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30/04/2012

TROUBADOUR

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Les troubadours de Sous

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« Ô aigle au beau plumage

Toi, l’étrange oiseau

À la lune tu porteras mon salut

Et tu lui diras : L’étoile polaire   désire te voire »

Le raïs Amarok

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La grande caravane chargée d’ivoire, d’encens soudanais, du tabac de Takrour arrivaient au premier jeudi du mois d’août, c'est-à-dire pendant la période du moussem de Sidi Ahmad ou Moussa, le saint patron des musiciens et des acrobates. On s’y approvisionne de tout et d’abord de baraka. Protecteur des troubadours chleuhs, Sidi Ahmad ou Moussa , mort le 10 octobre 1564, c'est-à-dire il y a près de 446. De Sidi Ahmad ou Moussa, lui – même on sait peu de chose. Mais autour de son nom devenu fabuleux sont venus se greffer un certain nombre de vieilles légendes.

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Patron de Tazerwalt, Sidi Ahmad Ou Moussa, est un des saints Berbères les plus populaires du Maroc. Plus d’une douzaine de moussem sont célébrés chaque année dans l’enceinte de son sanctuaire : celui des femmes, des anciens esclaves, des tolba et d’autres. Les musiciens viennent à ce moussem non pas pour gagner de l’argent comme ils le font ailleurs mais en tant que pèlerins en quête de la baraka du saint. Si les Rways de Sous considèrent Sidi Ahmad Ou Moussa comme leur protecteur, c’est certainement parce que l’ancêtre des trouveurs chleuhs , Sidi Hammou, est originaire de Tazerwalt, où est enterré Sidi Ahmad Ou Moussa.

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Tazerwalt, est une petite cuvette aride, située à 110 kilomètres au sud d’Agadir et à 40 kilomètres à l’Est de Tiznit. Qui aurait cru, en voyant la nudité de ce paysage aujourd’hui, que ce fut là, l’un des nœuds les plus féconds de l’histoire du Sous au 17ème siècle. À partir de la Maison d’Illigh, les descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa allaient rayonner sur le plan commercial jusqu’en Guinée vers le sud et jusqu’en Hollande vers le nord. Sidi Ahmad Ou Moussa, faisait partie de ces zaouïa sahariennes , situées au point de départ et d’arrivée des caravanes.

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Tout ce que l’on achète au cours de ce moussem , c’est du barouk, c'est-à-dire un objet qui représente plus que sa réalité déjà connue parce qu’il incorpore l’énergie mystique de la baraka. Il y ales produits à effet magique qui ont pour but d’attiser l’affection fléchissante du bien aimé ou d’éloigner les mauvais esprits des envieux : encens, cauris,plumes d’autruches,peau de panthère, toison d’hérisson ou pelage de chacal. Ce moussem est aussi fait pour le doux commerce d’amour. La variété de dattes qui est la plus estimée en ce moussem est celle du butube suivie de celle de bouscri.

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Dans ces confins avec le Sahara, le Sous produit des dattes au goût succulent. A Akka et Tata, le palmier – dattier est très petit mais extrêmement productif et quoique le fruit ne soit pas un article de commerce comme à Tafilalet ; il est d’un parfum exquis et possède des qualités variées. Dattes, amandes, henné, thym, romarin, miel : les plantes médicinales qu’on vend ici et qui font que le moussem sent bon la forêt ont déjà par elles-mêmes une fonction thérapeutique dont l’efficacité se trouve démultipliée en quelque sorte par l’effet du barouk que leur incorpore le moussem. Du haut Atlas viennent des chargements d’écorces de noyers (c’est la période du gaulage), dont les femmes se servent avec le khôl et autres produits cosmétiques naturels pour se faire belles.

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Une semaine avant le moussem, la rumeur public fit sensation en annonçant la participation du Raïs Amerrakchi :la bonne nouvelle fit le tour des tribus alentour et remonta même via le téléphone arabe jusqu’à la célèbre place de Jamaâ Lafna(la place de l’anéantissement) : une vedette de la chanson berbère moderne au moussem de Sidi Ahmad Ou Moussa ! Quelle aubaine ! Actuellement, sur le marché des disquaires, le raïs Amerrakchi connaît un franc succès parmi le public chleuh. Avec la Raïssa Tihihite , l’étoile d’origine, et le Raïs Aglaw, il fait partie de la nouvelle génération des Rways qui chantent l’amerg lajdid (la nouvelle chanson) qui, tout en se caractérisant par l’introduction d’instruments de musiques modernes,ne change pas pour autant l’identité musicale des troubadours de Sous.

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Le ribab est l’instrument central de cette musique berbère : c’est lui qui lui permet de garder son cachet original. Le joueur du ribab prélude de deux manières : soit en montant des gammes « tlouâ » , soit en brodant la note « Do » ; « Astara ». A la fois troubadours et trouvères, les danseurs chleuhs sont aussi des chanteurs qui interprètent les œuvres des poètes de la montagne : vieilles mélopées, chansons nouvelles. Aux tremblements d’épaules correspondent les trilles du ribab. L’introduction du ribab monocorde dans l’orchestre chleuh peut passer pour un trait de génie, tant il donne à cet orchestre un timbre original, une allure pittoresque, une force expressive qu’il n’aurait pas sans cet instrument. La corde vibrante est constituée par une mèche de quarante à cinquante crins de cheval (sbib). Les sons produits constituent un curieux amalgame de notes fondamentales et d’harmoniques. Il en résulte un timbre aigre – doux qui rappelle les sons de la flûte.

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Dans une société où la culture littéraire est d’un grand prix, où elle appartient à tous, où les poètes amateurs sont nombreux, bref, où l’on sait apprécier l’œuvre d’une belle venue ;le poète doit s’affirmer bon littérateur dés le début du poème. Le poème est un discours Awal écoulé dans une forme métrique N’dam. Une poésie où s’affirme la primauté de la musique sur les paroles, d’où le recourt au refrain lancinant pour rythmer chaque strophe. Dans tout chant, il y a un sens caché, une signification symbolique. L’intelligence du texte est aussi fonction de la culture du public comme le dit le poète chleuh : celui qui sait comprendre, comprendra !

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En nous accordant un entretien,à l’issue de soirée musicale à Sidi AhmadOu Moussa, le Raïs Aglaw était à peine audible : l’extinction de la voix est à la fois bénie par le saint et désirée par le chanteur, car elle symbolise la mort des vieilles cordes vocales indispensable à la renaissance d’une nouvelle voix,à la fois neuve et vigoureuse, pour le restant de l’année.

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Les troubadours de Sous, se produisent dans la plupart des moussem du sud marocain. Ils plantent généralement leur théâtre au parc forain qui constitue la partie ludique  et profane de la fête patronale. La Raïssa Amina dont le répertoire fait partie de la nouvelle chanson berbère en vogue, chante d’une voix naïve et belle les mots simples de l’amour du terroir et de ses symboles sacrés. Mais par delà leur voix, les Raïssa  apportent un plus avec leurs diadèmes magiques,leurs caftans bariolés et leur chorégraphie improvisée. L’improvisation musicale constitue , en effet, avec la participation du public, un des traits majeurs de cet art populaire.

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Grâce à l’effet cassette aussi bien audio que vidéo leur audience est infiniment plus grande. Cet exemple montre que la culture est toujours ambulante, déplacée et en mouvement. Soit que sa déambulation voyageuse se fasse comme autrefois en carriole, soit que la circulation de la culture traditionnelle empreinte la voie des ondes et des bandes magnétiques. En ce sens les Raïs sont les véritables unificateurs de la culture berbère.

La Maison d’Illigh

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La Maison d’Illigh est un des principaux pourvoyeurs de nègres acheminés par les caravanes à travers le Sahara. Une grande moitié des valeurs apportées du Soudan le serait sous la forme d’esclaves noirs. Ces esclaves transitaient par les moussem et particulièrement celui de Sidi Ahmad Ou Moussa. Un vestige de ce rôle se perpétue en ce qu’Illigh préside encore aujourd’hui la fête des esclaves en dou lqiâda en l’honneur de Bilal affranchi par Abou Bakr.

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Le fondateur de la Maison d’Illigh, Abou Hassoun Semlali (dit « Bou Dmiâ »), est l’un des descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa. Il serait arrivé dans cette région en provenance du Sahara. Selon la légende, il aurait choisi de s’établir à Tazerwalt parce qu’il avait trouvé le lieu « convenable » :

«  Abou Hassoun Semlali était à la chasse quand il s’est arrêté à cet endroit. Il a chassé une gazelle et après l’avoir immolé, il a suspendu sa carcasse à un arbre jusqu’au lendemain. Sa viande n’ayant pas été affectée par la chaleur, il dit à ses compagnons :

-         Cet endroit est convenable (Iliq, en arabe)

C’est ce mot arabe d’Iliq qui signifie « convenable) qui a donné le toponyme d’Illigh. »

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Vers 1638, Ali Bou Dmiâ , petit fils de Sidi Ahmad Ou Moussa, allait étendre le pouvoir de la Maison d’ Illigh, au port de Massa et à celui d’Agadir, en y établissant un comptoir commercial pour les échanges avec la Hollande, la France et l’Angleterre. A cela s’ajoutait son quasi monopole sur le commerce transsaharien avec la Guinée et le Soudan.

On date la venue des premiers juifs à Illigh vers 1620. L’extension du commerce nécessitait l’entremise des juifs. C’est lors de la grande épidémie de peste qu’on les a autorisé à enterrer leurs morts en arrière d’Illigh c'est-à-dire à l’Ouest de manière à ce que les musulmans d’Illigh ne fassent pas la prière tournés vers un cimetière juif. Il seraient originaires de l’Ifran de l’Anti – Atlas qui est l’un des principaux relais de l’axe atlantique transsaharien qui part de l’Oued Noun, seguiet el hamra, Oued Eddahab, traverse Waddane et Wallata pour aboutir à Tombouctou. Cette route célèbre est connue sous le nom de Tariq Lamtouna. En perdant sa fonction commerciale, de lieu de transit pour le commerce transsaharien,la Maison d’Illigh tomba en ruine.

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Depuis la construction des remparts de Tiznit par Hassan 1er et l’affirmation d’un établissement durable du makhzen dans cette ville, bon nombre de juifs des Mellahs de Sous y transférèrent leurs familles , leurs biens et leurs boutiques. Il est naturel qu’ils recherchent un maximum de protection. Ceci est le signe d’une substitution de prestige et de pouvoir d’Illigh à Tiznit. Le 28 avril 1886, Hassan 1er écrit à Hucein Ou Hachem :

« Nous vous envoyons le porteur, notre cousin Moulay Srour, pour accomplir en notre place le pèlerinage au tombeau du Cheikh Sidi Ahmad ou Moussa et à ceux des hommes vertueux aux qualités de piété, de générosité et de bonté qui sont enterrés là. Il est accompagné d’un intendant de notre entourage chargé d’acheter les animaux et de les sacrifier à titre d’offrandes à Dieu, auprès de ces sanctuaires vers lesquels se tournent dés le matin, les espérances. »

Le moqadem de la zaouïa nous invita la veille à filmer  l’invocation de clôture sur la montagne, au quelle notre équipe s’est rendue dés le levé du jour(c’était au mois d’août 1997). Après l’invocation collective sur la montagne, tout le monde a décampé pour se rendre ailleurs, jusqu’au prochain mousem.

Abdelkader Mana

15:03 Écrit par elhajthami dans Histoire, Musique, religion | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : tiznit | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

TAFRAOUT

I D E R N A N E
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La fête saisonnière de l'Anti-Atlas

Au milieu des montagnes tourmentées de l’Anti – Atlas, le jour se lève sur Tafraout, toponyme qui figure parmi les plus fréquemment relevé en Berbèrie et qui signifie l’auge où les chèvres et les brebis viennent s’abreuver. Tafraout entourée d’un chapelet de villages aux maisons souvent vides mais auxquelles ses habitants d’origine restent attachés même s’ils ont réussi à faire fortune ailleurs. C’est à Tafraout que le Soussi oublie ses soucis, en retrouvant les parfums et les airs qui ont bercé jadis sa prime enfance. C’est là que chacun se réconcilie avec ses racines et son identité profonde.

A l’herbe des prés l’amandier en fleur a dit :

A quoi bon désirer l’eau ? Ô fleur voici l’abeille !

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Lorsque les amandiers en fleurs donnent aux valets de l’Anti – Atlas leur aspect presque riant et au moment où commence le gaulage des olives, la fête des idernane a lieu juste après le jour de l’an du calendrier julien : c’est ras- el- âm, le jour de l’an berbère, cette porte de l’année agricole qui correspond au 13 janvier du calendrier grégorien, qui donne le départ à ces fêtes saisonnières qui permettent aux vallées de l’Anti-Atlas de sortir progressivement de la mort hivernale à la renaissance printanière. La fête des idernane commence en tribu Ida Ou Samlal le jeudi 15 janvier ; les autres tribus la célèbrent ensuite jusqu’à la mi – mars. C’est une fête qui dure trois jours : le jeudi, le vendredi et le samedi. Que sont les idernane ? Ce sont les baignés faits de patte que l’on cuit dans le plat à pain enduit au préalable d’huile d’argan. Ce jour – là on mange aussi les moules séchées achetées sur le marché : les villageois préparent les crêpes ainsi que les moules qu’on appelle waïl en berbère, bouzroug en arabe. Ils s’invitent entre eux et le soir venu a lieu la fête dans le douar. Au sommet du djebel el Kest, qui surplombe Tafraout ainsi que la célèbre vallée d’Ammeln, au tout début du mois de janvier 2004, nous avons assisté à cette fête du calendrier berbère qui a coïncidé cette année avec la fête lunaire du sacrifice abrahamique.
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La trêve des idernane

Perché au sommet du djebel el kest , la plus haute montagne de l’anti – atlas, qui culmine à 2300 m , le village de Tagdicht fait partie de la fraction des Aït Smayoun, qui surplombe la vallée où coule par intermittence l’oued Ameln au pied de la muraille semi – circulaire de l’adrar el kest : c’est par rapport à l’oued qui coule au milieu de la vallée d’Ameln que se répartissent les douars. Il y a ceux en amont de la rivière qui appartiennent  au domaine du haut, afella ou assif, et ceux  en avale de la rivière qui appartiennent au domaine du bas, agouns ou assif. Les premiers formaient le long du djebel el kest une alliance des montagnards dénommée le leff des Tahougalt qui s’opposaient aux villages de la vallée qui formaient le leff de Tagouzoult. Ces deux leff antagonistes ne connaissaient de trêves que durant les fêtes des idernane, comme nous l’explique notre hôte au village de Tagdicht :

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Jalahi Abed, le patriarche de Tagdicht, notre hôte
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Tagdicht
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« L’occasion des idenane, quelle en est la cause ? Les famines et les guerres ! Il y avait la famine et on guerroyait d’un village à l’autre, d’une tribu à l' autre. Les Oulémas de Sous se sont alors réunis à Igourdane et ils ont cherché à établir une trêve, pour que les gens puissent faire leur marché en paix. Ils ont donc appelé cette trêve « la trêve d’idernane » : deux représentants de chaque douar avaient signé ce pacte. De sorte que quiconque veut se rendre au douar ne puisse être muni d’armes, ne serais-ce que d’un simple couteau. Il peut ainsi se rendre au douar avec confiance. Et ils ont commencé à Igourdane. Le 8 janvier commence idernane à igourdane, suivi de Tagenza, la semaine d’après, puis  vient le tour de Tagdicht où nous sommes . Cette fête mettait ainsi fin à l’opposition entre les leff de Tahougalt et celui de Tagouzoult. Le leff de Tahougalt défendait son territoire et celui de Tagouzoult également. A partir d’Aït Smayoun à Ida Ou Samlal , c’est le leff de Tagouzoult. Et de Tazoult à Aferni , c’est le leff de Tahougalt. On fête idernane en recevant les invités avec les crêpes : les femmes arrivent le jeudi, les hommes le vendredi. Et on commence à danser l’ahouach l’après midi jusqu’à très tard le soir. »
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Lors de la fête nocturne les jeunes chanteuses ont la tête entièrement recouverte par un voile collectif qui les relie entre elles qu’on appelle chéch. Ce voile collectif semble être imposé par les vieilles zaouia et écoles coraniques de la région. Ce voile collectif imposé par les hommes limite l’expression chorégraphique des femmes. A cet égard, le Sous se répartit en deux sortes de tribus : celles dont l’ahouach (danse collective) des femmes se déroule sans voile et qui excellent dans la danse et le chant et celles qui dissimulent leurs corps sous un voile collectif de sorte qu’elles ne laissent paraître de leur beauté physique  que les mains enduites de henné et recouvertes de bijoux (les jeunes nubiles se produisent ainsi pour les beaux yeux de l' éventuel future, les femmes mariées sont de simples spectatrices).Ici, le corps des femmes est marqué d’interdits ; on nous a même empêché de filmer les spectatrices. Et comme nous avions voulu filmer les traditions culinaires de cette fête des idernane ; on nous a promis par politesse d’accéder à l’espace intérieur réservé aux femmes, mais c’était juste une promesse qui n’a pas été suivie d’effet. De manière symbolique, le seuil, al-atba , marque la limite à ne pas franchir .

Résurrection des fleurs sauvages

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Le poète Mohamed Kheir Eddine , né dans cette vallée d’Ameln, plus précisément au  village d’azrou ouadou (le rocher du vent) s’était élevé à son retour d’exile contre ces traditions étouffante tout en exprimant de la nostalgie pour ces musiques naïves et attendrissantes qu’il a connu dans son enfance. Une enfance où il n’avait connu de la femme que son voile noire et son fagot de fourrages sur le dos :

La femme portant la montagne sur le dos

La femme naissant du creux moite de l’omoplate

Des moutons sacrifiés sur l’ardent miroir fauve

Mère ! Issue des plantes fourragères

Je vais par ce chemin abrupt atteindre tes yeux baies

Et très haut une lune peut – être qui pose ses nasses

Avec sa langue embrassant les étoiles

Morte ?! Non. Fatiguée de l’amour acre non consommé

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C’est en ces termes que dans sa « Résurrection des fleurs sauvages », que Mohamed Kheir Eddine rend hommage aux femmes de ce pays qui est le sien. Et « on arrive dans son pays, écrivait – il , plein de bruits des mégapoles, de la furie des mers et baignant dans les espaces immenses. Quel miracle ! Après les vins forts de l’errance que les brocs de petit lait saupoudrés de teins moulu. On refait connaissance avec la moindre poutre, la moindre marche. On redécouvre les pièces visitées en rêve, exiguës et ténébreuses. On est véritablement à l’écoute des musiques de l’enfance. »

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Les commerçants des villes bâtissent ici des villas en béton dont ils confient les clés à des allogènes et où ils ne viennent habiter qu’une quinzaine de jours par an, à l’occasion de mariages. Au pays reste la femme : c’est elle qui cultive la terre, c’est elle qu’on voit arracher de l’herbe en flanc de montagne. Curieuse économie à deux branches : l’agriculture et le commerce dont l’une, la complémentaire s’est développée au point de devenir la principale. Au pays d’Ameln, l’émigration a dispersé les hommes au point qu’on a du faire appel à l’ahouach des hommes de la tribu voisine d’Amanouz. Dans son improvisation poétique, le poète fustige l’avarice qui fait de l’accumulation de richesse le but ultime de la vie. L’avare ne peut s’adapter à la vie sociale : Dieu lui a interdit de goûter au miel des choses. Dans une fête où l’assistance est faite principalement d’épiciers et d commerçants ayant bâti leur richesse à force d’épargne, l’évocation de l’avarice paraît un clin d’œil qui ne manque pas de sel. Un simple recensement des invités nous convainque de leur origine social : tailleur à Tanger, buraliste à Casablanca, épicier à Rabat, restaurateur à Tafraout, propriétaire de supermarché dans la banlieue parisienne : ils sont tous revenus au pays à l’occasion de l’aïd el kébir et ont choisi de prolonger leur séjour pour participer au village, aux environs de Tafraout, à la fête saisonnière de l’Anti – Atlas. Contrairement au Haut – Atlas où nous pouvions interroger des femmes d dévoilées sur leur chant et leur danse, dans cet Anti – Atlas puritain, on a dû ruser pour filmer furtivement au loin, des femmes voilées.grenier.JPG

Dans le Sous, la femme reste la gardienne de la culture et de l’agriculture. De tout temps la femme berbère a été pourvoyeuse des significations du monde. C’est elle qui inculque aux très jeunes enfants la culture ancestrale que l’homme trop paresseux quand il n’est pas occupé dans les mines d’Europe ou les épiceries de Casablanca ne leur dispense pas. Cette culture se donnait comme un travail de patience et de méthode qui consiste à nourrir le cerveau de l’enfant de la geste symbolique tout en lui faisant connaître les beautés diverses et immédiates de la terre.

Abdelkader MANA

15:01 Écrit par elhajthami dans Documentaire, Musique, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tafraout | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Légendaire Massa

Massa Terre de Légendes

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Lazarev
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TABAL

Le poisson ne se lave pas le visage dans la mer

La mer est son visage lavé

Depuis le blanc- sel, depuis ce bleu- éternel

Moubarak Erraji

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Le toponyme de Massa est déjà indiqué sur la plus ancienne carte, celle de Ptolémée. Si on admet que les Phéniciens possédèrent cinq comptoirs commerciaux sur les côtes marocaines au sud du Cap Ghir, il est probable que le port de Massa fut choisi par ces navigateurs de la première heure. Sur ces côtes marocaines, les marins berbères s’accrochent au moindre abri pour y fonder de petits ports de pêche. Massa est traversée par l’oued sur environ 150 kms. Les villages avoisinants en profitent énormément. Ils se succèdent tout le long de la rive sud-ouest et de la rive nord-ouest. Sur les bords de l’oued se pressent une quinzaine de villages construits à mi-pente sur la falaise escarpée de la rive gauche. Le jonc prolifère dans le lit même de l’oued et fournit la matière première à l’artisanat du nattage qui fait de Massa le premier fournisseur en nattes des mosquées du  Royaume. C’est une activité ancienne qui se transmet de génération en génération. L’eau qui fait vivre la plaine provient soit de l’oued lui-même, soit des puits et des sources. L’eau de l’oued est très légèrement salée. Celle des puis et des sources est douces. Les champs irrigués prennent l’aspect de véritables fourrés où les sangliers de la montagne viennent se réfugier. Les livres d’histoire signalent que Massa produisait de la canne à sucre du temps des Saadiens. Au temps des disettes les gens venaient directement à Massa en raison de l’abondance de l’eau, celle de l’oued Massa et aussi en raison de nombreuses sources.

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Chaque vague est un ancien pêcheur

Mort de noyade

La vague peut-elle se noyer en elle – même ?

La mer est plus langue qu’une canne de pêcheur

Ce n’est pas moi qui le dis

Ce sont les fuites d’eau au travers les mailles du filet

Moubarak Erraji

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L’embouchure est très belle : la mer pénètre à des kilomètres en profondeur en amont de l’oued Massa. Il reste encore des vestiges et des traces de l’ancien port que se soit en amont ou en aval du fleuve. Les origines de ce port remontent aux Phéniciens, aux Carthaginois et aux Portugais. Il fut fréquenté jusqu’à l’époque Saâdienne et au début de la principauté de Tazerwalt. On accédait au port qu’on appelle al-Forda en arabe,par l’embouchure avant son ensablement, pour transporter soit les marchandises, soit les armes.

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Des sacrifices sont également offerts à cet oued surtout au niveau d’Oggoug, c'est-à-dire le barrage situé au niveau d’ Agdal-Massa. Chaque année on sacrifie à cet endroit , pour obtenir la baraka de la sainte lalla Riqya ,fille d’Ahmed Sawabi. On accorde ainsi leurs part aux saints patrons de Massa. Les anciens pêcheurs se souviennent encore des chants qu’ils clamaient lors de la pêche à la pirogue berbère du nom d’agherrabou . Le mot était connu sous cette forme de Cap Juby à Safi. Le mot a pu être rapporté au grec et au latin carabus . Les saints enterrés en bord de mer ont leur part de capture des agherrabou. Les pêcheurs ne peuvent ni vendre, ni partager les poissons, sans accorder leur part de poissons aux saints. Ils disent : « Voici le poisson de Sidi wassay ! » En le rejetant au loin sur le sable. « Cet autre poisson est pour lalla RahmaYoussef ! » pour qu’elle les aide face aux tempêtes maritimes. Ce n’est que par la suite que les pêcheurs peuvent vendre leurs captures.

Abdelhadi, le parolier des Izenzaren qui vient souvent en marin chercher l’inspiration à Sidi wassay chante :

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Me voici mettant ma pirogue face aux vagues

L’écume des vagues couvre ma pirogue

On ne sait ce qu’on va trouver

Derrière les vagues et derrière les îles

Le rouget, c’est en haute mer qu’on le capture

Au bout d’un filet qui vibre comme un rebab

 

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Dans les douars côtiers, c’est la pêche qui prime sur l’agriculture. La plupart des marins cultivent la terre pendant la mauvaise saison. C’est surtout la crainte de la houle qui paralyse la pêche pendant l’hiver. La vie maritime semble s’être retirée de Massa en raison de l’ensablement. Tifnit est maintenant le port où arrivent les pirogues chargées de poissons. C’est là qu’Oqba Ibn Nafiî s’est arrêté face à la mer. Le grand conquérant arabe avait prié son Dieu en ce lieu. Les princes s’y rendaient pour renforcer leur pouvoir. Ibn Khaldoun rapporte des légendes qu’on n’a cessé de répandre depuis qui représentent cette région comme le lieu d’où viendront l’imam el Mahdi et le Doujjal (l’antéchrist) :

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« Les gens disent que le Mehdi surgira au fond de quelques lointaines provinces au bout du monde civilisé, par exemple au Zab en Ifriqiya ou dans le Sous marocain. Des gens simples vont en pèlerinage au ribât de Massa dans le Sous. Ils espèrent le rencontrer là, persuadés que c’est là qu’il va apparaître et qu’ils lui prêteront serrement d’allégeance. Au début du 13ème siècle,  et sous le règne du sultan mérinide Youssef Ibn Yaâkoub, un soufi pratiquant vint au ribât de Massa. Il prétendait être le fatimide qu’on attendait. Beaucoup de Znaga et de Gzoula de Sous le suivirent. Il était sur le point de réussir lorsque les chefs des Masmoda craignirent qu’il ne vint à menacer leur autorité. L’un d’entre eux, de la tribu des Seksawa lui dépêcha un tueur à gage et l’assassinat. Ceci fit échouer toute l’affaire. »

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La sanctuaire de Sidi Wassay situé sur la rive sud de l’oued Massa, de son vrai nom Abderrahman Rondi par référence à la ville Andalouse de Ronda . Il aurait vécu au 13ème siècle. Il avait quitté l’Andalousie pour Fès et de là à la tribu berbère d’Issafen N’Aït Haroun. Il y laissa un enfant et vint s’établir à Massa où il fut enterré au bord de la mer pour que sa baraka produise des pêches miraculeuses et protège les rivages  des ennemis qui viennent de la mer. Le surnom de Wassay signifie d’ailleurs en berbère « celui qui protège des dangers de la mer ».

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Le rocher de Jonas est également l’objet d’un culte jusqu’à nos jours sur les rivages de Massa. Entre sable et eau le rocher est parfois recouvert par le flux des marées. Pour le professeur Bassir, originaire de Massa : « Ce n’est peut-être qu’une simple légende, mais il n’est guère hors de portée pour le Seigneur de faire advenir Jonas des rives orientales de la Méditerranée à ce ribât de l’Atlantique. Jonas fut avalé par une baleine pour une action blâmable envers Dieu. Et c’est sur ces rivages que la baleine l’engloutit d’une manière ou d’une autre . Un plant de courge poussa alors sur lui comme il est dit dans le Coran :

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« Et nous le jetâmes sur la terre, si maigre qu’il était et nous fûmes pousser sur lui un plant de courge. ». Le yaqtin , ce plant de courge qu’on appelle aussi « légume du Prophète », c'est-à-dire la plante qui a poussé au-dessus de Jonas.

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Selon Léon l’Africain, la mer rejetait ici des cétacés, en particuliers les baleines que les marocains appellent Gaga, comme le prouve leurs carcasses dont on s’est servi pour consolider les arcades et les toitures de la vieille mosquée de Massa. Il y avait un os de baleine à Sidi Wassay qui faisait l’objet de culte et auquel on se frottait pour se débarrasser de certaines maladies. La baleine que rejetait la mer , Léon l’Africain l’avait vu de ses propres yeux. Il raconte comment il a pu franchir sur dos de chameau une arcade faite d’os de baleine. Les baleines échouaient spécialement sur ces rivages, parce qu’à un ou deux kilomètres au large de Massa se trouvent des écueils acérés, à fleur d’eau : la baleine s’y blessait et finissait par échouer sur la plage.

Abdelkader MANA

14:37 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook