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24/02/2013

DE L'ECONOMIE DE RENTE AU MAROC

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Le dimanche 3 février 2013, décède l’économiste marocain Driss Benali, célèbre pour son franc parler et ses interventions publics sans concession sur l’état de l’économie et de la société marocaine. En guise d’hommage, nous traduisons ci-après sa dernière intervention sur l’économie de rente au Maroc, parue aujourd’hui, samedi 23 février 2013, à la page 6 du quotidien arabophone Al Masaâ (le Soir).

 DE L’ECONOMIE DE RENTE AU MAROC 

 PAR DRISS BENALI

Je commencerai mon intervention, en s’attaquant à certaines fausses idées largement répondues. La première de ces idées est celle qui consiste à dire que l’économie marocaine est « en développement ». Or, il faut que trois conditions soient requises pour qu’on puisse parler d’une économie en développement : 

  1. Il faut enregistrer une croissance d’au moins 7% sur le long terme, si non sur les dix prochaines années, pour qu’on puisse parler d’une économie en développement acceptable sur le plan scientifique. Or ceci ne s’applique pas au Maroc. De ce fait on ne peut affirmer que son économie est « en développement » , parce que la croissance économique enregistrée annuellement au Maroc est de l’ordre de 4 à 4,5%.
  2. La deuxième condition requise, est de disposer d’un système de gouvernance adapté et efficace. Or l’absence de cette condition constitue un véritable obstacle au développement économique du Maroc. Ceci dure d’ailleurs depuis le règne précédant, lorsqu’ à la lumière des rapports de la Banque Mondiale sur le Maroc au cours des années 1994-1995, le roi Hassan II, avait déclaré que « le Maroc est menacé d’un arrêt cardiaque ». Ce rapport de la Banque Mondiale, considérait que la gouvernance au Maroc n’était pas bonne. Ceci ne nous empêche pas de reconnaitre, les correctifs qui ont été apportés depuis cette période.
  3. Il est à remarquer que tous les Etats dont les économies sont taxés avec raison « d’économie en développement », s’orientent vers la consolidation des liens sociaux, ce qui ne s’applique pas au Maroc. Puisqu’il est considéré à la tête des Etats maghrébins souffrant de grandes disparités sociales. Ces disparités, constituent d’après les économistes, un obstacle majeur au développement économique. La règle est que plus ces disparités sont grandes, plus l’économie aura du mal à décoller, voir qu’elle ne décollera jamais . Cette règle générale se fonde sur une autre règle qui veut que le décollage économique se fonde sur l’élargissement de la classe moyenne. Ce dont manque justement le Maroc jusqu’à maintenant. 

Quelles sont donc les spécificités de l’économie marocaines ? Et quels sont les principaux obstacles à son développement ?C’est tout d'abord une économie de marché « bombardée » par une économie de rente. C’est sa principale spécificité. 

 Le système politique en place au Maroc, n’a pas cessé de parler, depuis la décennie 70 du siècle dernier, du libéralisme et de l’ouverture. Sauf que tout le monde sait que les rapports, y compris ceux des institutions internationales, surtout le rapport préparé par les français en 2005, qui sont connus pour leur rigueur en ce domaine, décrivent l’économie marocaine comme étant « néo-traditionnelle », fondée sur la distribution des privilèges à ceux qui soutiennent l’autorité , ce qui entrave l’accès à l’économie de marché, du fait que cela nécessite une véritable culture libérale.

 Qu’en est-il maintenant de l’économie de rente ? 

Du point de vue économique, est considéré comme « rente » toute distribution des ressources sans création de valeur ajoutée. Et quand les ressources ne sont pas mobilisées pour créer de la valeur ajoutée, ceux qui en disposent se transforment en parasites du fait de l’absence de leur contribution, d’une manière directe ou indirecte, à la création de richesses. Ceci est une autre caractéristique de l’économie marocaine, qui s’est consolidée profondément, surtout après les deux tentatives de coup d’Etat, que le Maroc a connu dans les années 1970 .Au cours de cette période, le défunt roi Hassan II avait réunit les militaires et certains fonctionnaires en leur disant : « Enrichissez-vous autant que vous voulez, mais ne faites pas de politique. » 

Et je rappellerai ici une phrase regrettable qu’avait prononcé Hassan II lors d’une interview qu’il avait accordé à un journaliste français dans les années 1980. En réponse à une question relative à la corruption il avait répondu : « l’essentiel est que la corruption soit en dirhams ». Ce qui exprime d’une manière claire l' institutionnalisation de la corruption. Il faut savoir que celle-ci était une exception juste après l’indépendance, et ce jusqu’en 1971. Et ceci principalement pour deux raisons et je reconnais ici un certain mérite au colonialisme : on peut critiquer les français à bien des égards, mais nous devons leur reconnaitre le mérite d’avoir consolidé dans ce pays le sens de l’Etat. Même les anciens officiers de l’armée française, ont réuni tous les défauts et les travers, mais n’étaient pas corrompus. Le général Ahmed Dlimi était le premier à ouvrir le bal de la corruption après l’indépendance. Sachant que la politique du Maroc a fortement contribué à l’élargissement de l’économie de rente, même si on le justifiait par le besoin de créer une bourgeoisie nationale et d’entrepreneurs en mesure de dynamiser l’économie marocaine à la manière japonaise. Ce qui a permi à certains de décoller économiquement, comme on peut le constater clairement actuellement.

 Après 1971, le ministère de l’intérieur a contribué à l’élargissement de l’économie de rente. A côté de la bourgeoisie traditionnelle, on a visé le monde rural, ce qui a contribué à élargir encore davantage cette économie de rente. Les privilèges se distribuaient avec une facilité déconcertante. Et même ceux qui n’ont pas bénéficié d’une part de ces privilèges de rente, ont su comment y accéder avec leurs propres moyens, à des privilèges particuliers. C’est le cas du nord du Maroc qui était marginalisé ce qui l’avait conduit à souffrir de phénomènes économiques négatifs : contrebande, falsification électorale, émigration, blanchiment de l’argent de la drogue etc. Il faut dire ici, que rien que le fait de refuser de payer ses impôts peut être considérer comme faisant partie de cette économie de rente. Et c’est de cette manière que cette économie de rente s’est généralisée. Or, il n’est arrivé nulle part à travers l’histoire, qu’une économie ait pu décoller sous l’emprise de la corruption. Et notre classement mondial est bien connu à cet égard.

La généralisation de la corruption qui avait au départ des causes politiques, a vite acquis un caractère culturel dés lors que tout le monde s’est mis à le pratiquer. C’est pour cette raison qu’il faut prendre en considération cette donne dans toute tentative d’éradication de la corruption. La transformation de la corruption d’un fait politique à un fait culturel, lui a acquis des soutiens y compris dans les classes qui se trouvent au bas de l’échèle social, et je regrette de dire devant vous que je ne fait pas partie de ceux qui idéalisent le peuple. 

Dans ce cadre je rappelle la campagne d’assainissement que le Maroc a connu en 1996 , qui s’est transformée en instrument de règlement de comptes. Nous sommes en présence d’une économie ouverte et peu compétitive. Or l’ouverture, infitah, signifie pour le Maroc les endurances. Ceci apparait clairement dans le déficit de  la balance commerciale. Ce qui signifie que cette politique de l’infitah est une erreur. Car le Maroc n’est pas en mesure de s’ouvrir sur l’extérieur, non seulement en raison de la faible compétitivité de son économie, mais surtout de la grande faiblesse de sa productivité, surtout avec le retard qu’a pris son industrialisation. Il est admis que les Etats les plus compétitifs est celles qui disposent d’une forte productivité et nous n’avons pas besoin d’avancer ici l’exemple de l’Allemagne. Il est vrai qu’il existe des Etat ayant réussi le pari de la compétitivité sans avoir une forte productivité, mais ils disposent d’un atout  dont le Maroc est également privé : un capital humain hautement qualifié. Et il n’existe pas d’Etat ayant réussi le décollage économique sans disposer de ce capital humain. Le Maroc souffre d’insuffisances dans ce domaine comme l’atteste clairement les données statistiques : un système d’enseignement en faillite, puisque nous sommes classés derrière les palestiniens qui sont en état de guerre et qui nous dépassent malgré tout dans ce domaine ; ce qui montre le niveau catastrophique de notre enseignement. Sauf que les arabes sont classés dans la même catégorie, quand on compare leur système d’enseignement avec ceux de l’Asie par exemple. Les asiatique ont bâti leur système d’enseignement en se fondant sur la réponse à cette question toute simple : Pourquoi se former ? Pour créer de la valeur ajoutée. Parler de la valeur ajoutée, c’est évoquer implicitement la nécessité de créer de l’emploi. 

L’élargissement de la classe moyenne impose de relever d’autres défis, la rénovation des institutions politiques en particulier. Et là j’ouvre une parenthèse, pour souligner l’impossibilité de réussir mécaniquement un progrès économique. Je ne fais pas parti de ceux qui disent qu’ « il n’est pas possible d’atteindre la démocratie sans démocrates », quoique cette affirmation soit porteuse d’une part de vérité. L’étincelle du printemps arabe n’est pas partie de la Tunisie par hasard. C’est qu’en Tunisie existent ce dont nous manquons dans notre pays, telle une classe moyenne relativement élargie, et une part importante de catégories cultivées. Cela me rappelle la célèbre phrase qui a été prononcée lors d’une rencontre entre Habib Bourguiba, l’ancien président  de Tunisie, et le roi défunt Hassan II, à la fin des années 1960, rapportée par l’ambassadeur de France à Tunis alors, dans l’un de ces livres : lors de cette rencontre, Bourguiba a demandé à Hassan II de faire comme lui : éduquer et former les citoyens. Hassan II lui a répondu : « Il n’en n’ait pas question ». C’était une réponse claire et franche. Et là, je vais aborder les deux facteurs décisifs qui n’ont pas permis au mouvement du 20 février de parvenir à ses objectifs et son arrêt à mi-chemin : la formation, l’éducation, et une élite modeste. Ces facteurs sont les principales causes qui ont fait que le mouvement n’était pas au rendez-vous de l’histoire. 

Au Maroc, le gouvernement ne prends pas de décisions : les vrais décideurs agissent dans l’ombre, et c’est la cause de notre sous développement et notre arrêt à mis chemin dans la mise en œuvre des réformes. Je cite à cet égard le général américain Marc Arthur qui disait : « Les causes des défaites dans les guerres ne sont connues que lorsqu’il est trop tard. » 

« Ainsi parlait Driss Benali, lors de sa dernière apparition public, juste avant son décès » d’après AL MASSAÂ, n°1996 , samedi/dimanche 23/24/2013 


10:30 Écrit par elhajthami dans hommage | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook