partie sud abritée des vents alizées de cette vielle ruine servait de refuge à marée basse aux hippies qui y venaient dans les années 1967-1973, du villages voisins de Diabet pour y prendre des bains de soleil en y pratiquant treep et nudisme.

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Les ruines du château portugais de Mogador ne disparurent qu’aprè 1765, lors des travaux de construction du port. Les pierres du Castello Real servirent par la suite à la construction de la scala du port. A son emplacement s’élève maintenant la tour, ou bastion circulaire qui se trouve près du chantier naval et qu’on appelle Borj el Bermil (la tour du toneau).

 

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Le Castello Réal, s’élevait au bord de la passe nord, sur la pointe rocheuse qui supporte le môle ouest du port actuel. Il figure à cette place, sur un plan levé, en octobre 1629, sur l’ordre du commandeur de Razilly et sur un autre plan daté du 25 octobre 1767, dû à Théodore Cornut.

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Au moment de la construction des fortifications du port, les vestiges du Castello Real étaient encore debout. Avant la destruction, le Castello Real des Portugais devait ressembler en plus grand, à la bastide construite également par eux à Souira-Qdima. Orné de canons, il commandait la passe, et par la suite, l’accès à la rade.

 

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Tout près de la mer, le pilote portugais Duarté Pacheco Pereira signale en 1506, sur la terre ferme « la ville de Mogador ».

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De tout temps, les navigateurs venaient chercher ici cette eau douce et précieuse de l’oued Ksob, comme en témoigne Pacheco Pereira dans son Esmeraldo de situ orbi :
« Entre la rivière des Aloso – de l’oued Ksob – et l’île de Mogador, la distance par mer est de sept lieues, ...de cette île à la terre ferme, il y aura la distance à laquelle une grande arbalète peut lancer une flèche en terre ferme. Il y a beaucoup d’eau douce tout près de la mer, dans laquelle cette eau douce vient se jeter. La meilleurs entrée du mouillage et du port de cette île, est celle qui se trouve du côté Nord-Est...Par cette bonne entrée peuvent pénétrer des navires de cent tonneaux ; ils s’amarrent avec une ancre et un câble, ledit câble étant attaché à l’île même, et l’on sera par six ou sept brasses, fond net, bon et sûr. »

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Ce texte daté de 1506, prouve qu’à cette époque, des navires de cent tonneaux fréquentaient le port et l’île de Mogador. Bien plus, lorsque Emmanuel 1er avait donné l’ordre en août 1506, d’y construire un « Castello Réal »(château royal), il y avait déjà une ville du nom de Mogador qui existait dans la baie , comme nous le signale Pachéco :

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« L’année de Notre Seigneur Jésus – Christ 1506, Votre Altesse fit élever dans la terre ferme de cette ville de Mogador, tout près de la mer, un château qui s’appelle Castello Real, et que sur votre ordre construisit et commanda Diego d’Azambuja , gentilhomme de Votre maison et commandeur de l’ordre de saint Benoît de la commanderie d’Alter Pedreso, lequel fut combattu et persécuté, autant que leur puissance le leur permettait, par la mutitude de Berbères et d’Arabes qui se réunirent pour attaquer ceux qui s’en vinrent construire cet édifice ; enfin ce château se construisit malgré eux et la gloire de la victoire resta entre les mains de Votre Majesté sacrée...Entre le Castello Réal et l’île de Mogador d’une part et le cap Sim d’autre part, la côte court suivant la direction nord-sud, avec un quart nord-est et un quart sud-ouest et la distance par mer est de cinq lieues »

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L’influence portugaise se heurta, devant Mogador, à une résistance dont l’âme fut l’organisation maraboutique des Regraga. Les affrontements entre Portugais et Berbères Haha devaient se poursuivre au delà de 1506.L’âme de la résistance locale à l’influence portugaise fut regraga, sous la direction du mouvement jazoulite dont le fondateur, l’imam Al Jazouli, s’établit au lieu dit Afoughal, près de Had – Draa, où il prêcha la guerre sainte contre les chrétiens, avec une telle foi qu’il eut bientôt réuni plus de douze mille disciples de toutes les tribus du Maroc.

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Devant l’hostilité des tribus, le Castello Real, n’avait pu être bâti que de vive force. Il dut rester assiégé un certain temps et la situation de ses défenseurs fut un moment assez critique pour que Simâo Gonçalves de Camara, troisième gouverneur de Funchal, leur envoyât à ses frais, de l’île de Madère, un secours de 350 hommes.
Le plus ancien document relatif au Castello Real date du 5 septembre 1506 : c’est un alvara du roi ordonnant aux almoxarifes de Madère d’exécuter tout ce dont Diego d’Azambuja les requerra pour la construction de la forteresse de Mogador.On doit signaler aussi une quittance du 7 octobre 1507 qui indique « le biscuit, la viande, le bois, la chaux, la brique et les autres choses qu’on a achetées pour la construction du Castello Real que Diego d’Azambuja a fait par notre ordre à Mogador qui est au pays de Barbarie. »

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Une quittance datée de Santarem, 24 octobre 1507, concerne les achats de blé faits en 1506, sur l’ordre du roi, au Castello Réal en Barbarie, par Pero da Costa, capitaine du navire Sâo – Symâo . Ces achats furent faits avant la fondation du château. Le 3 septembre 1507, Diego de Azambuja écrit de Safi à l’Almoxarife de Madère, pour le prier de remettre à Joâo de Rego, porteur de sa lettre, un certain nombre de choses pour le ravitaillement du Castello Réal, en particulier de l’orge pour les chevaux qui sont dans le château. La fourniture doit être prévue pour « vingt chevaux pendant huit mois ».

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Le 14 octobre 1507, Joâo de Rego donne décharge de tout ce qu’il a reçu, à savoir :
Onze pipes de vin, deux de vinaigre, une d’huile, 15 muids de blé au lieu de l’avoine demandée pour les chevaux, qu’on n’a pas pu trouver, 20 autres muids au lieu de biscuits qu’on n’a pas eu le temps de faire, plus un bateau neuf à quatre rames et 3000 reis en argent pour les soldes de la garnison.

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Nous pouvons encore citer deux documents où allusion est faite à Mogador : mention de 716 varas de toile de Brabant envoyées, en 1506, de Flandre au Castello Real en Barbarie ; et quittance du 3 janvier 1518 en faveur de Joâo Lopez de Mequa, qui fut feitor (facteur) du Castello Real pendant les quatre premiers mois de 1507 et devint plu tard, feitor d’Azemmour, puis de Safi.

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Diego de Azambuja était à Abrantès le 27 juin 1507, et y reçut en don, d’Emmanuel 1er , le gouvernement du Catello Real de Mogador, en récompense de la peine que lui avait coûtée la construction de la forteresse « avec risque de sa personne et grande dépense de son argent ». Renvoyé par le roi à Safi, où il débarqua le 6 ou le 7 août 1507, Azambuja paraît y avoir ensuite résidé contamment jusque vers le milieu de l’année 1509. Son gendre, Francisco de Miranda, exerça par intérim, pendant ce temps, les fonctions de gouverneur du Castello Real.

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Pendant les premiers mois de 1510, le gouvernement du Castello Real reste uni à celui de Safi, entre les mains de D. Pedro de Azevedo. Puis Emmanuel 1er, par lettre du 1er mai 1510, nomme Nicolau de Sousa capitaine et gouverneur du Castello Real, sa vie durant. Il est spécifié qu’au cas où le nouveau gouverneur obtiendrait la soumission de tribus dans un rayon de trois lieues autour de la forteresse, il percevrait à son profit les deux tiers des contributions versées par elles, un tiers étant retenu par le roi. D’ailleurs bien loin de soumettre les tribus des environs, Nicolau de Sousa, ne réussit même pa à conserver la forteresse.
Il semble que la place ait été évacuée le 4 décembre 1510, d’après une lettre de Nuno Gato Cantador écrite de Safi, le seul texte qu’on ait à ce sujet.

Reportage photographique réalisé parAbdelkader MANA, le dimanche 28 février 2010

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17:07 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : histoire, mogador, castello réal, emanuel 1er, les portugais | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook