19/09/2010
Pierre Bidart n'est plus!
L'anthropologue basque a été découvert mort à Sofia, où il venait de débuter une mission culturelle auprès de l'ambassade de France en Bulgarie.
Cet été j'étais parmi les invités de Pierre Bidart à l'Université Européenne d'Anthropologie, organisée cette année sous le thème "Islam et modernité". Il a veillé personnellement sur mes problèmes de déplacement et de séjour en France. Et une fois sur place il a tenu à ce que je prenne la parole à son colloque et est venu se mettre au premier rang pour m'écouter avec sympathie. Depuis lors j'ai pris l'habitude de prendre de ses nouvelles sur Iernet. Ce dimanche 19 septembre 2010, tôt le matin j'apprends avec affliction sa brutale disparition alors qu'il venait à peine de prendre ses nouvelles fonctions d'attaché culturel à SOFIA. Il disparait ainsi prématuremment à l'âge de 63 ans.Spécialiste des questions régionales, je m'attendais à reprendre contacte avec lui sur cette problématique . Et juste après mon retour du colloque international d'Irrissary en pays Basque, je lui avais adressé la lettre de remerciements suivantes:
Au
Professeur Pierre BIDART
Université de Bordeaux 2
Département d'anthropologie
Cher professeur,
Il y a des remerciements qui ne peuvent attendre : je suis encore tout ébloui par cette semaine exceptionnelle que j’ai vécu parmi vous à Irissary au cœur du pays Basque et qui m’a permis grâce à vous d’entrevoir les lumières. Une semaine qui m’a transformé en me faisant comprendre clairement que quelque soit le sujet d’étude on peut et on doit toujours pousser plus loin les limites de notre connaissance. Mais pour se faire, il me manquait le contact essentiel avec les chercheurs qu’aucune bibliothèque ne peut remplacer. C’est une chance inouïe que je vous dois à tous, d’aller au-delà de mes ignorances ignorées. Et je me disais en allant au devant de vous, qui m’avez accordé l’insigne honneur de prendre la parole d’un si éclairé aréopage ; comment pourrais-tu faire accepter l’irrationnel de tes sacrifices, de tes rituels, de ce que tu appelles « l’ethnopoésie », en ce haut lieu du savoir ? Depuis des années, de très nombreuses années que je suis littéralement embourbé dans mes terrains anthropologiques au Maroc, n’ayant pour seul interface que mon maître et ami Georges Lapassade . Mais depuis son départ définitif du Maroc en 1996 ; je n’avais plus que les poussières de Casablanca : aucun cadre institutionnel pour canaliser mes recherche, leur donner forme, les publier pour prendre date. Or cette semaine Irissary me fait enfin entrevoir cette possibilité de donner une colonne vertébrale à mes travaux de terrain, de les mettre enfin sur les rails et les normes de la publication universitaire et internationale. Sortir enfin du singulier vers l’universel.
Or de mes contacts au cours de votre université au cœur du pays Basque trois projets saillants ont pu voir le jour :
1. La possibilité de transformer mes publications sur le pèlerinage circulaire des Rgraga en une thèse en s’appuyant sur une démarche comparative incluant aussi bien les travaux de B. Malinowski sur la kula Trobriandaise dans son célèbre ouvrage sur « Les Argonautes du pacifique Occidental », l’Essai sur le don de Marcel Mauss, « Les sept Dormants d’Ephèse » de Louis Massignons et tout la littérature afférente aux pèlerinages en Méditerranée et autres Potlatch. Le professeur Pierre Bidart, dont je considère les travaux sur le pays Basque comme modèle à suivre , s’agissant de nos singularités régionales marocaines, a promis à cet effet de me transmettre le modèle à suivre pour la rédaction d’une thèse.
2. J’ai également mené depuis de nombreuses année, sous la direction de mon regretté maître le professeur émérite Georges Lapassade, des enquêtes de terrain sur la diaspora noire au Sud du Maroc : auprès des Ganga de l’ oued Noun à Goulimin (la porte du Sahara), ceux de la Maison d’Illigh dans le Sous, ceux d’Anza aux environ d’Agadir et ceux du pays Haha au Sud d’Essaouira. J’ai également enqueté sur les Gnaouia d’Essaouira, ceux de Marrakech et ceux de Casablanca. Plus récemment et sur le sillage de Georges Lapassade j’ai mené des enquêtes auprès des voyantes médiumniques qui sont au coeur de la musicothérapie des Gnaoua. J’ai même publié un fascicule sur les fêtes du mouloud au Maroc qui célèbrent la nativité du Prophète travaux où je montre qu’il s’agit en fait d’une religion des femmes. J’ai produis également sur le même sujet plusieurs documentaires : fêtes du mouloud chez les Seksawa du Haut Atlas, à Tamsloht et à Moulay Brahim au sud de Marrakech, à Marrakech même , à Fès et dans l’oriental marocain. Le Professeur Abel Kouvouama, nous a fait entrevoir son possible intérêt pour nos travaux sur la diaspora africaine au Maroc en tant que directeur de collection chez l’Harmathon.
3. Grâce à Mr. Philippe de Laborde pédelahore, neveu de mon regretté maître Georges Lapassade, je peux espérer redonner une nouvelle vie en pays francophone à la série documentaire que j’ai supervisé pour le compte de 2M au Maroc. Mais nous avons surtout deux projets importants :
Ø L’organisation de journées Georges Lapassade alternativement à Biarritz (dans la très belle médiatique post moderne de ce beau port Français) et à Essaouira. A cet effet, nous avons contacté depuis Biarritz, Monsieur André Azoulay le conseillez du Roi du Maroc, qui a donné son entière aval à l’organisation de ces journées dés le mois d’octobre prochain à Essaouira si possible.
Ø La coproduction d’une série documentaire entre le Maroc et la France.
En assistant au colloque d’Irissary au cœur enchanteur du pays Basque je suis convaincu que la contribution de vos recherches et de vos chercheurs est et sera essentiel à l’insertion de l’Islam dans la modernité et au mariage de l’Islam avec les lumières.
Merci encore infiniment de m’avoir permis de prendre la parole juste après la fille de Raymond Aron ! Membre du conseil constitutionnel qui nous appris qu’il n’est pas si simple d’interdire la bourca dans un pays qui tient si bien au respect des libertés individuelles.
10:23 Écrit par elhajthami dans hommage | Lien permanent | Commentaires (1) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
19/07/2010
Au pays de Georges Lapassade
Au pays de Georges Lapassade
Invité à l'université d'anthropologie au coeur du pays Basque Français, nous nous sommes rendu avec Mr.Philippe de Laborde, neuveu de Georges Lapassade, à Arbus lieu de naissance et d'inhumation de ce dernier aux environ de Pau. Devoir de mémoire pour celui qui nous a initié à Essaouira à notre propre culture et auquel nous espérons un jour rendre hommage alternativement à Biarritz et à Essaouira. A Irissarry lors de ma communication sur la culture populaire au Maroc, il a souvent été question de lui. Mais quand on a connu un maitre et un ami plein de vie il est difficile d'en parler au passé...Voici donc les images de ce moment de recueillement au coeur de cette France profonde d'où est issu et où repose désormais à jamais notre regretté Georges Lapassade: c'est la note la plus grave et la plus triste de tout ce blog...
Sur les traces de Georges Lapassade en pays Béarnais...
Au loin le village d'Arbus d'où est originaire Georges Lapassade
20:16 Écrit par elhajthami dans hommage, Témoignage | Lien permanent | Commentaires (2) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
21/05/2010
Regraguia BENHILA
Regraguia BENHILA
Elle peignait l’aube à la fois étrange et belle
lorsque les brouillards de la nuit font danser la lumière du jour
Au plus profond de l’hiver, en cette période de la saison morte où les nuits sont les plus sombres et les plus longues, et où le froid de la boulda atteint les cœurs, Regraguia Benhila nous a quitté ce mardi 10 novembre 2009 sur la pointe des pieds, au milieu de cette arganeraie des hrarta aux environs d’Essaouira où elle s’est retirée ces dernières années pour vivre dans la dignité loin des regards et des incompréhensions. Loin d’une ville où les solidarités traditionnelles qu’elle y a connues dans sa jeunesse, n’existent plus.
La peinture de Benhila est d’une générosité exubérante. D’une grande fraîcheur. La fraîcheur du ciel et de la mer. Elle peint l’aube à la fois étrange et belle lorsque les brouillards de la nuit font danser la lumière du jour. C’est le monde qui renaît au bout du rêve. Elle peint le ciel de la fertilité quand le jour enfante la nuit :
« Au moment où la nuit pénètre dans le jour, dit-elle, je te jure au nom d’Allah tout puissant que je vois défiler tout l’univers. J’adore le ciel quand le soleil décline. Je vois les nuages qui se meuvent et j’imagine un autre monde au dessus de nous. Je vois dans le ciel comme des arbres, des oueds, des oiseaux, des animaux. Les labyrinthes que je peins sont comme les ruelles de la vieille médina : tu vas dans une direction mais tu aboutis à une autre. Je peins les chats qui rodent sur les terrasses. Les enfants qui jouent dans les ruelles étroites, les femmes voilées au haïk , leurs yeux qui sont les miroirs des hommes et notre « mère – poisson » qui est une nymphe très belle, une gazelle qui mugit de beauté avec ses cheveux balayant la terre. Je n ‘oublie pas l’île et les monuments, symboles d’une histoire révolue. Tout cela m’apparaît dans les nuages ou me revient dans les rêves. »
Ses tableaux, elle les voit d’abord dans le spectre des couleurs qui illuminent le crépuscule au dessus de l’île et de la mer. Elle fixe ces projections poétiques dès qu’elles réapparaissent sur la toile blanche, dès qu’elle en saisit le bout du fil. Ce sont souvent des représentations symboliques du rêve, aux connotations très freudiennes :
« Quand je peins, je me sens malade comme une femme sur le point d’accoucher. Ça m’arrive à des moments de silence. L’enfantement est la seule sensation que je n’ai pas encore expérimentée. J’exprime l’idée du foutus dans ma peinture. Inconsciemment, je peins la matrice des femmes et leur état de grossesse. Je peins le diable que j’avais vu dans une forêt lorsque j’étais toute petite : j’arrachais avec mes dents le palmier nain dont j’aimais le cœur, quand il m’apparut sous la forme d’un chameau à cornes. Il était de très grande taille croisant les bras sur la poitrine. Il me regardait avec des yeux fissurés au milieu et qui louvoyaient dans tous les sens. Je m’éloignais en rampant sur mon ventre. Je rêvais souvent d’un chameau qui me poursuit. Il se transforme en une boule qui rebondit de colère jusqu’au ciel lorsque je me dérobe à sa vue. Je peins aussi le serpent, parce que, dans les temps anciens, les gens avaient peur du serpent. Les hommes étaient très beaux. Les serpents aussi. Mais, s’ils te foudroient, tu ne peux plus guérir. C’est le serpent de l’amour, car l’amour ressemble au venin. Mais je prie Allah pour que les cœurs des hommes soient aussi blancs que les colombes. »
La mer est peuplée d’esprits. C’est delà que provient Aïcha Kandicha, symbole démoniaque de la séduction féminine, que les hommes rejettent aussitôt dans le brouillard de l’oubli et des flots. Le dialogue avec la mer est zébré de craintes chimériques que l’artiste exprime sous la forme de la « mère - poisson » - sirène mugissante de beauté avec sa chevelure d’algues balayant la surface de l’océan – de piranhas et de monstres marins. Pour l’imaginaire traditionnel, l’océan est un cimetière où vient se jeter l’oued en crue avec ses cadavres de végétaux et d’animaux. Notre imaginaire n’aborde la mer, qu’en y ajoutant notre propre effroi, que véhiculait la procession carnavalesque de l’achoura où l’on chantait entre autre :
Ô toi qui s’en va vers Adouar
Emporte avec toi le Nouar
Jeux de mots sur le « Nouar » (bouquet de géranium et de basilic) que le soupirant doit porter à « derb Adouar » (l’impasse au cœur de la médina où résidait Benhila avant d’aller mourir en dehors de la ville qu’elle n’aurait du jamais quitter). Dans sa peinture la mer n’est point nommée mais sa fraîcheur est présente : azur ! Terre blanche éclaboussée de soleil ! Œil- poisson pour conjurer le mauvais sort ! Cris blanc et gris des goélands, par delà l’autre rive et l’autre vent ! Coquillage pourpre et sang sacrificiel à la foi ! La palette magique aux couleurs des jours finissants s’est retirée à l’intérieur des terres pour s’éteindre dans la dignité comme ces oiseaux qui se cachent pour mourir.
Abdelkader MANA
Artiste autodidacte, elle est née à Essaouira en 1940. Et ce n’est que tardivement, en 1988 qu’elle a commencé à produire ses premières esquisses si caractéristiques par leur univers labyrinthique et tourmenté aux thématiques extravagantes et aux couleurs chatoyantes où s’expriment son imaginaire, sa féminité et sa forte personnalité. Elle est la première femme peintre d’Essaouira.Ses œuvres ont été présentées pour la première fois, à la galerie Frederic Damgaard le 3 mars 1989,à l’occasion de la fête du Trône. Elle a ensuite exposé place de l’horloge et à Beit Allatif face aux batteries de la Scala de la mer.. Par la suite, elle s’est liée d’amitié à l’écrivain Fatima Mernissi et à un groupe de femmes Allemandes qui exposèrent ses œuvres à Cologne, francfort et ailleurs.
C’est une figure emblématique des femmes d’Essaouira, dont elle portait le haîk, qui disparaît aujourd’hui. Et c’est en 1989, que je l’avais rencontré au cœur de la médina où elle résidait . A l’issue de l’entretien qu’elle m’avait accordé alors, je lui avais consacré le texte qui precede qui paru au catalogue bleu « Artistes d’Essaouira » paru en 1990, sous le titre : « La quête de la fertilité »
19:02 Écrit par elhajthami dans Arts, hommage, Mogador | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : arts | | del.icio.us | | Digg | Facebook